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Page 1: Inactivité - le corps au quotidien - Mémoire de fin d'étude DSAA design produit - École Boule - 2014
Page 2: Inactivité - le corps au quotidien - Mémoire de fin d'étude DSAA design produit - École Boule - 2014

Inactivité

MALTA Benoît

Mémoire réalisé pour l’obtention

du D.S.A.A. Design produit

École Boulle.

Janvier 2014.

Le corps au quotidien

Page 3: Inactivité - le corps au quotidien - Mémoire de fin d'étude DSAA design produit - École Boule - 2014

Sommaire

Préface 7

Introduction 16

I/ Rapport 19

contemporain au corps

a) L’avénement d’une société sédentaire, effet secondaire de l’industrialisation

b) Constitution d’un modèle véhiculé par la société

c) L’intrusion du sport dans l’habitat

d) De l’activité non sportive à une nouvelle activité domestique

II/ Pour une nouvelle perceptiondu corps 42

a) De l’inconfort naît le mouvement

b) Pratiquer son corps différemment

c) Nos usages et habitudes

III/ Vers le projet 64

a) L’enjeux du projet

b) Des objets adaptés à une nouvelle dynamique de vie

Conclusion 76

Annexes 80

Rencontre avec le Centre National de la Danse Rencontre avec Loïc Lauzis Kinésithérapeute

Bibliographie 92

19

26

32

38

42

50

60

64

66

80

86

Page 4: Inactivité - le corps au quotidien - Mémoire de fin d'étude DSAA design produit - École Boule - 2014

7

Inactivité Le corps au quotidien

Tout au long du siècle, la vision du corps dans notre

société n’a cessé d’être en perpétuelle mutation. Passant

de l’idée de l’aliénation la plus totale - celle du corps

machine que l’on trouve chez Zola dans Germinal ou

encore chez Chaplin dans Les temps modernes - à la

vision contemporaine que nous en avons, celle d’un

capital bien-être à entretenir, d’un corps glorifié et

sanctifié. Cette conception du corps en fait aujourd’hui le

point central de notre existence, comme nous l’explique

Yannis Constantinidès, philosophe français, dans Le nouveau culte du corps1. Le corps a gagné presque quarante

ans d’espérance de vie en un siècle, et cela n’est pas sans

effet sur les rapports que nous entretenons avec lui. Il

était le « tombeau de l’âme » pour Socrate, la source du

péché pour les chrétiens, ce dont il fallait apprendre à

se détacher parce qu’il nous vouait à la souffrance, à la

maladie et à la mort. Le corps n’est plus notre ennemi, il

est aujourd’hui l’objet de toutes nos convoitises et de nos

désirs. Nous demandons à la science et aux technologies,

mais aussi au droit et à la politique, de l’entretenir et de

le protéger, au sport d’augmenter sa puissance, à la mode

de l’embellir, au cinéma de le glorifier... Tant de choses

mises en œuvre dans le but de nous faire vivre le plus

longtemps possible dans des conditions idéales.

Néanmoins, à notre époque, les rapports que nous

entretenons avec le corps sont très paradoxaux.

Préface

1.Constantinidès Yannis, Le nouveau

culte du corps, Francois Bourin éditeur, Janvier

2013

Page 5: Inactivité - le corps au quotidien - Mémoire de fin d'étude DSAA design produit - École Boule - 2014

8

Préf

ace

L’homme devient de plus en plus schizophrène, partagé

entre deux formes contemporaines d’hédonisme qui

tendent, d’un côté à faire disparaître toutes tâches

physiques de notre quotidien et de l’autre à entraîner le

corps dans un rythme frénétique d’activités physiques à

travers une quête permanente de performances pour son

bien-être. Nous avons d’une part l’idée qu’il faut se faire

plaisir à tout prix et cela passe donc, pour être heureux,

par la nécessite de s’affranchir de tout effort ou exercice

physique contraignant et imposé. D’autre part, nous

avons l’idée que le corps en pleine forme, performant

et compétitif, est une source de bien-être contribuant

au bonheur. Nous avons donc deux représentations du

bonheur à partir de la recherche du plaisir et du bien-être

mais à travers une quête commune nous en arrivons à

des attitudes opposées. Là est le problème. « Paressons en

toutes choses, hormis en aimant et en buvant, hormis en

paressant. »1 Ce faisant Paul Lafargue, sociologue français,

dénonçait l’idée de « l’amour du travail » et donc de la

souffrance qu’implique le capitalisme. Il soutenait l’idée

que nous devons jouir de notre corps, jouir de ne rien

faire et non de l’assujettir.

Plus que tout, l’évolution des technologies a

favorisé un rythme de vie où la place du corps a été

reconsidérée. Révolution industrielle, mécanisation,

automatisation, numérisation, domotique etc, nous

1. Lafargue Paul, Le droit à la

paresse, édition mille et une

nuits, mars 1994

Bay Michael, No pain No gain, Paramount, Sortie en Août 2013

Page 6: Inactivité - le corps au quotidien - Mémoire de fin d'étude DSAA design produit - École Boule - 2014

1110

Inactivité Le corps au quotidienPr

éfac

e

ont permis de nous affranchir de nombreuses tâches

pénibles et ennuyeuses, de rendre nos conditions de

vie plus agréable en autorisant le corps à se reposer et

en substituant la technologie à la pénibilité physique de

tâches laborieuses. Avec la naissance d’un hédonisme

contemporain, l’abolition des tâches et la suppression du

déplaisir sont devenues une quête de notre existence :

il faut se faire plaisir et pour cela il faut éviter de

contraindre le corps à l’effort, à l’exercice physique

ou encore à la fatigue. Nous remarquons néanmoins

que si ces évolutions ont participé à l’amélioration

de notre cadre de vie, elles ont tout autant contribué

à la disparition d’une activité corporelle dans notre

quotidien. Jean Baudrillard1 dans Le système des objets définit cette révolution comme « le commencement

d’une vie de contemplation, contemplation de la

puissance et de la technologie, où le corps est spectateur

de ce qui lui arrive ». Le corps est peu à peu tombé

dans un sommeil musculaire. Il ne produit plus de

mouvement. Entre film de science- fiction et théorie

transhumaniste, on rêve de pouvoir tout piloter par la

pensée sans avoir à soulever le petit doigt. Les avancées

technologiques nous le permettront certainement un

jour mais qu’en sera-t-il alors du corps? La caricature

futuriste du monde que nous montre le film d’animation

Wall E des studios Pixar, sorti en 2010, ne serait-elle pas

finalement en train de nous arriver : un corps réduit à

être simplement l’enveloppe de notre esprit ? L’inactivité

serait-elle en phase de devenir l’un des syndromes de

notre époque ?

Dans le but de combattre la propagation de ces

comportements, les plus hautes instances nous poussent

aujourd’hui à pratiquer une activité sportive ou physique

quotidienne. Messages publicitaires omniprésents,

les médias

nous agressent

d’informations,

de chiffres et de

spots, préconisant

une « pratique sportive quotidienne pour notre santé ».

Les médecins prescrivent du sport ou de la gymnastique

pour guérir des maux que l’inactivité entraîne. De ce fait,

le sport prend aujourd’hui une toute autre tournure. Si

le sport pouvait nous apparaître comme un plaisir, le

jeu du défoulement du corps, il est devenu une activité

quasi-médicale, un remède contre le vieillissement, un

outil au service du bien-être. Mais même s’il est louable

d’avoir une activité sportive pour des raisons de santé,

« les trente minutes d’exercices par jour » préconisées

ne remédient en rien à l’inactivité au quotidien. Cette

injonction apparaît également comme quelque chose

d’impossible à suivre, au regard de nos modes de vie dans

L’inactivité serait-elle en phase de devenir l’un des syndromes de notre époque ?

1.Baudrillard Jean, Le système

des objets, édition Galimard, 1968,

p78

Page 7: Inactivité - le corps au quotidien - Mémoire de fin d'étude DSAA design produit - École Boule - 2014

13

Inactivité Le corps au quotidien

la société contemporaine. Cette activité est simplement

une compensation, un substitut à court terme qui permet

durant un cours instant de prendre en considération

notre existence physique et, pour certains, de se donner

bonne conscience.

Nous pourrions aussi interpréter ces messages publici-

taires d’une manière complètement différente en nous

demandant pourquoi la société nous pousse réellement

aujourd’hui à faire du sport. On répondra que c’est

question de santé mais pas seulement.

En l’occurrence, la question du sport paraît aussi forte-

ment liée à une entreprise de valorisation du corps, non

en tant que réalité biologique, mais en tant qu’image, à

la fois image sociale et représentation de soi. Un corps

doit être musclé, sain et beau selon, bien sûr, les canons

en cours de la beauté, de la santé et du culte de la force :

il s’agit de véhiculer l’image même de la société perfor-

mante et de prôner une population en pleine forme

physique et donc compétitive sur tous les plans. L’image

que transmet d’elle-même une société passe par l’image

du corps qu’elle renvoie, l’un devant être le reflet de

l’autre. Dans la pratique du sport, il s’agit de construire

le corps de la conformité, de produire et reproduire des

archétypes idéologiquement avalisés. Aujourd’hui, par le

sport le corps se fait élément d’intégration et d’adhésion

à l’image qu’une société souhaite donner d’elle-même, Stud

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14

Préf

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performante et compétitive.

L’être humain est alors partagé entre deux formes

contemporaines d’hédonisme avec d’un côté

l’hédonisme de l’oisiveté prônant un désinvestissement

du corps face à des activités physiques trop pénibles, et

de l’autre l’hédonisme de la «sportivisation» favorisant

un hyper-investissement de celui- ci pour notre bien-

être. Face à ces deux positionnements le design a-t-il

le pouvoir, ou les moyens, de proposer une pratique

du corps à mi-chemin de ces deux comportements

contemporains ?

L’être humain est alors partagé entre deux formes

contemporaines d’hédonisme

Page 9: Inactivité - le corps au quotidien - Mémoire de fin d'étude DSAA design produit - École Boule - 2014

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Inactivité Le corps au quotidien

Introduction

L’environnement domestique actuel correspond à une

succession de situations statiques où l’activité physique

est très peu sollicitée. Le corps produit de moins en

moins de mouvements dans son environnement de vie.

Restreignant ses gestes à des gestes de commande ou à

des mouvements de la plus petite amplitude possible,

il reste le plus clair du temps statique et inactif. Notre

habitat est aujourd’hui construit autour de l’idée que le

corps doit être materné, protégé. Son environnement

de vie doit être conçu de manière à lui éviter la moindre

souffrance dans son quotidien. De ce fait, l’engagement

du corps dans toutes les activités domestiques, va en

diminuant jusqu’à certainement disparaître un jour. Le

point central de mon projet de recherche est d’envisager

le corps en mouvement dans son espace domestique afin

de proposer de nouvelles situations de vie et d’usages au

sein de l’habitat et donc de tenter d’engager de nouveaux

rapports avec notre corps au quotidien.

Mais qu’est-ce qu’une activité domestique à notre

époque ? Peut-on envisager de nouvelles formes

d’activités physiques dans l’habitat alors que la

technologie se substitue de plus en plus aux tâches

domestiques, le corps étant de ce fait moins contraint ?

L’aménagement de l’espace domestique peut-il

influencer nos comportements au quotidien ? Les objets

qui nous entourent peuvent-ils être les vecteurs d’une

activité physique permettant de mettre le corps en

mouvement ? Le but du projet n’est pas de faire du sport

dans l’habitat mais d’envisager l’activité physique comme

vecteur d’innovation et moyen de définir un autre

schéma d’évolution dans notre espace de vie. Comment,

alors, faire évoluer notre rapport au corps en envisageant

nos relations avec lui différemment, sans être dans la

recherche de performances ou au contraire dans le

délaissement et l’oubli ? Comment plutôt, favoriser une

prise de conscience plus sereine et une attitude plus

maîtrisée à l’égard de notre existence corporelle?

Nous pourrons ainsi nous intéresser, dans un premier

temps, aux rapports contemporains que nous

entretenons avec notre corps afin d’analyser, par la suite,

des solutions différentes d’envisager notre existence

corporelle. Dans un troisième temps, nous pourrons

imaginer des pistes possibles susceptibles de répondre

à la problématique de l’inactivité quotidienne.

Page 10: Inactivité - le corps au quotidien - Mémoire de fin d'étude DSAA design produit - École Boule - 2014

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Inactivité Le corps au quotidien

I/ Rapport contemporainau corps

a) L’avènement d’une société sédentaire, effet secondaire de l’industrialisation

La sédentarité a été définie comme un mode de vie

comportant un faible niveau d’activité physique. Une

faible dépense énergétique et une faible sollicitation

des grandes fonctions physiologiques et métaboliques y

sont associées. L’inactivité physique, ou comportement

sédentaire, peut être définie comme « un état dans lequel

les mouvements corporels sont réduits au minimum et la

dépense énergétique proche de la dépense énergétique

de repos »1. L’inactivité ne correspond pas seulement

à une absence d’activité mais aussi à de nombreuses

occupations telles que regarder la télévision, travailler

sur son ordinateur, ainsi que toutes autres activités

intellectuelles. L’ère de l’industrialisation a engendré

une inactivité forcée, ainsi qu’une évolution de nos

comportements vers la sédentarité. C’est à dater de 1840 And

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1.Depiesse Fréderic,

Prescription des activités physiques:

en prévention et en thérapeutique,

édition Masson, 2009, p7

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Inactivité Le corps au quotidienR

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s

que l’usine et ses principes fonctionnels empruntés au

taylorisme deviennent le nouveau modèle incontesté

de la maison moderne notamment à partir des travaux

de Catherine Beecher, éducatrice américaine sur

« l’économie domestique »1 . Elle va ainsi transposer

l’organisation fonctionnelle du travail dans les usines

à l’espace domestique, permettant à la ménagère

d’économiser du temps et de s’épargner une fatigue

inutile. Une répartition rationnelle des éléments afin

de tout avoir à portée de main offre des espaces plus

pratiques soulageant l’effort dans un but de rentabilité.

Beecher a même l’utopie d’une maison conçue comme

un lieu totalement automatisé qui peut se passer de

domestiques. Notre époque n’aurait-elle pas exaucé son

vœu le plus cher ?

Nos activités domestiques sont de moins en moins

avides d’énergie et les occasions de se dépenser

physiquement sont devenues rares. La mécanisation des

outils de productions, le développement des transports,

les évolutions technologiques, ont supprimé la notion

de mouvement et de dépense énergétique dans notre

quotidien.

Ainsi, Baudrillard définit nos gestes quotidiens comme

« une succession de gestes pauvres […] dont le rythme

est effacé »2. Et même si l’on ne peut nier les bienfaits

pour l’homme de la mécanisation des outils permettant

1.Midal Alexandra,

Design introduction à l’histoire d’une

discipline, édition Pocket, 2009,

p 18

de dépasser l’usage pénible du corps dans des tâches

répétitives, la disparition totale du geste et de la nécessité

d’énergie physique pour le fonctionnement des objets

de notre environnement n’en sont pas moins un mal

aussi. Le problème fondamental, c’est qu’en étant dans

une quête d’amélioration de notre espace et de notre

confort domestiques, nous avons créé de nouveaux

maux. Apparaît alors en exergue la difficulté qu’il y a,

aujourd’hui, à dire ce qui paraît le mieux pour le corps.

Faire un choix entre la sédentarité et le dur labeur

semble donc difficile tant les deux apparaissent comme

tout aussi néfastes pour le corps. LePoint.fr3 a publié

notamment un article en janvier 2013 annonçant que

les personnes assises plus de 6 heures par jour ont un

taux de mortalité supérieur de 20 % pour les hommes,

et de 40 % pour les femmes, à celui des personnes qui

y passent moins de 3 heures. En tentant de soigner

le corps en le délestant de toutes ces tâches pénibles

qui lui ont longtemps incombé, un effet secondaire

est apparu. Le corps n’est certes plus contraint par les

travaux domestiques mais il est aujourd’hui atteint d’une

multitude de problèmes physiques non plus liés à l’effort

intense mais à un manque d’activité et d’implication

dans toutes les activités quotidiennes. L’engagement

corporel de l’homme n’a cessé de décliner, alors que « la

dimension sensible et physique de l’existence humaine

2.Baudrillard Jean, Le système

des objets, édition Galimard, 1968,

p 80

3.LE POINT, Article consultable

en ligne, Disponible sur http://

www.lepoint.fr/invites-du-

point, parue en janvier 2013

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Inactivité Le corps au quotidienR

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s

tend à rester en jachère au fur et à mesure que s’étend

le milieu technique »1. Le corps devient d’autant plus

pénible à assumer quand diminue la part de ses activités

propres sur l’environnement. Il en résulte une perte

de conscience de notre corps et de nos ressources

musculaires qui implique un oubli de l’ancrage corporel

de notre existence. Le film d’animation Wall E nous

donne à voir une caricature futuriste de l’homme, un

être de surconsommation, obèse et incapable de faire

le moindre geste. Nous serions devenus des humains

totalement assistés par les machines, incapables même

de marcher, se déplaçant sur des fauteuils volants , allant

jusqu’à substituer aux machines leurs gestes vitaux,

comme se nourrir ou boire. Dans le but de compenser

ce manque d’activité au quotidien, les pratiques

sportives apparaissent comme une solution afin de

rééquilibrer notre manque d’investissement corporel

au quotidien. Les médias ou les institutions médicales

montrent le sport comme un moyen d’augmenter notre

capital bien-être, une solution permettant d’entretenir

notre corps, d’améliorer notre forme physique, tout

en favorisant les rapports sociaux. Promouvoir les

activités sportives répond donc à un objectif médical

et social. Un corps tonifié, en pleine forme physique,

serait le reflet de l’homme actif socialement intégré. Nos

pratiques sportives ou physiques ne sont plus liées à

l’amusement ou au plaisir mais à une quête incessante de

bien-être et d’intégration sociale. Il suffit de voir l’essor

impressionnant des licences dans les salles de fitness2.

Il est bien évident que nous ne sommes pas, avec ces

pratiques, dans une démarche liée à l’amusement mais

dans une démarche de l’ordre de la quête du bien-être.

Avec une vision hygiéniste du corps, l’activité sportive est

perçue comme un moyen de prendre conscience d’une

existence corporelle destinée à favoriser une reconquête

cinétique, sensorielle ou physique. Elle induit une

activité physique régulière, dans le but de restaurer un

équilibre rompu.

Mais qu’entend-on, aujourd’hui, en parlant d’un

« corps en pleine forme » ? Le terme « forme » qui met

en évidence la dualité, l’ambivalence de nos pratiques

physiques contemporaines. Outre le fait que, lorsque

nous parlons de forme physique d’un corps, nous

pensons à son état de santé, nous ne pouvons écarter

l’idée qu’il s’agit aussi d’apparence physique, d’aspect,

en somme de ce qui est rendu visible à l’autre. Il y a

alors quelque chose de troublant dans cette abondance

de messages publicitaires tels que : « Pour votre santé

pratiquez une activité physique régulière », « manger,

bouger », « Pour rester en pleine forme, évitez de manger

trop gras, trop sucré, trop salé » etc. Sous couvert d’une

question de santé, ne parlerait-on pas ici tout autant de

Un corps tonifié, en pleine forme physique serait le reflet de l’homme actif socialement intégré

2.INSEE, Base de donnée de

documents, Disponible sur

http://www.insee.fr/fr/

ffc/docs_ffc/donsoc06zu.

pdf, 2006

1.Le BretonDavid, Anthro-pologie du corps

et modernité, Quartridge,

1990, p185

Page 13: Inactivité - le corps au quotidien - Mémoire de fin d'étude DSAA design produit - École Boule - 2014

24

notre « forme » physique ?

Le but de ces messages n’est certainement pas

uniquement lié à des questions de santé, mais aussi à

l’image du corps que la société veut nous transmettre

comme étant le bon corps.

Valérie Belin, Bodybulders II,1999, Photogra-phie, Musée des Arts Décoratifs, Paris

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Inactivité Le corps au quotidien

b) Constitution d’un modèlevéhiculé par la société

« L’exercice physique n’est évidemment pas en cause ;

il reste essentiel et agréable. On peut en revanche

s’interroger sur la sportivisation de l’existence humaine

qui a débuté au XXe siècle et qui s’accélère aujourd’hui »1.

Malheur à celui qui laissera apparaître le moindre

surpoids ou une peau flasque. Il est essentiel, voire

obligatoire à notre époque de « préserver son capital le

plus précieux ».David Le Breton ajoute que nous allons

même jusqu’à nous sentir coupables d’avoir manqué à

un devoir capital lorsque nous n’avons pas fait notre part

d’exercices sportifs ! L’homme moderne est plus que

jamais préoccupé par son apparence et par l’image qu’il

renvoie aux autres : « on gère son corps, on l’aménage

comme un patrimoine, on le manipule comme un des

multiples signifiants de statut social »2.

Les médias glorifient une image du corps parfait

devenant pour beaucoup un idéal à atteindre. Le corps

se doit d’être lisse et beau, jeune, conforme au modèle

implicite qui attire l’attention sur lui par la séduction. Un

idéal totalement fictif construit sur des manipulations

d’images à l’aide de logiciels de retouches tel que

Photoshop. La publicité, notamment, crée une image

de l’homme et de la femme quasi divine à travers des

images qui élèvent le corps des mannequins au statut

de Dieu ou Déesse. Cette sacralisation d’un corps

athlétique, complètement fictif, montée de toutes pièces,

2.Baudrillard Jean, La société

de consommation, édition Folio,

1970, p204

se fait élément de comparaison et précepteur d’une

pratique sportive intensive dans le but d’atteindre un

idéal corporel impossible. Constantinidés dénonce ce

« fétichisme de l’image »3qui n’est évidemment pas sans

conséquences sur le rapport que nous entretenons à

notre corps. Le corps désiré éclipse le corps réel et il

devient alors pénible pour nous de concevoir un corps

différent de celui que l’on envisage. La souffrance

devient donc paradoxalement un passage obligatoire

si l’on veut atteindre un certain niveau de bien-être

corporel et tenter de rivaliser avec ces nouvelles

divinités publicitaires. S’engage alors une compétition

quasiment perdue d’avance face à une représentation

fictive du corps.

La société du spectacle réduit le corps à une enveloppe

à magnifier, l’homme devant alors s’abstraire de son

corps véritable pour atteindre la représentation idéalisée.

L’homme se retrouve alors prisonnier de son propre

corps qui, par sa modification, bouleverse son identité

biologique et sociale. Le droit de disposer librement de

son corps est peu à peu devenu le devoir d’en faire un

corps parfait. Le bracelet Jawbone sorti en 2012 est l’un

des outils en vogue dans cette quête de modification. Ce

bracelet contient une technologie capable de quantifier

et stocker un maximum de données sur le corps, des

données qu’il récupère tout au long de la journée :

3.Constantinidès Yannis, Le nouveau

culte du corps, Francois Bourin éditeur, Janvier

2013, p21

1.Juvin Hervé, L’avènement du corps, édition

Galiamard, Mayenne, 2005

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nombre de calories dépensées, nombre de pas effectués,

nombre de calories ingérées, évolution du rythme

cardiaque, temps de sommeil… Cette technologie dresse

en fin de journée un constat sur la machine corporelle

humaine. Elle propose un autre schéma d’évolution

pour le lendemain, en conseillant par exemple un

sommeil moins long et une dépense énergétique plus

importante pour dépasser

les statistiques de la veille.

Un aspect délégateur voire

esclavagiste s’impose au

corps qui va alors subir les

« conseils » de l’objet : le corps est désormais réduit à un

simple mécanisme qui aura un meilleur fonctionnement

si ces modifications sont effectuées. La question qui se

pose est la suivante : mon corps est-il encore à moi ?

Suis-je encore maître de mon corps ? Le corps est devenu

un alter ego dont, il faut mériter la vitalité en se pliant à

sa volonté. « À défaut de contrôler sa vie, on contrôle au

moins son corps »1 comme l’affirme David Le Breton dans

Anthropologie et modernité du corps . L’homme doit

changer son corps, le transformer dans le but de s’ab-

straire de ce qu’il a été. L’esthétisation de la vie sociale

repose dorénavant sur la mise en scène du « beau » corps

pour s’intégrer et conjurer le temps qui passe. Ainsi

aujourd’hui, il devient fondamental de prendre son corps

Mon corps est-il encore à moi ? Suis-je encore maître de mon corps ?

Jawbone, Up, 2012

1.Le BretonDavid, Anthro-pologie du corps

et modernité, Quartridge,

1990, p192

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en main, d’en faire un objet personnalisé, pour avoir un

corps à soi. Mais cette démarche pose problème : dans

une volonté de personnalisation nous aboutissons à

une standardisation des corps. Dans cette volonté de

modification et de différenciation de son corps, à partir

de la chirurgie esthétique et/ou de pratiques sportives

intensives, l’homme se corrige et s’identifie au modèle

corporel idéalisé et fantasmé par la société. Il devient

alors difficile de parler de corps propre ; peut-on

réellement définir le corps modifié comme quelque

chose de personnel ? L’homme à travers les actions qu’il

impose à son corps ne se démarque pas. Il s’identifie et se

duplique.

Entre l’homme et son corps un jeu s’installe entre soi et

soi. Une certaine jouissance naît à l’idée de transformer

son apparence, en devenant le « bricoleur inventif et

inlassable »2 de son aspect. Entretenir son corps devient

même, pour certains, une occupation à part entière. Dans

la société du spectacle qui impose un culte de l’appar-

ence, il n’est plus question de se contenter du corps que

l’on a, il faut se construire ou plutôt se reconstruire.

« L’entretien et le façonnement du corps deviennent une

activité à plein temps »3 il faut rentabiliser au maximum

son temps libre et le mettre à profit avec des exercices

sportifs pour rester en forme. Il faut faire du sport

partout, tout le temps.

2. op. cit. p.228

3. op. cit. p.230

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Inactivité Le corps au quotidien

c) L’intrusion du sport dans l’habitat

Dans une société où tout va de plus en plus vite,

l’homme ne cesse de courir derrière le temps qui passe ;

les marques d’équipements sportifs l’ont bien compris.

Même si le temps nous manque, on se doit d’accorder

du temps à son corps, il faut rentabiliser le moindre

temps libre pour le mettre à profit pour s’entretenir.

« Récupéré comme un instrument de jouissance et

exposant le prestige, le corps est alors l’objet d’un

travail d’investissement »1. C’est dans cette volonté de

rentabilité que le sport s’est peu à peu introduit dans nos

foyers de manières diverses et variées : introduction de

matériel de fitness dans l’habitat, jeux vidéo, méthode de

musculation sans matériel... Si nos modes de travail sont

de plus en plus statiques, l’espace domestique est, lui,

en passe de devenir un nouveau terrain de sport. Mais

que doit-on en déduire ? Le corps n’étant plus aliéné par

les tâches domestiques ou par la pénibilité du travail, le

manque quotidien d’activité ayant de nombreux effets

néfastes sur notre organisme, l’activité sportive doit-elle,

pour autant, être définie comme la nouvelle activité

domestique ?

Lorsque nous parlons ici de sport dans l’habitat, il est

uniquement question de pratiques liées à l’entretien

physique, comme la musculation ou le fitness. Le sport

occidental est aujourd’hui « fondé sur la sculpture

du corps, le dépassement de soi, la décomposition

1.Baudrillard Jean, La société

de consommation, édition Folio,

1970, p204

2. Juvin Hervé, L’avènement du corps, édition

Galiamard, Mayenne, 2005

2.Eltchaninoff Michel, «Le

corps», Philos-ophie Magazine,

n°72, Novembre 2013, p51

analytique du corps et la compétition »3. Plus que le culte

du corps et sa plastique, c’est à travers la comparaison

avec autrui que prime l’amour du sport dans ces

pratiques. Le corps est en compétition avec lui-même, et

avec autrui avide de se dépasser, car il se doit de montrer

aux autres de quoi il est capable. Le sport représenterait

alors « l’acmé d’une société de compétition et de

comparaison »2 et plus que souffrir pour être beau, il

faut souffrir pour essayer d’être le plus beau. Toutes

ces activités sont présentées comme des vecteurs

d’émancipation alors qu’elles ne font qu’entretenir

notre soumission aux canons de beauté imposés. Le

fitness ou le bodybuilding deviendraient alors une

forme contemporaine de l’aliénation et de la servitude

volontaire. Envisager le sport comme un moyen de

reconquérir son corps, comme une source de bien-être

dans notre quête du bonheur apparaît ici comme une

simple illusion. En introduisant la pratique sportive dans

l’habitat, c’est l’introduction de la notion de compétition-

notion fondamentalement liée au sport-qui est introduite

dans notre espace domestique. Elle devient la source de

l’aliénation contemporaine de l’homme.

En 1934, la comtesse de Polignac, la fille de Mme

Lanvin, évoquait une série d’exercices à faire tout au

long de la journée, à des moments parfois inattendus,

afin d’avoir une pratique quasi invisible, pendant une

Le sport représenterait alors « l’acmé d’une société de compétition et de comparaison »

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Page 18: Inactivité - le corps au quotidien - Mémoire de fin d'étude DSAA design produit - École Boule - 2014

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Inactivité Le corps au quotidien

discussion, en voiture, en mangeant, en attendant le

bus ou dans le métro. Ces exercices étaient basés sur la

répétition de contractions musculaires permettant de les

fortifier. « Votre bonheur suggère en 1938 un programme

de gymnastique invisible»1. Mais au-delà d’une volonté

esthétique, ce programme demande aussi une concen-

tration mentale intense, car son efficacité passe par une

focalisation de l’esprit sur les différentes parties du corps.

« Il faut continuellement penser à son ventre et à la plat-

itude musclée qu’on lui souhaite »2. L’obsession du corps

n’est donc pas un fait contemporain. Pour autant, ce qui

paraît intéressant dans ces pratiques, c’est cette volonté

qu’il y avait à l’époque, ce souci de ne pas déconnecter

de notre quotidien les pratiques physiques. Si autrefois

la volonté était de créer des pratiques intégrées et

invisibles, il semble qu’aujourd’hui la société du spectacle

nous pousse à être dans une extériorisation de l’effort

et de l’exercice physique. Nos pratiques physiques se

doivent d’être les plus spectaculaires possibles et, de ce

fait, totalement déconnectées du quotidien. Le fait de les

intégrer dans l’habitat ne les rend pas plus connectées

à notre quotidien. Bien au contraire. Lorsqu’il ne s’agit

pas de musculation, c’est à travers les jeux vidéo que

nous introduisons des pratiques sportives dans l’habitat.

La Nintendo Wii© ou encore La Xbox© et sa Kinect©

proposent de recréer virtuellement des activités sportives

tels le volley-ball, le golf, le tennis etc. Nos mouvements

sont alors reproduits à l’identique par un avatar qui

devient notre double virtuel à travers l’écran, grâce à des

caméras qui captent tous nos gestes et déplacements.

L’espace domestique passe alors en un instant, du terrain

de tennis, au ring de boxe, et devient plus que tout un

cocon protecteur. Si Baudrillard présentait l’évolution

des technologies comme l’avènement d’une vie de

contemplation, nous entrons aujourd’hui sans transition

dans une vie faite de fiction et d’illusion. Faire semblant

de jouer au volley, au tennis, de tirer à l’arc, faire

semblant de vivre en quelque sorte. L’habitat est alors

l’endroit sécurisé où l’on peut pratiquer virtuellement

des sports sans risquer de se faire mal. Mais peut-on

qualifier ces pratiques, de pratiques sportives ? Simuler

la gestuelle sportive du volley-ball par exemple, grâce à la

Kinect©, ne fait pas pour autant de nous de bons joueurs

de volley-ball, mais simplement de bons joueurs de jeux

vidéo. Au-delà même de la définition de leur statut, ces

pratiques suscitent en nous, par leurs aspects fictionnels,

de moins en moins d’intérêt et finissent par nous lasser.

À travers des projets plus manifestes que réellement

fonctionnels, de nombreux designers s’interrogant sur

cette invasion sportive de l’espace domestique, ont

poussé le raisonnement au maximum : faire de l’habitat

une salle de sport. Les premiers à s’intéresser à ce

1.Courtine Jean-Jacques, Histoire du corps: tome III,

les mutations du regard, le XX esiècle,

Points, Janvier 2006, p186

2. ibid. p.186

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Page 19: Inactivité - le corps au quotidien - Mémoire de fin d'étude DSAA design produit - École Boule - 2014

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Inactivité Le corps au quotidien

phénomène sont les membres du collectif Lucette1 avec

le projet Domus Gymnazium qui consiste à détourner les

objets du quotidien pour en faire des outils ou machines

de sport. Ouvrir un placard revient alors à faire du

rameur, tout comme attraper un livre sur une étagère

constituerait d’une réelle performance physique. Ils

créent alors un espace où il devient impossible de vivre

sans faire du sport.

Lucette, Domus Gymazium, Ensci les Ateliers, Paris, 1999

1.Collectif composé de

Gilles Belley, Martial Prévert,

Mathias Poisson, Alexandre

Chinon, Jean-Marc Adolphe .

Page 20: Inactivité - le corps au quotidien - Mémoire de fin d'étude DSAA design produit - École Boule - 2014

3938

Inactivité Le corps au quotidien

d) De l’activité non sportive à une nouvelle activité domestique

Qu’en est-il de l’activité non sportive ? Car si le sport

est aujourd’hui hyper-présent dans notre société, il

est bien évident qu’il n’est pas l’unique moyen d’avoir

une activité physique. Comment définir l’activité non

sportive ? Si nous tentions d’en écrire une définition,

elle pourrait ressembler à cela : activité correspondant

à toute activité physique favorisant une dépense

énergétique, en marge d’une démarche de compétition

ou de performance. Une activité non-sportive est une

activité physique en son sens le plus simple. Elle permet

de mettre le corps en mouvement, sans rechercher un

résultat montrable.

Se promener, marcher, faire des courses, jardiner, monter

des escaliers… toutes ces activités ne peuvent être

définies comme des exercices physiques ou encore du

sport dans la mesure où le corps apparaît plus comme un

moyen qu’une finalité en soi. Ces usages ne cherchent

en aucun cas à avoir un effet visible sur le corps, mais

engagent néanmoins une activité physique bénéfique

pour celui-ci. Elles sollicitent quotidiennement nos

muscles bien que ces usages restent, pour la plupart,

non quantifiables. Toutes ces activités ont un impact sur

notre organisme sans même que nous nous en rendions

compte, ni même que nous en soyons conscients. Elles

s’intègrent dans notre schéma corporel habituel et devi-

ennent quasi-inconscientes. Elles peuvent être définies

comme des activités non sportives, tout comme nos

activités de loisirs. La révolution des congés payés-arrivés

en France dans les années 30-et l’avènement du Front

Populaire ont marqué le commencement d’une société

des loisirs et la création d’un nouveau corps, le corps en

vacances. Il s’agit alors d’envisager les vacances comme

un moyen de se désinvestir de son corps trop éprouvé

pendant l’année. « Il s’agit de faire peau neuve pour faci-

liter les retrouvailles avec soi »1. Le corps trop investi dans

un travail de force tout au long de l’année va s’adonner

au « laisser-aller des vacances ». Il faut se reposer pour

reprendre possession de son corps. Ce qui est paradoxal,

c’est qu’aujourd’hui la visée des vacances est restée la

même (les retrouvailles avec son corps) mais les moyens

sont totalement différents. Si, autrefois, il était essentiel

de ne plus rien faire pour retrouver son corps pendant

les vacances, le chemin inverse se dessine de nos jours :

il faut pratiquer des activités pendant les vacances pour

se réconcilier avec un corps trop peu investi durant

toute l’année. Les vacances sont aujourd’hui un moyen

de reprendre conscience de son existence corporelle

par l’activité non sportive, avant de retomber dans nos

modes de vie sédentaires. « En un paradoxe qui n’est

qu’apparent, l’impératif social d’oubli du corps est

concomitant de celui de sa pleine conscience. Se trace ici

un complexe état d’esprit du corps en vacances. »2.

1.Cairn.fr, Base de donnée de docu-

ments, Disponible sur http://www.

cairn.info/revue-hypoth-

eses-2002-1-page-59.htm,

2002

2. ibid.

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Page 21: Inactivité - le corps au quotidien - Mémoire de fin d'étude DSAA design produit - École Boule - 2014

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Massage, relaxation, excursion, randonnée, visite, etc,

une multitude d’activités sont proposées au vacancier,

des activités qui engagent le corps pour ce qu’il est,

dans sa forme réelle, et non pour celui qui est idéalisé.

L’activité non sportive apparaît donc comme un moyen

de faire renaître notre corps réel trop souvent effacé par

un corps parfait, fantasmé.

À partir de ce point précis, la visée de mon projet

commence à se dessiner. Comment envisager une

nouvelle forme d’activité non sportive dans l’habitat ?

Mon objectif est de déterminer quelle peut être cette

nouvelle activité domestique intégrée dans notre

quotidien et nos habitudes. Quel type d’activités

non sportives peut être envisagé dans notre espace

domestique, afin de mettre notre corps en activité et le

sortir de l’état statique dans lequel il est aujourd’hui ?

Le sport n’étant évidemment pas la solution face à

l’inactivité quotidienne dans l’habitat, comment donner

du sens à une activité physique dans celui ci, à notre

époque ?

Comment envisager une nouvelle forme d’activité non

sportive dans l’habitat ?

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Inactivité Le corps au quotidien

II/ Pour une nouvelle perception du corps

a) De l’inconfort naît le mouvement

La recherche toujours plus évoluée du confort, d’un

confort toujours plus adapté dans l’ameublement, est

devenue l’un des éléments essentiels de l’innovation.

Le design cherche aujourd’hui à offrir aux usagers un

maximum de confort, centré autour d’une ergonomie

statique et posturale du corps. De ce fait nous avons

continuellement tendance à associer les termes de

confort et d’ergonomie ; et même si ces deux termes

ont des points communs, ils ne signifient pas du tout la

même chose.

En son sens le plus simple, l’ergonomie définit le rapport

anatomique que nous entretenons avec les objets. Sa

pratique est basée sur des données anthropométriques.

L’ergonomie prend en charge la qualité de la relation

physique existant entre l’objet et l’utilisateur : couleur,

forme, matériaux, disposition des éléments. Plus que

l’adaptation de l’objet au corps, l’ergonomie tente

d’adapter l’objet au mode de vie et habitudes de

l’utilisateur et, de ce fait, elle répond aux problématiques

de son époque. Aujourd’hui, l’enjeu de l’ergonomie n’est

pas le même qu’il y a dix ans et ne sera pas le même dans

dix ans. Mais restreindre l’ergonomie à cette définition

serait trop réducteur. Elle doit être envisagée, comme

« la relation globale de l’homme à son environnement,

relation complexe assurée par l’ensemble de ses

équipements sensoriels »1. L’évolution permanente

de notre cadre de vie nous amène à reconsidérer

l’ergonomie telle que nous la percevons.

Tenter de définir la notion de confort, par contre, s’avère

être une tâche très complexe, car cette notion apparaît

comme l’une des moins objectives et rationnelles,

tant elle varie selon le temps, l’espace et l’affectivité de

chacun. Néanmoins, nous pouvons constater que notre

perception actuelle du confort est fortement liée à la

relaxation : « (la) société se signale par ses innovations

du point de vue de la relaxation »2. C’est en ce sens que

nous avons tendance à assimiler confort et ergonomie,

lorsqu’il est question de relaxation et de « posture liée au

bien être »3. La méprise qui est de considérer les notions

d’ergonomie et de confort comme des synonymes nous a

conduits à envisager l’espace domestique comme un lieu

statique où le corps est à l’arrêt, au repos.

1.Colin Christine,

Confort et inconfort, Industries

Françaises de l’ameublement,

1999, p 46

2. ibid. p 77

L’ergonomie tente d’adapter l’objet au mode de vie et habitudes de l’utilisateur

3. ibid. p 58

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Si nous envisagions d’avoir une réflexion inverse que

deviendrait l’espace domestique ?

Si l’inconfort devenait le point central de notre réflexion

dans l’aménagement de nos espaces domestiques, la

maison de retraite conçue par Shusaku Arakawa et

Madeleine Gins, architectes japonais (Reversible destiny

lofts, Tokyo 2005) est le fruit

de cette réflexion : comment

créer une habitation

totalement inconfortable ?

Un bâtiment fait de sols

pentus, de portes rondes et

de toutes sortes d’embûches

disséminées dans la maison

afin de rendre les retraités attentifs au maximum,

augmenter les déplacements dans l’espace permettant

d’éviter les atrophies musculaires. Il n’est bien sûr pas

non plus question de créer un parcours du combattant

pour atteindre la cuisine, mais simplement d’introduire

dans l’espace de légers inconforts acceptables qui

vont nécessiter l’attention et l’activité de l’habitant. Un

inconfort qui devient donc ergonomique car pensé

par le corps et pour le corps. Le siège Sella des frères

Castiglioni est le résultat d’une réflexion sur l’inconfort.

En questionnant la fonctionnalité même d’un siège, ils

introduisent la dimension de temporalité d’usage de Shusaku Arakawa et Madeleine Gins, Reversible destiny lofts, Tokyo, 2005

Si l’inconfort devenait le point central de notre réflexion dans l’aménagement de nos espaces domestiques

Page 24: Inactivité - le corps au quotidien - Mémoire de fin d'étude DSAA design produit - École Boule - 2014

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Inactivité Le corps au quotidien

cellui-ci. Un siège non pas pour se relaxer ou se prélasser

mais simplement pour se poser un instant.

« Cet objet incarne sans doute aux yeux de la grande

majorité la notion même d’inconfort à ceci d’extraordi-

naire qu’il introduit la dimension d’inconfort volontaire

qui rejoint la notion d’ergonomie dynamique : l’inconfort

mobilise l’énergie, le dynamisme, l’attention »1.

Une ergonomie dynamique est ainsi créée par un incon-

fort volontaire et acceptable par l’utilisateur. L’habitation

de l’homme contemporain n’est plus seulement un lieu

de repos, mais aussi un vaste terrain d’activité adapté

aux différentes temporalités d’une journée. Dans cette

situation le rôle

du designer, serait

alors de concevoir

des produits pour

la maison non plus

seulement pour y habiter, mais pour stimuler le corps et

l’esprit en redéfinissant les usages et les rapports que

nous entretenons avec ces objets du quotidien. La chaise

Singer de Bruno Munari peut, elle aussi, entrer dans cette

famille d’objets inconfortables qui impliquent le déplace-

ment : avec son assise à 45° vers l’avant, peut-on la définir

comme une assise, ou est-ce un reposoir d’un instant,

avant de partir vers de meilleures occupations?

Sella et Singer pourraient être les symboles d’une époque

Une ergonomie dynamique est ainsi créée par un inconfort volontaire

Achille Castiglioni, Sella, Zanotta, 1957

1. op. cit. p 25

Page 25: Inactivité - le corps au quotidien - Mémoire de fin d'étude DSAA design produit - École Boule - 2014

48

où « la position assise relève de plus en plus de la voltige,

tandis que l’instabilité et la précarité deviennent l’une des

règles du jeu pour un nombre de plus en plus grand »2.2. op. cit. p 27

Bruno Munari, Singer, Zanotta, 1945

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Inactivité Le corps au quotidien

b) Pratiquer son corps différemment

À travers cette volonté d’imaginer de nouveaux

scenarios de vie pour l’espace domestique où le corps

serait en activité, de nombreuses pratiques corporelles,

sportives ou artistiques offrent une autre perception

du corps. Certaines pratiques comme la danse, le

skateboard ou encore le tai chi établissent un rapport

au corps différent de celui que la société tente de nous

faire entretenir. Ces pratiques offrent une perception

du corps plus sensible. Elles valorisent les sensations et

la compréhension de la matière corporelle, plus qu’une

transformation physique inscrite dans une volonté de

conformation du corps aux canons de beauté en cours.

« La danse, ce n’est pas simplement d’impliquer le corps,

c’est de l’impliquer sur un mode tel qu’autre chose puisse

prendre corps au- delà du corps impliqué » 1.

La définition la plus simple que nous puissions trouver

sur la danse est celle-ci: « Dans son acception la plus

générale, la danse est l’art de mouvoir le corps humain

constitué d’une suite de mouvements ordonnés, souvent

rythmés par de la musique »2.

« Mouvoir le corps humain ». La danse représente

notamment une source inépuisable de gestes et de

mouvements qui, dans une quête d’harmonie visuelle,

nécessite une pleine conscience de toutes les parties

de son corps. La danse contemporaine interpelle le

corps dans son état le plus naturel pour transmettre au

1.Sibony Daniel, Le corps et sa

danse, éditeur Seuil, 1995

2.Wikipédia, Base de donnée de documents, Disponible surl, http://

fr.wikipedia.org/wiki/Danse

spectateur une interprétation la plus véritable possible.

Elle transcende notre existence corporelle et interpelle la

partie sensible de l’être, ignorée par la plupart. La danse

a cette capacité de « déloger (le corps) de là où il est, de

là où il en est, pour se porter ou se jeter vers d’autres

ressourcements de l’être »3. Néanmoins, pour atteindre

ce niveau de maîtrise du corps, à la fois dans ses gestes

et dans ses postures, la danse implique une discipline,

une ascèse. La notion de répétition y est centrale ; il

faut répéter encore et toujours pour atteindre le niveau

voulu de grâce dans les gestes, et cela n’est pas possible

sans efforts. C’est par la répétition que le danseur va

arriver, peu à peu, à introduire une dimension sensible

dans ses gestes.

L’exposition Danser sa vie, présentée en Novembre

2011 au Centre Pompidou, montrait l’intérêt commun

entre l’art et la danse pour le corps en mouvement,

ainsi que l’importance majeure qu’a eue la danse pour

les mouvements d’avant-garde comme le Bauhaus ou

De stijl. Les travaux de Théo Van Doesburg ou Wassily

Kadinsky, notamment, montrent cette préoccupation

constante à capter et à retranscrire les mouvements

du corps pour en dégager de nouvelles grammaires

plastiques. En tant que designer, c’est dans cette optique

que la danse m’interpelle à travers ce projet.

Danser sa vie, danser son quotidien. C’est dans cette

3. ibid. p 30

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Page 27: Inactivité - le corps au quotidien - Mémoire de fin d'étude DSAA design produit - École Boule - 2014

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Inactivité Le corps au quotidien

volonté de donner du sens et un nouvel intérêt à

nos gestes quotidiens, que la danse apparaît comme

une bonne source d’inspiration afin de proposer une

perception plus sensible de nos mouvements. Le

quotidien est basé sur la notion de répétition, une trame

de gestes et de mouvements qui se répètent jour après

jour. Peut-on imaginer de nouvelles gestuelles favorisant

une autre perception du corps, intégrer dans nos

activités et usages quotidiens ? Se mouvoir différemment

dans l’espace implique donc une autre dynamique de vie.

Le skateboard est basé, lui, sur l’équilibre du corps.

Le skateur cherche à atteindre le point critique avant la

chute, ce moment précis où son corps n’a plus le contrôle

et où la planche devient un prolongement de lui-même,

lui permettant de tenir en équilibre. Au-delà de la notion

d’équilibre qu’implique le skate, la notion d’adaptation

est ancrée dans la culture du skateboard. Le skateur doit

s’adapter au terrain de jeux qui lui est offert : la ville. Il

porte ainsi un regard différent sur la ville et détourne les

éléments qui la structurent pour que ceux-ci lui offrent

des possibilités. C’est ainsi que la rampe d’escalier va

devenir une barre de slide, ou encore tous les plans

inclinés ou trottoirs deviennent des opportunités. Les

interventions du chorégraphe Willi Dorner et de sa

troupe lors des représentations « Bodies in urban space »

s’inspirent de cette vision de la ville, en créant avec ses

Peut-on imaginer de nouvelles gestuelles favorisant une autre perception du corps

Willi Dorner, Bodies in urban space ,2012, Paris

Page 28: Inactivité - le corps au quotidien - Mémoire de fin d'étude DSAA design produit - École Boule - 2014

54

danseurs des figures figées dans des espaces, recoins et

lieux insolites. Ne pourrait-on pas utiliser la maison au

même titre que le skateur utilise la ville ? Ne pourrait-on

pas détourner les éléments qui nous entourent, les reliefs

de l’espace domestique, en les considérants comme

autant d’opportunités pour activer son corps ? C’est à

travers ces partis pris que les designers Xavier Moulin et

Aldo Cibic ont créé la collection de mobilier Smart home fitness, une gamme de mobilier multi-usage permettant de

pratiquer des exercices de gymnastique dans l’habitat.

Lorsque le skateur trouve les limites de la ville, il n’a

d’autre solution que de tenter de la modifier par des

actions minimes afin de s’offrir de nouvelles opportu-

nités. Le travail de Pontus Alv, DIY skatepark est la matéri-

alisation de cette pensée. Le skateur va alors modifier

des éléments de la ville qu’il définit comme des « erreurs

architecturales »1, afin de créer de nouveaux spots de

skate qui ne seront alors visibles que par des personnes

averties et qui n’interféreront pas dans la vie citadine.

Plus que la pratique du skateboard, c’est la pensée du

skateboard qui m’intéresse. Peut on envisager l’espace

domestique comme une ville à exploiter afin de générer

de nouvelles situations ou activités dans l’habitat? Plus

que d’exploiter l’espace, c’est en intégrant de légères

perturbations au sein de celui-ci que vont apparaître

de nouvelles opportunités dans le but de générer des

Xavier Moulin et Aldo Cibic, Smart home fitness, croquis de recherches, 2001, Paris

1.Lallier Thomas, Skateboard stories,

Arte, 16 juin 2011

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activités physiques, ce sont ces légères perturbations

qui vont offrir au corps une manière différente de se

mouvoir. (cf. Arakawa et Gins)

Dérivé des arts martiaux, le tai-chi est une discipline

corporelle d’origine chinoise comportant un ensemble

de mouvements continus et circulaires exécutés

avec lenteur et précision, dans un ordre préétabli.

Cette discipline met aussi l’accent sur la maîtrise de la

respiration. Elle vise, entre autres fins, à améliorer la

souplesse, à renforcer le système musculo-squelettique

en combinant pratique physique, mentale et spirituelle.

Le projet des Yuan

Yuan Tai chi chair A

et B s’empare de cette

pratique en proposant

un siège au service de

cette discipline permettant de réaliser certains mouve-

ments. La lenteur des mouvements exécutés entraîne

des tensions musculaires à travers des mouvements

simples. Là encore, cette discipline implique une certaine

considération du corps pour être réellement efficace et

bénéfique pour l’organisme.

A travers cette pratique, se révèle une considération plus

sensible du corps, basée sur l’écoute et la compréhension

de celui-ci, afin de donner toute son importance et son

sens au geste exécuté.

Pontus Alv, DIY Skateparks ,2009, Berlin

À travers cette pratique, se révèle une considération plus sensible du corps

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Inactivité Le corps au quotidien

À travers toutes ces conduites, ce ne sont pas les

pratiques en elles-mêmes qui attirent mon attention,

mais plutôt les différentes manières dont elles impliquent

le corps et le mettent en mouvement.

Chacune donne une dimension différente au corps,

au-delà de sa représentation et de l’image de lui-même

qu’il donne à voir. Le corps n’est alors qu’un moyen et

non un but ou une finalité.

Yuan Yuan, Tai chi Chair A, 2010

Page 31: Inactivité - le corps au quotidien - Mémoire de fin d'étude DSAA design produit - École Boule - 2014

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Inactivité Le corps au quotidien

c) Nos usages et habitudes

Mais comment envisager d’intégrer de nouvelles

pratiques corporelles dans l’habitat, sachant que notre

quotidien est basé sur une trame de mouvements

ancrés en nous depuis l’enfance ? Des gestes qui

sont pour nous, aujourd’hui, systématiques voire

inconscients. Ouvrir un robinet, éteindre la lumière,

suspendre sa veste... toutes ces activités sont intégrées

dans un schéma postural construit par « tous nos

gestes fondamentaux »1 emmagasinés depuis notre

plus jeune âge, que l’on appelle « habitus ». Le corps

tend à refuser les changements de postures habituelles

privilégiées. Merleau Ponty souligne notamment que

nos postures répondent aux situations, que le monde

qui nous entoure tente de nous offrir. Notre schéma

corporel dépend essentiellement de notre adaptation à

l’environnement dans lequel nous évoluons. En d’autres

termes, le corps doit s’adapter en vue de certaines tâches

ou activités qui s’offrent a lui. Il est encré, enraciné

dans certaines situations qui polarisent toutes nos

actions. Selon Merleau Ponty, le schéma postural est

finalement une manière d’exprimer que notre corps est

au monde. Il est donc significatif de notre mode de vie

et de notre perception des choses (le phénomène de

la perception, Merleau Ponty)2. Serait-il donc possible

d’imaginer un bouleversement de notre schéma postural

si celui-ci implique un nouveau mode de vie avalisé par

l’utilisateur ? Si l’on en croit Les origines du caractère chez l’enfant de H.Wallon notre espace postural s’enracine

presque au sens littéral du mot dans celui de notre

mère ou de la personne qui a assumé notre charge.

La modification marquerait donc une rupture avec le

cocon maternel et une émancipation du corps face au

code préétabli. Néanmoins, une rupture totale avec

notre schéma postural actuel serait préjudiciable, selon

Merleau Ponty, et donc difficilement acceptable. Il est

donc impératif d’envisager une déclinaison sensible du

schéma postural, pour intégrer ces nouvelles pratiques

corporelles dans notre quotidien. Le travail du designer

serait donc d’envisager une modification du rapport

fonction/usage des objets afin de décliner sensiblement

le schéma postural établi.

« Apprendre un nouveau mouvement suppose, en effet,

le pouvoir que nous avons de dilater notre corps comme

être au monde ou de changer son mode d’existence en

lui annexant de nouveaux instruments »3 . Et le rôle du

designer n’est-il pas ici ? Le designer peut-il être précep-

teur de nouveaux modes de vie ? Les objets qu’il crée

peuvent-ils modifier nos habitudes et proposer ainsi un

nouveau quotidien ?

Nous changeons perpétuellement de posture, de position

et nous construisons un certain nombre de possibilités

posturales que nous emmagasinons. La pratique répétée

1.Bernard Michel, Le corps,

éditions du Seuil, Novembre

1995, p 125

3. ibid. p 50

Le designer peut-il être précepteur de nouveaux modes de vie ?

2. ibid. p 50

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Inactivité Le corps au quotidien

de ces nouvelles postures permet de les intégrer dans

notre schéma postural. Il s’ensuit une connaissance

immédiate de la posture dès que cette relation est alors

établie entre le corps et l’activité à exécuter. Grâce

à de tels schémas nous pouvons « prolonger notre

connaissance de la posture, du mouvement […] au-delà

des limites du corps »1.

L’apprentissage de nouveaux gestes, de nouvelles

pratiques physiques ou d’un sport, par exemple,

passe par la répétition afin d’assimiler de nouveaux

mouvements et de les inscrire dans le panel de notre

schéma postural. « Apprendre à faire du ski consiste

précisément à conquérir un nouvel équilibre en

réadaptant notre corps à une situation insolite »2 .

La pratique du ski bouscule notre schéma postural

proposant une autre façon de se déplacer, non plus

en marchant mais en glissant. Le corps va alors devoir

s’adapter et retrouver un nouvel équilibre qu’il va

assimiler à force de persévérance donnant naissance à

un nouveau schéma de déplacement, créant ainsi une

relation entre le corps et l’activité. En suivant cette même

logique d’apprentissage, nous pouvons imaginer que

le designer, par ses créations, peut avoir une influence

sur notre schéma postural, en modifiant des habitudes

et proposant de nouvelles situations d’usage, si celles-ci

correspondent à un mode vie que l’on souhaite, bien

sûr. Notre quotidien étant constitué d’une multitude

de répétitions, l’introduction d’un bouleversement

acceptable de certaines de nos activités pourrait de ce

fait rapidement être assimilée. Au moyen de l’objet qui

s’inscrit dans nos usages et nos habitudes, il est donc

légitime d’envisager le design comme une réponce à la

problématique de l’inactivité et de la sédentarisation de

la population.

1. op. cit. p 26

2. op. cit. p 17

Pour

une

nou

velle

per

cept

ion

du c

orps

Page 33: Inactivité - le corps au quotidien - Mémoire de fin d'étude DSAA design produit - École Boule - 2014

6564

Inactivité Le corps au quotidien

III/ Vers le projet

a) L’enjeux du projet

L’enjeu du projet est d’étudier la mise en œuvre de

nouveaux dispositifs permettant de générer des activités

physiques non sportives dans l’espace domestique. Je ne

veux plus penser l’espace domestique comme un espace

uniquement de « détente » mais placer le mouvement

et l’activité au centre de ma recherche. Il faut pour cela

élaborer de nouveaux scénarios d’activités domestiques

(au sens dynamique du terme activité) pour conduire

à la proposition de produits hybrides ou dédiés qui

mettent le corps en mouvement et/ou stimuleront une

activité musculaire. Il s’agit en fait d’arriver à engager

un nouveau dialogue entre le corps et l’objet pour

reconsidérer notre enveloppe corporelle non pas en

tant qu’image modifiable, mais simplement en prenant

conscience de son existence réelle.

Tout l’enjeu du projet est d’arriver à intégrer de nouvelles

activités physiques dans l’espace domestique afin de

sortir le corps du sommeil musculaire dans lequel

l’inactivité et la sédentarité l’ont plongé. Si l’espace

domestique est aujourd’hui centré autour de la notion de

confort, source d’une succession de situations statiques,

la visée du projet est d’introduire dans l’habitat l’idée

d’un « inconfort tolérable », créateur de nouvelles situ-

ations dynamiques. Il faut, dans ce but, mettre en place

des objets véhiculant une pratique physique intégrée à

notre quotidien et à nos usages. Il ne s’agit donc plus de

les isoler comme peuvent l’être les pratiques sportives

mais bel et bien d’une intégration assumée et réfléchie.

Dans le but d’approfondir ma démarche, il devient

désormais nécessaire à ce stade de ma réflexion

d’imaginer/d’anticiper les lieux ou directions

hypothétiques pouvant induire ces pratiques dans notre

vie quotidienne. Mon rôle face aux scénarios envisagés,

est donc de proposer différentes hypothèses de réponses

afin de générer, sur les lieux de vie, des activités ou des

stimulations physiques.

La visée du projet est d’introduire dans l’habitat l’idée d’un « inconfort tolérable »

Page 34: Inactivité - le corps au quotidien - Mémoire de fin d'étude DSAA design produit - École Boule - 2014

66

b) Des objets adaptés à une nouvelle dynamique de vie

Ver

s le

pro

jet

Pour sortir le corps de sa léthargie, j’envisage

d’intervenir à différents moments ou situations de la

journée quand le corps est encore peu, voire pas du tout,

sollicité ou valorisé. L’idée est d’envisager de nouveaux

processus du quotidien, du réveil jusqu’au départ de la

maison, et du retour jusqu’au sommeil. Cette démarche

a pour ambition de mettre le corps en activité, mais

pas seulement. Le but fondamental du projet est de

faire évoluer les rapports que nous entretenons avec

notre corps. Au delà même de la notion d’activité, cette

démarche met en jeu différentes notions qui vont aider

à concrétiser mes axes de recherche pour proposer

plusieurs angles d’attaque afin de répondre au mieux

à la problématique posée : TÉMOIGNER-DIALOGUER-

PERTURBER-ADAPTER-REDÉFINIR-MODIFIER.

Image page de gauche: Munari

Bruno, Ricerca della comodità

in una poltrona scomoda, 1945

Page 35: Inactivité - le corps au quotidien - Mémoire de fin d'étude DSAA design produit - École Boule - 2014

69

Inactivité Le corps au quotidien

SITUATION 1 : Regarder la télévision

Un des éléments de l’habitat, incontestable vecteur

d’inactivité, s’avère être la télévision. Nous pourrions

même parler de dépendance au petit écran.

Si l’on en croit les chiffres révélés par l’enquête « Une

année de télévision dans le Monde », chaque habitant

regarderait quotidiennement la télévision, en moyenne,

trois heures et vingt minutes. Un temps durant lequel le

corps est totalement inactif.

Pourrait-on imaginer un élément signal TÉMOIGNANT

de l’inactivité constatée ? Un objet qui serait en quelque

sorte le reflet du corps et transmettrait un message

à la personne scotchée dans son canapé pour tenter

d’engager avec elle un DIALOGUE. Ce serait un signal

d’alarme visant à le sortir de son sommeil musculaire. En

quelque sorte un dédoublement du corps à travers l’objet

qui communiquerait sur son état.

.

« C’est le médicament qui est dépendant du patient »

Mathieu Lehanneur

Lehanneur Mathieu, Objets thérapeutiques, Troisième poumon, Ensci les Ateliers, Paris, 2001

Page 36: Inactivité - le corps au quotidien - Mémoire de fin d'étude DSAA design produit - École Boule - 2014

70

SITUATION 2 : Les gestes de contrôles

Aujourd’hui, comme le dit Baudrillard, nous n’utilisons

plus les objets au sens physique du terme, mais nous

les contrôlons. Nos gestes sont devenus pauvres et

dénués de sens. Interrupteurs, mitigeurs, robinets,

télécommandes en sont les preuves. Je souhaite

intervenir sur ces objets usuels de l’espace domestique

qui ont de plus en plus tendance à se dématérialiser.

Au nom du progrès, on tend à les supprimer en les

remplaçant par des capteurs,

parfois pour des raisons

hygiéniques ou simplement pour

ne pas avoir à lever le petit doigt

pour les actionner. Je souhaite

réattribuer une existence tangible à ces objets. J’envisage

donc de réintroduire une dimension sensible dans nos

gestes. Pour cela, je souhaite réinvestir le corps dans tous

les gestes basiques de commandes.

Avec la redécouverte de gestes effacés par la modernité,

le but est de solliciter et remettre en marche certaines

parties du corps devenues inertes/inopérantes en

REDEFINISSANT nos usages. Je souhaite questionner

le rapport établi/existant entre l’usage et la fonction, en

recentrant l’usage autour de l’activité corporelle.

A titre de contre-exemple, le projet Myo Brassard

Ver

s le

pro

jet

Thalm

ic Lab, Myo brassard, C

anada, 2013Réinvestir le corps dans tous les gestes de commandes

Page 37: Inactivité - le corps au quotidien - Mémoire de fin d'étude DSAA design produit - École Boule - 2014

7372

Inactivité Le corps au quotidien

restreint tous les gestes de commande à l’avant- bras ; ce

faisant, il n’engage pas le corps dans sa globalité.

SITUATION 3 : S’asseoir

« Bref, rester assis tue tout autant que la cigarette

ou l’alcool », sans aller jusqu’à avaliser cette vision

volontairement provocante parue dans LePoint.fr le 4

janvier 2013, on doit admettre que la sédentarisation

du travail a favorisé la posture assise. Sans recenser

les heures de travail où nous restons le plus clair de

notre temps assis, il faut prendre en compte le temps

passé à manger, regarder la télévision, lire, aller sur

internet. Le rôle du design est, ici, de proposer des

solutions permettant de sortir le corps de son état de

repos en MODIFIANT ses postures. Introduire une

notion d’inconfort réduirait le temps durant lequel nous

restons assis. Je souhaite donc travailler sur cette notion

d’inconfort. L’objet créé devrait permettre de solliciter

le corps lorsqu’il est au repos afin de modifier ses

comportements dans l’espace domestique.

Dans cette situation, le but revient à questionner la

fonction de l’objet en introduisant une dimension de

temporalité dans son usage pour générer une activité

physique.

SITUATION 4 : Les déplacements

Nos déplacement dans l’espace domestique sont

restreints, pauvres ; ils se résument parfois à quelques

pas pour passer d’une pièce à l’autre. Ne pourrait-on

pas envisager d’introduire des PERTURBATIONS

ou des contraintes qui modifieraient nos modes de

déplacements. L’idée est d’investir des zones libres

de l’espace (sols, plafonds, murs), et d’intégrer des

difformités qui créeraient une rupture avec l’aspect lisse

de ces surfaces. Proposer une façon différente de se

mouvoir, en s’adaptant aux difficultés crées contribuerait

alors à réveiller le corps.

SITUATION 5 : Ouvertures et rangements

La trame de nos habitudes est conditionnée par tous les

outils, les objets que constituent notre environnement

de vie. Or nos espaces domestiques sont constitués d’une

multitude de rangements (placards, tiroirs) sur lesquels

on peut agir. A partir d’actions banales et quotidiennes

revisitées, j’envisage d’amplifier nos mouvements pour

remotiver certaines zones du corps. Ainsi, ouvrir une

porte, refermer un tiroir, suspendre une veste, ranger

ses affaires, tous ces gestes inconscients deviendraient

étirements des muscles et mise du corps en tension. Ainsi

Questionner la fonction de l’objet en introduisant une

dimension de temporalité

Cf. p45 Shusaku

Arakawa et Madeleine

Gines.

Cf. p46-49Sella et Singer

Ver

s le

pro

jet

Page 38: Inactivité - le corps au quotidien - Mémoire de fin d'étude DSAA design produit - École Boule - 2014

74

pourraient disparaître peu à peu des habitudes inscrites

en nous depuis notre plus jeune âge.Je souhaiterais

donc pouvoir MODIFIER notre façon de percevoir

ces objets en mettant au point d’autres façons de les

utiliser. J’envisage de REDEFINIR l’architecture même de

ces éléments de l’habitat pour en proposer des usages

différents.

À travers ce projet, et en questionnant nos usages

quotidiens et habituels, je souhaite mettre en place un

processus de création basé sur l’activité physique. Ma

démarche tend à remettre en question notre perception

de l’espace domestique en bousculant les codes établis

de la maison. Étant bien entendu que ce processus

considère les mouvements du corps et l’activité

musculaire comme matières premières. Le but ultime est

de générer de nouvelles dynamiques de vie.

Ver

s le

pro

jet

Page 39: Inactivité - le corps au quotidien - Mémoire de fin d'étude DSAA design produit - École Boule - 2014

7776

Inactivité Le corps au quotidien

Conclusion

L’un des objectifs du design est d’offrir de meilleures

conditions de vie à l’homme, par ses créations ou ses

interventions. À travers cette volonté, le designer tente

d’offrir un maximum de bien-être et de plaisir aux

consommateurs grâce aux objets qu’il créé. Comme

nous avons pu le constater précédemment, le confort

est devenu l’élément central dans notre perception

de l’espace domestique. Aujourd’hui le designer a

tendance à être dans une vision protectrice de l’usager,

en offrant toujours plus de confort et en tentant de

supprimer toute dépense énergétique ou souffrance

infligé au corps. Par cette démarche il devient donc le

créateur d’environnement de vie propice à des postures

quotidiennes sédentaires et donc à l’inactivité. Il a une

volonté de supprimer toute souffrance infligée au corps,

la plus infime soit-elle, car elle serait synonyme de

déplaisir et donc opposée à notre quête du bonheur.

Mais nous savons aussi que le bien-être passe par un

certain degré de souffrance pour envisager un résultat

tangible sur notre organisme, comme par exemple dans

le cas du sport, afin d’accéder au bonheur. Pour autant

il est bien évident que la pratique sportive ne peut être

envisagée comme un moyen de dynamiser notre espace

domestique, car elle implique la notion de compétition,

incompatible avec notre environnement domestique.

Par ma démarche de design, j’envisage de déterminer

de nouvelles activités domestiques dans l’habitat afin

de mettre le corps en mouvement ou de stimuler une

activité musculaire. De ce fait, je ne peux pas occulter

l’idée que toutes sollicitations corporelles, impliquera

forcement un effort, peut être même douloureux. Mais le

designer doit-il pour autant toujours chercher à protéger

le corps, à le materner par cette abondance de confort

qui l’entoure ?

Je soutiens l’idée que l’inconfort peut être envisagé

dans l’environnement domestique, afin de créer une

ergonomie dynamique dans celui-ci. Cet inconfort peut

être le vecteur de nouvelles

situations actives dans

l’habitat et pourrait modifier

nos comportement et nos

modes de vie. Mon parti

pris est d’imaginer de

nouvelles activités physiques intégrées à notre quotidien,

afin de proposer une solution alternative pour le corps,

face au deux formes contemporaines d’hédonisme qui

s’offrent à lui (hédonisme de l’oisiveté et hédonisme de la

«sportivisation»).

Je souhaite manipuler des perturbations dans notre envi-

ronnement quotidien, qui puissent être non seulement

acceptées mais finalement désirées, afin d’interpeller

le corps, dans le but de faire évoluer les rapports que

Je soutiens l’idée que l’inconfort peut être envisagé dans l’habitat

Page 40: Inactivité - le corps au quotidien - Mémoire de fin d'étude DSAA design produit - École Boule - 2014

78

Con

clus

ion

nous entretenons avec lui. L’idée est de réinvestir une

activité corporelle dans nos usages quotidiens afin de le

sortir de l’état statique dans lequel l’inactivité l’a plongé.

Considérer le corps en mouvement comme élément

central de ma recherche remettrait en considération

notre perception de l’espace domestique et viendrait

bousculer la vision actuelle que nous avons de l’habitat.

Page 41: Inactivité - le corps au quotidien - Mémoire de fin d'étude DSAA design produit - École Boule - 2014

Inactivité Le corps au quotidien

8180

Annexes

Les étudiants en BTS Design de Produit de l’école

Boulle, travaillant avec le Centre National de la Danse et

plus particulièrement le Chorégraphe Fabrice Lambert,

Vaïana Le Coustumer m’a invité à venir découvrir les

pratiques contemporaines de la danse, dans le but de

nourrir mon projet.

Je me rends alors au CND, afin de participer à un cours

de danse contemporaine orchestré par le chorégraphe.

Je dois l’avouer j’étais un peu sceptique, n’ayant aucune

idée de ce qu’il allait m’arriver ni de ce que j’allais être

amené à faire. N’ayant aucune connaissance de la

danse contemporaine, ni de la danse en général j’arrive

alors dans cet endroit avec une posture assez naïve. Je

rencontre alors les autres étudiants, pour qui ce n’était

pas la première séance et Fabrice Lambert.

Je rentre alors dans la salle de danse et la séance

commence. Une succession d’exercices qui va durée

plus de trois heures et qui ne s’apparente pas à tous les a

priori que je pouvais avoir sur la danse contemporaine.

Tous ces exercices ne requièrent pas une connaissance

particulière de gestes chorégraphiés et ne convoquent

Rencontre avec le Centre National de la Danse

aucun style de danse. Tout est basé sur la compréhension

du corps et de la matière qui le constitue: ossature,

muscles, articulations, peau …

« Le Tonus est l’ensemble des muscles que l’on ne

contrôle pas. L’espace a une conséquence sur moi, donc

réciproquement j’ai aussi une conséquence sur lui. Pour

arriver à mieux appréhender son corps il faut d’abord

arriver à s’en détacher et l’envisager comme une matière

extérieure à manipuler ». Fabrice Lambert nous incite

à prendre conscience de notre matière corporelle dans

sa globalité et nous explique que l’élément principal de

son travail de chorégraphe, est la compréhension du

fonctionnement de toutes les parties du corps. Le corps

parle et se manifeste différemment selon l’élément que

l’on souhaite solliciter. Le chorégraphe définit quatre

types de mouvements, afin de constituer ses chorégra-

phies. Celles -ci sont fondées sur les différentes manières

de solliciter son corps : les mouvements de la peau, des

muscles, des articulations et du squelette. Danser avec

ses muscles ne produit pas les mêmes gestes que danser

avec ses articulations ou son squelette. Chacune de ces

danses demandent une concentration sur son corps pour

arriver à retranscrire au spectateur quel type de danse

je pratique, et quel élément de mon corps je convoque.

« Il faut se focaliser uniquement sur l’élément du corps

que je veux solliciter, il faut penser « peau » pour danser

« L’espace a une conséquence sur moi, donc réciproquement j’ai aussi une conséquence sur lui »

Page 42: Inactivité - le corps au quotidien - Mémoire de fin d'étude DSAA design produit - École Boule - 2014

82 83

Ann

exes

avec sa peau, il ne faut penser qu’à cela pour être le plus

démonstratif possible ». Plus facile à dire qu’à faire … Et

lorsqu’il est temps de passer à la pratique, l’affaire s’avère

être beaucoup plus difficile que prévue. Il y a un léger

flottement pendant une quinzaine de minutes, durant

lesquelles je n’ose pas trop bouger. Voyant que tous les

autres participants s’exécutent sans gène, je commence

alors à tenter des choses. Heureusement le ridicule

ne tue pas...Et je dois avouer que les élèves sont très

tolérants face à mon niveau et me mettent rapidement en

confiance. Dans cette débauche d’énergie, je me prends

alors réellement au

jeu et c’est assez

plaisant. Chacun

de mes gestes ne

recherche pas une

signification mais

tente seulement de

solliciter l’élément de mon corps que je souhaite

réveiller. L’aspect esthétique n’est pas du tout pris en

compte, seule la finalité est importante. Les muscles se

détendent, le corps se relâche, et chaque partie de mon

corps devient une matière malléable que j’active à mon

souhait, sans rechercher la séduction ou la grâce dans

mes gestes. L’esthétique se créait alors toute seule.

Certes, devenir vraiment gracieux dans ses gestes

Les muscles se détendent, le corps se relâche, et chaque partie de mon corps devient une matière malléable

Inactivité Le corps au quotidien

Page 43: Inactivité - le corps au quotidien - Mémoire de fin d'étude DSAA design produit - École Boule - 2014

84

Ann

exes

requiert des années de pratique, une connaissance des

bases de la danse classique et relève d’une ascèse et

d’une implication totale, cela est évident. Mais ce qui

attire mon attention ce sont les sensations que de telles

pratiques procurent. Le corps est relâché, détendu et le

dialogue qui s’installe entre l’esprit et le corps est assez

fascinant.

L’étape finale de la journée est d’arriver à retranscrire, par

la danse, l’idée principale de mon projet en convoquant

les éléments du corps les plus aptes à faire comprendre

au spectateur de quoi il est question. Il m’est alors

demandé de choisir un terme significatif du projet et de

tenter de le danser...

Je ne pense pas avoir un grand avenir dans la danse,

néanmoins la manière qu’a cette pratique d’impliquer le

corps m’interpelle et me paraît être une porte d’entrée

intéressante pour mon projet. La danse permet de

donner toute son importance au corps réel et de

l’aborder d’une manière plus sereine. Elle donne du sens

à nos mouvements et implique une dimension sensible

très peu investie dans notre quotidien. Danser sa vie ?

Pourquoi pas ?

Danser sa vie ? Pourquoi pas ?

Page 44: Inactivité - le corps au quotidien - Mémoire de fin d'étude DSAA design produit - École Boule - 2014

8786

Rencontre avec Loïc Lauziskinésithérapeute

Loïc Lauzis est kinésithérapeute en région parisienne,

il exerce au sein d’un cabinet médical et suit également

une équipe professionnelle féminine de handball. Il

fait donc face à tous types de cas auxquels le corps est

confronté. Cet entretien m’a permis de recueillir de

nombreuses données techniques d’ordre physiologique

qui me permettront par la suite de développer mes pistes

de recherche d’une manière plus précise. Il a accepté

de répondre à quelques unes de mes questions afin de

m’aider à faire évoluer mon projet.

Quels sont les cas fréquents auxquels vous êtes confronté lorsque vous exercez dans votre cabinet ?

L.Lauzis: Cela dépend des personnes, de leur métier et

de leurs activités. Par exemple les personnes exerçant

un métier assis, sans généraliser, ont le plus souvent des

troubles musculo-squelettiques focalisés sur les parties

extérieures du corps, c’est à dire le dos. Il va y avoir

deux types de problème, tout d’abord au niveau de ce

que nous appelons la structure active, muscles, tendons

et ensuite au niveau de la structure passive, ligaments

et articulations. Ce sont des personnes qui vont être

exposées par exemple à des problèmes d’hernies

car leurs muscles du dos sont très peu développés,

comme chez la plupart des gens, et de ce fait la colonne

vertébrale n’est pas tenue. Cela a pour effet de voûter le

corps vers l’avant. Ils adoptent peu à peu des postures qui

vont déclencher ce type de complication.

Comment prévenir de ces maux avant qu’ils n’apparaissent ?

L.Lauzis: Dans notre société, les gens valorisent leurs

muscles antérieurs car ce sont les muscles que l’on va

voir dans le reflet du miroir. Ils constituent notre façade,

donc nous avons tendance à muscler ces parties du corps

pour des raisons sociales ou de beauté. Les muscles

extérieurs ne sont pas valorisés car ils sont invisibles et ils

ne participent pas à la construction de l’image du corps

que nous souhaitons montrer.

Néanmoins ces muscles participent au maintien du corps.

Le renforcement de ces muscles permettrait d’augmenter

d’une part notre puissance mais aussi de structurer

notre posture en alignant la colonne vertébrale. Le

développement des muscles extérieurs va permettre

d’ouvrir la cage thoracique. La masse corporelle est

essentiellement basée sur l’avant du corps, nous avons

donc une tendance naturelle à adopter des postures

voûtées. Tonifier les muscles du dos permettrait de

Ann

exes

Inactivité Le corps au quotidien

Page 45: Inactivité - le corps au quotidien - Mémoire de fin d'étude DSAA design produit - École Boule - 2014

88 89

redresser le corps et ainsi de prévenir, par exemple, des

problèmes d’hernie.

Je souhaite à travers mon projet, introduire de nouvelles activités domestiques dans l’habitat afin de stimuler les muscles et le corps au quotidien, quel type de mouvements je dois préconiser ou bannir de mon champ de recherche ?

L.Lauzis: Les mouvements de rééducation peuvent

être une bonne base de départ. Mais il faut néanmoins

faire attention à ne pas générer de rhumatisme à

travers de nouvelles gestuelles dans l’habitat. Les

rhumatismes entrainent la rupture des tendons, lorsque

la structure du tendon n’est plus capable de répondre

aux contraintes auxquelles elle est soumise, elle s’use et

finit par rompre. La rééducation permet de réhabiliter

un corps infranormal, accidenté, malade, ou ayant

subit une opération, afin qu’il retrouve son état normal.

Elle est fondée sur des principes gymniques et va petit

à petit ré-impliquer le corps et les muscles dans des

activités physiques. Envisager qu’une personne n’ayant

aucun problème physique pratique des exercices de

rééducation ne peut être que bénéfique pour son corps,

cela aurait pour effet de tonifier ses muscles. Mais nous

ne sommes pas ici dans une démarche de musculation

qui tend à faire passer un corps normal à un état

super normal, impliqué par de nombreuses atrophies

musculaires. Tonifier le corps ou muscler le corps ne sont

radicalement pas les mêmes choses.

La difficulté, je pense, qu’il va y avoir dans ton projet,

est que le corps va naturellement au plus simple. Une

approche théorique est souvent à mille lieux du résultat

pratique, il ne faut pas imaginer que telle ou telle

gestuelle ou posture va impliquer une certaine chaine

musculaire, car la réalité n’est pas souvent comme

on l’imagine. C’est toute la difficulté de l’ergonomie,

nous pouvons imaginer des usages bénéfiques pour le

corps mais ce que nous ne pouvons pas prévoir c’est

la façon dont l’utilisateur va s’emparer du produit.

D’où l’importance de passer rapidement à la phase

d’expérimentation pour valider les effets sur les chaines

musculaires que nous souhaitons solliciter.

Ann

exes

Inactivité Le corps au quotidien

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92

Inactivité Le corps au quotidien

93

Bibliographie

Ouvrages

BERNARD Michel, Le corps, éditions Points, Paris, 1995

BAUDRILLARD Jean, Le systeme des objets, éditions Galimard,

Domont, 1968

BAUDRILLARD Jean, La société de consommation, éditions

Ponts, 1970

COLIN Christine, Confort et incorfort, éditions Hazan, Dijon,

janvier 1999

CONSTENTINIDÈS Yanis, Le nouveau culte du corps,François

Bourin éditeur, Paris 2013

COURTINES Jean Jacques, Histoire du corps “tome 3” , Édition du

Seuil, janvier 2006

DEPIESSE Fréderic, Prescription des activités physiques: en prévention et en thérapeutique, édition Masson, 2009

JUVIN Hervé, L’avénement du corps , édition Galimard, octobre

2005

LAFARGUE Paul, Le droit à la paresse, Mille et une nuits, Turin,

1994

LE BRETON David, Antropologie et modernité du corps, éditions

Quatridge, Paris, 1990

MIDAL Alexandra, Design Introduction à l’histoire d’une discipline , édition Pocket, Paris, 2009

MUNARI Bruno, Ricerca della comodità in una poltrona scomoda,

Domus, Verone, 1944

SIBONY Daniel, Le corps et sa danse, éditions du Seuil, 1995

Articles

DAVID-WEILL, Cécile. «Rester assis tue autant que la

cigarette ou l’alcool !», Le point, disponible sur http://www.

lepoint.fr/invites-du-point, parue en janvier 2013

ELTCHANINOFF, Michel. « Corps», Philosophie magazine, n° 74,

Novembre 2013

GRANGER, Chistophe. « Le corps en vacnaces», Cairn.info,

http://www.cairn.info/revue-hypotheses-2002-1-page-59.

htm, 2002

MIGNON, Patick. MUCHEL, Johann. MALHERBET, Emmanuel. GUYOT ROUSSEL, Marine.« Sport: la revanche

du corps», mag philo, n°14, disponible sur http://www2.cndp.fr/

magphilo/philo14/dossierimp.htm, parue en 2007

Catalogue d’exposition

[Exposition, Centre Pmpidou. 2012]. Danser sa vie. Dir.

Christine Macel et Emma Lavigne. Paris, 2012.

Page 48: Inactivité - le corps au quotidien - Mémoire de fin d'étude DSAA design produit - École Boule - 2014

94

Films et documentaires

BAY Michael, No pain No gain, Paramount, sortie en août 2013CHAPLIN Charlie, Modern times, , sortie en septembre 1936GORDON-LEWITT Joseph, Don Jon, Mars distribution, sortie en décembre 2013LALLIER Thomas, Skateboard stories, Arte, diffusé le 16 Juin 2011LUDSRÖM Lars, Real Humans, Arte, série diffusé depuis 2012NICCOL Andrew, Gattaca, Columbia Picture, sortie en Octobre 1997PIXAR Studio, Wall E, Disney studio, Sortie en Juillet 2008

Bibl

iogr

aphi

e

Page 49: Inactivité - le corps au quotidien - Mémoire de fin d'étude DSAA design produit - École Boule - 2014

96

Remerciments

Je remercie l’ensemble de l’équipe pédagogique de DSAA

pour leur confiance et leur soutien: Vincent Rossin, Sophie Breuil, Bertrand Vieillard, Dominique Robert, Vaïana Le Coustumer, Antoine Fermey, Rolland Lemoine, Jean- pierre Queffeulou et François Boissonnet

Je remercie ma famille pour m’avoir encouragé et

plus particulièrement ma mére pour ses nombreuses

relectures et corrections.

Je remercie Mr. Guigou pour m’avoir accordé de son

temps et fait en sorte que mon français soit correct.

Je remercie l’ensemble de mes camarades de classe de

DSAA qui m’ont permis d’évoluer au cours de ces deux

années.

Je remercie Marine pour son écoute, son soutien et sa

patience au quotidien.

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InactivitéLe corps au quotidien

Direction du mémoire: BREUIL Sophie, ROSSIN Vincent,

VIEILLARD Bertrand

Soutenance le 4 mars 2014

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