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Imagedecouverture:©PascalUehli,EmmaKStudioCouverture:MarionRosiere

CollectiondirigéeparArthurdeSaintVincentOuvragedirigéparMarineFlour

©2017,ElleSeveno–Tousdroitsréservés©2016,LaCondamine34-36,rueLaPérouse75116Paris

ISBN:9782375650295

CedocumentnumériqueaétéréaliséparNordCompo.

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SOMMAIRE

Titre

Copyright

1-Alexandre

2-Alexandre

3-Alexandre

4-Alexandre

5-Laure

6-Alexandre

7-Laure

8-Alexandre

9-Alexandre

10-Alexandre

11-Laure

12-Alexandre

13-Alexandre

14-Alexandre

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15-Laure

16-Alexandre

17-Alexandre

18-Laure

19-Alexandre

20-Alexandre

21-Laure

22-Alexandre

23-Laure

24-Alexandre

25-Alexandre

26-Laure

27-Alexandre

28-Alexandre

29-Laure

30-Alexandre

31-Alexandre

32-Laure

33-Alexandre

34-Alexandre

35-Alexandre

36-Laure

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Épilogue-Laure

Remerciements

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1

Alexandre

Jeregardemontéléphonepourlavingtièmefoisdelajournée:aucunmessage,aucunappelenabsence,aucuneréponseàmesquestions;etceladuredepuisdeuxsemaines.Mapoitrineestserrée,commesuspendueàl’arrivéedenouvelles.Jecontinuedeparleràunnuméro qui neme répond pas et je reste désespérément impuissant devant son silence. Letempssembles’êtrefigéaumomentoùLaureestsortiedemonappartement,leregardvideetlecœurlourd.Je me remémore ces moments avant qu’elle ne parte. Elle avait passé la nuit dans monappartement, dansmon lit, avecmoi. Elle paraissait presque heureuse, apaisée. Jusqu’à cequ’ilarrive, reviennedans savieet luiassènedesmotschoisispour lui fairemal.Quelquesphrasesontsuffipourréveillersesdoutes,faireresurgirsesremisesenquestion.Toutcequenousavionsconstruitaétébalayéenquelquesminutesparunconnardquineconnaîtriendelavéritablefillequ’ilaaiméeduranttoutescesannées.Je la revois, pleurant par sa faute. Matt a distillé en elle un venin qu’elle ne méritait pasd’entendre.Aprèsse l’être jouéprincecharmantet luiavoir faitcroireàuncouple idéalquin’existaitpas,s’êtreenvoyéenl’airavecsasœuretbiend’autres, il fallaitqu’ilchercheàluifairemal,encore…Maispourquoi?Poursoignersonorgueil,exorciserl’humiliationpubliquesuscitéeparlavengeancedeLaure,oublierqu’ill’aimeetqu’ilsouffreàencreverd’avoirfaitlecon?Celuiquipensaitàtortêtremonamiméritecequiluiesttombésurlagueule.Lauren’aplusàêtreintoxiquée.Ellereprendlescommandesdesavie:celacommenceparMattetsetermineraparsafamille.Jecomprendsparfaitementcequ’elleressent.Jesaiscequec’estdesecroireaimépendantuntemps,puisd’êtrerepousséoutrahiparlespersonnesquinoussontproches.Laureluttepoursortird’uncauchemar:sesparentsnelacomprennentpas,sonpetitamin’enestplusun,sa

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sœur – la pire de tous – la jalouse et lui arrache depuis toujours tout ce qu’elle tente deconstruire.Cela fait cinq ans que je connais Laure, cinq ans que je l’observe, en sachant que sonentouragenelaméritepas,etquej’attendslemomentoùelleseréveilleraetouvriralesyeuxsur leur comportement. Elle s’efforce depuis autant de temps de rester une gentille fillemodèlealorsqu’ellen’estquefougueetaudaceàl’intérieur.Lorsqu’elle est venue me trouver avec une idée digne des plus grands maîtres de lamanipulationentête,nousavonsentaméunerelationvacillanteoùjelacherchepourl’inciteràsedépasseretparveniràsesfins.Illuiarrivededépassertoutesmesespéranceslorsqu’elleentredansmon jeupourmedéfier.Mais lavoircraquerchezmoia toutbouleversé,cequej’ai vu dans ses yeux m’a déstabilisé. Je n’aurais jamais dû ressentir ce besoin de la fairerevenir, ni celui de me faire pardonner. Je ne fonctionne pas comme ça. C’est fini depuislongtemps.Jenesuispasdugenreàregretter.J’imagineaucontrairedesplanspourparveniràmesfinsetjeneregardepasenarrièresijefaisdumalàquelqu’unaupassage.J’aiapprisànepasmeretournersurlesmarquesdefaiblessedemonpassé.Oui,j’aitoujoursétécetype-là,jusqu’àelle.J’auraispuallerchezSarah,j’auraispul’obligeràmeregarderdanslesyeuxpourmedirequecequej’yailuquandellem’arepoussén’étaitpaslavérité.Maisjenel’aipasfait.Non,àlaplace,j’airéparémesconneries–sansleluidire,biensûr–etjemesuisefforcéderesterlemême que d’habitude : unmec solitaire faisantmine d’être populaire, réticent aumoindresigne d’engagement mais poussant toujours plus loin le désir de la voir s’épanouir sanspersonnepourluidictersesrègles.Depuis,jefuisdésespérémentcequ’ellearéveilléenmoi.Jesuisenroutepourlesalondetatouagedesjumeaux,cesdeuxconnardsquimeserventdepotesetquipassentleurtempsàpalperdescorpspouryimprimerleurmarque.Lasoiréeestdéjàbienavancéeetjesuiscertaindelestrouverchezeux.Cesontdescamésduboulot,lesdoigts toujours actifs autourd’un crayonoud’unemachine, chacunavecunpasse-tempsquileur permet de penser à autre chose : Mickaël, le piratage informatique ; son frère, lesfemmes.Lorsque j’arrive, seul Ludovic est visible. Il est dans la salle principale, aucun client àl’horizon.Ilsecontentedes’occuperdesapaperasse.

–Alex,monpote!Çava?J’acceptesonaccoladeetlamainqu’ilposedansmondospourm’accueillir.Ilssonttoutjustetrois mecs à pouvoir faire ça. Tous les autres gravitant autour de moi et tentant ce genred’actionseferaientdémolir.

–Qu’est-cequit’amèneparici?–J’aibesoindeboireuncoup.

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Ludo rit en secouant la tête. Je n’ai pas besoin de dire grand-chose, avec lui. Ilme connaîtdepuis tellement longtemps qu’il le sait : quand j’ai cette gueule-là, il ne faut pasme fairechier.Lesalonétantfermé,ilm’inviteàavancerdanslasalleetm’indiqueundesfauteuilspuissortunedesesvieillesbouteillesdeChivasquitraînedansunmeubledepuisdesannées.

–Durejournée?demande-t-ilenmeservant.–Duressemaines.

J’avale le liquide d’une longue gorgée puis je repose le verre sur la table devant moi. Jem’affalecommeunconalorsqu’illèvelesyeuxversmonvisageinquiet.Quefait-ellecesoir?

–Leboulot?Monricanementdoitparlerpourmoi.Leboulot…commesijepouvaisenavoirquelquechoseàfaire.

–Ouais,questionstupide,secorrige-t-iltoutseul.Sonverrerejointlemiensurlatabledanslemêmetintement.Êtreicim’allèged’unpoids.Jesensmacarapaces’effriter.Cesgars-lànem’ontjamaisdonnéuneoccasiondedouterdeleurloyauté.Peut-êtrequ’ilspourraientcomprendre…Lesminutespassentdansunsilencedeplusenpluspesant.Jedevraisparler,expliquercettesensationquimecomprimeletorsepouressayerdelacomprendre,maisjemetais.Parler,jene sais pas faire. Mais Ludo, si. Et même très bien. Il a toujours su lire entre les lignes,derrière les non-dits et les silences lourds de sens. C’est pour cela qu’il continue de mescruter. Je sens son regard sur moi, m’inspectant pour découvrir ce que je ne lui dis pas.Quandilstatueenfinsurmonproblème,saconclusiontombeentrenous:

–Elleestici.La phrase claque si brusquement qu’elleme fait relever la tête. Je prends conscience de cequ’ellesignifieet jerestetétanisé,perchédans ledoute,entremonespoiret laconneried’ycroire.

–Laure,confirme-t-ilfaceàmonairperdu.Entendre sonprénomrend les choses tangibles. J’ose croireque cequ’il dit est vrai, qu’ellen’estqu’àquelquesmètressansquej’aiecherchéàprovoquercetterencontre.Cen’estpascequej’étaisvenuchercherenvenantici.Jevoulaisjusteprofiterdemespotes,boireunverreetmemettrelatêteenvracgrâceàunemusiquequim’auraitfracassélecrâne.

–Pourquoiest-ellelà?Il semblehésiteruneseconde–unesecondedetroppendant laquelle jemedisqu’il saituntrucquej’ignore–puis,sansunmot,ilserelève,traverselesalonpourretournerversl’entréeet choperunde leurscartonsàdessinsplanquéderrièreunmeuble.Le regarddemonpoteme sonde toujours sans rien dire en revenant vers moi, comme pour voir si je suis prêt àencaisser.Maisprêtàencaisserquoi?

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Ludovic reste debout tandis qu’il tend le carton devant lui, dansma direction, pour que jel’attrape.

–Regardeàl’intérieur!C’estcequejefais.Etcequejedécouvreaccentuemonsentimentd’êtrepasséàcôtéd’untrucimportant.

–C’estellequiadessinétoutça.J’attrape le premier papier qui vient et reste là, le regard subjugué par les courbes quitransparaissent.Jen’auraisjamaispuimaginerunteltravail.

–Tuastaréponse,ajouteLudoenmetoisant.Voilàcequ’ellevientfaireici.

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2

Alexandre

La feuille dans la main, je reste hypnotisé par le dessin. Le corbeau attire toute monattention : sanoirceur, laprécisiondeson trait, sesailesdéployées, sa férocité.Le resteducroquis estmoins nuancé. Laure a voulumettre en avant cet oiseau et toute la symboliquequ’ilreprésente.L’arbresurlequelilreposeestdéfraîchi.Lerenardàsaracineestéventré,lecorps recouvert d’insectes. J’ai l’impression de voir une réinterprétation très glauque descontes que l’on lit aux enfants, ceux qui racontent n’importe quoi aux petites filles sages etrêveuses. Laure se les est réappropriés endémontant toutes lesutopiespossibles, les rêvesillusoires.Alors que je parcours son travail, je vois défiler un petit chaperon rouge, gros calibre à lamain,quivientdefaireuntroudanslapoitrineduchasseur,unesirènearrachantsanageoireàmainsnuesetBlanche-Neigequipréfèreresterseuledansuneforêtmaléfique.Jepose lespremièresesquissessurlecôtépourregarderlereste.

– Il y en a combien ? demandé-je d’une voix faible, en réalisant l’ampleur du travail àl’intérieurdececarton.

–Beaucoup.Jepousselesfeuilleslesunessurlesautres,regardechaquecontour,chaquedécor.Cequejedécouvrevaau-delàdecequejepensais.Laurecacheunintérieurencoreplussombrequecequej’imaginais.J’ydécèleraispresquemonreflet.Toutsonuniversestparsemédenoir:tracéaufusain,àl’encredechineouausimplestylo.Ellemélange les textures, sepermetd’insérerde lapeinturedansun tableau faitaucrayon,joue avec les ombres pour assombrir encore ses paysages et parfois ajoute une touche decouleurqui redonnede l’espoirà l’ensemble.Parceque tous sesdessins sont recouvertspar

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lesténèbres.Ilsreprésententdesscènesoudespersonnagesliésàlamort:descimetières,desfaucheuses,desinsectes,desangesauxailesbrisées…Je suis fasciné par tant demaîtrise et tant de violence contenue. J’aurais simplement aimédécouvrir cela autrement. J’aurais aimé qu’elle se livre. Cette part de sa personnalité metouche plus encore. J’ai l’impression de la redécouvrir, de voir la fille qu’elle devrait être :assumantsesrêvesetsebattantpourlesréaliser.

–Ellevousamontrécequ’elledessinait,dis-jecommeuniqueconstatation.–Oui.

Ludodoitsentirqu’untrucmechiffonneparcequ’ilreprendtoutdesuite:–Elleareprisrécemment, justifie-t-il.Etellen’étaitpassûred’avoirgardésoncoupde

crayon.Ellevoulaitêtrerassurée.Elleapenséànousparceque…Ildésignelesdessinsaumurd’ungestevague.

–Cequ’onfaiticiluiparlealorsqu’elleestunpeuperdue.–Perdue?–Audépart,elleestvenuesans tropsavoirpourquoi.Sûrementpour tevoirmalgréce

qu’elle voulait faire croire. Puis elle nous a parlé de ses dessins, de ce qu’elle ressentait envenant ici.Ellenousaditquedepuisqu’elleavait repris,ellen’arrêtaitpas.Tusaisquesesparentsluiontinterditdedessinerpendantdesannées?

–Oui.–Ehbiençaseréveille.Etelleacommebesoinderattraperletempsperdu.Regardeça!–Jevois.

Oui, c’est bien tout ce que je peux faire : constater le résultat. Amère constatation qui necalmepasmonimpressiond’avoirététenuàl’écart.

–Ellevient souvent,Alex.Beaucoup troppourqu’iln’yaitpasun trucqui cloche chezelle.Elleestvraimentperdue.Tuesproched’elle,non?Tudevraispeut-êtreluiparler.J’acquiesce sans vraiment l’écouter. Mon attention est monopolisée par le tas de fresquesmorbidesétalédevantmoi.

–Elleestvenuecombiendefois,exactement?questionné-jepourenavoirlecœurnet.–C’estlatroisième.–Endeuxsemaines?–Ouais.Mêmesiçan’apasl’airfacile,elleraccourcitsesjournéesdetravailpourvenir.

Ellenet’ariendit?–Non.Elleévitemesmessages.

Je fouille encore parmi les paysages lugubres et les personnages tous plus sombres oumaltraitéslesunsquelesautres.

– J’ai l’impressionde revoirMickey à une époque. Tu sais, quand il ne parlait presqueplusetpassaitsontempslenezfourrédanssescrayons.

–Jenesuispassûrquecesoitunebonnechose,dis-jeengrimaçant.

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–Elleal’airdemieuxgérerquelui.Ilessaiedemerassurer.MaisjemerappelletrèsbienquellesconneriesMickeyétaitcapabledefairependantsonadolescence.L’imagedeLaureentouréedemecsdroguésquis’imposeàmoiest loindemecalmer. J’aidumalàdécrire ceque je ressens,maisdécouvrirqu’elleapréféréleurmontrersonuniversplutôtqu’àmoifinitdemeretournerlebide.J’auraisvouluêtrelepremier,celuiquilapousseàreprendregoûtàsapassion.

–C’estnousquiluiavonsproposéderevenir.J’aisentiqu’uneséanceneluisuffisaitpas.J’espèrequeçanetedérangepas.Je n’ai pas mon mot à dire. Ils peuvent bien faire ce qu’ils veulent, je n’ai aucun droit niaucunemaîtrisesurleurvie.

–Entoutcas,elleestfièredecequ’ellefait,précise-t-il.Desmecsontvusesdessinsetontvouluensavoirplus.Elleaadoréça.Jen’endoutaispasuneseconde…

–Elleestoù?demandé-jeenrelevantlatêteverslui.–Enbas,avecMickey.Elleveutsefairetatouerundesesdessinssurlesreins.

Surlesreins…l’endroitdontjeluiaiparléunefois.Elle,avecdel’encrenoirerecouvrantsondosjusqu’àl’oréedesesfesses:cettevisionatotalementparasitémesfantasmes,cesdernierstemps.

–Lequel?–J’ensaisrien.Ellenel’amontréqu’àMickey.Elleneveutpasquejelevoieavant…–Avantquoi?jel’interromps.–Avanttoi.

Jenecomprendspasetceladoitêtreécritsurmagueule,parcequ’ilenchaînetoutdesuite.–Ellenet’apeut-êtrepasréponducesdernièressemaines,maisellen’arrêtepasdeposer

desquestionssurtoitoutenpensantqu’onneremarquerien.J’aipastoutpigéaudébut,maisentevoyantdébarquercesoir,çadevientplusclair:enfinunequit’afaitpéterlesplombs,pasvrai?S’ilsavaitàquelpointilaraison,j’enentendraisparlerdurantdesmois.

–Qu’est-cequetuluiasdit?questionné-jeenmelevant,lecartondedessinstoujoursàlamain.

–Quetuseraisraviderépondretoi-mêmeàtoutcequ’ellevoudrasavoir,biensûr!Sonsarcasmeet leclind’œilqui l’accompagnesont insupportables.Jegrognepour la formeparcequetoutcequ’ilditestlavérité.Commesouventquandilparle.Iltentejustedecachersaclairvoyancederrièreunefaçadequiseveutinsouciante.Lesdoigts serrés sur les secretsdeLaure, jemedirigevers le sous-sol.Enouvrant laporte,Ludovicm’interpelle.Sontonestsimoqueurqu’ilmefaitgrincerdesdents.

–Piècedufond!Jedévalelesescalierssansdiscrétion.Enbas,toutestcalme.Aucunbruitdemachinenevient

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perturber le silence. J’avance dans le couloir, prêt à les découvrir autour d’une table detatouage.Maiscen’estpaslecas.D’oùjesuis,jelesentendsdéjàautraversdelacloison.La voix de Laure si proche augmente la sensation de vide qui m’a poussé ici. Ma gorges’assèche.Jevoudraispouvoirouvrircetteporteentotale indifférence,mais jesaisdéjàqueceneserapaslecas.Àlaplace,jem’appuiesurlemurderrièremoi,faceàlapièce,etjelesécoute.

–Cen’estpasunpetitdessin,clamelavoixdeMickeyderrièrelebattant.Çarisquedeprendredutemps.Ilfaudraplusieursséancesdanstouslescas.

–Peuimportecombiendetempsçaprendra…C’estvraimentcelui-làquejeveux.Je sourisenentendant ladéterminationdontelle faitpreuve. Il yaquelques semaines, ellen’auraitjamaisparléouagidecettefaçon.

–Turisquesd’avoirmal,desséancesaussilongues,cen’estjamaisfacileàsupporter.Etmêmes’ilssontréduits,ilyadesrisquesderéactionallergique.

–Pourquoituessayesdemedissuader?Tuestatoueur,tonboulot,cen’estpasdefairecegenredetruc,si?

–Jem’efforcedecapter lesmotivationsdemesclientsetde leurdire lavérité.S’ilsnesontpasprêts,jepréfèrequ’ilsreviennentplustard.

–Jepeuxt’assurerquejesuisprête,etpourlamotivation,net’enfaispas.Ilyadixansque j’ai fait cedessinetque je l’aidans la tête, jene regretteraidoncpasde l’avoirdans lapeau.Jen’entendsplusrienpendantquelquessecondes.

–Pourquoimaintenant ? insisteMickey.C’est çaque je veux comprendre. Je veuxêtresûrquetunelefaispaspourdemauvaisesraisons.

–Aucunrisque.Autre silence. J’entends soupirer. Mon pote est en train de se rendre compte qu’elle nedémordrapasdesonidée.

–Trèsbien,abdique-t-ilenfin.Danscecas,allonsnotertonrendez-vous.Laportefaceàmois’ouvreenfin.Jeresteadosséaumurpendantqu’ilssortent,enattendantqu’ils me voient enfin. Lorsque cela arrive, Laure se bloque, le regard figé sur moi, larespiration coupée ; comme si elle avaitoublié l’effetque celanous faisaitdenousvoir,denousparler,denoustoucher.

– Salut, je commence en la fixant d’un regard noir. On dirait que j’aimanqué quelquechose…Le silence retombe. Mickey s’est évaporé. Il a dû sentir qu’un truc allait péter entre nous,parcequ’iln’ariendit:justeuncoupd’œilsurmagueuleetilasu,commesonfrère.

–Qu’est-cequetufaislà?demandé-jedebutenblanc.–Ettoi?

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Sil’instantd’avantjel’aidécontenancée,cen’estpluslecasàprésent.LemasquedeLaureestrevenu :pasceluide lagentille fillequicache leszonesd’ombredesonâme,maisceluidel’indifférentequiseprotègedesessentiments.

–Je suisvenuvoirmespotes. Jenepensaispasqu’entre-temps ils seraientdevenus lestiens.Ellesecouelatêteenbaissantlesyeux.

–Qu’est-cequetufaislà,Laure?jeréitère.–J’avaisbesoind’unavis.–D’unavissurquoi?

Ellenerépondpasmaissonregardassassinm’indiquequ’ellen’enestpasmoinsénervée.Ellenedirarien,alorsautantyallercash.

–D’unavissurça?lancé-jeenportantlecartonposésurmacuisseplushautpourqu’ellelevoit.Sesyeuxs’arrondissentlorsqu’ellelereconnaît.Ellel’attrapeetleramèneverselle.

–Iltel’amontré,rouspète-t-ellepourelle-même.–Tut’attendaisàquoi?C’estmonpote,biensûrqu’ilmel’amontré!

Jen’aimepaslagrimacequisedessinesursonvisage.J’auraisespéréêtrel’undespremiersàdécouvrircettepartied’elle,maisellenesemblepasapprécierquejesoisaucourant.

–Pourquoi,Laure?Pourquoi«eux»ilsontledroitdevoirtesdessins?Elledevaitsedouterquejeluiposeraiscettequestion.Alorspourquoimeregarde-t-elleavecdegrandsyeuxeffrayésparmontonimpatient?

–Çameregarde,dit-ellelagorgenouée.–Quandils’agitdetoi,çameregardeaussi,répliqué-jetoutdesuite.

Lauremedévisage,perdueparcequejedis.–Noussommescomplices,danscettehistoire.–Complices?

Sessourcils se froncent.Ellen’aclairementpasappréciémarepartie.Elledétesteque je luirépondedefaçonsiimpulsive,maisjenecontrôleplusgrand-choseavecelle.

–Lesgenscomplicesseparlent,ajoute-t-ellepresqueénervée.Separler…Pasfacilelorsqu’ons’efforcedetairetoutcequipourraitnousrendrefaible.

–Oui,soitexactementcequetufaisdepuisdeuxsemaines!expiré-jeironique.Oui,jesuiscon.Maissadistancemepèse.

–Vas-y,explique-moi,jet’écoute.Tuveuxquejetedisequoi,Laure?Jeparleplusfortetplusdurement.Maisilfautquejesachecequ’elleattenddemoi.Ellemerepoussemaiss’attendàcequejeluilivremessecrets?Ellem’évitemaisveuttoutconnaîtredemoi?

–C’estquoicedélire?m’arrêté-jeenfin.–Jenesaispas.

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Elleestperdue.Ludom’avaitprévenu.–Jet’aidittoutcequ’ilyaàsavoirsurmoi.–Non!Tum’asàpeine laisséentrevoirunhommebienderrièretafaçadeà lacon.Tu

m’asracontélesgrandeslignesdetavieenpensantquejem’encontenterais.Jenesaisriendeplus.Jenesaispascequiafaitdetoicequetuesaujourd’hui.

– Et pourquoi ça t’intéresse, subitement ? Tu t’en foutais pendant les quinze derniersjours,non?Puéril.Etcomplètementàcôtédelaplaque.

–Tusaistrèsbiencequ’ils’estpasséilyaquinzejours,dit-elleendétournantlesyeux.–Non.

Mavoixtonne,moncorpss’anime.Enunmouvement,j’aiattrapésonpoignetpourl’obligeràmeregarderdenouveau.

–Non,jenesaispas.Parcequetut’esefforcéedefermerlaporteàtoutesmestentativesdecomprendre.Commentjepeuxsavoir,situnemedispas?

–Maispourquoi jem’ouvriraisà toiet temontreraismesdessinsalorsque toi tune lefaispas?

–Jenefonctionnepascommeçaettulesais.–Oui…Jelesais.

Sesbras sedéfontdemapoigneet se croisent sur sapoitrineàmesurequ’ellemedéfieduregard.Jel’aiagacée,titillée,énervée.Etmaintenantquelamècheestallumée,elleestplusbelle que jamais. Mais ce qu’elle dit n’a pas de sens. Je croyais qu’elle souffrait de ne paspouvoir être elle-même et que me montrer cette partie d’elle saurait l’apaiser. Mais l’effetinverseestentraindeseproduire.

–Jelesaismêmetrèsbien,continue-t-elleunepointed’amertumedanslavoix.–Putain,maistuveuxsavoirquoi?

Àmontour,d’êtreencolère.Jesuisénervéqu’elleseprennelespiedsdanssafoutuelogiqueàdeuxballes.

–Laissetomber,essaie-t-elledesedéfiler.–Tuveuxsavoirquoi?j’insisteenparlantfort.Vas-y,lemomentnesereprésenterapas

desitôt.Posetesquestions!Tuveuxquoicommeimagedemoi?Je neme retiens plus. Le sentiment d’inconfort est trop présent. Elle est allée gratter tropprofondémentenmoi.

– Celle d’un enfant seul qui redoutait de rentrer chez lui ? Tu veux que je te disecommentjemesentais?Quej’avaislaragecontredesgensquim’ontfaitcroireàuneviedefamillepourmel’enleverunefoismaconfianceobtenue?Queplusjamaiscepetitgarçonnelaisserapersonne l’atteindreparcequec’est tropdouloureuxd’êtrerejetépardesgensqu’onaime?C’estçaquetuveuxsavoir?Je frottedeuxmainsglacées surmonvisagepoureffacerma rancœur,mais rienn’y fait. La

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boulequejevoudraiscracherestbiennichéeaufonddemagorge.–Jepasseau-dessusdetoutçadepuisbienlongtemps.Jenesuispluscepetitgarçonet

ilsneméritentpasceque jeressensencoreparmoments. Ilsne leméritentplusdepuisdesannées!

–Maistun’enparlespas…dit-elleunpeutriste.–C’estmonpassé.J’aifaitcequ’ilfautpourdevenirquelqu’und’autreetl’oublier.Tusais

cequec’est,non?Ettudevraisfairelamêmechose.Je n’aime pas les yeux qu’elle me lance. Je ne supporte pas qu’elle me prenne pour unevictime.Cen’estpaslecas.J’aitoutfaitpourcontrebalancerlatendance.Jeneregretteplusrien.

–Maintenant, plus besoin d’en parler. Et si tu éprouves encore de la compassion pourmoi,arrêteçatoutdesuite!luiintimé-jed’unevoixdure.Lacompassionetlapitién’entrentpas en compte dans ma vie. Et cela ne devrait plus faire partie de la tienne, ça doitdisparaître.Onnedoitrienàpersonne.Onnedoitvivrequepournous.Vispourtoi!

–C’estcequejefais.Aprèsmonattaque,lavoiciquireprenddelavigueur.

–Jecommenceàlevoir,dis-jeamer,enrepensantàsonsilenceetàsesdessins.– Pourquoi m’en vouloir, dans ce cas ? Pourquoi toute cette scène ? C’est ce que tu

voulais,non?–J’aidit:«jelevois».Pasqueçarendaitleschosesplusfacilesàaccepter.–Pourquoileschosesseraientdifficilesàaccepter?Jenecomprendspas.

Commentluidirequec’estlebordeldansmatête?–Iln’yarienàcomprendre.–Biensûrquesi.–C’esttout?–Laure,s’ilteplaît…

Jene saispas commentexpliquer les choses. Jene saispas luidireque je veuxqu’elle soitlibre,sansattacheparrapportàsesproches,indépendanteetsereine.Maisque,malgrécela,jeveuxêtreleseulauprèsdequielleresterait.Lauredoitcomprendrequejen’yarrivepascarsestraitss’adoucissentfaceàmonhésitation.Elles’avouevaincueensilence,acceptemesréponsesapproximatives,matentativedefuiteetlaisse parler son corps, comme je le fais avec le mien. Je m’approche d’elle toujours sanssavoir ceque jepourraisdire,pendantquemesyeuxparcourent sonvisage, sabouche, soncou,lacourbedesonépaule,sesseins,seshanches.Jesuisàunpasd’elleetjelasurplombe.Sonregardclairestperdudanslemien.

–Jevaismefairetatouer,annonce-t-ellepourrelanceruneconversation.

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–Jesais.–Dansledos.

Jeluisourisenmeremémorantnotremomentsurlatabledetatouage.Jemelarappellenuecontremoi.Nousétionspresqueseulsaumonde, loindesemmerdesextérieures, surtoutdecellesquejenousaiapportéesensuite.Ellesétaientpourtantnécessaires…Commepouraccompagnerl’imaged’ellequimevient,lecorpsembelliparlenoir,jeposemapaumesurelle.Mamainpassedanssondos, suit sacolonnevertébralequi secambreet seposesursesreins.Sesjouesrosissentetsarespirations’accélère.Mesonglesglissentsousletissupourlafrôleretlafairefrissonner.

–Mickeyl’avu?–Oui.Illefallaitbien.

Demonautremain,j’attrapequelques-unsdesescheveuxentremesdoigts.Leurtoucherestdouxsouslapulpedemonpouceetdemonindex,sisoyeuxquejerestedanscettepositionpendantquejesenssesyeuxsurmoi.

–Qu’est-cequec’est?demandemavoixprèsdesonvisage.Elleestsiprochequejepourraismefondreenelle.Ellenedétournepaslesyeuxdemoiuneseconde.

–Ledernierdessinquej’aifait,finit-elleparrépondredansunmurmure.Celuiquemesparentsn’ontpassupportéetontdéchiré.Jolipieddenez.Aveccetactederébellionetdeconfianceenelle,elletourneledosàunevietroprangéeettroplissequineluiajamaisconvenu.J’ensuispersuadé.

–J’espèrequetuleurmontreras.–Oui,affirme-t-elleensouriant.C’estprévu.

Saréponsemeprouvequ’ellenedévierapasdesa lignedeconduite.C’estceque j’espérais.Toutcequejedésiredepuisquejelasensoppresséeestentraindeseconcrétiser.Je veuxqu’elle ait besoindemoi, tout comme je rejette cette idée.C’est dangereux, autantpourellequepourmoi.Etsi jeluidonnaistropdepouvoir,est-cequeçaneseretourneraitpascontremoi?Jerepoussevolontairementcettequestion.Monseuldésirrestetournéverselleetsonaccomplissement.Mespenséesne sontplus cohérentes et réfléchiesquand je suis à ses côtés.Alors, jenemeretiens pas. Pourquoi le ferais-je ? Les fois où j’ai pensé à d’autres avant moi, je l’ai siamèrementregretté…Jeprendscequejeveux,non?

–Lejouroùtuteferastatouer…commencé-jeenmasquantmonhésitation.LesouriretimidedeLaurerenversetoutesmescertitudes.

–Jeveuxêtrelà.Etjel’embrasseenfin.

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3

Alexandre

–Stressée?jeluidemandetandisquenousmarchonsdanslesruesdeParis.Elleremontesonécharpeautourdesoncou,lesyeuxportéssurlaroute.

–Non,lâche-t-elle.Pasdutout.–Tuneveuxtoujourspasquejeleregarde?

Ellemesourit.–Non,tuneleverrasquesurmoi.Quandilseraterminé.

J’enaides frissons.Rienqu’à l’idéede l’encrequivabientôt recouvrir ses reins, je suisdéjàexcité, et parfaitement conscient que j’aurai du mal à me retenir de la toucher. Quand jepense que je vais devoir être patient, attendre la fin de sa cicatrisation avant de pouvoirlécher chaque ligne de son tatouage. J’espère qu’il va être grand et compliqué pour que jepuissem’yattarderpendantdesheures, le caresserduboutdesdoigtsquandelle s’offriraàmoi,sondosdansmalignedemire.Laureadécidédepasseràl’étapesupérieureetdefranchirlepas.

–Tuessûredevouloirlefairemaintenant?– Absolument, affirme-t-elle. Je veux quema sœur le voie pendant son «week-end de

princesse ». J’ai choisi un hôtel avec des programmes de soin. Et je lui ai prévu une petiteséancedemassageavectoutessescopines.Commeça,unpetittourenservietteetletourestjoué!Jesuislaparfaitedemoiselled’honneur,tunetrouvespas?Ettoutçaàsesfrais,biensûr.

–Ellenelesaitpas?–Non.J’aifaitensortequetouslesprélèvementssefassentaprèsladatedumariageet

j’aisignéàsaplace.Jememetsàrire.Laureestunevraiediablesse!

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Elleme fait un clind’œil avantdeplonger lesmainsdans lespochesde sonmanteauetdecontinuerensoupirant.

– J’aimerais qu’elle comprenne le message que je veux lui faire passer et qu’elle entrembledepeur,maiselleesttropcentréesurelle-mêmepourça.

–Jemedemandecequeluitrouvesonmec,jem’interrogepensif.–Moiaussi.Peut-êtrequec’estunboncoup.–Ondevraitluimontrercequec’est«réellement»qu’unboncoup,alors!

Laures’arrêteetsetourneversmoi.Sesyeuxbrillentd’unelueurquinelaquitteplusdepuisprèsdetroismois.

–J’yaipensé,maisStéphaneestuntypebien.Çam’étonneraitqu’ilselaisseabuserparunejoliefille.Enplus,ilfaudraitentrouverunequisoitdispodansquinzejoursEtpuis…Elleréfléchit.

–Non.Çameferaitdumaldeluifaireça.–Mêmepourbrisertasœurunpeuplus?

Lauremescruteunmomentsansdireunmot.Ellesemordlecoindelalèvreenréfléchissantpuisremetsonbonnetenplace.Elleestvraimenttropadorable,emmitoufléedecettefaçon:sescheveuxbrunsdépassentàpeineendessousdesonécharpe.

–OnverracommentçasepasseavecLéa,répond-elleengrimaçant.–Çasepasserabien,j’affirmesûrdemoi.

Maphrasedéclencheunegrimace.Sonregardchange, je levoiss’assombriravantqu’elleneferme les yeux une brève seconde, comme pour tout effacer. Elle reprend ensuite sa routesansrienajouter.Etvoilà,ellerecommence:ellemedissimulesespensées.Ellenefaitqueçadepuistroismoisalorsquejeluttepourlafairerevenir.Laure n’est plus lamême. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé dans sa tête le jour oùMatt adébarquéchezmoi,sitoutcequ’elleasubil’aatteinte,meurtriejusqu’aupointdenon-retour,maissesregards,soncomportementetmêmesesétreintesontchangé.Il m’a fallu plus d’une semaine avant de la revoir après notre dernière rencontre chez lesjumeaux, deuxmois plus tôt. Sept jours à patienter enpensant devenir foupour enfin allerm’imposersansqu’ellemerepousse.J’avaistropenvied’elle,cejour-là.Elleaouvertlaporteetaacceptétoutcequenousavonsfaitensuite;commetouteslesfoisd’après,d’ailleurs…Sij’aid’abordétéétonnédesonaccueilsichaleureuxalorsquejem’attendaisàmeheurteràunmur,j’aitrèsvitecompriscequ’ellefaisait.J’aibienvusonchangementd’attitudeenversmoi.Le jour oùMatt est venu foutre samerde, ellem’en avait donné un bref aperçu. Elle resteaudacieuseetmesurprendtoujours,chaquefoisquenousnousretrouvons.Mais,lorsquenousfinissons,ellenes’attardeplus.Ellevientprendresonpied, tenirsapartdumarché,et riend’autre.Etcelamefaitmaldevoirquejenepeuxmêmeplusl’atteindreparcebiais-là.

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Nous arrivons à notre destination. Laure passe devant moi et entre pour aller saluer lesjumeaux, qui nous attendent. Il est tard et la nuit est déjà bien avancée, en cette soiréed’hiver.Aussi,quandnouspénétronsdansleslieux,ilfaittrèssombre.Lesjumeauxontjustelaisséunepetite lampedebureaualluméeau-dessusd’euxpendantqu’ils restentconcentrés,penchésau-dessusdeleursdessins.

–Laure!Çava?Mickaëlestlepremieràlavoiretàl’accueillirenvenantl’enlacer.Aucoursduderniermois,ilssesontrevusplusieursfoispourpeaufinersondessin.Ilssesontpeuàpeuamadouésl’unl’autre et commencent àdevenir amis.D’ailleurs, à les regarder,mesdeuxpotes apprécientbeaucoupLaure.Etcelle-cileleurrendbien.Elleplaisante,ritàleursblaguesdouteuses.Onpourraitcroirequ’ilsseconnaissentdepuisdesannées.Et d’un côté, voir ça me fait chier. En vérité, j’en crève de jalousie. Laure aurait pu êtrecommeçaavecmoi,maisellenel’estplus.Ellen’estplusdétendue,justemodérée.Cequimedonneune folle enviede lui crierdessus, de lui dire que celane faisait paspartiedenotreaccordetquejen’aipasfaittoutcetravailpourenarriverlà.Maisjesaisqueçaneserviraitàrien.Tantqu’ellenemeparlerapas,jenepourraipasl’aider.Alorsjecontinued’agircommeceluiquejesuiscenséêtre.Jecontinuedel’aideràconstruiresavengeanceetdelapoussertoujoursdanssesretranchementspourqu’ellemesauteàlagorge.Et cela fonctionne,dumoins laplupartdu temps. Il suffitque je luiparlede sa copine,parexemple, et elle montre les crocs. Dans ces moments-là, la baise avec elle devient plusbrutale.Lauresedéchaîneetjeretrouvecellequ’elles’obstineàtaire.Jemedemandesouventpourquoiellen’arrêtepastoutsimplementdecoucheravecmoi.Est-ce à causedenotre accord ?Pour sedéfouler ?Pour trouverunplaisir qu’elle a la flemmed’aller chercherailleurs ?Ou justepour surpasser sa copine?Parcequ’il faut êtrehonnête,Lauredéveloppeunsacrécomplexeparrapportàça.Dèsquejeprononceleprénomdecetteautre fille, elle sebraque.Dès lors, soit ellemequitte, soit elleme sautedessus.Et cepeuimportel’endroitoùnoussommes.Maevaestledéclencheurquiluifaitperdresesinhibitions.Jen’aimêmeplusbesoindepréliminaires.Laureestexcitéecommejamais.Quandjelavoiscommeça,jen’aiqu’uneenvie:recommencerpourqu’ellesortedenouveaudesesgondsetretiresonmasqued’indifférence.Jecroisquec’estpourcetteraisonquejeneluidispaslavéritésurMaeva.Cetterelation–quin’existemêmepas–n’aqu’unobjectif,etdèsqu’ilseraatteint,jebalanceraideuxoutroisvérités bien choisies à cette pimbêche. Cette fille est une sangsue, qui se croit sexy, alorsqu’elle se donne en spectacle. Et elle bave beaucoup trop, quand elle a une langue dans labouche.Jen’aijamaisautantdétestéembrasserunefille.Lesjumeauxfermentlaportedeleurboutiqueetnousentraînentausous-sol.Premièreporteàdroite,ilsonttoutpréparépourqueLauresoitàl’aise.

–Onvousfaitunepetiteséanceprivéerienquepourvous!mebalanceMickeyavecune

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minebourréedesous-entendus.Laurenousregardeavecunpetitsourireravipendantquejefusillemonpoteduregard.Voilàdessemainesqu’ilsmetannent,dessemainesqu’ilsveulentconnaîtretouslesdétailsdenotrerelation. Et je suis bien conscient que c’estma faute. C’estmoi qui leur ai tout raconté decette foutuesituationquim’échappe.Jen’aurais jamaisdû.Parcequemaintenant, ils jouentlesentremetteurs.SuivantlesindicationsdeMickey,Laureenlèvesonpulletsontee-shirtpourseretrouverensoutien-gorge et déboutonne ensuite son pantalon. Je suis en train de retirermonmanteaupour être plus à l’aise, quand je remarque les airs béats de mes deux potes. Tournés versLaure, ils lamatent.Putain, ils lamatent, cesenfoirés !Je leur tape l’arrièreducrâne.Laurerigole.

–Vousn’êtespaspayéspourregarder!– Oh c’est bon ! On a ouvert le salon juste pour vous, on a bien le droit à quelques

avantages!ricaneMickey.–Jecroissurtoutqu’ilestjaloux,leflicard!oseLudoenfaisantunhighfivedanslamain

desonfrère.Jeme retiens de leur en coller une autre. À nos côtés, Laure nous détaille comme si nousétions,ànous trois, le sujetd’uneétude scientifiquepoussée !En lui rendant son regard, jefinisdememettreà l’aise,dévoilantun tee-shirtquine laisseaucuneplaceà l’imagination.L’effetest immédiat :Laureretientsarespirationetsesyeuxbrillent.Elleafficheunsourireavide.

–Euh,lesgars,onvousadéjàprêtélasalleunefois,onnevapaslefairechaquefois!Ilvafalloirquevousappreniezàvouscontrôler,commenceMickaël.

–Çadoitêtrelesaiguilles!Çalesexcite!conclutLudo.Maisquellebandedelourds.Ilsseretapentlesmainsavecdesriresgras.Jevaisvraimentfinirparlesfrapper.

–Vousn’avezpasunboulotàfaireaulieuderacontervosconneries?leurrappelé-jeenleurdésignantlematérielcontenudansdespochettesstérilesposéessurunetablette.

–Onl’attend!rouspèteMickeyendésignantLaure,quimeregardetoujours.–T’étais tropoccupéà faire les yeuxdoux, joli cœur ! complète son frère avecun clin

d’œil.Jegrogne.Derrièremoi,Lauresedéplace,posesamainsurmonbrasaupassage,mesourit,puis va s’installer sur la table.Quand elle retire son soutien-gorge, je déglutis. Ils n’ont pasintérêtà enprofiter, cesdeux cons.J’espèrequ’elleneprévoitpasd’étendre sondessin sur lecôtéface,parcequejevaisvivreunmauvaisquartd’heure.

–Détends-toi,Alex,onnevapaslabouffer.Etjetepréviens,situnepeuxpasgardertoncalmeenl’entendantgémir,tusors!

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Ilsmeregardenttouslesdeuxavecdesairsmalicieux.Jelesignoreetm’assoisprèsdeLaurequiatournélatêteversmoi.Jefaisdoncdemêmepournepaslaquitterdesyeux.Jenesaispascequ’ilsvontluifaire,maisjefourmilled’impatiencederegarderletatoueurincrusterledessin sur son corps. Connaissant le travail des jumeaux, et après avoir vu les œuvres deLaure,lerésultatrisqued’êtrebouleversant.

–Jesuiscontentequetusoislà,medit-elle,sincère.–Jen’auraispasloupéça.

Ellelèvesesgrandsyeuxversmoiensouriant.Putain,elleestmagnifique.J’aihâtedevoirsesreinsparésdenoir.Le silence retombe. Le bruit de lamachine envahit la pièce. La séance commence.Nous neparlonspas,pournepasbriser labulledans laquellenoussommesenfermés.Jenesaispascombien de temps s’écoule, mais au bout d’un moment l’aiguille ne semble plus la brûler.Laurenegrimacequ’auxpremierscontacts,ensuiteellesedétend,habituéeàladouleur.

–Çava?Jenepeuxpasmeretenir.Nousnenousquittonspasdesyeuxtandisqu’elleopinedelatête.Etj’ail’impressionderevenirdessemainesenarrière,avanttoutecettemerde.Jenepourraispasdécrirecequejelisdanssonregardmaisellesemblesereine,presquepaisible,malgrélesonetlamorsuredelamachine.Ellenesecrispequeparmomentsenfronçantlessourcils.Au bout d’un temps, sans savoir comment,mon bras se trouve à pendre près du sien. Nosmainssontcollées,nosdoigtsentrelacés.Cequemeprocuresapaumecontrelamiennefinitd’achevermapatience.C’estàcemoment-làquejemelepromets:aprèssarevanche,jeferaitoutpourqu’ellemerevienne.

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Alexandre

Je roule depuis une heure seulement, et déjà, penser à ce qui m’attend à l’arrivéeme faitchier. En apparence je suis plutôt calme. Ma conduite est même limite trop modérée parrapportàmeshabitudes.Maisàl’intérieur,c’estloind’êtrelecas.Le grand soir est arrivé.Mon sac,mon rôle,mamotivation proche de zéro : tout est prêt.Encore quelques heures de route et je rejoindrai tout ce petit groupe impatient de faire lafête. Je suis prêt à entrer en scène. Séduire, flirter, hypnotiser en utilisant mon corps : jeconnais.Celam’emmerdejustedesavoirpourquijelefais.C’estLaurequejeveuxrejoindrelà-bas,passasœur.Surtoutaprèsavoirgalérépourpouvoirl’approcherdenouveau.ToutçaàcausedecetenfoirédeMatt.Ce connard a encore tenté deme refaire le portrait. Cette fois je n’y suis pas allé demainmorte.LoindeLaure, j’ai laissémahainepourcetenfoirémebouffer.Ilestallétroploinladernière fois et il s’en est sorti, là je l’ai démoli. Et quand je lui ai montré ma plaque enréitérantmesmenaces,ilablanchi.Jenepensepasavoirreçuautantd’insultesenuneseulephrase.Depuis,jelefaissurveillerrégulièrement.Jesaisqu’ilaperdusonboulot,qu’ilboitbienplusqu’ilnedevraitetqu’ilnevoitplusLéapourlemoment.Jemefélicitequ’ilsombreunpeu,même si je redoutequ’ilne se laissepas faire éternellement.Nousavonsquandmêmebienbousillésacarrière.Celam’étonneraitqu’ilpuissetrouverunboulotdansl’immobilieràParis,dorénavant.C’estunpetitmilieudanslequellesscandalesfontviteleurchemin.J’espèrejustequetoutecettehistoireneseretournerapascontreLaure.J’auraisdumalàmeretenirdelebuters’illuifaisaitdumal.

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Après trajet interminable, j’arrive enfin au puy de Sancy, dans le Massif central. La saisonhivernale bat son plein dans cette station de ski. Le village est assez petit quand on lecompare à la montagne qui le surplombe, et il borde un lac de plusieurs kilomètres decirconférencequidoitcertainementservirdebasedeloisirsl’été.Jeme gare dans unparking au piedd’un gîte à trois étages.Celui-ci arbore un style chaletcossupourvacanciersfortunés.Laurem’a confirmé qu’elle n’a pas lésiné sur les dépenses. Même avec la participation desinvités,lalocationicidoitêtrehorsdeprix.Jenesaispascommentelleapufairegoberàsasœur qu’elle pouvait tout assumer financièrement avec le garçon d’honneur. Mais jecommenceàêtrepersuadéqueLéane seposeaucunequestionet estimemériter toutes lesattentions.Elle se foutcomplètementde tout lemondeet surtoutdesa sœur.Ellecontinueparexempledesortiravec lesmeilleuresamiesdeLaurealorsquecelle-ciesten froidavecelles.Léaestconsuméeparlajalousie,j’ensuispersuadé.Notreplanquiseprofiletombedoncàpic.J’aifollementenviedemejouerdecettesalope:delafairesaliveretdelapiégerpourmieuxl’écrabouiller.De nombreuses voitures sont garées autour du chalet. Je n’ai pas pris de réservation. Enpleine saison, le lieu affiche complet. Et puis, je dois passer la nuit dans un endroit bienprécis.Jen’aidoncpasàmeposerlaquestionducouchage.Jedescendsdanslefroidarméd’unmanteaudeskiquimetientassezchaudpourpouvoirmebaladertranquillementauxalentoursenattendantmonheure.JedonneraischerpourpouvoirentrertoutdesuitechercherLaureàl’intérieuretl’emmenerdansunendroitoùjepourraisêtreavecellesansexplication.Jel’aiquittéehiersoir,etdéjàj’aienviederetrouverlachaleurdesoncorpscontremoi.Elleest laseulequej’aienviedevoir,dosàmoipendantquej’admireraietcaresserai letableauqu’elles’estfaittatouersurseschairstendres.Lerenduestmagnifique.Toutennuancesdegris.Mickeyluiaécritsurlapeaupendantdesheures, dessinant les courbes qu’elle voulait jusqu’à l’apparition d’un oiseau immense : unphénix à moitié décharné, déployant ses ailes pour prendre son envol. Ses pattes sontentouréesdecerclesetdelignesressemblantàdesrubansetàdestigesd’épines.Etdanssesserres,elleadessinéuneroserougemassacréeparlesgriffesdel’oiseau.Despétalestombentjusqu’àlachutedesesreins.Iln’estpasencoretoutàfaitcicatrisé,parcequ’elleadûrefaireuneséancepourparfairelacouleurdesafleur.Maisjesaisquejepourraisluimordrelapeauàd’autresendroits.Jel’aifaitlaveilleetjenepensequ’àrecommencer.Cesoir,aprèsavoirrejointlegroupeetjouémonrôle,j’irailaretrouver.

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Laure

Cettesoiréeestd’unennui…JeneconnaispastrèsbienlesamiesdeLéa,maisàlesvoirrigolercommedesahuries,faceàdeuxoutroissex-toys,jecroisquejen’airienloupé.Ellessesontbientrouvées,finalement.Léaestunemégèreentouréed’insipides.Jesensquelerenduaumariagevaêtreintéressant!J’ensuisàmoncinquièmeverredevinblanc.Oui,parcequequandonfaitunenterrementdeviedejeunefilleenmontagne,onnesesaoulepasavecduwhiskyoudelatequila.Onresteenmodegirlyens’enfilantdescocktailsaunomimprononçableoudukir.J’aidéfinitivementenvied’allermeplanquerdansuncoinetqu’onme foute lapaix.Je suismême allée jusqu’à envoyer un message à Sarah pour qu’elle m’appelle après le travail etqu’elle me change les idées ! Mais en attendant, je dois prendre mon mal en patience.Autrement dit, je dois noyermon désarroi toute seule ! Et ce n’est pasmes « amies » quipourrontyfairequelquechose.Adèle et Maeva ne m’ont pour ainsi dire pas adressé la parole depuis que nous sommesarrivées.J’airéussiàleséviterdanslavoitureenfaisantsemblantdedormiroud’écouterdelamusique.Maislà,onnepeutplusnierqu’ilyaunecertainetensiondansl’air.Celafaittroismoisqu’onneseparlepresqueplus.Ellesonttentémaintesfoisderecollerlesmorceaux,maisjen’airienvouluentendre.Léaal’aird’enprofiter.Ellesemontremielleuseetattentiveàl’extrêmeavecelles.Àcroireque ce n’est pas uniquementmonmec qu’elle essayait demepiquermais toutema vie. Vumesrelationsavecmesdeuxamiescesdernièressemaines,celan’auraitpasdûmedérangeroutremesure. Or ce n’est pas le cas.Mais je nemontre rien. Ce n’est pasmoi qui ferai lepremier pas. Elles se plantent si elles croient que je pardonnerai, sans qu’elles se soient

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d’abordexcuséescommeilfaut.Jenesaispassijeparviendraiàoublier,mêmedanscecas-là.Jemerendsbiencomptequ’unepartdemoiesthypocrite,carjeleuraimentisurpasmaldechosesmoiaussi.Maisjenecessedemerépéterquesiellesm’avaientparlé,jen’enseraispaslà aujourd’hui. J’auraispeut-êtrequittéMatt, trouvéunautrehommebienmeilleur.Mais jen’auraispasnonplusconnutouscesmomentsavecAlexandre…Etàforcedequestions,jenesaisplussijedoisleurenvouloiroupas.J’enarriveàmedireque si je maintiens cette distance, c’est parce que j’ai accepté de continuer à fréquenterAlexandre.Celamepermetd’enprofiter,sansmesentircoupable.Jusqu’àmaintenant,lasoirées’estdérouléesansencombre.Aprèsl’arrivéeaugîte,nousavonsgagnénoschambresdirectement.Noussommesrépartiesdanslechaletparmid’autresclients.Lesgarçonssontàl’étageendessousdunôtrepourrespecter«latradition»:cequ’ilsepasseauquatrièmeétagedecechaletresteauquatrièmeétage.Lesinvitésdisposentdechambresdetroispersonnes.Etbienentendu,vuquelarépartitionaétéfaitedesmoisauparavant, jemesuisretrouvéeavecAdèleetMaeva.Bonjourl’ambiance!Jedoisavouerquesurlecôtégirly,j’aiassuré.DanslachambredeLéa,letraiteurchoisiestvenu dresser un buffet digne de celui d’une baby shower : cupcakes, sucettes au chocolatparseméesdepaillettesetbonbonss’harmonisentdansdesnuancesderose.Onsecroiraitaugoûter d’anniversaire d’une gamine de huit ans.Mais Léa adore. Jeme demande vraiment sinoussommessœurs.Jeme suismise surmon trente-et-un. Je porte une petite robe dos nu : blanche, évasée etbientroplégèrepourlasaisonetl’environnementdanslequelnousnoustrouvons.J’aienfiléunevesteencuirpourdissimulermontatouage,dumoinspourlemoment.Mescheveuxsontrelevésenunchignonbasetemmêlépourlaissermanuquedégagée.Jesaisqu’Alexandren’yrésistepas.Inconsciemment,jeveuxêtrejolie.Cesoir,ilvaseconcentrersurmasœur,maisjeveuxqu’iln’oubliepasmonimage.Finalement,aprèsunénièmecriaiguetunehilaritégénéraleprovoquéeparuneanecdotesurune culotte vibrante, mon téléphone sonne. Si Sarah avait été près de moi, je l’auraisembrassée.Jedécroche.

–Au secours,Sarah, viensme sortirde là ! je lui lance toutde suite, enm’écartantdel’effervescenceetensortantsurlebalcon.Mon amie rit au bout du fil. Nous sommes devenues très proches au cours de ces derniersmois,surtoutdepuisqu’ellem’aaccueilliechezelleaprèsmondépartdechezAdèle.Louersachambre d’amis est lameilleure chose quime soit arrivée ces derniers temps. Elle apportefraîcheuretspontanéitédansmonmondesensdessusdessous.Elleestmaboufféed’oxygènealorsquemoncœurestserréenpermanence.

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–Neprendspascetondésespéré!Jesuissûrequec’esttrèsbien.Ellerigoledeplusbelleàsapropreblague.

–Cen’estpasdrôle.Ellesvontavoirmapeau!J’aipresquebuunebouteilledevinàmoitoute seule, et je trouve toujours tout aussi chiant. Elles viennent de se lancer dans uneréunioncoquineetrigolentcommedesoies.LeriredeSarahnes’arrêtepas.

–Sarah!lagrondé-je.–Pardon!Maissitut’entendais…

Jegrogne.Unsourirecommenceàpointerauborddemeslèvres.–Heureusementquecen’estpastoiquifaislesaleboulot,cesoir!medit-elle.–Ouais…D’ailleursjen’aiaucunenouvelled’Alex.Jenesaispasquandilvaagir.–Net’enfaispas, jesuissûrequ’ilnevapastarder.C’est leclouduspectacle,n’oublie

pas!Comment l’oublier alors que celame fait tellementmal ? J’ai beaumeprotéger depuis desmoisetbloquermessentimentsnaissants,ceux-cin’enfontqu’àleurtête.Ilsontfranchimesrempartsdepuisbien longtempspourne laisserdemoiqu’une façade.Une façadequi va sefissureràlasecondeoùjesauraiAlexandreseulavecLéa.

–Tuvasadorercequ’ilapréparé!D’ailleursilnedevraitpastarder,vul’heure.Allezjetelaisse,profites-enbien!Jelasalueetelleraccrocheavecundernierbaiserpleindejoie.Moncœurestpansépouruninstant.Sijeperdstoutaprèstoutcequejeprojette,j’espèrequ’elleseralà.Jereviensdanslachambre.Lebruitdeleurjacassementm’attaquelestympansàlaminuteoùj’y pose le pied. Je soupire. J’ai hâte qu’il arrive. Je pourrai enfinme concentrer sur autrechose.J’avance dans la pièce en lançant un sourire rassurant àma sœur quime regarde d’unœilsuspect,quandonfrappeàlaporte.J’attrapeunenouvellebouteilledevinsurlebuffetetmeremplisunnouveauverrependantqu’unedesamiesdeLéavaouvrir.Je tourne la tête vers la porte tandis que celle-ci s’ouvre lentement. Comme elle, j’ail’impression quemon cœur tourne au ralenti. L’homme qui se tient dans l’encadrement esthabilléenflic.Ilalatêtebaissée,lesbraslelongducorpsettientunematraque–qu’iltapeàunrythmeréguliersursacuisse–dansunedesesmains.Trèssexy!Sarahn’apasmenti : ils’estpréparé.Monrythmecardiaquepartenchutelibre.Alexandreentredanslapièce.Son regardnoir scrute chaquevisage. Il s’attardeunpeuplus longuement sur lemien,maissans perdre son expression fermée. Il n’a jamais été si intense, si ténébreux. Et avec sonuniforme quimoule le bas de son corps, je crois qu’il nem’a jamais tant excitée.Dans sonautremain,ilaapportéuneenceinteetsontéléphone.Iln’yaplusaucundoutepossibleàcequ’ilvafaire.Cequinem’aidepasàretrouvermesmoyens.

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Il est en trainde jouerun rôle.C’est cequenousavionsplanifié. Jeme répète cette litanieenbouclepourmecalmer.Àpeinecinqsecondes.ÀpeineunregardaffamédeLéasurlui,puisdeMaevaàsasuite,etjebousdel’intérieur.Jemecrispeenm’efforçantdepenserquec’étaitnotreplan,quenousavonstrouvéLemoyenidéal pour parvenir au résultat escompté et que rien de tout cela n’est réel. Il n’est pasvraiment en traind’entrer parminous et il n’est pasnonplus en traind’attraper Léapar lamainpourl’asseoirsurunechaiseaumilieudelapiècealorsqued’autresfilless’installentsurlescanapéspourprofiterduspectacle.Pourmarquer lecoup–qu’ellepayeencoreunpeupluscher–,etpourqu’Alexandrepuissel’approcher sans qu’elle ait de « colocataires », je lui ai loué une immense chambre doubleavecunespacesalonoùnousavonsinstallélebuffet.Lesfillessontdoncbieninstalléespouradmirerlefuturdéhanchédemoncomplice.Alex ne regarde plus que Léa, ses sourires lui sont désormais réservés, ses gestes lui sontdédiés.Jenesaispass’iladéjàjouéàcejeuauparavant,maisildégageunegrandesensualité,mêmesansavoirretirélemoindrevêtement.Ilporteunetenuedepoliceofficielle.Jenesaispassiellerespectesongrade,maiselleestcomposée d’une chemise bleu ciel avec l’écusson fort reconnaissable, d’une cravate bleumarines’accordantavecsonpantalonetdebootsquirappellentsonstylesalegosse.Iln’apasdeképietagardésescheveuxdécoifféspartantdanstouslessensainsiqu’unefinebarbebientailléeautourdesabouchelisse.Je suis pétrifiée, totalement immobile, et incapable de ne pas le dévorer du regard.Heureusementquelesfillesmetournenttoutesledos,sinonellesserendraientcomptesur-le-champ de mon amour transparent pour cet homme. Pour ne pas attiser les soupçons, etmalgré leur indifférence, jemerapprochede leurs siègespourm’installerauxcôtésd’Adèle.Celle-cimeregardeavectendresseetmesourit.J’essayedeluirendrelapareille,maisjemeconcentrebientropsuruntoutautrespectaclepourm’inquiéterdel’avenirdenotreamitié.Alexandrepose l’enceinte connectée à son téléphone sur lemeuble télé, puis appuie sur unbouton. La musique se lance : I’m Picky de Shaka Ponk. Je connais cette chanson et sesparoles.Ellesparlentd’unhommesexyquienchaînelesfillesd’unsoir,lesrendfollesdedésirpour luisans jamaiss’attacher.Jemedemandes’ilveutfairepasserunmessage.Etsioui,àqui.Àmoi?L’intro retentitpendantqu’il tourneautourde lachaisedeLéa, lamatraque tapantdanssesmainsaurythmedesespasetdelabatterie.Audeuxièmetour, il faitglisser lemanchesurles bras de sa proie et la regarde ardemment, rapprochant son corps d’elle de façonimperceptible.Lamusiquemonte crescendo et devient de plus en plus rock. Au refrain, il se déchaîne. Ilbalancesoncorpsetsatêteaurythmedelaguitare,enlèvesacravatepuisl’enrouleautourdeson poing, défait les boutons de sa chemise. Son torse doré apparaît peu à peu en même

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temps qu’il écarte les pans l’un de l’autre. Il nous offre ainsi une vue imprenable sur sespectoraux et ses abdos si bien dessinésmis en avant par une huile dont il s’est enduit. Latempératuredemoncorpsgrimpeenflèche.La chemise pendun instant dansunede sesmains, tandis que les filles autourdemoi sontsurvoltéesetcrientpourqu’illaleurlance.Cequ’ilfaitenriant.Ilparaîtsidétendualorsquejenesuisqu’unebouleenfusion,prêteàluiarracherlerestedeses affaires ou à quitter la pièce pour ne pas voir ses coups d’œil en directionde Léa. Il serapproche encore d’elle, passe ses jambes autour des siennes et attrape ses doigts délicatspour les placer sur ses cuissesmusclées. Il bouge les hanches en dénouant sa cravate d’unemain.Il l’attrapeavecl’autrepuis lapassederrièrelanuquedemasœuretattiresonvisagejusqu’àlui.Ilnevapasfaireça,quandmême?Je reprendsma respiration lorsqu’il s’arrête à quelques centimètres, lui décoche un sourirepercutantet sedétached’ellepour reprendresesmouvements.Sadansecontinue.Àchaquecouplet, il enchaîne les attouchements, les caresses et les provocations sur la reine de lasoirée;auxrefrains,soncorpsdanse.

–Tusavaisqu’ilallaitvenirfaireça?demandeAdèleàcôtédemoi,ensetournantversMaeva.Jetournelatêteversmesamiesetregardelablonde.Sonregardnequittepaslecorpsdesonpetitamientraindebougerdevantmasœur.

–Non.Ellesemblestupéfaite,etvraimentjalouse.

– Comment voudrais-tu que je le sache ? vocifère-t-elle ensuite. Nous ne sommes plusensembledepuislongtemps.

–Quoi?Lemotm’aéchappé.Ilsnesontplusensemble?Commentça,ilsnesontplusensemble?Maevame regardeahurie,mais jem’enmoque. Iln’estplusavecelle.Moncœurapeurd’ycroire.Je reporte mon attention sur Alex. Il est en train d’ouvrir son pantalon et de le baisserlentementsurseshanches.Ilneporterienendessous.Satoisoncommenceàapparaîtreavantqu’ilnesetourne.Sondosmusclés’exposealorsàtousnosregards.Moncœurcogne,tambourine,prêtàsortirdesacage.Je levoispresque tous les joursetchaque fois l’imaged’un tatouagedansedansmon imagination.Sapeauest faitepourêtremodifiée, embellie, sublimée.J’aimerais lui enproposerun…Maevapivoteversmoietsepencheau-dessusd’Adèlepourmedemander:

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–Toiquileconnaissibien…commence-t-elled’untonpleindesarcasme.Tusaiss’ilsortavecquelqu’un?

–Non.Etc’esttoutcequejeréponds,peuimportesaréactionetledoutedanslequelcelalalaisse.LamusiquecesseaumomentoùAlexs’apprêteàdescendresonderniervêtementplusbas.Matensionredescenddequelquescransalorsqu’ilsalueenriant.J’aieupeurqu’iln’aillejusqu’aubout.Alors que les filles se lèvent, je fais demême,mais je les laisse entre elles et pars vers lebuffetpourboireunverre.J’enaibienbesoin.Les rires continuent derrière moi quand je sens quelqu’un approcher. Alex vient de merejoindre.Sonpantalonremontésurseshanches,maisouvert,medonneunevueimprenablesurlespoilssombres,enbasdesonventre.Ilm’adresseunrictusgoguenard.

–Çateplaît?murmure-t-ilpourquejesoislaseuleàentendre.Son corps se rapproche, sa main frôle mon bassin discrètement. Derrière lui, Maeva nousobserve,suspicieuse.

–Çameplaîttoujours!Lebrouhahadevoixaiguëss’intensifiedans lapièce.Jemeretourne l’airderien, lahanched’Alexandreeffleurantlamienne,etjevoisLéaquiseraclelagorgepourprendrelaparole.

–Jecroisqu’onesttoutesd’accord,lesfilles:cesoir,onséquestreAlex!Ses copines l’acclament surexcitées. Léa se tourneversAlexandre, quiprenduneexpressionravietotalementfeinte.

–Tuvasnoustenircompagnietoutelasoirée,monbelAlex.Jedécrypteévidemmentledoublesensabominabledecettephrase.

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6

Alexandre

Aprèsmon petit numéro de charme, les filles ont décidé d’aller profiter de la fin de soiréedansunbarauborddel’eau.Ellesétaientdéjàcomplètementpétéesàmonarrivée,etdoncplutôttactiles,alorsj’imaginedéjàcommentvasedéroulerlerestedelasoirée.Lauren’aquasipasquittémonpérimètredepuisquenous sommespartisduchalet.Lavillen’est pas très grande, c’est donc à pied que nous rejoignons le lieu où se poursuivront lesfestivités.Maeva,devantmoi, sonbrasautourdeceluide sapote,necessedeme jeterdescoupsd’œil.Laureàmescôtés,latêtehaute,n’esquisseaucungestedéplacéàmonégardmaisnes’éloignepaspourautant.Avantdesortir,elleafaitundétourparsachambrepourenfilerunepairedecollantsenlaineetdesbootsencuir.Avecsarobedepetitefille,l’effetestrock’n’roll.Jeluiaid’ailleurssouriquandelle est sortiede lapièce.Puis Léaaglissé sonbras autourdumienet l’instant s’estbrisé. Laurene s’estpasdémontéepourautant.Ellenousa rejointspour continuer la routeavecnous.Nousréussissonsàtrouverunpubpastroploindulac.Étantdonnésasituationetlapériode,il est bien sûr bondé. Nous parvenons tout de même à nous approcher du bar et à nousinstaller au comptoir sous l’œil intéressé de quelquesmecs en vacances dans la station. Lesfillescommandentdesshots,moiunebière.Des rires aigus résonnent autour demoi. Rien n’est plus barbant qu’une soirée entre filles.Surtout lorsqu’ellessontpompettes.Lesheuresvontêtre longuesenattendant ladélivrance.

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MonseulréconfortestqueLaurearéussiàseglisseràmescôtésetque–toutenfaisantminederireauxblaguesdeLéaetdesescopines–jepeuxsentirsajambesecolleràlamienne.Jeneprendspaspartauxconversations.Laurenonplus.Latensionentrenousestentraindegrandir. Et personne ne la voit. Pourtant, elle n’arrête pas de bouger. Elle joue avec moi,m’effleure,souritencoinsansmeregarder.Sarespirationestprofonde.Dansmonchampdevision, je vois sa poitrine se soulever avant de se bloquer par instants, trahissant ainsi lerythmedésordonnédesbattementsde soncœur.Ondiraituneadolescente flirtantavec sonpremierbéguin.J’aimeraisluiendonnerplus,passermonbrassanséquivoqueautourdesesépaules,prendresabouchesansmeretenir.Maisjenelefaispas.Àlaplace,jemecoltineunegarcecollante.Auboutd’unmoment,aucundenousdeuxne faitplusattentionàcequinousentoure.LescopinesdeLéasontautourd’elleet se lancentdansun jeud’alcool stupide,àbasedegagestordus.Maistrèsvitemoncerveaunelesentendplus.Laureesttoujoursdeboutprèsdemoi,sonbrasesttoujourscolléaumienetmeprovoquedesfrissonslorsqu’ellebouge.Elleboitsabièrelentement,bientroplentement,etfaitglisserleliquidedanssaboucheentrouverteenmenarguant,avantdemeregarderfurtivementavecsesyeuxbientropallumeurs.Sanspenseràcequejefais,matêtesepencheverselle.Lauresouritdemevoirfaire.Elleseredressepourserapprocheràsontour.Cen’estpasdiscret.Cen’estpasprémédité.C’estjustel’impulsiondumoment,quelquechosequinoustientenhaleinetous lesdeux.Jerespiredemanièresaccadéeetnebougeplus.Combattrecetteélectricitéestimpossible,ellefaitpartiedenous.Laureseressaisitavantmoi.Aprèsunegorgéedeplus,bientroplongueetsavoureuseàmongoût–etsurtoutaprèsm’avoirfaitbandercommejamais–,ellesedétachedemoi.Je la vois jeter un coupd’œil à ses amies, puis soupirer d’exaspération quandMaeva, aprèsl’avoir inspectée, soupçonneuse de sa proximité avec moi, détourne la tête, la mâchoireserrée.

–Jereviens,dit-ellesimplement.Elle s’éloigne vers les toilettes. Je détaille ses courbes avant qu’elle ne disparaisse demonchamp de vision. Détourner les yeux est un effort insurmontable que je n’ai pas envie defournir.Maeva le remarque. Quand je tourne la tête vers elle, ses sourcils sont froncés decolère.Jenesuisdoncpasétonnéquandelles’excuseàsontouretpartà lasuitedeLaure,d’unpasdéterminé.Jesensdéjàlesemmerdes.Pourtant,ilnedevraitpasyenavoir.Jeneluidoisrien,Laurenonplus.SadémarcheestbeaucoupmoinsgracieusequecelledeLaure.Commemoi,Adèlelaregardepartir avec un air inquiet. La brune semble hésiter. A-t-elle senti commemoi qu’il y avaitmatièreàembrouilleentrelesdeux?

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Lesminutespassent.Léa,quiavuuneouvertureavecledépartdesasœur,s’estmiseàcôtéde moi et a engagé la conversation sur mon boulot. Elle me baratine depuis sur sonadmirationsansfaillepourlesgensdemaprofession.Sondiscoursmefaitchier,maiscommejedoisresteràfonddansmonrôle,jenelarepoussepas.Lebut,cesoir,n’estpasdelafairefuir,maisbiende laséduire.Adèlenousregarde,sesyeuxseposantplus longuementsur lafuture mariée. Elle lève un sourcil. Cette fille a l’air d’être intelligente. Je crois qu’elle aparfaitementsaisilepetitjeudeLéaàmonégard.Laurenerevienttoujourspas.Cettefois-ci,jedécidedelarejoindre.PrenantcongédeLéaenprétextantunbesoinpressant,jemedirigeverslestoilettes.Jenedevraispasm’approcher.Jepourrais tout faire foirerenmemêlantde leurshistoires.Mais les cris hystériques de Maeva provenant de l’intérieur gomment mon hésitation.Instinctivement, j’avanceplusvite.Toutceque jeveux,c’estvoir siellenes’enprendpasàLaure.Etladégagersic’estlecas.

– Je te le répète encore une fois, Laure, crie la furie. C’était quoi ce que j’ai vu àl’instant?

–C’était justeuneconversation,répondLaure insolente.T’asdûtemonter latêtetouteseule.

–Nememenspas,Laure!–Écoute,Maeva,jenevoispasdequoituparles,alorsabrège.– Arrête de faire l’innocente, vous étiez prêts à vous sauter dessus. Tu le dévorais

carrémentdesyeux.Tumeprendspouruneconne?–Jenevoispaspourquoijeferaisça.

Laure joue très bien la jeune fille innocente mais je sens la morgue qui accompagne sonretour.

–Arrêtedetefoutredemagueule!Jeconnaisleregardqu’ilt’alancé,hurleMaeva.Jel’aidéjàvu.Silence.Tantquejen’entendspasdecoups,jen’intervienspas.

–Çafaitcombiendetemps?Laurenerépondpas.Jel’imaginetrèsbienlesbrascroisés,jetantunregardduràsonamie.

–Jecroisqueçaneteregardepas.–Depuisquand?s’énervelablonde,follefurieuse.–Jenerépondraipasàcettequestion.–Enmêmetempsquemoi?

Laurenerépondtoujourspas.–Tuascouchéaveclui?interroge-t-elleensuite.–Jet’avaisprévenue,Maé.Jet’avaisditqu’ilteferaitsouffrir.

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–Nem’appelle pasMaé, putain ! s’énerve la blonde.Nem’appelle pas comme ça !Nem’appelleplusdutout,même!Pourquoit’asfaitça?Tusaistrèsbiencequejeressenspourlui!

–Non,jenelesaispas.Toietmoionneseparleplusdepuisdesmois.Tuveuxpeut-êtrequejeterappellepourquoi?

–Ettuenasprofitépourluisauterdessus?Maevajureenmarmonnant.

–Putain,c’estmonex,merde!Jecroyaisqu’entrenousc’étaitautrechosequ’unesimpleamitié,Laure,quenousserionstoujourslàl’unepourl’autre.Ettumefaisça?Enfait,tun’esvraimentqu’unesalope!TuméritesqueMattsesoittapéuneautrefille.La claque part très vite. Le bruit est reconnaissable. Je me redresse, aux aguets, prêt àintervenirsibesoin.

–Jeneveuxplustevoir,annonceMaeva.La porte des toilettes s’ouvre à la volée.Mon ex-petite amie en sort, lamain sur la figure.Quandellemevoit,elles’arrêtenet.Sonvisagetrahitsatristesse.Detouteévidence,ellenesefaitplusd’illusionssurmoi.

–Tun’esvraimentqu’unsaleconnard!souffle-t-elleenpassant.Elles’éloigneaupasdecourse.Jelavoispartirverslebar,direunmotàAdèlequisetourneversnous,puisl’emmeneràl’extérieur.Laure,savestesurlebras,quittelessanitairesuneminuteaprès.Ellem’aperçoitetvientversmoi,leslignesdesoncorpsondulantsoussonpasféminin.

–Tuétaisobligée?jeluidemandequandelleesttoutproche.Maintenant?Ellehausselesépaules,effrontée.

–Maintenantouplustard,c’estpareil.Laure semble avoir oublié un petit paramètre. Un détail qui se trouve près du comptoir etregarde dans notre direction. Je tourne la tête versma complice et lui désigne le bar d’undiscretmouvementdementon.

–Oups,dit-ellepoursimpleréponse,maisavecunpetitsourireauxlèvres.– Ouais, « oups ». Maintenant c’est sûr, Léa est au courant. Tu ne me facilites pas la

tâche.Maislabrunequimefaitfaceestcelleaucaractèredefeu,incontrôlableetsûred’elle.Cequejepeuxaimer lavoirdanscetétat : libérée, semoquantde toutetde tout lemonde,nesesouciantmêmeplusdesavengeancepourquelquesinstants.

–Tuauraisputeretenir.–Jen’ypeuxrien,c’estellequiavoulusavoir.Ellem’aénervée,bougonne-t-elle.

Jel’observe,amusé.–Tuauraisvusatête,s’agace-t-elle.Ellen’attendaitqueça:meprovoquer.Ellen’apas

arrêtédeparlerdevous.Jen’aipaspurésister.

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Elle soupire, sachant très bien qu’elle est en faute mais ne regrettant pas son geste. Sonattitudemeplaîténormément.Sapartégoïsteseréveille,commelesautres.

– Je vaisdevoir rattraper le coup,maintenant, j’annonce, feignantd’êtremécontent. Etsortirl’artillerielourde.Jeluidécocheunsourireéclatant.Maiselleaperdusabonnehumeurenuneseconde.Est-celesimplefaitdeparlerdeLéa?Enjetantunregarddanssadirection,jeconstatequecelle-ciatoujourslatêtetournéeversnous.Putain,elleestcurieuse,jemarmonneentremesdents,enbaissantlesyeux.Jeréfléchisuninstantettented’analysercequejeconnaisdesasœur.J’aipeurqu’elleneselaissepasfacilementavoir.Unefilleaussisournoisedoitforcémentreconnaîtrequelqu’unquisefoutdesagueule.

– J’ai une idée, murmuré-je à Laure peu de temps après. Mais tu devras arrêter dedéfendretonterritoire.Ettunemontrespastontatouageàtasœurdemain,ok?J’aibesoinqu’elletecroitinoffensiveetinnocente.

–C’esttafaute.Situn’avaispasagicommeçaaubar…riposte-t-elleencroisantlesbras.–J’aifaitcequ’ilfallaitpourêtreunpeuavectoi.

Labrunesouritpuisserenfrogneenpensantàcequ’elleavaitprévupours’exhiberenmaillotetquejeluiretireavecmonchangementdeprogramme.J’aiuneidéepourrattraperlecoup,maiselledoitsemontrerdocile,avecLéaessentiellement.

–Laure?–Ok,abdique-t-elle,sachantcequej’attendsd’elle.Jeneluimontreraipas.–Trèsbien.

Jelèvelatêteunesecondeverslebar.Putain,cettefillenelâchepasl’affaire.–Ilfautquetujoueslejeu.Faiscommesicettesituationn’étaitpasbizarre.Regarde-la,

fais-luiunsigne,unsourireetembrasse-moi.Aiel’aird’assumer!Laure a reporté son attention sur moi. Et pendant ma tirade, son regard s’est chargéd’étonnement.

–C’estça,tonidée?demande-t-elle.Nousafficherencoreplus?Tun’enaspasdeplusmauvaise,pendantqu’onyest?

–Fais-moiconfiance!Jesaiscequejefais.Madéessehésite.Ellemescrute.Sonregardchercheunefailledans lemien.Et finalement,elle se laisse convaincre. Elle fait un pas, approche ses jambes qui se posent contre lesmiennes;sonbassins’arrêtesouslemien.Ellesemetsurlapointedespieds,passesesbrasderrièrema tête etm’attire. Alors qu’elle prend tout son temps pourm’attirer à elle, je lacontemple.Ses yeux fixent mes lèvres sans les quitter. Son souffle s’accroche sur ma peau. Ses doigtsgrimpent et s’entortillent dans mes cheveux. Elle est magnifique. Elle maîtrise la situationalorsqu’ellevientde la fairevaldinguer il yaquelquesminutesàpeine.Jedois rattraper le

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coup.Voilàlapenséeàlaquellejesuiscapabledem’accrocheravantquesabouchenefondesurlamienne.Ses lèvres sont douces, affamées, dévorantes. Sa langue est une maîtresse dans son art,s’amusant à jouer avec mes sens. Son goût m’enivre lorsqu’il s’éparpille sur mes papillesassoiffées d’elle. Pour ne pas donner l’impression que je suis complètement envoûté, mesmains restent immobiles sur seshanches. JeveuxqueLéavoie l’imaged’uneLauredésiranttoutprendredemoi,sansquejesoisvraimenttroublé.Envérité,toutl’inverseestentraindeseproduire:Laureestentraindemeretourneretjedoisfaireappelàtoutemavolontépourlarepoussergentiment.Aumomentoùnousnousregardons,elleestessoufflée.

–Jevaisyaller,jechuchoteprèsdesabouche.Toi,tuvassortiretprendrel’air,pasaumêmeendroitqueMaeva.Elleacquiesce, toujoursdans les vapes. J’ai l’impressionque cebaiser l’a laisséepantelante.Assuréde voir qu’elle a compris la suite des événements, je commence à partir. Jen’ai faitqu’unpasquandsamainmestoppedansmonélan.

–TuasrompuavecMaeva?Jeveuxdire,depuislongtemps?Sonexpressionachangé.Sesbeauxyeuxnoisettemedévisagentàlarecherched’uneréponse.Elle semble en apnée, suspendue à ma réponse, comme si son alimentation en oxygènedépendaitdecequejevaisdireàprésent.Etàlavoir,plongéedanscetteattente,jesaisquejen’aipasenviedejouer.

–Oui.Je n’ai pas pu continuer. Pendant son absence, il y a troismois de cela, quand sa copine acommencé àme chauffer pour repasser dansmon lit, j’ai compris que je la trahirais àmontour en faisant cela. Je ne pouvais pas, même pour la faire enrager. Qu’elle y croie alargementsuffi.Sa poitrine se gonfle. Son sourire s’épanouit. Et ses yeux semettent à briller comme si jevenaisdeluioffrirleplusbeaudescadeaux.

–Pourquoi?–Jen’enavaispasenvie,affirmé-jeenladévorantduregard.–Pourquoi?

Savoixbaissepeuàpeuetdevientrauque.–Laure,tunedevraispasfaireça.J’aienviedetoi.Etjet’assurequejesuisàdeuxdoigts

deterameneràl’hôtel,pourtefairetoutuntasdetrucsquiteferontjouirencoreetencore.Alors,nemetentepas!

–Ok,jeseraisage.Putain, le ton est si sensuellement tentateur qu’il réveille enmoi des images de nous danstoutes lespositions.Notammentunedecellesque jepréfère :elle la têterejetéeenarrière,sousl’intensitédelajouissance.

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–Jevaisvoirtasœur.Vaprendrel’air.Jemerapproched’elleetdistoutbasau-dessusdesonoreille.

–Çatecalmeraavantquecenesoitmoiquilefasse.Sonexpressionesttellementdéçue,presquesuppliante,quejememetsàrireenprenantsoindeledissimuleràLéa.

–Ne fais pas cette tête ! je luimurmure, totalement ravi de voir qu’elleme veut à cepoint.Vas-y,jet’apporteàboire.Puis je parviens à m’écarter d’elle en lui lançant un dernier regard appuyé, tandis qu’elle-mêmesedirigeverslasortie,slalomantparmilafoule.Je pars vers le bar, vers Léa. Celle-cime contemple avec une expression soupçonneuse.Çadémarremal.Une fois près d’elle, je lui souris, m’approche du comptoir à ses côtés – tout près – etcommandedeuxpressionsaubarman,quivientmeservirtoutdesuite.

–Ilsepassequoi,avecMaeva?interrogeLéacurieuse.– Un désaccord de gonzesses. Laure est un peu chamboulée, je viens lui chercher un

remontant.–Tuesattentionnéavecelle,déclare-t-elled’unevoixmoqueuse.

Elletapotelebardesesonglesmanucurés.–Jenesavaispasqu’ilsepassaituntrucentrevous,ajoute-t-elleunpeuaccusatrice.Je

n’auraisjamaiscruqu’ellefasseçaàsameilleureamie.J’attrapemonverreetboisunegorgée,lecoudeappuyésurlecomptoir,lecorpstournéverselle. Un air demauvais garçon apparaît sur mon visage. C’est parti, c’est l’heure d’entrer enscène!

–Disonsplutôtqu’onbaiseensemble, jecorrigeavecmonairdebranleursur levisage.Elleestvraimentbonneaulit,alors,j’enprofite.Maisjenedevraispeut-êtrepasdireçadetapetitesœurdevanttoi?Léameregardesceptique.

– Je crois que ce que je pourrais bien répéter àma sœur est le dernier de tes soucis,commence-t-elle avant de se prendre dans mes filets. Bonne au point de prendre ce queconvoiteMaeva?Ilmesemblequetut’éclateraisbienplusavecsacopinequ’avecmasœur,nepeut-elleempêchersalangueperfidedecontinuer.

–Jesaiscequejefais.Léatiquemaistentedenerienenlaisserparaître.

–EtLaureestprêteàsacrifiersonamitiépourtemettredanssonpieu?– J’ai des arguments en ma faveur qui peuvent faire perdre la tête. Laure est comme

touteslesautres:prêteàrenieruneamitiépourunhomme.Ellemeregardesoudainavecuneconvoitiseévidente.

–Jen’endoutepas,dit-ellel’airgourmand.

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Lafuturemariéeréfléchitunmoment.–C’estpourçaquetuaspiégéMatt?Pourpouvoirtetapersacopinetranquillement?

Putain,quelconnard!Ilafalluqu’ilparleàLéa.Iln’avraimentpeurderien,cetype.Jevaisdevoirfrapperplusfort.Jedoisréagiretvite.

–Ça,etpour l’emmerder. Ilm’emmerdaitavecsaroutinedevieuxcouple, j’ajouteavecunsouriremalsain.J’aimemanipulerlesgens.Maistoietmoionsaitquetun’espaschoquéeparcequejeteraconte,pasvrai?Léa tiqueunpeu.Elle se tend sur son tabouret alorsque ses copinesne sontpas loin, sanspouvoirentendrenotreconversation.

– Je suis persuadé que tu n’es pas avec ton fiancé pour sa belle petite gueule. ToutcommejesuiscertainqueMattn’apasétéleseuldetesamants.Jetenteuncoupdepoker.Onverrasiçapasse.Sesyeuxpapillonnent.Ellefeintlasurprise.Quellecomédienne!

–Allez,dis-le-moi!Ceseraitfaciledemettrepleind’idéesentadéfaveurdanslecrânede ton fiancé, j’ajoute un peu plusmenaçant. Tu ne voudrais pas que je vienne gâcher tonmariage,n’est-cepas?Léafroncelessourcilsenmejaugeant.Lesyeuxdanslesyeux,notreaffrontementestàlafoisundueldeforcemaiségalementdesensualité.Derrièresonairmauvais,ellemedésire.Elleboitunegorgéedesonpropreverrepoursedonnerencoreunpeudetempsderéflexion.Puisfinitparavouer.

–Iln’aplussonpère.Etilvahériterdebiensimmobiliersconsidérablesàlamortdesongrand-père. Ce qui ne devrait plus tarder. Je dois êtremariée avant sinon je peux dire aurevoiràcefric.

–Vénale,enplusdeça.Tumeressemblesdeplusenplus.Majambevienteffleurerlasienne.

–Onestpareils, toietmoi,continué-jed’unevoix langoureuse.Onse fichepasmaldumal qu’on peut provoquer autour de nous dumoment que ça sert nos intérêts. Je suis sûrqu’onpourraittrèsbiens’entendre,sionpouvaitmettrenosenviesencommun.Ses yeux s’illuminent d’excitation. Elle vient de retirer son masque et est maintenantcomplètementattentiveàcequejeluiraconte.

–Qu’est-cequetuproposerais?demande-t-ellehaletante.–Dansunpremiertemps,des’envoyerenl’airtouslesdeux.

Ellepassesalanguesurseslèvres.Leregardvoiléparledésir.–Dansundeuxièmetemps, jecroisqu’onpourrait s’amuseravec tasœur. Ilmesemble

quetune laportespasdans toncœur.Jepourrais t’aideràen fairecequetuveux, jecroisquetun’aspasaiméqu’elleteprivedetonjoujouetjepourraisêtreunmoyendeprendretarevanche.Monindexcaresselapeaunuedesonbras.

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–Continue!–Leculamènetoujoursdessentiments.Enfin,pourdesgensdifférentsdenous,biensûr.

Laure commence à tomber amoureuse de moi. Je pourrais abattre peu à peu toutes sesbarrières. Et lorsque j’y serais parvenu, je lui réduirais le cœur en bouillie. Elle ne s’enremettraitpas.Qu’est-cequet’enpenses?Moncœurbatàtoutrompre.Lamanipulationestunart.Etj’ensuisunmaître.MaisLéan’apasl’airmaldanssongenrenonplus.

–Jesuisd’accord.Jerêvedelavoirbrisée.Faisonsça!Elleabdiquesifacilementquec’enestdéconcertant.

–Maisj’aiunecondition,précise-t-elleensuite.–Laquelle?–Jeveuxbienm’envoyerenl’air.Maisceseraquandjeledécide.

Monexpressionprenduntournantcoquin.Pourattisersonfeu.– Et je veux le faire ce soir, ajoute-t-elle. Après tout, il faut bien que je profite dema

dernière soirée de liberté avant de ne plus être une « jeune fille ». Rien neme ferait plusfantasmerquedemefaireprendreparunautrehommecesoir.Siunhommepensepouvoirmemuseleravecunebague,ilsetrompe,jecomptebienenprofiterautantquepossible.Etjesensquesavoirmasœuràunechambredelanôtrevadécuplermonplaisir.Cettefilleestmalsaine.

–Ok.Jescellenotreaccordderrièreunsourirevicieuxcachantmondégoût.

– Je vais fairemonœuvrede charité envers ta sœur. Je te rejoindraidans ta chambre.D’icicombiendetemps?Elleregardesamontre,jetteunœilsursesamiestoujoursentraindeboireetdediscuter.

–Uneheure.Letempsquejesoisseulesansquecelaparaissesuspect.Son sourire séducteur, ses jambes croisées tournées vers moi, la main qu’elle ne cesse depasserdanssescheveux,toutestsuperficiel.Léasecroitbelleetsexy,maisellen’apasuneoncede la féminiténaturelledeLaure.Etpendantun instant, je redoute la suite.Commentbanderpourunefemmequimerépugne?J’abaisse un peu la tête pourme rapprocher de son oreille et de sa peau que je sens déjàfrissonner.

–Àtoutàl’heure,murmuré-jepourassurermonemprise.Après un dernier regard explicite, j’attrape les verres de bière et je pars à la recherche deLaure.Dehors, j’inspire un grand bol d’air. La proximité avec cette salope de première me faitsuffoquer.J’avanceunpeuvers le lac.Lecœurbattantplusvitedèsque je lavois.Laureestassisesurunbancquelquesmètresplusloin,auborddel’eau,lesyeuxdanslevague.

–Tuesimpulsive!lancé-jeenlarejoignant.Maistonpetitcoupdesangnousauravalu

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unebonnechose:Léameveut.Encoreplusqu’avant.Laure reste plongée dans ses pensées,maussade.Quand je lui tends le verre, elle ne réagitpas.Lecœurlourd,jeposelesbièresàsescôtésetviensm’accroupirdevantelle.J’attrapesesmainsque jeserrepour laréconforter.Lesilences’éterniseavantqu’elle finisseparattraperunedesdeuxboissons,prendreunegrandegorgéepuis reposer leverreet tourner les yeuxversmoi.

–Tuveuxarrêter?demandé-jesérieusement,enessayantdeliredanssonregard.Ses yeux s’agrandissent.Elle est soudain terrifiéedenepas savoir quoi répondre. Lauremeregarde,hésitante.Jelasenssurunfiltendu.Siellefaitunpassurlecôté,elles’écarteradesalignedeconduite.Etcelalaparalyse.Alorsjel’aide:

–Çasepasserabien,Laure.–Je…

Je la fais se lever avecmoi.Elle se laisse faire.Mesbras encerclent sondos fragilepour lemaintenir contre moi pendant que les siens s’enroulent autour de mon cou. Sa tête estplongéesouslamienneetellerespirefort.

–Aprèsça,ceserafini.Tul’auras,Laure.Elleserapriseaupiège.Ellehochelatêtemaisneditrien.Lesminutess’écoulentsansquenousbougions.Aveccetteétreinte,j’ail’impressionderessentirtoutessespeurs,toutcequ’elletaitdepuisdesmois.Etelleestentraindetoutm’offrir.Maintenant.

–Laure,ilfautquej’yaille.Tasœurnedoitpasnousvoir.Elleacquiescesansriendire,puissedétache.Ellen’apaspleurémaissonregardestperdu.

–Jesuisdésolée…–De?

Laurerelèvelatêteavecunsourireencoin.–D’avoirruinétoncoupavecMaeva.

J’éclatederireenluiserrantlesmainsunedernièrefois.Puisjefaisunpassurlecôtépourlacontourner.Ellenebougepaset jene l’embrassepas. Jen’enaipasenvie.Pasalorsque jem’apprêteàenbaiseruneautre.Àlaplacejedéposemeslèvressursonfront.

–Çavaaller…Ellesetenduninstantpuissedécontractecommesiellereprenaitlepouvoirsursoncorpsetlèvelatêteversmoi,redevenuedéterminée.

–Oui.Vas-y!Undernierregarddouloureuxetjem’éloignerejoindrecetteautrefemme.

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7

Laure

Depuis combien de temps suis-je ici à regarder l’eau bouger au gré du vent ? Je suisfrigorifiée.Ma petite veste etmes collants de laine ne sont qu’un rempart inutile contre lefroid.Laseulechosequivientdemedonnerunpeudechaleurestpartieréchaufferuntoutautrecorps.Etjesensdéjàmesrésolutionsquis’effondrent.Depuis troismois, les choses empirent. Alors oui, c’est facile de faire semblant, de paraîtrefroideetdétachée,departirdèsquelemomentdetendresseestterminé;maisà l’intérieurdemoi,toutn’estqu’unchampderuines.J’airéussiàdonnerlechangeàAlexandre.Celafaittroismoisqueceladure,troismoisquemondésirdeneplusm’attacheràluis’estenvolé.J’aiprisdeuxsemainespouressayermaisilatoutenvoyévalser.Depuis,jenefermequemonvisage,moncœurestdéjàtropatteint.Jeneconnaispaslemanuelpourapprendreàfairedemi-tour.Jesuisdéfinitivementperdue.Cesoirenestlapreuve.Rienqu’uneprovocationetjemarquemonterritoireenmontrantlescrocs. Etmaintenant qu’il est parti, maintenant qu’il doit être dans ses bras,mon désir devengeances’amenuise.Jesuisobligéedemerépéterquemasœurméritecequ’ilvaluiarriverpour m’accrocher à mes résolutions. Malheureusement, ces sentiments compliquent tout.Alexandren’a-t-ilpasaussimontréunsignedefaiblesseàl’instant?Lasouffranceestencoreplusintensequ’avecMatt.Aprèsunénièmesoupir, jecroisqu’ilesttempsderentrer.Jemarcheàreculons.Etsi jelescroisais ? Je resserre lespansdemaveste surmoi,mais rienn’y fait. Le froid s’est installédansmeschairs.

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Lorsque j’arrive au gîte, tout semble silencieux. À la réception, le bureau est vide, éclairéfaiblement. J’avance vers les escaliers, monte les marches jusqu’au premier, l’étage desgarçons,etm’arrêtesurlepalieràl’affûtdumoindrebruit.Je tourne la têtevers troisportesau fondducouloir.Deséclatsde riremeparviennent. Jem’enapproche.Personnenem’attendetjenevaispasretournerdansmachambre,oualorsjevaisfinirparenmettreuneàMaeva.Doncjerestelà.Jenesaismêmeplusparquoijesuisguidée.Lajalousie?Larancœur?Lahaine?Peut-êtreles trois. J’éprouve une haine meurtrière envers cette sœur que je ne connais plus. Unejalousieférocepourcettesalopequitentedemeprendretousleshommesquej’aime.Etunerancœurstupéfaiteparcequejen’aijamaisrienfaitcontreellemaisqu’ellen’hésitepasàmefairepayeruntrucquim’échappe.Arrivéedevantlaported’oùsortentdesriresmasculins,jevoiscelle-cis’ouvrirengrand.Sixmecséméchéss’apprêtentàensortir.

–Tiens?Onacommandéunestrip-teaseuse?Ilssemarrent,telslestypeslourdsetbourrésqu’ilssont.

–Lesgars,onsecalme,c’estmafuturebelle-sœur.Vousl’avezvuetoutàl’heure.Encoredeséclatsderire.Jelèvelesyeuxaucielenm’écartantdeleurpassage.Ilssouhaitentunebonnenuit à leur ami, se bidonnent encore enpassant devantmoi puis filent vers leurchambreàcôté.

–Laure?medemandeStéphaneenserelevantdulitoùilétaitaffalé.Qu’est-cequetuviensfairelà?Tun’espasaveclesfilles?

–Jevenaisvoirsitoutallaitbiendevotrecôté.Menteuse.Ilmeregardesceptique,puism’inviteàrentrer.

–Tuveuxboirequelquechose?–Unwhiskycoca,situas.

Stéphaneaundrôledesourire,commes’ilétaitravidemonchoix.–Tuboisça,toi?–Oui.Encasd’extrêmeurgence…

Ilnoussert,puisnousnousinstallonssursonlitetbuvonsensilence.IlalamêmechambrequeLéa.Pourtant,ilnem’invitepasàallersurlecanapé.Enréalité,ilesttoutprèsdemoi.Jesenslachaleurdesongenouprèsdumien.

–Alors,prêtpourlemariage?jem’enquierspourdissimulermontrouble.–Oui.Çafaitlongtempsquej’attendsqu’elleaccepte.–Ahbon?dis-jepourlefaireparler.

Unhommealcooliséparlebeaucouptrop.Ettropfacilement.–Notrehistoireaeuundémarragecompliqué.Alors,elleaeudumalàcroireenmon

amourpourelle.Jeneconnaispascetteversion.Jesuiscurieuse.

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–Pourquoi?Ques’est-ilpassé?Stéphanecontractesamâchoirepuistournelatêteversmoi.

–Ehbien,hésite-t-ild’abord.J’étaisplutôtattirépartoi,audépart.MaisLéam’aracontéque tu avais déjà quelqu’un dont tu étais folle. Alors j’ai abandonné. Elle et moi sommesdevenusamispuisnoussommessortisensemble.Çafaitseptans,donc,ilyaprescription.AlorscommeçaLéaaunenouvellefoisfaitensortederécupérerungarçonquim’avaitchoisie.Stéphane essaie de riremais il redevient sérieux en se rendant compte de ce qu’il vient dedire.Etjelefaisaussi.Moncœurapeur.Ilvafaireuneconnerie.Nousnous regardonspendant que la tension grandit. Et je sens que quelque chose se passedans son esprit. Son regard change, comme s’il se rappelait un souvenir qui attise un désiroublié.Alors,sanscriergare,ilsepencheversmoietm’embrasse.Jerestefigée,incapablederéagir.Sesmainsentourentmoncouetm’empêchentdereculer.Sonhaleineempestel’alcool.Il me pousse en arrière et s’allonge sur moi alors que nos lèvres sont toujours soudées. Ilouvrelessiennespourcaresserlesmiennesmaisn’osepasallerplusloin,commes’ilattendaitmonconsentement.Unedesesmainsseposesurmongenoupourseglissersurmacuisseetremonterplushaut:sousmajupe.Des imagesdeLéaetd’Alex surgissent soudaindevantmesyeuxetme fontdevenirdingue.Alorsquejelaisseunautrehommeprendremabouche,metoucheralorsqu’ilnedevraitpas,jemedisquejepeuxlefaire.Neserait-cepasuneapothéosefracassantepourmavengeance?Sa langue franchitenfin labarrièredenos lèvres.Stéphaneembrassebien,mais iln’estpasLui.Quandsadeuxièmemains’avanceversmapoitrine,moncerveausereconnecte.Non, jenepeuxpasfaireça.Moncœurneleveutpas.Mêmemoncorpsenestincapable.Jelerepousse.Stéphaneouvrelesyeux.Ilmeregardeetsursonvisagepasseuneexpressionhorrifiée.Ilportesesdeuxmainsàsaboucheetserelèved’unbonhorsdulit,loindemoi.

–Jesuisdésolé,Laure,dit-ilprécipitamment.Je…jenesaispascequim’apris.Commetousleshommes…Jesuisamère,triste,etdéçue.Jecroyaisqu’ilétaitdifférent,quec’étaitungentilgarçonsousla coupe d’une mégère. Quelqu’un qui me faisait croire encore en l’amour et qui mepermettaitdecontinuerdecroiredanslegenrehumain.Maistoutcomptefait, ilestcommetouslesautres.

–Cen’estpasgrave,déclaré-jeensentantmagorgeseresserrersouslapeine.Tuastropbu.Tudevraisallertecoucher.Je me relève, remets ma robe en place et lui lance un regard alors qu’il demeure perdu,presquepaniqué.Jenevaispasleréconforter,qu’ilsenoiedanssaculpabilité.Jenesuisplusunebonneâmecapabled’entendrelesplaintesdegenscoupables.

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En silence, et sans compassionpour sa torturenouvelle, je sorsde lapièce.Sur lepas,unefoislaporterefermée,lavéritémefrappedepleinfouet.SiunhommecommeStéphanepeuttromper sa future femme, renier ce qu’il est au plus profond de lui et ses principes, alorsAlexandre… un homme comme lui ne pourra jamais être fidèle. Jamais il ne pourras’abandonnercommejesuisprêteàlefaire,nim’aimersansfaussenote.

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8

Alexandre

J’ai déjà manipulé des femmes, je les ai mises dans mon lit puis jetées sans un regard enarrière.J’aidéjàeudesrelationsfondéessurceseulprincipe:lemensongeetlatromperie.Jesais ce que je fais. Je suis sûr de moi, amusé de voir les réactions de mes victimesconsentantes.Maiscesoirjen’aipasenvied’êtrelà,pasenviedefrapperàcetteporte,pasenviedeprendremonairsombrepourlafairechavirer,pasenviedelavoirdébarquertoutsourireenvenantréclamercequ’elleveutprendreàsasœur.C’estLaurequejeveux.Maispourl’avoirdanstoutesasplendeur,jedoispasserparcetteétapeultime.PiégerLéadelapirefaçonetretournersonpetitjeudeduperiecontreelle.

– Tu en as mis du temps, lance-t-elle en ouvrant la porte en grand pour me laisserrentrer.Saremarquerefroiditmonentrainsipeuéveillé.En comparaison de sa petite taille, je suis immense. Je la dépasse d’au moins trentecentimètres. Je pourrais facilement lui rappeler qui est le maître, mais la brusquer necontribueraitpasàmonplan.J’auraidoncl’avantageautrement.

–Jepeuxrepartir,situpréfères.Letimbredemavoixestfinementdosé.Ilestgrave,brute,sensuel.Ilestpensépourrésonnerau creux de sa poitrine, vibrant pour qu’elle ait envie de plus. Cela fait longtemps qu’elleessayed’attirermonattention,aussi,jenedoutepasd’arriveràmesfins.Ilfautjustequejelajouebienetquejeluidonnel’impressiond’êtreprêtàfairesouffrirLaurepourmonplaisir:nouveaudéfiàlahauteurdemontalent.J’avancedanslapièce,lamêmeoùj’aifaitmonstrip-teasequelquesheuresplustôt.Léadoitcroirequecen’étaitquepourelle.Elleneconnaîtpasunquartdelavérité.Siellel’avaitsue,

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jamaisellenem’auraitregardédecettefaçon,siempreintededésir,sivorace.Jesaisqu’ellecrèved’enviede lécherchaqueparcelledemapeaudénudée.Elleadûsemordre la languepournepascomblerladistanceentrenousetfairefoirersonimagedefilledebonnefamillesurlepointd’épouserl’hommedesavie.Sansluidemandersonautorisation,jem’assoissurlecanapéleplusproche.Unebouteilledevin ouverte traîne sur la table. Je ne sais pas si c’est pour se donner du courage ou pourpatienterpendantquejelafaisaispoireauter,maiselleadûsifflerquelquesverres.Leliquideenestpresqueàlamoitié.

–Tunemeproposespasunverre?demandé-jeinsolent.–Jen’aiqueduvin.

Jehausselesépaules.–Çaferal’affaire.

Ma voix est toujours caressante. Jem’efforce de l’exciter pendant qu’elle tente de garder lecontrôle.Ellevanousservir,nousattrapedeuxverresetlesremplit.Quandellerevientversmoi,elledoitserendrecomptedesadocilité–commeungentiltoutouentraindeservirsonmaître–carellefroncelessourcilsquandjetapotelaplaceprèsdemoi.

– Tu as oublié à qui tu avais affaire. Je ne suis pas une de tes petites merdeuses quitombentenadmirationdevanttoi.JenesuispasLaure.

–Commentpeux-tusavoircommentestLaure?–Jesuiscertainementlamieuxplacéepourlesavoir.C’estunegentillefillenaïvedepuis

toutepetite.Elleestemmerdante.Etçadoitêtrepareilaupieu,jenem’enfaispaslà-dessus.Jesouris.Elles’efforcededescendresasœursansavoirlamoindreidéedelavérité.Laureestloind’êtreemmerdanteaulit,loind’êtreemmerdantedanschacundesesgestes.

–Elleatoujourseucecôtésainte-nitouchequiplaisaitàtouslesmecsdubahut.Jen’aijamaiscomprispourquoi.

–Elleestattirante.–Attirante?Elleestfade,oui.Ettropréservée.Situsavaiscombiendefoisj’aivoulula

secouerpourqu’ellerépondeànosparents.Sagentillessemaladivel’arenduefaible.Etsielleétaitvraimentbonneaupieu,dit-elleensepenchantprèsdemonoreille, tunechercheraispasàt’envoyerenl’airavecmoi.Elles’approchedemoi.J’ailesjambesécartéesetlalaisses’yfaufiler.Deboutfaceàmoi,ellem’offre une vue sur ses jambes longilignes et parfaitement épilées – sûrement comme lereste–,maiscelanemefaitnichaudnifroid.Jepassepar-dessuslemanquederéactionflagrantdemoncorps.Unedemesmainsseposesur son mollet et joue avec sa peau en remontant le long de sa jambe. Elle a les mêmesfrissonsqueLaure.Saufquecen’estpasLaure.D’un seul coup, jeme lève,manque de la faire tomber en arrière et la retiens d’unemainplaquée sur ses reins. En bloquant ma respiration, je fais monter puis descendre mon nez

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contrelaveinedanssoncouetydéposedesbaiserspourl’enflammer.–Etsituallaismettrequelquechosedeplussexy?susurré-jeàsonoreille.–Jen’aipasgrand-chose.Jen’avaispasprévudem’envoyerenl’airceweek-end.–Tutrouveras.

Je m’écarte d’elle et prends une bouffée d’air loin de son parfum sirupeux. J’ignore lepincementaucreuxdemonventrepuisjemerapprochepouramenermonvisageverslesien,eneffleurantseslèvresdesmiennessansallerplusloin.Jesuisentraindejoueravecsesnerfs.Ellen’aimepasça.Jelavoisfroncerlessourcilstoutenessayantdeluttercontremoietmonpetiteffet.

–Nebougepas!m’ordonne-t-ellepourgarderlecontrôle.Etellefiledanslasalledebain.Dèsque laporte se referme,mesmainspartentà l’intérieurdemaveste. Je chope lamini-caméraquejemetrimballedanslapoche.Mesyeuxfontletourdelapièce,imaginantquelendroitauraitlemeilleurangle.Àsonretour,jemetiensdebout,devantlatablebasse.Admirantunepetitemiseenscènequidevraitsuscitersonintérêt.J’airamenéunpanel:unsachetavecdepetitespilulesblanches,unautreavecdelapoudre,etenfinunavecdescigarettes.Elles’approcheetsesyeuxbutentsurladrogueétaléecommedansunevitrine.

–Jenousaiapportédequoinousamuser!dis-jeenmontrantlamarchandise.Quand jeme retourne complètement vers elle, je la détaille de bas en haut avec un regardpresquepervers.Dansmamainsetrouventdescachets,quelquechosequiladésinhibera,luiferaprendresonpiedpuisl’assommeraunefoismatâcheaccomplie.Elleobservelecontenudansmamainpuisrevientsurmesyeux,sceptique.Jen’aimêmepas faitgaffeàcequ’elleporte.Sondécolleté sous sanuisettenemebranchepas.

–Qu’est-cequetuessayesdefaire?Tuveuxmedroguer?CommeMatt?Jememetsà rire.Jevais sûrementdevoirprendreun truc,moiaussi, si jeveuxpouvoir labaiser. Attrapant une des pilules dansma paume, je la fourre dansma bouche puis prendsmonverredevinetboisunelampée.

–Satisfaite?jememoqueaprèsavoirfini.Je sorsencorequelquechosedemaveste :unebandedepréservatifs.Pourbien lui rentrerdanslecrânequ’ellevaypasser.Ilfautaumoinsçapourqueladroguen’effacepastoussessouvenirs.Àlavuedemespetitssachetspleinsdepromesses,Léaretrouvesabonnehumeuretledésirqu’elleéprouvepourmoidepuislongtemps.J’aidéjàvucettelueurdanssonregard.

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Elle attrape un des cachets toujours dansmamain tendue et l’avale comme je viens de lefaire.Monsourires’agranditalorsque je laprendsdansmesbras.Maintenantonvapouvoirs’amuser…Jeladéshabille,passemesmainssursoncorps.Ellestouchentsapeaumais,commesimoncerveau se la jouait rebelle, évitent toutes ses zones érogènes. Léa n’est pas encore assezdroguée,elles’enaperçoitets’agace.

–Jenesuispaslàpourjoueràlamarelle,mongrand.Elleparledifficilement.Lebrouillarddoitdéjàêtreentraindelafaireflotter.Jem’efforcedelajouerdécontractéetriscontresabouche.Lànonplus,mesbaisersnesontpasprofonds.Sijecontinueellevatrouverçalouche.AlorsjefermemonespritetnepenseplusàLaurequiattendleverdict,àlafaçonqu’elleaurademeregarderetdemejuger,peut-être.Je reprends le contrôle et me motive enfin. Mes doigts empoignent ses fesses, collant sonbassincontrelemien.Léasoupired’aisepourlapremièrefoisdelasoirée.Oui,j’aipiégémaproieentremesserres.Jelasenspartirdanslesvapestandisquejevaism’allongersurlelitenlapoussantavecmoncorps. Mes mains caressent ses hanches, sa taille, repartent vers ses cuisses. Elle laisseéchapperunrireincontrôlé.Sesyeuxsefermenttoutseulsenlarendantattentiveàtousmesattouchementsintimes.

– Tu vas connaître lameilleure nuit de ta vie, bébé,murmuré-je alors qu’elle n’a plusconsciencederiend’autrequedemesmains.Etpourmoi,ceseracertainementlapire.

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9

Alexandre

Jerefermelaportederrièremoietjem’yadosseunesecondeenfermantlesyeux.Lesimagesdesdernièresminutesserépètentdansmatêteetmefilentlagerbe.Jemesenssale,lecorpsrecouvertd’unparfumquim’écœureetleslèvresd’ungoûtquiaccentuemanausée.Latracede cette salope est partout surmoi. J’espère qu’elle aura un sacrémal de crâne, les tripesretournéesetlamémoireenvracdemainmatin.Elleneméritequeça.Je serre un petit objet commeun butin dansmamain droite puis le range dansma poche.J’auraisbesoindeLaure,demeperdreenellepoureffacerlesouvenirdecettesoirée.Maisjemeretiens.Je descends les étages en courant pour parvenir au rez-de-chaussée, et j’ouvre la porte quidonnesurl’extérieuràlavolée.J’aibesoindeprendreunbold’airfraisdetouteurgencepourapaiser ma sensation de haut-le-cœur. C’est la première fois que je ressens ça, cetteimpressionquejeviensdecommettreunefauteirréparable.Jeretiensdifficilementmonimpatienceetl’envied’allerretrouverLaurepourluiprouverquesasœurn’estrien.Maisjemecontiens,jenesaispascequejeseraiscapabledefaireunefoislà-haut,danscettechambre,alorsqu’ellesetrouvesiprochedesesamies.Lefroiddelamontagnemesaisitaumomentoùjemetsunpieddehors.Fumeruneclopeestle premier truc qui me passe par la tête, marcher le plus loin possible de cette chambrepourrie,lesecond.Mespasmemènentjusqu’aubaroùlescopinesdeLéaetLaurem’ontemmenéunpeuplustôtdanslasoirée.C’estcertainementl’undesseulsducoinencoreouvert.L’ambiancen’estplustoutà fait lamême : lahordede fillesadisparuet toutest calme. Ilne restequequelquesmecsaubardiscutantautourd’unebièreavecunemusiqueadoucieenfondsonore.

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Jemerapprocheducomptoir.J’aibesoindeboire.– Ah ! Le strip-teaseur ! Qu’est-ce qui te ramène parmi nous ? Tu n’as plus de fille à

séduirepourcesoir?Jesourispourlaforme.Lepatrondubarestunbonvivantquim’avudébarqueravectoutunharemdefillesbourréesquisesontévertuéesàluidécriremestalentsdedanseurdecharme,ilyaquelquesheures.Jenesuisdoncpassurprisqu’ilserappelledemoi.Jecommandeunwhiskysansglacepuislaisseleliquidemebrûlerlagorgeenl’avalantd’unetraite.

–Unautre,lancé-jeaupatron.–Duresoirée?

En me tournant sur le côté, je découvre le mec de Léa. Il est accoudé sur le comptoir àquelquesmètresdemoi, un verredebière àmoitié videdevant lui, et ilme regarde en sedemandantcertainementcequejepeuxbienfoutrelà.

–Strip-teaseur,hein?Iln’apas l’aird’avoir tropbu.Justed’avoireubesoindedécompresser, commemoi.Quelledrôledesoiréesespotesluiont-ilsorganiséepourqu’ilfinisseseuldanscebar?

– Ouais, strip-teaseur d’un soir. Et pour ta future femme, en plus de cela, continué-jepourleprovoqueraveclégèreté.Qu’est-cequetufais iciaumilieudelanuit?Tespotesnet’ontpaspréparéunepetiteséanceprivée,àtoiaussi?

–Ilfautcroirequ’ilsn’ontpasosé.–Ilsdevaientavoirpeurdesreprésaillesdelamariée,tenté-jeavecunepointed’humour

bienchoisie.Ilsemarre.

–Ouais,c’estsûrementça.Ilpasseunemaindanssescheveuxavecunsourireunpeuvague.

–Etde ton côté, commence-t-il enme regardant. Laquelleaétéassez courageusepouroffrirtesservicesàmafemmealorsquejesuislà?

–Laure.Stéphaneboitunegorgée.Sesyeux sedétournentpour regardervers l’extérieur. Il réfléchitquelquesinstantsavantderevenirversmoi,unpetitsourirelascifsurlevisage.

– Ça ne m’étonne pas, lance-t-il. Celles qui en parlent le moins sont souvent les pluslibéréesdececôté-là.Putain,iljoueàquoi,là?

–Jeteleconfirme…Montonestplussecquejenelevoulais.Jecommandeunsecondverreetleboisunenouvellefoisculsecsouslesyeuxdubarmanquivientdemeservir.ParlerdeLaureravivemondésird’allerlarejoindredanssachambreetdetouchersoncorpsnu.À côté de moi, le futur marié a toujours ce maudit sourire. Il me donne la désagréable

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impressionqu’ilsaituntrucquej’ignore.Àquoipeut-ilbienpenser,ceconnard?–Sij’avaispuchoisir,dit-ilénigmatique,c’estunefillecommeellequej’auraisdemandée

pourmefaireunstrip-tease.Mesdoigts se serrentautourdemonverre. ImaginerLauredanseret sedéshabillerpour cetype–oun’importequelautre–nefaitpluspartiedemespossibilités.Jenerelancepaslaconversation.Leslowquipassedanslesenceintesrenforcenosmutismesrespectifs. Jene luiparleplusdeLaure,cequ’ilvientd’insinuermesuffit.Stéphane,desoncôté,seperddanslacontemplationdesonverreensouriantparpolitesse.Sonattitudepiquemacuriosité.Qu’est-cequ’illuiarrive?

–Nerveux?jeluidemandeendésignantdumentonsonverrepresquevide.Plusjeleregarde,plusjemedemandecommentilpeutvouloirsemarieraveccettesalopedeLéa.Lefuturmariémejetteuncoupd’œilavantderépondre.

–Non.J’aiplutôthâtequecesquinzederniersjoursdéfilent.Léaestcequ’ilm’estarrivédemieux.Jeveuxjustepassermavieavecelle.Comment fait-il pour supporter Léa etnepas voir qu’elle le trompe impunément ? L’amourrend-iltoutlemondetotalementaveugleouest-ilvraimentnaïf?Quoi qu’il en soit, ce type va tomber de haut. Et cela risque d’être drôle. Il faut aumoinsreconnaîtreunequalitéàLéa:c’estunesacréemanipulatrice.

–Vousvousconnaissezdepuislongtemps?demandé-jepourlefaireparler.En réalité, jen’enaipasgrand-choseà foutrede ses réponses,maisun trucm’intrigue chezlui.J’aibesoindelecerner.

–Lelycée.Çafaitdoncunbailqu’ilestperdu.

–Nousétionsdanslemêmebahuttouslestrois,poursuit-il.–Touslestrois?–Laureavaitunandemoinsquenousmaisc’estellequej’aiconnueenpremier.Léaa

rejoint notre cercle un peu plus tard. Et puis il s’est passé ce qu’il s’est passé. Je n’ai plusjamaisquittéLéa.Sonsourireestsincèrequandilditça.Maisderrièrecederniersecacheuneautrelueurqueje ne parviens pas à saisir : je penche pour un mélange de nostalgie et de regret. Maispourquoi?

–Tulaconnaisbien?questionne-t-ilàsontour.–Quiça?dis-jeenmefaisantpasserpourplusconquejenesuis.–Laure.

Jen’aimepascequejediscernederrièresonattitude.Jen’aimepascetonpleindetendressequandilprononcesonprénom.

–Oui.Jenedisqueça.Jeveuxqu’ilcomprennelesous-entendu,qu’ilsacheque je laconnaisbien

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mieux que lui, bien mieux que tous, en fait. Malheureusement, la question qu’il prononceensuitefinitdemefairevriller.

–Est-cequ’elleaunmec,depuisMatt?Jeneparvienspasà répondre.Sedoute-t-ildequelquechoseetessaie-t-ilde savoir sinoussommesensemble ?Si je luidis la vérité, il enparleraàLéaet risquede faire foirernotreplan. Si je lui mens, j’ai peur de ce que la suite de cette conversation pourrait bienm’apprendre.

– J’espèrequ’elle trouveraquelqu’undemieuxque lui, soupire-t-il d’un tonprotecteur.Elleneméritepascequiluiestarrivé.Lesmotsflottententrenouspendantquelquessecondeslourdesdetension,puisStéphaneseredressesursachaiseetavalelerestedesonverreculsecengrimaçant.

–Turesteslà,cettenuit?–Oui.Laurem’aréservéunechambre.

Je luimens,évidemment,mais iln’ensaura jamais rien. Ilacquiesceensilence, lesyeuxdenouveau au loin et l’expression pensive. L’instant d’après, son sourire efface cette imagefugace.

–Onsevoitdemain,danscecas.Bonnesoirée.Monintuitionàsonsujetdevientplusfortealorsquejeleregardes’enallersansunregardenarrière, le dos droit mais l’allure traînante et peu certaine. Il transpire l’attitude d’un mecpleindedoutesquivientdeboireunverrepouroublier.Maisoublierquoi?Jeflâneautourdulacententantd’ordonnerlebordelsansnomquiaprisplacedansmatête.Laquestion intéresséedeStéphaneautourdeLaure, sa remarquegrivoiseet sonexpressionbourrelée de regrets défilent en boucle dansmon crâne. Je suis passé à côté d’un truc. Lestypesbiencachentdoncleurjeu,euxaussi?Jem’assoissurunbanc,lesmainscroiséessousmonmenton.Monregardseperdsurl’eauquiondule.J’essayedefaireabstractiondetoutsentimentnauséabond,maiscesdernierstemps,j’aideplusenplusdemalàgérer.Celanemeressemblepas.Jeflippesanssavoirpourquoi.Cettesimpleconstatationagitcommeundétonateurdansmonesprit.Jeprendsmonportabledansmapoche. Ils’estpasséquoi?Uneheure?Et j’aidéjàbesoinde larevoir.Ellem’enatropempêchécesdernierstemps.J’aibesoindeLaure.Maintenant!**Moi:T’esoù?**Je reste dansma position le temps qu’elleme réponde. J’ai l’impression qu’il se passe uneéternitéavantquemontéléphonesemetteàvibreraucreuxdemapaume.**Laure:Dansmachambre.Pourquoi?****Moi:J’arrive.****Laure:JeterappellequeMaevaetAdèlesontlà!****Moi:Jem’enfous.**

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Dèsquejesaisoùelleest,jefile.Ilmefautàpeinedixminutespourarriverdevantsapiaule.J’airefaitlecheminjusqu’augîteàtouteallureetj’aimontélesmarchesàgrandesenjambées.J’arrive à présent à l’étage des filles. Laure m’attend devant la porte de sa chambre enpantalonampleetfindébardeur,sansrienendessous.Ellefaitlescentpasenserongeantlesongles, le téléphone dans unemain. Enme voyant arriver, elle s’arrête. Ses deux prunellesclairesseheurtentauxmiennes.Jecontinuesurmalancéeetsuiscontreelleenquelquespas.Mesmainsseposentautourdesonvisageetimprègnentsescheveux.Meslèvrespartentàlarencontredessiennes.Legoûtd’uneautres’évapore,inondépartoutcequeLaurereprésentedansmesbras.Ellemeretientparletee-shirt, latêterejetéeenarrièresousmonattaquedominante.Jenelui laisseaucunrépit,pasmêmeunesecondepourreprendresa respiration.J’ai tropbesoindececontactpoureffacerceluiquimemarquait jusqu’àprésent.J’enaibesoinpoureffacerdesdoutesnésàlasuited’unerencontreimprévue.Putaindesoirée…Quandsespaumesseposentsurmesjouespourmecalmer,jenoussépareenfin.Monsouffleemballé faitéchoàmoncœur.Mespaupières se fermentalorsque jeposemon front sur lesien.

–Alex?Savoixestsidouce.Jepourraisl’écouterrépétermonprénompendantdesheures.Commentai-je fait, tout ce temps, pournepas remarquer ça ?Pournepasme rendre compteque jecherchaisdésespérémentsoncontactdepuisdesannées?Quesi je l’emmerdais,c’était justepouravoiruneinteractionavecelle,peuimportequecelle-cisoitsiimparfaite?

–Ellesnet’ontpasfaitchier?jelaquestionneenretenantmoninquiétude.Elleritfaiblement.

–Ellesdormaient.Ellesnesaventmêmepasquejesuisrevenue.–Ok.

Je l’embrasse encore.Mesmainsne la quittentplus.Elles explorent sonvisage, son cou, sataille.Jel’attireàmoi.J’aspiresessouffles.Jeprendssabouche.Jegriffesapeau.Jenesuispasrassasié.

–Alex…Non.Nem’interrompspas…

–Çava?Elle s’inquiètepourmoi.Alorsqu’elledevrait s’assurerque je suisbienallé jusqu’auboutetquej’airemplimapartdumarché,elleestencorelààs’enfairepourmoi.Toutçaparcequejedéconne.Jesuis loindeceluiquisemaîtriseetgèretouteslessituations.Cettesoiréeestun putain de bordel, de chaos, de remise en question. Les deux moments que j’ai passéstournentsansdiscontinuitédansmatête.

–Tuveuxquelquechose?Querépondre,àpart«Toi»?Maisjenepeuxpasluifaireça.Pasaprèscequ’ilvientdese

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passeravecsasœur.–Qu’onailleailleurs?propose-t-elle.–Non.

Je ne veux être nulle part ailleurs. Je ne veux plus bouger d’ici. Je veux juste passer unmomentavecelleavantquelesoleilselève.Justeça.Justeçaetjemesentiraiapaisé.

–Tuasun trucàboire,à l’intérieur? je luidemandepour lui fairecomprendreque jeveuxresteravecelle.

–Àl’intérieur?–J’aibesoindemeposer.

Ses yeux me sondent un moment pour voir ce qui ne va pas. Je ne lui dirai rien. Je nedétruirai pas tout le chemin parcouru pour un foutu malaise que je ne comprends pas. Jepréfèremepencherverselleetposermeslèvressursapeau.Elle se laisse faire commepourmemontrer qu’elle est d’accord. Elle doit sentir que j’en aibesoin. Je suis commeun fou : perdu,bataillant avec ceque je ressensdepuismon rendez-vousavecLéa,puismarencontreavecStéphane.

–Viens!Glissantsamaindanslamienne,Laureouvrelaportederrièreelleetnousfaitentrerdanslapièce.Nousentendons lesdeuxrespirationssilencieusesdesesamiespendantqu’elleéclairele cheminde son téléphone et attrapeunpull qui traîne aupiedde son lit, ungilet et uneécharpe.Enpassantdevantlatélé,elles’arrête,chopeunebouteilleauliquideambréqu’ellemetend,puisunverre.Jelasuisjusqu’aubalcon.L’airfraisquis’endégagelorsqu’elleouvrelaporte-fenêtremefaitunbienfou.LasensationestdécupléeparlaprésencedeLaureàmescôtés.Labouteilleetsonverretrouventplacesurunepetite tablebasseentouréededeuxchaises.Nousnous installons.L’un faceà l’autrepour lemoment.Maisquandnosdoigts s’effleurentpouréchangerleverreremplidewhisky,Laurevientsurmoi:sesjambesfinesetfermesdechaquecôtédesmiennes,sesmusclesentensioncollésauxmiens.Ilfaitfroid,elleestemmitoufléesoussonpulldelaine,pourtanttoutelachaleurdesoncorpsmetransperce.D’autantqu’ellesecolleàmoi,toujoursplus.Jefermelesyeuxenlasentantserapprocherencore.

–Tuvasmerendrefou.–C’esttroptard,chuchote-t-elled’unevoixchaudeàmonoreille.

Elle ramènesonvisagedevantmoietmescruteun instant,avantdecontinuersur lemêmeton,empreintdesensualité.

–Tuesdéjàfoudemoi,tente-t-elleironique.Jen’aipasenviedejouer.

–Oui,affirmé-jesansciller.Jelesuiscomplètement.Son expression amusée disparaît au profit d’une autre, plus sérieuse, pleine d’espoir. Nos

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lèvres fondentdenouveau l’une sur l’autre.Ses jambesme serrentunpeuplus.Oui, je suiscomplètementfoud’elle.C’estlapremièrefoisquejeressensuntrucpareil.Lapremièrefoisqu’unefemmes’installedansmavieetprendtoutelaplace.Auparavant,iln’yavaitquemoi.Seuloupas,çam’étaitégal.Maisdepuiselle,lavisiondemonmondeachangé.Je veux être avec elle, pouvoir me dire qu’elle n’aimera nul autre que moi, que je nousprotégeraipourtoujours.C’estcommesimonégoïsmen’étaitpluscentréuniquementsurmoimaissurnous.Cettesensationesteffrayanteparcequ’ellem’estinconnue.Néanmoins,jemeforceàespérerquejenenousperdraipas.Lesbaisersdurent.Lescaressessurnosvisages,nosmainsetnosbrasaussi.J’ail’impressionde n’exister ici et maintenant que pour la serrer dans mes bras. Le soulagement etl’apaisement que j’y trouveme rappellent ce que je ne connais plus depuis trop longtemps.Celadevraitme faire peur.Mais avec Laure, cen’est pas le cas. Elle est commeune crèmecicatrisantesurmesplaiesdepetitgarçon.

–Jen’aijamaisétéaussisûrd’unechose:jeneveuxpasquetut’arrêtes.Ses lèvres me dévorent de nouveau, enfiévrées et gémissantes, si voluptueuses qu’elleséveillentmessens.Jeneveuxpasqu’elles’arrête.Jeneveuxpasm’arrêter.Jeveuxcontinuerdel’embrasser.Toutelanuits’illefaut,pourmefairecroirequejedominelasituation.Lorsque nous nous décollons enfin, que nos baisers nous essoufflent trop pour pouvoirs’arrêter sans aller plus loin, nous entendons un bruit caractéristique qui nous indique quenousnesommesplusseuls.Labaievitrées’ouvre.

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10

Alexandre

–C’estquoi,cebordel?Voilàpourquoijenepeuxpassupportercettefille:savoixestnasillarde,hautperchée,ellemetranspercelestympanscommeuneaiguille.Enbonbranleurquiserespecte,jemefrottel’intérieurdel’oreilleenfronçantlessourcils.Ellepeutbiencriertantqu’elleveut,jen’enairien à foutre. À mes côtés, Laure ne tressaille même pas. En la regardant bien, j’ai mêmel’impression de discerner sa lèvre supérieure relevée, pour former un sourire en coin.Craquant.

–Vousêtessérieux?continue-t-ellesurlemêmetoncriard.Lesdeuxfillessontenpyjama,malcoiffées,lesyeuxàmoitiédanslesvapes.Ellesonttoutel’attitude et le look de deux hystériques. Enfin, une surtout. L’autre nous regarde sans riendire,lesbrascroisésàlafaçond’unemaîtressed’école.Ilfautdirequenousdécouvriràleurréveildecettefaçonnedoitpasparticiperàleurcalme.J’espèrequ’ellesneloupentpasuneminuteduspectacleparceque lasensationdeLauresurmoiestunfrissondélicieux.Jen’aipasenviedequittersesbras.

– Est-ce que tu te fous de ma gueule, Laure ? s’énerve encore la blonde alors qu’ellen’obtientaucuneréponse.Tufaisçasousmesyeux,avecmonex?Ses yeux passent sur nous tels deux rayons incandescents. Elle serre les poings. Elle est enéquilibresurlapointedespieds,prêteànoussauteràlagorgesiellesentlamoindrefaille.

–Mettonsleschosesauclair,jenesuispastonex,annoncé-jecalmement.–Pardon?–Tum’asbienentendu.Jenesuispastonex.Pourêtreunex,fautavoirétéensemble.

Ettoietmoi,continué-jeennousdésignantdudoigt,onn’ajamaisétéensemble.L’expressiondeMaevadevienthorrifiée.

–Biensûrquenoussommessortisensemble,rétorque-t-elleencolère.

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–Non,désolé,çanecomptepas.L’airsembleluimanquer.

–Çaacomptépourmoi.Elleme gonfle.Moi, les petites nanas qui ne veulent pas comprendre que je n’en ai rien àfoutre,jelesvire.

–Écoute, reprends-jeen soupirant, j’ai fait semblantde sortir avec toi.Et si je l’ai fait,c’étaituniquementpouremmerderLaure.Tun’asaucunintérêtàmesyeux.Enfait,touteslesfillesdanstongenrem’indiffèrent.C’estLaurequim’intéresse.Uniquementelle,précisé-jeleregardnoir.Alors je temontremonvraivisage :c’estcelui-ci.Regarde-lebienparceque tun’aspassulevoir.Ettuauraisdûécoutertacopinequandilenétaitencoretemps.Parcequelà,tusouffrespourrien.Iln’yajamaisrieneuentretoietmoi.Mon«ex»passedelacolèreaudésarroi.Mesmotslafoudroientsurplace.Jeconnaisl’effetquejepeuxavoir.Mesphrasessontassassinesetenfoncentlecouteaudanssesplaiesfraîches.Sa souffrance est un régal. Son visage se baigne de larmes alors que leur deuxième potes’avanceetlaprenddanssesbras.

–Pourquoitufaisça?Maevan’arienfaitpourmériterunteltraitement.Pourquituteprendspourdiredeschosespareilles?

– Je viens de l’expliquer, jem’impatiente exaspéré. Si vous ne voulez pas comprendre,c’estvotreproblème.Indifférentà leur sort, je ramèneLaurecontremoienpassantunbrasautourde sa tailleetplongematêtedanssoncou.

–Jevousavaisprévenues,insisteLaure.Vousn’avezrienvoulusavoir.–Alorsc’estjustepourça?crieMaevaàl’agonie.Tufaisçapourmeprouverquej’avais

tortàsonsujet?Laurehausselesépaulessousmatête.Jefermelesyeuxetmelaissebercerparsonparfum.Ellesont intérêtà se tirervite fait, si ellesn’ontpasenvied’assisteràunépisodebienplusfâcheuxqu’unsimplebaiser.

–Vousavezl’airtropprochespourquecesoitrécent,intervientlavoixd’Adèlederrièrelablondeencolère.Je pivoteunpeu la tête pour les regarder à travers les cheveuxdemonaudacieuse.Maevadoitêtreauborddel’évanouissement.Elleestpâlecommelamort.

–Oui.– Oui ? éructe la blonde. Comment ça, oui ? Ça dure depuis combien de temps ?

Réponds-moi,Laure!Jemeredresse.

–Plusdetroismois,entoutcas,tonné-jeavecunsourireprovocateur.

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Adèle dévisage Laure et tente de déchiffrer ses traits. Cette fille est forte pour déceler lavérité.

–DepuisqueMattt’atrompée,c’estça?conclut-elle.Maevapleuredeplusbelledanssesbras.

–Jevousavaisditquejen’étaispluslagentillepetitefillequevousavezconnue.–Parcequedevenirunesalope,c’estmieux?rugitlablondeensedégageantdel’étreinte

desonamie,lespoingsserrés,toutdroitversLaure.Jefaisunmouvementpourl’interceptermaislebrasdemadéessem’arrêtetoutdesuite.

–Quand je pense que tu as osé nous traiter dementeuses, qu’on s’en est pris plein lagueulealorsquetoitubaisaisavecluiendouce.Maisquies-tu?

–Jecroisquetunelesaisplus,rétorqueLauredutacautac.Maevas’enfoncedanssondésespoir.

–Alorsc’est tadécision?Tu lechoisisplutôtquenous?s’interposeAdèleen la tenantcontreelle.

–Iln’yavaitpasdechoixaudépart.C’estvousquileprenezcommeça.–Tunepeuxpassortiravecmonex!–Sijepeux.Luim’acomprise.

Moncœurs’accélèrependantquemonbraslaserreplusfortcontremoi.–J’espèrequetuterendrascompteunjourquetuasfaitunebelleconnerieaveccetype,

vocifèreMaevaemmêléedanssessanglots.Etcejour-là,jesouhaitequetusouffresledoubledecequetuesentraindemefairesubir.La blonde enrage. Ne réfléchissant pas, juste emportée par ses sentiments en foutoir, ellepousseAdèleets’enfuitdelapièce.L’autre,quiestrestéeavecnous,nousobservetoujours.

–Jesavaisqu’ilsepassaituntrucentrevous.Maisj’étaisbienloinducompte.Tuasfaitdumalautourdetoi,Laure.

–Commeonm’enafait,répliquemadéesse.–Alorscen’estqu’unequestiondevengeanceetdepouvoir?

Monaudacieuseacquiesce.–J’espèrepourtoiqu’ilnet’abandonnerapas,ajouteAdèleenmemontrantdudoigt.

Lauresecontractecontremoi.Pourlarassurer,j’embrassesatempe.–Parceques’illefaitunjour,turegretterastoutcequetuviensdefaire.

Labruneautoritairen’attendpasforcémentderéponseàsamiseengarde.Ellecommenceàpartir.Jeluiauraisvolontiersfermésonclapet,àcelle-làaussi.

–Tuaschangé,Laure,prononceAdèlesurlepasdelaporte.Elle lève lesyeuxpourrencontrerceuxdemabruneet termineavantdedisparaîtredans lecouloir.

–Beaucouptrop.

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Laporte se referme. Le silence retombe et avec lui la tensionqui s’était installée. Laurenebougepas.Moinonplus.Noussommesétrangementsatisfaits.Quandnousnousregardons,jevoisunelueurnouvelledanssesyeux:elleassumepleinementcequ’ellevientdefaire.Auparavant,elleseseraitremiseenquestion,seserait tourmentée,seseraitdemandésiellen’étaitpasalléetroploin.Orlà,ellemeparaîtextrêmementcalme,comme si rien d’autre que nous n’avait la moindre importance. Elle me surprend mêmel’instantd’aprèseneffleurantmeslèvresdesaboucheetdesalangue.

–Prends-moidanstesbras,j’aibesoindepenseràautrechose.Jemerelèveen lagardantdansmesbras, sescuissesautourdemataille,et je laramèneàl’intérieur.

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11

Laure

Il faut toujours qu’elle me dise ce que je ne veux pas entendre, qu’elle se la ramène pourassenerdesmoralesquiretournentlebide.Commentfait-ellepourlaissersesmotss’insinuerenmoi, de cette façon ? Elle lâche ses avertissements en sachant pertinemment que je nepourrai pas faire la sourde oreille et qu’ils parviendront à se poser quelque part dansmoncerveau,etàsecramponnermalgrétoutesmestentativesdem’endébarrasser.D’aussiloinquejemesouvienne,Adèleatoujoursétélefreinsalvateuràmesconneries.J’aipassémonadolescenceàvouloirêtreuneautre fille :unequioseraitplus,quiattirerait lesregards, qui n’hésiterait pas à se faire tatouer, qui vivrait de sa passion.Mais je n’ai jamaisrienfaitdetoutça.Jesuisrestéesage.J’aitoujourseudebonnesnotesàl’écoleetunecrised’adolescenceàpeinevisible.End’autresmots,unevieétouffantemaisquejemaîtrisaissurleboutdesdoigts.Mameilleureamiesavaitquejenesupportaisplusmonpère.Jeluiracontaissesbévues,sestromperiesàrépétitionetl’acceptationinconditionnelledemamère.Elleconnaissaitchaquedétaildemaviemaisn’ajamaisvuàquelpointjesuffoquaisdedevoirmeretenird’êtremoi-même.Mesdésirsdetransgressionetmonenviedemelibérerluiétaientinconnus.Parcequej’étaiscommeça:jeréfléchissaisàtoutentoutecirconstance.J’avaistroppeurdemeperdre,delaperdre,delesperdre.Adèleneserajamaiscommemoi.Ellesaitselâcheretprofiterdelaviemaisellerespecteratoujourssalignedeconduite.C’estunefillebien:présentepoursesamies,compréhensiveetprêteàtoutentendre,maispasàtransgressersesprincipes.Mais aujourd’hui je lui en veux. Je lui en veux parce qu’elle m’a caché la vérité sur Matt,qu’elleachoisiMaevaplutôtquemoicejour-làetquemêmesiellepensaitbienfaire,elleachoisi àma place. Jeme rends compte qu’en retour je lui ai peut-êtrementi toutema vie.

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J’aurais certainement dû lui parler demonmal-être constant, de l’explosion déclenchée enmoiàlasuitedelatrahisondemonpetitamietdemasœur,demadécisiondeneplusêtrecette fille qu’elle a toujours connue. Je refuse de me laisser envahir de nouveau par cettesensationdévoranteetentêtantededevoirêtreparfaite,cettepressionquia faitque jen’enpouvaisplus.Je sais que je ne devrais pas agir comme je le fais. Mais mon corps a trouvé dans lesembrouillesunmoyendedéversersacolère.

–Resteavecmoi!intimé-jeàAlex.Celui-cidoit sentirque jenevaispasaussibienqueceque je laisseparaîtrecarsi sesyeuxbrûlentdelamêmeflammededésirqu’habituellement,sonattitudemeditqu’ilestprêtàlarefrénerpourmoi.Ilsaitcequ’ils’estpassécesoiretsaitquejenel’oubliepas.Assissurlelit,samainnelâchepaslamiennealorsquejesuisdeboutfaceàlui.Son regard dévalema silhouette avant qu’il nem’attire sur ses jambes. Ses bras s’arrimentdanslelitderrièrelui,lesmiensviennents’enroulerautourdesoncou.Jelesensessayerdemaîtriser son souffle alors que je le chevauche. Ses yeux viennent chercher les miens ettententdeleurfairepasserunmessage,commeunepromessedemefaireoubliertoutesmesindécisions. Il a lepouvoird’apaiser lesmauxcauséspar ledépartde ces fillesquiont tantpartagéavecmoietque jeviensde rejeter.Lavérité, c’estque jemenoie sous la jalousie :Maevan’avaitpasàs’intéresseràlui.J’assume ceque je viensde faire. Il était tempsqu’ellesmevoient sousunautre jour.Maiscela ne rend pas la rupture facile. Ma gorge reste nouée, mon ventre douloureusementcontracté.Alexandreestmonremède.Dèsquejeletoucheouleregarde,leresten’aplusd’importance.Quandjesuisaveclui,jenepenseplusauxautres.Ilmefaitperdrelepeuderaisonqu’ilmeresteetc’estexactementcedontj’aibesoinàcemoment-là:oublieraveclui.

–Nepenseplusàrien!murmure-t-ilendéposantunbaiserd’unedouceurinfiniesurmeslèvres.Jefermelesyeuxetmelaisserallerausondesavoix.Ilretiresontee-shirtd’ungestesouple,puis sa main droite monte jusqu’à une mèche de mes cheveux qu’il replace derrière monoreille.Jesenssonérectionsousmoimaisiln’yprêtepasattention.Sesbaisersnedeviennentpaspluspressants,ilembrasseaucontrairechacunedemespaupièresferméesavantdefairedemêmesurmesjoues,sousmonoreille,dansmoncou.Sesbrasquittentlelitpourvenirseplacerdansmondospuisilselaisseallerenarrièreetm’entraîneaveclui.Ilpasse sesdoigts sousmonpull et le faitpasserau-dessusdema têteenmême tempsquemon débardeur. Nous nous retrouvons peau contre peau sans que j’aie ouvert les yeux. Lachaleurqu’ildégagem’enveloppe,sonodeurpénètremessens.

–Tuesmagnifique,nepeut-ils’empêcherdedire.

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Sabouchevientretrouverlamienneaveclamêmelégèretéqu’ilyaquelquesinstantspuissefaitplusentreprenanteaufildesesbaisers.Ilprendsontempsetmeregardedériverdanssaréalitéapaisante.Sonsoufflesefaitplusrapide,témoignantdesaluttecontresondésir.Maisil garde lamaîtrise de lui-même.Mapeau frémit sous les caresses que sesmains procurentdansmondos.Unedoucechaleursediffusedansmonventre.Toutessesattentionsallègentmespeines.Je pourrais tout oublier et m’offrir à lui. Serrée contre lui, mes sombres pensées et lessentimentsquimartyrisentmoncœurdisparaissent.Jepourraistoutoublieretm’emmitouflerdanscecoconprotecteurqu’ilconstruitautourdenous.Jeneveuxriend’autre.

–Ellesn’ontplusd’importance,chuchote-t-ilàmonoreille.Iln’yaquetoietmoi.Jepourraisoublierlesautresetnegarderqueluietmoi.Jepourraisoublieretluirendresesbaisers,entamerdelentsmouvementsdebassinetluifaireperdrelaraisoncommej’enmeursd’envie.Maisjen’oubliepas.JesaisquenousdevonsparlerdeLéaetdecequ’ils’estpasséavecelle.Jesensdéjàmagorgeseserrerdenouveauàcetteidée.

–Jesuislà,Laure.Oui,maispourcombiendetemps?CombiendeLéayaura-t-ilàjamaisentrenous?Alexmefaitbasculersurlecôtédroit.Samaindroitevientsenicheraucreuxdemesreinsetm’attireplusprochedeluiencore.S’ilcontinuejevaisfinirparmefondredanssoncorps.Jeme contracte tandis qu’il m’enferme dans son étreinte. Ma tête repose sur son torse, moncœurseremetàmetourmenter.Jeneparvienspasàparler.Latensionenmoimefaitpeur.Cequej’imagineaussi,maisjenepeuxplusreculer.Jedoissavoir.Je lèvealors latêtevers lui,rouvrelesyeuxsur laréalitéetentamelaconversationquimeterrifie:

–Alors,avecLéa?L’étreinted’Alexandreserelâcheàcettequestion.Ilnemeregardepasmaislaissesesdoigtsparcourirmescourbesnues,demonépauleàlanaissancedemesfesses.

–Qu’est-cequetuveuxsavoir?medemande-t-ilenbaissantlesyeuxversmoi.J’essayedeluisourire.

–Commentças’estpassé?–Tuveuxvraimentquej’entredanslesdétails?

Jesoupireendétournantlesyeux.–Non.–Çanesertàriend’enparler,ajoute-t-il.

Pourquoi?Iln’apourtantrienàmecacher.Pourquoinepasmedireleschosestellesqu’ellessont ? Jevoudraisque l’aveuviennede lui.En cequimeconcerne, je suis incapablede luiposerlaquestion,incapabledeleregarderdanslesyeuxpendantqu’ilmeconfirmeraqueoui,

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il l’a fait.Parcequ’ilnepeutenêtreautrementmêmesi,aufonddemoi, j’espèrequecenesoitpaslecasetqu’ilaittrouvéuneautresolutionpourobtenircespreuvestantattendues.

–J’aifaitcequ’ilfaut,finit-ilpardireaprèsunsilencedestructeur.Sesmotssontuncoupdecouteausurmablessureàpeinerefermée.Moncorpsnesupportepascequ’ilentend.Enmedégageant, jememets sur ledosà sescôtésetposeunbras surmesyeux.Jevoudraisfairedisparaîtrecetteboulebrûlanteaufonddemagorge.Maiselleestindélogeable,elleacreusésontroudepuisbientroplongtemps.Jeconnaissais toutes les conséquences.À l’instantmêmeoù jemesuis renducompteque jel’aimais,jesavaisquej’allaissouffrir.Maisàunetelleintensité?Pourquoiest-cequecelafaitsimal?Pourquoi,malgré toute labonnevolontédumonde, les choixque l’on faitnenouspréparent-ilspasàcettesouffrance?

–Laure?Samainseposesurmonavant-braspouressayerdemedégager.Jelelaissefaire.Jeravalemeslarmespouraffrontersesyeuxtristesquidéstabilisentmesrésolutionsetjeneluimontreplus rien demoi. Surtout pas à quel point l’imaginer avec elleme bouleverse. Je parviensmêmeàsurmontermonmalheurpourparleravantqu’ilnelefasse.

–Tuascequejet’aidemandé?Jenereconnaispasmavoix.Elleestgrave,tremblante,unpeurocailleuse;commetroubléeparcequimebroie lagorge.Àcôtédemoi, l’assuranced’Alexandrevacille.Sesyeux lisentmonvisage,maisàpartmafaçondeparler,riennemetrahit.Il se relève etm’enjambepour venir se placer au-dessusdemoi. Il embrasse le hautdemapoitrine,sousmesseins,monventreets’arrêteenéquilibre.

–Jereviens,annonce-t-ilenmedonnantundernierbaisersurlenombril.Ilreviententenantunpetitobjetqu’iltenddevantluiavecunsourirevictorieux.

–Jecroisqu’onestplutôtsurlabonnevoieavecça.Jemeredresse,récupèreleminusculeboîtieretl’ouvre.Àl’intérieurtrôneunecarteSD.Monpoulsredémarreauquartdetour.Jetrembleraisd’excitationsijen’étaispassiravagéeparunsentimentbienpluscomplexe:lajalousie.Unejalousiequimefaittremblerdehaine.JehaisLéa. Elle réveillemes plus bas instincts. Et notamment cette possessivité qui exacerbemondésirdelavoiràgenoux,rampantpourimplorerlepardonàsonentourage.Je serre la cartemémoire dansmamain. Essayant de refréner la noirceur qui ne cesse demonterenmoichaquefoisquejepenseàmasœur.

–Jeluiaidonnélamêmechosequ’àMatt,ajouteAlexens’asseyantàmescôtés.Maisj’aipeurqu’ellenesedoutedequelquechose.Lamêmechosequ’àMatt.Lamêmedrogue.Lemêmepiège.IlacouchéavecLéa…

–Elleaététrèssoupçonneuse.

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Jeleregardepourl’inciteràcontinuer.Non,ellenepeutpasavoirdesoupçon.Etsic’étaitlecas, que voudrait-il faire pour la calmer ? Il ne songe pas à y retourner et à recommencer,n’est-cepas?Jepriepourquecenesoitpaslecas.

–Qu’est-cequetuveuxdire?questionné-je,appréhendantlaréponse.– Jevaisdevoir y retourner, lâche-t-il à contrecœur.Faire commesi j’avaisdormidans

sonlitetmebarrerdevantelle.Sinonellenecroirapasqu’onafaitquelquechose.C’estunedroguequiembrumel’esprit.

–Ok.C’esttoutcequejesuisenmesuredeprononcerdecettemêmevoixrauquequ’ilyaquelquessecondes.Jene trompepersonneaveccette fenêtreouverte surmessentiments, surtoutpaslui.Ilm’attrapelementonpourmefixerdesesdeuxprunellesvertes.Sesyeuxsontpréoccupés,légèrementplissésetalternententrelesmienspouressayerdevoirce qui ne va pas.Alors pour éviter d’avoir droit à un interrogatoire en règle, jemepencheverslui,posemeslèvressurlessiennesetl’embrasse.Sesmainsprennenttoutdesuitemonvisageentreelles.Ilapprofonditsonétreinte,soncontact, lorsquesalanguevientbougeraumêmerythmequelamienne.Lebaiserdurelongtempsavantqu’undenousnes’écarte.Alexandrealesyeuxbrillants,etjevoisdéjàquesonérectionestderetour.Jejouelacartedel’humour.

–Tuesincroyable.–C’esttoiquimefaisceteffet-là!réplique-t-ilensouriant.

Oui,maisest-cequeceseratoujourslecas?Etqu’adviendra-t-ilquandilselassera?Alexandreretournes’allongeretmetireenarrièrepourquejereprennemaplacecontrelui.Jeregardetoujoursleminusculeobjet.Deuxsemaines,c’estencoresilong.

–Danscombiendetempstudoisyretourner?Iljetteuncoupd’œilàsamontre.

–Environdeuxheures.Jemerassoispourrangerlacartedanssonboîtierpuisposeletoutsurunetabledechevet.Lorsque j’ai fini, je tourne juste la tête vers lui pour lui sourire. Ses mains reviennent mecaresser.Lesomoplates,manuquequ’ilrévèleendégageantmescheveux.Iladmiremapeauquifrissonneetfinitparmeregarderavectendresse.Quandilestcommeça,riennepourraitlaissercroirequ’ilestunhabituédesmanigances.

–Commentonprocède,alors,avecça?s’enquiert-ilendésignant latabledechevetdumenton.Tuveuxqu’onorganiseuntrucavantlemariage?Jefrémis.Lemariage…Deuxsemainesetjeserailibéréedecettesœurtoxique.Qu’est-cequiferaitleplusmal?Quelleseraitlapiredessituationspourelle?Jesais.

–Non,jelaissetomberaprèsréflexion.Jevaislalaissersemarier.

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Samains’arrêtedenouveauensuspension.–Quoi?

Jemetournecomplètementverslui,unpetitrictussadiquesurleslèvres.–Jeladétruirailesoirdeleurfête.

Danssarobedemariée,devanttoutlemonde.

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12

Alexandre

Comme je l’avais prévenue, je la quitte près de deux heures plus tard. Elle est endormie,toujours à moitié nue, le visage apaisé. Quand elle dort, elle n’est plus rongée par dessentimentsqu’ellemecache.Siellecroitquejen’airienvu…Celamefaitvraimentchier.Jemerendscomptequej’aiéchoué.Jevoulaisqu’ellearrêtededissimulerquielleest,qu’elleassumesesressentiments,sescolèresetsesenvies.Aulieudecela, ellement.Elle sement, ellemement. Jene comprendspas.Pourquoime faire croirequetoutvabien?Ellenesaitpasqu’unseulmotetj’auraistoutarrêté?Jepensaisluiavoirmontré.Avecunpeuplusde temps,nousaurionspu trouverunautremoyende fairepayercettesalopemanipulatrice.Laure passe avant toute cette situation dorénavant. Il n’y a qu’elle que j’ai envie de rendreheureuse. Je la veux àmes côtés. J’ai déjà ressenti des sentiments amicaux et une certaineaffection–pourlesjumeauxnotamment–,maisjamaisjen’aiétéatteintparunetelleforce.C’estuneémotionquimetordlebidechaquefoisqu’elleestloindemoi,chaquefoisquesonregardsetroublequandellesouffre.Savoirqu’ellemecachecettesouffranceestencorepire.Ellenemelaissepasl’aider.Ellenemefaitpasconfiance.Je sais bien pourquoi,mais celame fout encore plus les boules. J’ai l’impression de ne paspouvoirmebattrecontresesdémons.Alorspourcalmermoncœurquigrogne,jefaislaseulechosequejeconnaisseetquim’apaise:jelatouche.Mesmainslongentsacolonne,puisc’estau tourdemabouche.Je respire l’odeurdesapeauaucreuxdeses reins, làoùmesmainss’accrochentchaquefoisquejesuisenelle.Jesoupireetm’écarteàcontrecœur.Jamaisunjeun’auraétépluspénible.Jenepensaispaséprouvercegenredechoses:deschosesquimeretiennent,mefontlamorale.

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Jeréussisfinalementàmelever,àm’habilleretàmechausser;toujourssansgrandevolonté.Etquandjesorsdelapièce,jen’aiqu’uneenvie:fairedemi-tour.Jefaisattentionqu’onnemevoiepasdanslecouloir,medirigeverslachambredeLéapuisouvre laportediscrètement.Lapièceest toujoursplongéedans lenoir.Aucunsonne trahitqu’elles’estréveillée.Jem’approchedoncdulitsansbruit.Léaestdanslamêmepositionquelorsque je suis parti : comme sa sœur, sur le ventre, le dos dégagé, la nuque blanche etofferte.Saufquelasiennenemefaitaucuneffet.Putain.Medésaperpourcettepouffeestuneépreuve;fairesemblantavecelle,unepunition.J’enlèvedoncmonjeanetmontee-shirtquejelancesurlesol.Monboxerlesrejoint,puisjesoulèvelacouettepourm’installeràsescôtés.Jefaisattentionànepaslatoucher.Elleenadéjàsuffisammentprofité.Sonsouffleestrégulier.J’espèrequ’ellenes’estpasréveilléeentre-tempsparcequesinon,jesuisfoutu.J’aieubesoindem’enfuirdelachambre.Resteràsescôtéspendantsonsommeilm’étaitimpossible.Ilfallaitquejeparte,mêmeaurisquequecettesalopemegrille.Celan’apasl’aird’êtrelecas.Sinon,ellem’auraitdéjàsautéàlagorge.Ilsepasseencoreunpeudetempsavantqu’unchangementnesurvienneetqu’ellecommenceà sortir du sommeil. Je connais bien ce genre de drogue, mon estimation était loin d’êtremauvaise.Quandjelasensbougerunpeuplus,respirermoinsrégulièrementetgémirdefatigue,jemedécideàcommencermonpetitnuméro.Lentement, je repousse lacouette,merelèveetmefrotte la nuque. Derrière moi, le bruit de la couverture qui remue est reconnaissable. Lematelass’enfonceunpeuplusprèsdemoi.

–Bonjour.Je réprime un frisson de dégoût. Sa voix est endormie et puante de bien-être. Une de sesmainsseperddansmondospourmecaresser.Dégagetesmainsdelà,putain!J’accrocheunsourirefacticesurmeslèvresettournemonvisageverselle.

–Salut.Biendormi?Elledéposeunbaisersurmonépaule.Jeserremonpoingquiluiestinvisible.

–Commeunbébé.Mais j’ai la tête qui tourne et je ne sais plus vraiment ce qu’il s’estpassé.

–Ladrogueetl’alcool!Çanefaitjamaisbonménage.–Tun’asrien,toi?demande-t-elleméfiante.–Non.Jesuisunhabitué.

Jeneluidispasquej’aiprisunplacebo.L’effetseraitgâché.–Quelleheureest-il?–Neufheures.–Quoi?

Elle s’écroule en arrière, rouspète contre elle-même puis donne un coup de pied dans la

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couverture qui la recouvre. Elle assume sa nudité et me la fourgue sous les yeux, à larecherchedesesvêtements.Ilfautdirequ’ilyenapartout.

–J’aioubliélepetitdéjeuner,maugrée-t-elle.Ondoittousseretrouverenbas,merde!J’attrape mes affaires et enfile chaque vêtement avec une décontraction déconcertante : leparfaitséducteurquiserhabilleaprèsunenuitdebaise.Le silence s’étend entre nous pendant que nous nous affairons chacun dans notre coin. Ellefinitparprendrelaparoleavecunsouriresatisfaitauxlèvres:

–Prêtàremettreçarapidement?Jeme crispe instantanément.Mesmains se serrent sur le bord du tee-shirt que je finis demettre.Qu’est-ceque je fais?Si je luidisoui, jepeuxencore ramasserplusdepreuvescontreelle.Maismoncorpsrejettecetteidée.Jen’enaipasdutoutenvie.Jenelesupporteraipas.C’estLaure qui me rend fou, pas une autre. Je ne peux pas recommencer. Je ne veux pasrecommencer.Alorsautantassumerets’amuserunpeu.

–Non.–Non?

En la dévisageant, je remarque qu’elle a perdu son sourire séducteur. Son expression estoutrée:ellen’admetpaslerejet.

–Commentça,non?Jemetourneverselleavecunregardarrogantdemoncru.

–Écoutebébé, tu t’espeut-être éclatéehier soir,mais çan’a franchementpas étémoncas.Saboucheresteouverte,bloquéeparlastupéfaction.

–Tuesplutôtpasmal,ajouté-jeenlareluquant.Mais j’aieul’impressiondebaiserunepoulemorte.Jepréfèrelesfillesentreprenantes.Alorsc’étaitsympa,maisonvas’arrêterlà.

–Tuplaisantes,j’espère!Jehausselesépaules.Saminedéconfiteestunpiedd’enfer.

– Non. Je vais continuer à jouer avec ta sœur comme on se l’est dit, continué-je enl’ignorant.Elle,c’estsûr,c’estunsacrécoup.Etquandj’enauraiassez,commeconvenu,jelabriserai.Tupourrasassisterauspectacleàcemoment-là.Jeluifaisunclind’œil.Léadevientfurieaumomentoùjesuisprêtetmedirigeverslaporte.

– Si tu veux continuer notre petit jeu, appelle-moi ! Mais on évite les propositionsdéplacéesàl’avenir.Un coussin atterrit à quelques centimètres de moi sur le mur. Elle prépare aussitôt unnouveauprojectile.Jeluilaissetoutleloisirdemeviseralorsquej’ouvrelebattant.

–Tusaisquejepourraisluidire?tente-t-elleendernierrecours,mauvaise.–Tusaisquejepourraislefaireaussi?répliqué-jesurlemêmeton.

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Sonvisagesedécomposedenouveau.–Crois-moi, tun’espasenétatdenégocier.Celuiquia toutes lescartesenmain,c’est

moi.Etnet’avisepasd’enparleràLauresinonjeprendraiunmalinplaisiràfairedemêmeavectonfuturmari.Monrirecruelrésonnederrièremoilorsquejerefermelaportedelachambre.Tout lemonde est réuni dans la salle des petits déjeuners. Ils sont assis les uns à côté desautressurunetableenlongueur.Jenesaispasoùellesontdormimaislablondeetlabrunequinousonttapéunescènehiersonttoujoursenpyjama,installéesaveclesautres, l’uneenfacedel’autre.Ellesnemevoientpassurlemoment,mais,quandjemedirigeverslebuffetàl’entréedelasallepourmeservirunmugdecafénoir,lesyeuxdeMaevametranspercent.Jesoutienssonregardjusqu’àcequ’elledétournelesien,autrementditquandjeviensm’installeràcôtéd’ellepourluimontrerquiconservelepouvoir.

–Qu’est-cequetufousencorelà,toi?Tunepeuxpasallert’asseoiràuneautretable?s’insurge-t-ellelesdentsserrées.

–Non.Jesuistrèsbienlà.Ellesoupireetgrommelleuneinsultequimefaitrire.Sionmetdecôtélefaitquejeviensdequitterunlitdanslequeljen’aiprisaucunplaisiràmetrouver,lajournéecommencebien.Jesavouremoncaféenm’installantconfortablementdansmachaise.Prèsdemoi, lablondeesttendue,surlequi-vive.Enlabousculantunpeuplus,jesuissûrqu’ellepourraits’enfuirdenouveau,commelaveille.Celameferaitbienmarrer.Heureusement pour elle, je n’ai pas le temps d’expérimenter la chose. Elle est sauvée parl’entréedeLauredanslasalle,suiviedeprèsparsasœur.Enlavoyant,jemefélicitedemonpetitmanègedecematin:lafuturemariéeestfurax.Elletentedelecachermaisneparvientpasàbernermonœilexpert.Ellefaitmined’êtreenjouéeenpénétrantdansleslieux,maisaufondelledoitbouillonner.Laurelèvelesyeuxauciellorsquesasœurluiparle.Léaestvraimentaveugle.N’importequipourraitvoirqu’elleluitapesurlesnerfsetqu’ellenepensequ’àluimettresonpoingdanslagueule.Lafuturemariéeabandonnesasœur,quisedirigeverslebuffetetvientnousrejoindre.Elles’enthousiasmedevoirtoutlemonderéunipuissejettesursonfiancécommeunedroguéeenmanque.C’est surjoué ! Elle lui raconte je ne sais quel bobard, qu’il gobe avec un souriremielleux.Unconmariéàunesalope:uncouplemythiqueendevenir.Léa s’installe à la table.Àma grande satisfaction, elle opte pour une place loin demoi, del’autre côté des deux filles. J’ai déjà dû supporter la chaleur moite de son corps qui m’adégoûtébientroplongtempscettenuit,ladistancemeconvientdoncparfaitement.

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Pendant que tout ce petit monde bavarde tranquillement, en se relatant les détailscroustillants de leur soirée respective,mes yeux fixentma déesse dans son pantalon et sondébardeur sans forme. Elle a mis des sous-vêtements et a ajouté un gilet, sûrement pourdissimuler son tatouage. Elle se balade pieds nus. Une petite fée sauvage au naturel. Satignassebruneestencoreemmêléedesanuit.Jesuisentraindemedélecterdelavisiondesesfesses,quanduneombrepassedevantmonchampdevision.Lefuturmariés’inviteàsescôtés.Illuisourit,luiparlependantqu’ilsseserventenboissonsetviennoiseries.Jemeredresseunpeusurmachaise,subitementmalàl’aise.Mesdoigtssereferment autour dema tasse et la portentmachinalement àmes lèvres.Mes yeux restentrivésaucoupleimprobableenfacedemoi.Stéphanedevientsérieuxet jettequelquescoupsd’œilversnotretabletoutencontinuantdefairelacausette.Putain, ils foutentquoi, tous lesdeux?Laures’écarteunpeu.Ellesecouelatête,hausselesépaules,puiselles’éloignedeluietvientversnotretable.Sonregarddérivesurmoiavecunsourirequidisparaîtpresqueaussitôtaumomentoùelledécouvremavoisine.Lorsqu’elles’assoitfaceàmoi,jeglisseunpiedcontrelesienpour lui rappelerque jesuis là.Maevadétourne lesyeuxpournepasnousvoir l’unenfacedel’autre.AdèleobserveLaureavantdereportersonattentionsurlablondefaceàelle.

–Sijereste,c’estuniquementpourtoi,Léa,déclarelablondeàlamariée.Elleahaussélavoixpouraccentuerlemessagesubliminalqu’elletentedefairepasseràsonanciennemeilleureamie.Laureme faitunpetit sourirepourm’indiquerqu’elle s’enmoque,puis elle me lance un petit regard attendri. Mais le voile qui obscurcit si souvent sesexpressions désormais refait surface bien trop vite. Ses yeux dérivent vers Stéphane, quis’installe à l’autreboutde la table en lui jetantun coupd’œil lui aussi.Elle reporte ensuiterapidementsonattentionsursonassiettepoursemettreàmanger.Lasituationesttrèsétrange.L’atmosphèrenemeplaîtpas.J’ai l’impressiond’êtreunsimplespectateur, observateur d’un spectacle auquel je ne veux pas assister. Et quand je la voistriturersoncroissantsansreleverlatête,jemedisqu’untruccloche.Laureesttroppensive,enpleinecogitation.Jen’aimepasça.J’aiunputaindemauvaispressentiment…

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13

Alexandre

Après ce week-end, j’ai repris la route seul pour rentrer à Paris. Pour des questionsstratégiques, Laure a insisté pourmonter dans lamême voiture que Léa et Stéphane. Sansmoi.Etsanssescopines.Je n’aimais pas l’idée de la laisser affronter sa sœur et continuer de jouer la comédie alorsqu’elleenavaitras-le-bol,maisillefallait.NousnedevionspaslaisserlapossibilitéàMaevade raconter à Léa notre session pelotage amoureux sur le balcon. La sœur de Laure auraitimmédiatement compris que je lui avais joué la comédie et fait le rapprochement avec sasœur.Duranttoutletrajet,Lauren’apascessédem’envoyerdesmessages.Elleétaitcomplètementangoisséeparlesquestionsdesasœurànotresujet.Laveille,elleavaitagisansréfléchirenvoulant fermer le clapet de Maeva, mais une fois l’excitation retombée, ses doutes sontrevenusàlacharge.Unefoisarrivésàl’appartementdeSarah,j’aiessayéd’êtrerassurant,deluimontrerquenousétionstoujoursopérationnels,maismesmotsontrésonnédanslevide.Laureétaitunevraiepile électrique. Sarah, qui avait attendu notre retour avec impatience, la regardait sanscomprendresonétat.L’audacieuseregrettaitsongeste.Ellepaniquaitdevoirsavengeanceluiéchapper.Jesuisdoncrestéauprèsd’elle.C’esttoutcequejepouvaisfairepourtenterdelacalmer. J’ai bien essayé d’autres approches, comme dem’énerver en reprenantmon ancienrôle,maiselles’estbraquéed’autantplus.Plusriennel’atteint.Mêmelesexeportéàhautedosen’ychangerien.Laureapeur.Elleestimpatiente d’arriver au mariage. Nous en sommes réduits à espérer que Maeva n’aille paspleurnicherdanslesbrasdeLéapourluiracontertoutcequ’ils’estpasséàl’hôtel.Ilnereste

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quepeude temps et ellesne sontpas si proches. Lablonde, blesséedans sonorgueil, n’irapeut-êtrepaslecriersurtouslestoits.Enplusdesonangoissed’êtredécouverte,Laureseperdparfoisdansdessilencespensifs.Unesemaine s’est écoulée depuis ce fameux week-end et ses absences sont de plus en plusnombreuses.Siaupetitdéjeunerellem’avaitparuailleurs,perduedanssescogitations,c’estdevenupirecesderniersjours.Laurerestesensuelleet insatiabledenosmomentscharnels.Maisdèsqu’ellemeregardeunpeu trop longuement, son regard change. J’en suis même venu à lui demander ce qu’il sepassait.Maiselleaéludélaquestionenutilisantlesexepourdétournermespensées.Jen’aipaspulutter.Malgré ses tentatives pourme faire oubliermes interrogations, j’ai vu clair en elle. Je suisrestéprésent,attentifetjen’aiplusposédequestions.Jenefaisdoncqueprofiterd’elle,desoncorpsetdesesriresquandellelaissetombersacarapace.Nousnousretrouvonschaquesoir,affirmantdeplusenplusnotrerelationquimefaittombersous son charme toujoursunpeuplus.Mais je suis volontaire,mêmeen sachant qu’ellemecachequelquechose.Le doute s’est insinué enmoi comme un poison lent. Il déchiremes chairs de ses attaquesdouloureuses.Nepassavoirestunetorture,ressentirtoutça,unepunition.Jeneparvienspasàme battre pour repousser cette sensation. Au fond je ne le veux pas vraiment parce queluttercontrecessentiments,c’estluttercontreelle.Jeluipermetsdemedévorerpourqu’ellesesenteensécurité!Ce soir, j’ai laissé Laure avec Sarah. J’ai quelque chose à faire, quelque chose quim’attenddepuissept jours.DepuisqueLéam’abalancélavérité:unrèglementdecomptes.J’aidonccontactéleprivéquis’estoccupédelasurveillancedeMattpourqu’ilmerefourguelesinfosàsonsujet,notammentlesnouveauxlieuxqu’ilfréquente.Me voilà donc posté près de son bar habituel, à côté de la sortie, prêt à intervenir. Je leregardetraînerdanscelieuoùilsenoiedansl’alcooletdragueàoutrance.Ilafaillitoutfairefoirer,ceconnard.Jedoislemettredéfinitivementhorscircuit.Jenesaispascombiendecigarettesj’aifumé:undemi-paquet,sij’encroislesmégotsautourdemoi.J’aiunpeufreinécesdernierstemps,gorgédemanouvelledépendanceàunparfumdéroutantetautrementplusaddictif.Maiscesoir, iln’yaquelanicotinepourmedétendre.Laurenesaitpasque je suis làetpeu importe le résultat, jecomptebien la rejoindreaprèscettepetiteentrevue.Jesuisentraindemerallumeruneclope, lorsque jevoissacarcassesortirdubar.Mattestdansunsaleétat.Sescheveuxsontpluslongs,sabarbemalcoupée,sonregardvitreux.Ilnetitubepasmaisonsentqu’ilestimbibé.Colléeàlui,unbrasautourdesataille,uneblonde

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écerveléequin’apasl’airenmeilleurétatl’accompagne.Elleestrecourbéeetagrippéeàluipour ne pas tomber. Leurs rires d’ivrognes transpercent la nuit lorsqu’ils commencent àmarcherdansmadirection.Quandilspassentdevantmoi,jesorsdel’ombre.

–SalutMatty…Monex«meilleurami»sestoppedanssalancée–aprèsunsursaut–etsetourneversmoi.Avec ma capuche, il ne voit pas mon visage, mais ses traits se durcissent, signe qu’il m’areconnu.Ilnesemblepaseffrayé.Pourtant,ildevrait.

–Alex…qu’est-cequetufousici?–C’estmoiquiposelesquestions.Quelesttonputaindeproblème?

Jeme suis redressé et je le surplombe. Il est plus petit quemoi, sûrement plus carrémaismoinsrapide,moinshargneux,etsurtout,ilestmoinsentraînéaucombatquemoi.Jevoissonmouvementdèsqu’ill’amorce.Sonpoingselèveàlahauteurdesonépaule.Ilestprêtàmel’envoyerenpleinegueulemaisjesuisplusaguerri,plusvif.Jelepareenrelevantl’avant-brasetriposte.Monpoingvients’enfoncerdanssonplexusetilseplieendeux.Jeluiattrapelanuqued’unepoignedeferetl’envoiebaladercontrelemur.Mattamortitlechocavecsondosetexpiresousladouleur.Jeneluilaissepasletempsdesereprendre.Macapuche retombe de ma tête au moment où je fonce sur lui et enserre son cou dans mapaume.Nosyeuxs’affrontent.Marageestvisiblesur tous les traitsdemonvisageet jusquedansmesmembres tendus.Jesuis fouet impulsif,prêtà le fairepayer.Lorsque j’assuremapriseetserreplusfort,ilnesedébatplus.

–T’enaspaseusuffisamment?demandé-jedurement.Ilsetait,prochedesuffoquer.Cependantjenedéfaispasmesdoigtsdesagorgecomprimée.

–Réponds!crié-jepourlefaireparler.–Lâche-moi,putain!–Arrêtez!

Lablondasseserapprochedenous.Ellemeregardeterrifiée.–Dégage,situneveuxpasquejet’arrêtepouravoirfaitletapin.–Quoi?Maisje…–Jesuisflic,salope,alorsdégagesansfaired’histoire!

Ellesebarreaprèsunderniersursautfaceàmonairdangereux.Entre-temps,mapoignes’estramollie.Mattenprofitepourmerepousser,s’extirperdemesbrasetessayerdemebalancersoncoudedanslamâchoire.Jem’écarteinextremisetenvoiemongenoudanssonventre.Ilsepliedenouveauendeux,maiscettefois,jeluiattrapelespoignetsetjelestordsdanssondospourleplaquercontrelemur.Sarespirationestcoupéesurlecoup.

–Jet’avaisditdenepasallervoirLéa.–Ellenevoulaitplusdemoi.Ilétaithorsdequestionquetumelaprenneselleaussi.Il

fallaitquejeluidise.

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Putain,maisquelargumentbidon.N’a-t-ilpaspeurdemoi?Alorsque je luiaidéjàprouvéquejepouvaisrétamersapetitegueulecommejelevoulais?

–Jet’avaisprévenu,Matty.Cesurnomsonneodieusementdansmabouche.

–Tunem’aspasécouté.–Putain,crache-t-ilenessayantdesedébattre.Maisqu’est-cequetuvasmefaire?T’es

unflic,bordel.Lesflicsnecognentpaslesgenssansraison!–Jenesuispascegenredeflic.Continuecommeçaetjet’envoieàl’hôpitalpourunbon

boutdetemps.Etjeneseraimêmepasinquiété.J’aienviedelecogner.

–Vas-y,fais-le!Qu’est-cequej’aiàperdre?Tum’astoutpris.Tum’asprisLaure,espèced’enfoiré!Jebloquesanuqueunpeupluslorsqu’ilessayedes’aiderdumurpours’enécarter.C’estassezfaciledelerendreimpuissant.Cemecestuneloque.

–Tutel’esenlevéetoutseul,connard!–Qu’est-cequejet’aifait,putain?Onétaitpotes,bordel!Commentcettegonzessea-t-

elleputeretournerlecerveau?Jerigoleméchammentàsonoreille.

–Tun’asjamaisriencompris,n’est-cepas?Lauren’arienàvoiraveccequ’ils’estpassé.J’attendais de pouvoir te détruire depuis des années. À mes yeux tu n’étais qu’un fils debourgespourri gâtéquiméritaitunebonne leçon.Unconnardd’enfantbiologique chériparsesparents…

–Putain,maisquelrapport?–Toutaunrapport.

Oui,toutaunrapport.Mattn’étaitpasqu’ungossederiches.Ilétaitl’enfantchéribiologiqued’un couple qui ne croyait plus aumiracle et avait adopté un autre gamin.Un pauvre typecommemoiquis’estretrouvéreléguéausecondplanaprèslanaissancedecetrèscherMatt.La similitude de nos situations m’avait sauté aux yeux et fourni la possibilité d’expier mesdémonsàtraversunautre.Oui,dèsquej’aisuça,lapremièrefoisquejel’aivu,j’aicomprisqu’ilnefallaitpasquejelaissepassercettechance.Àdéfautdefairesouffrirmonfrère,tropjeuneà l’époque, jem’étais rabattu sur luiet j’avaisprismonpiedà lemanipuler. Je savaisque plus je me rapprocherais de lui, plus belle serait sa chute. Alors j’ai pris monmal enpatienceetsuisdevenuamiaveclui.Dumoinsjusqu’àcequeLaurememettedesbâtonsdanslesroues.Aujourd’hui,toutestdifférent.C’estellequimetiententresesmains.

–C’estpourçaquetuastoujourstoutfaitpourmelaprendre,parjalousie?crache-t-ilméprisant.Jeresserremaprisecommepourappuyersesdires.

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–Tucroisquejenet’aijamaisvu?Jet’avaiscaptéàdeskilomètres,avecelle,ajoute-t-ilmauvais.Jen’avaisjustepasprévuqu’ellesoitsiréceptive…Moncœurtressaute.Dequoiparle-t-il?

–C’étaitécritsurvosputainsdegueulequevousétiezexcitéschaquefoisquevousvousvoyiez.Laure faisaitminede tedétester,de rester loinde toi.Maiselle se fourrait ledoigtdansl’œil,siellemecroyaitdupe.J’appuieplusfortcontrelui,plusfurieuxquejamais.

– Elle n’a jamais rien fait en étant avec toi, lui grogné-je à l’oreille. Tu es le seulcoupable.Ellem’atoujoursrepoussémalgrétoutesmestentatives.

–Pourmieuxrevenirmaintenant?Ellen’apasdûlutterbeaucoupavantdetomberdanstesbras.Finalement,cettefilleestunesalope…commetouteslesautres.J’explosederage.L’agrippantpar lecol, je le jettesur le sol. Il se relèvevitemais jene luilaissepasletempsderespirer.Jerecommencemescoups,répétantlesgestesapprisàl’écolede police : frapper ces points bien précis, ceux qui bloquent, empêchent de respirer etanéantissenttoutecapacitéderiposte.

–Elledoitsacrémentbientebaiserpourquetusoissiaccro,parvient-ilencoreàlâcherpourmeprovoquer.C’estvraiquec’étaitunsacrécoup…Jesuisentranse,contrecetype,cemecquej’aicôtoyédenombreusesannées.Jedéversesurluimacolère,mesdoutesetlesinterrogationsquinemequittentpasdepuisunesemaine.Matts’enprendplein lagueule. Ilparvienttoutdemêmeàmecognerenretour.Mais jeneressenspas les coups. Je les cherche. Pour éteindre ce sentiment oppressant : cette jalousievenimeuse qui a déjà pris possession de mon être, ce liquide brûlant qui coule dans mesveinesetmeramènesanscessel’imagedeLaureetdeStéphaneàceputaindepetitdéjeuner.Quelquechosem’échappe.Jefermelesyeux,lesimagessemêlent.Jefrappetoujours.Auboutd’unmoment,jesuisessoufflé.Ungoûtmétalliqueemplimabouche.Mesjouessontéchauffées.Mattestdansunétatpireencore.Ilcrachesonsang,pliéendeux,levisagetordudedouleur.

– C’est bon ! abdique-t-il quand il me voit faire un pas vers lui. T’as gagné… Putain,arrête!Jevousemmerderaiplus.

–T’asintérêt,lancé-jemenaçant.Sinonlaprochainefoisjeneviendraipastoutseul.Je lui lanceundernier regardmeurtrier tandisquesesyeuxs’arrondissent.J’avais raison, cemecnevautpasunclou.Unputaindelâche!Jecrachedanssadirectionetessuiemabouchedureversdelamain,puisjemedétournedeluienremettantmacapuche.

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Mamotogaréeauloinm’attend,l’adrénalineaussi.Quandj’ysuis,jel’enfourcheetdémarre.Jeroulevite,doubleaurasdesvoitures,slalomepourmieuxfairevibrerl’excitation.Toutcequejefaismeconduitàelle.Pourquejepuissemeperdreencore.Jeprendsdescheminsdétournés,quiallongentmaroute,pourprolongerlasensationgrisantequ’àtoutevitessemonmondenes’effondrepas.J’arrive peu de temps après au bas de l’immeuble de Sarah. Je monte les étages par lesescalierssurlemêmerythmeeffrénéquidictelesbattementsdemoncœur.Jesuisdevenuuncamé.Etjesuiseffrayé.J’aipeurqueLaurenemeretiremadose.Jesaisbienquemonvisageestfatigué,quemesmainssontécorchéesetquemonimagemetrahit.Ellesauratoutdesuitecequej’aifait,maisj’aibesoind’elle.Jesonneàlaporte.C’estEllequim’ouvre.

–Alex?–Ilnenousferapluschier.–Quoi?

Jenerépondspasetjel’embrassecommesimaputaindevieendépendait.

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14

Alexandre

Je suis assis près de la table du séjour. Laure, à genoux entre mes jambes, a imbibé unecompressed’antiseptiqueetlatamponnesurmeséraflures:mesmains,principalement,puismonvisagetuméfié,monœil,malèvre.

–Tusaisquejepeuxm’enoccupertoutseul?Elle ne me regarde pas, mais je vois sa bouche former un sourire moqueur. Une secondeaprès,ellevientappuyerplusfortlecotonsurmalèvrefendue.Lapiqûreaugmentesoussongesteetm’arracheunegrimace.Semarreresttoutcequ’elletrouveàfaire.

–Tudisais?demande-t-elleenjouantl’innocence.–Etaprèsonditquec’estmoilesalegosse!

Nossouriresserépondent.Cesoir,malgrémonétat,j’essaiedeladivertir.Lorsque je suis arrivé, je crois l’avoir fait paniquer. Je n’ai même pas réfléchi. Mes plaiesn’étaientplusimportantes,monmaletmesquestionssontpassésausecondplan.Jemesuisjetésurelle:dépendant,ravagépar lemanque.C’étaitmamanièredeluiprouverquenousneseronsplusemmerdésparceconnard.Ellen’apascomprismesmotstoutdesuite.Jusqu’àcequejeluirévèlelavérité.Ellenem’afaitaucuneleçondemorale,aucuneremarquedéplacéeoudésobligeante.Non,aulieudecela,madéessem’afaitasseoirpuisattendrepourfinirparmesoigner,meguérir,etparsesgestesattendris,merassurer.J’enaipresqueoubliélacausedemacolère.Laureme trouble, elle renversemes croyances.C’estd’autantplus vrai ce soir alorsque lesmotsdeMattm’ontmarquéauferrouge.Ilssesontinsinuésdansmonesprit,yontnaviguépours’amarreretneplusvoguer.

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Jesuisobligédeconstaterqu’ilaraison.Pendantcinqans,j’airecherchésoncontact.Pendantcinq ans, je ne faisais que la regarder. Pendant cinq ans, je l’ai désirée. Est-ce que derrièretoutesmestentativespourlamettreenrognesecachaitlebesoindelaretenirprèsdemoi?Est-ce quemon désir de la voir sortir de sa torpeur n’était pas unmoyen de la pousser às’épanouir?QuandLaurefinitsessoins,sonvisageinspectelemien.Jenel’aipasquittéedesyeuxdepuisquejesuisici.Aussi,jesaistrèsbienqu’elleévitederegardermesplaies.Jecroisqu’ellenelessupportepas.Oualorsest-ceautrechose?Jetourneenrondaveclesmêmesdoutes.

–Alors,qu’est-cequ’iladit,cettefois?–Tuveuxvraimentlesavoir?

Ellebaisselesyeux.–Oui.–Iln’apaseuletempsdediregrand-chose,avoué-jeensoupirant.Maisilaétéodieux.

Jenepouvaispasnerienfaire.Elleacquiescepuiss’assoitsurlesol.Sesyeuxmefrappentdepleinfouet:ilssontsévères.

–Tucroisqu’iltenteraencorequelquechose?ajoute-t-ellelevisagedur.–Non.Iln’étaitpasdansuntrèsbonétat.D’aprèscequejesais,ilboitbeaucoup.Etila

perdusonboulot.Jeviensdeluiasseneruncoupfatal.Celam’étonneraitqu’ilsefrotteànousdesitôt.Lentement, jeglissedemachaisepourmemettreà sonniveau.Sesyeuxsuiventchacundemesmouvements pendant que je memets en tailleur à sa façon, mes genoux touchant lessiens.Ellelesregardeuninstant,puismesourit.

–Seremet-ilenquestion?Jehausselesépaules.

–Quandtasœursauracequiluitombesurlatête,il ledécouvriraforcémentaussi…Ilserendracomptedecequ’ilacauséetviendrapeut-êtrechercherdescomptes.Elle se redresse, combattante.Elle se lèveavec le flaconet laboîtede compressesdans lesmainsetpartverslasalledebain.

–Qu’ilvienne,lance-t-elleenmarchant.Ilserabienaccueilli.Lauredisparaîtdans la salled’eau. Je l’entends farfouilleret claqueruneporteavantdemedéciderà la rejoindre.Quand j’arrive, elle range rageusement. Lapièce estminuscule, aussibienen largeurqu’enhauteur. Lorsque j’entre, c’est àpeine si je tiensdebout. Laproximitéintime dans laquelle jeme retrouve avec Laure nous fait frissonner tous les deux enmêmetemps.Ellenebougeplusquandjevienslafrôler.

–Tulesens,ça?demandé-jeenregardantlachairdepoulequiparcourtsoncorps.Sapoitrinesegonfle.

–Chaquefois,souffle-t-elletoutbas.

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Jefaisunnouveaupas.Soncorpsestcontrelemur,sesmainsàplatetsondoscolléàcelui-ci.Ellealevélatêtepourmeregarderapprocher.

–Jecroisquec’estlàdepuislongtemps,dis-je.–Vraiment?–Oui.Vraiment.

Son souffle est rapide. Sa voix s’éteint dans un soupir lorsque mes jambes touchent lessiennes.Monbassinsefixesur lesien.Dèsqueje latouche,toutseréveille:moncœurquibatàfondlacaisse,marespirationessoufflée,maqueuerigide.Elledoitsentirtoutça,cetteconnexionentrenous,carquand je ressensuntruc,ellemerépondde lamêmefaçon.C’estcommeça.Etsinoussommeshonnêtes,depuisbienavantsaruptureavecMatt.

–Est-cequ’onestok?–Ok?

Elle ne semble pas comprendre de quoi je lui parle. Pourtant j’ai cruellement besoin d’uneréponse.Moiquisuistoujoursmaîtredemespensées,làjemetorture.

–Toietmoi.Son regard levé vers le mien se trouble. J’essaye de lire en elle mais Laure semble avoirrefermélaporte,commesiellesavouraitl’instantetriend’autre.

–Tuasundoute?demande-t-elle,lesyeuxpeuassurés.Est-ceque j’aiundoute sur le faitqu’ellemecachequelquechose?Oui.Maisest-ceque jepeuxmettrelespiedsdansleplat,alorsquenousn’avonsjamaisétabliprécisémentlesrèglesdenotrerelation?

–Non.Jen’aiaucundoutesurcequejeressens.Sonvisagerayonne.Mesmotssemblentlacomblerdejoie.

–Ettoi?Je patiente. L’attente ne dure qu’un brefmoment,mais j’ai la sensation qu’elle retientmoncœurenotage.Elleseulepeutdéciderdemelerendre,delegarder,oudelebuter.

–Jesuissûreaussi.–Alorsonestbons?

Ellesemetàrire.–Jenesaismêmepasceque tuentendspar là ! lâche-t-elleunsourire radieuxsur les

lèvres.–Jenesuispasdoué.Tulesais.–Maisilfaudraitpeut-êtrefaireuneffort!

Jeréfléchis.–Jeneveuxplusqu’ilyenaitd’autres.

Elleperdsonsourireetredevientattentive.Sesyeuxcherchentcommentm’apprivoiser.–Tuessérieux?–Jetel’aidéjàdit.

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–Pasaussiclairement.–Alorsjelefaismaintenant.Jeneveuxplusqu’ilyenaitd’autres.C’esttoietmoi.Çal’a

toujoursété,non?–Jecrois,oui…

C’estlaseuleréponsequej’attendais.Meslèvress’abattentsurlessiennesetravagentsabouche.Noscorpssepressentl’uncontrel’autre.Mesmainsseplacentautourdesatête.Salanguedoucecaresselamienne.Jel’aspire,la suce, la lèche : autant de manœuvres pour la faire succomber qui me font tremblerd’excitation,deplaisiretd’unepeurprofondémentmêléeaureste.Jeladéguste,larespire,latouche.J’aibesoindelasavoiravecmoi,sespenséesliéesauxmiennes.

–Talèvre!tente-t-elledeparlercontremoi.–Ons’enfout!

Sonrirecristallinest lachoselaplusdouceàmonoreille.Mesmainsdescendent le longdesoncorpspourlasoulevercontremoi.Unseuldemi-tour,et je l’entraînedansladouche.Jenelarelâchequepourretirermeschaussures.

–Qu’est-cequetufais?demande-t-elle.–J’aibesoindemelaver.

Sesyeuxs’arrondissentquandellecomprendquejevaisallumerl’eausansattendre.Lauresecolle au carrelage derrière elle.Mon tee-shirt tombe par terre aumoment où je referme laparoiderrièrenous. Je lui jettedes coupsd’œilpourm’apercevoirque sesyeuxnedériventpasdemoi.Ellemematecarrément,neseretenantmêmepasdes’arrêtersurlespartiesquil’intéressent. Mes pectoraux et mes abdos semblent la mettre en transe. Je lui adresse unsouriretaquin.

–Tudevraisfairepareil,luilancé-je.Ellenemetpaslongtempsàsaisircequejenedispas.Torsenu,monairdesalegossesurlevisage,jem’approched’elle.Satêteselèveàmesurequej’avance,etbientôt,ellemeregarded’enbaslesoufflecoupé.L’effet attractif entre nous est toujours présent, si fort qu’il me déstabilise et me surprendchaque fois. J’ai vraiment été un fou aveugle pour ne pas remarquer ce qu’elle fait demoi.Pourl’avoirlaisséeàunautresilongtemps.C’estellequicomblelesdernierscentimètresquinousséparent.Ellequisecolleàmoi,passelesbrasderrièremanuqueettiremonvisageverslesien.Ellequim’embrassedetoutessesforces,saboucheetsalanguebougeantaveclaforcedudésespoir.Laurebrise sesbarrières. Sespeurs, sa colère et son trop-pleind’émotions sont tout entiersdans ce baiser. Et tout ce que je peux faire, c’est la serrer contremoi, pour répondrede lamême façon. Parce quemoi aussi je suis en colère : contremoi, contreMatt, contre Léa ;

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contre elle aussi quinem’apas laissé l’atteindredurantdesmois etquimaintenant s’ouvrepourmetorturer.Sansnousdécoller, jedescends lesmainssousses fesses,donneune impulsionet la soulèvecontremoi. Ses jambes senouent au-dessusdemeshanches. Laure est toujourshabillée.Etmoiaussi.Maisçan’aplusaucuneimportance.Noussommesdéconnectésdetout,concentréssurnous.En deuxmouvements, je nous ai amenés sous l’eau chaude. Ce n’est ni une cabine, ni unedoucheàl’italienne,maisl’espaceestamplementsuffisantpourselaveràdeuxoupourquejem’enfonceprofondémentenelle.Elleritdeseretrouvertrempéealorsquenousnenoussommespasdébarrassésdetousnosvêtements.Maisjedoisdirequelespectaclevautlecoupd’œil:sonhautdevenutransparentmoulesesseinsquipointentversmoi.Jemefaisunplaisird’ydéposermabouchepourlesréchauffer.Àtraversletissu,j’enmordilleun.Sonpremiersoupirretentit.

–Tuvasdevoirêtreplusdiscrètesituneveuxpasréveillertoutl’immeuble!–Quiaditquejenevoulaispas?répond-ellejoueuse.–Putain…

Je l’abaisse un peu sur ma queue pour qu’elle puisse sentir à quel point ce qu’elle me ditm’excite.Songémissementestdivin.

–Tuesunetrèsvilainefille…–Avectoi,toujours,chuchote-t-elled’unevoixbrûlanteàmonoreille.

Mondésirmeconsume,ilserépanddansmesreins.Jemeretiensdelaprendretoutdesuite.Jeveuxlafairelanguir.Jelaplaquecontrelemurpuisjefaisdescendresesjambessurlesol.Nousnousembrassonstoujours, mais nos corps se frottent l’un contre l’autre, déclenchant de nouveaux frissons.Lorsqu’elle commenceàouvrirmonpantalon, je suis tellement excité que jedois reprendremarespiration.Nous rions comme des gosses en essayant de retirer nos fringues. Celles-ci nous collent etrâpentsurnospeauxaumomentoùnouslesenlevons.J’admirelecorpsdeLaure:souple,ferme,avecceventreoùjeveuxdéposerdesbaisers,sesseinsquidisparaissentfacilementsousmesmainsetmalangue.Jevoudraislatoucherchaquejour,apprendretoussessecrets,dévorersachairencoreetencorepourmerassasier.Laureestdanslamêmecontemplation,lemêmedésir.Lorsquejeveuxrevenirversellepourmarquersoncorpsdumien,elle faitunpasenavant, s’emparedemaqueuedéjà tendueetvientpicorerlehautdemontorsedebaisers.Jemelaissefrémirsoussamainpuishaletersansretenue.Ellerelèvealors latêteversmoipourmesourire,victorieuse.Elleestentraindem’allumeroujerêve?

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L’eauchaudeaaugmentélatempératuredelapiècepournousenfermerdansunbrouillarddevapeur.Maiscettechaleurn’estrienencomparaisondesapaume,quisedéplacedoucementlelongdemahampe,serréepourmieuxmefairegémir.

–Alex…Jemebaissepourl’embrasser.Ellereculecontrelemurlorsquejel’ypousse.Puismesmainsviennentseposerprèsdesatête.Mesbaiserssontimpérieux,désordonnés.Jeneparvienspasàpasserau-delàduplaisirqu’ellemedonne,uniquementavecsamain.

–Dis-le-moi!arrive-t-elleàarticulerentremeslèvres.Jesaiscequ’elleveutentendre.Jepressedavantagemoncorpscontreelle.Sesdoigtsmelâchentpendantquejelaportedenouveauetl’empalesurmonérection,siprésenteetpresquedouloureuse.Sesyeuxsefermentsouslasensation.Satêtebascule.Sesjambesseresserrent.Sesonglesseplantentdansmesépaulesauxquellesellesemaintient.Jemordssoncoudégagéetassuremapriseenm’enfonçantencoreenelle.

–Jesuisfoudetoi,avoué-jeunedeuxièmefois.Tum’asenvoûté.Elle a un hoquet de surprise que je fais taire dema bouche en recouvrant la sienne. Je laporte et la presse d’unemain sous ses fesses, les mouvements demon bassin se percutentcontreelle,etellecontrelemur,derrière.J’attrapeundesespoignetsetlebloqueau-dessusde sa tête,d’unepoigne féroce.À l’instardemoncorpsperdudans le sienmonétreinteestbrutale,pourmelaver,effaceretrecommencer.Jenesuisjamaisalléaussiloin,aussiprofond.Laurem’accueilleencoreplus.Ellefrissonneets’émerveilledemesentirainsi,pardescrisd’extasequirésonnentdanslapièce.

–Tamain!jeluiordonneendésignantcellequiesttoujourslibre.Monaudacieusenesefaitpasprieretm’offresondeuxièmebras.Sesmainset lamiennesemêlent. Ses doigts se contractent sur ma poigne quand j’amplifie mes gestes et varie leurcadence.Ainsiofferte,jepeuxm’amuseràlarendreplusfollededésirqu’ellenel’estdéjà.Alorsjem’yattelle.L’angledemonsexeallantetvenantàl’intérieurdusienchangeencore,lorsquejemecourbeetlèchesestétonsdurcis.Toutsoncorpssetend.

–Jevaistefairejouirtoutelanuit,soufflé-jeenfiévré.N’ytenantplus,j’accélèrelerythmeetl’amplitudedemesmouvements.Laurenem’embrasseplus.Sa têtecontre lamienne,elleessayed’étouffer sesgémissements,alorsquemoi, jenelesretienspas.

–Jeveuxt’entendre.Jem’encontrefousdumondeextérieur.Sescrissontmonmoteur,sesdentsquimordentmapeau,unaphrodisiaque.Nosmainstoujoursau-dessusd’ellenesedécrochentplusalorsquejelasens,quejel’écouteabandonner tout contrôle. Elle est tout proche de l’orgasme, moi j’y suis déjà depuis un

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moment. Jenousgardeprisonniers l’unde l’autre : entravés,noués, abandonnés. Jusqu’à cequ’elle jouisseenfin.Jusqu’àcemomentoùtoutsecomprimesurmoi,autourdemaqueue.Chaleur, douceur et humidité me font basculer après elle. Cela n’a jamais été aussi bonqu’avecelle.Lorsquenoussommescalmésetqu’ellearetrouvélaterrefermeetlaprotectiondemesbrassous ce jet toujours brûlant,mon cœur s’apaise. Pendant cet instant, je ne suis rien de plusqu’un homme tombé amoureux : sans faux-semblants, sans manipulation. Mais je sais qu’ilnous reste du travail. Et que cela risquede raviver des passages compliqués et douloureux.Inconsciemment,jemecrispeenypensant.

–Qu’est-cequinevapas?demande-t-elleenécartantunpeusatête.Jemeremémorelasoiréeavecsasœur,cequ’ilenadécoulé,etjelaisseparlermoncœur:

–Quand tout sera fini,neme redemande jamaisdepiégeruneautre femmecomme tasœur,Laure,dis-jemesyeuxplongésdanslessiens.Plusjamais.Puis je l’embrasse. Comme si ma vie se jouait dans ce baiser et les jours à venir. Pour lemoment,cesoir,cettenuit,jenelaquitteplus.Noussortonsdeladoucheetnousnousessuyonsenprenantbiensoindenepasromprenotrecontactvisuel,devenusiintime.Laures’enrouledanssaserviette.Jefaisdemêmeavecl’uned’ellesautourdemeshanches.Etquandnousavonsterminé,jem’approchedeLaureetpasseunemèchedecheveuxderrièresonoreille.

–Jenesuispasdouéaveccegenredemots,commencé-jehésitant.Maisunjourjeteledirai.Sonsourireestéblouissant.Lemienaussi.Ilsnenousquittentplusdepuistoutàl’heurealorsquenousnousregardonscommedeuxadolescents.Jen’aijamaisvraimentconnucegenredebéguinmais jepenseque l’émotiondoit être lamême. Je suis en traindedécouvrir cequepourraitêtrel’amour,levrai.Iln’yaplusrienquicompte.Laureestseulementconcernéeparmoietmoiparelle.Nosyeuxnementent pas. Nous ne sommes plus sous accord depuis longtemps. Tout ce que je veux,c’estpouvoirprofiterd’elle,desoncorpscommebonmesemble.Etlafairejouirenobservantlefeulaconsumer.

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15

Laure

–Onpeutsavoircequetuas,cematin?Jesursaute,matasseensuspensdans lesairs.LavoixdeSarahvientd’interrompre lecoursde mes pensées. Cela doit faire vingt bonnes minutes que je suis assise devant mon petitdéjeuner,àregarderpar la fenêtre.Autantdetempsàmeremémorercettenuit :Alexandreprèsdemoiàmelivrersoncœur,ouenmoiàm’arracherdessoupirs.Etautantdetempsàtourner,retournercemauditobjetentremesdoigts.

–Tun’astoujourspasregardé?demande-t-elleens’installantenfacedemoi.–J’ensuisincapable,soupiré-jededésolation.

Cequ’ilyadessusmeperturbe.Chaquefoisquemesyeuxtombentsurcettecarte,jeredoutede l’ouvrir.Alors je n’en fais rien. Jen’osepas.Mêmeaprèsune semaine, je n’y arrivepas.Celamepoursuitnuitet jour.Cequ’il s’estpasséceweek-end-làneme laissepasdormirnivivre en paix. J’imagine sans cesse des images d’Alexandre avec Léa, et je revois encore etencorelebaiserdeStéphane.Lesdeuxmerenvoientuneimagedérangeante:unavenirquejenemaîtriseraipasetquimeplongeradansdesaffresm’ayantdéjà faitdumalpar lepassé.Commentavoirconfianceaprèstoutça?

–Ilvafalloir,situveuxpréparertoncoup,oualorsdemandeàquelqu’un.Jereportemonattentionsurelle.

–Àquiveux-tuquejedemande?–Mickaël?LefrèredeLudo.

Jelaregardeavecdesyeuxétonnés.LudoetMickaël?Lespotesd’Alexandre?–Tul’appellesLudo?

Ellehausselesépaulesetdétourneleregard.Si jenecommençaispasàlaconnaîtreetsi jenesavaispasquetouslessoirselleoffresoncorpsàlavuedetous,jepourraispresquecroirequ’ellerougit.

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–Jecroyaisquec’étaitunamid’Alexandre.Jenesavaispasquevousvousconnaissiez.–Onneseconnaîtpasàproprementparler.

Elleglisseunemèchedesescheveuxderrièresonoreille,gênée.–Disonsqu’ona…accroché.

Jesuissceptique.–«Accroché»enuneseulesoirée?C’esttout?–Oui.C’esttout.Arrêtedefairetacurieuse,megronde-t-elleenmelançantunboutde

pain.Jevoulaisjustetedonneruncoupdemain.Elle se lève en emportant sa tasse et va lamettre dans l’évier. On dirait qu’elle s’échappeavantquejenedécouvrelavérité.Depuisquandest-elletimide?

–Ok.J’irailevoir.Macolocatairerevientavecunelueurétrangedanslesyeux.

–Tuveuxveniravecmoi?Sonsourires’épanouit.Jecroisquejeviensdeluifaireunsacrécadeau.

–Onn’aqu’àyalleraujourd’hui,situeslibre,continué-je.–EtAlex?Ilvientavecnous?questionne-t-ellesansrépondreàmaquestion,commesi

c’étaituneévidence.–Non.Ilestpartitôtauboulotcematin.

Et puis je n’ai pas envie de l’embêter encore avec cette histoire. C’est àmoi de prendre enmainlesdernierspréparatifs.Ilenadéjàassezfait.

–Jevaismepréparer,alors,annonceSarah,avantdepartirverslasalledebain.Je la regarde s’éloigner puis reprends ma contemplation à travers la vitre. Mes yeux seperdent dans la circulation. Je suis soudain très absorbée par les feux rouges et le flotdiscontinudevoitures,lesunesderrièrelesautres.Sarahvientdemedéridermaisc’estcommesimonesprits’évertuaitàmerappeleràl’ordre,chaquefoisqueleprénomd’Alexandreestprononcé.C’estplusfortquemoi,etfranchement,celamefatigue.Hiersoir, j’aicruquemoncœurallaits’effondrer.Sesmotsm’ontpercutée.Ilveutquenoussoyons exclusifs lui et moi. Ce qui signifie forcément se faire confiance. Mais comment yparvenirquandonatoutcepassifderrièrenous?Jecommenceàenavoirmarredenejamaisêtresûre…Onnepeutpasdirequenotre relationait euundémarrage classique.En réalité, jene saismêmepasquandelleacommencéréellement.Depuiscinqmois?Cinqans?Sijen’étaispasrentréecesoir-là,si jen’avaispassurprisMatt,est-cequej’auraistoutdemêmesuccombéàcette attraction ? Je ne sais pas. Tout ce que je sais, c’est qu’Alexandre me rend libre.Seulement,maintenant,jeveuxpouvoirl’êtreaussisanslui.

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J’aibienconsciencequ’ilaengendrémonbesoind’indépendanceenm’apprenantàm’écouter.Mon évolution, mon acceptation de m’ouvrir et de ne plus cacher mes réels sentiments, aréveillétousmesdésirs,tousmessouhaitsrefoulés.Jesenslechangementquis’opèreenmoi,endehorsdelui,endehorsdenous.Ilnemefaitpluspeur,jeneprendspluslapeinedelecacher;ycomprisautravail.Je n’ai jamais été aussi peu appliquée, aussi peu enthousiaste de travailler. J’ai passé desheuresdevantmonordinateursansdécrocherletéléphone,desheuresàmedemandercequeje foutais là,desheuresàdessinerplutôtqu’àbouclermesdossiers. J’avaisdesébauchesdedessins plutôt que des contrats sur toute la surface disponible demon bureau. Je n’ai rienperdudemaprécisionnidemongoûtpourlesombre,lecauchemardesqueoulemorbide.Ilsnesontpasvraimentdiscretsetpaslemoinsdumondecachés:maresponsablelesavus.Ellen’ad’abordriendit,mêmesiellen’approuvaitpasvraiment.Ilyenavaitbeaucouptroppour qu’ils n’interfèrent pas avecmon travail. J’ai été surprise qu’elle n’en profite pas pouraller toutbalancerànotrepatron,mais il fautcroirequeperdresonesclavepersonnelle luiétait plus pénible que de me nuire. Quand elle a commencé à me poser des questions,convaincuequejedevaisfaireunesortededépression–lesgensontles idéesbienarrêtées,parfois–,j’aicomprisquejen’enavaisplusrienàfaireduregarddesautres.J’aimedeplusenpluscettepartiedemoi.Elleestcelled’uneâmequiselibèreetassume.Etc’estgrâceàAlexandre,qui sait ladévoiler, l’alimenter.Toutcomme ilalimentemessautesd’humeur.Machefenad’ailleursfaitlesfrais:changeanteaugrédelajournée,jenesuispluslafilleenjouée,disponibleetgentilleavectoutlemonde.Jenecourbeplusl’échinepourtoutaccepter. Désormais, dès que quelque chose neme convient pas, je le clame, peu importecomment.Rachelabiensûrétécontrariéeparcechangementd’attitude,mais jenecroispasavoirétéd’unetrèsgrandeamabilitélorsqu’ellem’ademandécequin’allaitpas.Jem’enfous.Cequ’ilspeuventpenserm’estindifférent.Parfois,jenecomprendspascetennuisoudain.Ilmeplaisaitceboulot,avant.Pourquoin’est-cepluslecas?Depuiscombiendetempsjenefaispluscetravailparplaisir?Est-cequejemesuiségalementvoilé la facepourmeschoixprofessionnels?J’aivingt-troisanset jen’aiplusenviedemeprendre la tête,plusenvied’attendrepour répondreàmesenviesetpourfairemespropreschoix,qu’ilssoientbonsoumauvais.

–Tun’asvraimentpasl’airbien.C’estladeuxièmefoisqueSarahmefaitsursauter.Jenemesavaispassipensive.

–Ils’estpasséquelquechoseavecAlex?s’inquiète-t-elle,deretourprèsdemoi.Misàpartqu’ilacouchéavecmasœur?

–Non.Net’enfaispas.J’aijusteunpeudemalàgérer.Jecroyais…Jecroyaisquoi?Qu’entombantamoureusedemoncomplice,toutseraitparfait?

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–J’aienviededémissionner,laissé-jetomberenreposantmatasse.Sarahseredresse.

–Tuessérieuse?Oui,jesuissérieuse.

–Oui.–Maistuvasfairequoi?–Jeverrai,jerépondsenhaussantlesépaules.Maisquelquechosequim’inspire.

QuelquechosequimefassevibrercommeAlexandre.Maisquinemefassepassouffrir.–Jevaismepréparer,complété-jeenquittantlatable.Ensuiteonyva.

Le trajet jusqu’au salon se fait rapidement. Juste le temps de prendre deux métros et unecorrespondance,etnousnousdirigeonsàpasrapidesversl’antredesdeuxtatoueurs.Il fait froid,nous sommes couvertesde la tête auxpieds : emmitoufléesdansdesmanteauxchauds,enrouléesdansdesécharpesmontantjusqu’ànosbouches.Ilneneigepasencoremaislefroidestsaisissant.À côté demoi, Sarah est une pile électrique. Je suis certaine que si elle le pouvait, elle semettrait à courir. Et l’impression ne fait qu’augmenter : àmesure que nous approchons denotreobjectif,sarespirations’accélère.

–T’esstresséeoujerêve?Sarahcontinued’avancertouteprochedemoi.Ellemejetteuncoupd’œil,unpeupaniquée.

– Oh oui ! Je suis impatiente etmorte de trouille, clame-t-elle. On ne s’est pas revusdepuisladernièrefois.Qu’est-cequejefous?Jenesaismêmepass’ilaenviedemerevoir.

–Vousnevousêtespascontactés?–Si.Onaéchangéquelquesmessagesplutôt…osés.Maisçadevaitresterl’histoired’une

nuit.Onnes’estrienpromis.Ellesoupire.

–J’aieuenviedelerevoir,maisjen’aipaseulecouragedeluiproposer.Ons’étaitditquec’étaitpours’amuser.Etbonsang,Laure,jen’aijamaisconnuunenuitsiparfaite.Jerisdelavoirsiémotive.

–Ehbien,ilt’aperturbée,ondirait!–C’estlapremièrefoisqu’unmecmeresteaussilongtempsdanslatête.

Ellesegrattelebrasdefaçonautomatique.Unticnerveux?–C’estrarequeçamefasseceteffet.Surtoutaprèstroismoissanssevoir.–Commenttupeuxêtrestresséepourunmecquetun’asvuqu’unefois?Alorsquetuen

côtoiestouslesjours?–Oui,jesais.Moiaussiçamedépasse!

Jene l’ai jamaisvuesipeusûred’elle.C’estplutôtdrôleetassezattendrissant.Jedécouvreuneautrefacettedesapersonnalitéquimeplaît.Cettefilleestuneperleàelletouteseule.J’étais étonnée qu’elle n’ait pas plus d’amies. Lorsque je me suis installée chez elle, la

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danseuse ne sortait que pour aller étudier ou rencontrer ses clients privés. Ellem’a semblétrèsseule.Etlavieàsescôtésm’adonnéraison.Sarahm’a alors expliqué que les amies – qu’elle avait depuis toujours – s’étaient éloignéesd’elle à causede son choixde vie.Ellesne comprenaientpasqu’ellepuissepasser sesnuitsavecoudevantdes inconnus.Elles l’ont jugéedemanièrepresquedédaigneuse.AlorsSarahlesaviréesdesaviesanslemoindreremords.Encoreunexemplequel’onpeutêtredéçu,àtoutmoment,parlesgensquinoussontproches!

–Jesuiscertainequ’ilseraravideterevoir.–J’espère.

Nousn’ajoutonsrien.Laportedeleurvitrineestenvue.Sarahinspireprofondémentavantdeme lancer un signal bref pour que j’entre. Elle a vraiment l’air de nager dans une sorted’espérancedévorante.Jepensaiscequej’aiditàSarah.J’aienviedechangerd’air,detoutretournerdansmavie,dereprendre là où je me suis tue pour la première fois. Mon impression d’étouffer disparaîttoujours lorsque jeviensdanscetteboutique.Jenepeuxpas ignorer lesignaldemoncorpsdèsquej’entreicietquejevoistouscesdessinssurlesmurs.Les jumeaux sont là quand nous entrons, penchés au-dessus de leur bureau, en train dedessiner.Lebruitdelaportequiserefermelestiredeleurconcentration.

–Laure!Mickey se redresseennousvoyantentrerdans laboutique.Sonvisageest souriant lorsqu’ilvientnousaccueillir.Sonfrèrenetardepasàfairedemêmeet,quandsesyeuxseposentsurSarahàmescôtés, sonexpressions’illumine. Iln’yapasàdouter : ilest trèsheureuxde larevoir.

–EtSarah?Salut!Je me retiens de ricaner. Ces deux-là se dévorent des yeux. Je n’ai pas franchementl’impression qu’ils se sont quittés il y a troismois, après uneuniquenuit.Non, c’estmêmetoutl’inverse.Ilnousfaitlabisepuiss’écarte.Sonfrèren’estpaslongàfairelamêmechose.Sonattitudeestunpeumoinsenjouéequecelledesonjumeau.Jesuisentraind’assisteràdesretrouvaillesattenduesetchaleureuses.Pasdutoutcellesdedeuxétrangers.Sarahm’aurait-ellecachéunepartiedelavérité?Parcequelà,unpeuplus,etMickey et moi devenons transparents. Je ne comprends pas pourquoi mon amie était sistressée.Ludovicn’apasl’airdelarepousser.Jepourraismêmepresquelesvoirsejeterl’unsurl’autred’iciuneseconde.Jemeraclelagorge.

–Euh…Onpeutrepasserplustard,siondérange!Mickeym’adresseunclind’œil.Lesdeux têtes, interrompuesdans leurcontemplation, se tournentenfinversmoi.Sarahmesourit avant de détourner la sienne. Ses joues prennent une jolie teinte rosée quim’extirpe

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unemoueenchantée.C’estbienlapremièrefoisqu’elleestaussigênée.Celan’ajamaisétélecas.Etpourtant,ellem’enracontedeshistoireshallucinantes!

–EhbenLaure,s’exclameLudovic.C’estAlexquitechauffeleshormonescommeça?Ilestpeut-êtrecharméparmonamiemaisiln’enperdpaspourautantsonesprittaquin.

–Ilestoù,d’ailleurs?–Ilneviendrapas.Jesuisvenueparcequej’aibesoind’unservice.–Encore?semoqueMickey.–Çavafinirparterevenircher!poursuitsonjumeau.

Ilsparlentl’unaprèsl’autre,terminentleursphrasesrespectives.C’estperturbant.Etenplusdeça,ilssefoutentdemoisanssepriver.

–Vousavezfini?grondé-je.–EhMickey,interpelleLudovic.Regarde,Laurealesmêmesréactionsqu’Alex!–C’estl’effetcouple,ça!–Quiauraitpucroirequ’iltombeamoureux,celui-là!

Jerêve!–Lesgars!

Leurs sourires se figent. Sarah vient d’imposer sa présence. D’un mêmemouvement, ils setournentverselle,lesyeuxbrillants,leslèvresretrousséespourluisourire.Ludovicacetairlubriquequine lequittepasdepuisqu’elle est entrée.Mickey se régaledevoir son jumeauobéircommeungentilgarçon.Cettesituationestintéressante.Saraha-t-elleunpouvoircachépourlesmater?

–Jecroisqu’elleestsérieuse,complète-t-elleavecunepointederappelàl’ordre.Mickeyrevientversmoi.

–Qu’est-cequ’onpeutfairepourtoi?Jeprendsmonsacàmainetleursorscequis’ytrouve:uneclefUSBetunecarteSD.

–Jevoudraiscréerunesurpriseàmasœur…poursonmariage.Ludovicaunrictusvicieuxlorsqu’ilregardecequejeleurtends.

–Putain,t’esunevraiesadique,toi!lance-t-ilenthousiaste.–Pasétonnantqu’Alexsoitsiaccro,ajoutel’autre.Tuescommelui!–Cen’estqu’unjusteretourdeschoses,intervientSarahderrièreluid’unevoixassurée.

Sasœurdoitpayer.L’escortrécolteleursregardsadmiratifs.

–Ilyacequejecrois,là-dessus?demande-t-ilenattrapantlesdeuxobjets.J’acquiesceetluimontrelaclefUSB.

–J’aicommencéunmontagedesphotosdeLéaetdesonfiancédignedesplusgrandescomédies romantiques ! Je voudrais que tu rajoutes le reste : les photos de Matt qui setrouventsurlaclefetlavidéo…d’AlexsurlacarteSD.La sensation de brûlure revient. Cette vidéo, je ne veux absolument pas la voir. Je ne le

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supporteraispas.–Tuvoudrasvoirlerésultat?–Non,annoncé-jed’untondur.Jetefaisconfiance.–Ettuveuxçapourquand?–Lasemaineprochaine.

Sonvisages’animed’excitation.–C’estcommesic’étaitfait!

Moncœurbatàtoutrompre.Plusqueseptjoursetilfaudraquej’assumetout.

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16

Alexandre

Jemegaredansuneruequicommenceàmedevenirfamilière:celleduboulotdeLaure.Cesoir, je viensdansunbutprécis, comme toutes les fois où je lui aidit surquels sentimentss’appuyer pour construire sa vengeance. Je viens lui faire vivre la dernière étape. La plusapaisante, bien qu’elle soit tout aussi importante que les autres. Je veux qu’elle se senteaccomplieetentière,enpleinedécouvertede la sensationdepouvoirà l’étatpur.C’estunedernièreleçonavantlagrandereprésentation.Commelesfoisprécédentes,j’entredansl’immeubleetmontelaretrouver.Lafilledel’accueilnefaitplusattentionàmoi.Monindifférenceastoppésestentativesdeséduction.Aprèsquelquespasdanslecouloir, jemeretrouvedanslebureaudeLaure.Aucunesurprisenes’inscritdanssesyeuxlorsqu’ellemevoit.Ellem’attendait.Elleestentrainderangersesdernièresaffairesavantdepartir.

–Tuasfini?J’aiprévudet’emmenerquelquepart.J’ai ledroitàunsignedetêteetàunsourirepourseuleréponse.Puissonécrans’éteint,sachaise roule souselleetelle se lève.Sonespacede travail est enordremaismoinsque lesdernières fois. Et tout ce qui y traîne ne concerne pas seulement son travail. Je repèred’ailleurs cequ’elle a voulu cacher sousun tasdesdossiers :des feuilles àdessinposées enfouillis.J’enattrapeunepourl’emmerder.Elleyadessinéunemotoetunmecroulantàtouteblinde.Sous les rouesdubolide s’étendune route remplied’os. Jeneme faispasd’illusions sur cequecontiennentlesautrespages.Elleadûpasserdelongsmomentsàlesfaire.Oùestpasséela fille studieuse que je connais depuis des années ? Je n’en sais rien et jeme félicite queLauresesoitémancipéedececaractèretropsérieux.

–Sympa,lancé-jeenadmirantlamaîtrisedesontrait.

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–Laisseça!Elletentedemereprendreledessindesmainsmais je l’enempêche.Àlaplace, je lefourredansunedemespochesdejeans.Jecommenceàconnaîtresonunivers.Etilmefascine.

–Tudessinespendanttesheuresdetravail,maintenant?Jeluiadresseunclind’œilmoqueur.Laurenerougitplusvraimentlorsquejelataquine,maissesyeuxonttoujourscerefletpudiqueethonteuxd’êtrepriseenflagrantdélitalorsqu’iln’yaaucuneraison.

–Jefaispleindechoses,pendantmesheuresdetravail…Une provocation : sa meilleure méthode pour reprendre la main sur ses émotions. J’adorequandellefaitça.

–Ahoui?Commequoi?Aumomentoùjem’approche,laportes’ouvreàlavoléedansmondos.

–Laure!Je me retourne vers la nouvelle arrivante : sa chef, sûrement. La tête plongée dans sonportable enmode femme d’affaires pressée, elle est habillée d’un tailleur, ses cheveux sontparfaitement attachés et sonmaquillage impeccable. Elle arboreun air hautain aupossible.L’exemple parfait de celle qui est prête à tout pour parvenir à ses fins. Elleme hérisse lespoils parce qu’elle fait partie de ces personnes qui écrasent Laure et l’empêchent d’existerréellement.

–J’aibesoinquetumeretrouveslemailetletéléphoned’undenosclients.Çafaituneheurequejechercheetj’aiautrechoseàfaire.Enrelevantlatête,ellesursauteenmedécouvrantsursaroute.

–Qui…Quiêtes-vous?Qu’est-cequevousfaiteslà?Lebourreaudetravailmescrutedespiedsàlatête.Elledoitcherchersiellem’adéjàvuetsije suispotentiellementquelqu’und’important.Elle sembleécartercette idéeet redevientdemarbre. Ses yeux me lancent des éclairs, je la sens prête à me virer. Pourtant je n’ai pasencorebougé,nimêmeouvertlabouche.Onestoù,là?Dansuneforteresse?Lesemployésnepeuventpasrecevoirdelavisite?

–C’estunami.Ami…tuparles!Ilyabeaucoupdechosesquej’aienvied’êtrepourelle.Maisunsimpleamin’entrepasdanslaliste.

–Iln’arienàfaireici,danscecas.–Ilestvenumechercher,rétorqueLaure.–Pourquoi?Tucomptaispartirmaintenant?–Ehbien,c’est leweek-end.Et je t’aiprévenueque jevoulais terminerunpeuplus tôt

pourlemariagedemasœur,demain.–Nousavonsdû survoler laquestion,parceque jenemesouvienspasd’avoireucette

conversation.

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Mauvaise foi évidente. Je croise les bras etm’assois sur le rebord du bureau. Je n’intervienspas.Jen’aiaucunelégitimité.C’estl’affairedeLaure:sonchoix,sonbesoin.Jenesuisqu’unspectateur.Unspectateurquilasoutientlorsqu’illavoitsoupireretfermerlespoingspourseretenir.J’aienviedelaremuer,bordel.Ilnefautpasqu’elleseretienne.

– Et moi je me souviens parfaitement que tu étais d’accord si tout mon travail étaiteffectué.Cequiestlecas.J’aidemandéàAlexdevenirmechercher.Jenevoispasenquoiçapourraittedéranger.

–Tun’aspas fini tout ceque je tedemandais vuque je viensde tedemanderquelquechose.

–C’estuneplaisanterie?–J’ail’airderire?

Le regard de Laure devient noir. Je ne lui ai jamais vu une telle couleur. Ses traits sontmarquésparl’agacement.

– Il est dix-neuf heures. Tu veux que je fasse quoi ? Que je reste jusqu’à vingt et uneheures,pourquetusoiscertainedemefairefairetoutcequipourrabientepasserparlatêted’icilà?Lesyeuxarrondisdesaresponsablesonttordants.Enuneminute,Laurevientdemettreàmalsonimagedeparfaitpetittoutou.

–Cetravaildoitêtrefaitavantceweek-end.J’aibesoindelescontactercesoiretjeveuxquetumeretrouvesleurscoordonnées.

–Etdoncjesuiscenséemetapertousnosmailspourretrouverundetescontacts?Tun’aspasuncarnetd’adresses?

–Sij’enavaisunjeneviendraispastedemanderdelefairepourmoi.Laurelèvelesyeuxauciel.

–Çaneseraitpaslapremièrefoisquetumedemandesdefairequelquechoseàtaplacealorsquetuastouslesélémentsrangésdansundetesclasseurs.

–Pardon?–Tum’astrèsbienentendue,jecrois.

Sabossseredressepourlatoiserd’unregardfurieux.Laconversationestloind’êtreamicaleetréfléchie.D’uncôté,unechefquin’admetpaslaréplique;del’autre,unesubordonnéequiouvreenfinsagueule:intéressant!

– Tu sais que je n’ai pas fait cinq ans d’études dans le commerce pourme retrouver àéplucherdesmailsouàfairetouteslestâchesadministrativesquetuneveuxpasfaire.

–Ettucroisquetuespayéepourquoi?Tuesmonassistante!Trèsmauvaiserepartie.JericaneenmêmetempsqueLaure.

–Assistante,oui.Larbin,certainementpas.–Larbin?

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–Oui,larbin!Tuprendsunmalinplaisiràmerefourguerdestâchesquinesontpasàlahauteurdemescompétences.Ettusaisquoi?C’estuntrèsmauvaischoixdetapart.J’auraispufairedubonboulotpourcetteboîte.J’auraispufairepartiedeceuxquilapoussentverslehaut.Saufquemaintenant,jem’enfous.J’enaimaclaqued’êtreici,soustesordresetdemetaperdesheuresetdesheuresdeboulot,pourzéroreconnaissance.J’aienviede faireautrechose.Laurefaitdemi-tour,retourneàsonbureaupuisattrapelesfeuillespleinesdegribouillisetdefresquesnoires.

–Qu’est-cequetuesentraindefaire?–Jemebarre.Jedémissionne.J’abandonnemonposte.Appelleçacommetuveux.–Onnepartpasd’uneentreprisesanspréavis.–Parcequetucroisquej’enaiquelquechoseàfaire?

Sa boss manque de s’étouffer. L’affront de son assistante est une horreur pour une femmecommeelle.Pourmoi,c’estunpurdélice.L’audacedeLaurem’électriseetmerendd’autantplus vivant. J’ai l’impression qu’elle accomplit avec classe ce que j’ai fait avec fourberiequelquesannéesplustôt.Macomplicefourresesaffairespersonnellesdanssonsac.Desstylos,uncarnet,untéléphone,uncasqueaudio,etsurtoutletasdedessinsqu’ellerécupèresoussesdossiers.Lorsqu’ellelesregardeavantdelesranger,sonvisages’illumine.Jesuissûrqu’elleseditqu’ellefaitlebonchoix.Jeme remets debout quand elle commence à s’éloigner de son bureau vers la sortie et luiemboîtelepas.Derrièrenous,madamelabossestoffusquée.

–Tun’aspasàpartirdecettefaçon,tonnelavoixdesachef.Ilyadeslois.–Qu’est-cequeçachange?

Ellehausseensuitelesépaulespuisfourresesdoigtsentrelesmienspourm’inciteràpartir.– Tu peux être sûre que je me ferai un plaisir de te casser chez nos confrères. Tu ne

retrouveraspasdeboulotdanslamusiqueavantlongtemps.Salopejusqu’aubout,celle-làaussi.Laure s’arrête sur le pas de la porte. Elle secoue la tête en signe de désolation avant de seretourneretdel’affronterunedernièrefois.

–Peuimporte.Jenecompteplusytravailler,dorénavant.Etellerefermelaportesurnotrepassage.Ladescentedesdeuxétagessefaitensilence.Jeneluiaipasproposédeportersesaffaires,nidel’embrasser.Jelalaisseagircommelafemmeindépendantequ’ellechercheàêtre.Unefoisàl’extérieur,Laureinspireungrandbold’airetlaissetombersonsacparterre.

–Ah,çafaitunbienfou!

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Sonsourireestradieux,etsesyeux,deuxpépitesbrillantdefierté.–J’aiquelquechosequipourratefaireencoreplusdebien.

Lauremesuitdocilejusqu’àmamoto.Cesoir,elleporteunjeansousuneblouseetunevesteen cuir, elle va donc pouvoirmonter avecmoi. Près dema bécane, je lui tends un demescasques.Ellenebougepas.

–Tunemontespas?–Oùest-cequetum’emmènes?medemande-t-elleunpeusceptique.–Pourquoicettequestion?–Jesuisprudente.Ladernièrefoisquetuasprogramméunesoirée,jemesuisretrouvée

dansunclubdestrip-teaseavantdefinirlanuitencellulededégrisement.Jemesouviensdecettenuit-là:unpurdélice.

–Etçanet’apasplu?Elledétournelesyeuxlevisagerieur.

– Il faut que tume fasses confiance encore une fois. Ce soir, je t’apprends la dernièrerègleavantdemain.Sonattentionrevientsurmoi.

–Jevaistefaireconnaîtreunedessensationsquifaitquejerestedanslapolice.Ses cheveux longs disparaissent à l’intérieur du casque tandis que j’enfile le mien. Puis jegrimpesurlamoto.Ellefaitdemêmeets’installederrièremoi.Sontorseestplaquésurmondos, ses cuisses serrées autour des miennes. Encore une seconde à profiter de la sentir seraccrocheràmoi,etjedémarre.Jenefaispasattentionàmaconduite.Commeàmonhabitude,c’estrapide,doséetsportif.Lesmains de Laure se cramponnent àmoi à chaque virage, chaque accélération et chaquearrêt. Je savoure cemoment.Elle estdéjàmontéeavecmoi,mais jen’avaispas fait gaffeàquel point cela pouvait devenir érotique et stimulant. Être seul sur unemoto c’est déjà lepied,maisavecelle,jeconnaisleplusdurdespicsd’adrénaline.Nous arrivons à destination sans qu’aucunmot soit échangé. Elle découvre la devanture dustanddetir,hausseunsourcilmaisnefaitpasderemarque.Elleselaisseguider.Àl’intérieur,les visages se tournent rapidement sur nous sans nous voir. Je viens souvent ici. C’est unepassionbanalepourunfliccommemoi.Lessallessontensous-sol.J’airéservéuneheuredetirpourl’initieràundemespasse-tempspréférés. C’est un sport omniprésent dans mon métier. Il faut toujours être à la hauteur,connaître les règlesdesécuritéetmaîtriser sonarmeen toutecirconstance.Au-delàde leuraspect technique, ces séancesme permettent deme projeter ailleurs, avec un sentiment desécurité accompli. Du tir, et mon esprit s’apaise. Un flingue à la main et je me sensintouchable.

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Jereferme laportederrièrenouspuisaccompagneLaure jusqu’auxtablesoùse trouvent les9mm.Àvingt-cinqmètres,desciblesridicules:cerclesnoirsurfondblanc.

–C’estquelquechosequetufaissouvent?–Onadesentraînementsobligatoiresplusieursfoisparan.Maismoic’estuntrucquime

botte.Dèsquejepeuxjeviensenfaire.Je la laisse prendre place près demoi. Elle est d’abord intriguée, puis lorsque j’installe uncasque et des lunettes sur son visage, elle prend conscience qu’onne va pas s’amuser. Pourune audacieuse, Laure n’est pas très confiante. Je m’efforce de la rassurer et lui expliquecommenttenirsonarmeenjoue,prendrelereculencompte,ouvrirlesyeuxdansleviseurettenirsonbrasperpendiculaireaurestedesoncorps.

–Ilfautquetufasseslevide.Concentre-toisurtarespiration.Elle écoutemes conseils religieusement. Jememets dans son dos,ma bouche près de sonoreille pour lui parler avec douceur. Je n’arrête pas de le faire. Utilisant une méthoderelaxante,mesmotslaplongentdansunelangueuroùseullecontactdel’armeestimportant.

–Prends ton temps.Commepour ta vengeance.C’est justeunequestiondemental, depréparation.Focalise-toisur tonobjectifetriennepourrat’atteindre.Demaintun’auraspasledroitàl’erreur.C’estpareilici!Lepremiercouppartavantquej’aiefini.Lesautressuivent.Voilà.Ellen’estplusattentiveaumondeextérieur,àmoi.C’étaitcequejevoulais.L’heure passe entre ses tirs, la découverte de ses résultats etmes explications sur la visée.Laureestuneélèvetrèsassidue.Quandlaséancesetermine,lalueuravidequirehaussesonregard enma présence devient plus forte que jamais. Son buste quimonte et qui descend,essoufflé,mefaitsourire.Elle dépose son arme et se tourne vers moi avant de s’appuyer sur la table, les jambeslégèrementécartées.Laportedelasalles’ouvreunpeuplusloin,laissantpasseruninstructeuretquelques-unsdeses élèves du jour. Je me détourne d’eux pour regarder Laure. L’air un peu hagard, larespiration toujours rapide, on dirait une gosse. Elle me fait rire. Et vibrer. Elle en joue,d’ailleurs.Ellemedévisagepourmedéfierdevenircontreelle.Cequejefaisimmédiatement.Sansréfléchir,jepassemesmainssursesjouespourramenersesyeuxversmoi.Jeveuxêtresûrdecequej’ylis,qu’elleestfièred’elleetqu’ellen’aaucunregret.Leretourenarrièren’estpluspossible.Cettefois, il fautqu’ellesoit libre.Elledoitgardercemomententête,nepasoubliercequ’illuifaitressentir.Demain,elledevraretrouvercetteassurancepourromprelelienavectousceuxquinelaméritentpas:touscesgensfoireuxquineferonttoujoursquelarabaisser.

–Commenttutesens?luidemandé-jepourenavoirlecœurnet.

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Son souffle est rapide et accompagné d’un sourire ravi. Elle paraît encore plus naturelle,épanouieetsauvagecommeça.

–Jen’aijamaisétéaussibien.Jeneconnaissaispascettesensation.–C’estcequetudoisalimenterdemain.Tudoistesentirinvincible.Dis-toiquetul’es.Si

tu t’accroches à cette idée, les gens ne pourront plus te faire du mal. Leurs actes net’atteindront plus. C’est ça que tu dois te mettre en tête. Tu es intouchable. Si tu t’enconvaincs,demain,tuparviendrasàtonbut.

–J’yarriverai,affirme-t-elle.Ses jambes se resserrent autour de mes hanches. Laure m’embrasse. Elle m’envahit,insoucianteauxautresmembresduclubautourdenous.Jesuiscolléàelle,meslèvressursabouche,etjeneveuxplusm’endéfaire.Jeveuxjusteresterlà,negarderquenousdeux.Uneparenthèse,unrendez-vous,unebulleavantl’après.

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17

Alexandre

L’eaucoulesurmoidepuisvingtminutes.Latêtepenchéeenarrière, je la laissedévalersurma gorge,mon torse etmes jambes, pour dénouer les nœuds demon corps et ses tensionsinvisibles. Ces tensions, qui augmentent un peu plus chaque jour, sont devenues mescompagnes. J’ai appris à en reconnaître les signes : angoisse, furieuse envie de défoncerquelqu’unetdesentirLaureautourdemoi,pourlesplusfréquentes.Celanemeressemblepas.Jesuispourtantunprodesjeuxdemanipulation.Unadeptedecespièges.MaisceluiquenousavonslancéavecmonAudacieuse…jevoudraisqu’ilsoitterminé.JenecessedemerépéterquerienneserapossibleavecLauretantquecettehistoireneserapasderrièrenous.Comme si, pour lemoment, nousn’en étions qu’à attendrepourpouvoirnousdécouvrirsanssubterfuge,sansmanigance,sansméfiance.Tant que la revanche plane et que Léa s’en sort, l’épée deDamoclès constitue toujours unemenaceau-dessusdenous,ennousrappelantpourquoinoussommesensemble,pourquoielleestvenueversmoi,audépart.J’arrêtelejetaumomentoùlasensationdebrûlures’intensifie.Jemefrottelesbras,lecorps,les jambesà l’aided’une serviettepourenlever le trop-pleind’eau surmoncorps,puis je lanoueautourdemeshanches.Labuéequiaenvahilapiècem’enfermedansunechaleurmoitedésagréable.Jepasselamaindansmescheveuxtrempésetquittel’espècedesaunaquejeviensdecréerenlaissantlaporteouvertederrièremoipouraérer.L’appartementestsilencieux.Ilestprèsdemidi,pourtantlesfillesdormentencore.JemedirigeverslachambredeLaure,oùjelaretrouvetoujoursendormie.Elleestallongéesur leventre, lesbrassous l’oreiller ; sescheveuxs’étalentsursondosetautourdesa tête.

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Enfoncéedans lesdrapsdéfaitset froissés, lesyeuxclos, la respiration lenteetapaisée,elleestàmillelieuxdemonétatdenervosité.Enm’asseyantsur leborddu lit, jepassemamainsursacambrurepuis remonte le longdeson dos, en prenant soin d’effleurer sa peau. Je finis sur son cou, d’où j’écarte les quelquesmèches me dissimulant sa nuque. Celle-ci m’apparaît : blanche, douce, recouverte d’un finduvettransparentquejeviensembrasser.Mesdentsmordillentlachairdesesépaules.Etjepeuxconstaterque,mêmedanssonsommeil,lecorpsdeLaureestréceptifaumien.Jelesenssousmapaume:songraintrahitlefrissonexquisquejeviensdefairenaîtreenelle.

–Laure…Songémissementinvolontairemerenvoiequelquesheuresenarrière.Maqueues’ensouvientencore : sabouche surelle, seshalètements répétés lorsque je suisentréeenelle. Jedurcisrienqu’enrepensantàsoncrilorsquej’aiaugmentél’allureenlasentantprêteàbasculer.Jedéposeunbaiserderrièresonoreilleetrespiresonparfumtoujoursimprégnédanssapeau.Il me plonge dans un jardin imaginaire. Je la vois allongée parmi les jasmins ; moi, à sescôtés,envoûtéparsonodeurchaude.Jen’aipasenviedesortirdecettechambre.Pasenvied’alleràceputaindemariage.Maisjevaislefairepourelle.J’attrapedoncma tenueet retournedans la salledebain. Ilneme fautpas longtempspourm’habiller. En cinq minutes, j’ai revêtu mon costume : un Hugo Boss slim anthracite avecpantalonàrevers,vesteetchemiseblanchecintrées.Letoutaccessoiriséd’unecravaterouge.Jem’habillerarementainsi.Maisc’estunjourparticulier.JesaisqueLaureseradivine.Ellevadéployertoutsonsavoir-fairepourqu’onneremarquequ’elle.Etcommej’aigagnéledroitd’allerà cemariageà ses côtés– sa sœurn’apaseu sonmotàdire, en finde compte–, jetiensàluifairehonneur.Jeveuxluiprouverquenoussommesdeuxdanscecombat,deuxàaffronterlerestedesafamille.J’espèrequeLéaencrèveradejalousie!JesuisentraindefairelescentpaslorsqueSarahsortdesachambre.Etcontrairementàsonallure débraillée, ses cheveux emmêlés et ses cernes sous les yeux, elle affiche un sourireradieux.

–Tuescanon!Je ne réponds rien. J’ai beau apprécier cette fille, parler de futilité alors que mon bides’amuseàjoueràsaute-moutonestau-dessusdemesforces.Après s’être servie de son café en silence, Sarah s’assoit à la table enm’invitant à faire demême.Jesuisbientropsurlesnerfs.J’aibesoindedétendremesmuscles.

–Ondiraitquetuesnerveux.–Ouais,pasvraimentdansmonétatnormal,entoutcas.–Tuveuxuncafé?mepropose-t-elle.–Pourêtreencoreplusspeed?Nonmerci.–Tusaisqu’elleétaitdanslemêmeétatquetoi,hier?

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Jeluijetteuncoupd’œilalorsquej’entameunautretourdusalon.–Çadoitfairedeuxsemainesqu’elleeststressée,ajoute-t-elleaprèsavoirréfléchi.–Ladateapprochait,c’estpourça.–Non.Jecroisquec’estautrechose.

Putain,sielleaussil’aremarqué…Lebruitd’uneportequis’ouvrenousinterrompt.Lauresortdelachambre,unehoussesurlebras.Ellemarchevite,nousadresseunsignedelamainavecuntimidesourirepuisdisparaît,aussivitequ’elleestapparue,derrièrelaportedelasalledebain.Mesnerfss’affolentd’autantplus.Lemomentfatidiqueapproche.

–Détends-toi!Jenet’aijamaisvucommeça!–Moinonplus.

Etcelamefaitbienchier!–Vousallezyarriver,dit-ellepourmerassurer.

Je soupire. Putain, soit je suis stressé, soit carrément impatient,mais dans les deux cas, jen’aimepasdutoutcettesensation.Jemesensimpuissant.Une longuedemi-heurede silence s’écouleavantque laportede la salledebain s’ouvredenouveau.Laureensortplusmagnifiquequejamais.Elleporteunerobed’unrougeéclatantabsolumentparfaite.Lescourbesmincesdesoncorpssont mises en valeur par ce tissu si fin et si souple qu’il épouse sa silhouette élancée. Sesfesses presqueplates sontdessinées sous ce voile soyeux. La couleur vermeille fait ressortirses longs cheveux bruns ondulant sur ses épaules nues. Elle a choisi de ne pas mettre dedécolleté, sa robeenglobedoncses seins,monte jusqu’à soncouet l’entoure.À l’arrière,enrevanche…sondosestdévoiléjusqu’àlanaissancedesesfesses:uneouverturevertigineuseetfémininesursontatouage.Lauremerejointetmetendlavestequ’elleportesurlebras.

–Tum’aides?medemande-t-elleenminaudant.Ellefaitensortedemetournerledosetdememontrersesreinspeintsdenoirpendantqueje l’aide à enfiler le vêtement qui cachera son œuvre d’art. Elle sait pertinemment l’effetqu’elleprovoqueenmoienmesollicitant.Elle saitqu’elle réveille lapartiebestialedemoiquivoudraitlaplaquercontreunmuretlaprendresur-le-champ.Ellenetressaillepasquandjelaissemesdoigtssuivrelecontourdesonphénix.Lorsque j’ai fini, elle se retourneet s’approchedemoien levant sesyeuxvers lesmiens.Samain se pose sur mon torse. Elle cherche les battements de mon cœur puis glisse sur macravate,commepourrepasserlesderniersplis.Savoixesttelunsoufflelorsqu’elleparle:

–Jesuiscontentequetuviennes.–Jenet’auraispaslaisséeseuleaujourd’hui.

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Jepassemesdoigtssursapommette,touchantainsisapeaulisseetsoyeuse,maquilléemaisencorenaturelle.

–Etjenecomptepluslefaire,dorénavant,ajouté-jesûrdemoi.Nous nous regardons longuement, comme chaque fois que des mots si révélateurs de nospenséessontéchangésentrenous.J’en suis persuadé. Depuis des semaines, des mois, même, cette sensation traîne en moi :Lauren’estplusunemarionnette,elleestunchef-d’œuvre,mondouble, lasecondepartiedemoi.Jen’aipasconnumesparents, j’aifaitensortedemecouperdemonfrère,jen’aipaseudesœur,maisjesaisquelesentimentqu’ellefaitnaîtresurpassetoutlereste.Avecelle,jesuiscomplet.

–Prête?demandé-je,enessayantdecacherlaplénitudequimegagne.Madéesseinspireungrandcoupcommepoursedonnerducourage.

–Plusqueprête.Sonsourireestrassurant.Duboutdesdoigts,ellesèmeunecaressesurmajoue,dérivesousmonoreille, finitderrièremanuque.Elleappuiesurmatête,merapproched’elleetdéposeunbaisertendresurmeslèvres.

–Allons-y!AprèsunderniersigneversSarah,ellechopeunpetitsacquitraînesurunmeubleàl’entréepuismesuit.Danslavoiture,nosmainsrestententrecroisées.Lesmanœuvres, leschangementsdevitessene nous séparent pas. Je crois même que chaque fois que je bouge le bras, ses doigts seresserrent un peu plus sur les miens. Elle ne me regarde pas, mais elle reste accrochée,commepourassurersasurvie.Dequoia-t-ellepeur?Quejelalâcheetdisparaisse?Ouquecesoitellequis’envole?Elle m’indique le chemin jusqu’à la maison de ses parents, là où Léa se prépare. Il a étéconvenu que les demoiselles d’honneur aident lamariée à se préparer. Laure n’en a rien àfaire,biensûr.Ellefaitjusteleminimumpournepaséveillerlessoupçons.C’esttout.Jecroisd’ailleursquenoussommesenretard.Lepassage«aiderlamariée»risquedesauter.IlfautuneheurederoutepourquitterParisetarriverchezsesparentsenprovince.D’aprèsceque Laureme raconte, ceux-ci n’ont jamais quitté leurmaison. Si Léa a choisi de semarierdanscetteville,ilparaîtquec’estparnostalgie.Quellecomédienne!Jegarelavoituredevantunpavillonmoderne.Lesfenêtres,leportailetlecrépisontrécents.Unebonnepetitemaisonpourunbonpetitcoupledebourgeois.

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Laure me lâche la main pour pouvoir sortir de la voiture. Elle m’attend tandis que je larejoins,meplaceprèsd’elleetembrassesatempe.Untimidesouriresepointesursabouchelorsqu’elles’avancedansl’allée.Nous ouvrons la porte sur une entrée quelconque, comme toutes celles de ce genre debaraque. Un escalier sur la droite monte aux chambres. Le carrelage est blanc et le salonafficheunmélangedemeublesmodernesetanciens.

–Tuesenretard!Lauren’apasfaitunmètredanslapiècequesamèreluisautedessuslessourcilsfroncésetleregardréprobateur.

–Bonjour,Maman.Laureinsistebien.Sabouchearticulechaquemotpourfairepassersonmessage.Maissamèrenesemblepaspercuter,cequimeconfortedanslefaitquejen’aipasbesoind’unefamille.

–Jevoisquetunevienspasseule!Quandest-cequetucomptaisnousprésenter?Lauresetourneversmoi,ignorantsagénitrice,etpendunsouriredefaçadesurseslèvres.

–C’estAlexandre,meprésente-t-elleavantderefairefaceàsamère.Alexandre,voicimamère:Catherine.Catherinesemoquedecesprésentations.

–Tuauraispunousprévenir,s’insurgecettedernièrelespoingssurleshanches.–Jel’aifait.Léaestaucourant.–Etmoi?–Cen’estpastoiquiorganisescemariage,auxdernièresnouvelles.–J’enpayeunebonnepartie,notammentlerepas.J’estimeavoirledroitdesavoir.–Tulesais,maintenant.–Maman?C’estqui?

UnbruitdetalonsretentitetLéaapparaîtalorsdevantnous,saroberetrousséepourpouvoirmarcher. Elle s’arrête en nous voyant. Derrière elle, sa ribambelle de copines la suit à latrace. Maeva et Adèle sont présentes parmi elles. L’une nous observe haineuse. L’autre,inquisitrice.

–Laure?Léadévisagesasœur.Elleneparvientpasàdissimulerlajalousiequiladévore.J’espèrequeLaure s’en rend compte, parce que d’où je suis, c’est jouissif. Les yeux de Léa parcourent lasilhouette de Laure : sa coiffure, sa poitrine, pour finir sur ses hanches et ses talons hauts.Laureestparfaite.Uneodeàlasensualitéet–aveclerougedesarobe–àlapassion.

–Tuesvraiment…sublime.Aucundoute,celaluiécorchelabouchedelanceruntrucpareil.

–Merci,répondmadéesse.Tuestrèsbelle,Léa.–Jenecroispasavoirditrougepourlarobededemoiselled’honneur.–Tuavaisditquelquechoseàcesujet?

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–Oui.Jevousaienvoyéunmailavectouslesdétails.–Oh,s’exclameLaureinnocente.J’aidûlemanquer.Pourquoi,tun’aimespas?

Léasecrispe.–Sisi.Elleestmagnifique,cetterobe.

Endisantcela,sesyeuxdériventsurmoietseplissent.–Ilnepeutpasrester,annonce-t-elleenmepointantdudoigt.J’aiprécisé«entrefilles».

Iln’arienàfairelà…Sonsouriresefaitmielleux,savoix,hypocrite.

–Cen’estpascontretoi,Alex.Bienentendu!LatensiongranditchezLaure.Lorsquejemetourneverselle,samâchoireestcontractée.Elleseforceàparaîtresereineetheureusedevenirvoirsasœur,alorsqu’aufond,ellenerêvequedel’étriper.Unesecondepasseavantqu’ellenes’adresseàmoiavecunevoixfaible.

–Tudevraisalleràlamairie.Jeterejoindrai.–Jenevaispastelaisseravecelles.Pastouteseule,jechuchote.–Jevaisyarriver.Etpuisondoitdonnerlechange,pasvrai?murmure-t-elle.Jusqu’àce

soir.Jerestesilencieux,acceptantsesparoles.Monregardsurvolelapièce,làoùlesMaeva,Adèle,Léa et autres filles nous jettentdes coupsd’œil indiscrets. Je soupired’exaspération. J’en airas-le-boldecettesituation.Jelaveuxavecmoi!

–Ok,jeconclusàcontrecœur.Jusqu’àcesoir.Jemedéplacedevantelle,mepencheetattrapeseslèvres.Lauresemblefondrecontremoi.Maboucheestappuyéepourlarevendiquer,devanttoutescespimbêchessuperficielles.Ellesne rivalisent pas avec la beauté nichée au creux demes bras quime laisse la goûter assezlonguement.Lorsque jem’écarte, jepassema langue surma lèvre inférieure et récolte sa saveur fruitée.Haletante, les yeux embués par ce désir intense qui nous lie, elle tente de reprendre sesesprits. Ses joues rosées me donnent envie de lui faire tout un tas de trucs pas du toutcatholiques mais je n’ai pas le temps d’approfondir ma pensée que déjà elle se reprend etglisseunemainàl’intérieurdesapochette.

–Jeteconfieça.EllemetenduneclefUSB.

–Tuserascertainementpluslibredetesmouvements.J’attrapel’objetetlefourredansunedemespochesleplusdiscrètementpossible.

–Àquelmoment?jem’enquiers,pourêtresûrduprogramme.–Aprèsl’entrée,quandtoutlemondeseraàtableetpastropbourré,pourêtreattentif.

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Cette idée me plaît beaucoup. Mon audacieuse est machiavélique. Et ça tombe bien, moiaussi!

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18

Laure

UnefoisAlexandreparti,jemeretrouvecommeunebrebisaumilieudesloups.L’atmosphèreest glaciale.Mamère n’a pas très bien pris que je lui présente un hommede cette façon –noussortonsdesconvenancesd’usage.Maevameregardecommesij’étaisunecibleàabattre.QuantàAdèle, jenesaispas.Sesyeuxneportentaucun jugement.Ellenedésapprouvepasmaisjeneparvienspasàsavoircequ’ellepense.Aumilieudetoutecetteambiance,iln’yafinalementqueLéaquiestsouriante.Etcelasonnefaux, comme tout ce qui la caractérise quand on connaît son vrai visage. Elle est pire quetouteslesautres.Parcequ’ellecachesesréellesintentions,sesréelssentimentsàmonégard.Jefrémisrienqu’àl’idéed’êtresiprochedelafairechuter.

–Tuesenretard,mereproche-t-ellequandlesilences’étendaprèsledépartd’Alex.–Ilyavaitdumondesurlaroute.–Tuauraisdûêtrelàcematin,insiste-t-ellesurlemêmeton.–Jenepouvaispas.–Àcausedelui?

Monvisageperdunpeudesacourtoisie.Ellen’atoutdemêmepasleculotdemereprocherd’êtreenretard,alorsqu’ellen’enarienàfoutredecemariageetnelefaitquepourl’argent.VoilàuneinformationintéressantequeseséchangesavecAlexaurontpum’apprendre.

–Oui.Léafroncelessourcils.Ellepourraitavoirdelafuméequiluisortparlesoreilles,etl’imagedelafurieseraitcomplète!Jemeretiensderire.

–Tuauraisdûnousleprésenteravant,intervientmamèrepourrecentrerledébatsurcequilachagrine.Jenesavaismêmepasquetuvoyaisquelqu’un.

–Jenesavaispasqueçat’intéressait.Ladernièrefoisquejet’aieueautéléphone,tumefaisaisencore les louangesdeMattalorsqu’ilm’a trompée.Etdepuis, tun’aspas cherchéà

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merecontacter.–Oui,bon…J’aipeut-êtremanquédetact.

Detact?Sansblague!–Maisjesuistamère.Tudevraismedirecegenredechose.

Jedétourne la tête.Mamère…Biensûrqu’elle l’est,biensûrqu’ellem’aaiméeetprotégéedansmonenfance.Maiscelaparaîtsiloin.Elles’yprenddésormaissimal.

–Çafaitcombiendetemps?–Quelquesmois,répondLéaàmaplace.C’estça,Laure?

Elle se tourne vers moi en posant cette question, une fausse expression intéressée sur levisage : un faux air d’amour et de compassion. Ses yeux tombent sur ceux de Maeva trèsbrièvement.En faisantcela,elleattise la rancœurdemonex-meilleureamieet s’assurequenosressentimentsnes’estomperontpas.

–Oui,c’estça,jeréponds,fière.–Alorsc’estsérieux?demandemamèreàcôtédenous.

Sérieux?Depuisquandest-cesérieuxavecAlex?Depuisquand,d’ailleurs,Alexfaitdanscegenredechose?

–Oui.Jecachelavérité.Jecachemafaiblesse.Jecachelefaitquejenesuispassûre.Sinon,ellesenprofiterontforcément.JevoisdéjàMaevaquifaitunpasenavantpourseplanterdevantmoi.Léalasentveniretsetourneversnotremère.

–Maisjecroisqu’ilestcommeMatt.Laure,continue-t-elleenseconcentrantdenouveausur moi, tu devrais te méfier. Je ne veux pas que tu souffres à cause d’un autre connard.Souviens-toiqu’ilaétéavecMaevaenmêmetempsquetoi…Le coup de poignard n’aurait pas pu être plus profond. Tout s’entremêle dans ma tête :AlexandreetMaeva, leursbaisers ;AlexandreetLéa, leurnuitdanscette chambred’hôtel ;touteslesconquêtesqu’ilaenchaînéespendantcesannées.Léaaréussiàréveillerlesombresquim’assaillent depuis deux semaines, depuis ce baiser avecStéphane et le doute incessantqu’ilaapportéaveclui.Uneritournelledésagréablescandedansmatête.PourquoiAlexandreserait-ildifférentsimêmelesgentilsgarçonstrompentleurfemme?

–CetAlexandreétaitavecvousdeux?s’étonnemamèreenpapillonnantdespaupières.Je ne vois pas ce qui peut la choquer à ce point. Ce n’est pas comme si elle n’avait pasd’expériencedanscedomaine.

–Enréalité,commenceMaevasournoise,ilétaitavecmoietm’atrompéeavecLaure.Cen’estpaslavérité,maisjenepeuxriendire.

–Laure!s’indignemamère.–Quoi?Enquoiest-cedifférentdelatrahisondeMatt,Maman?Jecroyaisqu’ilfallait

pardonnerlesmomentsdefaiblesse?

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–Tunepeuxpasfaireçaàtesamies.Jericaneméchamment.

–Mesamies…chuchoté-jepourmoi-même.Jebaisselatête.Jesuisfaible,aujourd’hui,faibleettourmentée.Maevaacroisélesbrassursapoitrine,plusconquérantequejamais.J’inspireetmerappellelasensationaustanddetir.

–Tunedevraispasafficherunetellesuffisance, je luibalanceenpleinepoire.N’oubliepasavecquiilestvenuaujourd’hui!Jenecroispasquetuaiesgagnécecombat.Sonairsupérieurs’efface.

– Je ne sais pas si tu dois t’en réjouir, riposte-t-elle. Tu as peut-être réussi à le garderjusque-là,maisçaneserapastoujourslecas.Maevaachangé.Lajalousielabouffedel’intérieur.Sonregardenestpresquemalsain.Ellesegorgedecequ’elles’apprêteàmedire.Etquandçatombe,l’effetestdévastateur:

–Cen’estpaslegenred’hommesquirestebiensagementavecuneseulefemme.N’oubliepasqu’ilafréquentéMattdurantdesannées.Ilssortentdumêmemoule.Jetrouveçaétrangeque toi qui nous a rabâché que tu le connaissais si bien, qu’il était un connard et qu’il neméritaitpasqu’onluifasseconfiance,tuaiespuchangerdecettefaçon.Est-cequec’estunsiboncouppourquetufassesl’impassesursesincartades?Parcequ’iltetrompe,Laure.Sois-ensûre!Jerestemuette.Touteslesbonnesrepartiesettouslescoupsbasnemeserventàrien.Jesuisécrasée sous le sentiment qui me gagne et me cloue sur place. Il m’envahit, s’infiltre danstouteslespartiesdemonêtreetm’empoisonne.Jenedevraispasl’écouter.Maissesmotss’agrippentenmoicommedelamauvaiseherbe.Ledouteestunvenin.Ledouteestlepoisondel’amour,sondestructeur,sonbourreau.Je suffoque. Je suis comme sous l’eau, incapable de reprendre ma respiration. Me voiciaveuglée par l’image de ces femmes qui me donnent l’impression de souhaiter ma perte.Pourquoi?N’ai-jepasététoujoursprésentedansleurvie?Toujourslàquandellesenavaientbesoin?Quiestlàpourmoi,maintenant?Mamèrefroncelessourcils.Léaseretientdesourire.Maevamescrute,fièredesatirade.Iln’yaqu’Adèlequisembleaffectée.Saboucheestentrouvertecommepourintervenir.Salutteest visible. Pourtant je m’en moque. J’ai envie de vomir. Envie de leur cracher au visage.Enviedetoutdétruiresurmonpassage.J’aibesoind’air.

– Je vois que tu n’as pas besoin demoi, lancé-je à Léa en désignant ses amies. Je vaisalleràlamairieenavance.Jefaisdemi-tour.

–Laure!Mamèrem’appellemaisjenel’écoutepas.Elleaperduledroitdes’inquiéterpourmoi.Mespasme guident hors de lamaison. J’ai besoin d’air, besoin de respirer, besoin de fuir. J’aibesoindelui…

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Jerefermelaportederrièremoidelapluslentedesfaçons.J’auraisvoululaclaqueretpartirpourneplus revenir–mesnerfsensurchauffeapprouvent–,mais jedoisencore jouermonrôle.Encoreunpeu,encorequelquesheures…L’air fraisde l’hivermeglace levisage.J’ai lecœurquipalpite, les jambesencoton, laragequivibre jusqu’auboutdesdoigts.Jeserremapochetteaucreuxdemapaumejusqu’àm’enfaire blanchir les phalanges. Je ne comprends plus ces femmes. Je ne parviens plus à lesreconnaître.J’aiétésinaïvetoutemavie…J’attrape mon téléphone. Il ne s’est pas écoulé beaucoup de temps depuis le départd’Alexandre, j’espèrequ’iln’estpas trop loinetqu’il reviendramechercher,parceque jenesupporteraipasd’attendreprèsd’ellestroplongtemps.**Moi:Changementdeprogramme.Jeviensavectoi.****Alex:J’arrive.**Iln’apashésitéuneseconde.Iln’apasposédequestion.Ilesttoujourslàquandj’aibesoindelui.Avectoutcequ’ilfaitpourmoi,toutescespreuvesqu’ilmedonne,Alexandredevraitêtreunpansementsurmoncœur,pasuneplaie.Sitoutétaitnormalenmoi,ilnemeviendraitpasàl’espritqu’ilpourraitcorrespondreàl’imagequeMaevadépeint.Jenel’imagineraispasentraindeme tromper,demementir oudememanipuler. Si tout étaitnormal, jedevrais leconnaîtremieuxquequiconque.Maisest-celecas?Durantdesannéesjel’aidénigré,regardédehaut,jugéparcequ’iln’étaitrienqu’unfléaupourlesfemmes.J’aiprisladéfensedemesamiescontrelui,etaujourd’hui…Jecroissavoirqu’ilm’aime,oudumoinsqu’ilapprendàlefaire.Maiscelava-t-ildurer?Quimeditqu’ilneserapasunnouveau«Matt»?Amoureuxmaismenteur…Les doutes sont finalement plus forts que l’amour. Cela fait des semaines que j’ai fini paraccepterceconstat.Je remets mon portable en place et quitte le perron de cette maison. Je ferai les effortsnécessairespourmettreuntermeàmonplanaujourd’hui.Après,toutserafini.Mavieneserapluslamême.Jechoisisqu’ellenelesoitplus.Jepousse leportail, traverse laroute.Jesuis toujoursdans lechampdevisiondesfenêtres.Les filles à l’intérieur peuvent bien me regarder et dire toutes les méchancetés qui leurpassent par la tête surmon compte, celam’est égal, désormais. Plus qu’un soir, et je serailibéréedetoutecettehypocrisie,detouscesmensongescorrosifs.Le froid s’engouffre en moi. Il passe sous ma robe, remonte le long de ma colonne et mehérisselespoilsmais,contretouteattente, ilmebercedansunétatrelaxant.Avecmachairdepoulevientlacertitudequejeprendslabonnedécision.Jefermelesyeux,écoutelesifflementduventet lesbranchesnuesdesarbresquicraquent.Jerespireàpleinspoumonscetairdynamisantquibrûlemesnarines.

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Unbruitdemoteursurplombesoudaintoutlereste.Lavoitured’Alexsegareàmescôtésetilouvresaportièrepourdescendreetvenirmechercher.Ilarriveversmoiaveclesyeuxetlessourcilsfroncés.Iln’ajamaisétéaussimagnifiqueetmagnétiquequ’aujourd’hui.Ilataillésabarbe, en laissant un fin liséré sur ses joues. Comme à leur habitude, ses cheveux sontemmêlésetsonregardpénétrant.Soncostumeépousechacunedesesformesmasculines.Letissu de son pantalon bouge en harmonie avec son corps. Sa veste cintrée lui sculpte desépaulescarrées.Lacravateestassortieàmarobe.Commentvais-jepouvoirfaire,sanslui?N’y tenant plus, je comble les deux pas qui me séparent encore de lui. Je retiens marespirationaumomentoùnoscorpsentrentencollision:lemienbienpluspetitquelesien.Sesbrasm’entourentpendantquej’enlacesoncou.Sesyeuxsefermentlorsquenoslèvresserejoignent, lorsque nos souffles semêlent, lorsque nos goûts se fondent. Si proches l’un del’autre,ilnepeutquesentiràquelpointj’aifroidetjetremble.

–Laure,çava?Non.

–Oui,jerépondsdansunmurmure.Excuse-moi,j’enavaisjustebesoin!Ilmesourit.

–Ques’est-ilpassé?–Maeva.

Oui,Maeva.Monex-meilleureamiequin’afaitqu’enfonceruncouteaudéjàbienplantédansmoncœur.Jesenssoncorpsseredresser,prêtàallerendécoudre.Jelecalmeavantqu’iln’ailleauboutdesonidée,enposantunemainsursontorseetenleramenantàmoi.

– Je suis désolée de t’avoir fait faire demi-tour. Elle a été infecte et je ne voulais pasresteravecellepluslongtemps.Alexandrehoche la têteenmeregardant.Mesyeuxtombentsurses lèvresentrouvertes,ceslèvresquiontembrassétantdefillesavantmoi.Mes tremblements s’intensifient. Je ne peux pas calmermes peurs, c’est trop tard. Mais jepeux faire ce qui me permet de tenir : je me plaque de nouveau contre lui, mes mainsempoignantsescheveux,maboucheleréclamant.Jemehaussesurlapointedespieds.Alexmerépondaveclamêmeintensitépuisunedesesmainsvientseposersurmajoue.Ilécartedeluimonvisage,etmabouchequineveutpaslequitter,pourmeregardertandisquesonpoucepassesurmeslèvresdansunecaressesidoucequ’ellemefaitfrissonner.

–Parle-moi,Laure!S’ilteplaît.Je ne veux pas parler. J’appuiemon bassin contre le sien. Je sens l’érection que je viens deprovoquer,dechercher,pourêtreplusexacte.C’est le seulmoyenàmadispositionpour lefaireflanchermais je lemaîtriseà laperfection.C’estégalement laseulevoiepourmefaireoublierquejevaispeut-êtrefaireuneconnerie,laseuleissuequimevient.Jetentederavaler

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mes larmes, mais il parvient à lire mon trouble. Son expression change : d’excitée, elledevientinquiète.

–Laure…insiste-t-il.–Jesuisjusteépuisée.–Cesoir,ceseraterminé.Jeserailà.Nouslesaffronteronsensemble.

Ensemble…–Tuesfrigorifiée.Viens!

Ilaraison.Mêmesesbrasneparviennentpasàmeréchauffer. Ilmeprendpar lamain,meconduit à la voiture et ouvre la portière pour m’inviter à entrer. Je m’apprête à le faire,lorsquedel’autrecôtédelarue,enfacedenous,s’ouvrelaportedechezmesparents.Léaettoutesabandesontentraindesortirdelamaison,directionlavoituredemonpère,décoréepour l’occasion.Celui-ci se tientd’ailleurs à côté, concentré sur lamariée. Jene saismêmepass’ilsaitquejesuisici.Léa,elle,meremarquetoutdesuite.Jeluiadresseunsigneetunsourire bienveillant. Mon rôle est au point : parfaite demoiselle d’honneur pour un parfaitpetitchaos.

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19

Alexandre

Le trajet jusqu’à la mairie est rapide et se fait en silence. Nos baisers et nos caresses n’ychangent rien :nousavons le trac.Noussommescommedeuxgossesqui s’apprêtentà faireunebêtise,oucommedeuxacteurssepréparantàentrerenscène.Lauresecontentedegarderleregardfixedevantellemaisresteréceptivelorsquejeposemamainsursacuissepourlarassurer.Soncorpssedétendetcelamerassure.Sijeparviensàluimontrerquemaprésencel’aide,ellen’enseraqueplusforte.Enarrivant, jemegareparmi lesvoituresdéjàprésentespuisnoussortons. Ilyaunmondefou.LéaetStéphaneontvuleschosesengrand.Ildoityavoirplusdedeuxcentspersonnes,touteshabilléesenpingouin.Jeleurressembleaujourd’huietcelamefaitbienchier.Maisilfautquejemefondedansledécor.

–Tuesbienplusbeauquetouslesautres,ditLaurecommesiellepouvaitliredansmespensées.Elle dépose un baiser au coin de mes lèvres puis place sa main dans la mienne. Nousmarchons ainsi pour rejoindre les invités. Ellem’emmène parmi ces personnes quime sontinconnues,s’arrêteprèsdequelques-unespourlessaluer.Jerencontresesoncles,sestantes,sescousins.Elleestavenante,sourianteavectous.Ellebavardeunpeu,prenddesnouvelles,fait la bise ou salue de loin. Et jamais sa main ne quitte la mienne. Alors que je restesilencieuxdanstoutcebordel.Lorsque Léa arrive enfin, Laure va à sa rencontre et joue sa partition. Elle n’a jamais été sibonne interprètequemaintenant.Lesembrassades s’enchaînentetbientôt,aprèsde longuesminutesd’ennuiinfini,nousrentronsnousinstallerdanslamairie.

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Pourlacérémoniecivile,Laureesttémoinetsetientàcôtédelamariée.Àl’église,unedescopinesdeLéa tient ce rôle.Elleprendplaceaupremier rangavec sesparentsetme laissedisparaîtreaufonddesrangées,làoùiln’yapluspersonnemaisd’oùjeparviensàlagarderdansmonchampdevision.J’ai profondément horreur des églises et de tout ce qui se rapporte aux religions, quellesqu’ellessoient.Alorsmelever,chanterouréciterlorsqueleprêtreledemande,c’esthorsdequestion.Lespierres,lesvitrauxetlesplafondssontunedistractioncommeuneautre.Laureaussi. Bien plus tentante et séduisante, celle-là. Je ne parviens qu’à apercevoir sa nuque aumilieudelafoule,maismaqueueal’airdetrouverçasuffisant.Surtoutlorsquejelavoismechercherduregard.Àvraidire,ellen’arrêtepasdeseretourner.Ellemanquedediscrétionetrécolteainsiunregardnoiretréprobateurdesamère,maissonpetitjeuestdivertissant.Aumilieudecetteassembléesilencieuse,Laureestentraindem’allumer.Sespetitssourirescoquins, ses œillades chaudes et explicites, ses mains qui n’arrêtent pas de toucher sescheveux,delesdéplacerpourquejepuisseadmirersoncoutendreetgracile.Ellemaîtriseleterrainetsaitcommentmefaireperdrelatête.Elleconnaîtmesfaiblessesetlesutilisecontremoi.J’aidéjàdesvisionssublimesdecequejepourraisluifairedanscetteéglise:lacambreretlaprendresauvagementenadmirantsonculenestune.Mes pensées dérivent. Les images dansent dansma tête : elle, la tête en arrière, les fessesoffertes àmesmains expertes. Je remue surma chaise et tente de cacherma queue trop àl’étroitdansmonboxertandisquebonnombredefantasmesm’envahissentetaccroissentmonexcitation.Lorsquelesinvitésselèventunefoisencorepourchanterjenesaisquellechansonàlacon,jesuis tiré demes réflexions érotiques par unemain qui se pose surmon poignet : Laure estvenuemerejoindre.Sesdoigtsm’effleurentavantdeserefermersurmapeau.Ellemetirelebras.

–Viensavecmoi!Obéissant,jemelèveetlasuis,lelongdelarangée.Ensilence,nousmarchonspourquitterlesbancsetnouséchapperàl’écartdelafoule.Personnenefaitattentionànous.Leursyeuxsontfixéssurl’autel,verslesmariés.Etlamusiquerecouvrelebruitdenospas.Quand nous sommes suffisamment éloignés, Laureme pousse contre un pilier – assez largepournouscacher–etsejettesurmeslèvresentrouvertes.Soncorpstoutensensualitéetengrâce épouse lemien, pendant que je posemesmains sur ses fesses et les prendsdansunepoignepossessive,pourrenforcernotrecontact.Nossouffless’accélèrentaussitôt.Ledésircourtdansmesveines.Jeneparvienspasàsavoirsielle joue encore à prendre le pouvoir surmoi, ou si elle a besoin de cette étreinte pour sedonnerducouragepourlasuite.Jepenchepourlasecondeoptionquandsafougueperdenintensité.Elleposesatêtesurmonépauleetinspiredetoutessesforces,sesdoigtsplantésdansmoncuirchevelu.Elleneparle

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pasmaisellemeserredanssesbras.–J’auraisétéprêteàfairequelquechosedepastrèsrecommandépourlesalutdemon

âmedanscetteéglise.J’éclate de rire en voyant son air penaud mais malicieux, quand elle s’écarte pour meregarder.

–Qu’est-cequit’enempêche?–Pasassezdetemps.

Jerisdenouveau.–Jet’aidéjàditquetuétaisunevilainefille?–Oui.C’estcequejesuisdevenue.

Sonsourireestradieux,presqueangélique,alorsquesespenséessontdiaboliques.–Tul’étaisdéjà.Ilfallaitjustequetut’enrendescompte.–Oui.

Sonregards’assombrit.Pense-t-elleaupointdedépartdetoutecettehistoire?–Turegrettes?

Sesprunellesmescrutent.–Non.

C’estàmontourdesourire,àmontourdemesatisfairedesaréponseetdel’embrasserpourleluiprouver.

–Alex…intervient-ellecontremabouche.–Oui?

Sa main se pose sur ma joue, son expression heureuse est toujours là, mais derrière, j’ail’impressiondediscernerautrechose.J’aipeurdecomprendredequoiils’agit…

–Jet’aime.Je pourrais mourir maintenant, juste pour elle. Mais elle ne me laisse pas le temps derépondreniceluidemegorgerdel’effeteuphorisantquesesparolesontsurmoi.Saboucherevient,salanguemepossèdeetsesseinss’appuientcontremontorse.Jemedélectedecenouveaubaiser,decetaveuquigonfletoutmonêtred’unsentimentquejepartage.Nousrestonsainsi,danslesbrasl’undel’autre,jusqu’àcequelamusiques’arrête.Lacérémoniesetermineetlesinvitéspassentderrièrenotrepilierpoursortir.Lorsquenousentendons lesréflexionsdesesparentsqui lacherchentpartout,nouséclatonsderireensemble.Lauremecaresselajoueunedernièrefois.Ellemeregardedanslesyeuxunlongmomentetexpireuntrop-pleind’airavantdebaisserleregard,mecachantainsilerestedesesexpressions.

–Allons-y!Jelasuis,unpasderrièreellepouradmirersesformesquiondulent,unpasderrièreellepourl’observerjouerlacomédie,unpasderrièreelleàmedemanderpourquoiellen’apasattendu

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quejeluiréponde.

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20

Alexandre

CetteperversedeLéaadequoiétalersaréussite.Labagueaudoigt,unmariamoureux,etuneréceptiongrandiosedevantfamilleetamis.C’estsonheuredegloireavantladéchéance.Elle porte la robe dans laquelle je l’ai vue ce jour-là, lors de sa séance d’essayages. Ledécolletéappuiesursapoitrineopulenteet,malgré le froid,ellenesecouvreque trèspeu.Sonchâleretombederrièresesépaulesetellese tientdroite,commeunereineà l’affûtdesmoindres regards.Son fantasmed’être regardéepar leshommesest assouviaujourd’hui.Onne voit qu’elle. Elle et cette quantité impressionnante de peau dénudée. C’en est presquegrotesque.Je suis Laure de près durant la réception. Je m’emmerde sérieusement parmi tous lespingouins,maislasavoirprèsdemoimepermetdetenirlecoup.Quandjen’enpeuxplus,jesors fumer une clope ou vais au buffet boire un verre. La soirée risque d’être très longue.Heureusement qu’elle a décidé d’agir dès l’entrée, sinon je n’aurais pas tenu le coup. Cecostumemeserrebeaucouptrop.J’observeLéade loin.Sonregardseposeparvaguessuccessivessursasœur.Sonsourirenes’efface jamais. Elle déambule parmi les invités, parade pour étaler son bonheur et sondiamantbeaucouptropgrandpoursondoigtsifin.Ellejoueàlaperfectionlamariéefidèleetamoureuse. Mais lorsque ses yeux font des allers-retours entre Laure et moi, l’étincellevictorieuseetconquérantequ’ellearborevacille.Léaadumalàcomprendrecequejefouslà,siprochedecellequ’elledéteste,lebrasenrouléautourdesataillechaquefoisqu’elleserapprochedemoi,mesyeuxdanslessiensdèsquejemeretrouvefaceàelle.Lastardelasoirées’inquiète.Etlavoirtroublée,dérangéedenepassavoirsurquelpieddanser,estenfinledivertissementqu’ilmemanquait.

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Laures’échappeunenouvellefoispourallerentamerunecausetted’usageavecjenesaisqui.L’alcoolquej’ingurgiteunefoisretournéaubar,entroppetitequantité,nem’aidepasàfairepasserletemps.Cevind’honneurduretroplongtemps.

–Tuestrèsdouépourjouerlacomédie.Léa,deboutàunpasdemoi,nemeregardepas.Elleveutselajouerdiscrètemaisqu’elleserassure,nosrelationss’étalerontbientôtsurgrandécran.

–C’est en effet undomainedans lequel j’excelle, dis-je d’un ton assuré en laissantmesyeuxvoguerversunesilhouetterougeparmilesinvités.

–Ilmesemblequecen’estpascequiétaitprévu.–Ahnon?– Tu devais jouer avec elle et la faire souffrir ce soir. Je n’ai pas oublié notre

arrangement.–Jen’aipasoubliénonplus.–Alorscessedelaregarderdecettefaçon.Jecommenceàcroirequetut’esfaitprendre

àtonproprejeu.Oualorstuessayesdemelamettreàl’envers?Ellemescrutesansdétour,cettefois.

–Mattavaitraisondemediredememéfier.–Mattétaitbourréetcomplètementàcôtédelaplaque,rétorqué-jepourmedéfendre.–Danscecas,prouve-moiqu’ilavaittort!Montre-moiqueLauren’estriend’autrequ’un

piondansnotrepetitepartie.Sinon,crois-moi,jeneresteraipassansrienfaire.Jeriposterai.Jerisméchamment.Siellecroitmefairepeur,c’estloupé.

–Tunedevraispasmeprovoquer,Léa.Jesuisplutôtjoueuretj’aimelesnouveauxdéfis.– Et moi je n’aime pas ce que je vois ce soir. Alors tu vas rompre. De la pire façon

possibleetdevanttoutlemondedepréférence,sinonjeluidisquelconnardinfidèletues.Jemesuisbienfaitcomprendre,là?Elle me quitte aussi vite qu’elle est venue me trouver, les yeux toutefois plus noirs etmeurtriers qu’auparavant. Elle n’accepte pas la défaite, ni de se faire doubler. Tout commeelle ne doit pas accepter que sa sœur ait pu mettre une robe si provocante, sexy etvalorisante.Jeremarquesa jalousiecontenuelorsque,enrepartantversses invités,sesyeuxdévalent la tenue de Laure. J’éprouve de la fierté pour mon audacieuse. Ce soir, elleinterprète son meilleur rôle : le dernier. Souriant de façon naturelle, parlant avecbienveillance,semontrantàl’écoute,elleassure.Aprèsdesheuresàtourner, fumer,boireetbouffer,nousrejoignonsenfinnotretable.Laureest placée à côté de sa sœur qui ne cesse de discuter avec tout autre invité qu’elle.Certainementpourl’éviterautantqu’ellelepeut.J’en profite pour aller donner la clef USB au DJ. Je joue le mec enjoué, qui fait descachotteries pour faire une surprise aux mariés, et ça passe tout seul. Le type ouvre le

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documentetlecaleaubonendroitpourlediffuseraprèslesentrées.En revenant vers la table des mariés, je chope le regard de Léa sur moi : soupçonneux etsuspicieux. Elle ne décolère pas et attend que j’agisse pour détruire publiquement sa sœur.Maisellene saitpasque jen’en ferai rien. Jen’enai jamaiseu l’intention.C’est elleque jeveuxdétruire.Lauremérited’êtreégoïste,desupprimertouslesélémentsnéfastesàsonexistence,d’êtrelapièce maîtresse de ce plan machiavélique. Léa le prendra en pleine face bien assez tôt.J’auraisaimépouvoirmontreràmafamille,moiaussi,àquelpoint ilsontétéconsetsalementégoïstes.Arrivéprèsdemacomplice,jem’assoisàsescôtéssanstenircompteduplandetableetpasseunbras autourde ses épaules. J’embrasse sa tempe, laissemabouche effleurer ses cheveuxau-dessusdesonoreille.

–C’estquandtuveux,jeluimurmuredansunsouffle.Elleattrapemamainsouslatableetlaserre.Cesoir,jen’airiendumecquijouelacomédie,rien du mec indifférent à la fille à ses côtés qui lui fait tourner la tête. Et Léa s’en rendcompte.Quandmes yeux passent sur elle sans la regarder par-dessus la tête de sa sœur, jepourraispresquesentirlahainedesonregardpassersurmoicommeunrayonlaser.JeneluiadresseaucunsigneparticulieretreportemonattentionsurLaure.L’entréenousestservieparletraiteur.Lesdiscussionsaniméesrésonnentdansl’immensitédela pièce. J’écouted’uneoreille distraite.Quelques-unsdes témoinsmeposent des questionsmaisj’écourteladiscussion.Entempsnormal,j’auraispeut-êtrepuêtredansmonrôledemecpopulaire,maispascesoir.De l’autre côté de Laure, Léa bouge sans arrêt sur sa chaise. Elle passe unemain dans sescheveux,s’éventeetnousjettedesregardsenbiaisavantdedétournerlatêterapidement.Jelasensmalàl’aise.Mêmesonmecs’enaperçoit.Jel’entendsluidemandersiellevabien,ceàquoiLéaacquiesceenessayantdesourirepourlerassurer.Sanécessitédesauver lesapparencesestunrégal. Jemeréjouisdeceques’apprêteà faireLaure.Jecroisquec’est lemoment.Lesplatssontbientôt finiset jesensqueLéanevapastenirsalangueencorebienlongtemps.Ilestl’heure.Laurelecomprendaussibienquemoi.Elle se lève donc, défroisse un peu sa robe avec grâce puis porte les mains à sa veste enm’adressantunsourirepresquesoulagé.Sonvêtementdescenddanssondos.Derrièreelle,Léasefige.Sesyeuxfixentledécolletédesasœur.Elleneclignemêmeplusdesyeux,perduedans sa contemplationduphénixqui lanargue. Ladernière foisqu’elle l’a vu,c’était lorsque leur père a pris un plaisir malsain à le détruire sans aucune pitié. J’espèrequ’elle saisit lemessageque luiadresseLaure. J’espèrequ’elledécouvreàquelpointelle laprovoque et la remet à sa place. Parce que la suite risque d’être à la hauteur de cettedécouverte.

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Laure ne s’arrête pas. Après avoir posé sa veste sur le dossier de sa chaise, elle se déplaceentre les tables, son tatouage bien visible, fièrement exhibé sur ses reins découverts.L’expressionpaniquéedeLéaestàmourirderire.Est-elleentraindecomprendrecequisejoue?Sait-ellequejemesuisbienfoutudesagueule?J’espèrequ’ellecrèvedetrouille.

–OhmonDieu!j’entendsàquelquestablesdelanôtre.LamèredeLaureportesesmainsàsaboucheenregardantelleaussi ledosdesa fille.Elleétouffeunsanglot scandalisé tandisquesonpèrearboreune lueur furieusedans lesyeux. Ilestàdeuxdoigtsdequitterlatablepourrejoindresafilleetluidemanderdesexplications.Mon audacieuse ne fait pas attention à eux et continue de progresser jusqu’à l’estradesurplombant la salle. Sa démarche féminine me tient attentif à tous ses mouvements. Lafemme fatale et dominante qui sommeille en elle prend tout l’espace. Et tous ses prochesdoivent s’enapercevoir.C’estcommesi toute la salle retenait sa respiration.Tout lemondeestauxaguets.Saroberougeattiretouslesregards.Elles’approcheduDJentraind’installerunvidéoprojecteuretprendlemicroqu’illuitend.

–MesdamesetMessieurs,excusez-moidevousinterrompre,maisilneseraitpasnormaldecélébrercemariagesansletraditionnelpetitfilmsurnosdeuxstarsdelasoirée.Toutlemonderit.

–Stéphane,Léa,sivousvoulezbienvenirvousasseoirplusprès.Le DJ est en train d’installer deux chaises que Laure leur désigne, face à un écran en toileblanche.

–J’aipréparécettesurprisepourmasœur,continue-t-elleenparlantdanslemicro.Elleestlapersonnequejerespecteleplusaumonde.Etjevoulaisquevoussachiezpourquoi.Laureinsistetropsurlaphrasepourquecelasoitsincère.Léalesait.Sadémarcheestraideaumomentoùelledoitvenirjusqu’àelleprèsdesonmari.Lesapplaudissementsretentissentdanslasalle.Lesinvitésauxvisagessouriantssereplacentsur leurchaisepourse tournervers l’écranetversLaurequine faitpasattentionaumondeextérieur.Je lavoisseconcentrersursaciblecommeaustanddetir.Ellefixesasœuravecun sourire vicieux sur les lèvres. Léa répondde lamême façonpour sauver les apparences,maisàl’intérieur,elledoitseliquéfierd’inquiétude.Jem’installeplusconfortablementsurmachaise,attendantlespectacle.LeDJéteintquelqueslumières et lance l’application. C’est un diaporama : le truc le plus débile dumonde. Unemusiqueniaise s’échappedesenceintespendantquedéfilentdesphotosdeStéphaneetLéa.Leurenfance,leuradolescencejusqu’aulycée,leurspremièressorties,leurspremiersbaisers.Le résultat est harmonieux, les transitions fluides, les textes accrocheurs transpirentd’humour. Aux images tendres, les invités s’émerveillent. Aux photos compromettantes, lesriresetlessiffletsmoqueursmaisbienveillantss’enhardissent.

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Lamusiques’adoucit, levolumediminueet lavoixdeLauresortdesenceintes.Ellepose laquestionquis’affichesurl’écran:«Vouscroyeztoutconnaîtredeleurvie?».Lediaporamanedéfileplus.Plusdephotosmignonnes.JevoisLéadevenirblême,lesangsoudainglacéd’effroi.Lachaleurquittesoncorpspourlafaire trembler sur sa chaise, alors qu’elle regarde laprojectionderrière sa sœurquine s’estpasdétournéeuneseulefois.LaurescrutelesexpressionsdesasœurpendantquelesyeuxdeLéa fontdes allers-retours entre elle et l’écran. Les images tant attendues arrivent enfin surcelui-ciplacardéesengrand,devanttémoins:Mattentresescuisses.Par-devant.Par-derrière.La jupe relevée.La tête rejetéeenarrière.Laboucheouvertedeplaisir.Onvoit ses jambesnueset sesmainsautourdesa têtependantqu’il laprenddans les toilettesdecebar.Çayest,touslesgensqu’elleconnaîtsaventmaintenantquielleestvraiment.Lesupplicecontinuepourlamariée.Lesimagesapparaissentlesunesàlasuitedesautres,enrythmesurunemusiquerock,untrucbruyant,genremetal.Puislenoirsefait.

–C’estquoi,cebordel?murmureStéphaneenseredressant.Cettefoislesimagesbougent:ils’agitd’unfilm.Jereconnaisimmédiatementlachambredugîte. Jeme vois entrerdans l’anglede la caméra. Jeme tiensdebout face à Léa tandis quecelle-ciestallongéesurlelitàm’attendre.Unsourireaguicheursurleslèvres.Jeme penche, elle se déshabille, ôte ses fringues de façon sensuelle pour se retrouver nuedevantmoi,avantquejeneviennem’allongersurelleetl’embrasser.Le baiser me paraît durer sans jamais finir pendant que mes mains la caressent, prennentpossession de ses courbes féminines. Jeme rappelle de cemoment, et ilme fait frémir dedégoût.C’est alors qu’on les entend.Dansunbrouhaha sourd, les premières exclamationshorrifiéeséclatentàtraverslasalle.Quelqu’unallumelalumière.Jenesaispasquis’enestchargé,monregardnevanullepartailleursquesurElle.Laureestentraindeprendresonenvol,defairecommesonphénix:quittersacageetselibérerenfindesesentravestoxiques.

–Arrêteça!ÀlagauchedeLéa,lachaisebasculeenarrièreets’écrasesurlesol.Stéphanes’estlevéetafait un pas en arrière. Il donne un coup de pied rageur dans le vidéoprojecteur, le faisantbasculersousl’impactpuissebrisersurlesol.Autour d’eux, d’innombrables raclements de chaises brisent le silence pesant qui vient detomber.Lesinvitéssesontlevés,indignés.Léa se détourne du regard insoutenable de Laure – car victorieux – pour se concentrer surStéphane. Une fureur sans nom déforme ses traits. Les yeux dumarié vont et viennent surelle,lelongdesoncorps,commes’illevoyaitpourlapremièrefois.Ilneditrien.

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Toutes les têtesconvergentvers lamariée.Dans sa robeblanchedeprincessepure.Elleestfigéesursachaisefaceàtouscesregardsquilajugent:choqués,dégoûtésouécœurés.Commesielleétaitlapiredesgarces,lareinedesSalopes.

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21

Laure

Jen’aijamaisconnuuntelaccomplissement.J’ail’impressiond’avoirparcourudeskilomètresetgravidesmontagnespourarriverauboutdecettequête.Jesuisunvivierd’émotions: lahaine,ledégoût,lacolère,maisaussilafiertéetlesoulagement,affluentdansmonêtre.Dèsquejemesuislevée,guidéeparmondésirderevancheetparcebesoinviscéraldelavoirchuter, j’ai senti son regard brûlant sur moi. D’abord étonnée, alors que j’avançais versl’estrade devant tout le monde, puis interrogative lorsque j’ai commencé à parler, et enfinépouvantée,endécouvrantmapetitesurprise.Malgrélemondeprésentaumariage,àcet instant, iln’yavaitplusqu’elleetmoidanscettesalle,prêtesànousaffronterenfin.Monattentionaccaparéepar les réactionsdeLéa, jen’aipasregardélavidéoderrièremoiuneseulefois.Lerisqued’êtredéconcentréeparmapeineetmesregretsétaittropgrand.Voilà,lapartieestjouée.Léanebougepas.Ondiraitqu’elleestcoincéesurcettechaise.Elleest la seule encore assise alors que tout lemonde s’est levé, Stéphane le premier, avec unmépris nouveau illuminant son regard. C’est étrange de les voir ainsi, étrange de la voirrecroquevilléesursachaisealorsqueluilatoisemenaçant.C’estcommesilesrôless’étaientinversés:Stéphanen’estplusaveugleetLéan’estplusperchéesursontrôneenpensantêtreintouchable.Jeneressenspasuneoncedeculpabilité.Jen’aipaslemoindredoutenilemoindreremordssurcequejeluifaisvivre.Lecheminparcouruaétélongetparfoiséprouvant,maisgrâceàAlexandre je suis parvenue à atteindre mon objectif. Mais c’est bien là tout le problème :aurais-jeétécapabledefairetoutçaparmoi-même?

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–Tun’es qu’une salope ! cracheStéphane endirectionde Léa, en lui attrapant le brasviolemmentpourqu’elleselève.Lachaisedemasœurtombeàcôtédecelledeson«mari».

–Depuis combiende temps, Léa ? crie-t-il hors de lui.Depuis combiende temps tu tefousdemagueule?

–Stéphane,écoute-moi…commence-t-elleenessayantdes’approcherdelui.–Depuistoujours,j’intervienspournepaslalaisserfinir.

Lemariémeregardeatterré.Fini lesœillères, larévélationlefrappedepleinfouet. Il lâcheLéaensereculantetenfermesonvisagedanssesmains.

–Stéphane…tente-t-elleencore.– Nem’adresse pas la parole ! coupe-t-il en haussant la voix. Tu peux dire adieu à ce

mariage.Jevaistoutfaireannuler.–Non!Stéphane…–Parcequetucroisquetuastonmotàdire?

Autourdenous,lesinvitéscommencentàplierbagage.Notrepetitrèglementdecomptesdoitàprésentse joueràhuitcloset ils l’ontparfaitementcompris.Jevois laplupartd’entreeuxaller saluer le grand-père de Stéphane puis quitter les lieux aussi rapidement que possible.Beaucoupévitentmesparents,nesachantpascommentsecomporteraveceux.Bientôt, tous les protagonistes de ce drame sont réunis entre eux : les familles proches desmariés,AdèleetMaevaquisesontapprochées,etbiensûrAlexandre.Lesavoirencorelàmeréconforte.Maispenserauprochainactedecettepiècebeaucoupmoins.

– Mais tu croyais quoi ? reprend le marié dédaigneux. Que tu pourrais me tromperéternellementsansquejem’enrendecompte,quetupourraisrestertranquillementmariéeetcontinuerdecoucheravectouslesmecsquetucroiserais?

–Laurem’apiégée, réplique-t-elle enme jetantun coupd’œil. Ilsm’ontdroguée, jenesavaispascequejefaisais.Elleessayedes’ensortiroujerêve?

–EtavecMatt?Avecluiaussituétaisdroguée?C’estbizarreparcequej’étaislààcettesoiréeetàaucunmomenttunem’asparunepasêtretoi-même!Stéphane est hargneux, furieux et revanchard. Je ne l’ai jamais vu exploser de cette façon.Maissacolèreesttellementjustifiéequ’ellemefaitunbienfou.

–Dis-moiquejen’aipasépouséunetraînée!Sesyeuxsontfous,sarespirationerratique.Pourlapremièrefois,Léaneditrien.

–C’étaituneerreur,tente-t-elled’intervenir.–Deux,corrige-t-ilencriant.Deuxerreursaumoinsenquelquesmois,aprèsquejet’ai

demandéenmariage.Etcombiend’autresavantça?Nemeprendspaspouruncon!Léasursauteetfaitunpasenarrière.

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– Quand je pense que tu as fait ça à ta propre sœur.Mais quelmonstre es-tu ? As-tuseulementuneconscience?Moncœursegonfledereconnaissance.Malgrésonmalheur,cethommeblessépenseàmoi.Pendantuneseconde,jeregrettedeluiavoirinfligéunetellesouffrancedemanièresibrutale.Léasemblesortirdesatorpeurenentendantmonprénom.Elleretrouvedesasuperbe.Bonsang,ellemehaitdonctantqueça?Maispourquoi?

–Masœurestunegarce,riposte-t-elle.Regardecequ’ellevientdefaire!Àmontourdereveniràlaréalité,jenelalaisseraiplusmerabaisserdelasorte.

–Nem’appellepascommeça,Léa ! je lamenace.Nem’appellepascommeçaoù je tejurequetuvasteprendremonpoingdanslaface.S’ilyaunegarceici,c’esttoi!Elleme regarde stupéfaite. Ellen’a pas intérêt à poursuivre samisérable comédie. Sinon jevaisladéfoncer.Je n’ai pas fait attention à l’endroit où se trouvait Alexandre durant notre échange,mais ildoitsentirquej’aibesoindelui,car,aprèsêtremontésurl’estrade,ilvientcalersonbrassurmonventre.Sapoitrineseposesurmondosetsatêtecontrelamienne.J’ail’impressiondereprendremonsouffle.Stéphanesuitsonmouvementdesyeux,puisaffrontesonregard.

– Je devrais te casser la gueule pour ce que tu as fait et pour le culot de venir iciimpunément,lance-t-ilàAlex.

–Vas-y!Jeseraisravidetevoiressayer.–Celan’envautpaslapeine.Aucundevousn’envautlapeine.

Sonregardseposesurchacunàtourderôle.Enarrivantsurmoi,sonexpressionchangeetsefait nostalgique, plus douce. Puis il se tourne une dernière fois vers Léa et son visagefaussementimplorant.

–Pourquoiavoirtantvoulucemariage,Léa?Parintérêt?Parcupidité?Illastoppealorsqu’elles’apprêteàtenterdeledétromper.

– Peu importe. Considère que ce mariage n’a jamais eu lieu, lui annonce-t-il. Et tupourrastedémerderpourtoutpayer.Jeneveuxplusjamaistevoir.Elleessayedeleretenirunedernièrefois.

–Lâche-moi,putain!Il se dégage d’un coup sec et ne se retourne pas quand il part. Son grand-père en fait demême, et bientôt, le silence retombe. Nous sommes entre nous, immobiles, attendant quequelqu’unparle.J’aimeraisquecesoitmesparentsetqu’ilsmesoutiennent.Maisilsn’enfontrien.Ilsregardentleursdeuxfillestouràtour.Ilssedemandentlaquelledesdeuxestàpuniretlaquelleestàplaindre.Cetteréactionmefoutlahaine.Laréponsenedevrait-ellepasêtreévidente?

–Commentas-tuosémefaireça?LaquestiondeLéamesortdemesréflexions.

–Pardon?

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Ellecontinuedesefoutredemagueule?–C’estça,prendstonairdevictime…Çaatoujoursététontruc!–Maisdequoituparles?demandé-jescandalisée.Qu’est-cequej’aifaitpourmériterton

mépris?J’aitoujoursétélàpourtoi.– Et tu ne peux pas savoir comme cela était insupportable. Je ne t’ai rien demandé,

Laure.Surtoutpastonamourinconditionnel.–Tuesmasœur!Biensûrquetun’avaispasàmedemanderdet’aimer.

–Ettucroisquec’estuneloiuniverselle?Quel’ondoits’aimerparcequenousavonslesmêmesparents?Ellemesidère.

–Tuastoujoursétésiparfaite:unevraiesainteentoutescirconstances.Le bras d’Alexandre se resserre surmoi comme pourme protéger des paroles dema sœur.Maiscelles-cimeblessenttoutdemême.JenepensaispasqueLéaavaitencorelepouvoirdemefairedumalmaisc’estlecas.

–Ilst’onttoujourstouspréféréeàmoi.poursuit-elle.Elleestinjusteetnes’arrêteplus:

– Toi, la parfaite petite fille modèle. Tu as une idée de ce que cela peut faire d’êtrecomparéeàtoientoutescirconstances?Toiquin’as jamaisélevélavoixoufaitdecaprice.Tuimaginesêtrecellequipassetoujoursaprèsl’enfantchérie?

–Celan’ajamaisétélecas,dis-jeenfronçantlessourcils.Jem’efforcedemesouvenirdenotreenfance,decomprendrecequ’ellepeutévoquer,maistout cequimevientme rappellequ’elleétait elleaussiune filleetune sœurparfaites.Elleréussissait tout ce qu’elle entreprenait. Et mes parents lui accordaient tout ce qu’ellesouhaitait.

–Biensûrquesi.Sonexpressiondevientsatisfaite.Lespectaclequejeluioffredoitlaravir.

–Nosparents,tesamies,lesmecs:toutlemondenejuraitquepartoi.Maisj’aitoutfaitpour qu’ils te voient différemment. Pour Papa etMaman cela a été facile. Il a suffi de leurjeter ta passion à la figure pour qu’ils se rendent compte que tu n’étais pas celle que tusemblaisêtre.Maispourlesmecs…Ilsteregardaienttousavecdesyeuxadmirateurs,commesituétaisunemerveilleincarnée.Etpourcouronnerletout,tun’yasjamaisfaitattention.Tunecherchaismêmepasàattirerlesregards.Ilsuffisaitqueturentresquelquepartpourqu’ilstebouffentdesyeux.C’étaitàvomir.Léa grimaceméchamment. Je ne peux pas empêchermon cœur de se serrer. Je pensais neplusrienressentirmaisà lavoirsi féroce,fièredemejetersonressentimentà lafigure, lesregrets de notre relation perdue reviennent. Je suis amère. Ses explications sur soncomportementn’ensontpas.

–Alorscen’estqueça,finalement,dis-jedépitée.Cen’estqu’unequestiondejalousie?

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–Maistucroyaisquoi?Quej’allaisfairecommemaman:accepterdepasserensecond,toujoursaprèsuneautre,paramour?Ellericane.Savigueuretsaperfidiereviennentaugalop.

–Tusaisquoi,petitesœur?continue-t-elle.Je serre lespoings surmes cuisses et rentremesonglesdansmespaumes jusqu’à ceque ladouleursurpasselaragequemasœurnourritdèsquejelavoisavecsonairsupérieur.

–J’aiprisunpiedd’enferavectonmec.J’espèrequetuasbienconsciencedeça.Quellegarce!Ellecontinuesursalancée.Deslarmesderageetdedésespoirbrûlentdansmagorge.Maisjelesrepousse.Jelesmetsdecôtépourrépondreaveclamêmefourberiequ’elle.J’aiapprisà le faire.Lesconseilsd’Alexaustanddetirmereviennentaumomentoù j’armemadernièremunition.Cellequi fera toutvolerenéclats.Lemêmesourirequeceluidemasœurvientornermestraits.

–Etmoidemêmeavecletien.Çayest.Lecouperetesttombé.J’aiditlesmotsquisonnerontleglasdecettehistoire.Alexandresecontractecontremoi.LevisagedeLéaperddesonassurance, ildevient livide.Ellequiatoujoursfaitensortedetenirlesmecséloignésdemoiparjalousie,j’espèrequ’elleamaldecroirequej’aieulesien,aprèstoutescesannées.

–J’airéaliséundesesfantasmesdelycéen,jepoursuispourl’achever.Tusais,quandilvoulaitsortiravecmoi!

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22

Alexandre

CommeLéaenfacedemoi,jen’arriveplusàesquisserlemoindregeste.Toutmoncorpsesten tension :mesmuscles sontengourdis,ma tête commeserréedansunétau,quantàmoncœur,jenecroispasavoirjamaisressentipareilledouleur.Ilestessoufflé,comprimédansmapoitrine,étoufféparuneragegrandissante,unejalousiemalsaineetmorbidequivamefairedevenir timbré. Je ressensunehaine férocepour ce typeque je suis devenu et qui subit cebordelsansnom.Enfait,jesuisunconnardderomantique.Laconversationcontinueàcôtédemoi,maisc’estàpeinesijel’entends.

–Quand?interrogeLéalavoixtrouble.–Enmêmetempsquetoi,sansdoute!

Enmêmetempsqu’elle.Cesoir-làaugîte.Lorsquej’airefrénémespulsionspourluiprouverquej’étaiscapabledetoutpourelle,qu’ellecomptaitplusquetout,enréalité,ellevenaitdes’envoyerenl’airaveccemec?C’estimpossible.Putain,dites-moiquec’estimpossible.Jenelesupporteraipas;pasalorsquej’aifaittoutçapourelle.Jen’écouteplusriendecequ’ellessedisent.Lesmotsqui tournentenboucledansmatête,merongentdel’intérieuretmepourrissentlecrâned’imagesdégueulassessontceuxdeLaure.Je les imagine, elle et ce connard. J’aurais dû lui casser la gueule, le réduire en miettes,broyercequiluisertdecouilles.Comment peut-on être dans un tel état euphorique, convaincu d’être prêt à tout pourquelqu’un,etseprendreuntelrevers?Commentpeut-onsurvivreàcesentimentdévastateurquianéantittoutesensationdebonheur?Qu’a-t-ellefaitdemoi?Jenemereconnaisplus.

–C’estquoi,cesconneries?Mes lèvres ontmurmuré cela toutes seules près de son oreille. Je la sens qui se tend. Sonsoufflesecoupeavantqu’ellen’expire longuement.Sesprunelleschâtaignemescrutentavec

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unelueurpresquedéterminéequi,pourlapremièrefois,m’estinsupportableàregarder.Toutestmagnifiquechezelle.

–C’estquoicesconneries? jerépèteplus forten laissantmacolèreprendrepossessiondemoi.

–Apparemment,iln’étaitpasaucourant!ricanelasalopefaceànous.–Tagueule,Léa!

Ellehurlesursasœuravantdeseretournerversmoi.–Tuascouchéaveccetype?

Dis-moinon,putain!Dis-moinonoùjevaispéteruncâble…Sesyeuxdanslesmiens,jeneparvienspasàdéchiffrercequ’elleveutmedire.

–Oui.Putain…Je passemesmains dansmes cheveux tout enm’écartant d’elle. Sa présenceme brûle. Lasavoir si près de moi, si forte, vient à bout de ma raison. Je suis les deux pieds dedans :amoureuxd’elle.J’aisuccombépourlapremièrefoisdetoutemafoutuevie.Mais Laurem’achève, elleme broie, tronçonnemon cœur enmorceaux pour éparpiller lestranchespourquejenelestrouveplusjamais.Jeneparviendraipasàmereleverdececoupalorsqu’elleestlaseulequejeveux,cellequej’aimeetquiestentraindetoutbousiller.

–Pourquoi?Jen’aipasenviedesavoir.Pourquoij’aiposécettequestiondemerde?

–Pourmevengerencoreunpeuplus.Pourluifairecomprendrecequ’ellem’apris.Elle jette un coup d’œil mauvais à Léa. Elle pourrait lui cracher au visage, l’effet serait lemême.

–Regarde-moi!luiintimé-jepourqu’ellereviennesurmoi.Laurefermelesyeuxpuismefixe.

–Dis-moiquetun’aspasfaitça.Dis-le-moi.Mens-moisituveux,j’enairienàfoutre.

–Jenevoispasenquoiçatedérange,lance-t-elleenjouantlaprovocation.Tuascouchéavecmasœurcesoir-là,non?

–C’esttoiquimel’asdemandé!Jenesaispascommentjefaispournepasexploserettoutenvoyervalser.

–Putaiiiin…Mesmainsderrièrelanuque,jecriemafrustration.Jeperdslecontrôle.Jelaperds.C’estunputaindecauchemar.Je l’avaisdansmesbras, laseconded’avant,etvoilàqu’elles’évapore.Elle me glisse entre les doigts et je suis trop aveuglé par la rancœur pour essayer de larattraper.

–Etdireque……Jet’aimecommeuntoxico.

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Jesecouelatêteenbaissantlesyeux.Quelspectacledésolant!–Tumens!insisté-jeenrejetantlavéritéqu’ellem’assènesansbroncher.–Non.

Laurenousdétruit.Elleaarmésonbrasetvientdemetirerenpleincœur.Maispourquoi?Pourseprouverqu’ellelepeut?Qu’elleestcapabledel’assumer?Si c’est ce qu’elle veut, je peux jouer le fier,moi aussi. Je peux lui faire lemêmemal. Jebloquetoutcequejeressenspourprendrelamêmeattitudequ’elle.

–Tusaisquoi?Tasœuraraison,commencé-jeenessayantdecacherlestremblementsdemavoix.Cettenuitavecelleétaitunpiedd’enfer.Connerie.Mensonge.Trahison.Jesuisentraindereniertoutcequ’ils’estpassécettenuit-là.Cettenuit incroyableoùnousavonsréussiàcréerunebulleprotectriceaumilieuduchaos,oùelles’estendormiedansmesbrasenmefaisantdécouvrircequ’êtrefusionnelvoulaitdire.Mes mots la frappent durement. Je le vois sur son visage. Pour la première fois depuis ledébutdecettedispute,soncontrôles’effrite.Ellebatdescilsunefoisdetropetjesaisquejel’aiatteinte.Jenecessedemerépéterqu’ellel’acherché.Elleacouchéaveccemec…alorsquemoi…

–J’avaisraison,dit-ellepourelle-même.Tun’espasquelqu’unpourmoi.Ellenousfaitencoredumal.

–Non,jelaissetomberpourallerdanssonsens.Jenelesuispas.Puis jemedétourne.Mesyeuxsurvolentlerestedugroupe:Léa,attentiveànotreéchange,redevenuehautaineetsatisfaite;sesparents,quinousobserventcommedesbêtesdefoire;MaevaquiseretientdesourireetAdèlequisemblechambouléeparlasituation.Jen’enaiplusrienàcarrerdetoutça,plusrienàcarrerdesapparences,decequejedevraisfaireounon.J’arrachemacravate,retiremavesteetlesbalancesurlesol,puisjeparsloindecettescène,detouscesenfoirés,deLaure.Lemalestpartoutdansmoncorps.Jelesensmesubmerger,contractermagorgeetlabrûlersifortquemesyeuxmepiquent.Ilfautquejemetire,quej’évacue,quejeredevienneceluique j’étaispourmeprotégerde toutescesconneriesquimefont tropmaletmecreusent lapoitrinepourm’arracherlecœur.J’aibesoind’air,devitesse,d’alcool:toutcequejeconnaisparcœur,etquipourramefaireoublier.Jeregrettedenepasavoirprismamoto.Toutcommejeregrettecettesaloperiedefutaltropserré. Passer les vitesses avec ce tissu qui me moule est loin d’être galvanisant. Celan’augmentepasmonadrénaline,neprendpas lepassurmessentimentschaotiques,n’effacepasmadouleur.

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Unecolèresourdem’exploseàlagueule.Jenemaîtriseplusrien.Jesuisaveuglé,hermétiqueaumondeextérieur.JeressasseencoreetencorelesdernièresparolesdeLaure.Jenepensequ’àelle,àsoncorpsnusouslesmainsdel’autretêtedenœud,àsanuquequ’iladûlécher,àsondos,àsontatouage.Son tatouage… Il n’y a quemoi qui aurais dû avoir le droit de le caresser, d’y enfoncer lesonglesoudelemasseraucreuxdemespaumes.Savoirquel’autreapeut-êtrefaittoutçamerendcinglé,enragé.Je ne suis qu’un putain de paumé, à l’heure qu’il est, un camé en manque. On vient dem’arrachercequimedonnaitunnouveausouffle.J’ai beau appuyer sur cette pédale, l’écraser contre le plancher et doubler voiture aprèsvoiture,rienneparvientàmerameneràlaraisonniàmecalmer.Labrûluredansmagorgem’est inconnue et la rage qui l’accompagne, un pansement inattendu sur cette émotionincontrôlable.Ilfautquejel’alimente,quej’oublieàquelpointcelafaitmal.Putain,cequeçapeutfairemal…Je croyais avoir enfin trouvé la partie qui me manquait, lui avoir prouvé que je l’aimaiscommeun taré.Mais jeme rends compte que lesmots ne font pas le poids face aux actes.CeuxdeLaureontfinidem’achever.Jen’auraisjamaisdûtomberamoureux.Celanem’étaitjamaisarrivé.Pourquoimaintenant?Pourquoielle?Laure…Jemegaresurleparkingdesflicsetjesorsdelacaisse.J’ailesoufflerapide,lecœurtapantàlamême vitesse quema bagnole quelquesminutes plus tôt. Je sais que je ressemble à unpingouinquisortd’unepartiedebaise.Maisjem’encogne.Ilfautquej’évacueetvite.J’entredansleposteetparsverslebureauquejeconnaisparcœur.Jenetravaillepasdanscecommissariatmaisj’yaijustequelqueshabitudesquimepermettentdemeviderlatêtesansqu’onmefassechier.Quelques-uns lèvent le visage de leur ordinateur pour le tourner vers moi. La plupart despoliciers icim’ontdéjàvuetsemoquentdemaprésence.Ilsdoiventcependants’étonnerdemevoiràuneheureaussitardive.Jecontinuedemarcheretouvreuneportesanspréavis.Vincentseredressesursonsiège,samineprendunairinquietlorsqu’ilmereconnaît.

–Alex?Qu’est-cequetufouslà?Ilfroncelessourcilsenmedétaillant.Sesyeuxpassentsurmonpantalondecostardetsurmachemiseàmoitiédéfaite.

–Tasalledetirestdispo?jeluidemandesansattendre.–Àcetteheure-là?–Oui.

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Il comprend àmon attitude que je suis sérieux. Je neme suis pas encore regardé dans unmiroir,maisma tronche ne doit pas être belle à voir. Pour commencer, j’ai dû passermesmainsunnombreincalculabledefoisdansmatignasseenmeserrantlescheveuxàlalimitedemelesarracher.Ensuite, j’aiconduitcommeunconàtravers laprovinceet lavillepourarriver jusque-là. Et enfin, j’ai bien trop bu durant les dernières heures pour faire passer letemps.End’autresmots : leparfaitmélangepourdonnerunegueulededéterréàn’importequi!Undéterréfoudejalousieetd’amertume.Vincentditunmotàsoncoéquipieravantdesetournerversmoietd’acquiescerd’unsignedetête. Je le suis en silencedans les couloirs.Nousdescendons au sous-sol devant de grandesbaies vitrées. Il n’y a personne à l’intérieur de la salle. Tantmieux, j’ai bien l’intention deviderchargeuraprèschargeur.Hier,j’aifaitçadanslesrègles.Cesoir,j’agissousl’impulsion.J’entreaprèsluietfiledirectverslematériel.Pendantquejem’affaire,luinequittepassoncoin.Vincentestuntypebien:loyal,simpleetsincère.Celafaitunpaquetd’annéesqu’onseconnaît, un paquet d’années qu’on se rencontre régulièrement au fil des enquêtes. Noussommesflicsdeterrain,mêmesijetravailleau36,ilnousarrivedepasserquelquesmomentsensemble.Etnousavonspasmaldesoiréesaucompteur.Ilrestesilencieuxalorsquej’enfileuncasqueetdeslunettes.Jenesuispasentenueetjen’airien à foutre icimais il ne dit rien, ne fait aucune remarque. Je sens qu’ilm’observe. AvecMickeyetLudo,c’estleseulmecquejeparviensàblaireretquejepeuxconsidérercommeunami.J’appuiesur ladétente, lebruitexplose.Laureestpartoutdansmatête,sonempreintemenargue,sonparfummehante.Balle après balle, jeme concentre sur la sensation aubout demesdoigts, sur ces coupsdemarteaudansmespoignets,cesdétonationsquirésonnentdansmestempesenfaisantéchoàceputaindetambourdansmoncœur.Quandjefinisunesalve, jerecharge,pourviserdenouveau.Latroisièmepasseet jenesuistoujourspascalmé.

–Onpeutsavoircequet’as?questionneVincentdèsquej’aifiniunevague.–J’aibesoindetirer,c’esttout.–Etçateprendcommeuneenviedepisser?–C’estça,jesoupireententantdesoulagerlepoidsdansmapoitrine.J’avaisunegrosse

envie.Je relève les bras et mets en joue. La concentration sur ma cible, le recul au moment oùj’appuie,lesonquipèteàtraverslasalle,jeconnaistoutcetenchaînement.Jelemaîtrise.Iln’y a pas de facteurs extérieurs qui pourraient être ingérables, pas de distractions, pas demusebrunedansuncorpsdedéesse…Bordel!Jelâchel’armeetposelesmainssurlemuretdevantmoi.Têtebaissée,jesensdéjàtouslessentimentsquejetentederefoulerdepuisquej’aiquittéLaureremuermesentrailles.Cequ’il

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yaau fonddemoines’effacepas.Faitchier : jesuisennage.J’aividématêteà l’exercicemaisrienn’yfait.Celadevraitpouvoirs’enallercommeça,non?

–Alex…appelleVincentderrièremoi.Tuessûrqueçava?Iln’yestpourrienmaisjeneparvienspasàmecalmer.

–Biensûrqueoui.Etqu’est-cequeçapeuttefoutre?–Jet’airarementvudanscetétat.J’ail’impressionquetuesprêtàtoutdémolirsurton

passa…–Écoute…jel’interrompsenlevantunregardfurieuxsurlui.Toietmoi,onnefaitpas

lacausette.– Ok, capitule-t-il en levant les deux mains autour de son visage. On ne fait pas la

causette…Ilréfléchitunmomentavantquesonvisagenes’illumine.

–Maisonpeutsortir,situveux.Jefinisdansuneheure.Uneheureàvider ce chargeur,àexplosermonmalà coupsdecanonpuisàpartiraérer ceputaindebordeldansmonesprit : l’idéeestplusque tentante.Seulementuneautremontecrescendo.Tirerl’aréveillée.Celaaalimentémonbesoindemedéfouler,defairemal.Levisagedel’autreconnardnem’apasquittépendantquejevisaislescibles.Celanesertàrienque j’essayedepasserau-dessusmacolère.Ellegronde commeunputaindevolcanenfusion,prêteàexploser.

–Non,jebalancefinalement.Jecroisquej’aiuntrucàfaireavant.Vincentresteattentif.Mesyeuxnepermettentpasdedouterdemesintentions:jenesortiraipascesoir.

–Etj’aibesoinquetumerendesunservice.–Alex…–Jeveuxquetumetrouvesunmec.

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Laure

Parti…Ilestparti.Jel’aifait.Jel’aiécarté,j’aimentipourqu’ils’enaille.Etluiaétésimauvais…Sij’avaisencoreunespoir,unevoixquimemurmuraitquec’étaitpossible,quenouspouvionslefaire, surpasser tout ça, il me l’a soufflé. Et si son attitude a confirmé ma décision par lamêmeoccasion,jecroisquejamaisjen’airessentiuntelmanque.Je suis effrayée par ce que je ressens. J’avais espéré éprouver une sorte de soulagement enl’éloignant. Une certaine libération parce que je n’aurais plus à me ronger les sangs enattendantqu’ilmetrompe.Hélas,iln’enestrien.Pasd’apaisement,pasderepos, justecettesensationd’étouffer.Etsesmotsquimefrappentalorsquemeyeuxsonttoujoursportésdanslevaguedepuisquecetteportes’estclaquéederrièrelui.Illefallait,n’est-cepas?Jenepeuxpasvivrechaquejourenmedemandants’ilmetrahiraoupas.Mais commentpasser chaque jour sans lui ? Je viensdem’arracherunboutdemoidefaçon consentante. Et ce uniquement parce que j’ai besoin d’être seule ou du moinsd’apprendre à l’être pour savoir qui je suis réellement. Suis-je toujours cette fille qui ne selaisseplusfaire,sansqu’ilsoitlàpourm’ypousser?C’est si dur d’affronter deux parts de soi. Deux parts qui désirent l’exact opposé l’une del’autre. L’une voudrait courir le rejoindre pour ne plus le quitter. L’autre se délecte de lasouffrancequesondépartacausée,persuadéequ’aprèscelaellepourratrouverlesréponsesàsesquestions.C’est lechaosà l’intérieurdemoi.Monmondeest sensdessusdessous.Etquand je regardeautourdemoi,celuiquim’entouren’estpasmieux.Ceuxquimeconnaissentsonttousfigésprès de moi, suspendus à ce que je pourrais dire, à cette colère qui menace d’éclater ànouveau.Etcommepourparfairecetableau,Léadécided’enfoncerleclou.

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–Tuescontente?demande-t-elleavecunsourirevictorieuxsurleslèvres.Àvouloirmapeau,tuviensd’arracherlatienne.

–Tagueule!Dès qu’elle ouvre la bouche, je retrouve ma force et le caractère qui a remplacé celui del’ancienne gentille fille. Léa doit dégager dema vie définitivement. Je ne la supporte plus.Cettefemmen’estplusmasœur.Ellen’estplusriendepuislongtemps.

–J’aitouchéunpointsensible?–Tunedevraispastroplaramener,Léa…Dois-jeterappelercequ’ilvientdesepasser?

Sonvisages’assombritquandelle reprendconsciencequ’elleacertainementperdubienplusquemoi.

–Espècedesalope!mecrache-t-elleplusmauvaisequejamais.Là, c’en est trop ! Armant mon bras, je ne lui laisse pas le temps d’esquiver. Toutes mesforces, toutemarage, toutesmesblessurespassentdansmongeste.Monpoings’abatsursamâchoireenmêmetempsqu’unedouleurfulgurante.Bordel,celafaitunmaldechien!Unmalpourunbien.Parcequelavoirallongéedanssarobedemariée,levisagetorduparlasouffrance,avecunregardapeurén’apasdeprix.

–Qu’est-cequetufous?mecrie-t-elleensetenantlevisage.–Cequejefous?

Je me penche au-dessus d’elle et l’attrape par le cou. Elle suffoque tout en essayant de selibérer.

–Osemechercherencoreetjetefinis,salegarce!Je ne me reconnais pas. Tant de haine déborde et s’écoule hors de mes pores que je neparvienspasàm’arrêter.Celafaittroplongtempsquecesentimentdortaufonddemoi,troplongtemps que cela dure. Léa doit comprendre que je ne rigole pas, que plus jamais je netendrail’autrejoue.

–Laure!Lavoixdemonpèreretentitau-dessusdemoi.Jen’yfaispasattention.Jenedéfaispasmaprise.Jeveuxlavoirsouffrirencore…

–Laure!Lâchetasœurtoutdesuite!Quand lamaindemonpèrevientm’écarter, je fais cequ’ilmedemande.Léa se retrouveàtoussersestripessurlesol.Ellerespireàfond,d’unsoufflelibérateuretsifflant.Notremèrelasoutientquandelleseremetdebout.

–Masœur?craché-jeendirectiondemesparents.Cettefemmen’estplusmasœur.Mondoigtpointéverselleestaccusateur,salvateuretvengeur.

–Laure!appellemamère.Elle paraît choquée deme voir si furieuse, choquée parce que je viens d’agresser sa chèrepetitefille.N’a-t-ellepasvulespreuvesquecettedernièreestunetraînée,lecœurremplide

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viceetdejalousie?J’aicommel’impressionquecettehistoirevameretomberdessus.–Qu’est-cequ’ilteprend,encore?

Encore?Ellemeparle comme si j’étaisunepetite fillepourriegâtéequi faisaitun caprice.C’estinsupportable!

–Tun’étaispaslà,ilyadixminutes?m’offusqué-jeenmontrantleprojecteursurlesol.Tun’aspasvu?

–Tun’auraisjamaisdûfaireça.–Quoi?–Tun’auraispasdûpassercefilm.Nousaurionspuendiscutercalmement,entrenous.

Tuasmistoutlemondemalàl’aise.J’aienviederiretellementcettesituationestpathétique.Etdevomiraussi.

–Tuplaisantes?«Calmement»?jereprendsplusfurieuseencore.Commentjepourraisêtrecalmealorsqu’elles’esttapémonpetitami?

–Ilestloind’êtreinnocent,clamemamèrepourprendreladéfensedesafille.Elleneluiapasmislecouteausouslagorge.

–Pourtantilavaitl’airinnocent,ilyaquatremois,quandtuasessayédemeconvaincrederesteraveclui.Maismaintenant,quoi,c’estluilecoupableetLéan’yestpourrien?

–Onnefaitpasçaenfamille.Jevaisfinirparexploser.

–Parceque cela se faitdementir ?De tricher ?Debaiser avec le fiancéde sa sœur?crié-jesubmergéederage.

–Çasuffit!tonnemonpèreens’approchantdemoi.Jedéteste savoix. Jedéteste le voirm’imposer sa carrure, fierd’être cequ’il est etdumalqu’ilfait.Cethommeestpersuadéquemamèrelereprendratoujours,qu’elleluipardonneratoujourssesinfidélités.C’estluilabraisequiaenflamménotrefamille.Sesactesontfaçonnénoscaractères.

–Tuneparlespas commeçaà tamère, gronde-t-il comme s’il était encoreun chefdefamillequ’ilfautrespecter.

–Qu’est-cequeçapeuttefoutre,àtoi?Maisc’estquoicettefamille?D’oùjedébarque?Ilsnesontpassérieux,pasvrai?Ilsnesontpasentraindeprendrepositionpourunedenousdeux?

–Nemeparlepassurceton!–Sinonquoi?Tuvasmefrapper?Tuvasmedemanderdemecasser?Vas-y,dis-le-moi,

jet’assure,ceseraunimmensecadeauquetumeferas.Commeçajen’auraiplusaucunscrupuleàtousvouseffacerdemavie!J’entends le hoquet de ma mère sans la voir. Dès que mes yeux se posent sur elle, je leregrette.Elleestentraindemejuger.Cequecelapeutêtredouloureux…

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–Jenetereconnaisplus,Laure,annonce-t-elled’unevoixpenaude.Tun’esplusdouce,nigentille. Tu décharges ta haine sur nous comme si nous étions la cause de tous tes maux.N’est-ce pas toi qui as orchestré toute cettemascarade ? Toi qui t’es associée à cet hommeplusquedouteux?Etcetatouage…commentoses-tufaireunechosepareillealorsquetusaisquejesuiscontre?Veux-tunousfairepayerquelquechose?

–Lefaitquetuasétouffélavraiemoi,peut-être…–Jet’aiélevée,nourrieetprotégée,continue-t-elle.Pourquoit’acharnes-tusurnous?–Parce quequand je t’expliqueun fait, dis-je en réagissant auquart de tour, que je te

prouveunetrahison,tunefaisrien.Oùestlajustice?Oùesttonsensmoral,là-dedans?Celafaitdesannéesquetumefaischieravecça,àpardonnerunhommequineteméritepas.Toutce que tu as fait, c’est de nous apprendre à être faibles, à être souriantes en toutescirconstances.Maistusaisquoi?J’enairas-le-boldetoietdetespréceptes!Je suis lâchée. Elle ne m’arrêtera plus. Je ne veux plus être polluée par des gens quin’évoluerontjamais,quineseremettrontjamaisencauseetn’accepterontjamaislesgenstelsqu’ilssont.Qu’ilsrestententreeux.QueLéaresteaveceux.Moi,aumoins,jeserailibre!

–Jecroisque tun’as jamais suqui j’étais,que tun’as jamaisvoulu le savoir,que tuastoutfaitpourl’ignorer,jereprendspluscalmement.Toutcommejen’aijamaisaimécellequej’étaisavectoi.Jeteprouvequ’unedetesfillesatrahisasœurde lapiredesfaçons,quelafamillen’apaslamoindreimportancepourelle,ettuchoisisdeladéfendre?

–Cequ’afaitLéaesttrèsmal.Maistul’ashumiliée.Tunousastoushumiliésenfaisantcela.Jesuisdépitéeparsaréponse.

– J’en étais sûre, soupiré-je en baissant les yeux. Tu ne changeras jamais. Tu necomprendrasjamais.Tunesaurasjamaisquijesuis.Les larmesmemontent aux yeux. Pendant un instant, je les laisse apparaître. Puis j’inspireprofondémentpourleseffacer.Ilsnelesaurontpas.Horsdequestion!

–Maistusaisquoi?C’estfinimaintenant.Gardez-la,votreLéa!Gardezvosprincipesetvosgrandsdiscoursmoralisateurs.Jeneveuxpluslesentendre!J’abandonne.Ilsnecomprendront jamais. Ilssonttropempoisonnéspar leursprincipes,tropinfectés par les mauvaises herbes. J’aurai beau essayer de nettoyer, elles repousseronttoujours.

–C’estfini.–Laure?

L’expressionhorrifiéedemamèregagnedel’ampleur.Comprend-elleenfin?–Jeneveuxplusdevotrevenin,jecontinueenl’interrompant.Onnefaitpascelaàses

enfants!J’affronteleursregardsunesecondeenespérantqu’ilsserendentcomptequ’ilssontentraindemeperdre.CeluideLéamesurprend, ilest leplusdésemparédeceuxquime font face.

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Maisjen’enairienàfaire.–Jeneveuxplusvousvoir.Jamais!

Jenevaispascherchermaveste,nimapochette.Jeneréfléchisplus.Toutcequejesais,c’estqu’ilfautquejeparte,loind’eux,deleursmauvaischoix,deleurtoxicité.Jequittecettesalleen courant, sans un regard en arrière. Et pour la deuxième fois, jem’arracheunepartie demoi,unepartierévolue.Cettefois,lesoulagementesttotal.Cettefois,jen’aiplusdefamille.J’avais justeoubliéundétail :noussommesenfévrieretavecmapetiterobesansmanches,sans aucun moyen de locomotion, je déchante vite. Comment je vais pouvoir rentrer chezmoi?Pendantuneseconde,j’envisagedefairedemi-tourpourrécupérermesaffaires.Maisjen’enaipaslaforce.Àlaplace,jefaisquelquespasdanslarue,geléejusqu’àlapointedesos.Jen’ai faitquequelquesmètresavantque laportede la sallene s’ouvredansmondos.S’ils’agitdemamère,jecroisquejevaisfaireunmalheur…Cen’estpasmamère.Enmeretournant,jevoisAdèlequiavanceversmoiavecmavesteetmonsacdanslesbras.Unefoisàmahauteur,ellemelestend,sanscesserdemefixer.

–Çava?Ellen’apasl’airdevenirenennemie.

–Merci.J’enfile le vêtement dès qu’elle me le passe mais le froid s’insinue encore en moi. Je neparvienspasàmeréchauffer.

–Jeteramène?Ouaouh,celle-là,jenel’aipasvuvenir!

–Tuessérieuse?–Biensûr,répond-ellecommeuneévidence.–EtMaeva?

Ellegrimace,malàl’aise.–Ellerentreraparsespropresmoyens.

Nousmarchonsensilence jusqu’auparking,oùellenousouvresavoiture.Avantque l’ons’yengouffre,ellemejetteuncoupd’œilpresquecoupable.

–Jenesavaispas…Elleréfléchitàlasuitepuisfroncelessourcils.

–Tuauraisdûmeledire,Laure!–Quejeprévoyaisunplanpourmevenger?–Quetasœurétaitune…commence-t-elleavantdesecouerlatête.Jen’aimêmepasde

motspourladécrire.Etjepeuxt’assurerquej’ailesnerfsautantquetoi.Jehausselesépaules.

–C’estfini,maintenant…déclaré-jepourtouteréponse.

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–Tutesensmieux?Est-cequejemesensmieux?Misàpartl’absenced’Alexandre…

–Oui,beaucoupmieux.C’étaitcequejevoulais.–MêmelaruptureavecAlex?

Je la regarde interrogative.S’intéresse-t-ellevraimentàmarelationavecAlex?Ladernièrefoisqu’onaabordé le sujetnem’apas laisséun trèsbon souvenir.Fidèleàelle-même,ellem’avaitfaitlamorale.Jedécidederesterhonnête.

–Jenepouvaispasresteravec.Ilm’auraitfaitlemêmemalqueMatt.Adèleacquiesced’unsignedetête.Derrièresonexpression,jediscernequ’ellen’estpastoutàfaitd’accordaveccequejeviensdedire.Étrange,quandonsaitquec’estellequim’amiseengardedeuxsemainesplustôt.N’a-t-ellepascequ’ellevoulait?Nousentronsdanslevéhicule,qu’ellefaitdémarrerpuisroulerpourrentrercheznous.Jeluidonnel’adressedeSarahsansrelancerlaconversation.C’estellequilefait.

–Tuauraisdûnousdirequetucomplotaisaveclui!–Pourquetum’empêchesderiposter?

Ellesoupire.–Onauraitétélespremièresàtesoutenir.–Jen’ensuispassûre.PasavecMaevaquienpinçaitpourlui.–Laure…– Tu aurais accepté que je paye une femme pour piégerMatt ? rétorqué-je contrariée.

Quejelefilmeetenvoielesimagesàtoussescontacts?OuquejelaisseAlexandresetapermasœurpourl’humilierenpublic?

–Doncc’étaittoiaussi,pourMatt…–Biensûr.Etcrois-moi,iln’aeuquecequ’ilméritait.–Onauraitputrouverunesolution,insiste-t-elledebonnefoi.–Non.C’étaitcelle-làquejevoulais.Jevoulaisdétruireleurvie.Ettunem’auraisjamais

laisséallerjusque-là.–Ok.Maisj’auraispuessayerdetecomprendre,maintenantc’esttroptard.–J’aidesérieuxdoutes,jeconclusensoupirantplusfort.

Lerestedelaroutesefaitensilence.Jenem’attendaispasqu’ellemeparlesicalmement,pasaprèsnotreséparationdésastreuse,pasaprèssesmotssicinglants,danscettechambred’hôtel.Pourtantellemeconduitàtraverslavillejusqu’enbasdechezmoisansrienattendreenretour.Jeconnaiscettefilledepuissilongtempsquelorsqu’elleseremetàparler,unefoissavoituregarée, celanem’étonnepas. Jen’aipas vraiment la forcedediscuter alors autant la laissersortir tout ce qu’elle a sur le cœur. La dernière fois, je n’ai pas été tendre. Elle éteint le

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moteuretsetourneversmoialorsquejen’aipasbougé.Jeresteimmobile,lecorpsfaceaupare-brise.Jel’entendsinspirercommepourprendresoncourage.

– Laure, je suis consciente de ne pas avoir fait certaines choses correctement. Je suisdésoléedet’avoirmenti.Jepensaissincèrementquec’étaitpourtonbien.Maistoi,tunel’aspasfaitpourlesbonnesraisons.J’étaistameilleureamie,j’auraispufairequelquechosepourtoi. J’avais bien vuqu’il se passait un truc avecAlex. Il s’est toujours passéun truc,malgrétoutcequetunousdisais.Ça,jelesais…

–Si tum’enavaisparlé,onn’enseraitpas làaujourd’hui.Maevaneseraitpasdevenuecette fille insupportable àme rabâcher sans cesse lesmêmes rancœurs. Et toi etmoi, nousserionstoujoursamies.J’auraisétélàpourtoi.Surtoutmaintenant,entevoyantsimal.Jeveuxbiencroirequematêtenesoitpascelledesbonsjours.Mapoitrineetmagorgesontcompresséesàcausedeslarmesquejeretiensdepuisledépartd’Alex.

–Jenesaispaspourquoitul’asrepoussé,ajoute-t-elled’unevoixempathique.Jesaisquec’estunpeuhypocritealorsquejet’aiditl’inverseilyaquinzejours,maisj’espèrequetuneleregretteraspas.Fairetoutçaavecluipourleperdremaintenant…J’espèreencoreunefoisquetusaiscequetufais.C’esttoutcequejevoulaisquetusaches.Elles’arrêtepourreprendresonsouffle.

–Jenesuispasencoredisposéeàmecomportercommeavantavectoi.Etjenecroispasquetoinonplus.Maisquisait?Peut-êtrequ’unjour,onarriveraàsurmonternosreproches…Jecomprendsqueladiscussionserefermesurcesmots.J’ouvrelaporte,prêteàsortir,quandjelaregardeenfin.J’ail’impressiond’avoirdenouveauaffaireàmameilleureamie,cellequinejugepasetdonnesansrienattendreenretour.

–Merci,jelâcheenfin.Puisjelaquittesurunsouriretimideetnosregrets,avantquelavoitureredémarre,quittesaplaceets’enailledanslarue.Jerestesurletrottoir,laregardantdisparaîtreetressassantsesdernières paroles. Adèle vient d’ouvrir une porte. Comme elle l’a dit, peut-être que nousparviendronsàsurmontercela.J’attendsuneminutepourprendre consciencede tout ce qu’il vient d’arriver ce soir : de lachute de Léa au départ d’Alex, des remontrances de mes parents à la douceur d’Adèle. Etétrangement,lesentimentd’apaisementestdésormaisprésent,peut-êtreunpeuenfouisouslechagrin,maisilcommencetoutdemêmeàtrouversaplace.Jesuisseule.J’aiprisdesdécisions.J’aifaitdeschoix.Dontleplusdurquej’aiejamaiseuàmettreenœuvre:mentiràl’hommequej’aime.Jen’aiplusqu’àl’assumer.Detoutefaçon,jenepeuxrienfaired’autre.Ilesttroptard.

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Alexandre

Trouverl’adressedececonnardestunjeud’enfant.Vincenthésitequelquessecondespourlaformepuisplongedanslesfichiersdelapoliceetlancelarecherche.Encinqminutes,j’ailegusetlarueoùilcrèche:unebanlieueprèsdeParisquicoûteuneblindeaumètrecarré.J’espèrequ’iln’apaseuenviedesebarrerdelavillepourallercuversonmalheurailleurs,oudanslesbrasd’unegonzesse,sinonmaragerisqued’exploserunpeuplus.Vincent a tenu à m’accompagner. L’adrénaline, c’est son truc aussi. Il est peut-être plussérieux, moins impulsif et fait son job par passion, mais ses états de service sont aussibordéliquesquelesmiens.

–Tucomptesluicasserlagueuledirectoutuveuxattendrequ’ilteproposeunthé?semarre-t-ilengarantlavoiturelelongdutrottoir.

–Tumefaischier.Situnevoulaispasvoirça,ilnefallaitpasvenir.–Jesuislàpourt’empêcherd’allertroploin.Maisuncoupdepoingdanslagueuleçane

peutpasfairedemal.Je ricane. Je lui ai fait un rapide topo de la situation pour qu’il accepte de me rendre ceservice.Etils’enestfrottélesmainsquandj’aieufini.Ilestbarré,cemec,pasétonnantqu’ilsoitleseulflicquejelaisseapprocherdansmavie.Côtébaston,nousavonslemêmenombred’heuresdevol.Nous sortons de la voiture en nous sentant conquérants, comme si rien ne pouvait nousarrêter.Etpourtant, j’ai bien conscienceque cen’estpas le cas.Revoir cemecalorsque jesaisqu’ilabaisélafemmequej’aimerisquedem’écorcherunpeuplus.Maisjedoislefaire.Celame ronge trop la tête pour laisser passer. Et je n’ai pas la patience d’attendre quemarages’atténuepourlaissercouler.

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Jem’allumeune clope en remontant son allée.Cemec aunebaraquedebourge, un jardinbienpropreetunevoituredepèredefamille:leportraitidéaldutypeloindes’éclaterdanslavie.ÀmoinsqueLéalacastratricenesoitpasséeparlà?Cedécorrenforcemonenviedeluiencollerune.CommentLaurea-t-ellepucoucheravecunemmerdeurpareil?Vincesonnealorsquejefinisdefumer.L’attentesefaitlongue.Ilfaitnuitetilcaille.Danscegenredesecteur,c’estloind’êtrel’éclate.J’auraispeut-êtredûboireuncoupavantdevenir,pourmecalmer.Parceque le tirn’apasfonctionné.Maisc’esttroptard:jesuisdéjàtropbourréettotalementconsuméparunehainedévastatricepourm’enallersansbroncher.Cen’estpasmamanièredefonctionner.Cemecméritecequ’ilvaluitombersurlagueule.IlatouchéàLaure,putain!Etellel’alaisséfaire…J’ai le temps de me faire une autre clope et d’attendre encore deux minutes avant que lalumières’allumeàl’intérieur.Je quitte le mur sur lequel je suis adossé, pousse Vince sur le côté et me plante devantl’entrée.Mespoingsdéjàserrés,leregardfixésurcetteporteclose:j’ailesnerfsàvif.Ilaàpeineouvertlebattantquejeluisautedessus.Mesmainsattrapentfermementsoncol,pour l’envoyer valser sur sa pelouse gelée. Son dos amortit sa chute, dans un grondementsourd.Lechocestviolentmaisilserelève.

–Maisc’estquoitonproblème?Pliéendeux,ilmefixependantquejem’avancedanssadirection,leregardmenaçant.Jenelequittepasdesyeux,commes’ilétaitmaproie.

–Tunevenaispaspourluiparler,Alex?Vincesemarrederrièremoitandisquejefaislesdernierspasquimeséparentdecetenfoirépourlechoperdenouveau.N’écoutantplusquemahaine,j’abatsmonpoingsursagueuledepetitgossederiches.Satêtepartenarrièreetsoncorpsavecelle.

–C’estpouravoircouchéavecLaure,connard!Mesparolessemblentluidonnerunenouvellevigueur.Enunclind’œil,ilseredresseetm’encolleune.Ladouleurmevrillelecrâneàmesurequ’elleirradiemamâchoire.

–Etça,pourLéa!grogne-t-il.–Tacopineétaitunesalopedepremière.

Lesyeuxfousderage,Stéphanesejettesurmoi.Jelebloqueetassuremaprisetandisqu’iltentedesurpassermapuissance.Fléchissantlesjambes,jetournemoncorpsetjel’envoiedenouveauausolavantdeluiflanqueruncoupdansleventrepourlecalmer.Ilgrimace,setorddedouleuretfinitparsereleverenserrantlespoings.Sonexpressionestmauvaise.Ils’avancepourvenirchercherlecombat.Jepréparemongauchepourriposter.Lecorpsprêtàsemouvoirpourparertouteriposte.Unpassurlecôté,unpasenavant,etmonpoingvients’enfoncerdanssonthorax. Il secourbe,expulsede l’air, tentedemerepousser,mais jenesuisqu’unaveugledictéparsesautressensetquelquessentimentsmerdiques.Je

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préparemongenou.Majambefrappedanssescôtes,monpoingcontresonarcade.Iltitube,fait deux pas en arrière en jurant. Je suis pourtant loin d’en avoir fini. Je m’approche denouveau. Il se recule en me défiant toujours. Je suis prêt à le défoncer une nouvelle fois,lorsquedeuxmainss’interposent.Appuyéessurmontorse,ellesmeretiennentloindelui.

–Laisse-moi,putain!éructé-jeàmonpote.–T’espartipourledémolir!Jenepeuxpastelaisserfaire,Alex!Calme-toi!

Réfléchir ?Me calmer ? Impossible !Mon cœur bat bien trop vite etmon sang est bien tropbouillantpourça.Derrière Vince qui tente désespérément de me retenir, Stéphane s’est relevé. Nous nousaffrontons.Ilestunpeupluspetitquemoi,maisnousavonstouslesdeuxlamêmecarrure.Jenesaispascequ’ilfaitdanslavie,maisilsaitrendrelescoups.Leseulqu’ilm’aportém’atoutdemêmesonné.Jen’aimepassonsourire.Ilcherchelesemmerdes.Repoussantleflicàcôtédemoi,jefaisunpas enavant. Le connardaanticipé, ilmebalanceunpoingque jeparviensà stopper, puisl’autreaussivite.Mavisionsetroublesousl’impact:ilaencoreréussiàmetoucher.Maisjen’ensuispasàmapremièrebaston.Mebattreestdevenuinstinctifaufildesannées.Mes jambes agissent donc toutes seules : un coup de genou vient lui faire une béquille.Stéphane gémit et se plie sur sonmembre atteint. Il est affaibli par une douleur vive quelaissent transparaître ses traits déformés. Avecmon autre jambe, je balancemon pied dansson épaule pour le faire tomber sur le sol glacé. S’il n’y avait pas Vince près de nous, jecontinueraisdelerétamer.

–T’escinglé?crache-t-ilalorsqu’iltentedeseremettredebout.Unedemesmainsserefermeautourdesoncou.

–Alex,lâche-le.Çasuffitmaintenant!Maisjenefaisplusattentionàmoncollègue.Jesuisfocalisésurl’hommesousmoi.

–J’espèrequet’enasbienprofité,espèced’enfoiré!Sesmainscherchentàdesserrermaprise.

–Lâche-moi ! riposte-t-ilquand ilcomprendqu’iln’yparviendrapas.Jen’aipascouchéavecelle.Quoi?

–Quoi?Cettefois,jelerelâcheetm’écarte.Enréponse,j’ailedroitàunsouriredeconnard.Ilestfierdelui.

– Jedevrais te fairemarinerdans ton jusdemerdeux, continue-t-il en se relevantavecpeine.Justepourquetudeviennesfou…Ilsoupireetsemasselamâchoire.

–Mais jen’aipasenviedeme fairebuterpouruneconneriepareille.Et t’esbienpartipour.

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Stéphaneessuielabavemêléeàsonsangaucoindesabouche.Jeluiaiexplosélalèvre.–Jen’aipascouchéavecLaure,déclare-t-ilenmefusillantduregard.Jenesaispasqui

t’aracontéuntrucpareilmaisc’estdesconneries.–Tudisçapourtecouvrir.–Non.Mêmesicen’estpasl’enviequim’enmanque,crois-moi!

Jerefaisunpasverslui,menaçant.Ilsemetàrireenmevoyantfaire.Est-cequ’ilaungrain?–Teigneux,lepetittoutou,semarre-t-illesourcillevé.–TagueuleDucon ! intervientVincent enme retenant, sesmainsdenouveau surmon

torse.Allezviens.T’aseucequetuvoulais!Cequejevoulais?Non,loindelà.Ellem’amenti.Pourquoi?

–T’asdelachancequejenefassepasappelauxflics.–Lesflics,c’estnous,connard!répondVincemenaçant.

Jenevoisplusleursexpressions.Mesoreillessemblentbouchéesetmecomprimentlecrâne.Jenesuisplusdeboutdanscefroidglacial,jereviensdanslasalledesfêtes,Laurefaceàmoi,merendantmonregarddetueur,assumantsesparoles,mereniant.Ellem’amenti.Monpotemepousseverslavoiture.Jesuisdanslesvapes.CequevientdemedireStéphanefinit de m’achever. Je ne fais plus attention au monde extérieur tandis que Vince me faitreculer,puisavancerdansl’alléeverssaplacedeparking.

–Alex?appelleVincentcommepours’assurerquejevaisbien.Ellem’amenti.Sans faire gaffe à lui ni àmespas quimeguidenthorsdemavolonté, jeme laisse tomberdanslavoitureàsasuiteetfermelesyeux.Jesuisravagéparunedouleurtoutenouvelle,uneplus inconnue encore que la précédente. Je crois que je suis encore plus perdu que je nel’étais.Jen’arrivepasàcomprendre.

–Oùest-cequetuveuxaller,maintenant?demandeVinceenallumantlemoteur.Jetournelatêteverslavitre.

–N’importeoù,lancé-jemeurtri.Dumomentquejepeuxboire.Ouais,boire:cesoirettouslesautresaprèsça.Peut-êtrequ’àforcejecomprendrai…

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Alexandre

J’aurais dû être soulagé d’apprendre qu’elle n’a pas couché avec ce type. Pourtant, je suistoujours aussi perdu : je ne sais pas comment réagir. Aimer quelqu’un était totalementnouveau pour moi et je crois que je commençais à prendre mon pied à le faire, mais lesentimentquisubmergemaintenantà laplacemerenddingue. Ilmefaitpéter lesplombs!C’estàs’enarracherlescheveux,àsetireruneballedanslepied.Ladouleurestaccompagnéedequestionsquinecessentderevenirdansmoncerveautorturé.Alors jemeplongeà fonddansmonboulotpour lapremière fois. J’enchaîne les séancesdesport,lacoursejusqu’àm’écroulerdefatigue,letiroùjem’exploselatêteàcoupsdecanon,etlesnuitsoùjeredevienslemecquijoue,manipule,frimeetchauffe.Jeredeviensceluiquej’étais.Jeretrouve lesélémentsdemavieavantLaurepourmevider la têteetoublier : lessoirées, l’alcool, lesfillesquimecollentenattendantqueje leuraccordedel’attention.Mesjournées sont rythmées pour que je reste plongé dans un monde qui me connaît, que jeconnais:superficiel,sansattachesetsanscomplications.Depuisdeuxsemaines, jem’efforcedenepluspenseràcequis’estpassécesoir-là.Mais j’aibeau faire, le même refrain tourne en boucle dansma tête. J’ai beau faire tous les effortsnécessairespourm’occuperl’esprit,c’estuncombatperdud’avance.Chaque foisquemondoigtappuiesur ladétente, jepenseàsonsourire.Chaque foisque jem’enfileunverre,c’estsoncorpscontrelemienquejevois.Chaquefoisquej’arrêteunpetitdealer,sesyeuxdéterminéss’imposentàmoi.Laurene veutplusdemoi.Aujourd’hui que je connais la vérité, lemessage est clair. Elle atoutfaitpourm’éloigner,toutfaitpournousdétruire.Etellearéussi.

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Je ne sais pas comment faire pour me débarrasser de cette sensation d’étouffement. Toutl’alcooldumondeneparvientpasàm’arracherl’idéeque,pourladeuxièmefoisdemavie,onneveutplusdemoi.Jesuisdévasté.Laure a ce pouvoir surmoi. Elle l’a toujours eu. Je n’ai fait que l’attendre pendant tout cetemps.Etl’avoireuepourunsibrefinstantestunetorture.Ellem’aquittésansunregardenarrière,alorsqu’àsescôtésj’étaisdevenuunautrehomme,prêtàl’aimeretàmebattrepourelle.Lorsquej’aienfincompriscequ’elleavoulufaireenprétendantavoircouchéavecStéphane,aprèsunenouvellebouteillesiffléedansuneboîtemiteuseentourédemespotes,lablessurem’aentailléunenouvellefois:plussournoiseetinsidieusequejamais.Depuis,ellemerongepeu à peu de l’intérieur pourme faire disjoncter. Je n’ai aucunmoyen deme battre contreelle.Jesuisdépendantd’unedéessequineveutplusdemoi.C’est de pire en pire. On pourrait croire qu’après deux semaines le mal commence às’atténuer,maisplus les jourspassent,plus lemanqued’elleme fait trembler.Les souvenirsque j’ai d’elle, avant cette histoire ; puis les autres, charnels, sensuels et aphrodisiaques,envahissentmonespritdèsquejemelaissecinqminutesderépit.Ce qui est le cas cettenuit : j’attends, sans rien foutredepuis trop longtemps. J’allumeuneclope pour la dixième fois de la soirée. Adossé à la vitrine des jumeaux, j’attends qu’on sebarre.Jeneveuxpasresterinactif.Jedoism’occuperl’esprit,c’estvital.Et lesdeuxconnardsquime serventdemeilleursamis l’ontbien capté.Cela faitunedemi-heure qu’ils tournent en rond à l’intérieur pour me faire poireauter comme un con. Aprèsavoirenchaînédeuxgardes,bosséplusd’une journéeentièresans repos,etmaintenantavecces images qui me creusent le bide, je ne suis vraiment pas d’humeur à supporter leursconneries.Quandenfinilsdaignentmerejoindre,jejettemonmégotàpeineentamé.

–Alorsmonpetitpoulet,ons’emmerde?lanceLudo,dèsqu’ilsontferméleurporte.Lesfranginssemarrentenseregardant.Quelscons!

–T’as une gueulededéterré, affirmeMickey en s’approchantdemoi. Tu es sûr que tuveuxsortircesoir?T’aspasl’airenforme…

–Çafaitdesjoursqueçadure,complètesonfrère.Ludoareprissonsérieux.Derrièresonjumeau,ilmescrutecarrément.

–Vousavezfinidem’emmerder?répliqué-jeenhaussantleton.Jel’aidit,jenesuispasd’humeuràplaisanter.

–Onestlàpourça,mec,ritMickeyenpassantdevantmoi.Tut’ennuieraissansnous!Jegrogne.

–Alorsoùest-cequ’onva?demandeenfinLudo.Jehausselesépaules.Peuimporteoùilsm’emmènent,dumomentquec’estbruyant,bourrédemondeetopenbar.

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Aprèsconcertation,ilsm’entraînentdansuneboîtedenuitquenousavonspasmalfréquentéeparlepassé.Unclubpastropsélectif,oùlesfillessontnombreusesetoùlebarmansouriantdistribuesacamesansfaired’histoire.Dèsque lesportessont franchies,c’est lepiedtotal : lamusiqueest forteàm’enfairepéterlestympans,lebaraccessible,lesfillessexyetencourageantes.Jeretrouvelessensationsquejesuisvenuchercher:moncerveauetmesoreillesengourdis,moncorpsbat lamesure.J’aienviedemedéfoulersurlapiste.Jen’aiqu’unseulobjectif:mesatisfaire,moietseulementmoi.Uneinconnuedanslesbrasavecdesseinsfrottantmontorse,voilàleprogrammedemasoirée.AvecLaure,cettepartiedemavien’existaitplus.Durant ces deux dernières semaines, je n’ai fait qu’attiser des feux sans les éteindre. J’aiallumé un nombre considérable de nanas sans jamais aller plus loin. J’ai cherché leurfrustrationpourmedélecterdemonpouvoir.Maiscesoir j’aibesoindeplus.Ladouleurestencoreplusforte.Jedoisoublier.Ilmesemblequecelafaituneéternitéquejen’aipasbaiséuneautrefille.Uneéternitéquejenepensequ’àunebruneravageuse.Cettenuit,jedécidedelaissertoutçaderrièremoi,mêmesimespenséesn’enfontqu’àleurtête.Nouscommandonsunebouteilledevodkaetunede tequilaavantderepérerunebanquetteprometteuse:surseptplaces,troissontoccupéesparungroupedefillesquinenousquittentpasdesyeuxalorsquenousapprochons.

–Onpeuts’asseoir?Mickey sait être charmeur. Il sait aussi que les fossettes aux coins de ses joues font desravages.Pourmapart,c’estplutôtlecôtésalegosseetmatêted’angedissimulantledémon.Cesoir,joueravecdeparfaitesinconnuesquineréclamentqu’uneseulechoseredevientmonpasse-tempspréféré.Pendantuninstant,jenesuispluscetypepathétiquequin’aqu’uneseuleobsessionentête:cellequiaécrasécequicommençaitàseconstruire.Nousnesommes installésquedepuisdeuxminutes lorsque les trois filles se rapprochentdenouspourfaireconnaissance.Lesbouteillesd’alcoolsontposéessurlatable.Ludovicyajoutenosverrestandisquelesgonzessess’installentànoscôtés.En quelques gorgées, j’ai déjà bien entamé le litre, et je me laisse bercer par une douceeuphorie. Jem’adosse plus largement sur le canapé : jambes écartées, tête reposant sur ledossier,jeregardeleplafondoùdanselalumièredesspots.Lamusiquemecasselatêtemaisme fait oublier. Je ne pense à rien. J’en suis bientôt au point où je neme rappellerai pluscommentj’aiatterriici,nicequejetented’effacerenm’enivrant.Seule la main douce qui se pose sur ma cuisse me rattache à l’instant présent. Je ne larepousse pas. Je vais même jusqu’à fermer les yeux en sentant la fille devenir plusentreprenante.Jerelèvelatêteet laregarde.Elleestplutôt jolie.Blonde, lescheveuxlongsdétachés,unepoitrinegénéreuse,miseenavantparundécolletéassumé.Jeneconnaismême

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pas son prénom alors qu’elle me sourit comme si j’étais son bonbon favori et se passe lalanguesurlalèvreinférieure.

–Tufaisquoi,danslavie?Jememarre.Sérieux,ellecroitfairequoi,là?

– J’ai pas envie de causer, bébé. Mais si t’as envie de passer un bon moment, je teproposedecontinuercetteconversationdansuncoinplustranquille.Jemesuisredressépourparleràsonoreille.D’ungestedumenton,jeluidésignelestoilettesdanslefondduclub.Lafillecomprendtoutdesuite.

–Tuveuxpasdanserunpeud’abord?Elleselèvesansattendrequejeluiréponde.Ellemejetteunregardlourddesous-entendusets’éloigneen roulantdeshanchesde façonsivulgairequ’ellem’arracheunegrimace.Sonculesttroprond,seshanchestroplarges,sesseinstropgros.RienàvoiraveclagrâceféminineetnaturelledeLaure.Jesecouelatêteetattrapedeuxshotsquejem’enfileaussitôt.Ilfautquejemenoie.Ilfautquejesurpassecesentiment.C’estimpossibledevivreavecuntrucpareil.Quand jeme relève,moncorps tangue.C’estbien l’unedes rares foisoù l’alcoolme faitdel’effet si vite. Peut-être que j’aurais dû manger un truc avant de venir. La fatigue et lesémotionsfortesmefoutentenvrac.

–Alex…çava?s’inquièteLudoenmevoyanttituber.–Ouais.

Jene saismêmepas simes réponses sont claires.Mickey fronce les sourcils. Ludon’estpasloind’avoirlamêmeexpression.Leursregardsm’emmerdent.

–Tuvasoù?–J’aiuntrucàfaire.Ceneserapaslong.

Ilssaisissenttoutdesuitecequejeveuxdire.Ilsn’ontpasmanquélepetitjeuauqueljeviensdem’adonner.Ilspensaientquoi?Qu’aprèstoutcetempsj’allaisresterungentilpetittoutoulaqueuebiensagementrangéedanslepantalon?Aprèsdeuxsemaines,l’attenteaétéassezlongue.Etilslesavent.Ilsétaientprésentsàtoutesmessoiréesdedébauche.

–Tuesbienconscientquesitufaisça,tunerécupérerasjamaisLaure?demandeMickeyunpeuaccusateur.

–Tuasdécidéd’êtrechiant,cesoir?Ilfauttoujoursqu’illaramènequandcen’estpaslemoment.Jen’aipasbesoind’unepseudo-conscience.J’avaleencoreunverre,culsec,àlasantédelaconneriequejesuissurlepointdefaire;puisjeparsrejoindrelablondequisedéhanchedéjàsurlapiste.

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L’alcooletlescoupssansprisedetêtesontcequej’aitoujoursconnu.Reveniràmonpointdedépartme faitunbien fou :plusde trahison,plusdemensonges,plusde coupsde couteaudansledos.Je chasse les dernières images qu’ilme reste de Laure nue entremes draps et jeme glissederrière celle qui n’attend que moi. Mon corps ondule, collé au sien. Ses mains passentderrièrematête,pourse laisserallersurmontorse.Jefermelesyeux,bloquemesnarines,pournepassentirceparfuminconnu.Lorsqu’elleseretourne,jen’éviteniseslèvres,nisalanguequivientcontrelamienne,nisonbassinqu’ellepressecontrelemienpourm’exciter.Ellesecolleàmoi,tandisquemesmainsvontchopersesfessespourlamaintenircommeelleledésire.

–Etsionpassaitàlasuite,finalement?gémit-ellecontremabouche.Dansanttoujours,noscorpssemoulentunpeuplusl’undansl’autre.

–Ok,jefinisparlâcherd’unevoixsuave.Avec un peu de chance, tout l’alcool ingurgité me fera oublier cette petite voix qui mechuchoteque,sijevaisplusloin,jeperdstoutespoir.

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Laure

–Tuesvraimentsûredecequetufais?Jeposemesvalisessurletapisetmontremonbilletàl’hôtessepourl’enregistrement.Pour la deuxième fois depuis notre arrivée à l’aéroport, Sarahme semble stressée.Ce n’estpourtant pas son genre, d’habitude. Avec ces mois de colocation, j’ai pu voir qu’elle étaitplutôtdugenredéconneuse.Elleneseprendpasausérieuxetassumesaviedécaléeet sesexcès.Mais aujourd’hui, elleme paraît inquiète. Elle ne tient pas en place etme lance desregardsscrutateurspoursondersijesaiscequejefais.Il faut dire que j’ai prismadécision rapidement.Mais elleme paraissait nécessaire. Je suissoulagéedelaissermonancienneviederrièremoi,mêmesijesuisencoredansleflouquantàmonavenir.J’ai juste envie de bouger. Je n’en peux plus de cette ville et des souvenirs bien tropdouloureux qui y sont rattachés. J’ai besoin d’un nouvel élan, de prendre une bouffée d’airsalvatrice.Ici,j’étouffe.Sarahaétél’unedespremièresàm’encouragertoutencomprenantmeschoix,mesdoutesetmes peurs. Elle n’a pas hésité à se renseigner avec moi sur la formation que je souhaitaissuivre.Qu’ellemeposecettequestionaujourd’huivaunpeuàl’encontredel’euphoriequej’avaisentête.Parfois,cettefilleestd’unecontradictiondéconcertante.

–Cen’estpastoiquim’asconseillédeprendreunpeudetempspourmoi?–Oui,jesais.Etjesuisàcentpourcentderrièretoi.Tuenasbesoin.Crois-moi,cen’est

pasmoiquivaistejuger!Mais…hésite-t-elleenréfléchissant.Onneleconnaîtpas,cemec.

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C’est peut-être un pervers qui attend ses nouveaux petits stagiaires avec des penséesvicelardes…J’éclatederire.Maisd’oùsort-elleça?

–Cesonttesclientsquitedonnentdesidéespareilles?–Jeparleenconnaissancedecause,répond-ellefaussementsérieuse.Tun’aspasidéedu

nombredeperverssurquionpeuttomber!Etilssaventparfoistrèsbiencacherleurjeu!Ellesemetàrireavecmoietsedétendenfin.

– C’est moi qui devrais stresser, pas toi, dis-je en regardant ma valise disparaître. Etpourtantregarde,jevaisbien!Jesuissereine.Mickeyaplutôtétérassurant,non?Etpuislequartieral’airassezfou!Je lui montre mon enthousiasme. Je suis vraiment heureuse de partir et de pouvoir meretrouverunpeuseulepourfairelepoint.Maisaufonddemoi, j’aitoujoursunepetitebêtequirampeetmecriequejedevraisresterlàpourarrangerleschosesavecAlexandre.Jesuistétaniséepar ce souhait secret.Moiqui ai tout faitpour le faire fuir, voilàque jenedésireplusqu’unechose:qu’ilrevienneetsebattepournous.Cequeçapeutêtreagaçantd’avoirunegirouetteàlaplaceducœur!Je crois que ce break est nécessaire. Difficile… vraiment très difficile, mais qu’il pourram’éclairersurcellequejesuisdevenueetsurmesattentes.

–Tusaisquejevoistrèsbienquetoutçan’estqu’unefaçade,Laure?Monsouriredisparaît.Sarahnemeconnaissaitpasavanttoutecettehistoire.Ellenesaitpasquellefillesageetsansaccrocj’aipuêtreparlepassé.Jenecroispasqu’illuiviendraitentêtequej’ailaissédesgensm’écraser en acceptant la situation, avec le sourire de surcroît.Malgré cela, elle lit enmoiavecprécision.Danscesmoments-là,ellemerappelleAlexandre.Elleacettecapacitéàvoirau-delàdemacarapacepourallerremuerlebazaràl’intérieurdemoi.Jecroisquenotrerencontreetnotreententenesontpasliéesauhasard.Jemesensreconnaissantechaquejourdel’avoirtrouvéeet qu’elle soit restée, pendant que d’autres sortaient de ma vie. Mais j’ai bien conscienceégalementqu’êtreavecellemerenvoietoujoursl’imagedel’hommequej’aime.Surtoutcelledecettefameusenuit,celleoùj’airencontréSarahpourlapremièrefois,dansceclub.L’empreinted’Alexandreestencoreinscritedansmoncorps.Etjenesaispass’ilmeserapossibledel’effacerunjour,nimêmesij’enailamoindreenvie.

–Necroispasquejesuisdupe!Je lève les yeux au ciel. Son petit air satisfaitme donne envie de lui foutre des baffes.Ondiraitunepeste.

–Jecommenceàsavoirqu’onnepeutrientecacher!Elleritencore.J’aimebienceson.Ilétaleunbaumeapaisantsurmescicatrices.

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–Jesaisquej’enaibesoin,commencé-jed’unefaiblevoix.Justepourarrêterdedouterde tout lemonde. Pour l’instant je n’arrive pas à l’oublier. Et jemedis que je n’y arriveraijamais,maisjedoistoutdemêmeessayerd’avancer.Sarah soupire, pas d’exaspération,mais plutôt parce qu’elle comprend ce que je veux dire.Ellesaitqu’àl’intérieurdemoideuxpersonnalitéss’affrontent:cellequin’aplusconfianceetcellequiestéperdumentamoureuse.

– Je te l’aidit : laisse-toidu temps !Deux semainespour savoiroù tuenes, c’est tropcourt, insiste-t-elle bienveillante.Ok, je flippe que tu partes toute seule, vivre chez unmecqu’onneconnaîtpas,mais çanepourraque te fairedubien.Tu seras concentrée surautrechose.Tun’aurasmêmeplusletempsdepenseràmoi.Elle joue la comédie enm’offrant un visage tristounet. Je lui souris tendrement en sachantqu’ellearaison.Chaquefoisqu’ellemeressortcediscours,jesaisquec’estlecas.Sontéléphonesemetàsonnerdanssonsac.Sarahmetunpeudetempsàletrouver,sibienqu’il s’éteint aumoment où elle le chope. Il vibre une seconde après. Sarah pianote, lit lemessagereçupuisfinitpargrimaceravantderangerleportablelàoùilsetrouvait.

–Quelquechosenevapas?Elle faitungestedouteuxde lamainpouréluder laquestion.Jene l’ai jamaisvue faireça,c’estétrange.Ellemerépondtoutdemême.

–Rien.Ludoquiaenvied’unepetitesauterie.S’ilcroitquejesuisàsadisposition…Ellement.Jelesaisparcequ’ellem’aavouéilyaquelquetempsnepaspouvoirrésisteràcetype. Il pourrait lui demander de venir sur-le-champ le retrouver chez lui, nue sous unimperméable,elleleferait.

–Tuvasyallerquandmême…–Oui,répond-elleavecunclind’œil.

Pascroyable!–Tun’asaucunevolonté.–Jesuisunefaiblefemme,rétorque-t-elleensemoquantd’elle-même.–Menteuse!

S’ilyaunechosequ’ellen’estpas,c’estbiença.Jeregardel’immensehorlogeaccrochéeaumur.

–Allez,jedoisyaller.Oui, jedois partir. Pas questionde retarder ledépart oude trouverune excusebidonpourprendrelapoudred’escampette.Ilesttemps:jedoismeconformeràladécisionquej’aipriseseuleetenaccordavecmesenvies.Jemesouviensdecequ’ellem’afaitressentir.Jemesouviensdemonémotionlorsquej’aisuce que je voulais faire, de la sensation qui m’a habitée durant des jours. Et surtout je mesouviensencorede la têtedes jumeaux lorsque je leuraiparlédemonprojet.Aprèsm’être

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d’abord assurée qu’Alex ne soit pas avec eux, j’ai débarqué un soir pour leur expliquer endétailcequejesouhaitaisetleurdemanders’ilspouvaientmeconseiller.Ilsl’ontfait,pendanttrèslongtemps!Ilsétaientravisdepouvoirdéblatérersurleurpassion.Je suis repartiedu salonavec la tête remplied’unequantitéd’informationset l’envied’allerplusloin,dedécouvrirmeslimitesetd’êtrecettefillequiréalisesesrêvesdegamine.Le moins que l’on puisse dire, c’est que les jumeaux ont été le premier moteur de madétermination. Les voir rassurants et persuadés que je m’éclaterais m’a permis de faire cechoix:toutreprendredezéropourapprendreunmétierquejeneconnaispas,dansunpaysétranger,dansunelangueétrangère,encontactavecdesinconnus.Alors même si je pars à reculons à cause de ma vie sentimentale, je suis aussi folled’impatienced’enapprendreplussurcetuniversquimefascinedepuistoujours.À côté demoi, alors que nous avançons vers la zone où nous devrons nous quitter, Sarahreprendunemineboudeuseavantdemesourirequand je lui envoieun léger coupdans lescôtes.

– Ne fais pas cette tête, tu vas me faire culpabiliser ! la réprimandé-je avec le mêmesourire.Cen’estpascommesic’étaitàsixheuresdevol,continué-jeautantpourlarassurerquepourfairedemêmepourmoi.Tupourrasvenirmevoiraussisouventquetuveux.

–Jeviendrai,affirme-t-elleJeveuxabsolumentdécouvrircequartier.Ilal’airtotalementdéjanté!Jememetsàrirelorsqu’elles’emparedemonguidepourfeuilleterlespagespourlamillièmefois,depuisquejeluiaiparlédemonfutur«chez-moi».

–Tuasdequoitrouverl’inspiration,avecdetellesfresques!–C’estprévu,jeluilanceavecbonheur.

Àl’idéedevivreparmidesbâtimentsrecouvertsdepeinturesurbaines,moncœurs’emballe.Je vais adorer cet endroit. Je le sens. Tout comme j’ai l’intuition qu’il pourrait m’aider àguérir.Nousmarchonsencorejusqu’àcepointoùellen’apasledroitd’entreralorsquemoi,si.

–Tum’appellesquandt’arrives,lance-t-elledenouveaustressée.–Ouimaman.–Jesuischiante,c’estça?–Unpeu!avoué-jeenhaussantlesépaules.Maisc’estcraquant.

Elleme sourit,meprendunedernière fois dans ses bras puisme laisse enfin partir vers lazoned’embarquement.Jen’aipasfaitunpasquesapetitemainseposesurmonbraspourmeretenir.

–Laure…murmure-t-elleenmeregardantdanslesyeux.J’espèrequetutrouverascequetucherches.Elleesttouchantedesincérité.

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–J’espèreaussi,soupiré-jelecœurserré.Ellesaitcequejesous-entends.Maiscen’estpasfaciledeledireàvoixhaute.Enpartant,j’ail’impression d’abandonner, alors que ce n’est pas mon caractère ces derniers temps. Maisqu’est-cequejepeuxyfaire?C’estmafautesi j’ensuis là,alorsautantcontinuerd’avancer,non?Avecundernierregardpleindecompassionpourmonamie,jeparviensàquittersaproximitéréconfortante. Je lui serre la main une dernière fois, me retourne, la quitte et passe ladouane.Unefoisdel’autrecôté,jemedisque,cettefois,jemedirigeversmonavenir.Jedésirejustequ’il soit aussi beau que je l’imagine.Quand je reviendrai, peut-êtrem’aura-t-il apporté desréponsesetlecouragequimemanquecruellementaujourd’hui.Il nous faut un peu plus d’une heure pour atterrir à l’aéroport de Londres Luton, quaranteminutespourdescendrejusqu’aumétrodeLondresaprèsavoirrécupérémesaffaires,puisdixpourarriveràmastation:CamdenTown.Autantdireunvraipériple!Heureusementquejen’aipasprévubeaucoupdevêtements–jen’aiqu’ungrandsacdevoyageàroulettes–parcequejenesaispascommentj’auraisfaitsinon.Ethorsdequestiondeprendreuntaxi,c’étaitdix fois plus cher et mes maigres économies ne me permettent pas cette folie. Je medébrouilledoncseule,etcen’estpasplusmal.J’aimarquél’adressedansmontéléphoneetjesuis lavoixdemonGPSquimeguideà travers ledédaledes rues.Lequartier està la foisgrungeetbohème.Ilfaitnuit,maislavillen’apasl’aird’avoirsommeil.Jetraverselecanalparmilafoule.Lesboutiquesmulticolores sont encore allumées. J’en prends plein les yeux. De jour je verraismieux, mais je peux discerner le florilège de couleurs sur les murs, les vieilles bâtissesindustriellestoutesenbriquesetlespénichesaccostéeslelongdelarive.Lesdevanturessonttoutesdifférenteslesunesdesautresetaucunen’estsobre.Despantinsimmensessontclouéssur les murs, des jouets, des couleurs, des épiceries, des magasins loufoques se succèdentdevant mes yeux. Je suis en totale admiration de tout ce que je vois. Si je ne trouve pasd’inspirationpourmesdessinsici,jen’entrouverainullepartailleurs!Camden High Street est immense, je reconnais des enseignes de fast-food ou de grandesmarques,lerestem’estinconnu.Enthousiasmée,jelistouslespanneaux,mesyeuxseposentpartout.Jenefaismêmeplusattentionàmadestination.Sibienquejemeretrouveviteàunpointtrèséloignédemonbutinitial.Il faudrait peut-être que jeme concentre ! Le patrondoitm’attendre, et vu les descriptionspeu amènes que m’ont faites les jumeaux, je ne m’attends à aucun traitement de faveur,surtoutpassij’arriveenretardlejourdemonarrivée.Cettemarcherapidedanslesensinversemeréchauffe.Enmars,àLondres,onselespèle!

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Monformateurpossèdeunsalondanscetterue.J’arrivedevantladevanture«DeathinArt».Plutôtglauquepourtoutepersonnenormale,maispourmapartj’ail’impressiondemesentirchezmoi.Toutestnoir:lafaçade,lesvitrinesteintées,lenomdelaboutiqueécritengrandau-dessusde laporte.Une immense fresquedeStreetArt orne le bâtiment.Elle représenteunefaucheusequisouritsournoisement,adosséeàunemoto.Cet univers fait écho au mien. Je comprends pourquoi les jumeaux m’ont dirigée vers cethomme après avoir vu mes dessins. J’espère que l’intérieur est aussi prometteur quel’extérieur.J’inspire une dernière fois pour prendremon courage puis, armée demon sac qui pèse destonnes,j’entredanslaboutique.L’espaceestvaste.Unpetitpupitreétroitoùreposeuncarnetderendez-voustrôneàl’entrée.Après un petitmuret, quelquesmarchesmontent vers une zone de tatouage accessible auxyeuxdupublic.Lesmurssontrecouvertsdedessinsencadrésoujusteaccrochés.Unerangéedemiroirsestaccrochéelelongd’unmur.Desnéonssontsuspendusauplafond.Unetableàdessin accapare mon regard, puis une autre derrière. Des fauteuils tendent les bras auxvisiteurs.C’estunjolibazar!Au fond, sont installés un lavabo, une table et des chaises. Un peu plus en face de moi – comme chez les jumeaux –, une porte fermée. La lumière du jour n’y entre pas. Tout estilluminé par le mélange de lumières qui règne ici. Celle-ci passe de feutrée à criarde auxendroitsquinécessitentd’yvoirclair.Monregardseposesurchaquedétail.J’essaiedem’attardersurlesdessinsmaisilyenatropetmesyeuxcommencentàfatiguer.Jen’entendsmêmepasquequelqu’uns’approche,aussi,quandunemainseposesurmonépaule,jesursaute.

–Désolé,ditunevoixenanglaisàcôtédemoi.Jeme tourne vers la personne qui vient deme rejoindre.Grand, carrure de rugbyman, desyeux marron espiègles, des cheveux châtains rasés courts sur les côtés et des tatouages,beaucoupdetatouages.Ilsenvahissentsesbrasetremontentjusqu’àsoncou.

–Salut,lance-t-ild’untonjovial.Laure,c’estça?L’hommemetoiseaveclessourcilslevés.Ilmematecommejelefaispourlui.Sonexpressionestchaleureuse.Sespupillesbrillentd’unéclatquejecommenceàconnaître.C’estceluiquej’aiaperçudanslesyeuxdeLudo,lorsdenotrepremièrerencontre.Est-ce que tous les tatoueurs sont si peu discrets ? Je me trouve soudain bien vulnérable etminusculefaceàceLondonientatouéquejeneconnaispas.

–Oui.Jeluitendsunemainqu’ilserred’unepoigneforteetvigoureuse.

–JesuisChristopher,maistupeuxm’appelerChris,unautrestagiairedeJamie.Unimmensesourireornesabouchepulpeuse.

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– Jamie n’est pas là, donc je suis chargé de t’accueillir et de te montrer ta chambre,continue-t-ilsursalancée.Tudoisavoirsommeil,non?Ilparlevitemais je lecomprendstrèsbien.Dansmonancienmétier,unebonnemaîtrisedel’anglaisétaitessentiellepourpouvoirparleravecleslabelseuropéens.

–Oui.Jesuisunpeufatiguée.Jen’osemêmepasregarderl’heure.Sijelefais,j’enviendraisàmedemandercequ’Ilestentraindefaireetjenesuispasvenueicipourça.

–Trèsbien.Suis-moi!Fermantleloquetdelaported’entréedansmondos,ilsedirigeverslefonddelasalle.

–Vousêtesfermés?– Ouais. Il n’y a pas grandmonde, ce soir.Mais demain tu verras. Ce sera la cohue !

Jamien’aimepasquandçanebougepas.J’espèrequetuesbienaccrochée. Ilaimelesgensdynamiquesquicomprennentvitecequ’illeurdit.Si j’ai eu la pression en entrant tout à l’heure, ce n’est rien comparé à ce que je ressensmaintenant.Chrisouvrelaporte,quidonnesuruncouloir,puissurdeuxautressallesenretrait.Àdroite,unescaliermonteàl’étagesupérieur.Ilm’indiquedelesuivreetgravitlesmarches.Unefoisenhaut,nousnoustenonssurunpalierridiculedesservantcinqpièces.

– Là, c’est la salle de bain, annonce-t-il en désignant la porte dumilieu. À gauche, lachambredeJamieetsonespaceprivé.Àdroite,nosdeuxchambres.Lamienne,c’estlaportedufond.Jeregardechaquecoinqu’ilmedésignepuis, soussesyeuxquinemequittentpas, j’avanceverscellequiestouverte,prêteàm’accueillir.

–Cen’estpaslegrandluxe,maisaumoinsc’estgratuit,lâche-t-ilenvenants’appuyersurlechambranleunefoisquejesuisrentréeàl’intérieur.Effectivement,cen’estpasunhôteltroisétoiles.Maiscen’estpascequej’attendais.Jenesuispaslàenquêtedeluxe.Lapiècedoitfairedixmètrescarrésetcontienttoutleconfortutilepourunefilleunpeupauméecommemoi:unetableàdessin,unearmoire,unlitdouble,etun petit coin d’eau et repas. Les tapisseries sont ternes et le plancher craque, mais dansl’ensembleonnepeutpasseplaindred’untelaménagement.

– Je te laisse te reposer. Si tu as besoin je suis à côté. On démarre tard demain, pasbesoindemettreunréveil.Onvitlanuit,ici.Prépare-toi!Et sur un dernier clin d’œil, il refermema porte. J’entends la sienne qui s’ouvre de l’autrecôté,puis se referme.Je lâcheenfinmonsacetm’affale sur le litde toutmon long.Jesuisépuisée.Lesémotionsfortesm’ontsecouée.J’attendscejourdepuisdeuxsemaines.J’ail’impressionqueletempsaprisunmalinplaisiràs’écouler le plus lentement possible. Et qu’il s’est bienmarré àme fairemariner dansmespenséesnostalgiques.

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Pendantquejesuissurcelitinconnu,danscettechambreinconnue,danscettevilleinconnue,jem’efforcedenepaspenseràParisetàquis’ytrouveencore,quij’ailaisséderrièremoietquimemanqueàchaqueminute.Jememets sur le ventre, enfouis la tête dans l’oreiller et pense à autre chose. Je voudraisdéjàêtreàdemain.Jevoudraisdéjàmebourrerd’informations,commenceràdessinerpouroccuperlerestedemesjournéesetmeviderlatête.Etrecommencerchaquejourjusqu’àmenoyersousleboulot.Oui,j’espèrequemavieserarempliejusqu’àcequejetombedefatigue.Jenesaispascequemeréservent lesprochainsmoismaisçarisquedenepasêtrede toutrepos.

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Alexandre

J’aiunedecesgueulesdebois!Qu’est-cequej’aifoutu?Jenemerappellepasavoirdéjàbuautantetensipeudetemps.Pourtantjen’ensuispasàmoncoupd’essai.Jemetournedanslelitpourmemettresurledos.Ladouleurmebroielecrânecommesiuntroupeaud’éléphantsmepiétinait lacervelle.Bordel, j’avaisoubliéàquelpointcelapouvaitfairemal.Pourquoiai-jesifflélavodkasivite?Puislatequilaaprèsça?C’étaituneputaindemauvaiseidée.Jemerelèveunpeupourregarderautourdemoipuismelaissetombersurlematelas.Jen’airamenéaucuneblondedansmonpieu.Jenesaispassijedoisêtresoulagéoumefairepitié.Pourtant,decequejemerappelle,çaavaitl’airbienparti.Ques’est-ilpassé?Jeplisselesyeux.Lamigraineestfulgurante.Jesuispirequ’unzombie.Jemetraînejusqu’àlasortiedulit,empêtrédansledrapquejedégaged’uncoupdepied.J’aimaldanslesmuscles,maismonéquilibreestplutôtbon.Lesyeuxlourds,jetâtonnepourchoper mon futal que j’enfile sans prendre le temps de trouver autre chose. Je sors de lachambreetmedirigeverslasalledebain,del’autrecôtéducouloir.Lamainsurlapoignée,j’entendsdesvoixparlerensourdine,dans le salon.Lorsque j’yentre, je trouveLudoavachidanslecanapé,lesjambescroiséessurlatablebasse,latélécommandeàlamain.J’avanceunpeupluspourqu’ilmeremarque.

–Ludo,qu’est-cequetufouslà?Ladernièrefoisquejel’aivu,c’étaithieretjenesaispasdutoutcommentnotresoiréeafini.

–Salutàtoiaussi,monpote!Délaçantsesjambes,ils’étiredetoutsonlongpuisseredresse.

–Pastroplatêteenvrac,cematin?

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–Jouepasauconavecmoi!Qu’est-cequetufouslà?–Jesuisvenum’occuperdetoi,connard!Çameparaîtassezévident!

Il se marre. Je dois déjà jongler avec un mal de crâne hallucinant, je n’ai pas besoin d’unenfoirédebonnehumeurdansmapiaule,amioupas.JeledépasseenmefrottantlanuqueetjeparsmeservirunetassedecaféetunAdvil.Essentiel,l’Advil,vumonétat!Monmeilleurpoteadûanticipermesbesoins,parcequeleliquidenoirestdéjàprêt.Cemecmeconnaîtunpeutrop.Côtémédocsjemedémerdetoutseul.Jem’adosseauplandetravailetlevoisapparaîtrefaceàmoi.

–Sérieusement,relancé-jepourenavoirlecœurnet.Qu’est-cequetuviensfaireici?J’aipasbesoind’unenounou.

– Sérieusement, répond-il à son tour, tu ne te rappelles pas que tu étais dans un étatépouvantableetquec’estmoiquit’aicouché?Etmerde,j’aitropbu.Ladernièrefoisquecelam’estarrivé,lesjumeauxm’ontramasséàlapetitecuillèreaprèsquemacolèredel’époques’étaitdéverséesurunpauvretypequin’avaitrien demandé. Cette connerie était remontée jusqu’à mes responsables et m’avait valu unemiseàpied.J’espèrequejenesuispasalléjusque-làhier.J’aiquelquessouvenirs,maisriendeconcret.Ludofrottesonvisageentresespaumespoursedétendre:ungestequejeconnaisbienetquin’augure riendebon. Jene suispasenétatde subirune remontrance.Etpuis, cen’estpascommesicelam’arrivaittouslesjours.Ilvafalloirqu’ilsedétende.

–Tumefaischier,Alex!lance-t-ilénervé.C’estunpeutropfaciledefairel’amnésiquelelendemainpourt’ensortir!

–Quiest-cequej’aifaillibuter,cettefois-ci?C’estdelaprovocationpureetdure.Maisjenesaisréagirquecommeça.

–Faispasleconnard!–Écoute,dis-jeenposantmatasse.Jenesuisvraimentpasd’humeur.J’aibesoind’une

doucheetd’uneclope.Jenesaismêmepascequetufous là!Alorsm’emmerderdansmonétat,çavajustetevaloiruncoupdepiedaucul.

–Encorefaudrait-ilquetupuissesleverlajambe!Est-ce que j’ai déjàdit qu’ilm’emmerde ? Je lui adresseune grimace avantdeme remettredebout.Jesorsdelacuisineenlebousculantaupassageetcontinuemaroutejusqu’àlasalledebain,oùjemepassedel’eausurlevisageetlecou.Lemiroirmerenvoieunesalegueule:celledesmauvaisjours,quandrienneparvientàmedérider.Ludom’asuivi,bienentendu.Iln’apasl’intentiondemelâcherlagrappeaussifacilement.

–Tusaisquet’asencorefaillitefaireunmec?continue-t-ilsurletondureproche.T’asd’lachancequenousayonsétélà,Mickeyetmoi.Tuseraisentauleàl’heurequ’ilest,flicoupas.

–C’estsigravequeça?

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–Çaauraitpul’être,annonce-t-ilenhaussantlesépaules.Ont’aarrêtéàtemps.Maistuluiasexplosél’arcadeetunebonnepartieduvisage.Lepauvretypenesereconnaîtrapasenselevant.Lesmainsdechaquecôtédulavabo, jemesensmal.Cettediscussionn’estpas labienvenuepourunestomacprêtàrendre.

–Jenem’ensouvienspas,j’avouefaiblement.–Jevoisça,soupire-t-ildésemparé.Tuesentraindepartirenvrille,Alex.Jen’airien

ditjusqu’àmaintenantparcequetuassugérer.Maishiersoir,c’étaitpire.J’auraispulaisserpasserlabagarreseule.Maistonattituded’avant,certainementpas.

–Uneconnerie?–Tunet’ensouvienspas?–Non,jenevoispasdequoituparles!

Jecontinuedejoueraucon.Avecunpeudechance,ilm’enmettrauneetmeferapasserladouleurquiseréveilledansmapoitrine…

–Lablondequetuétaisprêtàserrerdansleschiottesdelaboîte,çaneteditrien?Jememoquedelui.Biensûrquejem’ensouviens.Toutcommejemesouviensquejen’aieuaucuneréactioncôtéservicetroispièces.Ellenem’apasfaitbanderuneseuleseconde,cettenana.

–Tut’es inquiétépourrien,répliqué-jeavecmonairdepetitcon.J’auraisrienpufairedetoutefaçon.Lamachineestcassée.Cassée.Broyée.Enchaînéeaufantasmed’uncorpsdedéessequin’estpluslà.

– Maintenant que tu es rassuré sur mon état et sur mon incapacité à faire « uneconnerie»,tupeuxtebarrer.Jen’aipasbesoind’unsermon.Jepassedevantlui,donneuncoupd’épauledanslasiennepourlefairebougeretattrapeuneservietteavantd’approcherdelabaignoire.

–Jecroisquesi,aucontraire.Ettuvasm’écouter,insiste-t-ilsûrdelui.Jericanecommelepauvretypesournoisquejesuis.

– Et tu vasme dire quoi ? demandé-je pour le provoquer.Quema vie est pathétique,qu’une fillem’a retourné le cerveauetm’abrisé le cœur,quedepuis jene ressembleplusàrien.Pasbesoindet’époumoner,jesuisdéjàaucourant.J’allume le jet et laisse ma main en dessous en regardant l’eau s’écouler sur ma peau.J’aimeraisêtreailleursqu’ici.

–Danscecas,pourquoitunefaisrien?questionne-t-ilpourmerelancer.Pourquoijeferaisquelquechose?Jenesuispasresponsabledetoutça.Jefermelesyeux.

–Elleneveutpasdemoi,murmuré-jetoutbas.–Quoi?

–Elleneveutpasdemoi,dis-jeplusfortpourqu’ill’imprime.–C’estn’importequoi!

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– Tu ne sais rien de ce qu’il s’est passé entre elle et moi. Alors ne viens pasme direcommentjedoismecomporter.Ilcommencesérieusementàmelesbriser.

–Ilfaudraitpeut-êtrequetumel’expliques,tente-t-ilpourquejeluiparle.–Tuesdevenuunspécialistedanscedomaine?–J’aidéjàfaitmespreuves,comparéàtoi.

Jesecouelatête.–Àquoibon?continué-jedéfaitiste.Jenesuispaslemecqu’illuifaut,c’esttout.

C’estladernièrephrasequ’ellem’adite.Je passe unemain sur mon visage puis j’éteins l’eau devenue chaude. Entre-temps, Ludo asortisontéléphonedesapocheetmeletendenm’invitantd’ungesteà lire laconversationquis’yaffiche.Elledatedelaveille.**Ludo:Fautquetumerépondes.C’esturgent. Ilvafinirparfaireuntrucirréparable.Dis-mois’ilyaencoredel’espoirpoureux?****Sarah:Oui.**

–Putain,jesouffleenfermantlesyeux.–Ouais.Tul’asditmonpote!

Jem’assois sur le rebord de la baignoire et portema tête entremesmains. Foutu, je suisfoutu.Moncœurseserre.LesouriredeLaurem’apparaîtenpleinegueule.

–Laure…jesoufflesanspouvoirparlerplusfort.Le silence traîne. Ludovic est certainement le plus insouciant et déjanté des jumeaux,maisquandsesamisontdesproblèmes,c’estluileplusàl’écoute.

–Qu’est-cequ’ils’estpassé?Elleacouchéavecunautremec?Jemeredressepourl’assassinerduregard.

–Non!–Alorsquoi?–Ellem’afaitcroirequ’ellel’avaitfait,justepourquejemetire.

Celam’arrachelagorgedeledireàvoixhaute.–Etjecroisquejen’aipassupporté.

Non.Jen’aiabsolumentpassupporté.Ellem’amentipourm’éloigner.S’ilsavaitcommeçametue…

–Pourquoiaurait-ellevouluquetutetires?–J’ensaisrien,putain!

Cette foismesmainsagrippent laracinedemescheveuxet tirentdessus.Lesilencequisuitcouvrenospropresréflexions.Ludofinitparallumeruneclopeetmelatend.J’enaibesoin.

–Elleapasunpassif,cettefille?reprend-ilcurieux.Mickeym’aparléd’untrucmocheavecuntype…Depuisquandilposedesquestionsaussipertinentes,cemec?

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–Si,dis-jelagorgeserrée.–Ellet’apeut-êtreditçaparcequ’ellecroitquet’ascouchéavecuneautrefille,ajoute-t-

ilenréfléchissantàvoixhaute.Unefoisçaleursuffit,engénéral.–Elleétaitaucourant.

Il se tait, soupire et semble réfléchir. Je ne le quitte pas des yeux, pendant qu’il fronce lessourcils.Qu’est-cequ’ilnecomprendpas?

–Aucourantquetul’asfait?interroge-t-ilpoursaisirlasituation.–Aucourantquec’étaitprévu.–Etc’estlecas?–Quoi?–Tul’asfait?–Jenevoispasleproblème.C’estellequim’ademandédefaireça.–Moijelevois!

Jesaiscequ’ilsous-entend.–Tun’aspasdûluiprouvergrand-choseenfaisantça,ajoute-t-ilsûrdelui.

Maismerde,ilesttroptôtpourunemoralepareille.–Jen’aipasbesoind’entendredesconneriespareilles, je fulminecontre lui.Dégagede

là,jedoismedoucher!Mavoixestmenaçante.Pasquestionde le laisserdireàvoixhautedes conneriesque jeneveux pas entendre. Et il le comprend car il se décide enfin à repartir vers la porte.Mais ils’arrêteavantd’avoirfranchileseuil.

–Réfléchis à ça, lance-t-il unedernière fois. Elle attendait peut-êtreque tu lui prouvesquetunepouvaispaslefaire.Ilmelaisseseulenprenantsoindefermerlaported’ungestesec,commepourenfoncerl’idéedansmatête.Pourquoimerépéterça?Jesuisdéjàaucourant,maiscen’estpaspourautantquelapilulepassemieux.Non,ellenepassepasdutout.Jemedéshabille,entredanslabaignoireetouvrelejet.L’eauestbouillantemaisnécessairepoureffacermescourbatureset lanauséequi lesaccompagne.J’y reste longtemps, lesyeuxfermés,latêteplongéesousl’eau.À la suite des paroles de Ludo et enme concentrant, je réussis àme remémorer quelquesbribes supplémentaires de la veille. La petite blonde que je n’ai pas hésité à chauffer, sesbaisersquim’ontrebuté,macolèregrandissanteetce type.Jecroisque j’auraispu lebuterjustepourmedéfouler.Etj’aibeaurestersousl’eau,jenesuispascalmédutout.Jen’yarrivepas.Deuxsemainessanselleet j’ai lasensationqu’onm’atirédessus.Celamerâpe,merongeetcreusemapoitrinedesavoirqu’ellen’estplusavecmoi.Jen’aijamaisconnucettesensation:

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celledesesentirseul.Pourtant,c’estainsiquej’aitoujoursvécu.Orlà,ellevientdeprendreunetouteautredimension.Quandjesorsdelabaignoire,monregardseposesurlemiroirfaceàmoi.Jerefaislefilmdenotrehistoire : touscesmotsqu’ellem’adits, cemomentdans l’église, siprochedemoi, siheureused’êtredansmesbras;etsadéclarationsiempreintededouleur.Le coup de poing dans mon bide est violent. Les mots de Laure me marquent. Ils mereviennentenpleineface.Jen’arrivepasàaffrontermaconnerie.Jenesuisqu’unconnard…Jeluiaibalancéunehorreurauvisage.Jel’aitraitéecommej’auraistraitén’importequi.J’airenié ce que je ressentais, je ne lui ai pas dit. Comment j’ai pu oublier ? Comment j’ai puzapperunetellepreuved’amour?Ellenem’aurait jamaisditça,siellene lepensaitpas,sielleneressentaitrienpourmoi,siellenecroyaitpasennous.J’ai l’impressiondedevenir fou. Je repenseà tousnosmoments, toutes sesparoles, sa fuitecesderniers temps. Je réfléchisà toutevitesse.L’imaged’elle etdeStéphanemepourritdel’intérieur.Jelerevoiscettenuit-là,puislesdeuxl’unprèsdel’autreaupetitdéjeuner,et jeressens de nouveau cette sensation désagréable d’être passé à côté de quelque chose. Et siLaureavait toutplanifié?Sielles’étaitmisentêtedemefairepéteruncâble?N’yavait-ilaucunespoirpournous,d’aprèselle?Ellenem’alaisséaucunechance.Ne luiai-jepasmontréque jenevoulaisqu’elle? Jene suispas cetenfoirédeMatt.L’idéemême de la faire souffrir me broie l’estomac. Comment j’aurais pu… Les questions sebousculentetaugmententmanervosité.Jenetienspasenplace. Il fautque j’enaie lecœurnet.Jenepourraipasvivresanselle,sanssonparfum,sanssoncorps,sanssonaudace.C’estellequejeveux.Ellequimemanquetant.Jenepeuxpaslalaissers’échapper.Etsielle trouvaitquelqu’und’autre?Unnouvelélanmeremue.D’unbond,jemeremetsdeboutetparsversmachambre.J’enfileuntee-shirtetunfutalpropreavantdecourirdanslesalonjusqu’àlaported’entrée.

–Alex,qu’est-cequetufous?demandeLudoalorsquejepassedevantluisanslevoir.J’attrapemesclefsdebécane,moncasqueetmaveste,puis je finispardonner l’explicationquejepeuxàmonpote.

–J’arrêtedejoueraucon!

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Alexandre

Mamoto est la seule drogue qui me soit utile ce matin. Le seul allié qui ne me plaquerajamais.Leseultrucquejeguidetoutseulsanstenircomptedesavisextérieurs.Jerouleverscette confrontation le cœur blessémais l’esprit plus léger, bercé par le vent, la vitesse, lessensations.J’enaibienbesoin!Habillédenoirdelatêteauxpieds,jerouleàfond.J’aiàpeinedessoûlémaisjemaîtrisemonaccélération. La vitesse, je connais. Raser des caisses, prendre des virages serrés, c’est macame.L’adrénalinequirepoussetoutautresentiment,c’estcequejerecherche.Je n’habite pas très loin de chez Sarah.Nous sommes tous sur Paris depuis de nombreusesannées.Sijenelacôtoyaisqu’assezpeudanslecadreduboulot,cesdernierstemps,ellefaitpartie de mon entourage. Ce n’est plus notre passé ou la drogue qui nous unissent. Non,désormais,notrelien,c’estLaure.Nousavançonstouslesdeuxdanslamêmedirectionalorsj’espèreque,sic’estellequim’ouvre,ellesemontreracoopérative.Deux arrondissements et dix minutes de périphérique plus tard, je me gare en bas de sonimmeuble.ReveniriciaprèscesdeuxsemainessansLauremerendimpatient.Jeveuxlavoir,luiexpliquerquej’aimerdéetquejenedésirequ’elle.Au cours des derniersmois, j’ai retrouvé Laure ici à de nombreuses reprises. J’ai donc desfantasmes et des souvenirs plein la tête en approchant de ce bâtiment. Laure était chaquesemaineunpeupluslibrepourmoi.ChaquefoisqueSarahbossait,jepassaismesnuitsici.Jemaintenais mon Audacieuse éveillée alors qu’elle devait se lever le lendemain. À cetteépoque, elle recherchait le sexe avec moi, elle s’offrait sans réfléchir et ne me repoussaitjamais.Nousavonsbaptiséchaquerecoin,chaquesurfacedecetappartementdenosébatsetcelamerevientenpleinegueulemaintenant.Jemerendscomptequ’elleaétéplusfortequemoi,ellem’aprisàmonproprejeu.

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J’ai besoinde savoir quelsmots étaient faux. Lesquelsne l’étaientpas. J’ai besoinde croirequejenesuispasfou,quejen’aipasimaginésonamour.Sadéclarationdansl’égliseenestlapreuve,non?Alorspourquoimerejeter?Parcequ’ellecroitquejesuislemêmeconnardqueMatt,prêtàbaisersasœursansaucunscrupule?Jesonneàl’interphone.Ilnefautpasdixsecondespourquequelqu’unmeréponde.

–Oui?Moncœurs’arrêteuninstant.J’auraisvouluentendreLaure,pourpouvoirluidiretoutcequ’ilfautqu’elleentende.

–Sarah…–Qu’est-cequetufaisici?interromptlavoixengrésillant.–Ouvre-moi!–Pourquoi?Tucroispasquet’enasassezfait?

Elleestencolèrealorsquec’estmoiquidevraisl’être.C’estdemagueuledontons’estfoutu,non?

–Sarah!appelé-jeplusdoucementenprenantsurmoi.Faitchier.

–Sarahlaisse-moientrer.J’aibesoindelavoir.Jen’entendsplusrienpendantuneseconde,puissavoixrevient.

–…uniquementparcequejeveuxteparler.Quoi?Maisdéjàlaportes’ouvre.Jefonceàl’intérieuretgravislesmarchesjusqu’audeuxièmeétage.Ladanseusesetientdevantlaporte,bienferméedanssondos.Etcontrairementàcequejem’attendais,sesyeuxnelancentpasd’éclairs.

–Qu’est-cequetufichesici?–Jedoislavoir.

Sarahmestoppe,unemainsurletorsepourmerepousser.–Tun’auraispasdûvenir,précise-t-elleenappuyantplusfort.C’esttroptôt.–Troptôt?Troptôtpourquoi?

Ellesoupire,réfléchitunmomentetsemordleslèvresdenervosité.Jen’aimepasça.–Elleestlà?jeluidemandepresqueénervé.Laisse-moientrer!

Sarah ne lâche rien. Sesmains se lèvent devant elle pourm’intimer de ne pas bouger. Sesyeuxmedéfient.Etvoilà,laleçondemoraleestentraindesepointer…

–C’esttroptôt,Alex.Elleabesoind’êtreunpeuseule.–Sarah,jenesuispasunmecpatient,rappelé-jepourluifairecomprendrequejen’attendraipas. Je suis venu m’expliquer avec elle. Alors pousse-toi, s’il te plaît, sinon c’est moi quit’écarte!

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Ellefaitunpassurlecôtépourmelaisserpasser,résignée.J’entredansl’appartement,jeparsàdroiteverslecouloiretlachambredeLauretoutaufond.Enouvrantlaporteetenprenantconscience du vide immense qui occupe tout l’espace, je m’arrête brusquement. Unerévélationcruelles’imposeàmoi.

–Tuessatisfait?MesyeuxparcourentchaquecentimètreàlarecherchedesaffairesdeLaure:sesbibelots,sonmatérieldedessin, iln’yaplus rien.Sesdrapsontdisparu, ses fringuessesontvolatilisées.Mêmesonparfumnetraîneplusdansl’air.Jefaisquelquespaspeuassurésdanslapièce.J’aipeurdedécouvrircequecesilencesignifie.En arrivant près de son bureau, je découvre ce qu’elle a laissé, en évidence : deux dessinsposésl’unàcôtédel’autre.Jereconnaisceluidedroite,ils’agitdesontatouage:lesquelettede sonphénixdans tout cequ’il yadeplus sombre, la rosedéfraîchieentre ses serres.Surl’autre feuille,unhommehabillédenoir–unpeucommeuneombre–, levisagedissimulésouslacapuched’unsweat.Ilsetientdebout,têtebaissée,lesbraslelongducorps,aveclamêmerosecoloréed’unrougevifetd’unvertéclatant,dansunemain.Elleestbroyéeparsonpoing,lespétalestombentlelongdesonflanc.Etsurlesol,àsespieds,uneminusculecageàoiseau, vide et ouverte : celle de son phénix, j’en suis persuadé. Est-ce un tatouage… pourmoi?J’attrape la feuille sans décollermes yeux du dessin. Le symboleme frappe de plein fouet.Laureacomplétésontatouage.Commepourformerunseuletmêmetableau.Jelevisualisesurnoscorps.Celaseraitunique,sensationneletmajestueux.

–Jen’yaipastouché,déclareSarah.Jecroisquec’étaitpourtoi.–Oùest-elle?questionné-jesansquitterlafeuilledesyeux.–Elleestpartie.

Jemetourneversladanseuse.Lecœurbattantàtoutrompre.Est-cequej’aibienentendu?

–Partie?jem’enquierssanscomprendre.Partieoù?–Alex…

Jeregardedenouveauledessinetm’immobilise.Lessentimentsenmoisontchaotiques,maisaussi,étrangement,jemesensplussereindepuisquej’aivucetteœuvre.Ellenousadessinés.Ellenousaassemblés.Commentest-cepossible?J’ail’impressionquel’espoirquim’aanimédansmasalledebainrevientenpremièreligne.

– Dis-moi où elle est ! je tente une nouvelle fois. Tu sais que j’ai les moyens de laretrouver.

– Je ne crois pas, et quand bienmême, je ne te dirai rien et je te conseille de ne paschercher.Ladanseusenelâcherien.Ellemaintientsalignedeconduite.

– Il faut lui laisser du temps, reprend Sarah d’une voix apaisée. Si vous vous revoyezmaintenant,vousne ferezquevous faire souffrir.Ellen’apas reprisconfianceenelle,Alex.

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Elleabesoindesetrouverloindetoipours’affirmer.Jepasseunemainsurmonvisage.

–Comprends-la!insiste-t-elle.Touslesgensqu’elleaaimésl’onttrahie.Tousceuxenquielle croyait, en qui elle avait une confiance aveugle l’ont rejetée. Ils ont écrabouillé saconfianceenelle.Commentpourrait-ellecroireenquelqu’unaujourd’hui?Commentpourrait-elle se laisseralleravec toi?Tuveuxquedansunanelle tequitteencoreparcequ’ellenecroiratoujourspasàtasincérité?Jeneveuxpascomprendre.Jenesuispascommecesenfoirés,si?

–C’estpourça…jeréfléchisàvoixhaute.–Pourçaquequoi?–Qu’ellem’amenti?

Jel’entendssoupirer.Jenecroispasquej’aurailaréponseaujourd’hui.–Jenepeuxpasrépondreàsaplace.Tusaurastoutentempsvouluquandelledécidera

qu’il est tempsde revenir.Pour lemoment, il fautque tu la laissesoùelleest,Alex.S’il teplaît,crois-moi,jesuisdevotrecôté,ajoute-t-ellesincère.J’aivucequetuesavecelle.Etjeferaitoutpourqu’ellelesache.Maisjen’yarriveraipasenquelquesjours.Laisse-lamettredel’ordredanssessentiments…

–Est-cequ’ellevabien?interviens-jepourmerassurer.Nouveautempsdesilenceetderéflexion.Sarahdoitrepenseràcesdernièressemaines.Moi,jerevois lesoiroùtouts’est terminé.Jen’auraispasdûpéteruncâble,peut-êtrequeLauren’auraitrientrouvéd’autrepourmefaireflancher.

–Aprèstondépart,elleaaffrontésesparents,Léaetsesamies.Etjusteavantça,çaavaitété son travail. Comment veux-tu qu’elle aille ? Elle a mis un terme à vingt-trois ans derelations.Vingt-troisansd’uneviequineluicorrespondaitplus.Elles’estrenducomptequelesgensquil’entouraientnelaméritaientpas.Jenesaispassiellel’avraimentaccepté.Maisjesuiscertainequetuneveuxpasqu’ellesediseçadetoi.Jesecouelatête.

–Alorscettepausenepourraêtrequebénéfique.–Bénéfique?dis-jeen sortantdema léthargieetenme tournantverselle, lesépaules

hautes.Ellen’apasidéeduquartdelavérité…–Quellevérité?ose-t-ellemedemander.–J’étaisvenuluidire…

Jesenssonimpatienceirradierjusqu’àmoi.Celaluifaitlespiedsletempsquejemeremetteunpeuetquejereprennemonassurancelégendaire.

–Jelamérite,tusais!annoncé-jesansdétournerleregarddusien.Sesyeuxsetransformentsoudain,commesecouésparunerévélation.

–Tun’aspascouchéavecLéa,c’estça?–Non.

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–Maisputain…Elleal’airirritée.

– Il se passe quoi dans ta tête pour dissimuler une chose aussi importante ? Tu esincroyabledeconnerie,maparole!Sarah faitquelquespas surelle-mêmeetparleà tortetà traverspourbienm’exprimer sonmécontentement.Jesaisquej’aiétélimitesurcepoint-là,alorsjelalaissefaire.

– Tu as merdé, continue-t-elle le doigt accusateur. Tu aurais dû lui dire. Tu te rendscomptequetoutcedramen’auraitpeut-êtrejamaiseulieu…Ellearaison,maisjenerépondsrienpourautant.

–Tuesunecauseperdue.Pourquoituasfaitça?–Jevoulaisqu’elles’entienneàsavengeance,avoué-jeplusaussisûrdemonaction.Je

nevoulaispasqu’ellecroiequej’étaisentraindeflancher.–Etluiprouverquetul’aimais,çanet’estpasvenuàl’esprit?répond-elledutacautac.–Jenesuispasdoué.–Jesais.Jecroisquetoutlemondelesait,rouspète-t-elleencore.

Celle-là,jecroisquejel’aiméritée!Sarahsembleperduedanssespensées.Sielleentrouvaitlecran,jecroisqu’ellem’assèneraitdeuxoutroiscoupsbienplacés.Subitement,elles’arrêteetmefixedesesyeuxvainqueurs.Qu’est-cequ’elleaencoretrouvé?

–Bon,finit-ellepardire.Onvafaireundeal.Tuluilaissesletempsdeseretrouver.Etenattendant,tut’entraînes.–Jem’entraîne?

–Àexprimercequeturessens,révèle-t-elle,fièredesatrouvaille.Jegrogne.

– Et avec qui voudrais-tu que je fasse ça ? je l’interroge en ayant un peu peur de saréponse.

– Les jumeaux ? balance-t-elle avec audace. Ou toute personne proche dans tonentourage.Tudoisbienteniràquelquespersonnes,non?Magrimacedoitêtrerévélatricedemaréponse,maisjeprécisetoutdemême:

–Jesuisplutôtdugenreàmanipulerqu’àcopiner.C’estàsontourd’avoirunemouedédaigneuse.

–Ehbientantpispourtoi,tun’aspaslechoix.Jenetediraipasoùelleestpartiesansça.Alorstuasplutôtintérêtàtetrouveruneoccupation.

–Tumefaischier.Cetteconversationn’aaboutiàrien.Jepestecontremoi-mêmedelavoirprendrel’avantage.Puisjemerappellequ’ellelefaitpourLaure.Sijeveuxfaireunpremierpasverselle,cedoitêtrecelui-là.Mêmesilegouffrejusqu’auprochainmeparaîtimmense.Jenesuispasfaitpourl’attente.Seul, jeme suis toujours servi. Leproblème, c’est que jene suisplus seul. Jedoiscommenceràréfléchirpourdeuxsijeveuxavoirunechancedelaretrouver.

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–Sarah,tumefaischier,répété-jeensoupirant.–Jesais,maisilfaudrat’yfaire.

Ellesait?Non,ellenesaitpas.Ellenesaitpasladouleurquem’infligecettesolution.Nilesdoutes qui l’accompagnent. J’ai peur de quitter cet appartement et qu’il s’écoule trop detemps.Maisqu’est-cequejepeuxyfaire?Jenepeuxpaslaforcer,Laurem’envoudrait.Jecommenceàm’enallerlorsquejemetourneunedernièrefoisverselle.

–Tunesaispasàquelpointc’estdurdenepast’endemanderplus.– En ne le faisant pas, c’est déjà une preuve d’amour en soi, affirme-t-elle en grande

connaisseuse.Sarah est très sérieuse. Elle ne lâchera rien sur Laure tant qu’elle n’aura pas jugé que lasituations’yprête.Jesuisaffligéd’avance.Commentjevaisfairepourrésister?Jesuisflic,jepeuxtrouverquelquesdétailssijeleveux.Maisjen’aipasenviedejoueraveclefeu.

–Ok.Mêmesiàl’intérieurtoutn’estquecarnage,jefinisparcapituler.Jenedésirequ’unechose:luifaireavoueroùsecacheLaureetlaretrouver.Pourtant,aujourd’hui,jevaisàl’encontredemes attentes et de mes espérances et je repars d’où je viens, sans avoir obtenu ce que jevoulais.C’est la première fois que cela m’arrive. La première fois que je fais ce qu’on me dit. Lapremièrefoisquejepenseàquelqu’und’autreavantdepenseràmoi.

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Laure

Jedescendslesescaliersquimemènentausalon.Depuisprèsdedeuxmois,j’ail’impressiond’êtreunermite.Jemeréveilletatouage,jemangetatouage,jetravailletatouage.J’enviensmême à en parler vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Il faut dire que c’est ce que je suisvenue chercher ici : apprendre un nouveaumétier quim’éclate, quelque chose où je puisselaisserlibrecoursàmapassionetàmonimagination.Mapremièreexpériencem’alaisséunsentimentindescriptible.Alors,quandjemesuismiseàréfléchiràlaviequejevoulaisvraiment,jen’aivuquecettevoie.Etautantdirequ’aprèsavoirabordélesujetaveclesjumeaux,ilsnem’ontpaslaisséenplacerune.Jecroisquel’idéeleurplaîtbeaucoup,vraimentbeaucoup.Jenesaispassiceladoitmerassurer,surtoutquandjevoisversqueltypebourruilsm’ontenvoyée.J’espèrequecen’estpasunevengeanceàlacon,pouravoirfaitsouffrirleurpote,sinonilsaurontaffaireàmoi.Moiaussi jesouffre.J’ensuisd’ailleurs laseuleresponsable.Alorspourexpier, jepassemesjournées à ramer, à avoirmal auxmains et à apprendre à infiltrer de l’encre sous la peau.Celamepermetderemplirmatêted’autrespenséesqueLuietderepousserladouleur…Deux mois sont insuffisants. On aurait pu imaginer qu’habiter loin de tout ce qui me faitpenser à l’homme que j’aime aurait pum’aider à l’oublier.Mais non. Alexandre est commel’encredes tatouagesque jedessine : ilestentrésousmapeau.Jen’aiaucunmoyende l’endéfaire.Croirequejepouvaisvivresansluiétaituneerreur.Croirequejepouvaismeconvaincrequ’iln’étaitpasunhommepourmoi,uneerreurencoreplusgrande!C’estuncasse-têteincessantquinefaitqu’incrusterdesregretsenmoi.Jemedisqu’ilesttroptardet j’aipeurquecelesoit.Jeneveuxpasquecelesoit.

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Sansunmot,jevaismelaverlesmainsaulavabodelaboutique.Dansmondos,j’entendsleronflementdesmachines.Jamieestdéjààl’œuvre.Chris,quiestlàdepuisplusd’unan,aussi.Montourn’estpasencorevenu.Pour lemoment,notrementorm’apprend lesbasesdudessin. Jusqu’àmaintenant, j’agissaisendilettante;retranscrivantmesémotionssurlepapierensuivantmoninstinct.Jamieestlàpour me décrire les techniques : accentuer les ombres, coloriser pour ajouter de laprofondeur.Jepassedesjournéesàretravaillerlessouhaitsdesesclients.Et quand j’ai fini, il reste de marbre. Il m’octroie un « bien » de temps en temps sanss’épancheretmelaisseleprivilègedeprésenterlerésultatfinalàsesclients.Ilneditriendeplus et ne passe pas trois heures à faire des éloges. Même Christopher, après des mois àtravailleràsescôtés,n’enreçoitaucun.Cela faitpartiedupersonnage.Tantqu’il ne soupirepasd’exaspération,ne s’indignepasdenotreincompétenceoun’éclatepasdecolère,c’estqu’ilestassezsatisfaitdenotretravail.J’aiapprisàvivreavec,mêmesiparfoislafrustrationdenepassavoircequ’ilpensepeutsemblerinjuste!

–Salut,Laure,çava?Chris, qui a terminé son client, vient àmes côtés pour retirer ses gants et se nettoyer lesmains à son tour. Son sourire est comme d’habitude, charmeur et accueillant. Le genre dechosequidonneconfiancetoutdesuite.Depuis que nous travaillons ensemble, j’ai découvert un garçon enjoué, plein de bonnesintentions.Iln’apaseuuneviefacile:sesparents,degrandscroyantsdanslapuretraditionchrétienne, n’ont pas vud’un très bonœil que leur fils aîné se noie dans le blasphème. Lestatouages, les soirées avec drogues et alcool, les copains auxmauvaises réputations ont euraisondel’amourqu’ilséprouvaientpourleurfils.Àdix-huitans,ils’estretrouvéàlarueetestallésquatterchezundesesoncles.Àdix-neuf,iltravaillait.J’aiapprisquenousavionslemêmeâgeetquenousentretenionsàpeuprèslamêmerelationpassionnellepourledessin.Illuiaparunatureldemeposerdesquestions,mêmecontremamauvaisevolontémanifeste.J’aidoncenjolivélasituation.Lorsqu’ilm’ademandécequim’apousséeàvenirici,jeneluiaiparléquedereconversionetdevocation.J’aitiréunecroixsurmafamillealors jepréfèrenepas l’évoquer.QuantàcequiconcerneAlex, iln’apasbesoind’ensavoirdavantage.Ilfaitpartied’unjardinsecretquejeprotègepournepasqu’ils’envoletroprapidement.J’ai l’impression qu’en en parlant à voix haute les complications deviendront réelles etirréversibles.J’aipeurd’affronterlaréalité.Jeneveuxpasqu’Alexandrem’échappe.Mêmesic’estcertainementdéjàlecas.À leurmanière, Chris et Jamie participent àma reconstruction. L’un par un début d’amitiéque j’ai envie de croire sincère, l’autre par son professionnalisme à toute épreuve. Ilsmarquent à eux deux mon univers de ces derniers mois et m’offrent un équilibre qui me

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permetdenepastropsouffrir.Vivreaveceuxestrassurant,etmeretrouverseulelesoir,unmoyenderéfléchir.Je saisque jene suisplus l’ancienneLaurequi se laissaitmarcher sur lespieds. Jen’aipluspeurdedirecequejepense,pluspeurderembarrerlesgensquandil lefaut.Jenemetaisplus. Même loin d’Alexandre, je reste beaucoup plus libre. C’est là qu’est le nœud duproblème:maintenantquej’aiconstatéquerienn’avaitchangédepuisquejen’étaisplusaveclui,ai-jeencoreunebonneraisondenepasleretrouver?Il a couché avec Léa. Cette réalité-là, par contre, je ne peux rien y changer. Je soupired’impuissance.

–Laure?m’interpelleChris,toujoursàmescôtés.Iladûmeparlersansquej’yfasseattentionetilrigolemaintenantàcôtédemoi.

–Pardon!m’exclamé-jeunpeuhonteuse.J’étaisdansmespensées.–Pasbesoindepréciser!J’avaisremarqué.

Ilmefaitunclind’œilens’essuyantlesmainspuiss’apprêteàrepartirverslasalleetJamie.Maisils’arrête,setournedenouveauversmoiethésite.

–Qu’est-cequ’ilya?–Jesaisquetuneveuxpast’éparpilleretresterconcentrée,maisjemedisaisqueçate

feraitdubiendesortirunpeu.Jevaisenboîteavecquelquespotes.Jevoulaissavoirsiçatetenteraitdeveniravecnous.Jemarquemonhésitationpourluifairecomprendrequ’ilmeprendaudépourvu,maisaussipour lui signifier que je n’ai pas oublié une discussion que nous avons eue il y a quelquessemaines. Chris attend autre chose de moi. Cela fait deux mois qu’il tente une approche.Depuisquejesuisarrivéedanslesalon,enfait.J’airemarquésesœilladesetsessouriresunpeu trop prononcés. Ilm’a semblé que cela n’avait rien d’innocent alors je n’ai pas attendupourallerversluietluiposerlaquestionenleregardantenface.LaLaurequej’étaisavantAlexn’auraitjamaisfaitunetellechose.Maiscettefois,j’aiassumé,aurisquedepasserpourunefilletropsûred’elleouridicule.Etcelaamarché.Chrisaavouéunpeugênéquejeluiplaisaisetqu’ilauraitaimémeconnaîtredavantage.Pourmoi,iln’enétaitpasquestion.Je luiaidoncannoncé lacouleurclairementetdepuis lemalentenduestdissipé. Je lui ai dit que je ne voulais aucune relation et il a acceptémon amitié.Qu’ilmeproposedesortircesoirestassezinhabituel.Sij’accepte,est-cequejenel’encouragepas?

–Allez,viens!insiste-t-ilenthousiaste.Jeteprometsquec’estentoutbientouthonneur.Et ilyauradespotesavecnous.C’est justeque je tevoisenfermée icibien tropsouvent. Ilfautquetudécouvrescettevillelanuit.Jeluisouris.Cegarçonestd’unegentillesseàtouteépreuve.Ilest,certes,unpeudragueur,maisétantcélibataire, jenepeuxpas luienvouloir. Ilne faitriendemalenprofitantde lavie. Je préférerais cependant qu’il s’intéresse à une autre personne. Je n’ai pas envie d’êtredésagréablelejouroùilinterpréteraundemesgestescommeunsignal.

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Je connais les hommes,même avec une discussion saine, ils peuvent toujours laisser parlerleurs pulsions ! Je sais désormais que je peux me montrer cassante, mais l’être avec despersonnesgentillesnem’intéressepas.Jevaisdoncmemontrerprudente,cesoir!

–Ok, je finis par répondre. Je crois que tu as raison. Cela ne pourra queme faire dubien!Etpuiscommeça,jemedéfouleraiailleursquesurunefeuilledepapier!L’expressiondeChriss’illuminedebéatitudeetunsourireravienvahitseslèvres.Etmerde,jecroisquepourlecôté«nepasalimenterlaflamme»,onrepassera.

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Alexandre

Plusdedeuxmoisontpassé.Jesuiscensétenirencorecombiendetemps,putain?Êtrearrivéjusque-làrelèvedéjàdumiracle!Auboutd’unmois,jenetenaisplusenplace.Durantledeuxième,jesuisdevenuunetornade,etmaintenant,alorsqu’onentameletroisième,jesuisauborddel’implosion.Je fais ce que je peux pour tenir. Je fume clope sur clope et je me noie dans le boulot :enquêtes merdiques, opérations spéciales, arrestations musclées, soit tout ce qui peut memainteniréveillé,m’occuperl’espritetfairepassermesjournéesplusvite.Le soir,quand jene suispasdegardeou tropcrevé, lesgars sortentavecmoi. Je suis sousétroitesurveillancedepuismonincartadedeladernièrefois.Lesjumeauxmesuiventcommedeuxgardesducorpsetdissuadentlesnanasdetentertouteapproche.Leurcomportementenseraitpresquecomiquesijen’avaispasaussimal.Jecontinueaussilesséancesdetir.Vinceacomprismonbesoindedéchargermon impatience seul et sans question.Et quand il se faittard,unefoismamauvaisehumeurdéversée,illuiarrivedenousrejoindreenboîtedenuit,commeaubonvieuxtemps!Les journées s’écoulent lentement, sur un rythme bien défini qui commence à me gonfler.Ellesn’ontpluslamêmesaveurqu’ilyaquelquesmoisetjecrainsdenejamaislaretrouversiletempss’éternise.J’aiessayédefairecequeSarahm’ademandé:medévoilerdavantage.Etquelleconnerie!Mes habitudes n’ont pas trop changé. Ludo et Mickey ne sont ni démonstratifs, niappréciateurs demarques d’affection. Je ne vais donc pasmemettre à leur crier que je lesaime et que je ne veux pas perdre leur amitié ! Cela ne nous ressemble pas. Cela ne meressemblepas.

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J’aidoncdécidédefaireàmasauce:jepasseplusdetempsaveceux.Dèsquej’aiunpeudetempslibre,quejenesuispasembrigadédansuneopérationdélicateauboulot, jepasselesvoiràleurboutiquepourdiscuter,boireunebière,lesécouterjouerunmorceaudeguitare.Sijelefaisaisdéjàauparavant,jemeforceàlefaireplussouventmaintenant.Mais au fond tout cela ne sert à rien. J’ai beaume bourrer la tête d’occupations, de bonssentiments, ou de moments frivoles, cela ne change toujours rien à mon foutu problème :Lauren’estpasprèsdemoi.Plus le temps passe, plus j’ai l’impression quema chance de la récupérer s’amenuise. Sarahrefusetoujoursdem’enparlerlorsqu’onsevoit,lesjumeauxnesontaucourantderien,toutesmesactionssontinutiles.Jemesensincomplet,mêmeaveceux.Depuisquejesaisquetoutleproblèmereposesurunequestionde confiance, je suis chaque jourpluspresséque la veillede luiprouverque jenesuispas ce connarddeMatt.Tout ceque jeveux, c’est elle.Pourquoi endouter?Pourquoiirais-je en espérer une autre alors que tout mon corps ne réclame qu’elle ? Ne l’a-t-il pastoujoursfait,enunsens?Demon côté, je ne doute pas. Je ne veux qu’une chose : la retrouver et être avec elle. Jevoudraisqu’ellelesache.Cesoir,jenedérogepasàmaroutine,j’airendez-vousaveclesjumeaux.Leurprésenceestleseul truc qui me permet de tenir le coup et d’attendre encore un peu, juste un peu. Madécisionestprise,d’iciquelques jours,etquelquesoit l’avisdeSarah, je retrouveraiLaure,mêmesijedoispourcelapasserpardescheminsmarginaux.Elledoitsavoir!Lesdeuxfrèressontentraindediscuteravecdesclientslorsquej’entredanslaboutique.Ludom’adresseunsignediscretdelamainpourm’inciteràl’attendre.Jefaisquelquespasdanslesalon etm’adosse à unmur pendant qu’ils continuent de parler. Ilsmontrent une partie ducorpsdeleurinterlocuteur,prennentdesnotes,ilsfontleurboulot,engros!Jedevraispeut-êtrerevenirplustard,maislasolitudemepèse,alorsjereste.Jem’apprêteàressortir fumeruneclope lorsque finalement le salonsevide.Ludova fermer laportede laboutiqueetMickeym’inviteàdescendreausous-solpourboireuncoup.Nous pénétrons tous les trois dans une pièce où les jumeaux ont installé quelques fauteuilsautour de deux caissons de bois dans lesquels ils fourguent leurs bouteilles. Nous nousinstallons chacun à nos places habituelles, puis Ludo nous sert un whisky sec à chacun.L’alcool apaise un peu les interrogations qui ne me quittent jamais. Je reprends quelquesgorgéespourlesenvoyertrèsloin.Lesfranginsdiscutententreeuxdeleurderniercoupledeclientsquiveutsefaireunepetiteséanceenamoureuxetavoirdesdessinscomplémentaires.Jericane:lesjumeauxvontdevoir

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tatouer deux symboles débiles sur leurs poignets ou leurs doigts. Quant àmoi, je pourraisavoirtellementmieux:cedessinabandonnéparLaurederrièreelle…Le regard perdu dans mes pensées, je survole la pièce. Mes yeux se posent sur les mursremplisde fresques, sur la télé, sur laguitarequi traînedansuncoin, les cahierséparpilléspar terre et le bureau avec leur ordi à côté demoi. C’est vraiment le bordel, ici.Même lasurfacedetravaildelapièceestrecouverted’untasdedessins.Ilyenapartout,pasunseulcentimètredelasurfaceplanen’yéchappe.Cesmecssontincapablesd’êtreorganisés.Jemedemandecommentilss’yretrouventdansleurscommandes!Jemeredressepouradmirerleursœuvres.Ilyenapourtouslesgoûts:duplusglauqueauplusBisounoursdes cœurs.C’estmarrantde voir qu’ils peuvent changerde style commedevéritables caméléons : dépressifs un jour, amoureux transis un autre. Ils réussissent à êtrehabitéspardifférentespersonnalitéssansseperdre.Je divague en regardant les traits qui s’étalent devant moi quand, soudain, un des dessinsm’interpelle par son coup de crayon, son univers, et surtout sa noirceur. Il s’agit d’uncimetière,dans lequel se tientunenfantencapuchonné,pareilauChaperonrougemais touten noir, un ours en peluche sans tête pendant au bout de samain. Il pleut, le sol grouilled’insectes.Etenfond,dessquelettessemblentobserverlascènedecetenfantdeboutdevantunetombe.J’attrapeledessinetleramèneversmoi.Àcôté,lesjumeauxsesonttus.J’admireletracéetle jeu d’ombres lorsque l’évidence me frappe : je les connais. Les touches de couleurdisséminéessurquelquesdétailsfinissentdemeconvaincre.

–C’estquoi,cedessin?demandé-jelecœurbattant,enleurmontrantlafeuillequ’ilsnepeuventlouper.Ludojetteuncoupd’œilàsonfrère.Ilssontsoudaintropmalàl’aisepourquemonintuitionsoit fausse. Je retourne sur ledessin.Mon cœurme fait souffrir. Elle leurparle ?Non c’estimpossible. Pourquoi leur parlerait-elle alors que je ne sais même pas où elle est… Il y aforcémentuneautreexplication.Ildoityenavoirune!

–Vousavezçadepuisquand?continué-jealorsqu’ilsn’onttoujourspasrépondu.Celacommenceàmeparaîtresuspect.

–Depuisquelquetemps,laisseenfintomberLudo.–Quelquetemps?grondé-jeenfronçantlessourcils.Quand,exactement?

Mickeys’approche.–Alex,jenevoispaspourquoitut’énerves.–C’est Laurequi a fait cedessin, affirmé-je sans cillerune seconde.Et vu vos gueules,

c’estassezrécent.Alorsjeveuxsavoircommentvousl’avezeu!Ilshésitenttrop.Ilsmefontchier,putain.

–Ellenousl’aenvoyé.–Envoyé?Commentça,envoyé?

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– Elle nous envoie des dessins de temps en temps quand on lui passe une commande,avoueMickeyavechésitation.

–Vousvousfoutezdemagueule?Apparemment, non. J’abaisse la feuille, soudain furieux de découvrir la vérité de cettemanière.Elleleurenvoiedestrucs…Celanevapasdutout.Jecroyaisgérer.Celafaitplusdedeuxmoisquejemecontrôle,maisapprendrecelacesoirréduittoutesmeschancesderestercalme.Jedoislavoir!

–Elleestoù?–Quoi?s’exclameMickeylesyeuxarrondisparl’inquiétude.–Nemeprenezpaspouruncon!OùestLaure?–Alex…–Elleestoù,putain?jel’interrompsavantqu’iln’ouvresagueulepoursedéfendre.

Ils se jettent un bref regard. Ils le font encore une fois et je claque leur tête l’une contrel’autre.

–Onnepeutpasteledire,annonceMickeyàcontrecœur.–Commentça?C’estquoicesconneries?fulminé-jeauborddepéteruncâble.–Elleneveutpasquetulesaches.–Parcequevousfaitescequ’unefillevousdit,maintenant?

Mickeysegrattelatête.Ludomelancedescoupsd’œilénervés.–Sarahnousafaitpromettre,mec!lancecedernierpeuassuré.–Sarah?Qu’est-cequ’ellevientfoutrelà-dedans,celle-là?

Ilsrestentmuetstroplongtemps.–Attendez, je reprends en commençant à comprendre. Vous voyez Sarah en dehors de

moi?Jesentaisqu’ilsepassaituntrucpasnetentreeux,cesdernierstemps.

–Ludolavoit,répondMickeypleind’amertume.Je prends la nouvelle en pleine gueule. Imaginer un possible rapprochement est une chose.Apprendre que cela va bien plus loin en est une autre beaucoup plus surprenante, surtoutvenantdelapartd’unmeccensétoutmedire.

–C’estdoncSarahquivousmèneparleboutdelabite?Cettefois,jereçoislesuppercutsdeleursregardsfurieuxenpleinetronche.Lesdeuxsontauborddem’encollerune.Intéressant!

–Dites-moioùelleest,jerelancesansperdremonobjectifdevue.–Onapromis,Alex!–Jen’enairienàfoutre!Ilfallaitypenseravantdelaissercedessindansunendroitoù

jepouvaisletrouver,jepoursuisendésignantlafeuilledudoigt.–Onnepensaitpasquetureconnaîtraisl’auteur,ricaneLudo.–Onavaitoubliéquet’étaissacrémentaccroché!Assezpour…

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–Vosgueules!Ludoperd son sourire sournois alors que celuideMickeygrandit. Ils ont conscienced’avoirtouchéunpointsensible.Leurduoestbienrodé,ilssaventtrèsbienmedéstabiliser.J’aijouémes cartes laminuted’avant,maintenant c’est leur tour.Mais ils vont voir que jene rigolepas.

–Sivousnemeleditespas,commencé-jemenaçant,j’iraidanslesfichiersdesflicsetjetrouveraioùelleseplanque.Celaprendraplusdetemps,ceserapluslong,maisj’yarriverai,jevouslepromets.Etensuite,j’iraivoirSarahetjeluidiraiquevousavezcrachélemorceausansaucunscrupule.

–T’esvraimentunenfoiré,vocifèreMickeydemauvaisehumeur.–Alors?continué-jesanstenircomptedeleurremarque.

Les jumeaux se regardent plus longuement cette fois. Parfois, j’ai cette impression qu’ilscommuniquentendehorsdevoiesnormales.Ilsontuneconnexionquepeud’entrenoussontcapablesdecomprendre.Ludoselèveetquittelapièce.Ilrevientuneminuteplustard,unecartedevisiteàlamain.Ilfinitparmelatendre.Dessus:uneenseigne,unephoto,etuneadresse.Londres?

–Elleestchezundenosanciensmentors,annonce-t-ilens’installantdenouveauprèsdesonfrère.

–Unmentor?répété-jesanscomprendre.Çaveutdirequoi?–C’estundesmecsquinousaapprisàtatouer.

Jerelèvelatêteverseux.–Tatouer?répété-jepourbienassimilercequ’ilsmedisent.

Jecommenceàcomprendre.Ledessin,lacartedevisite,sondépart…Laureaplaquétouslesélémentsdesaviequilaretenaientàlapetitefillesagequ’elleavaitété.Elleaenvoyévalsertouslesobstaclesquis’opposaientàsonnouveaudépart.Maismoi,suis-jeunobstacleouunmoteur?Jenedisplusrien,etjelaisselesdernièresrévélationsfaireleurchemin.Finalement,undesdeuxjumeauxsedécideàreprendrelaparole:

–Mec,jecroisquetapetitecopineapasmaldetrucsàteraconter!Je les scrute en silence, puis jeme lève pourm’approcher d’eux en employant la techniquepourfaireparlern’importequelgardéàvue:

–Pourlemoment,commencé-jeavecunsourirepervers,onvacommenceravecvous.Ensuite, jem’organiseraiavec leboulotet j’irai la retrouver.Peu importe le tempsquecelameprendra.Madécisionestprise.Pluspersonnenem’arrêtera.

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Alexandre

Jene connais pas cette ville. Jen’y ai jamaismis les pieds. J’ai justemon sac sur ledos etcettefoutuefeuilledanslamainoùestinscritel’adressedesonsalon.Qu’est-cequiluiapris?Ellenem’ajamaisparléd’untelprojet!Jenesaispascequ’ils’estpassédans sa tête,mais elledevait enavoir réellementbesoinpour se retrouverdans cetteville loin de tout le monde. Depuis quand une fille aussi intelligente se met à avoir depareillesidées?Cequ’ellepeutêtreimpulsive!J’ai envie de rire, cette situation est grotesque. Elle devrait être auprès demoi, pas à descentaines de kilomètres en train de réfléchir. Et je ne devrais pas être là à flipper de laretrouverenfin.J’aimis une heure à rejoindre sa rue et une autre à faire les cent pas en attendant que laclientèle se fasse plus rare. La nuit est en train de tomber. Les lampadaires de la villes’allumentpeuàpeu.Jetraîneencoredevantladevanture,ilrestedelalumièreàl’intérieur.Lestyledelavitrineesttrèssombre,vraimenttravailléetassezattrayant.Celanem’étonnepasqu’elle ait choisidevenir se former ici : elle estdans sonunivers. J’espère justequ’ellevoudrarevenirdanslemien.À l’intérieur, j’aperçois un type traîner. Une quarantaine d’années, les cheveux rasés et lecorpsrecouvertdetatouages : je l’aidéjàvu.C’est luiquiestenphotosur lacartedevisiteque les jumeaux m’ont montrée. Ce type est un de leurs mentors. Un mec qui forme lesnovicesàsonart.C’estunvrai reclus,àcequ’ilparaît. Il travailleseuletn’acceptequedesstagiaireséphémères.J’allumeunenouvelle clopeenm’attardant sur le trottoir. Je saisque les tatoueurs fermenttard, en général. Ils travaillent et vivent la nuit. Je m’attends donc à devoir poireauter

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longtempsavantqueLaurene termine sonboulot.Surtout si l’autregusdécidede jouer lesconnardsetdelagarderaprèslafermeture.Ilmefautencoredeuxclopesavantqueleslumièresdelaboutiquenes’éteignentpeuàpeu.Jetraînede l’autrecôtéde larue,dissimuléà lavuedesgensquisortiraientdusalon,maisavecunevueimprenablesurcelui-ci.Jen’attendsqu’unechose:queLauresorte.Jesensdéjàmoncœurquiseserre.Que va-t-elle penser enme voyant là ? Je revois son visage, son sourire. J’aimerais qu’ellem’accueille de cette façon, qu’elleme revienne.Cette attente a été interminable. Jene suispas quelqu’un de patient. Tout ce que j’ai fait ou pas fait était pour elle. N’est-ce pas unepreuvequeLaureestlaseulequejeveux?Jemefigeenapercevantdessilhouettessortirdelaboutique.Ellessonttrois:letypechauveque j’ai vu déambuler dans son salon, unmec grand assez baraqué en veste de cuir et jeanlarge,etLaure.Bordel!Jerestedansmapositionsansbougeralorsquemesyeuxdévorentsasilhouette.Elleestemmitoufléesousunevestelégèredontlespanssontrabattussursapoitrine,sonstyleestmoinsclassiquequ’auparavant,maisellen’estpastombéedanslegrungeoulegothique.Elleporteunslimquime fait repenseràchaquecentimètredesapeaudénudée,etdesbottinesnoires assez hautes pour ne pas être ridicule à côté du mec qui ne cesse de la regarder.Putain,maisc’estqui,cetype?Les trois collègues discutent. Laure rigole et sourit au plus jeune des deux. Elle remet sescheveux indisciplinés en place sous son foulard. Le patron leur adresse un signede lamainpuis s’éloigne dans le sens opposé en les laissant seuls devant la boutique. Je ne peux pasentendre ce qu’ils se disent, mais le mec se penche vers elle et lui sourit de façonreconnaissablepouruntypecommemoi.C’estquoicebordel?Il la drague, putain ! Devant moi, alors que j’ai fait tout ce trajet pour la retrouver, pourarrêterdefaireleconetluidirecequejeveuxavecelle.Est-ceque j’aiattendutrop longtemps?J’aivoulurespectersonchoix,attendreàm’enfairecrever,etvoilàquejelaretrouveavecunmec–qu’elledoitvoirtouslesjours–quiluifaitdurentre-dedans.J’aivraimentmerdé!Je scrute les réactions de Laure. Je vois ses traits apaisés, ses yeux qui le survolent, et unsouriresincèremaisquines’étendpasfranchementsursonvisage.Ellesembledistante.Maisjeneparvienspasàsavoirsimesenviesparlentàlaplacedemaraison.Jenem’attendaispasàcegenredescène.Est-cequ’elleestaveclui?Letypeposeunemainsursonépaulecommepourlaréconforter,puisill’inviteàavancer.Ellelesuitsansattendre.Je les fileàbonnedistance. Iln’yapasgrandmondedans les rues, jedoismefairediscret.Maiscelafaitpartiedemonmétier.Ilsneremarquentdoncrien.

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Leursmainsnese touchentpas, leurscorpsnonplus.J’ai l’impressiond’assisterà lamarched’uncoupled’amisplutôtqu’aurendez-vousdedeuxamoureux.Maisjeneveuxpasmefaired’illusions.Jeconnaislegoûtdeladéception,maintenant.Ilscontinuentdediscuter.J’entendsmêmeleriredeLaureserépercutersurlesimmeublesdelaville.Celamefaitmal.Celamefaitmêmeunputaindemal!Ellem’atellementmanquéetje la retrouve ici avec ce connard. Elle a l’air heureuse, épanouie. Pourquoi m’aurait-elleattendu?Notrerelationnes’estpasbienterminéeetj’aiétéinfectavecelle.Ils s’arrêtent enfin devant un bâtiment éclairé de néons d’où sort une file d’attente d’unelongueurraisonnable. Ilsyretrouventunebandedetroismecsaussi tatouésque lepremier.Lesgarssefontl’accoladepuisembrassentLauresurlesjoues.Elleal’airdelesconnaîtreetd’êtredanssonélément.Jenesaispassij’aiencoremaplaceprèsd’elle,siellemelaisseraapprocher.Troismois,est-cetroplong?Lapetitetroupes’avanceverslevideur,échangequelquesmotsavecluipuisentreenpassantdevanttoutlemonde.C’estquoi,cetendroit?Enyregardantdeplusprès,jem’aperçoisqueles styles sont à peu près tous pareils : grunges, tatoués et percés. Plutôt original, commeconcept.CelamechangedesboîtestropcoincéesdeParis.J’inspireprofondémentetavanceverslebruitetleslumières.J’ailesjambesquitremblentetunsentimentd’inconfortgrouilledansmonventre.Moncerveauimaginemillescénariosdecequ’ellepourraitfaireicicesoir,decequ’elleadéjàdûfairedepuisqu’elleestici.Celanevapas du tout. Il faut que j’entre dans cette boîte. Peu importe comment, mais je doisl’approcher.J’aitroppeurdecequecetypepourraitentreprendreavecelle!

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Laure

Je suis déjà sortie plusieurs fois avec la bande d’amis deChris. Ce sont de grands gaillardsbourrés d’hormones, mais relativement charmants. Il leur est arrivé de me faire quelquesallusionsgraveleuses,unpeuderentre-dedansetdessous-entendusassezclairsconcernantlebéguin de Chris pour moi, mais en dehors de cela, ils restent relativement sages et trèsgentils. Ilsme font penser aux jumeaux. Enmoins dragueurs, certainement. Ils vivent pourjouer de la musique, se vanner les uns les autres et parler tatouages. Voilà un sujet deconversation sans prise de tête dans lequel je m’immisce volontiers. Je ne les connais pasencoreassezbien,maispourlemoment,jen’airegrettéaucunesortieenleurcompagnie.Comme d’autres fois auparavant, nous avons opté pour cette boîte où se mélangent despersonnes de tous horizons. Nous allons prendre place dans des fauteuils autour de tablesbassesnonloindelapiste.Ladécorationiciestdépareillée:lesassisessonttoutesdifférenteslesunesdesautres, lesmeubles sont faitsdepin,demétaloudeplastique.C’est siabstraitquecelaendevientartistique.Leclub reflète l’imagede laville, c’est cequi faitque jem’ysens bien. Cet esprit, libéré des conventions et des limites,m’inspire. Je n’ai jamais autantdessinédepuisquejesuisdanscequartier.Je bats lamesure avecmon pied. Lamusique aussi est éclectique. Les DJ passent tous lesgenres : hip hop, dance, rock,metal ; et ce sans aucune logique.Mais dumoment que lesbassess’infiltrentenmoi, jenetrouverienàyredire.Etc’estcequ’ilsepasseaprèsquej’aibumatroisièmetequila:jecommenceàmeréchaufferetlamusiques’engouffreenmoipourmefaireondulersurmonfauteuil.Chrisleremarque.

–Tuveuxallerdanser?medemande-t-ilensepenchantàmonoreille.J’ai déjà dansé avec lui à de rares occasions et ses potes nous accompagnaient. Ce soir, ilsn’ontpasl’aird’êtrepartispour.Maisj’acceptetoutdemêmel’invitationdemoncollègueet

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ami.Lerythmeestrock,lafouleendiablée,j’aienviedemedéchaîneràmontour.Noustraversonslasalleetslalomonsparmilescorpsmouvantspourarriversurlapiste.Chrisest lepremieràdanser.Sesyeuxdans lesmiensetsonsourirecharmeur, ilestàunpasdemoi.Soncorpsbougeprèsdumien.Au début, je ne décèle aucune tentative de rapprochement de sa part. Puis le changements’opère,imperceptible.Ilprenddeplusenplusdeplace,àmesurequeseshanchesbalancentau rythmede la guitare. Entre ses bras, je sens la tension grandir. Je sens qu’il voudrait serapprocherencore.Ilhésiteàsecolleràmoimaisn’enfaitrien.Jecontinuedelerepousser.Depuis troismois, je ne lui ai donné aucune chance. Et je ne lui en laisserai pas. Il le sait.J’accepte ses marques d’attention et son amitié, mais lorsqu’il s’agit de plus, je dresse unebarrière.Moncorpsserebiffeetmoncœurseterredansuncoinpourseprotéger.JenepeuxêtreàpersonnesijenesuispasguériedeLui.EtjenesuispasguériedeLui.Jen’enaimêmepas envie. Chaque rêve me renvoie vers son image. Chaque souvenir est imprégné de sonempreinte.Chacundemesbattementsdecœurvibreenattendantquejeleretrouve.Jenepeuxpasdonnerdefauxespoirsàunhommegentiletattentif.Jepourraislefaire,maisjen’enressenspasl’envie,nilebesoin.Jesuisiciavanttoutpourleboulotetpourmoi.Iln’yaqu’unhommequipourraitmefairedévierdeceprojet,maisiln’estpaslà.Les lumières changent, la musique devient plus douce. Chris m’interroge du regard poursavoirsijeveuxcontinuer.Ilnes’agitqued’unslow,non?Pasd’arrière-pensées!Je le laisse approcher, poser ses mains sur ma taille et sa tête contre la mienne. Noustournonsenrestantdanscetteposition,sansnousregarder,sansdireunmot,jusqu’àcequ’ils’écarteunpeu:

–Tuteplaisici?serenseigne-t-ilpourfairelaconversation.Jeveuxdire…vraiment?Ilm’adéjàposécettequestion.Depuis letemps, ilatenuàconnaîtremavieenFrance,m’ademandédesprécisionssur lepourquoidemavenuechezcetatoueurenparticulier.Jesuisrestée très évasive et ne lui ai pas parlé d’Alex, ni de mes goûts vicieux en matière devengeance. Il n’a pas besoin d’en savoir plus. Personne n’a besoin de le savoir. Ce qui s’estpassé avec Léa ou mes parents ne m’affecte plus. Je suis comme Alexandre, leur sortm’indiffère,alorsparlerdeceschosesm’ennuieprofondément.

–Oui.Jetel’aidéjàdit,non?Çamefaitbeaucoupdebiend’êtreloindetout.–Tun’envisagestoujourspasderesterpluslongtemps?–Non.–Tudevraispeut-être.Siçateplaîttantqueça…

Ilmeparaîttropsérieux,toutàcoup.Non,non,non.Ilnepeutpasallerdanscettedirection.Jen’aipasenvoyédesignaux.Qu’a-t-ilcomprisdetravers?

–Jesensquetun’aspasdûvivreuntrucfacileenFrance.Sinontuneseraispasici,loindetoutlemonde.Situasenvied’enparler…Jemecrispe,lesbrastoujoursautourdesanuque.

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–Non.Ilnes’estrienpassé.J’avaisjusteenviedechangerdevoie.Jeluiaidéjàfaitcetteréponse.Pourquoineveut-ilpascomprendrequejenetienspasàenparler?Chrisdoit sentirque jeneveuxpasm’éterniser,car iln’insistepas.Acquiesçantsimplementd’unmouvement dementon, il revient vers moi. Sa tête retrouve sa place au-dessus de lamienne.Lamusiquen’apasreprisunrythmeplussoutenu,alorsnousdemeuronsainsi,tandisquejelesensseposeruntasdequestionssurmoi.Leregardportédroitdevantmoi,jenem’attendrispas.Cegarçonestuncamaradeenjouéetbienveillant,maispaspourmoi.Lorsquejerelèvelatête,mesyeuxseportentdel’autrecôtédelasalle.Jen’auraispeut-êtrepas dû. Parce que c’est là que je le vois : debout, à l’entrée de la piste, lesmains dans lespoches,leregardfou.Mesmusclessetendent,moncorpssefigedanslesbrasdeChris.Alex…

–Laure…Jemesuisarrêtée.Jerêve,n’est-cepas?Iln’estpasvraimentlà?Pourtantc’estbienluiquisetientfaceàmoi.C’estbiensasilhouette,sestraitsquejeconnaisparcœur.Jel’aitellementimaginécesdernierstemps,tellementdessinéàl’abridesregardsdansmachambre.Non,celanepeutpasêtrelui.C’estjusteunespoirirréel.

–Laure?MonattentionsereportesurChris.Aumilieudesautresdanseurs,notrecoupleàl’arrêtfaittristemine.Moncollèguemeregarde,lesyeuxinterrogateurs.

–Désolée.Ilnecomprendpasvraimentmaréponse.Ilsoupireettournelatêteverslebar.

– Je vais nous commander à boire, lâche-t-il pourmasquer que cela l’affecte. Tu veuxquelquechose?J’hésite en l’observant encore un instant, prête à m’excuser une nouvelle fois, puis je meravise.

–Nonmerci,jefinisparluirépondre.Jevaisresterlàencoreunpeu.–Ok.Jereviens.

Ilmefaitunderniersourirepuiss’enva.Jeneleregardes’éloignerqu’unesecondeavantdedétournermonregardversl’endroitoùj’aicruapercevoirAlexandre.Saufqu’iln’yestplus.Etj’aibeauparcourirtoutelaboîtedesyeux,jenelerevoisnullepart.Moncœurcommenceàserévolter:ilacrusadosedeLuirevenueetvoilàqu’ellevientdeluiêtrearrachéebrutalement.L’airmemanque.Commentpuis-jeêtreencoreaussidépendantealorsquejesuisvenueiciseulepourfairelepoint?

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Je tournesurmoi-même, lesbattementsdemoncœursontdevenus incontrôlables.Ai-jeétévictimed’unehallucinationcrééepar lemanque?Queviendrait-il faire ici? Iln’yaaucuneraison pour qu’il soit dans cette boîte. Comment serait-ce possible ? Ce n’est même pasenvisageable!Mespenséespartentenvrille.Jesuisfaible.Moiquiespéraisresterforteenm’éloignant,toutl’inverse est en train de se produire : après trois mois je ne songe toujours qu’à un seulhomme.Ilmetorture jouretnuitetnemelaissepasunesecondederépit.Jesuissoussonemprisedepuisledébut,jenepeuxpaslutter,mêmesijesuisterrifiéeàl’idéequ’ilmefassedumal.Je ferme les yeux, envahie par le besoin de le sentir près demoi. Bon sang, je n’ai jamaiséprouvéuntelvide.Croirequ’ilétaitàquelquespasdemoianéantittoutesmesrésolutions.Pourquoisuis-jepartie?Jen’aipasletempsderemettremeschoixenquestionqueChrisrevient.Maiscettefois,ilsecolleàmondos.Sachaleursediffuseenmoi.Sonsouffles’évaporesurmescheveuxetvientréchauffermanuqueendessous.Jemeretournepourluidemanderdes’écartermaisilnes’agitpasdeChris.Jedoisleverlatêtecarilmesurpasse.Sonexpressionestpresquemeurtrière,sesdentsserrées,sescheveuxdéfaits.Sonregardpassesurmoi,demonvisagejusqu’àmonventre.

–Alex?Ilaccuse lecoup, ferme lesyeuxuneseconde,plaquesapaumeaucreuxdemondosetmerapprochede luipourquemoncorps retrouve saplaceprèsdu sien. J’ai la sensationd’êtreclouéeàunmurdepierre.Sesmuscles,fermesentempsnormal,sonttendusàl’extrêmeparlanervosité.Àmoinsqu’ilnes’agissed’autrechose?

–C’estqui,cetype?demande-t-ild’unevoixdurequimefaitfrémir.Alexandremedévisage,dansl’attented’uneréponsequipourraitluiconvenir.

–Uncollègue.–Tuesaveclui?

Je lesensnerveux,penduàmes lèvresetàcequ’ellespourrontdire. Ilne lesquittepasduregard,commepournepaslouperunmot.

–Non,jerépondssimplement.Samain droite resserre son étreinte. L’autre descend le long demon flanc, surma hanche,s’aventurederrièreetpressemesformescontrelui.Ilestdéjàdur.Sonvisages’estrapprochédu mien, et l’air chaud qu’il expire fortement caresse ma peau. J’ai l’impression qu’il secontient pour ne pas me sauter dessus, sur ma bouche, mes seins et toutes les zones siattentivesàcequ’ilvaadvenirmaintenant.

–Tum’asmanqué…

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Cette fois, sa bouche s’écrase sur lamienne.Nous reprenons notre souffle enmême temps.Nos poitrines se collent l’une à l’autre. Je m’agrippe à lui comme une forcenée alors qu’ilaventuresalanguesurlamienne.Jeneveuxpasqu’ils’arrête.Faitesqu’ilnes’arrêtepas!Alexandrecontinuesonexploration.Ilreprendsonterritoire,marquemabouchedesongoûtetdeladouceurdesalangue.Ilmefaitfondreaucreuxdesesbras.Jen’oseplusrespirer,depeurdedevoirm’écarterde lui,alorsc’est luiqui le fait.Aprèsunbaiserinterminable,ilserecule.Sesyeuxontl’éclatdufeu.

–Viens!ordonne-t-ilpourquejelesuive.Cesimplemotauneffetdinguesurmoi.Dèsqu’il leprononce,moncorpsagitdelui-mêmepourlesuivre.Alexandreenfermesamainautourdemonpoignet.Pressé,ildéambuleàtoutevitessedanslaboîtedenuit.Nouspassonsdevantlebaretmongrouped’amis.JenevoispasoùestChris,maiss’ilétaitentraindemerejoindre,ilnedoitrienlouperduspectacle.Jemesensunpeumalpourlui.MaisAlexandreresteAlexandre.Jeneréfléchisplusquandilestlà.Nousavonstellementdechosesànousdire!Jenefaispasattentionà l’endroitoù ilnousemmène. Il faitsombre,nousarrivonsdansuncouloir assez large, où se trouvent les toilettes. Il ne s’arrête pas etm’emmène le plus loinpossible de la foule. Quelques mètres plus loin seulement, là où la pénombre est la plusdense,ilfinitparmepoussercontrelemurentredeuxportescloses.Enunefractiondeseconde,ilestsurmoi.Mondosheurtelebétonderrièremoi.Ilm’enfermeentresesbras.Sesmainsviennentseposersurmesjouespourm’attireràluietreprendrecequenousavonscommencé.Jen’enpeuxdéjàplusdelesavoirpenchésurmoi.Sonbassinexcitédanseaveclemien.Jesuisenpriseavecunêtredéchaînéetaffamédemoncorps.

–Cen’estpasl’endroit,jeluimurmureentredeuxbaisers.–Jesais.

Ses lèvres reviennent surmoi. Sa langue s’introduit enmoi avec force pour venir lécher lamienne, puis elle longemamâchoire avant qu’Alex ne viennemordrema peau. Il se dirigeensuiteversmonoreillepourengoberlelobe.Je suisenébullition. Je suisparcouruede frissonsetémetsdes soupirs sanscontrôle. Jenesuisqu’unefemmeenmanquedesonhomme.Ilmemanquaitàencrever.Jenesaispass’ilestentraindemeréanimeroudem’achever.Ets’ilrepart?Soncorpscontrelemienmedonnechaud.Jeveuxluiarrachersontee-shirt,sonpantalon,etlelaissermeprendredanscecouloiràlavuedetous.Jenepenseplusqu’àluietàcequ’ilestentraindemefaire.Ses mains reprennent possession de tout mon corps. Elles palpent chaque muscle, chaqueespace de ma peau qui lui a manqué. Ses pouces appuient sur mes seins, ses paumes les

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soulèventalorsqu’ilabaissesatêtepourlesengloberdanslachaleurdesabouche.Matêtepartenarrièreet râpecontre lebéton.Mescheveuxs’électrisent. Ilnes’arrêtepas.Sesdoigts s’acharnent surmespointes tendues,massentmapoitrine, l’empoignentpourmefaireétoufferuncri.Ilsfontensuiteletourdemontorse,descendentlelongdemacolonne.Lesunss’arrêtentsurmesfesses,au-dessusdupantalon.Lesautresdevant,endessous.Ilsedébatunpeuavecmaceinturemaisparvientviteàsonbut.Ilmefaitchavirer.Dèsqueje sens son pouce et son majeur trouver leur place, je bascule plus encore. Je me laisseemporterparcebien-êtrehumideetbrûlant.J’aienviede jurer,denepasmeretenir,maisnotrecachetten’enestpasvraimentune.S’ilyadescurieuxdanslaboîte,ilsnoustrouverontvite.Sa poigne se raffermit alors qu’il m’affronte de son regard dévorant. Son pouce sur monclitoristourneàn’enplusfinir.Sonautredoigtenmoisecourbeetmerendavidedelui.Jesensdéjàlatensiongrandissantequipréparesonexplosion.

–Alex…tenté-jedel’appelerpourlerameneràlaraison.–Jesais.Pasici.

Il semet à rire en revenantmordiller les veines dansmon cou. La vibration qui sort de saboucheparcourtmoncorpsencorejusqu’autréfondsdemondésir.C’estdinguel’effetqu’ilpeutavoirsurmessens!Encinqminutesetàpeineunregard,jesuisdéjààsamerci.Riennevaplus.Monbassinbougetoutseulenrecherchantsoncontact.Mesyeuxsefermentpour apprécier chaque sensation alors que la vaguedéferle.Demes reins àmanuque,mespoils se hérissent. Un spasmeme fait l’attraper pour le tirer versmoi et l’embrasser. Je lemordspendantquel’orgasmesecouetoutmonêtredesaférocité.Alexandre laisse sa main à sa place sur mon intimité, attendant que mes tremblementss’estompent.Ilmetientcontrelui.Sonnezpartsousmescheveuxetplongepourmerespirerdetoutsonsoûl.Lorsquejereprendsmesesprits,jemeredresseenfinpourl’admirer.Ilsourit,contentdelui,commelesalegossequ’ila toujoursété. Il récupèresesmainset faitunpasenarrière.Sonabsencemebrûledéjàetillesait.

–Iln’yaquemoiquitefaisceteffet-là,annonce-t-ilarrogantetprétentieux.Nel’oubliepas!Ilmeregarde,prêtàfaireunpaspourpartir.Ilvapartir?

–Jereviensdemain!Sapromessedoitêtresuffisantecariln’enditpasplus.Aulieudecela,ilposeseslèvresunedernièrefoisàlacommissuredesmiennesetsortdececouloirenmelaissantadosséecontrecemur,encoredébraillée,lesjouesrougiesd’avoirprismonpied.

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Je suis essoufflée et sonnée, vibrante et frissonnante. Mon corps se réveille. Mon cœur seremetàbattre.J’avaisoubliécettesensation.Ilrevientdemain…Qu’est-cequ’ilentendparlà?Jesuissiimpatientedeledécouvrirquecelamefaitpeur.

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Alexandre

Pourquoime suis-je barré ?Ne devrais-je pas être en train de lamarquer et de tout tenterpourlafaireredevenirmienne?Non.Foutueconscience.FoutueSarah!Jedoisluilaisserletemps.Jenedoispasimposermaprésencesiellenelaveutpas.Jepassemesdoigtssurmaboucheetmonsourirevictorieuxdevientcarnassier:ellelaveut,iln’yaplusdedoute.Maisdébarquerdecettemanièreétaittoutdemêmeuneconnerie.Lauredoitencoreêtrefragileetvoilàquej’arriveenmettantlespiedsdansleplatsansdétour.Quelcon,putain!J’espèrequedemainellenebaliserapasetqu’ellenemebalancerapasquec’étaituneerreur.Sinonj’auraivraimenttoutfoiré.

–Alex!Savoixpassepar-dessuslamusiquepourm’appeler.C’estbonsigne,non?Jeme retourne et la cueille alors qu’elle court versmoi. Sesmains s’agrippent àmes brascommepourmeretenir.Ses jouessontencorerougesdesonorgasme,ses lèvresgonfléesetunpeuérafléesparmabarbe,quantàsescheveux…Unaveuglepourraitvoirqu’ellevientdeprendresonpied.

–Pascesoir,jeluilancepourtouteexplication.Jerestesurmalignedeconduite.Jel’aidéjàsuffisammentenfreintepourcesoir.Ondevraitdéjà discuter. Je devrais lui dire ce que je ne lui ai pas encore dit.Mais je ne le ferai pascommeça,pasenpleineboîte.J’aimerdé.Lavoiravecceconnardm’afaitdisjoncter.Jen’aimêmepascherchéàlutter,c’étaitimpossible.

–Maispourquoitueslà?insiste-t-ellesansmequitterdesyeux.–Jevoulaistevoiràtonboulot,puis jevousaivussortir.Jecroisquej’aiunpeupété

lesplombs.

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–J’aurais faitpareil ! répond-elleavecunsourireeffronté,encomprenantceque je luidis.Moncœurestincontrôlabledansmapoitrine.Iln’ajamaistantcogné,sivite.

–Jenesuispasvenut’arracheràtasoirée,révélé-jeenmereprenant.Jevoulais…Ellemeregardedesesyeuxdebichepleinsd’espoirquimefonttournerlatête.

–Jevoulaisjustevérifieruntruc.Laure se met à rire plus franchement tandis que je me gratte la nuque. J’ai vraiment étéimpulsifsurcecoup-là…etjalouxànepaspouvoirmeretenir.Samainseposesurmajoue,sonvisage se rapproche. Laure vient prendre ce qui lui appartient. Ma bouche s’ouvre sur lasiennepourl’accueillirplusprofondément.Encoreune fois, je nepeuxm’empêcherde la presser contremoipour qu’elle sente chaquepartiedemoncorpsenattentedusien,enmanquedesadope.

–Demain,jeparviensàluisoufflerenl’éloignantdequelquescentimètres.Jenesaismêmepascommentjefaispourmerefuseràelle.

–Etsijeneveuxpas?boude-t-elleavecsesyeuxaccrochésauxmiens.–Laure…–J’aipeurquetudisparaisses,dévoile-t-elleensuite.–Non.

Je ne veux plus qu’elle doute. Il n’y a aucune raison. Elle doit juste attendre un peu. Je neveuxpasl’obligeràmesuivrecesoir.Mêmesiellen’apasl’airdebeaucoupmerésister.Ondoitfaireleschosesbien.Pascommeavant.Ondoitdiscuter!Jeluiserrelataillepourlarassurer.

–Jereviensdemainàtonboulot.Tufinisàquelleheure?–Vingtheures.–Vingtheures?

C’est vrai, j’avais oublié la foutue vie décalée des tatoueurs. J’expire profondément. Il vaencoremefalloirêtrepatient.

–Ok.Jeviendraitevoirdemainsoir,àvingtheures.Çateva?–Oui.

Faisantabstractionde tout le reste, elleme suit jusqu’à la sortie.Quandonyest, elleadumalàmelâcher.

–Demainnousauronstoutletemps,assuré-jeleregardtendre.Jetelepromets.Samainmelâcheenfinetelleacquiesce.Jel’embrasseencore.Jesenssonodeurpendantquenos bouches se cherchent et se rejoignent. Puis je m’écarte pour affronter l’air frais duprintemps,àl’extérieur.

–Alex!appelle-t-elledenouveau.Jemeretourneunedernièrefoisenpassantlaporte.

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–J’aimequandtuesimpulsif!déclare-t-elleavecuneexpressionfiévreusesurlevisage.Je souris commeunconaumilieude la ruealorsqueLaurem’adresseundernier regardetrepartàl’intérieur.Jen’aiplusqu’àmetrouverunhôteletàrêverd’ellelerestedelanuit.

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Alexandre

Jesuispostéaumêmeendroitquelaveille,lesnerfsplusàvifencore.Jefumeuneclopeenscrutantl’intérieurdusalondetatouage.Letypechauveesttoujoursdanssaboutique,affairésur une cliente, à ce que je vois. L’autre tête de nœud est penché par-dessus son épaule etl’écoutedéblatérer. Ila l’air trèsattentif, ilestsûremententraind’apprendreunetechniquebienprécise.JenevoisLaurenullepart.Jepatientequelquesminutesdeplusaprèsquemacigarettes’estéteinte,maisellen’apparaîtpas.J’espère qu’elle est encore à l’intérieur, parce que j’ai bien l’intention de marquer monterritoire.Cetypedoitsavoirqu’ellen’estpasdisponible.Jesuislàpourelleetaucunmecnepourram’arrêter.Jem’avancedoncvers l’entrée l’air sûrdemoi,mêmesienréalité jenesuisqu’unamasdestress.Cequ’ils’estpasséhiersoirestloindem’avoircalmé.Jelaveux.Jeveuxnefaireplusqu’unavecelle.Uneclochetinteàlaportelorsquejelapousse.L’intérieurestringardetassezbruyantpourmefairegrimacer.Oùsuis-jetombé?PourquoiLaurea-t-ellechoisicetendroit?J’espèrequelevieuxn’estpasunqueutardquiamatéLauretoutaulongdesaformation.

–C’estpourquoi?demande-t-ilenmejetantuncoupd’œilfurtif.Cetypenes’encombrepasdechichis.J’aimebien!

–JeviensvoirLaure…Cecoup-ci, lemec se redresse. Ilmedétaillede la têteauxpieds,puis, commes’ildécidaitquecelan’apasd’importance,ilhausselesépaules.

–Salledufond,prononce-t-ilensedétournantdemoietenreprenantsontravail.Mickeyavaitraisonenfaisantsadescription:cetypeestunours.C’estdoncsansescortequejeprendsmesmarquesdanslaboutique.

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Avantdebouger, je capte le regardqueme jette l’autre abruti. Il fronce les sourcils et a lamâchoire contractée. Ilm’apeut-être vuhier soir avecLaure. Intérieurement je le souhaite.Decettemanière, il sauraaumoinsquemes intentionssontsérieusesetque jenereculeraipasdevantsonairdepitbulldéfendantsonos.Jetraverselaboutiquejusqu’àlaportedufondquej’ouvresanshésiter.Jemeretrouvedansun couloir où débouche un escalier et qui dessert deux pièces. J’avise la porte le plus enretrait,légèremententrouverte.Unraidelumièrem’indiquequeLauredoiteffectivements’ytrouver.Lorsque j’entrouvre le battant le plus lentement possible pour ne pas faire de bruit, je ladécouvre penchée au-dessus d’une table à dessin. Ses longs cheveux noirs sont épinglés enhauteur sur sa tête. Elle porte un haut ample qui tombe jusqu’à mi-cuisse. Elle est assise,recourbéeversl’avant,unedesesjambespliéesouselle,etsoncrayonnequittepaslepapieruneseconde.Sonfrontestplisséparlaconcentration.Ellenem’entendpasrefermerlaporte,niapprocherenrespirantplusfort,submergéparcequejeressens.J’auraisdûvenirplustôt.Larevoiraprèstoutcetemps,alorsquejen’aifaitquepenseràelle,mefaitimaginertouslesmomentsensemblequenousavonsmanquésparmafaute.Moncorpsestunbourbierdesentimentscontradictoires.Jevoudraismejetercontreelleetlapunirdem’avoirtenuàl’écartdecettefaçon.Jevoudraisluibalancersesquatrevéritésetmebarrerpourqu’ellemesuppliederester.Maispar-dessus tout,àcet instant, jeveux juste laregarderetneplusjamaislaquitter.Je suis incapable de détourner le regard, incapable d’ignorer ses épaules dénudées, sa finepoitrine et son cou dégagé où se perdent quelques mèches folles qui effleurent sa peaublanchechaquefoisquesatêteserelève.Je sais qu’on s’est quittés violemment il y a quelquesmois,mais c’est comme simon corpsreconnaissait sa moitié, comme si je retrouvais la place qui me revient après ce cheminchaotique:àsescôtés.Hiersoirenétaitbienlapreuve!Sansunbruit, lesyeuxrivéssur lacourbedesonépaule, jem’avanceencore.Moncorpsesttendu,mesmouvementsraidestandisquejemepencheau-dessusd’elle.Meslèvrespartentàlarencontredesonépiderme.

–Jen’aijamaisététrèspatient,jemurmureàsonoreille.Tulesais,non?Mabouchesepromèneenbasdesanuque.Ellenesursautemêmepas.Ellem’attendait.

–Alex…Lanuitl’a-t-ellefaitréfléchir?Regrette-t-elledes’êtrelaisséealler?Jesuisenattente,suspenduàseslèvres,àsesmots,àcequ’ellepourraitmedirepouressayerdemefairefuir.Jeneveuxplusjoueràcela.Jeveuxêtreavecelle.Jeveuxarrêterdefairelecon.Jel’aidéjàbientropfait.Oùcelanousa-t-ilmenés,àpartloinl’undel’autre?

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Jeneveuxplusêtreloindetoi.–Jen’aipascouchéavecLéa.

Jeneluiaipasdithiersoir,cen’étaitpaslelieu,nilemoment.Ici,etalorsquejesuiscalme,ça l’est.Celane ressemblepas encore àunegrandedéclarationmais ce sont les seulsmotsquejeparviensàarticuler.Sonexpressiontrahitsonsoulagement.Toujoursassise,elleenfouitsatêteentresesmainsetselaissealler.J’entendssessanglots.Jevoissoncorpstremblersouslapeine.Mon cœur manque un battement. Il faut que je sache si ce qui existait entre nous il y aquelquesmois n’est pas définitivement perdu. Jem’accroupis face à elle et rapprochemonvisage jusqu’à sentir son odeur envoûtante. Je tombe ensuite à genoux, comme pour lasupplier,enréduisantencorel’espaceentrenous.Laurenerelèvelesyeuxpourmeregarderque lorsque je dépose un baiser tendre sur son crâne abaissé. Ses larmes sontmagnifiques.Sonémerveillementrépondaumien.

–Jen’aipascouchéavecStéphane,répond-elleenéchoàmonaveu.–Jesais.Maispourquoitum’asmenti?–Pourtefairepartir.–C’étaitstupide.–Jesais.

Jecroyaisluienvouloir,toutcommejecroyaispouvoirguériretmedétacherd’elle.Maiselleapénétréchacunedemescellulesdepuisbienlongtemps.Celaneservaitàriend’espérermedéfaired’elle.

–Jesavaisquecesdeuxmorveuxcracheraientlemorceau,lance-t-elleavecunsourireàtomber.

– Si tu leur as dit, c’est que tu le voulais, non ? Sinon tu aurais demandé conseil àquelqu’und’autre!

–Jecroisquej’espéraisquetut’accroches.–Jenetelâcheraipas.Tul’asbienvuhier.

Unairraviilluminesonvisage.Laureestsublime.Sonvisageencerclédemèchesbrunes,sesprunelles châtaigne brillantes de ses larmes taries, elle me transperce de sa grâce. Sansmaquillage,ellemedonnel’impressiond’êtreencoreplusaccessible.Elleafaitfidesartificesqui luipermettaientdemaintenir ladistance.Et celameplaît. Jevoudraisêtreencoreplusproched’elle.Maisavant,j’aibesoindesavoiroùelleenest.

–Alors…Tuenesoù?Est-cequej’aigrillémeschancesdeteretrouverhiersoir?Ellefronceunpeulessourcils.Jeluicaresselegenou.

–Jevienstroptôt?continué-je,letonincertain.

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Jeneledispasmaisjesuismortdetrouille.Etsielleavaitfinalementdécidéquejen’étaispasl’hommequ’elleattend,quejen’envauxpaslapeine,quejenelaméritepas?

–Non.–Non?

Ellenecontinuepas,maissurseslèvres,jediscerneunpetitsourireencoin.Elleestentraindesefoutredemagueule!

–Troptard?jetentealorsenrefusantcetteéventualitéd’avance.Lauremesouritplusfranchement.

–Non.Jecroisquec’estpourmoiqu’ilesttroptard.Depuislongtemps.Jen’aipasarrêtédepenseràtoi.Mon cœur se gonfle d’une grande bouffée d’oxygène. J’ai l’impression de réapprendre àrespirer.

–Pourmoiaussi, assuré-je sans laquitterdes yeux. Je te l’aidit, Laure. Je t’aidit quej’étaisfoudetoi.Jen’ai jamaisregardéuneautrefemmecommejeteregardetoi.Commentas-tupucroirelecontraire?

–Après ce qu’il s’est passé avecMatt, puis avec Stéphane ceweek-end-là, tout ce qu’ils’estpasséautourdecettevengeance,jecroisquej’aiperduconfianceenverstoutlemonde.Et en toi aussi. Avec notre passif, et même si c’était trop tard, je ne voulais pas tomberamoureusedans cette situation.Etpuis…continue-t-elle en réfléchissant, il yaeu l’épisodeLéa.Jecroisquecelam’aachevée.Jesaisquec’étaitstupide.Aprèstout,tuétaiscenséfairecequejet’avaisdemandé,maisj’espéraistoujoursquetumeprouveslecontraire…Ellesoupireetfermelesyeux.Ellerepensesûrementàcesmomentsdouloureux,remplisdedoutes.Sijen’avaispasfaitlecon…

– Tu aurais dûme le dire, pour Léa, reprend-elle. Je… j’aurais peut-être fait un autrechoix.Etsurtout, jenet’auraispasmentipourStéphane.Alorsque là, lablessureétait tropprofonde,jedevaismeprotéger.

–Jesais,jel’interromps.J’aifaitlecon.Ellerit.

–Oui.Onvadirequec’estparcequetun’espasdoué.Nousnousregardonsdurantunlongmoment.Iln’yaplusdenon-dits,d’attentedésespéréeoudechoixinutiles;justeelleetmoi.Etmesputainsdetripesquisebarrent.C’est elle qui fait le premier pas. Ses deuxmains glissent surmes joues puis autour dematête.Ellevientposersabouchesurmeslèvresentrouvertes.Lauremeserrecontreellealorsquenoslanguess’entrechoquent,secherchentets’enlacent.

–C’estsibon…Cebaisermedonnelasensationderéapprendre legoûtdeschoses.Letempss’estsuspendupendant son absence. Ici etmaintenant, elle redonne vie àmon univers. Et c’est tellementenivrant,explosifetlibérateurquejeneparviensplusàm’arrêter.

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Alors je fais ce que je connais demieux : attrapant samain je l’attire versmoi. Sa bouchetoujourscolléeàlamienne,jem’allongeàmêmelesoletlaplacesurmoi.Unemainsursesreins,l’autresurunefesse,j’empoignesachairpourluifairesentirque,aprèstoutcetemps,rienn’achangé.

–Ilvafalloirremédieràceproblème!semoque-t-elleenmesentantsouselle,seslèvresdéviantlelongdemamâchoire.Lesgenouxplantés sur le sol,ellemesurplombeet se frottecontremoi.Elle s’attisecontrema queue bandée et ne retient pas son premier soupir. Mon bassin bouge se met enmouvementdèsquelesienpèseplusfortement.Jelelève,jetrouvel’angleidéalpourqu’ellesentetouteslestensionsdemoncorpspourelleetluisourisavecinsolencepourluiprouverque,moiaussi,jepeuxjouer.Sesva-et-vientmefontperdrelatête.Jeluimordslalèvrequandjeretrouvesabouchealorsqu’ellesourit,fièredemerendresiaccroàsoncorps.Jedoisreprendrelecontrôle,jelafaisdonc basculer et me place sur elle, entre ses jambes écartées. Je l’imite, refais les mêmesmouvementslascifsentresescuisses,pourlafairechavirer.

–Onafaitmieuxcôtéconfort,lance-t-elleavecunclind’œil.Jeme redresse etmesyeux font le tourde lapièce, à la recherchede cequipourrait faireofficed’oreiller.Maisjen’aipasletempsdem’appesantirquedéjàellesemarresansretenue.

–Continuecequetuétaisentraindefaire,ordonne-t-elled’unevoixenrouéededésirenm’attirantdenouveaucontreelle.Jereprendssabouche,remetsmaqueueenplacesurelleetobéis,denouveauconcentré,denouveau au bord de l’explosion. Laure est le déclencheur de mon désir. La pulsation quidérèglelapartitionquejouentlesbattementsdemoncœur.Etmêmesijedonnel’impressiondetoutmaîtriser,jenesuisqu’unpantin.J’agispourleplaisirqu’ellelaissetransparaîtredanschacundesesgestes,danschacundesessouffles,danschacundesesbaisers.Sa têtepartenarrièreet son torse se tendaumomentoùunedemesmainsseposesur saceinture, puis sur l’unique bouton de son short. Je l’ouvre. Le dos demes doigts caresse sapeaupendantquej’écartelespans,puisl’abaissesurlehautdesescuisses.Elleporteuntangablanc, toutendentellemêléederubans :unsous-vêtementpasdu toutadaptéauxgentillesfilles.

–Pourquiest-cequetuportesça?Elle rigole au-dessus demoi avant de commencer à gémir lorsquemes lèvres se posent ausommet de son aine et font de tendres allers-retours de droite à gauche sans la quitter duregard.Sa peau chavire à son tour. Elle se teinte de reliefs sous l’éraflure de ma barbe etl’effleurementdemabouche.Jel’attiseenladéshabillant.Meslèvressuiventletrajetdeson

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vêtement.Jedescendsdesacuisseàsongenoujusqu’àsachevillepuisremontesursonmolletpourlamordiller.Elleretientsonsouffleenmevoyantrevenirplushaut.Cettefois,jen’hésiteplus:jeparsladévorer.Mabouchesurseslèvreshumides,j’enfouismonnezcontresapeaupourlarespireralorsquema langue lagoûtedenouveau.Sesbras seplaquent sur le sol, soncorps s’arquelorsquejetraceunelignedebasenhautentresesplis.Sespremierscrisrésonnent,lorsquejem’enfoncepourrécoltersasève.Sesonglesnepeuventqueraclerlebéton,sespiedspointentsurlasurfacedure.Làoùellesetrouve,iln’yaplusdeplaceàl’inconfort,plusdeplaceauxdoutes.Jesuisentraindeluimontreràmamanièreàquelpointellecompte.Je reste dans cette position, le sexe tendu à m’en faire mal dans mon jean tandis qu’ellem’offresoncorpsàdeminu.Malangueparcourtchaquerecoindesonintimité.Jenem’arrêtepas,surtoutlorsquejelasensperdrepied.Quandsesjambessetendent, jepassemesmainsen dessous, replie ses genoux et colle ma bouche un peu plus jusqu’à ce que mon nomfranchisseseslèvresdansunhalètementsuivid’unspasmefoudroyant.Je ne lui laisse pas le temps de se reprendre, ou de se calmer. Mesmains partent d’elles-mêmes soulever sa blouse pour découvrir son ventre creux, le galbe de ses seins sous sonsoutien-gorge.À travers lesmêmesrubansqueceuxque j’aidécouvertsplusbas, j’attrape lapointedesesseinsentrelesdents.Encore sous l’effet de l’orgasme, Laure gémit de nouveau etme réclame. Je remonte alorsjusqu’à sa bouche pour lui donner ce qu’elle attend : ma langue effleurant la siennelangoureusement,lerenflementdemonjeannichéaucreuxdesesjambes.

–J’aienviedetoi,souffle-t-elle,haletante.Je lanargueenmeredressant.Jeprendsmontempsetne luidonnepascequ’elleréclame.Ellesemetalorsentêtedemefaireflancher.Ellerelèvesachemiseetlapassepar-dessussatête. Sesmains se nouent ensuite dans son dos et une seconde plus tard son soutien-gorgevaldingueà travers lapièce.Elles’étirecommeunchatonenm’hypnotisantpar l’ondulationdesesseinsetdesonventrelorsqu’ellerespire.Je retire ma veste et envoie valser mon tee-shirt. Son sourire s’agrandit face à mon torsedécouvert.Ellelèvelamainpourtouchermonventrelorsquejel’intercepteetlaposesurlaboucledemaceinture.Nosyeuxfiévreuxs’affrontentdansunduelsensuel.Ellesaitqu’elleadéjàgagné.Jelevoisàsamineréjouie.Maissonregardrecèleégalementuneflammequejeconnais.Laurebrûlededésir.Cequejeviensdeluidonnern’étaitqu’unavant-goûtetelleenveutbienplus.Ses doigts et lesmiens s’entremêlent pour défairemon pantalon à la hâte. Jeme défais demon boxer et sa paume s’enroule autour dema verge raide. Elle la serre dans une chaleurdouce,descendetremonteplusieursfois.Ellem’arracheunmurmurerauqueetdéclencheunincendiedansmapoitrine.

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Quand je n’y tiens plus, je bascule de nouveau au-dessus d’elle. Nos peaux s’électrisentlorsqu’ellessefrôlent.Sescuissess’écartentsouslesmiennes.Laurerespirefaiblement,elleestausuppliced’attendrelasuite.J’aidumalàmeretenir.Maqueueestcontreelle,contresonantrebrûlantqu’ellenecessed’ondulerpourmefaireperdrelaraison,maisjelaregardesansciller.Ilfautqu’ellesache!

–Jeneveuxquetoi,Laure!Des larmes de joie s’aventurent dans ses yeux quand elle prend conscience de ce que je luidéclare.Ellenerépondpas,c’estinutile.Jenetiensplus.Toujoursaccrochéàsonregardetàsabeautésansartifice,jeplongeenfinenelle.Jesavaisquerienn’auraitchangé,mais l’effetdenosretrouvaillesdécuplemonplaisir.Sachaleurm’enflamme,m’embrase,meconsume.Pourquoiai-jeattendu tantde temps sanselle?Je savoure sesparoisétroiteset contractéesautourdemoi.C’est lemeilleur shootde toutemavie,lemeilleurfrissond’angoisse,lameilleureadrénaline.Jem’enfonceenelleenfaisantdurerchaquemouvementpourqu’ellemesente.Jeveuxsaisirtoutcequ’elledéclencheautourdemoi.C’estàn’enpluspouvoirmemaîtriser.J’accélère.Coupsdereins,morsures,soupirs,jenefaisplusattentionàcequejefais.Jesaisjustequ’elleestavecmoi,quejesuisenelle,etquejen’aiplusenviedem’endécrocher.Alors,pourintensifiersessensationsetqu’ellequittelaréalitéàsontour,jemeredresseet,unemain dans sondos, je l’assois surmes jambes alors que jeme laisse aller en arrière etmonbassinreprendsesondulations.Ma déesse se découvre sirène. Les vagues de son corps obstruent ma vision. Ses mainstrouventrefugedanssacrinièrequ’elledéfaitenfin.Ellebasculelatêteenarrière,lapoitrinevers l’avant et m’offre le plus envoûtant des spectacles. Elle est délicieusement contractée,mouillée,serréeautourdemaqueueemprisonnée.Mesbraslagardentprèsdemoitandisquejemepenchepourdégustersapeautranspirante.Elledevientsaléesousmonpalais.Ellequiestsisucréebienplusbas.Iln’yaplusriendetendredansnosgestes.Mesdoigtss’écharpentdanssondos.Sesdentsmerâpent l’épauleet le lobede l’oreille.Sesongless’enfoncentdansmondoscommemavergeenelle.

–Jenevaisplustenir,Laure.Sabouchefonddenouveausurlamienne.Salanguedéclenchelesderniersfrissonsembrasantmes reins jusqu’à ce que je n’en puisse plus. Nous nous contractons enmême temps, peaucontrepeau.Torsesetmainsplaqués,bouches l’unesur l’autre,noscorpsse répondentsansparler.J’entendssonsouffleàmonoreille.Jesenssoncœurquiexplosecontremapoitrine.Nousrestonsainsi,ellesurmoi,pendantdesminutesquis’écoulentbientropviteàmongoût.Lerythmedenospoulss’apaiseetnousramèneàlaréalité.

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Jel’écarteunpeudemoipourlaregarder.Elleaencoresonsourirestupideetunpeuniaissurlabouche.Ellemefaitmarrer.Ellemesertlajeunefemmenaïvedanscesmoments-là?

–Jesuisfoutusanstoi,jeluidévoilesanschercheràlecacher.–Etmoisanstoi,répond-elleheureuse.

Lesoldansmondosestinconfortableetfroidmaisellemeréchauffedesapeaucontremontorse.Soncorpsbouillantestsculptésurlemien.Jerefermemesbrasautourd’elle:unsoussatêteetl’autresursataille,pourlareteniretqu’ellenem’échappepas.Jesuistoujoursenelle,jeneveuxpasensortir.Jenevoispassiellealesyeuxfermés,maissarespirationdevientlenteetapaisée.Jedevraisla laisser se reposer.Mais j’aibesoinde savoir cequ’elle ressent,d’en savoirplus sur saviemaintenant.

–Alors,c’estcomment,ici?questionné-jelecœurserré.Lauresecaleunpeupluscontremoi.

–Solitaire!Mais j’aiapprisdenouvellestechniquesdedessinet lespremièresbasesdutransfert.Letondesavoixmetransmetsonengouement.–Alorsc’estcequetuveuxfaire?

–Oui,répond-ellesanshésitation.Jecroismêmequelesjumeauxattendentmonretour.–Ilsnesontpaslesseuls.Jen’aiplusenviedetelaisser!–Tuvasdevoirrentrer,pourtant.

Jegrimace.Jen’enaiaucuneenvie,encoremoinsmaintenantquejel’airetrouvée.Commesielle sentait ma tension soudaine, Laure relève la tête pour me regarder. Quand ses yeuxentrentencontactavec lesmiens,moncœurrepartcommeunfoudansmapoitrine.Jen’aiaucunmotassezpuissantpourdécrirecequ’ellemefait.

–Ilnerestequequelquesmois…–C’estbientroplong!

Ellesemetàrireavantdevenirm’embrasser.–Tun’aurasqu’àprendredesdouchestrèsfroides.–Pourquoiest-cequejesensquetunevaspasmelaisserdormirtranquille?–Parcequec’estbienplusdrôledetefairelanguir…–Tuesvraimentunevilainefille!ricané-je.

Maqueuesegonfledenouveaudans saprisonchaude.Gémissante,Laure ferme lesyeuxetsoupire.

–Ettoiunsalegosse!Jecroisquenoussommesprêtspourunsecondround.

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35

Alexandre

Jeme sens serein, ankylosé et l’esprit comblé pour la première fois depuis desmois.Moncorpsetmoncœurrespirentà l’unissonalorsqueLaureestallongéeàmescôtés,entremesbras,satêtereposantsurmapoitrine.Insensible aumonde extérieur et au fait quenous sommes sur son lieude travail, elle s’estendormie surmoi. Jene saispasdepuis combiende temps,maisalorsquecelanedoitpasêtre une position des plus agréables, elle s’est laissée emporter, le sourire aux lèvres, sonespritaussiapaiséquelemien.Ellemel’aavouéavantdefermerlesyeuxetdetomberdanslesommeilcommesiellen’attendaitqueceladepuisdesmois.Je reste dans cette position sans bouger. Je n’ai pas envie demedéfaire d’elle nimêmedem’écarteruneseconde.Maisj’aibienconsciencequ’illefaudrait.N’importequipeutentrericietnoustrouver.Etpuis,jelasensfrissonneralorsquesoncorpsserefroidit.

–Laure…Ellebouge,replacesatêtepourfinalementouvrirlesyeuxetlesleverversmoi.

–Salut!lance-t-elled’unevoixendormie.Elleétiresesorteilsglacéscontrelesmiens.

–Jedorsdepuislongtemps?– Non, je lui réponds en resserrant mon étreinte. Mais tu as froid, et ton patron va

certainementsedemandercequetufais.Ellehausselesépaulesavecunsourireàtomber.

–J’aifinidebosser.Ils’enmoquedecequejepeuxfaire.Dumomentquecelan’entravepasmonboulotoun’apasd’incidencesurl’imagedesaboutique,jefaiscequejeveux.Mesyeuxinspectentlapièce.Enplusducoinbureauoùelletravaillaitlorsquejesuisarrivé,je repère un coin cuisine avec plan de travail, un évier et une table à manger. Un espace

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détente?–Tuvisici?jelaquestionneaprèslecheminementdemaréflexion.–Àl’étage.Nousavonschacunnotreespace.–Tum’emmènes?

Laurerayonne.Je l’airarementvuesidétendue.Lesraresfoisoùc’estarrivé,elleprenait lepouvoirsurmoietbrillaitparsonaudaceetson insouciancedumondeextérieur.L’effetestunpeulemêmeici:quelaportenesoitpasferméeàclefetqu’ellesoitnueàmêmelesolnelagêneenrien.La menace de sa vengeance ne plane plus. Les non-dits ou les plans qui pourraient nousséparer n’existent plus. Je ne veux qu’elle, sans faux-semblants, et je veux que ce soitréciproque.

–Suis-moi!Nous nous relevons d’un même mouvement. Totalement nus l’un et l’autre, nos regardss’attardentsurnoscorpsdécouverts.LesouriredeLaures’épanouit,lemiensefaittentateur.Je connais chaque recoinde sa silhouette, j’ai goûtéauxparcellesdissimuléesde ses chairs,pourtantlavoirsiaccessibleinondemespenséesdefantasmesobscènes.Jepasseunemaindanssondosetlaramènecontrelachaleurdemoncorps.Enuneseconde,alorsqu’elleretrouvemesbras,maboucheseposesurlasienne.Lorsquejelasenssecollerunpeuplusetsoupirerdebien-être, sonvisage toutprèsdumien, jepressesesreinsetsesfessesdansmesmains.

–Onfiniraçaenhaut, je luimurmureendéposantune lignedebaisersdesaboucheàsonoreille.Son rire résonne dans la pièce. Nous nous habillons sans nous quitter des yeux. Laure menargueaveccertainespartiesdesoncorpsqu’ellerecouvreaussitôtetmematesanssecacher.Sondésirestpalpable, lisibledanssesyeux.Lemiennecessedegrandirchaque foisque jesuisavecelle.Lorsquenoussommesenfinprêts,aprèsquelquescaressesfrissonnantesquenousn’avonspaspuretenir,Lauresedirigeverslaporte.Ellesursauteentombantnezànezavecsoncollègue–Monsieur-je-ne-connais-toujours-pas-ton-nom-et-je-m’en-fous–lepoinglevé,prêtàfrapperàlaporte.

–Chris?Jenesaispassic’estuncoupdechance,ous’ilécoutaitàlaporteetnousaentendusarriver,maislevoirravivecettepartiedemoiquiaenviedeluicrierqueLaureestàmoi.J’avancepourmemettreauniveaudemonaudacieuseetbraquemonregardfurieuxsurlui.J’aidelachanced’êtregrand.Leconnardfaitquelquescentimètresdemoinsquemoietdoitlever la tête pour m’affronter. Il est baraqué, assez imposant, et des tatouages suivent lacourbe de ses muscles. Je n’en arbore peut-être pas encore mais celui qu’elle m’a dessiné

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ornera mon corps un jour également. Et s’il le savait, ce connard ne prendrait pas cet aireffrontéàessayerderemporterunduelperdud’avance.

–Jevenaisvoirsiçaallait,déclare-t-ilenreportantsonattentionsurLaure.Elleparaîtsceptique,toutcommemoi.

–Pasbesoindet’enfaire,toutvabien.Elle prend de l’assurance. Son ton porte la marque du reproche. C’est minime, mais jel’entends.Legusn’enestpeut-êtrepasàsapremièrerebuffade.Laureréfléchituninstantpuis,levoyantmedévisagerdenouveau,lessourcilsfroncés,elleprendlaparole:–Chris,jeteprésenteAlex,mon…Pourquoihésite-t-elle?

–Petitami,jecomplèteentendantlamaindevantmoi.Les yeux de l’Anglais deviennent froids en entendant mon « boy friend » appuyé à sonintention. Ilmeserre lamainpresqueàcontrecœur.Apparemment,Laurene luiapasparlédemoi.Jevoulaisaussit’inviteràvoirunconcertcesoir,maisjemedoutequetuasd’autreschosesàfaire,argumente-t-ilpourjustifiersaprésence.Laurerestechaleureuseetsouriante.

–Merci.Maiseffectivement,jevaisresterlàcesoir.–Ok.

Ilcapitule.Sonexpressions’estassombrie.Cemecn’apasenviedepartir,maisenfacedelui,Laureneflanchepas.Ellevamêmejusqu’àmeprendrelamainpourentrelacersesdoigtsauxmiens.Cette fois, lemessageestclair.Et iln’apasd’autrechoixquedes’inclineretdes’enaller.

–Bonnesoirée.Ils’envasansunregardenarrière,lesyeuxtristes.Cemecal’airsacrémentaccroché.Quandildisparaît,lebesoind’avoiruneréponseclairemefaitparler.Jedoisenavoirlecœurnet.

–Ilsepassequoiaveccetype?Elleseretourneversmoiensouriant.

–Tuasl’airvraimentjaloux…–Jelesuis,affirmé-jesansdétour.

On dirait qu’elle n’attendait que ça. Elle me tire par la main, s’avance vers l’escalier puisgrimpelesmarches.Enhaut, jedécouvresachambre.Ladécorationestunpeuvieillissanteetellen’estmeubléequedustrictnécessairepourdormir,serafraîchir,s’habilleroutravaillersuruncoindetable.Quandelle a refermé laporte,nousnous faisons face. J’attends toujours sa réponse. Je saisqu’ellen’estpasaveclui,ellemel’adit,maiscelaneveutpasdirequ’ilnes’estabsolumentrienpasséentreeux.

–Ilnesepasserien,déclare-t-elle.Ilnes’estjamaisrienpassé.Ilespéraitquelquechose

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maisj’airefroidisesardeurs.– Ça n’avait pas l’air d’être clair dans sa tête, grogné-je en me remémorant le regard

meurtrierquem’alancécetype.Iln’apasappréciédemevoir.Laures’avanceversmoi.

–Ne t’en faispas,murmure-t-elle toutprèsdemoi. Jecroisquecette fois, ilne se faitplusd’illusions.

–Ilpouvaits’enfaireavant?Elleme tue avec son sourire. J’ai la sensation de prendre un coup dans le bide. Lauremefascine par sa beauté et la grâce de sesmouvements. Je suis sous son emprise àmon tour.Commentnepasavoirpeurqu’ellenem’aitoublié?

–Iln’ajamaispus’enfaire,répond-ellesincère.Jamaispersonnen’auraitpu.Cettefois,jel’attrape.Parcesderniersmots,ellevientdemeconfirmeravoirsouffertaveclamêmeintensitéquemoicesderniersmois.Mesmainsparcourentchaqueparcelledesapeau.Sesonglesmegriffentlecrânequandelles’yaccrochealorsquejelaporte,faistroispasenarrièreetm’assoissurlelitavecelle.Saboucheadéjàfondusurlamienne.Sachairdepoules’embrase enmême tempsquemes sens. La respirer, lamordiller, l’effleurer.Mesdoigts etmesdentstrouventleurbut:lafairefrémir,rougir,gémir.

–Turentresquand?parvient-elleàdemanderautraversdenoshalètements.–Demainsoir.–Alorsilfautenprofiter!–Jen’avaispasl’intentiondefaireautrechose.

Le lendemainmatinpassesansquenousparvenionsàquitterson lit.Laurerestenuecontremoi tandis que je passe mon temps à glisser mesmains dans son dos, à la câliner et à lamasser. Elle rit,m’embrasse, heureuse que je sois enfin près d’elle. Nous ne faisons pas dedéclaration. Nous ne perdons pas de temps à étaler nos sentiments, nos émotions. Nousn’avonspasbesoindemots,nousprofitonsdechaqueseconde.Pourlapremièrefois,nousneparlons plus de plan, plus de vengeance.Nous ne tenons plus compte d’éléments extérieurspourvivrenotrehistoire.Avant, Laure réfléchissait en permanence aux conséquences de ses actes. Elle se laissaitparfoisalleràsonaudacepuisrepartaitélaborersonpiège.Maintenant,cen’estpluspareil:ellevitlemomentprésent.Jelaredécouvre.Ellemeparledesesinspirations,degensloufoquesqu’elleapucroiseretdesafatigueconstante,surtoutlorsqu’elledevaitsebattrepouravancersansmoi.Etjel’écouteavecattention.Jerépondsàsesquestionslorsqu’ellem’enpose.Monbrasresteconstammentenrouléautourd’ellepournepasqu’elles’enaille.Jeneveuxplusm’éloignerd’elle.Jevoudraisresterdanscetteville,àsescôtés.Maisjen’enaipaslesmoyens.Jevaisdevoirrepartir,lalaisserencore.Celamefaitchier,cen’estpascequej’étaisvenuchercher.

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Laure se montre rassurante, mais elle s’évertue à ne pas penser à la suite de mon séjour.Celui-ciseterminebientôtetellenepourrapaslefairedureréternellement.À midi, alors qu’il ne me reste qu’une demi-journée avant mon vol, Laure décide qu’il esttempsdereprendredesforces.Ellenousfaitsortirdulitetvapréparerunrepasfrugalà lacuisinedurez-de-chaussée.Jelasuisetlataquinetoutaulongdesapréparation.Lesalonestferméetnousnecroisonsnisonpatron,nileconnardquiatentédelaséduire,noussommesdoncseuls,touslesdeuxdansnotrebulle.Autourduplandetravail,alorsquenouspicoronsdansleplatensouriant,Lauremeracontedenouveauxdétailsdesavieici:sesjournées, l’évolution de son coup de crayon, ses dessins qui gagnent en technique, sespremierspasavecletransfert,aveclamachinepourlesdessinslesplussimples,sescontactsavecquelquesclientsquiluiontpassédescommandesspéciales.Elleestépanouie,excitéedecequ’ellefaitchaquejour.Jeleressens,elledécrittoutcelaavecun sourire quim’englobe dans une chaleur bienfaisante. Spécialement lorsqu’elleme révèlequ’ellepassesontempsàdessineretqu’ellenes’étaitpasaperçueàquelpointcelaluiavaitmanquétoutescesannées.Je lui vole un autre morceau d’omelette en lui posant la question qui me brûle les lèvresdepuisplusieursheures:

–Tucomptesrestericijusqu’àquand?Laurecontinuedes’affairerautourdufeu.– J’ai encore trois mois à pratiquer ici avant de continuer en France, déclare-t-elle ens’efforçantd’êtreconcentréesursonrepasplutôtquesurmoi,incertaine.Encoretroismois…Latorturen’estpasfinie.Jeposematêtesursonépaule.

–Celavaêtrecompliquépourmoidepouvoirrevenir.–Oui,jem’endoute,ajoute-t-ellelecœurunpeulourd.

L’atmosphère se charge de nostalgie. J’ai toujours un boulot, plutôt prenant.Même si je nesuis pasungentil flic qui respecte les règles, je n’ai pas envied’en changer. Et pour cela jedois respecter quelques obligations : les gardes et les opérations délicates ne peuvent sedécaler.

–Tuvoudraisquejerevienne?–Troismois,c’estlong,répond-ellesimplement.

Jepassemesmainssursonventreetmerapprochedesondospourqu’elles’appuiesurmoi.–Dèsquejepeux,jereviens,chuchoté-jeàsonoreilleavantdel’embrassersouslelobe.

Cettefoiselledélaissesonplatetseretournepourm’embrasser.–Jeneteforcepas,Alex…–J’enaienvie.

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Jelamaintiensfermementpourluiassurerquejedisvrai.Lauren’estpasdifficileàcombler:parcessimplesmots,elledevientplusbelleencore.Ellem’éblouitparsajoieetsasérénité.

–Àtable,rit-elleendéposantunnouveaubaisersurmeslèvres.Le repas sepassedans lamêmeambiance. Jemedélectede labièredansmonverre, etdecelledanssabouchechaquefoisquenousnetenonsplusetquenosvisages,noslèvresetnoslanguesseretrouvent.Lorsquenousterminonsdemanger,Laurem’entraîneàl’extérieurpourmefairevisitercetteville qui l’accueille et l’inspire. Je commence à comprendre pourquoi. Les rues ne seressemblent pas, les murs sont peinturlurés de tags, des fresques recouvrent certainsimmeublesdansdesmyriadesdecouleurs.Cettesortieavecellemefaitespérerunavenirheureuxoùquelqu’unaenfinuneimportancedansmavie. Je saisque jen’aiplusenviedevivrecomme je le faisaisavant :avantqu’ellesoittrompée,avantqu’ellemedemandedel’aider,avanttouscesmensongesquinousontfaitdumalinutilement.Chacunavaitbesoindeseprotéger,aujourd’huicen’estpluslecas.En revenant au salon, nous passons devant les tables silencieuses et lesmachines au repos.Avec ladevantureenvitresteintéesetsans la lumièredesnéons, il faitsombre. Iln’yaquenous dans son nouvel univers.Une envie qui résonne enmoi depuis quelque temps revientplusviveàcemoment-là.

–Tum’asbienditquetuasdéjàtatoué?– Oui. Quelques dessins faciles, répond-elle avec une moue bienheureuse. Jamie préfèreattendre avant de me lancer sur des choses plus complexes et plus longues. Il est assezmaniaque.Ellemarchedans la piècepour rejoindre l’autre côté et sûrement repartir dans la chambre,lorsquejem’arrêteenrepensantàcequejetrimballedansmapocheetquinem’apasquittédepuisquejel’aidécouvert.Jelaregardesestopperàsontourpuiss’étonnerquejenelasuivepas.Sesyeuxdescendentsurmesmainsqui s’activentpourdéplier ceque je lui ai rapporté.C’est ledéclencheurquim’afaitprendreconsciencequ’ellem’aimaitetqu’ellevoulaitmevoirl’aimerenretour.

–Qu’est-cequec’est?demande-t-ellealorsquejedéplielafeuilleavantdelaluitendre.Sesdoigtsviennentsaisirlepapier.

–Tun’aspasdessinéçapourqu’ilrestesurunefeuille,jemetrompe?Laurerestesilencieuseendécouvrantledessinintact.Aprèsl’avoirregardéencoreetencore,je le connaisdésormais par cœur : je voismentalement chaquepli de la veste, chaque traitplus sombre, chaque pétale qui tombe. J’ai tout passé au crible pour savoir ce que Laurevoulait signifier en me le laissant près du sien. Et je n’ai vu qu’un seul message : unedéclarationd’amour.Jeveuxqu’elleaillejusqu’auboutdesonidée,qu’ellemelegravedanslapeau.

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Celafaitdesannéesque l’idéedemefairetatouermetrottedans latête.Jevoulais trouverquelquechosequiauraiteuunesignificationparticulière.Mais jusque-là,riennemetentait.Mêmelesjumeauxnem’ontrienproposéquimeconvenait.Sûrementparcequemavie,bienquedistrayante,n’étaitcombléequeparunégoïsmesansnom.Laureestcellequiadonnéunnouveaubattementàmonexistence.Avecelle,jetrouveunerédemption.L’impressiond’avoirenfinquelqu’unquinemelâcherapas.Etledessinqu’elleafaitdemoin’estqu’unmoyendemettreunacteréelsurcesentiment.

– Je veux que tume tatoues ce dessin, annoncé-je sûr demoi.Quand tu rentreras surParis,quandtuserasprêteetquetuteserasperfectionnée,jeveuxquecesoitsurmoiquetulaissestamarquepourtoujours.LesyeuxdeLauresemettentàbriller.Jecroisqu’unelarmemenacedes’échapperpourvenirsur sa joue. Elle comprend que je viens de lui faire la plus belle déclaration dont je suiscapable.Elle reste figée pendant quelques secondes, incapable d’esquisser unmouvement ou demerépondre.Puisunsourires’étiresurseslèvresetellelâcheunsimple:

–Jeleferai.Nousremontonsensuitejusqu’àsachambreet,alorsquenousnousallongeonssursonlit,elleretrouvesaplaceentremesbras.Jelarassureetl’embrassepourdétournersespenséesdecemoment fatidique,maisnous savons tous lesdeuxque celui-ci approche inexorablement. Jen’ai pas plus envie qu’elle demettreun termeànotreweek-end et de rentrer à Paris.Maisdésormais jevoisplus loin.Jepenseàcemomentoùellemegraveranotrehistoiredans lecorps,quandellemerejoindrapourquejenelalaissejamaisrepartir.Troismois neme paraissent plus insurmontables. Je ne vais certainement pas être facile àvivre avec les jumeaux, ni avec mes collègues, mais la situation est différente ; je saurail’attendre. Nous avons tenu trois mois sans nous parler, nous pourrons encore le fairemaintenantquetoutestarrangé,non?Etj’essaieraiderevenir.Jedécidede laquitteràsonsalon.Lesaurevoirsur lequaid’untrainouaudécollaged’unavionsontbonspourlesromansàl’eauderose,paspournous.Au moment de nous séparer, et alors que j’attrape mon sac à dos, je la sens redevenirimpatiente,sur ladéfensive,presqueméfiante.Ellese tientdevant laporteetattendenmeregardantfaire.Maissurtout,elleneditplusrien.Jemedirigeverselleavecmesaffairespuism’arrêteàsescôtéspourqu’ellenelouperiendecequejeveuxluidire.Posantmonsacsurlesol,jepasseunemainsursajoue.

–Cen’estpaslemomentdedouter,énoncé-jeenmaintenantsonmentonpourqu’ellemeregarde.Sesyeuxnemequittentpas.Ilscherchentàylireunevéritéquelconque.

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–Laure, jenesuisvenu iciquepour toi,ajouté-je.Cela fait troismoisque j’attends, tucroisquejenepourraipasattendretroismoisdeplus?Sonsourirelarendencoreplusbelle,sincèreetéperdue.Iln’yaquemoiqu’elleregardedecettefaçon.Aulieudemerépondre,ellesemetsurlapointedespiedsetm’enlace.–C’estmoiquivaisavoirdumalàattendretroismois,avoue-t-elleenrevenantsursespieds.Jememetsàrire.Sonbesoind’êtreavecmoirépondaumien.Ilfautqu’ellesache…

–Jesuisfoudetoi,soufflé-jelecœurbattantcommeundératé.Celafaitdesmoisquejesuisloindetoi,ànepenserqu’aumomentoùjevaisterevoir.J’aitenujustepourtelaisserletemps.Celuidonttuavaisbesoin.Maisjeneveuxpaspartir, jeneveuxpastequitter.Jelefaisparcequej’ysuisobligéetpourquetuterminescequetuascommencéentelaissantletemps.Sans interférer.Maiscrois-moi, continué-jeenplongeantdans son regard, jeneveuxpersonned’autre.Ellessonttoutesfades,toutesartificielles.Jetel’aidéjàdit:iln’yaquetoi.Celafaitdesannéesquetum’obsèdes.Sabouchemesurprendlorsqu’elleseremetàmahauteuretmedévorepassionnément.Elleme serre contre sa poitrine à s’étouffer. C’est de cette façon que nous parvenons à nousexprimer.Lorsquenoussommesl’uncontrel’autre,noscorpsparlentànotreplace.Sapoitrinesegonfle,sesbrasm’entourentet jefaispareil.Jemeraccrocheàcetteétincellequi fait battremoncœur.Elle est la seulequi yarrive, la seuleque je veux laisser faire, laseulequimeretientàelledecettefaçon.

–Jen’aipasenviequetupartes,murmure-t-elleenposantsonfrontcontremontorse.–Jen’enaipasenvienonplus,révélé-jeensoupirant.Maisjereviensvite,ok?

Elle passe ses bras une dernière fois autour de mon cou, puis me laisse passer. Nousdescendons en silence et nous embrassons encore. Devant la porte de sa boutique, elle vamêmejusqu’àmemordrelalèvredansunsourireeffronté.Je me marre au moment de partir tandis qu’elle garde une expression envoûtante. Je meretourneunedernièrefoisverselle,attrapesonregardaveclemien,puisjem’éloignedanslarue,directionlabouchedemétrolaplusproche.Jelalaissealorsquejecrèvedéjàd’enviederepartirlachercher.Encorequelquesmoisetellemereviendra.Jesuisprêtàattendre,prêtàmefairepasserausecondplanpourcellequej’aime.Parcequ’iln’yaplusriendeplusimportant.Maviedépenddelasienne.

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36

Laure

Jesuisheureused’avoirpufairecestage,pleinementépanouied’êtreentréedanscetuniversetd’ydessinermeshumeurs.J’ai appris à vivre par moi-même et à penser à moi durant les six derniers mois. Je saismaintenantreconnaîtremesattentesetdirecequejepensesansdétour.Celan’apastoujoursété faciled’être loindeceuxquimesontchers, loindeSarahqui commenceàprendreuneplace particulière dans ma vie, loin des jumeaux et de la complicité qu’ils m’offrent, loind’Alexquimemanquecruellementchaquejour.Maisjeprendsconsciencequejeneregrettepasmonchoix.Laviequim’attenddésormaisestcellequejedésire.Jesuis impatientederentrer.J’auraispuresterpluslongtemps,monmentormel’abienfaitcomprendre,mais jeme sensprête àpoursuivremonapprentissage loinde lui à présent. Ilm’adonnélesarmesnécessairespourrépondreàlademanded’Alex.Ilestdonctempsquejerentreterminermoi-mêmecequej’avaisentête:cedessinquicomplètelemienincrusterasapeausousmesdoigts.C’estenFranceque je continueraid’apprendre, sous le regardattentifdes jumeaux. Jeveuxcontinuerl’expérienceenétantprochedemesamis,etsurtoutprochedeLui.Les trois derniers mois ont été très différents des trois premiers, j’ai retrouvé un secondsouffle.Mespenséessesontapaisées,moncœuracessédemefairemal.Cependantletempsnem’a jamaisparusi long. J’ai tout faitpourdévelopperma techniqueautantquepossible,allantmêmejusqu’àfairerâlerplusd’unefoismonmentorbourru,maislessoirssontdevenusbienternes,sansAlexandreàmescôtés.J’aicontinuédesortirmaisrienn’étaitpluspareil.L’exaltationqu’ilmeprocure,aucunautren’estcapabledemeladonner.Jen’arrivepasàcroireque l’onsesoit fait tantdemalalorsqu’êtreensembleestlaseulechoseévidente,pourl’uncommepourl’autre.

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Ilsuffisaitdenousvoiravant,dans lamêmepièce: lesétincelleséclataiententrenouspournous tenir éloignés. Aujourd’hui, nous les recherchons. Elles nous retiennent l’un à l’autre,elles explosent à l’intérieur de nous. C’est comme de vivre constamment sous adrénaline.Depuisque jeme suis abandonnéeà lui, c’est ceque je ressens.Et si çame faisaitpeur, cen’estpluslecasaujourd’hui.Jen’aspireplusqu’àrentrerprèsde lui.Mêmesicelan’apasétéévident,Christophera finipar le comprendre. J’avais pourtant été claire avec lui dès le début,mais il lui a fallu unepreuvetangiblequemoncœurétaitdéjàprispourl’accepter.Depuisqu’Alexadébarqué,iln’aplus tenté d’approche autre qu’amicale. J’ai été ravie de constater qu’il ne m’en tenait pasrigueur. Je n’ai plus eu à gérer ses sautes d’humeur et ses grognements lorsque je lerepoussais.Ilestredevenuunamicommesabandeaveclui,sansrienattendredeplus.Etlesautresn’ontplusfaitd’insinuationsdouteuses.J’aidonccontinuémes troisderniersmois sur lemêmerythme.Mais cette fois, sansdoute,sansreproche,enparfaitaccordavecmoi-même.Matêteetmoncœurn’attendentplusqu’unechose,cequ’unseulhommepourramedonner.Jesaisquenousavonseuunerelationparticulière,néedanslasouffranceet lesmensonges,maisjecroisquenousn’attendionsquelafindetoutecettepériodepourêtreensembleenfin.Nousavonsunesecondechance,cen’estpasdonnéàtoutlemonde!J’aiquittéLondresaujourd’hui.J’airefaitletrajettouteseule,commelorsdemonarrivée.J’ytenais.L’imagedelafemmequiabesoind’aidepouravancerneflotteplusdansmonesprit.ChrisresteencorechezJamiependantquelquesmois,aprèsilenvisaged’ouvrirunsalonavecundesespotes.Ilcomptemetenirinforméeparmail.Jenesaispassinousnousreverrons.Cette rencontre a été apaisante pour mon cœur meurtri mais je crois que la vie ne nousréunirapasdesitôt.Nousavonschacundesprojets,chacundesattentesqui se ressemblent,certes,maisquinenouspermettrontpasdepenserl’unàl’autre.Jamie, lui, ne s’est pas attardé. Il aime vivre seul. Le départ d’un stagiaire l’indiffèreroyalement.Celaaétérapideetconcis.Ilm’afaitquelquescompliments,dit«goodbye»,etj’étaisdéjàpartie.Commesijen’étaisjamaisvenue.Letrajetjusqu’àl’aéroportadoncétéaussilongetpénible.Maisilm’asemblébeaucoupplusfacilequ’àl’aller!Jepassel’enregistrement,l’embarquementetjeprendsmonenvolpourParis.Après un vol rapide, j’atterris et passe la douane pour rejoindre Sarah qui est venuem’accueilliravecunsourire ravi.Commepourmondépart,ellemeprenddanssesbrasdèsquejesuisprèsd’elle.Puiselles’écartepourmedévisagerlonguement,commepours’assurerquejesuisbiendevantelle.

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–J’ail’impressiondet’avoirquittéehier,medit-elleenmeregardant.Ellen’apaspuvenirmevoiràLondres.L’organisationavecsesclientsétaittropcompliquée.Enréalité, jecroisqu’ellem’alaisséprofiterdemavietouteseule, letempsqu’ilmefallait.Nousavonsdiscutépartéléphone,partextoetparInternetquandnousétionstouteslesdeuxdisponibles–cequin’apasétésifacilequecela–,maisnoséchangessesontarrêtéslà.Nousnenousen sommespas tenu rigueur.Et je la retrouveaujourd’hui commesi jen’étaisjamaispartie.Quandjevoissonsourire,jen’aipasdedoutesurlefaitqu’elleressentlamêmechose.Ellemetireparlebrasendirectiondelasortie.

–Onpasserapidoà l’appartpourquetutechanges,m’indique-t-elle.Les jumeauxnousattendentaprès.Sarahm’a prévenue que les deux frères organisaient une petite soirée dans leur salon avecquelquesamis.J’ysuisinvitéeaumêmetitrequ’elle.Alexdoitdéjàyêtre.

– Tu n’as rien dit à Alex, pas vrai ? questionné-je pour être sûre que ma surprise netombepasàl’eau.

– Bien sûr que non ! C’est trop marrant de le voir de mauvaise humeur. Il bougonnechaque fois qu’on parle de toi, rit-elle en semoquant de lui. Tu lui as dit que tu revenaisquand?

–Dansdeuxsemaines.Monsourires’agranditenimaginantqu’ilseraheureuxdemevoirplustôt.Aufonddemoijesuis tout demême un peu apeurée : la dernière fois que j’ai voulu faire une surprise à unhomme,jel’aipayé.Mêmesiaujourd’huijesuisfièred’êtrecellequejesuisdevenuegrâceàcela,jen’aipasenviederetenterl’expérience.RevivrecelaavecAlexandrem’anéantirait!

– Il va enfin être plus détendu, ajoute Sarah enm’entraînant vers le parking. Cela faitdeux semaines qu’il ne tient plus en place. Toi qui le connais en tempsnormal, je te laisseimaginercequecelapeutdonnerencemoment!Jenepeuxpasm’empêcherderire.

–Ilestsiimpatientqueça?Aucoursdudernier trimestre, ilapurevenirmevoirune foisenAngleterre.Nousnenoussommespaslâchésd’unpouceetlesheuresontdéfiléàtoutevitessesansquenouspuissionslesarrêter.Lemomentdesequitterestencorearrivébientropvite.Etle«aurevoir»aétéaussidurque leprécédent.AprèssonretourenFrance,nousavonspasséde longsmomentstorridesautéléphone.MaispourunhommecommeAlexandre,cen’estpassuffisant.Qu’ilaittenu le coup si longtemps me prouve qu’il est capable de m’attendre. Je veux y croire,désormais.Aprèsun retourenvoitureetunebonnedemi-heurede route,nousarrivonschezSarah.Niune,nideux,ellemefaitposermesaffairesdansmachambrepourallerdanslasienne.Elle

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m’asortiunetenuecomplètesursonlit.Unjeanslimnoirquimettraenvaleurmesquelquesformes. Un débardeur beige au tissu léger et au col arrondi assez décolleté et un perfectocintrénoir.Unegrosseceinture,desbraceletsdetousgenresetunepairedebottinesmarronviennent compléter le tout. Un peu de maquillage, une bouche rouge à en faire baverAlexandreetunequeue-de-chevalpourdégagermanuqueplustard,mevoiciprête.Jemeregardeunedernière foisdans lemiroirde lasalledebainquandSaraharrivesur lepasdelaporte.

–Tuessublime.Unvraicanon!Jelaregardeàmontour.Ellen’estpasloind’avoirlamêmetenuemaisneportepasdeveste.

–Tuesmagnifiquetoiaussi,dis-jetoutsourire.Mercipourlatenue.Elles’approchedemoietsondemonregard.

–Ilvatesauterdessus!Jememetsàrireavantderetrouvermonrefletdanslemiroiretdesentirmoncœurbattreàtoute vitesse. J’ai hâte de le revoir et j’appréhende. Je ne peux pasm’empêcher de triturermesmains.

–Laure,commenceSarahendéfaisantlesnœudsquejefaisavecmesdoigts.Tun’aspasàredouterquoiquecesoit.Alexnepensequ’àtoi.Ilnejurequepartoi.Jet’assurequ’ilvatotalementcraquerentevoyant.Oui, mais sera-t-il toujours prêt à me laisser le tatouer ? Est-il toujours aussi sûr de sadécision ?N’était-ce pas un désir uniquement dévoilé par l’excitation de nos retrouvailles ?J’aiprévenulesjumeauxquim’ontpréparéunesalle.J’espèrequ’ilmelaisseraluimontrercedontjesuiscapableàprésent.C’est en échangeant des rires complices que nous quittons l’appartement. Pour la deuxièmefoisdelasoirée,nousreprenonslavoituredeSarah.Jesuisenrouteversmonavenir.Le cheminn’est pas très long et dure juste le tempsdeme rendre encore plus fébrile.Monaudace s’est échappée pour laisser parler mon cœur qui veut se précipiter pour aller lerejoindre.Enarrivantausalondesjumeaux,ilestlepremierquejevois.Ildiscuteaveclesdeuxfrèresprèsducomptoir.Ilnem’apasvueentrer.Jeleregardeboiresabièreetsuisletrajetdeseslèvresquandillesfrictionnel’unesurl’autrepourrécolterlesquelquesgouttesquiytraînent.Jesuisdéjàentranse…Lesjumeauxontinvitéquelquesamis.Despersonnesquejeneconnaispas.J’avanceàtraverseux,danslamusiquemetal,derrièreSarahquisefaufileverslesmaîtresdeslieux.EtAlex.Quand il se tourne vers la danseuse, ses yeux tombent surmoi.D’abord ennuyé parce qu’ilcroyaitlavoirarriverseule,sonexpressionsemétamorphose.Sesyeuxs’adoucissentetlajoielesenvahit.

–Salut!jeluilance,fièredelevoirdéstabilisé.

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Son sourire me répond alors qu’il ne dit rien. Sa main vient cueillir la mienne pour merapprocherdelui.Entreses jambes, ilmebloqued’unbraspendantquesabouchevientsurmoi,unede sesmainsdansmoncou. Ilprendpossessionde toutmonêtreetm’attireà luipourmesavourer.Sesbaiserssontlentsmaisappuyés.Salanguefaitnaîtredesfrémissementsàlaracinedemescheveuxpuisdesgémissementsquejeneretienspas.Sapoigneseraffermitquandilm’entend.Sabouchedevientpluspossessive.Jenevaispluspouvoirrespirer,àcettevitesse-là.

–Lesgars!appelleunevoixànoscôtés.–Vous savezqu’il yaune salledispoenbaspour fairedes trucspareils, complèteune

autre.Alexsedécaleensouriantetregardesesamis.

–J’ailedroitd’accueillirmapetiteamie,sedéfend-ilsansattendre.–Petiteamie?Wouah!Quil’auraitcru?

Ludo semarre avec son frère en lui donnant un coup de coude. Sarah passe derrière lui…avantd’embrasserlajouedesonfrère.Ludosecalmetoutdesuiteensuivantmonamiedesyeux.

–Etmoi?lance-t-ilentendantlajoueàsontour.Ellelèvelesyeuxaucieletlepousseavecunsourirecoquin.Ladanseusenem’atoujoursrienraconté concernant leur étrange relation à tous les deux. J’ose espérer que c’est parce quecelle-cin’estpassérieuse,etque,sielleledevient,ellem’enparlera.

–Alors,Laure,intervientMickey,ont’apastropmanqué?JelèvelesyeuxaucielenmêmetempsqueSarah.Nouséclatonsderiredevantleursminesboudeuses.Lesdeuxfrèressontdesacrésnuméros.Ilsparlentàtortetàtraversetdétendentl’atmosphère pour nous emporter avec eux dans leur délire. Je suis contente de les revoir.Nousavonscommencéàentretenirdesrapportsamicauxcesderniers temps.Et j’espèrequeleuroffretienttoujours.

– Tu sais que nos clients adorent tes créations, ajoute Mickey pour répondre à mespensées.Tuastoutetaplaceausalon.

–Jevaisyréfléchir,lancé-jeenluifaisantunclind’œil.Ilsaimentbienemmerderleurmonde,jeprendsdoncunmalinplaisiràfairepareilaveceux.Contremoi,Alexécoutelaconversationencontinuantdeboiresabière,satêteestposéesurmon épaule. Quand une musique rock et entraînante retentit soudain plus fort dansl’appartement,jesenssesjambesbougerautourdemeshanches.

–Tuveuxdanser?interroge-t-ilaucreuxdemonoreille.–Biensûr.

Il ignore nos trois amis et leur conversation pleine de sous-entendus pour m’entraîner aumilieu du salon, parmi les quelques personnes qui bougent un peu et discutent. Il ne faitattentionàaucuned’entreelles.Sesyeuxplantésdanslesmiens,ilcroisesesbrasautourde

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ma taille etme rapprochede lui pourme faire danser. Lamusique est assez rapidemais ilbougelascivement,soncorpsplaquéaumienpourfairedurernosretrouvailles.

–Tunereparsplus?demande-t-ilsonvisagetoutprèsdumien.C’estçaquil’inquiète?Jelesensunpeusurlaréservedepuistoutàl’heure.

–Non.Jen’aijamaisétéaussisereine,aussicertained’êtreàmaplace.

–Jeneveuxplusqueturepartes…Sonincertitudemefaitsourire.Jel’airarementvusivulnérable.Jefaisdurercetinstant,enmeplaquantdavantagecontreluietenlefaisantfrissonnersousmescaressesàlabasedesescheveux. Il ferme les yeux une seconde. Quand il les ouvre, la fragilité a disparu, laissantplaceàunelueurbeaucoupplusfréquentedanssesyeux.J’alimentecettelueur.

–Jevoudraisqu’onsoitseuls,avoué-jedansunmurmureséducteur.Sarah, Ludo et Mickey nous rejoignent en se déhanchant à ce moment-là. Ludo dévore ladanseusedesyeux.Alexandrenemelâchepas.Etbienquenoussoyonsmaintenantentourésdenosamis, jene regardeque lui enpensant ceque j’aiprévu. Je suis impatiente. Je croisqu’ilesttempsdepasserauxchosessérieuses.

–Lesgars,finalement,onvaavoirbesoindevotresalledubas…dis-jeavecunclind’œilenleurdirection.Ilsperçoiventimmédiatementlesous-entendu.

–Alorsçayest,c’estlegrandmoment,ditMickeyenéclatantderire.–Lapiècen’attendquevous!

Alexmeregardeinterloquésanscomprendrecequ’ilsepasse.Ilvoitbienquesesdeuxpotesetmoimanigançonsquelquechosedelouche.Je leprendspar lamainet l’entraînevers les escaliers. Les jumeauxdélaissent leurs invitéspournoussuivre.Sarahmelanceunsourireencourageant.

–Onnevoudraitpasmanquerça!répondent-ilsauregardinterrogatifetfurieuxdeleurami.

–Lesmecs,vousn’avezpasdûtoutcomprendre.Laureparlaitd’uneséance«privée»!leurenvoie-t-il.S’ilsavaitàquelpointilaraisonsansêtreaucourantderien!Les jumeaux ne s’arrêtent pas pour autant, et je continue d’emmener Alex vers notredestinationenletirantparlamain.Lorsque j’ouvre la porte de la salle et qu’il découvre la table de tatouage, le matérielfraîchementpréparéquitrôneàcôté, ilcomprendenfin.Jesuisprêteà letatouer,mais lui,est-iltoujourspartant?Unelueurmalicieuseapparaîtdanssesyeux.Ils’approchedemoietvientenroulersalangueautourdelamiennesousleregardmédusédenosdeuxcomplices.

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–Jesuisentièrementàtadisposition!répond-ilàmaquestionsilencieuse.–Parfait,danscecas,déshabille-toi!L’ordre éclate entrenouspourme rappeler qu’il y a quelque temps c’estmoi quime tenaisdanscetteposition.Leclimatestsidifférent.Jemerendscompteducheminparcouru.Sa veste et mon tee-shirt trouvent le dossier d’une chaise sans qu’il ait émis la moindreprotestation.Ilnetrouvemêmerienàredireàlaprésencedesjumeaux.

– Le pantalon aussi ? questionne-t-il d’un air effronté. Je crois que certains veulentprofiterduspectacle,alorsautantleurendonnerpourleurargent!Ilmeprovoque.Jelèvelesyeuxauciel.

–Situfaisça,jerisquedenepasêtreconcentréeetdetefairemal.Monclind’œilquiaccompagnecettephraselefaitrire.Ils’approchedelatableets’étendsurle ventre, les bras sous la tête tournée vers moi. Je détourne enfin les yeux en expirantprofondément.

–J’auraispul’enlever,cepantalon,continue-t-ilpourjoueravecmoi.–Tais-toi!

Ilsemetàriresanslâchermesyeux.Je sors le tracé de mon dessin que j’ai reproduit de mémoire et le regarde un instant. Jeretrouvemeshabitudes:mesgestesdeviennentappliquésetprofessionnels.J’allumelalampequi se trouveau-dessusde la tableet réalisemonstencilà laperfection.Jevaisensuitemelaverlesmainsetenfileunepairedegants,puisjereviensversluietm’assoieàsescôtés.Lesjumeauxrestentfigésetmeregardentfaire.Jerécupèreunetabletteàroulettesoùestposéemamachine.Celafaittrèschirurgical.

–Jetepréviens,lesheuresquivontsuivrerisquentd’êtredouloureuses!Ilne répondpasmaishoche la têteenme regardantavecdesyeuxgonflésde fierté. Jememetsalorsà luiexpliquer lesrèglesd’hygièneque j’aiapprisesau furetàmesureque je lesapplique.Jepasseundésinfectantsursondos.

–J’yvais?demandé-jepourêtrecertainedesonchoix.–Oui.

Jenesaispascombiendetempss’écoule.Sûrementdesheures,vulaquantitédetravail,maisjemesuishabituéeaugrésillementdelamachinesiprèsdemoietàlalenteprogressiondudessin.Jefinisletracéextérieuretattaquelesdétails.Pourlesombresetlesreliefs, ilnousfaudraprévoirunenouvelleséance.Jenepourraipaslefiniraujourd’hui.Le soir commenceà tomber lorsqueenfin lamachine s’arrête.Entre-temps, les jumeauxontdisparu.Lesilenceretombeentrenous.Avecdescompresses,jenettoielesangquiasuintéetdésinfecte le tatouage avant d’étaler une crème apaisante puis d’apposer un film plastiquedessus.Alexseredresseunpeuankyloséd’êtrerestésilongtempsallongé.Jeparsmelaverlesmainspuis lui apporte un miroir pour qu’il admire le résultat. Bien qu’il ne soit pas fini, cette

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premièreétapeestvraimentréussie.Jesuisfièredemoi.Ilestbrut,trèssombreets’étalejusqu’àsonomoplate.

–Jecroisquepourunepremièrec’estpastropmal,lancé-jeenobservantledessin.Sesyeuxétincellentdefierté.Illuiplaîttantqu’ilneparvientpasàtrouverlesmotspourmedécrirecequ’ilressent.Je lui explique les soins qu’il devra appliquer dans les prochaines semaines et l’oblige àm’écouterattentivementcar jesenssonattentiondériverversmondécolleté.Décidément, ilestimpossible.J’aimeça!Alexandreregardeunenouvellefoissonreflet,puismoi.

–Jet’aime,Laure,finit-ilparlâcherenreposantlemiroir.Ladouleurdansmagorgeestexquise.Celledansmapoitrinememartyrisedebonheur.Lesdéclarationsqu’ilm’adéjà faitesmesuffisaient.Là, je suis rivéeà lui,envahieparcette joiequejeneveuxplusvoirpartir.

–Jet’aimeaussi,chuchoté-jelavoixtremblante.Nous nous sourions et nous embrassons. Nous ne sommes plus pressés, plus impatientsd’arriveràlasuiteoudenousfaireperdrepiedl’unl’autreànousenébranlerlaraison.Nousavonsdésormaistoutelaviepourmettredesactessurnosvœuxéchangés.

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Épilogue

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Laure

–Horsdequestion!J’ailafâcheuseimpressiond’êtreunegaminetêtue.Celafaitdesjoursqu’ilmetanneavecsonidée. Je vais finir par croire qu’il est sérieux. Quand on le connaît, on ne peut qu’êtresceptique.

–Laure,nefaispastatêtedemule!medit-ild’untonsuppliant.Jegrogne.

–Pourquoituneveuxpas?poursuit-il.– Parce que cela ne sert à rien, déclaré-je en le pensant totalement. On est très bien

commeça.Onestheureux.Pourquoitenterdetoutgâcher?J’attrapelesassiettesvidesetlesemportedansnotrecuisineouverte.Alexandrenemequittepasdesyeuxpendantqu’ilnousressertduvin.

–Laure,cen’estqu’unmariage,soupire-t-il.Justeunaller-retourdevantlamairieetc’estfini.Onn’estmêmepasobligésdefaireunefête,sic’estçaquiterebute.C’est vrai que l’idée ne me tente pas. Qui viendrait ? Ma famille est totalement exploséedepuismonactederébellion.Ilyasixansdéjà.Mamèreesttoujourséperdumentaccrochéeàmonpèreetnem’adressepluslaparole.Ellemetientpourresponsabledelafindumariagedesafillechérie.Ellen’apasétéchoquéedevoirsonaînéedanslesbrasd’unautrehomme:mon ex ! En revanche, le fait quemoi, sa propre sœur, je l’aie humiliée de la sorte devanttoutenotrefamilleetnosamisestinacceptable.Elleesttellementhabituéeauxtromperiesetà l’adultère de son mari que celui de sa fille lui a paru normal. Elle s’attendait que jem’excuse,cequejen’aijamaisfait!Elleneserendpascomptequ’elleaperduunefille.Je suis d’accord avec Alex, nous sommes très bien tous les deux. Nous avons réussi àreconstruireautourdenousunefamille faited’amisprécieux.Jeneregretterien.Mêmepasque ma sœur se soit finalement mariée avec un mec, qu’elle se soit calmée et ait eu des

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enfantsquejeneconnaîtrai jamais.Jeneregrettepasquemesparentslesaientchoisiseux,plutôtquemoi.Aprèstoutescesannées,jen’ypenseplus.Comme je ne pense plus àMaeva, à qui je n’ai jamais reparlé. Pour Adèle, c’est une autrehistoire.Elleestcertainementmonseulregret.Nousavonsretentédenousrevoiràplusieursreprises,mais jecroisque ladouleurque je luiai infligéeaété trop importante.Etellen’ajamais pu tourner la page sur mes actions, même au prix de notre ancienne amitié. Nosrencontressesontespacéesd’elles-mêmesjusqu’àneplusexister.Oui,elleestl’unedeschosesquej’auraisdûfaireautrement.Cette vengeance a été dévastatrice. Elle a causé beaucoup de mal à mon entourage. ÀAlexandre par-dessus tout.Mais ellem’a permis de faire le dernierménage. Aujourd’hui, jen’aiplusqueSarah.Alex, lui, traîneavec les jumeauxetVincent.Nous formonsune joyeusebande qui ne se prend pas la tête, ne se promet pas une amitié éternelle, mais qui resteensembledanstouslesmomentsimportants.

–Tuneveuxpasavoirlemêmenomquetafille?Jerigolefranchement.Toujoursassisàlatable,ilfaittournersonverre.

–Ilfaudraitdéjàquej’enaieune,jeluirépondsl’airtaquin.Alexandremesouritencomprenantparfaitementlemessage.Ilposesonverredevin,puisilselèvepourvenirversmoidesadémarchedefélinquimefaittoujoursautantcraquer.Quantàsesyeux,ilssontunbrasieràeuxtoutseuls,illuminésdecettelueurquinelequittepourainsidirejamaisdepuisquenoussommesensemble.Jeconnaisdéjàtoutessesintentions.Etjelesespèrechaquefoisaveclamêmeardeur.Appuyéecontreleplandetravail, jelelaisseveniràmoi.

–Alors,cemariage?Jelèvelesyeuxaucielcommeuneenfanteffrontée.

–Tunelâchesjamaisl’affaire,pasvrai?lancé-jejoueuse.–Pasquandc’estuntrucquejeveuxvraiment!répond-ilenposantlesmainsdepartet

d’autredemoncorps.–J’ailedroitàquoisijetedis«oui»?

Écartantmesjambesàl’aidedeseshanches,ilvientseposercontremoipourm’attraperparlatailleetm’assoirsur leplandetravail.Je luientoure lataille toutdesuitepour lecollercontremapoitrine.

–Tupourrasfairedemoicequetuveuxetoùtuveux,pendanttouteunesemaine.J’éclatederireavantqu’ilnemefassetaire.Satêteplongeversmoi,ilamèneseslèvressurma bouche et sa langue s’enroule autour de la mienne qui l’attend si avidement. Nousgémissons enmême temps, savourant des baisers que nous connaissons par cœurmais quenousrecherchonstoutletemps.

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Jem’accrocheà soncou,mesdoigts jouantavec sesmèchesblondes.Sesmains seplaquentsousmescuissesetilmeportepourquejemetienneencoreplusàlui.

–Jevaisvoircequejepeuxfaire,jefinisparlâcherlorsqu’ildescendmordrelabasedemagorge.Je n’en dis pas plus alors qu’il semet à rire sous son assaut. Il raffermit sa prise sousmesfesses et nous emmène vers la chambre. Je crois que je ne vais pas tarder à flancher.Maispour lemoment, je le fais patienter encore un peu. Juste le temps de profiter de tous cesmomentsensemblequ’ilmepromet.

FIN

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Remerciements

C’estavecnostalgiequej’écrislesdernièreslignesdecelivreetcetteaventure.Jenepouvaispas terminer sans vous remercier une nouvelle fois car sans votre soutien et vosencouragements,MakemeBadn’auraitpuêtreportésihaut.Mercidem’avoirdonnéconfiance,d’avoirfaitvivrecettehistoire,del’avoirlue,d’êtrearrivéàcettedernièrepage.Encoreunefoismerciàmesamis,mafamillepouravoirétésienthousiastespourmoi,pouravoirpartagémonbonheur.Merci à toutes les personnes qui ont suivi les aventures de Laure etAlexdepuis le premierjour et qui sont encore là, d’avoir attendu cette fin avec tant d’impatience, de me l’avoirmontrésisouvent,d’avoirétésiprésents.Merciàtousles lecteurssansexceptionpouravoirpartagéunboutdemonimaginaireetcepremierromanpubliéavecmoi.Merciencoreàl’équipeFyctiad’avoirrenducerêvepossible!Atrèsvitepourdenouvellesaventures!Elle.

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