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LUNDI 6 DÉCEMBRE 2010 S' ABONNER À LA VIE | NEWSLETTER  Revenir à la liste des articles TROUBE CHRISTIAN - Publié le 14 mars 2002 - La Vie n°2950 Gros malaise dans l’humanitaire Accusations d’abus sexuels en Afrique, démission de la présidente d’ACF , dérives à l’association Raoul-Follereau... Les organisations humanitaires ne sont pas à l’abri de dérapages et doivent se remettre en question. "La Vie" s’engage dans ce débat. Avis de tempête sur l’ humanitaire. Fin février , le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés révélait que des membres d’organisations non gouvernementales étaient impliqués dans des abus sexuels envers ceux qu’ils étaient précisément chargés de protéger , au Liberia, en Guinée et en S ierra Leone. La semaine dernière, à Annecy , un jugement co ndamnait à de la prison ferme deux anciens dirigeants des Restos du cœur de Haute- Savoie qui avaient détourné des dons vers leur cassette personnelle. Dans le même temps, Sylvie Brunel, universitaire et figure reconnue de l’humanitaire, démissionnait avec fracas de la présidence d’Actio n contre la faim, dénonçant la dérive " vers le business des organisations humanitaires " (voir notre encadré page 34). Enfin, on apprenait que le Comité de la charte retirait son agrément à l’association Raoul-Follereau (voir La Vie n° 2941). Venant après un certain nombre d’autres scandales apparus ces dernières années, ces récents développements sèment le doute dans le milieu hu manitaire, qui redoute une perte de confiance des donateurs, comme cela s’était déjà produit après l’affaire de l’Arc. L’ enquête du HCR et de l’association anglaise Save the Children y est particulièrement mal vécue. Sur la base de 1 500 témoignages, les deux organisations ont décou vert que, ces dernières années, 67 humanitaires appartenant à une quarantaine d’ONG auraient commis des abus sur de eunes réfugiés dans des camps d’Afrique de l’Ouest. " Ces révélations sont gravissimes. Il s’agit d’actes criminels ", estime Claude Montcorgé, président de Médecins du monde. " Nous sommes profondément choqués ", s’indigne Christian Captier , directeur des opérations d’Action contre la faim. Choqués, mais pas surpris : " Il y a déjà eu dans le passé des cas semblables, mais isolés, et, faute de contrôles suffisants, des dérapages peuvent effectivement survenir ", explique Philippe Lévêque, directeur général de Care France, une ONG américaine. " Rien d’étonnant si ces comportements se produisent dans un contexte de conflits où toutes les barrières morales sautent, concède pour sa part Jean-Marie Fardeau, secrétaire général du CCFD. Mais il est inadmissible que des représentants d’ONG y soient impliqués. Nous devons tous réagir . " " La vérité, c’est qu’on exige toujours plus des ONG, poursuit Philippe Lévêque. Depuis dix ans, la demande humanitaire a explosé, partout dans le monde. On demande aux associations de solidarité internationale de mobiliser toujours plus de moyens humains et financiers, dans l’urgence. Celles-ci délèguent, entre autres, à des travailleurs locaux qu’elles n’ont ni le temps ni les moyens de former. Et quand elles demandent l’envoi d’expatriés supplémentaires sur le terrain, pour mieux les encadrer et les contrôler , justement, les bailleurs de      ACTUALITÉ RELIGION BIEN VIVRE C   La Vie n°2 950 - GROS MALAI SE DANS L'HU... htt p:/ /www.lavie.fr /arc hiv es/ 2002/03/14/gr os-... 1 sur 3 06/12/10 01:53

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LUNDI 6 DÉCEMBRE 2010 S'ABONNER À LA VIE | NEWSLETTER 

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TROUBE CHRISTIAN - Publié le 14 mars 2002 - La Vie n°2950

Gros malaise dans l’humanitaire

Accusations d’abus sexuels en Afrique, démission de la présidente d’ACF, dérives à l’association Raoul-Follereau...

Les organisations humanitaires ne sont pas à l’abri de dérapages et doivent se remettre en question. "La Vie"

s’engage dans ce débat.

Avis de tempête sur l’humanitaire. Fin février, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés révélait

que des membres d’organisations non gouvernementales étaient impliqués dans des abus sexuels envers ceux

qu’ils étaient précisément chargés de protéger, au Liberia, en Guinée et en Sierra Leone. La semaine dernière, à

Annecy, un jugement condamnait à de la prison ferme deux anciens dirigeants des Restos du cœur de Haute-

Savoie qui avaient détourné des dons vers leur cassette personnelle. Dans le même temps, Sylvie Brunel,

universitaire et figure reconnue de l’humanitaire, démissionnait avec fracas de la présidence d’Action contre la

faim, dénonçant la dérive " vers le business des organisations humanitaires " (voir notre encadré page 34). Enfin,on apprenait que le Comité de la charte retirait son agrément à l’association Raoul-Follereau (voir La Vie n°

2941).

Venant après un certain nombre d’autres scandales apparus ces dernières années, ces récents développements

sèment le doute dans le milieu humanitaire, qui redoute une perte de confiance des donateurs, comme cela

s’était déjà produit après l’affaire de l’Arc. L’enquête du HCR et de l’association anglaise Save the Children y est

particulièrement mal vécue. Sur la base de 1 500 témoignages, les deux organisations ont découvert que, ces

dernières années, 67 humanitaires appartenant à une quarantaine d’ONG auraient commis des abus sur de

eunes réfugiés dans des camps d’Afrique de l’Ouest. " Ces révélations sont gravissimes. Il s’agit d’actes criminels

", estime Claude Montcorgé, président de Médecins du monde. " Nous sommes profondément choqués ",

s’indigne Christian Captier, directeur des opérations d’Action contre la faim. Choqués, mais pas surpris : " Il y adéjà eu dans le passé des cas semblables, mais isolés, et, faute de contrôles suffisants, des dérapages peuvent

effectivement survenir ", explique Philippe Lévêque, directeur général de Care France, une ONG américaine. "

Rien d’étonnant si ces comportements se produisent dans un contexte de conflits où toutes les barrières morales

sautent, concède pour sa part Jean-Marie Fardeau, secrétaire général du CCFD. Mais il est inadmissible que des

représentants d’ONG y soient impliqués. Nous devons tous réagir. "

" La vérité, c’est qu’on exige toujours plus des ONG, poursuit Philippe Lévêque. Depuis dix ans, la demande

humanitaire a explosé, partout dans le monde. On demande aux associations de solidarité internationale de

mobiliser toujours plus de moyens humains et financiers, dans l’urgence. Celles-ci délèguent, entre autres, à des

travailleurs locaux qu’elles n’ont ni le temps ni les moyens de former. Et quand elles demandent l’envoi

d’expatriés supplémentaires sur le terrain, pour mieux les encadrer et les contrôler, justement, les bailleurs de

   

 

 

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fonds leur répondent qu’il n’y a pas de budget et qu’il faut faire avec les moyens du bord. "

L’argent, nerf de la guerre... humanitaire. En deux décennies, les organisations humanitaires d’urgence sont

devenues des prestataires incontournables de la solidarité internationale, prenant très souvent le relais des États.

Elles se sont professionnalisées, ont ouvert leurs portes à des spécialistes, créé de nouveaux métiers, de la

logistique du terrain à la gestion, au marketing ou à la communication. Elles ont appris à gérer d’énormes

budgets, allant jusqu’à calculer la solidarité en termes de rentabilité. Ce qui ne va pas sans poser des questions

aux pionniers du mouvement, comme Sylvie Brunel. Cette dernière reproche publiquement aux grandes ONGfrançaises d’avoir renoncé à leur idéal au profit d’une gestion comptable, dénonçant les salaires confortables des

dirigeants, les logiques de rentabilité au service

du marketing et de la communication. Une charge qui a surpris et déçu beaucoup de " compagnons de route ",

mais qui fait mouche.

Nombreux sont, en effet, les responsables d’ONG qui disent aujourd’hui que le mouvement des French doctors

ne pourra pas faire l’économie d’une réflexion en profondeur sur ses méthodes d’actions. " C’est peut-être la fin

de la période boy-scout ", remarque Philippe Lévêque qui, lui, se félicite de l’évolution vers une logique

d’entreprise. Dirigeant la section française de Care, il est déjà habitué au type de procédures américaines, depuis

la collecte de fonds et la mise en œuvre des missions jusqu’à leur évaluation, réflexes que n’ont pas encore

toutes les ONG.Plus de contrôle, plus de formation, plus de transparence. Chacun convient aujourd’hui, dans le monde de

l’humanitaire, que les organisations non gouvernementales vont devoir progresser en ce sens. Il en va de leur

crédibilité. Et, par conséquent, de leur efficacité.

La Vie organise un forum sur les ONG.

La réflexion sur l’éthique de la pratique humanitaire est un débat important pour un journal comme le nôtre.

Aussi La Vie souhaite prendre l’initiative d’un débat à ce sujet. En sollicitant vos réflexions sur la question, mais

aussi en organisant, fin mai, à Paris, un grand débat sur ce thème, en lien avec les Amis de la Vie, le CCFD et le

Forum des communautés chrétiennes. Déjà, de très nombreuses ONG nous ont dit être intéressées par notre

démarche et souhaitent y participer.Écrivez-nous : Forum-ONG La Vie, 163, bd Malesherbes, 75017 Paris.

L’humanitaire devient un business

Sylvie Brunel présidente démissionnaire d’Action Contre la Faim

"L’écho qu’a reçu l’annonce de mon départ de la présidence d’Action contre la faim montre bien à quel point

l’humanitaire est un sujet sensible. C’est parce que les ONG incarnent une attente, un idéal humaniste qu’elles

doivent être à l’abri de la critique, qu’elles doivent agir dans la transparence. Malheureusement, grisées par leur

propre succès, elles ont oublié qu’elles devaient, elles aussi, rendre des comptes :

– publier leurs vrais chiffres – et non englober fallacieusement, dans les missions, un grand nombre de salaires

et d’actions bénéficiant en réalité à leurs sièges ;

– donner le vrai bilan de leurs actions sur le terrain, faire des évaluations de leurs programmes, au lieu de s’en

tenir à des effets d’annonce et d’exhiber en permanence des souffrances, réelles, pour collecter des fonds ;

– dire la vérité sur les conséquences de leur " professionnalisation ", qui les conduit à dépenser de plus en plus

en frais de communication, à donner aujourd’hui à leurs cadres des rémunérations dignes du secteur privé, à

privilégier le geste technique au détriment de la réflexion éthique.

L’humanitaire est en train de devenir un business avec ses " parts de marché " de la générosité, sa recherche

systématique de " missions rentables ", qui permettent de financer des frais de sièges de plus en plus lourds. Les

volontaires de terrain, mal payés, travaillent dans des conditions souvent difficiles, mais l’encadrement, dans les

sièges, vit de mieux en mieux. En oubliant que c’est grâce à la générosité de donateurs souvent modestes qui

veulent d’abord et avant tout secourir des victimes. C’est cette dérive qui m’a profondément blessée.

  

 

  

 

 

 

 

  

 

  

 

 

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