i.f mag n#5

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french free cultural magazine. Edit by young graphic designer. About art contemporary, design, fashion, music...

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Page 1: I.F mag N#5
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3

EDITO

« Quelle ivresse de se sentir Dieu le père et de distribuer des

certificats définitifs de mauvaise vie et mœurs.

Je trône parmi mes vilains anges, à la cime du ciel hollandais, je

regarde monter vers moi, sortant des brumes et de l’eau, la multidude du

Jugement dernier. Ils s’élèvent lentement, je vois arriver déjà le

premier d’entre eux. Sur sa face égarée, à moitié cachée par une main,

je lis la tristesse de la condition commune, et le désespoir de ne

pouvoir y échapper. Et moi, je plains sans absoudre, je comprends sans

pardonner, et surtout, ah, je sens enfin que l’on m’adore !

Oui, je m’agite, comment resterai-je sagement couché ? Il me faut être

plus haut que vous, mes pensées me soulèvent.

Ces nuits-là, ces matins plutôt, car la chute se produit à l’aube,

je sors, je vais, d’une marche emportée, le long des canaux. Dans le ciel

livide, les couches de plumes s’amincissent, les colombes remontent un

peu, une lueur rosée annonce, au ras des toits, un nouveau jour de

création. Sur le Damrak, le premier tramway fait tinter son timbre dans

l’air humide et sonne l’éveil de la vie à l’extrémité de cette Europe où,

au même moment, des centaines de millions d’hommes, mes sujets, se tirent

péniblement du lit, la bouche amère, pour aller vers un travail sans

joie.

Alors, planant par la pensée au-dessus de tout ce continent qui m’est

soumis sans le savoir, buvant le jour d’absinthe qui se lève, ivre enfin

de mauvaises paroles, je suis heureux, je suis heureux vous dis-je,

je vous interdis de ne pas croire que je suis heureux à mourir ! Oh !

soleil, plages, et les îles sous les alizés, jeunesse dont le souvenir

désespère !

Je me recouche, pardonnez-moi. Je crains de m’être exalté ; je ne pleure

pas, pourtant. On s’égare parfois, on doute de l’évidence, même quand on

a découvert les secrets d’une bonne vie. Ma solution, bien sûr, ce n’est

pas l’idéal.

Mais quand on n’aime pas sa vie, quand on sait qu’il faut en changer,

on n’a pas le choix, n’est-ce pas ? Que faire pour être un autre ?

Impossible. Il faudrait n’être plus personne, s’oublier pour quelqu’un,

une fois, au moins. Mais comment ? Ne m’accablez pas trop.

Je suis comme ce vieux mendiant qui ne voulait pas lâcher ma main, un

jour, à la terasse d’un café : « Ah monsieur, disait-il, ce n’est pas

qu’on soit mauvais homme, mais on perd la lumière. » Oui, nous avons

perdu la lumière, les matins, la sainte innocence de celui qui se

pardonne à lui-même ».

Albert Camus, La chute, Editions Gallimard ,1956.

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en vitrine

CYRIL HATTNous avons offert notre vitrine à un jeune plasticien français : Cyril Hatt. Le deal, nous : un espace et un thème / la sieste. Lui : du talent et une œuvre, « Bultex », exposée 3 mois dans notre atelier. À 34 ans, Cyril Hatt n’en est pas à son coup d’essai. Après avoir enseigné la langue de Molière à Tokyo et à Chicago, il débute un tra-vail plastique en 2003 avec une première exposition à Rodez, on ne l’arrêtera plus ! Des vitrines pour Lanvin en 2009, la F.I.A.C en 2010, des résidences artistiques remarquées ; c’est désormais un des poulains de la galerie Bertrand Grimont. Il se joue de notre perception, en recréant le réel, celui qu’on tâte, celui qu’on consomme, celui des objets manufacturés. Il trompe nos yeux en stéréophotographie, avec ses spectres d’objets reconstruits en 3D, en laissant tout de même quelques indices éparpillés, bricolés, métallisés, symbolisant le passage de l’agrafeuse de l’artiste. Objets détournés de leur usage, ils demeurent fantomatiques, et errent dans les salles d’exposition, donnant l’illusion que l’art s’invite dans le quotidien.

©A4l’atelier graphique

En vitrine _/

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- « Tirages à sublimation thermique », « stéréo-photographie » : que se cache-t-il derrière ces mots barbares ?La sublimation thermique, c’est un procédé d’impression. Je ne fais que recopier les infor-mations notées sur la boîte de l’imprimante. Je sais juste que techniquement c’est une machine qui fonctionne comme un four. Elle fait fondre la cire sur le papier pour la fixer instantané-ment en trois passes de couleur jaune, rouge et bleu. Cela dit, je n’utilise plus cette imprimante car elle faisait trop de bruit et les recharges de papier me revenaient trop chères. Aujourd’hui, je commande mes photos en ligne, c’est plus pratique, plus rapide et en plus, c’est moins cher. Pour ce qui est de la stéréopho-tographie, il s’agit d’un vieux procédé qui consiste à montrer plusieurs pho-tos en même temps afin de créer un effet de relief.

- Après l’agrafeuse, gloire à la perforatrice ?Ma chérie fait du vélo ellip-tique et moi de l’agrafeuse. J’ai trouvé cet outil par hasard. Les agrafes donnent de l’élasticité au papier. L’aspect esthétique des agrafes tor-turant l’image se fait par défaut. Tout ce que je cherchais au départ, c’était de trouver une solution pour faire en sorte que l’œuvre tienne debout toute seule.

- Notre atelier est à côté d’une maison de retraite. Plu-sieurs de ses pensionnaires voulaient acquérir ton « Bultex » pour y piquer un somme. Une anecdote rocambolesque ?Les ouvriers musulmans qui travaillaient dans la ré-serve de la galerie Bertrand Grimont se sont servis de mes faux tapis pour faire leur prière.

- Après les 10,50m (mesure très approximative de l’oeil de lynx de l’équipe, oeil droit : 1/10, oeil gauche 3/10) de rame de métro reconstitués, penses-tu battre ton propre record ?C’était 29m, attention! J’accorde tout autant d’attention aux petits oiseaux qui ne demandent que trois photos.

- Quel a été ton premier geste ready-made, et comment t’es venu le concept ?Le fait d’empiler des photos 10/15 sur mon étagère a été mon premier geste ready-made. C’était pour moi une alternative à la confection d’album de photos.

- N’as-tu jamais eu l’air suspect lors de tes prises de vues d’objets urbains photographiéscm2 par cm2 ?En fait ça va plus vite que ça. Je re-coupe cm2 par cm2 chez moi sur l’ordi mais lors de la prise de vue, je photographie l’objet dans son ensemble en prêtant attention à certains détails. Aujourd’hui, tout le monde est armé d’un appareil photo ou d’une option capture d’image sur son téléphone. Ça ne

choque plus per-sonne quelqu’un qui dégaine dans la rue.

- Quelle distance y a-t-il entre les objets et ton appareil ?La même distance de sécurité que pour dépasser un cycliste.

- Dernière frivolité ?Trois poissons rouges dans un aquarium.

- La chute made in Cyril Hatt, ça donnerait quoi ?Je ne cherche pas à faire de l’esprit ça ne marche pas. J’ai un travail terre à terre en image.

©cyril hatt

©cyril hatt

©cyril hatt

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ZEROO

G

LABOORATOORY

©Google street View

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Blanc. Blanc ivoire. Blanc cassé. Bleu céruléen. Bleu cobalt. Bleu de Prusse. Bleu nuit. Gris acier. Gris-brun. Jaune aurore. Jaune platine. Ocre. Vert herbe.Bitume. Blouson. Chaussures. Emballage. Femme. Fenêtre. Gravier. Herbe. Montant. Mouchoir. Mur. Ombres. Pantalon. Pavés. Sac à main. Terre. Tronc. Trottoir. Kimberly Clark. Femme. 51 ans. Anglaise. Groupe O+. Oorwel. Chien. Mâle. 5 ans. Lévrier afghan. Groupe 10, section 1, standard n°228.

Depuis 1984, Kimberly Clark a l’habitude de: partir à pied du point A: Che-min des Croix-Rouges 3, 1007 Lausanne, Suisse. 1. Prendre la direction sud-ouest sur Ch. des Croix-Rouges vers Av. du Belvédère. Parcourir 140 m. Arriver à B: Chemin des Croix-Rouges 13, 1007 Lausanne, Suisse‎. Faire demi-tour. Total : 280 m. Environ 4 mn. Oorwel suit. A présent, place 253. 5 Chemin des Croix-Rouges? Sans trop d’adresse, Kimberly laisse son mouchoir choir…avant de disparaître.

Comme la brésilienne au pull orange de Belo Horizonte (-19°52’13.2708’’N, -43°59’22.0374’’E), le gosse de Cleveland à casquette rouge et à vélo (+41°27’59.238’’N, -81°44’’44.7678’’E), le gars en rollers et au T-shirt rayé de Paris (+48°51’53.37’’N, +2°17’56.76’’E).

Tous ont vécu la chute. Celle qui défigure. Qui désincarne. Jusqu’au flou. Au noir.L’oubli.

Ici il faut tenir la route. Rester sur les rails. Se contrôler. S’accrocher. Ne pas laissertomber. Sans quoi la chute est fatale. On ne se relève pas.On déclenche l’avalanche.Tout s’effondre avec nous.

Nous recouvre.

Sans bruit. Impossible de refaire surface. Le système entame sa mue. Abandonne sa peau. Refait le décor.

Nouvelles couleurs. Nouveaux éléments. Nouveaux habitants.Nouvel équilibre.

Oorwel le sait. Son regard persan exprime la gravité.G = 9,80665 m.s-2. Kimberly perd la main. Signale un pro-blème. Son mouchoir prend de la vitesse, de l’énergie au carré.Déjà se consume en une queue bleu nuit.Oorwel va revoir Laïka. Quitter le Labora-toire. Des émotions. Redevenir poussière.Des points de suspension. Blanc.C a s s é. . .

par Damien Tenenbaum & Laurent Chean,

Multimedia _/

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8

©Yohann Gozard

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ART CONTEMPORAIN _/

©Kerry Skarbakka

L’amour du vide.

Un instant, j’ai oublié que je n’étais ni un cygne, ni un faune, encore moins la résurrection de la

Argentina en mal de flamenco. Je me suis lancée sur la piste, pas chassé à gauche et hop, j’ai déboîté. Tombée au sol, ou plutôt échouée, lamentablement

vautrée je suis à terre. J’entends des « oh », des « ah », honteusement ridicule et bien obligée de m’excuser de n’être la reine du breakdance. On a tous vécu ce moment désagréable de LA chute

respectant approximativement ce scénario. Finalement le plus dur c’est de devoir s’avouer

qu’on a chuté - en général, face à une assemblée prostrée devant soi. Cette défaillance rythmique me vaudra bien quelques sous-entendus patauds, mais cet instant fugace a cela de magique, que connu de tous, il devient une sorte de rituel de passage - qui n’a jamais chuté, ne peut comprendre la teneur de ce message. Disons que pour une fois, la gravité aura eu raison de moi, et je me serai ralliée à sa cause : n’ai-je pas déconstruit mon réel et expéri-menté la giration pour esthétiser mon ordinaire ? Pour ma part, ce n’était pas exactement un fait

exprès, mais certaines personnes chutent volontaire-ment, et avec style. C’est là que la langue française marque aussi quelques défaillances, car comment peut-on nommer avec un même terme, le plantage contraint et forcé (fortement accentué par le bruit sourd que produit la masse du corps qui s’affale) et la plongée chorégraphique; éprouvant le saut dans la quête de soi - dont on retiendra plus volontiers

la phase ascendante et vertueuse ? Articulation subtile entre un avant, un pendant et un après, qui se conjuguent systématiquement différem-ment (convenez qu’il n’existe pas deux chutes iden-tiques), nous relèverons donc objectivement, que le vide nous appelle chacun avec plus ou moins de

grâce. Beaucoup l’ont défié, mais peu l’ont

©bas jan ader

©christoph draeger

par Aude Fournie.

Kerry Skarbakka /

Bas Jan Ader /Broken fall organic

Christoph Draeger /Tsunami architecture

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supplanté, à part peut-être quelques doués du genre. Idée vertigineuse per-formée par les danseurs de Trisha Brown, naturellement en 1968, année crash-test.

“Dans Planes, je construisis un mur de 4m par 5,50m avec des trous percés à intervalles réguliers qui fonctionnaient

comme des prises de pieds et de mains, permettant à trois danseurs de tourner, de descendre et de monter en pivotant très lentement en donnant une impres-sion de chute libre. Le mur du fond de la scène était devenu le plancher de

l’auditorium“. Avec les equipment pieces, c’est paradoxalement en surface que se visualise l’espace du vide. Parachu-tés dans ce monde trompe l’oeil, les

danseurs donnaient l’illusion du vrai en sculptant le pan du mur par le dépla-cement de leurs corps. Seul notre oeil croit à la chute - “l’oeil à une fonction

sociologique unique” (E.Goffman).D’autres artistes ont expérimenté la chute en 3 D. Après Y.Klein et son

célèbre Saut dans le vide en 1960, Bas Jan Ader le fît dans les seventies

(re-crash test). Tellement crash test qu’il est mort en mer en 1975, à bord de ce qui aurait été le plus petit bateau à avoir traversé l’Atlantique. Ses thèmes récurrents – la disparition, l’échec, la

chute – auront fini par causer sa propre perte. Ses films et photographies sont les témoins de ce désir d’éprouver le corps jusqu’à ne plus le maîtriser. Il a engagé

©cyrprien gaillard

©trisha brown

©denis darzacq

Trisha Brown /Planes

Denis Darzacq /La chute

Cyprien Gaillard /Cairns

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un bras de fer avec l’alléatoire, en s’abandonnant à la gravité par répé-

tition. Après s’être jetté du toît de son bungalow dans les buissons –

Fall I –, depuis la selle de son vélo dans le canal – Fall II – , être resté suspendu à un arbre – Broken fall organic –, la

branche a définitivement cédé sous le poids de la menace, dans son ultime

performance – In search of miraculous II. On retient davantage sa chute funeste à tous ses envols préalables, pourtant, avant, pendant, après l’action, chaque étape est importance. Aucune ne doit l’être plus. “Le moment où un objet est

dans l’air et qu’il tombe est très important. C’est comme un rêve. J’aime bien les feux d’artifice. Mais je m’intéresse beaucoup plus à la période précédant les feux.

Il s’agit là de sculptures anonymes. Et le moment qui suit l’événement est égale-ment important. (…). Je ne fais pas de

feux d’artifice : je m’intéresse à la vitesse, au temps”. L’oeuvre de Roman Signer met en scène ces trois temporalités autour de l’accidentel. La tension ne précède pas la détonation, elle lui succède. Cet artiste connu pour ses explosions, joue

avec ce temps de latence après l’action: le calme succède-t-il à la tempête? La fumée se dissipe, mais le doute subsiste et le temps s’allonge. Comme le parcours qu’emprunte le danseur de corde dans la pensée de Nietzsche (“Ainsi parlait

Zarathoustra”, figure emblématique de la chute). Autant de cordes à tendre entre

l’homme et le sur-homme, comme autant de cheminements d’une pensée qui évolue, parfois se perd et trébuche. La chute se comprend dans un temps et un espace donné. Elle est un évènement constitué

de fragments qui forment un tout. Comme le précise Didi Huberman, “être dans le mouvement c’est être hors des choses,

hors des cadres habituels où les chosent se distribuent avec plus ou moins de

stabilité dans l’espace”. Une forme d’arrêt sur image dans le feuilleté du réel. Nous sommes dans une de ces épaisseurs du temps. Kiefer et ses couches de sédi-

ments civilisationels offre des visions de monde post-traumatisme. La chute, la

dévastation, la ruine d’une culture, d’une

époque, d’une ère. La fin d’un mouve-ment. Le pittoresque (au sens premier, ce qui doit-être peint) des millénaires qui se serait accumulé, stratifié, comme figé par

tranches minérales. Arrêt sur image toujours. Nous sommes au bord du chaos avec les

images fracassantes de Christoph Draeger. Tsunami architecture, Catastrophe I & II,

Apocalypso place, Crash, autant de visions fatalistes d’un monde sans devenir, hors de toutes contraintes de temps ou d’espace, en dehors de toute rationalité, un monde de chutes en série. Uchronique, utopique,

suspendu dans l’attente, en apesanteur. Le désastre a eu lieu, le bilan reste à

prononcer. Toujours sur pause, dans l’attente de la re-prise, on trouve les sculptures monumentales

de Nancy Rubins. Conglomérats d’objets disparates récupérés ça et là, assemblés pour s’échapper dans l’espace du néant,

comme les “Black hole” de Björn Dhalem. Une simulation de chute qu’on retrouve sous un autre ordre, dans les waterfall de Noemie Goudal, où des bâches ont remplacé les

trombes d’eau.Maintenant, imaginez-vous “ce qui arrive” en pénétrant dans un espace où le plafond s’est écroulé… ne reste qu’un bardat de tubes d’alluminim entrecroisés (“La chute”, Lebbeus Woods, 2002 pour la Fondation

©P.Ramette

©noemie goudal

ART CONTEMPORAIN _/

Philippe Ramette /Comtemplation irrationnelle

Noemie Goudal /Waterfall

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Cartier). Heureusement, tout cela a eu lieu sans que vous n’y soyez vraiment

confronté. D’autres artistes, comme Cyprien Gaillard, reviennent sur l’éffondrement d’immeubles, la démolition de quartiers entiers, filmée (Pruitt Igoe Falls, 2009),

photographiée (Cairns, 2007) de façon frontale, sans narration, si ce n’est celle de la chute certaine. La désuétude de ces architectures anéanties est sympto-matique du combat de ces jeunesses qui les peuplent. Cette jeunesse, qui parcourt aussi les photographies de Denis Darzacq. Une jeunesse en suspens, dans l’attente de quelque chose qui tarde à arriver. Après

les émeutes de 2005, le photographe réa-lise la série “la chute” en suivant quelques B-boys des cités, ces “chevaliers des temps modernes” à l’équilibre précaire. Ils n’ont

pas vraiment le look travaillé du banquier idéal, comme Philippe Ramette dans ses mises en scène photographiées, mais ils

ont en commun l’amour du vide (P. Ramette, Contempla-tion irrationnelle, 2003). “Une fenêtre ouverte sur le monde” selon la formule consacrée d’Alberti, et quelques mètres de vide en dessous, le ban-

quier fait sa prière. Les valeurs du cac 40 vont l’emporter dans leur chute. Les forces spéculatives seront-elles

encore avec lui dix étages plus bas, pris dans des filets made in china, gardiens des corps de la masse salariale ?

L’image de l’investisseur défe-nestré apparaît au XVIII° dans

les gazettes françaises et hollandaises publiées lors de la crise de 1720. « L’effondre-ment du système de Law et les krachs boursiers sont des

événements qui ont touché la population entière et pas seu-lement les spéculateurs. Cela a généré un matériel visuel incroyable », confirme Wim

Delvoye. Suit la crise de 1929, durant laquelle une raffale de suicides de banquiers donne matière à quelques dessins de presse. Mais après le 11 sep-tembre 2001 où plus de 200 employés se jettent dans le

vide, la donne change. L’amé-ricain Kerry Skarbakka réalise en 2005, une performance

“tendue” pour le musée d’art contemporain de Chicago: il apparaît en suspension

dans les airs, élastiqué à la façade vitrée d’un bulding, comme arrêté à mi parcours avant l’échéance fatale. Le

gouverneur et le maire de New York interviennent et qualifient d’infâmante cette performance artistique qui porte atteinte

à l’image hégémonique de l’Amérique. Plus haut les

gratte-ciels ont grimpé avec l’essor capitaliste, plus vertigi-

neux est l’amour du vide.

©bas jan ader

©cyrprien gaillard

ART CONTEMPORAIN _/Bas Jan Ader/

Fall

Cyprien Gaillard/Cairns

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C H U T E D E T E N S I O N

Maxime porte une veste Bleu de Paname, 290 €, un short Hixsept, 119 €, basket sawashoes, 115 € et une casquette Norse Projects, 50 €, le tout chez Rice & Beans .

©A4 L’atelier graphique.

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Natalya porte un chemisier Sessùn, 145 €

chez Lili-Léone et un collier de Samuel

Coraux, 110 € chez Oups.

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©A4 L’atelier graphique.

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Fanny porte une robe sessùn, 160 € chez Lili-Léone et un camet collection personnelle.

Réalisation / Aude Fournié & Nolwenn Durand pour A4 l’Atelier GraphiqueConsultante Mode / Justine Ricaudmaquilleuse / Elea ClaracCoiffeur / Sylvain CollonguesMaître plâtrière / Anne RuizModèles / Maxime Guillon-Roi-Sans-Sac / Natalya Kolesnik / Fanny Joly

Les tenues sont disponibles chez /Lili-Léone / 16 rue des Tourneurs / 31000 ToulouseOups / 54 rue des Tourneurs / 31000 ToulouseRice and beans / 18 rue Cujas / 31000 Toulouse

Retrouvez les coulisses sur Facebook / IF-magazine

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©A4 L’atelier graphique.

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Politique _/

C’est l’histoire d’Alexandre Lou-

kachenko. C’est l’histoire d’un homme

peu fréquentable. Dans les années

70, après une scolarité diffuse, il sert

dans l’armée comme garde-frontière.

Puis, il devient vice-président d’un

sovkhoze, une exploitation agricole

d’Etat en Union soviétique. Avide

de pouvoir, il s’essaye à la politique,

quelques années plus tard, et brigue

son premier mandat en tant que

député. En 1991, lorsque l’URSS

exhale son dernier souffle, Alexandre

Loukachenko gronde de colère.

L’accord qui donne l’indépendance à

la majorité des anciennes

républiques soviétiques

est ratifié, une décision à

laquelle il s’oppose farou-

chement. Vexé, il se retire

de la scène politique et

retourne gérer une ferme

d’Etat pour se changer les

idées.

Le 10 juillet 1994, loin des exploi-

tations de céréales et de légumes, il

réalise son plus grand rêve. Il est élu

président de son pays. En 2012, dix-

sept ans plus tard, rien n’a vraiment

changé. Alexandre Loukachenko est

toujours président. Il dirige la der-

nière dictature du continent européen,

la Biélorussie. Au fil de son règne, il

a imposé à son peuple une méthode

d’étouffement despotique classique :

syndicats muselés, médias contrôlés,

opposants politiques emprisonnés.

LA MEILLEURE

FA9CON

DE

TOMBER

©AFP

par Robin Panfilli

Page 19: I.F mag N#5

Un parcours politique autoritaire au

cours duquel il se met à dos les ins-

tances internationales et européennes.

Alors, au gré de ces déboires diploma-

tiques, Loukachenko trouve refuge

auprès de fidèles amis :

Vladimir Poutine en Russie,

Noursoultan Nazarbayev au

Kazakhstan ou Mahmoud

Ahmadinejad en Iran. Une belle bande

de copains.

Mais à 58 ans, Alexandre

Loukachenko a peur. Son mépris à

l’égard de l’Union Européenne ne

suffit plus pour le rassurer. Son

peuple en a marre. Celui-là même qu’il

domine d’une main de fer perd son

calme. La faim, les libertés confis-

quées et l’effondrement économique

poussent les gens à protester massi-

vement. Dans les rues de Minsk, ils

sont nombreux à scander leur désaveu,

en décembre 2010, lors de la qua-

trième réelection de M. Loukachenko.

Ce jour-là, une vague de répression

frappe la capitale biélorusse. Des cen-

taines de manifestants sont arrêtés,

sept des neuf candidats à la prési-

dentielle sont envoyés en prison. Un

durcissement violent qui sonne comme

un avertissement alors que, dans le

même temps, la cote de popularité du

président biélorusse connaît une chute

vertigineuse. Alexandre Loukachenko

a peur parce qu’il se sait menacé.

En 2012 comme en 2011, l’Union

Européenne vote des sanctionS finan-

cières contre Alexandre Loukachenko.

L’homme et ses collaborateurs

sont privés de visas européens et

nord-américains. Vexé et inquiet, il

décide de baisser le rideau de fer sur

ses frontières. Quitter le territoire

biélarusse est devenu difficile, voire

impossible pour certains opposants

politiques.

Las, certains crient, d’autres fuient.

Au péril de sa vie, Natalia Koliada,

fondatrice du Théâtre Biélorusse

Libre, monte des pièces non censu-

rées dans des salles clandestines.

Emprisonnée puis relâchée, elle a

cédé à la peur. Sa famille a attendu

les douze-coups de minuit, au

Nouvel An, pour passer en Russie

en échappant aux garde-frontières

ivres et distraits. Les Biélorusses

sont nombreux à frémir, à fuir, à

attendre, à trembler de peur.

Traditionnellement, la chute est

pour nous tous l’expression d’un

échec, d’un naufrage. En Biélorussie,

c’est différent. Depuis qu’Alexandre

Loukachenko a choisi la terreur

comme principale alliée, c’est tout

un peuple qui lui souhaite les pires

déconvenues. N’en déplaise à sa

définition, jamais une Chute n’aura

drainé autant d’espoir.

©AFP

Page 20: I.F mag N#5

20

Ce matin, assise (avachie) devant mon écran (d’ordinateur), je vois

passer devant la vitrine de l’atelier une donzelle toute de Maje, Sandro, blablabla, vêtue.

J’en recrache mon thé sur ma blouse été 2009 soldée, et me pose LA question : comment grimper dans

l’ascenseur social ?

L’ écho de ses pas raisonne dans ma tête: hum, ça claque, ça swingue,

ça tinte le talon haut. En y pensant, c’est bien grâce à eux que Cendrillon est passée de l’état de bonne à tout faire, à co-chef du

royaume. Je tiens une piste. Je la remonte : une enquête historique

s’impose.

1533 / Une version officielle. Pour éviter à son futur époux

d’avoir à baisser sa royale figure, Catherine de Médicis, le jour de

son mariage avec le Duc d’Orléans, arbora pour la première fois en

société de curieux appendices, et le talon haut fît sa première

apparition publique.

Version officieuse. La fière Catherine en commandant ces

fameux souliers chez un artisan florentin, rivalisait avec le futur

roi de France. Mon Hypothèse se confirme.

Une première sortie officielle qui lança une mode aussi esthétique que

contraigante. S’ils font chalouper les femmes, les talons hauts font des hommes

des infirmes. Symbole de puissance, le talon hisse les courtisans au

dessus du peuple. Hélas l’abscence de différence entre le pied gauche

et le droit, les contraignaient à se déplacer avec une canne ou à l’aide

d’un serviteur. Malgrès ce léger handicap, des hommes de pouvoir

n’hésitèrent pas à se hisser sur de tels artifices afin d’assoir leur grandeur. Louis XIV et ses talons

rouges, fût le plus illustre (bien que d’autres puissants suivirent par

la suite la mode des talonettes).

Talon social

Mode _/

Carbon I / Marloes ten Bhömer

©Marloes ten Bhömer.

©Gui

llau

me C

rouz

et.

création du bottier Hellster / 1925

parNolwenn Durand

Page 21: I.F mag N#5

21

* /altocalciphile / fétischiste des talons hauts.

Delftware / Viktor&Rolf

Stelts / EElko Moorer

©Eelko Moorer.

©Viktor&Rolf.

Cette usurpation du pouvoir talonnaire par l’homme s’étêta avec la révolution qui fit tomber têtes et talons. Il faut dire que l’investissement fait sur chaque chaussure pouvait dépasser le prix d’une ferme (en même temps, avec une ferme au pied on ne va pas bien loin).

On marcha à plat quelques temps, puis le talon réapparaît à la fin du XIX ème siècle dans les maisons closes. Dès lors il se démocratise, perd son utili-sation unisexe, mais toujours chargé de symboles, il garde une réputation sulfureuse. Objet d’asservissement ou de pouvoir, il inspire. Almodóvar le choisit comme thème de son film Tacones lejanos (Talons aiguilles), tout comme Truffaut avec L’homme qui aimait les femmes et Buñuel avec Cet obscur objet du désir. Le Musée international de la chaussure lui consacre une partie de sa collection, des pièces historiques et des créations intrigantes, comme les chaussures à talons danseuses de Paco Rabanne qui obligent son utilisatrice à marcher en pointe.

©Gui

llau

me C

rouz

et.

botillon de femme / Chine

©sympatico.

Page 22: I.F mag N#5

Le virtualshoesmuseum, temple des altocalciphiles*,

répertorie les travaux de designers les plus bluffants (es-timation personnelle: les modèles

portables s’évèlent à 10%, bien que la converse de demain s’y cahe sûrement). Parmis les plus «confort»:

- le sabot talonné de Viktor & Rolf allie l’esthétique à la

tradition. - les spartiates Stelts

réinventées d’Eelko Moorer, designer néerlandais, reptilisent

les jambes les plus fines. Mais c’est la designer allemande Marloes ten Bhömer qui en créant

une architecture de carbone surélève le pied, et abolie la présence physique du talon. Le

pied aérien, semble comme chaussé des ailes d’Hermès.

En attendant, pour celles qui cherchent le confort, la

basket à talon lancé par Isabelle Marant sera votre salut. Pour les

bourses en peau de chagrin les copies pulullent. A défaut de trouver chaussures à son pied,

mettez le monde aux vôtres.

www.virtualshoemuseum.com

Paco Rabanne

©Guillaume Crouzet.

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U N E C H U T E E S T U N A C C I -D E N T

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©clément Marty

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TU AS ENTRE TES MAINS UN DISPOSITIF D’ENREGISTREMENT ET DE STOCKAGE DES CONNAISSANCES;CE DISPOSITIF EST UNE VéRITABLE RéVOLUTION TECHNOLOGIQUE:

C’EST UN OBJET COMPACT ET PORTABLE SANS CâBLE NI CONNECTIQUE SANS CIRCUIT éLECTRIQUE NI BATTERIE NE CONTENANT NI MATIèRE FOSSILE NI MATIèRE RARE

C’EST UN OBJET UTILISABLE PARTOUT ET DISPONIBLE A TOUT INSTANT IL NE PLANTE JAMAIS IL NE NECESSITE PAS DE RéINITIALISATION

C’EST UN OBJET DONT L’USAGE EST A LA PORTéE DE TOUS SANS FORMATION SANS PROCESSUS A RESPECTER.

Il suffit de l’ouvrir /

- Les supports d’information appellés « feuilles » sont organisés de manière chronologique et numérotés. Ils sont te-nus dans un ordre par un système appelé « reliure ». Chaque « feuille » stocke des mil-liers d’informations appellées « lettre », consti-tuant des mots, eux mêmes architecture d’une phrase, créant un univers de connaissances servant de base à des émotions stratégiques .- L’opacité du support physique appelé « papier » permet d’utiliser les 2 faces de la « feuille », met-tant en valeur le concept de recto-verso

L’organisation et l’architecture de ce dispositif permet une approche variée et personnalisée /

- Un doigt suffit d’interface pour obtenir une lecture au fil des pages.- Une fonction « tables des matières » permet de synthétiser l’information et de guider l’utili-sateur pour localiser l’information recherchée.

Ce dispositif révolutionnaire,accessible,économe,simple,

éco-responsable et porteur d’une nouvelle forme d’implication sociétale porte le nom de

LIVRELIEU INTELLIGENT POUR VIVRE LA RÉFLEXION ET L’ÉMOTION.

RELIEFDOC, imprimerie éco-responsable, est totalement impliquée dans la promo-tion du livre et du papier : Le papier /

) comme support de communication ) comme trace de mémoire ) comme véhicule des sens ) comme générateur de plaisirs ) comme objet de culture ) comme agent environnemental ) comme substrat de la création.

Des applications facilement acces-sibles apportent un confort d’utili-

sation /

- L’application « marque page » permet d’ouvrir où la lecture a été arrêtée.

- L’application « crayon », permet d’ajouter des notes personnelles.

- L’application « pupitre » est la déclinaison main libre permettant le partage par de mul-tiples utilisateurs.

Dispositif respectueux de l’environnement /

- sa matière première, le « papier » est fabri-quée à partir de produit 100% végétal- son espace de croissance, la forêt, participe à la captation des gaz à effet de serre .- de la forêt au papier, le processus de fabrica-tion utilise des énergies renouvelables.- Recyclable jusqu’à 6 fois, le papier est la ma-tière dont l’empreinte carbone est neutre quand ses fibres viennent de forêts gérées durablement.

source / R.J Heathorn, Punch, May 9, 1962

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LE

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LA DANSE

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Le premier Centre de Développement Chorégraphique a été créé à Tou-louse, en 1995. Aujourd’hui, ils sont huit sur le territoire. Leur principale mission est de tisser du lien entre la création choré-graphique et les publics. Ils sont complémentaires des CCN (Centres Chorégraphiques Nationaux), et du CND (Centre National de la Danse) dans leurs actions. Les CDC par-ticipent activement à la mise en valeur de la diversité de la créa-tion chorégraphique via le soutien à la création et à la recherche, la diffusion, et la mise en place d’actions culturelles favorisant des échanges avec les publics. A Tou-louse, c’est Annie Bozzini qui mène la danse. Nous avons eu le plaisir de la rencontrer.

- Quel est l’élément déclencheur qui pousse une journaliste à créer un centre de développement chorégra-phique ? Il n’y a pas d’élément clairement défini, c’est davantage un parcours en plusieurs étapes : arrêter un journal, travailler au plus près d’équipes de création, puis lire un jour dans Le Monde que la ville de Toulouse cherchait quelqu’un pour penser le développement de la danse sur un territoire. Là, c’est une autre étape. On passe de l’observa-tion et du commentaire, aux « mains dans le cambouis » avec les compa-gnies, avec une application sur un territoire.

- Le choix de Toulouse comme pre-mière ville d’implantation était-il évident ?La ville de Toulouse s’est imposée d’autant plus que c’était la ville de France que je connaissais le moins. J’ai habité Marseille, Paris, j’ai passé beaucoup de temps à Lyon, j’ai travaillé à Mulhouse, je suis née à Angers, j’ai fait mes études

à Grenoble… donc j’ai quand même beaucoup circulé à l’intérieur du territoire français, et Tou-louse, qui est toujours un petit peu en dehors des circuits habi-tuels, était la grande ville que je connaissais le moins.

- La 8° édition du festival « C’est de la danse contempo-raine » porte sur le thème de la migration. Est-ce qu’un art qui s’appuie sur de l’expression corporelle outrepasse les fron-tières : une même création est-elle perçue de la même façon aux quatre coins du globe ?La danse est quand même un des arts les plus universels. Le fait de n’être pas assujetti à la question du langage ver-bal, le rend un peu plus apte à traverser les frontières. Il y a aussi une situation géopoli-tique partagée par l’ensemble des artistes aujourd’hui, qui s’en emparent. La danse n’est pas qu’une histoire de libél-lules qui se rencontrent ou ne se rencontrent pas. Il y a cette idée reçue qui colle à la danse, comme quoi ce serait un art de

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l’éphémère, dans la virtuosité immé-diate. C’est évident, il y a de cela mais pas uniquement. Ce sont aussi des artistes qui ont choisi ce vecteur pour exprimer des choses plus importantes que l’ordre de la légèreté.

- Depuis les ballets russes, l’étan-chéité entre les différentes disciplines artistiques s’amenuise. La danse intègre des médiums variés comme le théâtre ou la vidéo. Est-il encore possible d’avoir une définition arrêtée de la danse des sens ?La question est juste, puisque la défi-nition de ce qu’est la danse aujourd’hui est en interrogation permanente. Ce que j’aime le mieux dans cet art là, c’est qu’il échappe à des définitions qui ont été les siennes pendant longtemps, comme l’art du rassemblement ou celui des rituels, toutes les formes de danses vernaculaires. La danse contemporaine devient de plus en plus adulte en inté-grant la question de l’état du monde ac-tuel. Elle ne se limite pas à des points de technique, de virtuosité du mouvement pur qu’on adore par ailleurs. Le mou-vement sans émotion - « motion is not emotion » comme disait Cunningham. Il reste un support puisqu’il faut que la question du mouvement avance aussi. Les corps changent, la société change, les contextes changent, donc cette question de la définition est extrêmement fluc-tuante aujourd’hui. C’est, je trouve, une des grandes qualités de la danse.

- La société, les médias, considèrent souvent les artistes comme devant prendre position face aux problèmes po-litiques et sociétaux. Cependant, comme le souligne Didi Huberman, « exprimer ne veut pas dire signifier ». Pensez-vous que la danse contemporaine doive être engagée ? Le plus grave serait de donner des injonctions aux artistes. Il y a des intentions, des engagements qui passent

d’une manière extrêmement fine, qui ne sont pas pour autant des déclarations. Il y a évidemment des artistes qui ont conscience de certaines choses et qui l’expriment de manière assez directe, et pour autant, on ne va pas tout d’un coup n’accueil-lir que des artistes qui ont un point de vue sur le monde. Je considère que lorsqu’on a une responsabilité dans ce domaine qui s’appelle la danse contem-poraine, il est évident que ce point de vue là s’impose quand les artistes l’expriment aussi clairement, mais personnellement je n’en fais pas une obliga-tion. On a choisi cette année la migration sur le thème du festival, mais on fait par ail-leurs toute une saison où l’on déroule d’autres possibilités de monstration. L’avantage d’un temps fort, c’est qu’il permet de défendre une ou deux idées et de rassembler un public autour. Il y a de la place pour tout le monde et aujourd’hui les formes d’expressions dans la danse sont extrêmement multiples. Elles sont liées à la ques-tion du mouvement et à l’évo-lution du corps. Notre travail, c’est de montrer des artistes vivre, donc autant les montrer dans ce qu’est leur exigence aujourd’hui, avec toutes les maladresses qu’elle comporte.

– La première volonté du CDC est de démocratiser l’accès à la danse dans son ensemble. Quels outils, en presque 20 ans d’existence, le réseau des CDC a t-il proposé aux danseurs comme au public ?

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et comment les retravaille-t-on sur un plateau ? Si on regarde la danse de Michael Jackson, on se rend compte que lui-même était une espèce de mix de choses qui l’avaient précédé – les claquettes, les danses d’origine africaine, retravaillées. C’est intéressant, souvent on a l’impression que ces formes naissent spontanément, et si l’on s’intéresse à leur ADN, on se rend compte que l’Afrique en est le berceau. Pour l’instant il y a une forte influence de ce continent. Si l’on ouvrait un peu plus sur l’Asie ou la Russie, on trouverait des choses aussi très intéressantes. Tout est possible avec cette perma-nence du corps qui nous soutient.

- Nous avons choisi les lettres I et F pour le côté Intensément Frivole. Quelle est votre dernière frivolité ?Ma dernière frivolité qui n’en a pas été une, a été de m’attacher bêtement à la collection Marni de chez H&M et de l’avoir ratée. Faire un tel battage avec Sophia Coppola, ce film publicitaire magnifique, cette très belle collection eth-nique, et en même temps l’inter-dire au public et uniquement jouer sur la frustration m’a beaucoup énervée. Je suis passée devant le magasin le matin, jour de la femme. J’ai vu comme tout le monde, qu’il y avait 3h de queue. Je leur ai donc écrit en leur disant que c’était quand même scandaleux de ne s’adresser qu’aux personnes désœuvrées qui avaient 3 heures à perdre. C’était donc un moment d’intense frivolité raté.

On sait que la pédagogie est reine. On a donc mis en place des mallettes péda-gogiques pour expliquer que la danse se développe toujours à un endroit et dans un temps très pré-cis. Il faut arrêter de penser qu’elle est simple-ment déconnectée de toute réalité. Il faut relier la question de la danse à ce que sont les gens, leur intimité. C’est aussi l’histoire de chacun parce que c’est l’histoire du corps et de son évolution dans les sociétés. On peut difficilement trouver un art qui soit plus rassem-bleur. Hors, les gens ont au contraire été exclus de ce versant là. Alors comment rallier le public aux propositions qui sont faites aujourd’hui ? Cet aspect représente un défi intéressant.

- Quel tournant pourrait prendre la danse contem-poraine dans la décennie à venir : quelles seront selon-vous, les influences de demain ?Je pense qu’il va y avoir une influence due aux effets de la mondialisa-tion. Il y a certainement des danses authentiques, rituelles qui vont dispa-raître ou être intégrées. En même temps on note une préoccupation des artistes pour la question du popu-laire qui vient traverser la danse. Comment à la fois abandonne-t-on les danses qui étaient plus populaires

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©Sylvain Riejou.

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De nos jours on ne chute plus

Nedjma Merahi, vit et travaille entre Paris et Toulouse.Après une formation de danse et de théâtre à Montréal puis Paris, elle intègre le CDC de Toulouse et dévelloppe son sens de l’observation en tra-vaillant dans différentes compagnies. Son expérience auprès des chorégraphes l’amène à dresser quelques critiques du milieu, teintées d’ironie. Nedjma puise dans le quotidien du métier de danseur pour raconter sous formes de chroniques son ressenti, d’abord adressées à un cercle intime. Elle forma-lise maintenant ce travail sur scène, sous forme de stand up dansé devant un public.

parNedjma Merahi

De nos jours on ne chute plus, je veux parler de la bonne vieille chute comme dans les années 80: on s’élance, on se roule au sol et on se relève, ou carrément on se jette au sol parce que le sol, à l’époque on aimait ça!Maintenant, signe des temps modernes?, on ne chute plus, on tombe, au ralenti.Parce que le rapport au sol a changé, le sol désormais c’est loin, c’est sale, ça fait peur et surtout va falloir se rele-ver!

Tomber c’est bien, se relever non.Vous vous dîtes:” Bah y’ a qu’à rester au sol! “Et moi je dis:” Pourquoi pas”Mais faut une bonne raison parce ce qu’entre nous, on a toujours une bonne raison de chuter et une bonne raison de se relever mais de rester là, au sol, non.

L’important, c’est de rester debout; quoiqu’il arrive, on tient!

De nos jours, on ne va plus au sol, on ne nous le demande plus et ça ne nous vien-drait pas à l’idée non plus.Alors la question est: “Mais pourquoi donc la mode est-elle passée?”Plus de déséquilibre, plus de prise de risque, plus de lâché prise.

Il y a deux sortes de chutes en danse et seulement deux: celles qui n’étaient pas prévues, et celles qui étaient prévues.Alors que dans la vie de tous les jours on ne se dit jamais “tiens je vais me jeter par terre”, en danse, ben si, on se dit ça. Mais on se dit ça vraiment très vite parce qu’une chute, autant ça se maîtrise et ça s’amortit, autant faut pas trop y penser avant d’y aller! C’est comme les portés, faut y aller!, faut se lancer!

D’où le grand moment de solitude quand un chorégraphe inspiré vous demande “…et là ce serait bien une chute ou juste que tu tombes …”Parce que voilà ce qui se passe dans la tête d’un danseur quand on vous impose une chute que franchement vous n’aviez pas

prévue dans votre programme pépère de “Je –maîtrise-ma-petite–danse-de-tous-les-jours”: vous paniquez.Extérieurement vous prenez l’air blasé et dîtes “ok” au chorégraphe ou version de ceux qui assument moins: vous partez dans une sorte d’enquête pour reculer le moment fatidique “tu veux une chute genre directe ou plus comme ça ou plus genre etc…”

Mais le résultat est le même: vous pani-quez.

Car, non, vous ne voulez pas mourir de suite, vous faire des bleus, des héma-tomes, pire, vous blesser, vous manger le sol, vous fatiguer, ou faire des pompes pour vous échauffer en prévision de cette putain de chute…

Alors vous finissez par faire un bilan de votre carrière + formation, vous vous rassurez, vous vous apaisez et vous y allez.

Tout ça a pris normalement moins d’une minute en temps réel mais dans votre corps vous venez de traverser 5 ans de réflexion intense et excessivement synthétisée des essentiels en danse : qu’est ce que la chute? Comment chuter? Et surtout: comment s’en remettre?

Mais, parlons un peu technique: contrai-rement aux sauts, aux déséquilibres, aux portés, aux courses etc… la chute a ce statut particulier: tu vas volon-tairement chercher le sol! Ce qui peut paraître complètement suicidaire, cette quête absurde et totale de la gravité dans tout ce qu’elle a de plus direct.Et là, j’ai envie de vous dire: c’est ça qui est incroyable dans la chute….une fois maîtrisée donc une fois passés les moments douloureux de réceptions hasar-deuses ou ratées, la chute a ce pouvoir de donner l’impression, certes fugace, au corps d’avoir choisi le moment de son attirance avec le sol et que ce moment n’a été en aucun cas subi mais choisi.

Et ça, c’est beau.

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Je croyais tomber par terre. J’aurais crié « Faute à Vol-taire ! » Une dégringolade de plus et je serais maître dans l’art de la chute.Or je côtoie plus les par-terres sans fleur que je ne récolte les dollars de ma chute. Comme on dit, l’argent s’envole plus qu’il ne tombe. Étrange ce croisement sans rencontre. Je dégringole, il monte inexorablement. Nos deux courbes se croisent sans jamais se trouver !A force de me casser le nez il va falloir me ramasser à la petite cuillère. En tout petits morceaux. Repartir de zéro avec toutes ces chutes de moi !Parfois ce n’est qu’un choc, ce n’est pas trop fort, la fissure qui en résulte est résorbable, réparable. Un petit rafistolage, un pe-tit bricolage, permet de se remettre vite sur pieds. Corps blessé, corps meur-tri, on suture, on panse, après on pense et on peut se réjouir d’être passé à côté. A côté ? « De la chute. » Celle qui casse, qui fait mal, la fatale! C’est celle-là qui brise en mille morceaux. C’est avec celle-ci qu’on a plus qu’à tout ramasser à la petite cuillère, tenter de se refaire la cerise. Recons-truire quelque chose avec toutes ces chutes de bois !C’est fou comme nos vies peuvent ressembler à celle des objets. On va finir par croire qu’ils sont vivants, ou peut-être que nous sommes un peu trop inertes. Tout est une question de point de vue, mais on ne peut nier cet étrange lien social, orga-nique même viscéral que nous entretenons avec les choses.

De la chute

... a l’objet

Il y a une manière de pen-ser l’objet comme on pense le corps. Il y a une façon de panser l’objet comme on panse le corps.Notre envie et même notre regard posés ailleurs peuvent confirmer cette incarnation objectile. L’histoire et la tradition africaine animent les choses, les articulent dans le temps et l’espace comme des corps vécus, à l’épreuve de l’usure. Cou-pables parfois de leurs fai-blesses, ils tombent, ils se brisent. On les reprend, on les répare, on leur redonne une âme. On les bricole, on les rafistole, jamais on ne les laisse, rebuts. Jamais on ne les jette parce qu’on n’en veut plus. Ces objets

blessés1 parlent de ce qu’ils ont été, de ce qu’ils sont devenus. Il y a dans chacune de ces histoires de vie bien des idées à penser, bien des leçons à prendre.Mais je ne suis pas le seul à m’en rendre compte, et d’autres l’on déjà fait. Qu’ils soient créatifs et pleins d’idées, ou indus-triels soucieux de faire des économies. Et oui la chute

Design _/

parSylvain Bouyer

Amy Hunting /Patchwork collection

2007

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©a documentary film Gary Hustwit

©amy hunting

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©Patrick Gries.

Design _/

redonne forme! Chez la designer Amy HUNTING la ‘patchwork col-lection’2 est un nouveau départ pour ces bouts de bois. On les aurait oubliés comme les chutes des découpeuses industrielles mais l’artiste les a magnifiés. Chez le célèbre fabricant d’ordi-nateurs à la pomme, on ne manque pas de rappeler que les claviers sont fabriqués dans l’aluminium récupéré pendant le façonnage des écrans3. Des optimisations de fabrication pour ne pas en perdre une miette !La chute n’est plus désespérée, elle est pleine de ressources inattendues, et inépuisables. Chaque fois, prête à recommen-cer, à se remodeler. Il est temps d’en accepter les conséquences, d’en observer les qualités. Dans le cycle de l’objet comme peut-être dans le cycle de la vie, aujourd’hui comme demain, plus belle sera la chute à ceux pour qui ou pour quoi on offre un nou-veau destin.

1. ‘Objets blessés’ La réparation en Afrique, Exposition Musée du quai Branly 2007.2. ‘The patchwork collection’ (2008), Amy HUNTING. http://www.amyhunting.com3. Jonathan Ive fabrication des claviers Apple, documentaire design industriel « Objectified » de Gary Hustwit.http://www.objectifiedfilm.com/

Calebasse du Mali

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