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Hyères, station d'hivernants au XIX' siècle M'a contribution d'histoire varoise ne constitue pas une étude exhaustive d'une question trop vaste et déjà bien éclairée par de solides travaux d'érudits locaux (1), mais veut rappeler quels problèmes généraux nous pose l'histoire d'Hyères au XVIII' el surtout au XIX' , en sa fonction d'accueil des hivernants qui fit sa renommée internationale. On sait qu'au XVIII ', principalement dans la société aristocra- tique anglaise, se développa un goftt du voyage, tôt devenu passion, qui prit, début XIX' , le nom de • tourisme >; une de ses principales formes en était la résidence oisive de riches étrangers sur la côte méditerranéenne. Sans nous interroger sur l'origine d'un tel phénomène, conten- tons-nous de constater qu'Hyères fut une des plus anciennes stations d'hiver du monde et de nous demander pourquoi. Et pourquoi, surtout, Hyères qui eut, au cours du XIX', au moins deux fois la possibilité de confirmer sa fonction privilégiée (1) Alph. Denis. en particulier, qui fut maire d'Hyères et député du Var, a beaucoup écrit. Ses Promenades pittoresques à Hyères furent. depuis 1826 O." édition), plusieurs fois rééditées. La 4e éd., augmentée et refondue par le Dr Chassinat, en 1882, est un document fort important. Denis Alph., « ancien et moderne. . Promenades ptttoTesques, scientl· t iques et littéraires sur son territoire, ses environs et ses îles ». Hyères, Typogra .. p1ùe Bouchon, 80. 672 p. La commémoration du centenaire de la naissance de Paul Bourget, en 1952, fournit à M. Gustave Roux l'occasion d'une intéressante étude dactylographiée Hyères une vieille station d'hiver et Paul Bourget, son

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Hyères, station d'hivernants au XIX' siècle

M'a contribution d'histoire varoise ne constitue pas une étude exhaustive d'une question trop vaste et déjà bien éclairée par de solides travaux d'érudits locaux (1), mais veut rappeler quels problèmes généraux nous pose l'histoire d'Hyères au XVIII' el surtout au XIX' , en sa fonction d'accueil des hivernants qui fit sa renommée internationale.

On sait qu'au XVIII ' , principalement dans la société aristocra­tique anglaise, se développa un goftt du voyage, tôt devenu passion, qui prit, début XIX' , le nom de • tourisme >; une de ses principales formes en était la résidence oisive de riches étrangers sur la côte méditerranéenne.

Sans nous interroger sur l'origine d'un tel phénomène, conten­tons-nous de constater qu'Hyères fut une des plus anciennes stations d'hiver du monde et de nous demander pourquoi.

Et pourquoi, surtout, Hyères qui eut, au cours du XIX', au moins deux fois la possibilité de confirmer sa fonction privilégiée

(1) Alph. Denis. en particulier, qui fut maire d'Hyères et député du Var, a beaucoup écrit. Ses Promenades pittoresques à Hyères furent. depuis 1826 O." édition), plusieurs fois rééditées. La 4e éd., augmentée et refondue par le Dr Chassinat, en 1882, est un document fort important.

Denis Alph., « Hy~res ancien et moderne . . Promenades ptttoTesques, scientl· t iques et littéraires sur son territoire, ses environs et ses îles ». Hyères, Typogra .. p1ùe Bouchon, 80. 672 p.

La commémoration du centenaire de la naissance de Paul Bourget, en 1952, fournit à M. Gustave Roux l'occasion d'une intéressante étude dactylographiée ~'~~e~~'»~ Hyères une vieille station d'hiver et Paul Bourget, son

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laissa passer cette chance et fut, peu à peu, distancée par des rivales plus jeunes?

Faut-il évoquer les conditions na/urel/es ? Toute une littérature climatique et médicale au XIX' aussi importante que minutieuse (2) a noté la douceur de l'hiver dans la station « la plus méridionale et les avantages du site abrité de la Riviera française> (43' 7' 23") .

En matière d'implantation touristique il n'est pas de condi­tions naturelles éternellement favorables mais des critères positifs ou négatifs (3) selon les fonctions assumées.

Hyères était très favorisée comme station d'hiver; c'est seu­lement depuis que l'évolution économique et sociale (4) après 1930, a fait, sur le littoral méditerranéen, le déclin de la saison d'hiver et le progrès de la saison d'été devenue la plus importante, qu'Hyè-

(2) Que l'on peut lire à la Bibliothèque municipale d'Hyères ou aux Archives départementales du Var (fonds CastineD.

Outre Denis, dont les notations m.étéorologiques, pendant plusieurs décades. sont très précises, les principaux ouvrages sont: Aufauvre (Amédée). Hyères et sa vallée. Guide historIque, médical, topogra­

phique ... Paris, Hachette, 1863, 80, XX, 266 p. Docteur Barth. Notice topographique et médicale SUT la ville d'Hyères. Paris.

Labé, 1846, 8', 56 p. Brouard (Louis) . Hyères et ses environs. Orléans, Masson, 1906, 80,95 p., ill. Docteur XXX, Indtcateur topographique et médical de Hyères en Provence.

Hyères, De Cruvès, 1861, 80. 188 p. Fellon (P.-N.>. Hyères en Provence ou Guide des Voyageurs. Marse1l1e, Felssat.

1834,8',108 p. , Gensollen (Dr Honoré). Essat historique, topographique et médical sur la ville

à'Hyères ... Paris, Mequlgnon, 1820, 8', 100 p. Oulo1 (J.-F.). Guide àe l'Etranger à Hyères-les·palmiers. Draguignan, Lati!, 1885,

8°,75 p. Honnoraty (Dr Armand). Lettre à un médecin de Parts sur Hyères ... Toulon,

de Canquoin, 1834, 8°, 66 p. Lee <Edwin). Notices sur Hyères et Cannes, suivies d'observations sur l'influence

du climat dans la phtisie pulmonaire. Paris, Ballières, 1857, 8°, 84 p . Mamier (Jules>. Hyères. (Le Franc. Littéraire, 1832, 24 p.) Smith. The Garden of HYères. A description 01 the mast Southern point on the

French Riviera. London, Evans, 1880, 80, 135 p. (3) O.W.S. Robinson a recherché ces critères ln The Ressorts 01 the ItaZian

Riviera (Geographical studies 1958, 1). J'al montré le caractère historiquement relatil de cette classlfication in « Typologie des stations et problèmes d'aménage­ment touristique méditerranéen ». Conununication Xlt Congrès A.I.E.S.T., 1959. (Vol. l, publications A.I.E.S.T., pp. 42-53.)

(4) En attendant la publication du tome m de l'histoire de Nice, du doyen Latouche, on trouvera l'esquisse de cette évolution générale du tourisme, in : Blanchard (Raoul) . Le Comté de Nlce. Etude géographique. Parts. Fayard, 1960. Borglalle-Fabre (Mm. 0,). Cannes, D.E.S., Aix, 1958. Boyer Marc. Le tourisme dans le Sud-Est méditerranéen français. (Communtca.

tion au Congrès des Sociétés savantes, 1958'> Ju1llard. La. Côte des Maures, son évolution éconOmique et soclale àepuls cent

ans, étudiée dans la région' de Saint-Tropez, R.C.A., 1952, 2. etc., etc.

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HYÈRES STATION D'HIVERNANTS (XIX' SIÈCLE) 141

res, éloignée de la mer, parait mal placée pour une fonction princi­palement balnéaire.

Or la stagnation d'Hyères, voire son déclin, est antérieure à cette mutation, fort visible déjà à la veille de 1914 où nous arrêtons notre étude. Là se trouve la difficulté que seule l'enquête historique peut permettre de résoudre.

Post-face de notre communication, la situation actuelle nous montre qu'Hyères a totalement perdu sa saison d'hiver, alors que d'autres villes : Nice, Menlon ou San Remo ont conservé, encore que fort différents de style, des hivernants assez nombreux. Plus que Nice, Hyères présente un « cimetière d'hôtels • et cherche son avenir touristique dans des directions toutes nouvelles. Le passé parait totalement mort; Guermantes (5) qui présidait, en 1952, les fêtes de Paul Bourget salué pourtant de • mainteneur " pouvait proposer que • la maison de Bourget à Costebelle devienne • une station de l'histoire des mœurs " comme la hutte de Peer Gynt dans sa « province norvégienne •. Voilà ce que fut 1890 dirait-on au voyageur de l'avenir.

Ce sonhaitable musée pourrait-il montrer qu'Hyères fut la plus ancienne station d'hiver du monde? .

Plusieurs auteurs lui ont donné ce titre, Stephen Liegeard en particulier qni invente le terme « Côte d'Azur • et écrit « qu'Hyères la première eut l'idée de mettre ses dons bénis au service de la maladie et de la désespérance .; Nice lui dispute cette ancienneté avec quelques titres et Montpellier, qui n'y songe guère, en a sans doute davantage.

Bref il n'est pas de preuves décisives que l'une de ces villes aient eu, avant 1750-60, de véritables hivernants. Mais des voya­geurs ont noté la douceur du climat ; beaucoup se rendaient en Italie, clercs, diplomates ou militaires ou bien jeunes anglais effec­tuant, avec leur précepteur, ce « Grand Tour ~ qui est le couron­nement d'une éducation aristocratique (6) . Hyères d'ailleurs, n'est point favorisée (7) ; la visite impose un détour.

(5) Le FIgaro, 6 oct. 1952 : Au Plant/er de costebelle. (6) M. Duloum m'a. donné de précieuses informations sur « le Grand Tour ». (7) L'Itinéraire de Dutens (1775) et le Handbuch de Retchard (1784) n'en

parlent pas.

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La motivation des voyageurs et des hivernants est la même à Nice et Hyères (8) : la « beauté du pays et du climat. (d'Expilly) retiennent; l'exotisme de la végétation frappe surtout. Les jardins d'orangers sont un symbole pour les écrivains de réputation euro­péenne qui ont fait part, à peu près en même temps, de leur découverte.

Aux le tires de Deluc vantant Hyères en 1775, correspondent pour Nice les lettres du docteur Smolett, en 1766, faisant connaltre Nice à la clientèle anglaise, puis le Journal de l'allemand Sulzer, en 1775, aUeignant un public plus large (9). Les poésies mièvres de l'abbé Delille sur Nice, vantant surtout sa végétation exotique, consacrent le succès de Nice sur lequel M. le doyen Latouche apporte maints témoignages (10) .

En 1775, le médecin genevois Deluc, dans ses « leUres physi­ques et morales> fait connaître Hyères, cette « contrée si heureuse aux yeux des habitants du Nord >. Il ajoute que « Les orangers surtout font la gloire du pays > et note que « plusieurs personnes maladives se rendent d'autres pays dans ce canton favorable si riche, pendant l'hiver, en objets et aspects aUrayants, pour y chercher quelque adoucissement à leurs maux, dans ceUe saison rigoureuse •.

Le mouvement des hivernants à Hyères était donc né, modeste certes, mais il est modeste aussi à Nice où, en 1763-65, au témoi­gnage si précis de SmoleU, les hivernants ne sont que quelques familles . A Hyères la baronne de Chaintré avait hiverné, dès 1760, et fit bâtir une belle maison qui fut acquise par le marquis de Mirabeau, le père de l'orateur (qui résida à Hyères); cette maison,

(8) Différente à Montpelller, où les étrangers viennent consulter les méde­cins fameux et y suivre un trattement; ainsi fait le docteur Smolett, en 1763. avant d'aller à Nice.

(9) Le docteur Smolett voyagea en France de 1763 à 1765 et publia, à son retour, sous forme de lettres, Travels Through France and Italy, London, 1766, 2 vol, in-80. L'auteur était connu, nul doute qu'il n'aU créé le courant d'hiver­nants anglais vers Nice (cf. Joliat. Sm.olett et la France, paris, 1935) ; ses criti­ques contre les Français, surtout dans sa lettre VII, étaient st vives, que l'ouvrage ne fut pas traduit.

Le récit de SuIzer, Journal d'un voyage latt en 1775 et 1776 dans les pays méridionaux de l'Europe, s'inspire de celui de Smolett. mais 'sans ces critiques acerbes que les voyages de Sterne avaient ridiculisé; l'ouvrage de Suizer fut traduit et fit connaître Nice sur le continent.

(10) Ct. Latouche. Histoire de Nice, tome 1.

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plus tard, devint le « Château Denis. (11). Parmi les Français, la comtesse de Bourbon-Busset (1767-68), l'académicien Antonin Léonard (1781-82), Trudaine, le comte de Beauharnais ... Des étran­gers déjà; de la famille de Saxe-Gotha à la princesse Esterhazy ou à la duchesse d'Uxelles. Les Anglais paraissent les plus nombreux en 1789, au témoignage d'Arthur Young (12). Le premier hivernant anglais d'Hyères fut peut-être mylord d'Albemarle, dans l'hiver 67-68? Mais c'est le séjour consécutif, deux hivers (1788-89), du prince Auguste-Frédéric, fils du roi George III, qui en fait la renommée.

Au point que Charlotte Smith peut situer à Hyères, fin XVIII'

une partie de l'action d'un roman célèbre : Célestina (13). On nous présente une famille anglaise, celle de lady Mortimer qui, veuve à 30 ans avec deux enfants, vient d'abord hiverner à Montpellier, à cause de la santé délicate de son fils. Elle s'installe ensuite à Hyères où elle a déjà hiverné et y adopte une charmante orpheline du nom de Celestina. Les aventures de cette jeune provençale devenue anglaise et qu'aime le fils Mortimer constituent la trame d'un roman où il est souvent question d'Anglais de qualité qui ont hiverné à Hyères (et parmi lesquels on cherche et trouve les vrais parents de Celestina).

Tenant compte de ces divers témoignages (celui d'A. Young surtout) et en évaluant la capacité de réception d'Hyères (Hôtel Suzanne plus quelques maisons dont maison Filhe) on peut avancer qu'à la veille de la Révolution, Hyères pouvait recevoir de 50 à 60 familles, ce qui la clàsse la seconde, peu après Nice, à peine mieux équipée en hôte)s et en maisons à louer.

Nice reçoit 115 familles en 1787 et tombe à 50 quelques années plus tard (14), car la période de la Révolution et de l'Empire

(11) Les « descriptions » et « itinéraires ... » d'Hyères, au xxx- S., donnent des · listes rétrospectives d'hivernants. célèbres, ainsi que la presse (Hyères­Journal). Denis conunence sa liste en 1759 (cf. Documents inédits pour servir à une htstoire anecdotique d'Hyères ... ). G. Roux, op. cft., pp. 3-10, s'interroge sur « les premiers hivernants hyérois ».

(12)A. Young est à Hyères en sept. 1789, et écr1t : « A mon retour de la promenade, le propriétaire de l'hôtel d'Angleterre m'assomma avec une liste d'AnglaLs qui passent l'hiver à. Hyères ... », cité par G. Roux. op. ett., p. 10.

(3) Smith (Charlotte). Celestina, a noveZ in four volumes. London. T. Cadlll, 1791, traduit en français en 1793 (Bibl. Nat.).

(14) cr. E. Negrin, Le. promencul.e. de Nice, 1869, p. 73.

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voit un grand affaiblissement du mouvemènt des hivernants; les Anglais, en particulier, ne peuvent plus prendre le chemin de la Méditerranée; pourtant, il faut croire que le goilt d'hiverner, pourtant assez récent en 1789 et bien modestement représenté était une habitude ancrée, puisque, malgré une longue interruption, les Anglais retrouvent le chemin d'Hyères et de Nice d'abord dans la courte paix d'Amiens, et surtout après 1815.

Pendant ce temps la grande France impériale fournissait, à Hyères peut-être plus encore qu'à Nice quelques riches hivernants; la plus célèbre fut incontestablement Pauline Bonaparte qui prenait les eaux, l'été à Gréoulx et hiverna à Nice en 1807-8 et à Hyères de novembre 1812 à février 1813 (15). Elle résida dans cette maison Filhe dont MiIlin décrivit les jardins avec tant d'admiration (16). « Attirés par la douceur de son climat >, les étrangers y venaient nombreux, résidant à l'Hôtel des Ambassadeurs tenu déjà par Suzanne ou louant quelques maisons; un quartier distiuct était né à Hyères, au bas de la vieille ville, au-delà de la grande rue qui correspondait au Newborough de Nice, à la Croix de Marbre (17).

L'Hôtel des 'Ambassadeurs semble le seul où puissent descendre les hivernants de qualité comme la mère du philosophe Scho­penhauer ou l'ancien directeur Neufchateau qui vint y soigner sa goutte dans l'hiver 1810 et y créa la Société d'Agriculture (18) .

Alors l'époque romantique offre à Hyères sa première chance comme station d'hivernants.

Les progrès des communications dans la vallée du Rhône (de la navigation fluviale) profitent à Hyères, mais Nice reste loin : la route de l'Estérel, la traversée du Var ne sont pas de tout repos. Nice. redevenue sarde, ne reçoit pas tous les aménagements souhaitables.

(15) Cf. les études que le commandant Davin a consacrées, en 1955 et 1956, aux divers séjours de Pauline en Provence (Oréoulx, Var, Nice),

<16> MilIin, Voyage dans les départements du Mtdi de la France... 180'1, 5 vol., 80 ,

MUtin. homme très érudit, qui a beaucoup lu <Smolett en particulier), écrit ainsi le premier guide proprement français pour les stations d'hiver. Il attribue ct D, p. 442), 18.000 orangers au jardin Filhe, que Jouxte le jardin Beauregard, aux espèces plus variées.

(17) Ct. MUlin, t. II, pp. 441-446. (18) cr. Denis, op. cit., p. 328, et Autauvre, passim.

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Hyères est pour N~ce une rivale très sérieuse (19); le guide Richard, même, en 18~8, ne connaît qu'Hyères comme station d'hiver (20) . Le docte~r Bayle constate en 1841 (21) qu'Hyères est la seule station d(hiver française et nomme ses rivales à l'étranger : Pise, Madère et Nice. Cannes, découverte par Brougham en 1834, pendant long~mps n'a eu que peu d'hivernants et l'on s'interroge encore en lr.48 et même en 1860 sur ses possibilités de devenir une vraie r ation d'hiver (22).

L'avantage de la Pl sition d'Hyères découle du fait même que la clientèle internati09ale des hivernants (dans une proportion de 9 snr 10 peut-être) vIent de France, clientèle française et surtout anglaise, c'est-à-dire dr'barqUant dans les ports français de la Manche (ou à Ostende) et traversant la France (23).

Aller à Nice, c'est ar,0nger d'un parcours particulièrement péni­ble un voyage qui a d~jà été long; c'est risquer de nouvelles ct plus sérieuses difficultys policières . Les stations d'hiver les plus proc.hes de la vallée dl Rhône s'en trouvent favorisées : Hyères, mais aussi Montpellier et Marseille.

Autre facteur décisif : l'hivernage, à l'époque romantique, est devenu une thérape~tique de· la phtisie , c'est-à-dire de la maladie romantique par excelle~ce. Une très abondante littérature climatico­médicale en plusieurs lr ngues, sur Hyères (24) met l'accent main­tenant moins sur l'ex~tisme de la végétation (thème du XVI"')

que slIr son climat 14 plus recommandé pour les pOlh maires .

'0" ~ ,M~ffi" L,,,or ""'''m .... ,. ,.", •• '"O'" '''''''m.

(19) L'Almanach du Département du Var, en 1817, n'a de notatIOns touris­tiques que pour Hyères ... « lAssez peu fréquentée autrefois. est devenue depuis quelque temps, pour les étrangers, un ob~et de curiosité et ,un séjour de prédi-

lectiog·o~liiu~~~dRtc~~:J:SVd;~~eC~;i?J;.~:e~éd: ~~c8~ t l, p. 193. A Nice, décrite pour son passé et ses monuments. la fonction d'hivernage n'est pas mentionnée.

(21) Le docteur Bayle la rédigé la notice médicale en appendice du livre de Denis, Promenades ... , éd. 1841. p. 418.

(22) Cf. DogHani, Lord Brougham, D.E.S .. 1951. (23) Cf. littérature d:e guides et principalement le Handbook de Murray

(1re éd., 1843), guide-type d~ l'époque romantique.

doute(21~ p~:m~~t;~ra?Jn~f~~~b:é~~~~p~:m~~tn~~:~~~: te É;~~è~ng;:~~iS::~~ d'Hyères ne ser81t-U pas Rrouvé par l'abondance même de cette littérature descriptive entre 1820 et 1860 ? Les auteurs : Gensollen, Denis-Bayle, Clarke, Carrière, Aufauvre, Barth, IHonnoraty, Marnter ... sont d'origine géographique très diverse; certains ont écrit en anglais leurs ouvrages, plusieurs fois réédités, développant tous les mêmes! thèmes.

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continue à faire autorité bien après sa mor t (1826) : « La phtisie pulmonaire peut être guérie par les seuls effets de la nature, même à l'époque avancée de son cours • . Tous par des relevés climatiques précis entendent démontrer la supériorité d'Hyères sur toutes ses rivales. Denis montre que de 1810 à 1840 le thermo­mètre n'est pas descendu en-dessous de -2' et même qu'il est resté en-dessus de 0' (à la seule exception de l'hiver rigoureux de 1819-20). La douceur de la tempéra ture, la sécheresse de l'air, l'influence (modérée) de la mer, les parfums des espèces végétales sont présentés comme autant d'atouts ; on concède qu'il y a du mistral mais on insiste sur le site abrité de la ville, et que la chaleur humide de l'été est peu salubre, mais l'été, il n'y a plus d'étrangers!

Pendant trois ou quatre décades, l'opinion courante fut donc qu'Hyères était la mieux douée des stations d'hiver pour accueillir les malades; c'est plutôt contre une confiance excessive que les médecins doivent réagir, se plaignant dans tous leurs écrits que trop d'hivernants a rrivent dans un état désespéré, aggravé encore par les fatigues du voyage !

Cette renommée d'Hyères lui vaut d'accueillir quantité d'hiver­nants cé/ebres (25), la plus belle page de son livre d'or : des princes de la famille d'Orléans ou de la famille régnante de Danemark, d'anciens militaires, pas moins de six maréchaux d'Empire (dont Gouvion-Saint-Cyr qui meurt à Hyères le 17 mars 1830), hommes politiques (Talleyrand), religieux (Lacor­daire), écrivains (M~' de Staël, Lamartine, V. Hugo, A. Thierry, Michele!...), savants (Lacépède, les deux Ampère ... ), musiciens (Mehul, Boiëldieu ... ), peintres (H. Verne!...), des représentants de très nombreuses familles nobles (La Rochefoucauld, Montmorency, Tonrnon ... ) dont certains sont devenus propriétaires à Hyères (le comte de Léautaud, le baron de Prailly ... ).

La clientèle est bourgeoise aussi; c'est la correspondance (26) inédit e d'une jeune femme israélite à son mari fabricant de gants

(25) Les érudits locaux ont relevé leurs noms: cf. Aufauvre. Hyères et sa vallée ... , pp. 161-162 ; Denis, 4t éd., p. 659, et Roux, op. cU., pp. 12-25.

(26) Je dois à l'obligeance de M. Spire d'avoir eu communication de la correspondance de sa bisaïeule, Brunette Nathan. née Hadamard (copie dactylo­graphtée de 103 p.), qui passa. l'hiver 1829-1830 à Hyères. Les lettres fourmillent de notations très précises,

HYÈRES STATION D'HIVERNANTS (XIX' SIÈCLE) 147

à Lunéville qui permet de mieux saisir ce qu'était le voyage et le séjour à Hyères des hivernants malades. Considérons-la comme typique.

Après un voyage long (14 jours) et pénible (sa tuberculose était trop avancée) Brunette Nathan, arrivée fin octobre, se loge dans une maison meublée; le logement n'est ni grand (2 pièces), ni confortable, mais elle le trouve coOteux (400 francs pour la saison); d'autres paient même le double pour un appartement à peine plus vaste. Comme à Nice, à la même époque, le meublé est la forme d'hébergement la plus courante. En 1834 (27) les hivernants se logent surtout dans le quarlie'r des Recollets, où se trouvent les plus beaux appartements (pouvant héberger 40 familles), les deux hôtels d'Hyères (l'ancien, celui des Ambas­sadeurs et l'Hôtel d'Europe, pins récent). Dans ce quartier, le baron Stulz, riche hivernant, s'installe et transforme, à grands frais, la maison bourgeoise de la place de la Rade en un véritable château qui devient la propriété d'un riche bourgeois parisien, hyérois d'adoption, A. Denis, député du Var depuis 1837.

Fellon signale encore une trentaine de logements disponibles, en bas de la ville, autour de la place Royale comme la belle maison Filhe ou celle du docteur Gensollen, d 'autres même hors la ville et jusqu'à Carqueiranne.

La journée de l'hivernant s'écoule régulière et calme. Marnier (28) note justement : « Ainsi qu'aux eaux, l'emploi de la journée se divise en promenades et en réunions dans les salons .; chaque début d'après-midi, à pied ou à dos d'âne, les hivernants partent faire l'une de ces « Promenades autour d'Hyères ... > que décrivent tant d'ouvrages (c'est le titre même de ceux de Denis) .

Mais plus souvent qu'on ne l'imaginait, le temps n'est pas pro­pice. Brunette Nathan note soigneusement les jours de gel et de pluie et s'étonne naïvement qu'il y ait un hiver ici. c Tu peux regar­der comme faux le quart de tout ce qu'on nous avait dit; on est en hiver ,à présent. .. >, écrit-elle à son mari (29); elle regrette de

(27) Cf. Fellon, Hy~res en Provence ou Guide des Voyageurs ... . 1834. (28) Cf. J. Marnier, H yéres, 1832, passim. Le colonel Marnier hiverna. à

Hyères après 1830. (29) Lettre du &-XI-1829.

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n'avoir pas acheté un parapluie en passant à Lyon. La régularité avec laquelle certains conseils sur le vêtement, les heures de sorties sont répétés, est le meilleur signe que les illusions des· « gens du Nord • hivernants étaient tenaces. Le principal but du livre d'Aufauvre, en 1863, est de ruiner les opinions stéréotypées sur le climat d'Hyères.

La correspondance, la venue du coiffeur, qnelques visites que l'on se rend, d'innocentes parties de carte ou de quelque autre jeu occupent le reste d'une journée où les repas sont pris chez soi (à son hôtel ou si l'on est en meublés sous forme de plats apportés par des traiteurs) et qui finit par un coucher tôt. Aucune autre distraction ne peut solliciter l'hivernant d'Hyères qui n'a ni théâtre, ni salle de concert on de réunion, ni bibliothèque, ni bal régulier, situation qui provoque en 1863 l'indignation de Denis (30) .

Mais Hyères est surtout peuplée de malades; dans chacune des familles que cite la correspondance de Br. Nathan, il y a au moins un malade. Les malades sont les plus nombreux, précise Jules Maruier en 1832; mais il y a aussi des touristes qui, se rendant en Italie, restent 5 à 6 jours à Hyères « pour exploiter les alentours et visiter les beaux jardins •. En 1832, des gens viennent à Hyères fuyant le choléra « des Français de partout, des Anglais, des Allemands, des Italiens, quelques Polonais ». Hyères fut épargnée, ce qui accrut sa renommée.

1860 permet de faire le point. C'est un centenaire qui, pour Nice, est celui du raltachement ; les nombreuses publications que ces fêtes ont provoquées, ont repris, alors, les précieuses données de la statistique Roux (31). On sait ainsi que 1.580 familles ont passé l'hiver 1861-62 à Nice laissant dans le pays 20 millions de francs environ; cette saison particulièrement favorable avait profité de la conjonclure politique; mais la moyenne des hivernants se situait dans les cinq saisons précédentes (32), au x environs de 1.000 familles dont 300 dans les hôtels.

(30) Denis. D e l'établissement d'un Casino à Hyères, p. 7. (31) Cf. Mémorial du centenaire, numéro spéCial de Nice T Ollristtque et de

l'Academia Nissarda, et Roux, Statisttque des A!pes-Maritimes, Nice, 1862, t. II, p.328.

(32) Cf. no du 26/27-Xn-1860 du Messager de Nice, qui donne la. statistique Suivante, aprèS rectifications:

Hivers : 1856/ 57 57/ 58 58/59 59/60 60/ 61 Nombre de familles d'étrangers: 1.346 915. 986 946 1.3(){

HYÈRES STATION D'HIVERNANTS (lUX' SIÈCLE) 149

Cannes, il Y a 100 ans, est encore une bien modeste station qui envie Hyères. « Pour la santé, pour l'ennui, pour le spleen, on se propose Pau, Hyères, Nice, Pise mais bien rarement Cannes _, reconnait un Guide Cannois de 1856 (33). Edwin Lee (34), compare Hyères et Cannes : Hyères est mieux équipée; Cauues ne possède que trois modestes hôtels et ne reçoit que 300 famiIIes d'hivernants (370 en 1862-63) (35) .

Et Hyères? Le recensement de la colonie d'hivernants n'y est, certes, pas plus facile qu'ailleurs. Une liste des étrangers, publiée le 29 février 1856 (36) porte 263 noms (ou chefs de famiIIe ); c'est un minimum puisque certains noms de personnes n'ayant pas de « qualité , ou logées dans des meublés modestes ont pu être oubliées, et certains hivernants avaient pu être déjà partis. Denis estime (37) en 1863 que plus de 600 famiIIes hivernent à Hyères et Aufauvre (38) que les étrangers « laissent dans le pays , 5 à 6 millions de francs par hiver; l'Annuaire du Var (éd. 1865) déclare le nombre d'hivernants en net progrès ' : 369 familles en 1861-62, 575 familles en 1862-63, 806 familles en 1863-64. Ces divers chiffres sont crédibles, ne présentant pas d'anomalies. Ils montrent que la clientèle d'Hyères, plus importante que celle de Cannes (qui n'alleint le chiffre de 610 familIes qu'en 1872), est à peu près le tiers de ce qu'elle est à Nice.

Dans la colonie d'Hyères, les Français sont nellement les plus nombreux, surtout d'origine noble, suivis des Anglais; cette obser­vation d'Aufauvrc (39) est corroborée par la statistique que j'ai tirée de la liste des étrangers de 1856 :

Français : 63 %, dont parisiens (40 %) , lyonnais (25 %); Anglais: 21 %, presque tous de Londres ; autres nations : 16 %, Belges, Russes, Polonais, Allemands ...

(33) Une saison cl Cannes, éd. 1856. (34) Cf. E. Lee, Nottce sur H1I~TeS et Cannes. Paris, Bailllère, 1857, p. 49 sq. (35) Cf. Borgialle. D.E;S., p. 98. évaluatIons d'après les guides locaux. (36) Liste des étrangers à Hyères pendant la salson d'hiver, Toulon, Aurel,

1856.8'. 14 p. (37) Denis, De l'établissement d'un Casino à H'1I~res, p. 14. (38) Aufauvre. H'IItres et sa vaUée. 1863, p. 149. (39) Aufauvre, op. cit., p. 157.

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La répartition des • qualités • montre que, dans ceUe colonie d'hivernants, la « société traditionnelle • d'ancien régime est presque seule représentée; la bourgeoisie d'affaires et d'industrie n'a encore qu'une place très modeste.

Sont qualifiés de :

Propriétaires, 43 %; rentiers, 30 % (habituellement nobles); officiers supérieurs, 7 %; avocats et médecins, 3 %; magistrats,

/' fonctionnaires, 4 %; ministres de divers cultes, 5 %; banquiers, négociants, 7 %; divers, 1 %.

Une capacité d'hébergement (40) croissante accompagne les progrès de la colonie d'hivernants. 60 % d'entre eux, environ, trouvent place dans des meublés. 80 à 100 maisons sont louées, lolalisant 900 chambres, moitié pour les maîtres, moitié pour les domestiques. Les plus belles locations se Irouvent autour de la place des Palmiers et de la place Royale, comme le château Denis (23 ch.); des conditions nouvelles sont offertes, à l'entrée Ouest, le long du Boulevard des nes d'Or et aussi dans la campagne comme le splendide château de Saint-Pierre des Harts qui a été constrnit vers 1858 par le docteur Germain de Saint-Pierre, ou la propriété Desmichels à Carqueiranne. Les locations se font à la saison (6 à 7 mois) et sont d'un rapport élevé; Aufauvre note que tous les hyérois, même les plus riches, louent leurs maisons et acceptent les inconvénients d'une vie entassée pendant la moitié de l'année; on estime sous le Second Empire qu'une maison, à Hyères, doit rapporter, dans la saison, de 8 à 10 % de sa valeur marchande, taux supérieur au reste de la France. Mais ceUe valeur est particulièrement élevée dès que la maison est bien située, avec • façade au midi > (41).

Combien de métiers aussi au service de ces hivernanls! ceUe petite bourgade d'Hyères (42) possède, en 1861, 6 professeurs de

(40) Renseignements tirés de Dents. op. cit., Aufauvre, op. ctt., de l'Indt. cateuT topographique et médical ete H1Ières ... , 1861, du G uide des Etrangers à Hyères, 1866... .

(41) Aufauvre. qui donne ces précisions (OP. cit, p. 147) rapporte un dialogue significatif. Un hivernant se plaint du priX élevé d'une location d'un apparte.­ment ayant une belle orientation: « Diable ! vous estimez bien haut l'horizon et le soleil! - Ah ! Monsieur, le soleil nous coQte assez cher ! » ...

(42) L'Indicateur topographique d'HlIères, 1861, contient un annuaIre des professions de la vllle.

HYÈRES STATION D'HIVERNANTS (XIX' SIÈCLE) 151

langues, 3 professeurs de musique et 3 de dessin, 2 loueurs de pianos et 9 de voitures, 3 photographes ... Tous les corps de métier du bâ timent, de la décoration et de l'ameublement, ceux de l'habil­lement sont représentés par une multitude d'artisans, à la fois producteurs et marchands; la prolifération d'un tel secteur à la fois « secondaire » et « tertiaire >, voire « primaire-tertiaire »

(plusieurs horticulteurs vendent directement arbres et fleurs aux hivernants) est le ' gage que les dépenses des hivernants vivifient toute l'économie locale.

Incontestablement, sous le Second Empire, Hyères connalt un moment de réel progrès, continuant la période romantique déjà favorable. Il est vrai que ce développement touristique est général, aidé par la conjoncture, par l'extension du goût des voyages et le progrès des chemins de fer; ce progrès, vers 1860, préCisément, favorise Hyères. Le train aUeint Toulon en 1859; Hyères reliée par voitures omnibus à Toulon n'est plus qu'à 26 heures de voyage de Paris; voilà une proximité sur laquelle on peut fonder de grands espoirs. Un bon signe n'est-il pas la parution coup sur coup dans les années 1860 de plusieurs guides et ouvrages sur Hyères?

Comme à l'époque romantique, les noms les plus célèbres hivernent à Hyères dont la supériorité reste incontestée pour les phtisiques (43) . « La ville est pleine de poitrinaires >, dit Léon Tolstoï (44) qui hiverna en 1860, accompagnant son frère Nicolas mourant. Des souverains ou princes royaux hivernent à Hyères (la reine Marie Christine d'Espagne en 63-64 et 69-70; le roi de Saxe; le prince Antoine de Hohenzollern et ses deux fils Charles et Léopold en 67-68 ... ) ; des écrivains: Taine, V. Laprade, Michelet, surtout (45) . Michelet qui hiverna à Hyères pour la première fois en 1857, y passa, en tout ou partie, neuf autres hivers jusqu'à sa mort survenue à Hyères le 9 février 1874. Il Y écrivit en particulier « La Mer • qui contient sans doute les pages les plus

(43) Le docteur Germain, en 1860, donne l'opinion générale: « Le climat d'Hyères n'est ni excitant comme celui de Nice, nt relâchant comme celui de Pau et de Madère ; 11 est chaud et modérément sec ».

(44) Cf. O. Roux, Les deux Tolstoï en H'Ytres en 1860, dans Var - H tst . et Gêogr., 1938.

(45) Cf. DenlB, op. clt., 4< éd. (18'16), p. 659, et O. Roux, H1Itres, p. 48 et passim. Le souvenir de J. Michelet à H'Yéres.

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fortes sur le type de paysage qui est, en lui-même, une thérapeu­tique pour l'hivernant ; c'est-à-dire la mer vue de loin comme à Hyères.

Michelet, historieu et prophète, couclut très heureusement « La Jouvence de l'Avenir se trouvera dans ces deux choses : une science de l'émigration et un art de l'acclimatation '.

Hyères paraît donc promise à un bel avenir, c'est ce que pensent les constructeurs des nouveaux hôtels (46) vers 1850-60 qui sont étrangers à la région et veulent imiter tout ce qui se fait de « confortable • en Suisse et en Angleterre. « Le Grand Hôtel des Iles d'Or " « tenu et administré à la manière suisse • a un médecin attaché à l'établissement, offre toutes sortes de bains; les chambres sont « toutes au Midi •. « Le Grand Hôtel des Iles d'Hyères • esl une société d'origine suisse. La Maison Filhe est devenue le Grand Hôtel du Parc vers 1860 et dispose de 80 chambres. « L'Hôtel des Hespérides », le Grand Hôtel du Louvre " « l'Hô lei d'Orient » et plusieurs hôtels pins simples sont venus compléter l'équipement hôtelier qui totalise 600 cham­bres vers 1865, y compris celles des deux hâtels anciens des Ambassadeurs et d'Europe. 40 % des hivernants (personnes seules en particulier) logent dans ces hôlels ou dans la Maison des Sœurs de l'Espérance.

Les hôtels comme les maisons ont été construits au pied de la ville médiévale et constituent une vraie « ville aeuve >; puis des résidences poussent en direction des collines. En 1857, il n'y a enC<\fe que quelques maisous isolées à Costebelle, au milieu d'une végétation luxuriante, et quelques villas sur la colline de l'Ermitage (47). Alors le docteur Lee vante les sites abrités des collines hyéroi­ses; le docteur Germain fait construire en 1858 le château Saint­Pierre des Horts et les de Prailly la fameuse villa des Palmiers à Costebelle. Hyères qui, jusqu'alors, s'était développée sans plan et n'était pas une belle ville - mais ses rivales n'avaient pas davantage bénéficié de programme - eut, à partir de 1860, la chance d'un urbanisme qui la modelait en station spécialisée.

(46) Cf, Brochures publicitaires à la Blbl1oth. rnun. d'Hyères; et récl~.mes très nombreuses dans les guides de l'époque.

(47) Cf. D ' Lee. op. cit., p. 17.

HYÈRES STATION D'HIVERNANTS (XIX' SIÈCLE) 153

En 1861, l'avenue des Palmiers est tracée (48), vingt ans avant l'avenue Carnot de Cannes ou le boulevard de Cimiez : Hyères s'ouvre vers les coUines et vers la mer où des plans sont esquissés. L'ingénieur Bonnet, qui vient de réaliser le parc de la Tête d'Or à Lyon, veut construire une cité touristique entre Costebelle et Almanarre (49). Dès 1854, une société (Imbert et C') (50) avait été envisagée pour créer un hôtel et un établissement de bains, sur la plage d'Hyères. Ce fut sans lendemain. Riondet sur ses terrains (12 ha) veut édifier un nouveau faubourg, dans le Vallon de la Ritorte, avec 5 grandes allées plantées d'arbres, et à partir duquel on prendra les bains de mer. Hyères profiterait ainsi de la vogue qui sous le' Second Empire pousse aux bains de mer et « conserverait en été une clientèlE: riche qui disparaît dès le mois de mai> (51).

Denis, pensant qu'on s'ennuie à Hyères, propose à la commune en 1863 de lui vendre son château pour qu'elle en fasse un Casino (52). Aucun de ces projets ne devait aboutir immédiatement. Riondet lègue tous ses biens à la <,omm une qu'il charge de réaliser les « allées vertes > et de transformer sa maison en Bibliothèque publique; un autre riche Hyérois,. Riquier, fait son testament en faveur de la ville pour que son jardin Roubaud devienne un jardin public. Tous deux meurent le même jour, le 13 avril 1868; la commune accepte les testaments, mais ne les exécute que très partiellement. Denis n'est pas davantage arrivé à faire créer le casino; à sa mort, en 1878, ses biens reviennent aussi à la COD1IDune

qui ne sait pas en tirer profit.

Hyères dans les années 1860, pouvait donc, du fait même de la générosité de certains de ses concitoyens, réaliser un plan d'urbanisme, se créer les distractions nécessaires et même se lancer comme station balnéaire; elle n'en a rien fait. Le manque de capitaux locaux en est une raison; les grands propriétaires pou­vaient apporter terres ou maisons; ils n'avaient p.as, seuls, lei

(48) Cf. Brouard, Hyères et !es envirpns, p. 17. On plante des palmiers. (49) Cf. L'indicateur topographique d'Hyères, .p. 47. (50) Une brochure de la B.M. d'Hyères. (51) Le projet Riondet est exposé dans une brochure, Les allées vertes 1860. (52) Cf. Denis. De l'établissement d'un Casino à Hyères, 1863, Denis dresse

un méticuleux compte d'exploitation provisionnel.

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moyens de construire; les revenus de la terre étaient certainement atteints à Hyères par une série de calamités agricoles : l'oïdium frappait la vigne et la pébrine le ver à soie, mais surtout une maladie, depuis 1840, avait fait disparaltre la quasi to talité des orangers, gloire et for tune des grands propriétaires byérois (53) .

Pas de capitaux locaux, pas d'effort municipal dans une vjlle où l'opinion publique est tôt hos tile a ux « notables»; pas d'appel aux capitaux extérieurs ; Hyères manque sa chance. Or il était temps.

En 1860, il n'était pas grave qu'on n'eil t pas d'urbanisme ou de belles promenades; les rivales n'en avaient point; pas grave non plus qu'on s'ennuyât à Hyères. Aucune ville de la Côte n'avait de Casino ; mais en 1863, Fr. Blanc passe accord avec le prince de Monaco ct le plateau des Spelungues devient Monte-Carlo! Nice. mulliplie les distractions; jusqu'au carnaval qu'en 1873, elle transforme en « rnanifeslalion touristique ".

Denis s'en va répétant (54) « à Hyères, pas de lieux de repos, pas de salons de conversation, pas de cabinets de lecture, pas de spectacles, pas de concerts, pas de whist, point de piquet " et oppose les efforts des autres villes de la côte : Nice, Cannes, Menton ont le souci de distraire l'étranger . « La concurrence devient sérieuse pour Hyères>. « Le nombre des villes d'hiver augmente. et il cite Grasse, Saint-Raphaël, Sainte-Maxime, Saint-Tropez et même Ajaccio! A Hyères, la sortie quotidienne se fait sur des chemins de parcours souvent difficiles, alors que les autres stations d'hiver créent et entretiennent de belles promenades; à Nice surtout les travaux d'embellissement sont considérables (55) : la promenade des Anglais s'est élargie en 1882 et l'avenue du Prince-Impérial créée.

En 1860, Hyères avait sa chance, mais elle arrivait ... trop tard; ou bien il fallait la ' saisir vite. L'arrivée du chemin de fer en constituait l'élément principal; mais le chemin de fer avançait rapidement vers l'Est, maintenant que le comté était devenu

(53) Cf. Aufauvre, op. ctt. En 1862, 11 reste 300 orangers environ. (54) Cf. Denis, De Z'établ'tssement d'un Casino à H yères, pp. 6 et 7. (55) Cf. Le livre du Centenaire de Nice, qui précise les grands travaux de

hl ville.

HYÈRES STATION D'HIVERNANTS (XIX· SIÈCLE) 155

français. Toulon-Les Arcs était inauguré en avril 1862; et Nice, aUeint en octobre 1864, devenait à son tour proche des hivernants. Mais Hyères n'était pas sur la grande ligne; elle ne s'en émut pas outre mesure, espérant un embranchement qui n'arriva qu'en 1875! Voilà, pourtant, une des causes lointaines du déclin d'Hyères.

Une raison psychologique aussi : l'annexion de Nice survint en 1860, au moment même où Hyères, favorisée par des commu­nications plus rapides, commençait un développement intéressant; elle concentre l'intérêt du public vers les pays nouvellement fran­çais. Le voyage triomphal de l'Empereur fait à Nice une immense publicité à une époque où les souverains sont les grands lanceurs de stations, l'actualité pousse les écrivains à la mode à vanter Nice (cf. Banville La mer de Nice), les crédits publics sont largement déversés sur · le comté de Nice.

Hyères est oubliée par la mode; Smith, en 1880, écrit (56) que la plus ancienne station d'hiver est « injustement moins connue que les autres stations >; Cannes, Menton, San Remo sont plus populaires qu'elle et les médecins du Nord ne pensent plus à Hyères pour leurs malades. Smith cons tate aussi très justement que, depuis Aufauvre, en 1863, rien n'a été publié sur Hyères.

Alors, déclin? c'est la conclusion de G. Roux (57) qui en a vu justement les causes : éloignement de la mer, manque d'une voie ferrée directe, absence de distractions.

Mon opinion serait plus nuancée; il n'y a pas encore déclin, mais progression moins rapide que d'autres et concurrence accrue. Hyères n'a pas eu la fièvre de constructions qui a agité la côte de Cannes à Nice, de 1860 à 1880. En 1880, elle a le même nombre d'hôtels qu'en 1860.

Cependant le nombre de famille d'hivernants a progressé : 1863, 600 familles (cf. Aufauvre); 1880-81, 1.550 familles (58); moyenne 86-88, 3.000 familles (59).

(56) ct. Smlth, The garden of Hyères, 1880 : lntroductlon. (57) O. Roux, op. cit.# p. 50, parle d'un « certain déclin» d'Hyères dans le

dernier quart du xzxe s. (SB) Cf. Arch. départ. Var, VIII-M, Police adm. « Liste des étrangers arrivés

à Hyères pour y passer la saison d'hiver ». cette liste est complète et bien détaillée.

(59) D'après HyèreS-Journal, qui donne, chaque dimanche, en 2t page, la liste des étrangers arrivés dans la semaine.

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Cette importante progression n'est-elle pas une des causes de l'augmentation de la population de la commune d'Hyères dont l'activité agricole, au contraire, pâtit de la baisse des prix et subit, dans les Iles, de spectaculaires avatars.

Population d'Hyères: 1869, 9.676 habitants; 1876, 11.889 habi­tants ; 1881, 13.850 habitants.

D'après l'étude que le docteur Chassinal (60) fait, alors, de la population d'Hyères, on voit qu'il ne s'agit pas d'un accroissement naturel (taux de décès 28 %, taux de natalité 26 % .. . ) mais le produit de l'allongemeut de la longévité moyenne et surtout de l'importance de l'immigration (en 1876 : 1.851 étrangers à Hyères sur 11.889 habitants, presque tous italiens); n'est-ce pas le signe d'une certaine prospérité?

Plus précisément, je pense qu'Hyères, après ses chances gâchées des années 60 et son retard pris sur ses rivales, fait un effort sérieux, à partir de 79-80 pour redevenir une grande station d'hiver. Elle fait de la réclame dans les guides Joanne en parti­culier (61) et les arguments qu'elle développe sont significatifs de la nécessité de l' « agere contra,.

« Si le caprice ou la mode lui a créé des rivales, cette ville n'en reste pas moins la première entre toutes pour les malades. ,

« A 4 km de la mer, on ne jouit pas moins du tableau féerique de la rade et des Iles. ,

« L'étang des Pasquiers est complètement assaini. ,

« Elle possède des hôtels de premier ordre ... ,

« La ligne de raccordement met la ville d'Hyères à 10 minntes de la nouvelle station du chemin de fer. ,

« Hyères, contrairement à ce qui a été écrit, bien souvent, n'est pas dans les Iles ... " etc.

La mairie a fondé un bureau municipal de renseignements qnl remplace le précédent syndicat, déchiré par ses divisions. La publi-

(601.. . qui réédite et complète Denis, Hy~res ancien et moderne, 1882. (61) Joanne, Les stations d'hiver de la Méditerranée, 1879.

Hvt RES STATION D' HIVERNANTS (XIX' SltCLE) 157

cation, coup sur coup, du livre du docteur Smith, en anglais et de l'ouvrage classique de Denis réédité par le docteur Chassinat qui est vice-consul de Russie à Hyères, doit attirer l'attention des hivernants étrangers sur la station.

En 1886, on pent constater un succès certain de ces efforts ; c'est que la conjoncture est devenue favorable à Hyères; Hyère-s­Journal en fait une heureuse démonstration (62). La crise qui durait depuis 5 ans a perdu de son acuité; mais les affaires n'ont pas repris comme avant et les hivernants conlptent aujourd'hui. « On se demandait autrefois quelle est la station la plus à la mode? > mais aujourd'hui « quelle est la station où l'on dépense le moins >. La Société de publicité d'Hyères (63) fait connaître Hyères comme station la meilleur marché, en même temps qu'elle rappelle par des articles dans la presse, surtout anglaise, les avantages climatiques de cette station ; on insiste sur le fait qu'Hyères fut touj ours indemne des épidémies de choléra qui, en 85, avait sévi sur Toulon et continuait en 86 à ravager l'Italie. En 86-87, les tremblements de terre de Menton et Nice ont entralné un reflux d'hivernants sur Hyères (64).

Les saisons 86-87 et 87-88 sont pour Hyères un réel succès, un véritable boom. L'hébergement hôtelier brnsquement se renou­velle; Peyron transforme ses établissements en un « Hôtel de l'Ermitage et Grand Hôtel de Costebelle > dont il vante l' « english management •. Une société anonyme (au capital de 100.000 franc. ) construit le « Grand Hôtel des Palmiers >. Un établissement de tout premier ordre, pour l'époque, l' « Hôtel d'Albion-Costebelle " est ouvert le 1" décembre 1886, avec di rection suisse. Plusieurs des anciens hôtels d'Hyères changent de propriétaire (les nouveaux propriétaires sont suisses), font peau neuve comme l'Hôtel des Ambassadeurs ou l'Hôtel du Louvre réouvert en mai 87.

Ces hôtels, souvent vastes, se trouvent vite pleins. De même les villas, maisons et châteaux qui ont fait de ln réclame jusqu'cn

(62) Hyères-Jpurnal, passim et surtout numéro du 24-X-188G. (63) Constituée en 1886. Chaque mois, ln. presse de Paris, de Londres

(Times), d'Amérique (New-York H eraUt), publie des articles vantant Hyères. (64) Hy~res-JouTnal. 22-V-1887 : « Une nombreuse colonie étrangère, chassée

par les désastres des Alpes-Maritimes, s'était réfugiée parmi nous ».

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Amérique (65) . Le P .L .M., en 1889 (66) note « une affluence d'étran­gers > et que « la location d'un appartement et d'un jardin ne s'obtient qn'à prix d'or •.

Non seulement le nombre de maisons et villas que les hyérois louent, a augmenté, mais encore une importante partie de la colonie d 'hivernants, des habitués, est devenue propriétaire. En 1890, 127 propriétaires dont 20 étrangers y possèdent 170 villas et maisons (67).

Hyères semble à nouveau consacrée comme station climatique et d'ailleurs a u Congrès international d 'Hydrologie et de Clima­

. tologie de Biarritz, en 1886, elle es t la seule station méditerranéenne représentée.

A nouveau, de 1880 à 90, Hyères voit affIuer les person­nages les plus célèbres (68) . Non seulement Clemencean qni vient souvent s'y reposer une semaine ou deux, m ais qui est député du Var; Renan en 84-86 ... ; le prince Bonaparte-Wyse, illustre félibre et le musicien Ambroise Thomas hivernent chaque année, la presse aUend leur arrivée - ... et tant d'autres... Sully­Prudhomme, Taine, Brunetière, Cherbulliez, Ladislas Reymont ... La saison 86-87, particulièrement brillante, s'enorgueillit de la venue du Comte d 'Eu, petit-fils de Louis-Philippe et du baron de Roths­child de Paris qui a loué une villa et vienl avec une suite de 42 personnes ; sa cousine Alice de la branche londonienne hiverna aussi.

Mais le principal succès d'Hyères est sa colonie anglaise qui, petite minorité avant 1860, tend à égaler en nombre la colonie française ; et cela renforce la prédominance, déjà très sensible de la société aristocratique. rentière el souvent noble, dans la colonie hyéroise (69).

(65) Cf. H yèreS-Journal, 1886-1888, passim. (66) Cf. Guide-Album P.L.M., 1889. (67) Cf. H yères-Journal, numéros de janvier 1890. (68) Pour les hivernants célèbres, V. pour 1880-1881, Arch, dép, var, vm-M,

H yères-Journal, passim, et G . Roux, op. cU., p. 31 sq. (69) Les tableaux suivants ont été dressés d'après les listes d'étrangers:

la liste de 1856 est à la B.M. d'Hyères, celle de 1886-1887, da.ns HyèreS-Journal.

HYÈRES STATION D'HIVERNANTS ( XIX' SIÈCLE) 159

Répartition par nationalités en pourcentage :

Français AnglaiS Autres pays 1856 ...... ... / 66 % 22 % 14 % 1880/ 81 .... . ... . 51 % 40 % 9 % 1886/ 87 47 % 44 % 9 %

Par dtuation :

fl ~ 2l S~.Ë .J>fI.I.!l ~~ g" ! l~~ .!le .,<1 ~ g ~

~~ g ::ïl.g :;j~ ~~~ Il. + 1856 73 % 7 '% 5 % 4 % 5 % '1 % 1 % 1880/ 81 83 % 4 % 2% 1 % 2,5 % 3,5 % 3 %

La présence de ceUe importante colonie anglaise est partout sensible à Hyères ; beaucoup d'annonces de Hyeres-Journal sont en anglais, ainsi que les offres de location et de vente de villas. De nombreux Anglais sont, d'ailleurs, propriétaires, surtout à Costebelle (70). Des articles en anglais décrivent « Christmas à Hyères > ou expliquent ce qu'est le « French Alpine-Club >. Deux médecins anglais sont à la disposition de ceUe colonie, Hyères a aussi son English Church et son English Bank.

Costebelle est la résidence privilégiée de cette colonie anglaise; aussi la majorité des constructions d'hôtels et de villas, vers 1880-90, s'est-elle effectuée là.

Vers 1885-95, les hivernants anglais, ont, sur la Riviéra, jeté leur dévolu sur quelques sites particulièrement choisis, proches de stations déjà connues : Costebelle est à Hyères ce que Cimiez est à Nice, la Californie à Cannes, Valescure à Saint-Raphaël. Sites choisis, mélange de collines et de vallons où ils pouvaient dans un paysage de parc, rester entre eux. Sites abrités (ainsi Costebelle est protégé du mistral par le Mont des Oiseaux) a u climat particulier, sain et salubre (à Costebelle, au Mont des Oiseaux, à Almanarre se sont installés luaintenant des maisons de cure et des sanatoria); assez éloignés de la mer pour éviter son humidité, . assez proches (Costebelle est à mi-chemin d'Hyères

(70) Hyères-Journal, 1890, passim.

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et de la mer) et élevés (la chapelle Notre-Dame de la Consolation, au sommet de Costebelle a 98 m d'altitude) pour que la mer cons­titue le fond du paysage . Voilà les critères positifs (71) qui fondèrent les choix judicieux de la colonie hivernante anglaise. Costebelle devint ainsi un des hauts-lieux du " Iatest Victorian Age"; et Victoria apporta à Hyères la consécration, quand elle vint hiver­ner, au Grand Hôtel d'Albion à Costebelle, en 92. A partir de là, pendant 15 ou 20 ans, les très grands hôtels de Costebelle : « Albion >, « Costebelle > et « Ermitage > ont eu une clientèle exclusivement anglaise; les hivernants anglais voulaient se pro­mener dans les chemins où Victoria se faisait voiturer, tirée par des poneys.

C'est sans doute à partir de 1889 que Paul Bourget (72) vient régulièrement hiverner à Costebelle où en 1896, il avait acquis de l'héritier de M. de Prailly, la villa du Plantier, au style palla­dien. Paul Bourget recevait beaucoup et c'est sans doute cette société de qualité, ici rassemblée qu'il appréciait, plus encore que le paysage qu'il décrivait sans aisance. On sait, au contraire, le talent que déploya pour le peindre un de ses hôtes de plusieurs hivers, le vicomte Eugène Melchior de Voguë qui rédigea, au Plantier, en 1906, son roman célèbre Jean d'Agreve , une des plus belles histoires d'amour jamais écrites, dans le double site d'Hyères et de l'île de Por t-Cros. Le succès même du roman etlt dû confirmer définitivement la station d'hivernants.

Et pourtant, Paul Bourget, bon témoin, le constate ; Hyères vivote; il la qualifie de « petite ville d'hiver plus chaude et plus paisible que les autres >.

La consécration, par la reine Victoria, ne fut pas durable ; la génération suivante, celle d'Edouard VII, bouda les sites victo­riens . Le tableau d'Hyères au début du xx' montre une station à nouveau stagnante dont l'équipement hôtelier ne s'est pas accru depuis 1890 - aucun palace ne fut construit à Hyères dans ces années 1906-1 910 qui vit leur floraison , à Nice, Cannes ou Monte-

(71) Bien établis par Brouard, Hyeres et ses environs, 1906, p. 52. (72) Sur tout ce qui concerne P. Bourget, je renvoie à l'excelle-nte étude

de G. Roux.

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Carlo (Ruhl, Negresco, Carlton ... ), tous . situés au bord même de la mer, créations correspondant aux goûts nouveaux d'une clientèle plus cosmopolite, plus mobile, mais qui dédaigne Hyères.

Je ne pense pas que les r aisons géographiques puissent expli­quer seules ce délaissement; au demeurant Costebelle est moins éloignée de la mer que ne l'est Cimiez ou Valescure dont la vie hivernale dura plus longtemps. Et surtout la commune d'Hyères disposait d'une belle façade maritime qu'elle eût pu meUre en valeur. On l'a vu, dès le Second Empire, on avait pensé sérieu­sement à installer des bains de mer; et l'idée avait été plusieurs Cois reprise, surtout fin XIX' par Godillot (73) hivernant et mécène hyérois.

C'est un manque de dynamisme que nous évoquerions plutôt pour expliquer cette difficulté à s'adapter. En particulier, avec une clientèle aristocratique aussi marquée, Hyères eût dû créer des dis/ractions; leur absence fut toujours ce dont se plaignit, le plus, la colonie d'hivernants.

La question du Casino. (74) se retrouve à toutes les pages de l'histoire hyéroise et pourrait faire l'objet, à elle seule, d'une étude. Denis n'avait pas abouti. En 86-87, les distractions sont toujours très modestes : matinées musicales du Château Denis, romances chantées au Grand Café de la Rotonde, une soirée théâtrale donnée, chaque semaine, par la troupe de Toulon. Un cercle avec salle de .jeux autorisé à partir de 1888, Conctionne dans ce qui est bien pompeusement appelé « Casino des Palmiers •. Chaque hôtel organise, pour ces hôtes, quelques Cêtes. Tout cela ne tient pas lieu d'un casino; et l'on sait que Nice crée un Casino municipal. Pas moins de six projets sont présentés au Conseil municipal qui les examine longuement. Le maire, dans sa séance du 31 mai 1887, déclare « la population énervée perd patience •. Et il est vrai que les r éunions ont lieu, en ville, sur ce sujet, que la presse se déchaîne, que certaines séances du conseil muni-

(73) Cf. Brouard, Hyères et ses environs, p. 17. Godillot (+ 1893> consacre une partie de la fortune qU'il avait acquise à fabriquer des chaussures militaires. à créer des avenues bordées de palmiers à Hyères.

(74) Sur cette question du casino. le B.M. d'Hyères possède une abondante littérat';1re: libelles, projets ... mais .Hyères-Journal (Arch. départ. Var) permet d'en SUlvre -toutes les péripéties.

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cipal consacrées exclusivement à cette question (comme celle du 28 juillet 1887) sont nombreuses ; le préfet doit ordonner de nou­velles élections en septembre 1887. Les querelles proprement poli­tiques qui avaient, vers 1880, dominé les élections hyéroises et fait la victoire de la gauche anticléricale, cèdent la place à dcs discussions plus technique, : le casino, le canal, le chemin de rel' où la majorité de gauche se dissout. Edmond Magnier, con,ciller général de Saint-Tl'Opez, est élu maire; et dans une séance décisive devant une salle comble, le 25 janvier 1888, Mag!!ier fait voter la construction du casino. Le casino pourtant ne fut pas construit; il n'est pas possible de décrire tous les rebondissements de cetle question; il Y eut d'abord des manœuvres de retardement; la personnalité du maire est suspectée car il est propl'iétai:::e d'une partie des terrains sur lesquels serait construit le casino. Il y a une opposition permanente d'une part importante de la population: les conseillers de Carqueiranne menacent de faire sécession; ceux de Gien, des îles, des Salins ont d'autres préoccupations. Finalement la majorité agricole du corps électoral pousse à revenir toujours en priorité à des questions d'irrigation. Et l'on pense que l'on pourrait se contenter du casino provisoire ouvert début 88, au Château Denis, effectivement très fréquenté.

Le Grand Casino d'Hyères ne fut construit qu'au début xx'; son ouverture effective eut lieu en janvier 1903.

Les autres grandes questions touristiques ne furent pas réso­lues avec plus de célérité. Pendant plus de 50 ans, on parla d'un « Boulevard de la Mer >, avant de le réaliser, grâce en particulier à Godillot. Hyères n'eut pas, dans ce décisif quart du XIX', d'admi­nistraleurs aptes à lui donner un plan d'urbanisme qui la mette au goût du jour, comme fit Félix Martin à Saint-Rapbaël (75).

Une des questions les plus débattues fut celle du chemin de (el' de Toulon li Saint-Raphaël (76); certai!!s y voyaient la possi­bilité de regagner ce qui avait été perdu en 1860. Hyères se trouvait sur une grande ligne, d'intérêt touristique évident, et qui raccour·

(75) Exemple constamment cité dans H yeres.Journal. (76) Cf. HyèreS-Journal, passim, et les délibérations du conseil g~néral du

Var. J'ai consulté aussi, grâ.ce à l'obligeance du Crédit Lyonnais, les rapports du Conseil d'Administration du Sud-France aux Assemblées générales annuelles.

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cirait le trajet vers Nice. On sait dans combien de querelles mineu­res, tomba la discussion sur ceUe ligne dont la concession fut plusieurs fois modifiée. En 1886, la concession est reprise par la Compagnie Sud-France qui parait plus solide, mais construit ses autres lignes avant Toulon - Saint-Raphaël; c'est ainsi que Meyrargues-Draguignan est terminée en 1889, que Grasse est reliée à Draguignan en 1890 et à Nice en 1892, au moment où les hivernants britanniques en découvrent tous les charmes -encore une nouvelle rivale pour Hyères! La liaison Toulon-Saint­Raphaël n'est terminée ... qu'en 1906; il est vrai qu'en sus des importantes difficultés dues au tracé « demi-montagneux >, les constructeurs se sont heurtés à des différends presque pour chaque halte, l'emplacement de la gare d'Hyères ayant été particulièrement controversé.

Dans tous les domaines donc, chances non saisies, retards accumulés, Hyères, à la veille de 1914, nous parait une station déjà vieillie, à l'équipement hôtelier déjà ancien. Aucun, certes, de ces grands hôtels n'est en grande difficulté avant la grande crise écouomique de 1929; mais celle-ci entrain a la disparition de plu­sieurs d'entre eux, dans l'indifférence de la population et de la municipalité byéroises. S'il n'est pas sûr qu'Hyères ait été la première des stations d'hiver, par l'ancienneté, elle a été, en tout cas, celle qui mourut la première.

Cetle fin rapide, l'observateur, certes, ne pouvait la prévoir en 1913; mais il pouvait voir que la mode ne favorisait plus Hyères, restée petite station d'hiver où l'on s'ennuie el très isolée sur une côte des Maures quasi vide, alors que les stations de la Côte d'Azur (sens étroit) s'épaulaient (par leurs progrès rapides); les statis­tiques du Sud-France sont significatives de la modicité du trafic sur la côte varoise; le trafic voyageurs ne subit, ni en été, ni en hiver, d'augmentation saisonnière. Ce ne sont encore que les débuts les plus modestes du Lavandou, de la Croix-Valmer, de Saint­Tropez (avec l'Hôtel Sube).

Notre communication a montré des chances historiqnes non saisies; fui-ce par hasard? Ou n'en devrait-on pas chercher la cause dans la strncture sociale de ceUe vaste, trop vaste commune d'Hyères où la prédominance du c secteur primaire:. est écrasante? Pour ce peuple de jardiniers, de pêcheurs, d'ouvriers, les questions

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agricoles, l'eau, les salines, la pêche sont les questions essentielles. L'intérêt touristique de la commune est surtout défendu par les e notables " propriétaires fonciers, loueurs de meublés, soit la • droite • tôt condamnée dans le Var. La richesse et l'oisiveté des hivernants peut heur ter ceUe population, particulièrement pau­vre, sensible sans doute plus au renchérissement des denrées, des terrains, des loyers qu'apporte l'hivernant, qu'à l'argent qu'il dépense et dont tant de métiers profitent.

D'autres villes touristiques ont pu ti rer le plus grand profit d'un apport de sang nouveau : montagnards durs au travail et âpres au gain qui ont vite tenu des places importantes dans J'hôtel­lerie, le commerce et les professions touristiques (à Grenoble, les gens descendus du Dévoluy et du Trièves; à Nice, ceux de la Vésubie et de la Tinée) ils appelaient ensuite parents et amis et renou­velaient la structure sociale. J e ne vois rien de comparable à Hyères qui n'a pas bénéficié d'un apport provençal; les immigrants sont constitués d'ouvriers agricoles italiens, ou de directeurs d'hôtels suisses (d'ailleurs temporairement installés), cela ne modifie pas fondamentalement la nature des l'apports sociaux dans ceUe cité où se maintiennent les mêmes affrontements.

D'un côté les e notables > hyérois qui seuls frayent avec la colonie des hivernants, car les hivernants n'ont aucun contact avec ce peuple en dehors des rapports très paternalistes avec les domestiques ou les jardiniers. De l'autre un peuple qui ne saisit pas l'intérêt du développement touristique et fait obstacle. Denis qui fut maire d'Hyères, l'a éprouvé; les élections de 86 montrent bien le fossé : le comte de Saint-Ferréol, e conservateur . soutenu par Hyères-Journal et qui voudrait faire entrer au conseil municipal des hivernants habitués, comme Geoffroy Saint-Hilaire; de l'autre Fr. Arène, maire sortant, républicain, tailleur de pierre, qui l'em­porte (77). Notons que l'intervention des hivernants dans la vie politique locale ne fut jamais goiltée : P. Bourget en sut quelque

(77) Le ton d'Hywes-Journal est violent et l'intérêt de la station d'hiver constamment éVOQué. n faut éviter aux étrangers de distinction le spectacle d'une assemblée au-dessous de sa tâche (spectacle que leur offre la municipalité Arène), « selon qU'elle aura à sa tête des hommes peu capables ou des adminis­trateurs habiles, elle pourra rester une sta.tion de deuxième ordre ou devenir la. reine du littoral méditerranéen li.

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chose en 1904 quand il voulut soutenir la liste de droite aux élections municipales.

A partir de l'exemple touristique d'Hyères au XIX', ne pourrait­on conclure en avançant l'hypothèse que la coexistence durable d'une activité touristique importante et d'un « secteur primaire >

numériquement prépondérant, n'est pas possible. Les intérêts sont trop différents, les mentalités surtout trop opposées. II semble qu'babituellement le secteur touristique détruit la structure tradi­tionnelle, affaiblit la vie agricole et peut faire d'un paysage rural un paysage mort (évolution que décrit B. Kayser pour l'arrière­pays de la Côte d'Azur, depuis 100 ans; « destructuration >, dont les communes transfornlées aujourd'hui en stations d'hiver,' nous Offrent le spectacle contemporain).

Hyères parait avoir eu l'évolution inverse : le secteur primaire, les activités produtrices classiques (agriculture, pêche, salines ... ) non seulement se maintiennent mais gênent le développement touristique d'Hyères au point que les structures d'accueil des hiver­nants (hôtellerie) non intégrées à la vie locale et vieillies au début du xx' , ne peuvent résister à la secousse de la crise économique (78) .

Marc BOYER.

(78) Cette conclusion n'entend pas porter un jugement sur les efforts récents

~:r;Sèr~~l'iU1~r~è~~~ S~f~~~~;~o~d:t~é~;,;est~~c~:e d.~;~~eM~:s Ht:!~et~ station d1ûvemants, est une page du passé définitivement tournée. Dès avant 1914 n y avait eu des projets d'Hyères, station balnéaire d'été et même station thermale (l'hôtelier Grimm avait voUlu amener l'eau de la Vierge à Hyères), c'est leur échec - à cette époque - qui nous parait slgn1ftcatit.