husson, economie marxiste en france

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    LA VOIE ETROITEDE L ECONOMIE MARXISTE EN FRANCEMichel HussonProjet darticle pour H istori cal materi alism

    La pense conomique radicale connat en France un renouveau depuis quelquesannes. La rfrence au marxisme y tient toute sa place et il sagit l dune vritablersurrection, tant celle-ci avait t marginalise, coince entre la tradition stalinienneet lcole de la rgulation. Cet article 1est une premire tentative pour rendre comptede ce processus en confrontant ces deux courants et leur relative perte de substancequi libre un espace pour un marxisme vivant et radical.

    1. LE PCF ET LECONOMIEEn tant que parti se rclamant du marxisme, le PCF se devait de produire desanalyses du capitalisme et des voies de son dpassement ; en tant que parti, il avaitpour fonction d'laborer un programme. I l est normal que cette double tche se soitaccompagne de tiraillements, voire de contradictions, et elle suppose en tout cas quesoient bien prcises les modalits d'articulation entre l'analyse de fond et leprogramme d'intervention. Cette tension est invitable mais elle a pris dans l'histoiredu PCF, comme parti stalinien, une ampleur considrable qui s'est particulirement

    manifeste dans le domaine conomique. Plutt qu'une histoire minutieuse desrelations entre le PCF et ses conomistes, nous voudrions proposer ici une premireapproche de cette question, autour d'un fil directeur, l'instrumentalisation de lathorie au service d'une orientation politique fluctuante.

    Un potentiel impressionnantTout au long des annes soixante s'est constitu autour du PCF un grouped'conomistes, intellectuels souvent brillants, qui ont cherch redfinir l'analysemarxiste du capitalisme. C'est le Trait d'conomie marxiste, publi en 1971 quireprsente la premire contribution d'ensemble cette nouvelle analyse. Sa colonnevertbrale est la thorie du Capitalisme monopoliste d'Etat (CME), qui transpose leslaborations marxistes-lninistes d'Union sovitique et d'Allemagne de l'Est etredcouvre les travaux de lconomiste Eugne Varga, l'un des rares intellectuelsmarxistes avoir produit des analyses originales du capitalisme de l'intrieur dustalinisme. Mais le Traitsinscrit aussi dans un mouvement gnral de redcouvertedes textes de Marx, o se fait notamment sentir la rfrence Althusser. On lit ou onrelit Marx, on le traduit et on l'dite 2.

    1 Cet article sappuie sur deux contributions rcentes (Husson 2001a et 2001b).2 La premire dition franaise d'un texte aussi fondamental que les Grundrissedate de 1968.

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    La thorie du CME prend cependant grand soin de se situer dans une continuitorthodoxe. Paul Boccara fait rfrence Lnine, se dmarque de Staline, et suitlhistoire du concept travers ces documents aussi fondamentaux que le Manueld conomie politique de lAcadmie des Sciences dit Moscou en 1955, ou larsolution de la Confrence des 81 partis communistes et ouvriers de 1960, quipropose la dfinition suivante : Les contradictions de limprialisme ont acclr la

    transformation du capitalisme de monopole en capitalisme monopoliste dEtat. Enrenforant le pouvoir des monopoles sur la vie nationale, le capitalisme monopolistedEtat runit la puissance des monopoles et celle de lEtat en un mcanisme uniquedestin sauver le rgime capitaliste, augmenter au maximum les profits de labourgeoisie imprialiste par lexploitation de la classe ouvrire et le pillage de largescouches de la population3.

    Ces supposes avances thoriques sarticulent en fait autour de deux volets : dunepart le cur de la thorie, dite de la surracumulation-dvalorisation, dautre part unethorisation des nationalisations comme stratgie anticapitaliste. Sur le premierpoint, la thorie bien particulire formule par Boccara plonge des lments danalysedu capitalisme de lpoque dans un cadre thorique incohrent. L e rle dufinancement public dans laccumulation, la socialisation ( travers la Scurit Sociale)dune part croissante du salaire, la concentration du capital, voil autantdobservations correctes. Mais le PCF prtend, sans y parvenir, en faire lescomposantes dune thorisation plus gnrale.

    Le concept de dvalorisation est particulirement distordu. Chez Marx, il dsigne laperte de valeur priodique du capital, lie au fonctionnement cyclique de lactivitconomique. Boccara introduit quant lui une double confusion. I l baptisedvalorisation toute rmunration infrieure au taux de profit moyen, et tend ce

    processus sur lensemble de londe longue, mlangeant ainsi les formes concrtesdorganisation du capital et ses lois fondamentales. Mais davantage que lescontorsions thoriques, ce sont les implications politico-pratiques qui importent.Lide gnrale consiste montrer que les monopoles exercent une fonctionparasitaire sur lensemble de la socit, en dtournant les ressources de lEtat travers leur financement public. I ls prlvent aussi de la valeur sur les petites etmoyennes entreprises (PME), et ces transferts, baptiss exploitation , sont placssur le mme plan que lexploitation des travailleurs.

    Cest souvent chez les disciples que se rvlent, par drapages progressifs, la logique

    hasardeuse de tels chafaudages prtention thorique. La capacit des monopolesde fixer leurs prix comme bon leur semble, et de garantir ainsi leurs profits, conduitpeu peu lide selon laquelle laction de la loi de perquation des taux de profit setrouve contrecarre et, avec elle, les prix de production, de telle sorte que la loi dela valeur se fraie de plus en plus difficilement son passage (Delilez 1972). Rappelonsque la position marxiste pertinente consiste poser la formation de la masse de plus-value comme pralable sa rpartition et sa captation par les diffrentes fractionsdu capital. On voit bien que ce dbat conserve son actualit, dans la mesure o lathorie parasitaire a retrouv un nouvel essor avec la financiarisation. Il suffit deremplacer monopole par finance pour retrouver les mmes absurdits sur la

    3La Nouvelle Revue Internationale, dcembre 1960, cite par Boccara (1974).

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    formation de la valeur. La rigueur thorique consistant rappeler que la plus-valueest cre dans lexploitation, et rpartie, dans un second temps, est aujourdhuiessentielle. Cette importance ne renvoie pas au dsir de maintenir le dogme, mais celui de bien dcrypter le capitalisme contemporain. Celui-ci devientincomprhensible si on pense que la Bourse est une source autonome de valeur et nonun moyen daccaparer celle produite ailleurs.

    A lpoque, ce thme tait fondamental pour fonder la stratgie dUnion du peuple deFrance et dalliance antimonopoliste. Ce projet sest appuy sur une analyse declasses tout aussi errone de la part du PCF. Elle consistait, pour aller vite, distinguer deux classes fondamentales : la classe ouvrire et la bourgeoisiemonopoliste, lune et lautre dfinies de manire restrictive. Entre les deux, stendentles couches intermdiaires , salaries (employs du commerce ou de la banque,ingnieurs, cadres et techniciens) ou non salaries (artisans, patrons de PME). Cetouvririsme correspond une division du travail : le PCF est le parti de la classeouvrire qui sallie au PS et aux radicaux, reprsentants des couches moyennes, et leciment dune telle alliance, cest la lutte conjointe contre les mfaits des monopoles.Ce schma aura dailleurs des consquences dramatiques, pour le PCF lui-mme. Aulieu de chercher reprsenter la classe des travailleurs, il sauto-limite la classeouvrire au sens strict, abandonnant de fait la nouvelle classe ouvrire dautres.

    Cette posture explique lincapacit du PCF formuler des revendications unifianteset saisir la nouveaut des luttes de lpoque, quil sagisse de Lip ou desmouvements dOS. Sur le plan syndical, cela se traduit par un refus de remettre encause la hirarchie salariale par des revendications daugmentation salarialeuniforme (1500 F pour tous) qui dformeraient lchelle des rmunrations au profitdes plus bas salaires. Le PCF sest toujours battu, y compris thoriquement, pour des

    augmentations en pourcentage (5 % pour tous) ayant pour effet de conserver lahirarchie. Ce choix a eu des consquences trs graves sur lclatement de la classeouvrire, mais on voit bien comment il repose sur une conception, suppose garantirle monopole ouvrier du PCF, qui voit lunit du salariat comme une alliance entredeux corps spars, la classe ouvrire et les classes moyennes.

    Nationalisations, mixit, gestion

    A partir de cette matrice de base, llaboration a fluctu au gr de lactualit politique.Un premier ajustement a concern le seuil scientifique des nationalisations . Dansun premier temps, ce seuil a t dfini autour dune liste de 25 groupes nationaliser.Ensuite, lors de la discussion autour du Programme commun, i l fut brusquement dvaloris et rduit neuf grands groupes. Aprs la signature du Programmecommun, ce seuil recommena augmenter, sans doute en vertu du principe selonlequel lUnion est un combat . Enfin, aprs la rupture de lunion de la gauche en1977, le non-respect du seuil fut invoqu pour justifier limpossibilit dun accordlectoral lors des lgislatives de 1978. Trois ans plus tard, en 1981, on nen entendraplus parler. Ces lamentables fluctuations ont dispens le PCF de rflchir rellementsur le contenu des nationalisations. Quand la gauche arriva au pouvoir en 1981 et

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    nationalisa finalement, la cohrence possible des propositions du PCF avait trduite nant par ces ajustements successifs, mais aussi par la vacuit de sespropositions en matire de gestion.

    La seconde grande innovation de Boccara rside dans les fameux nouveaux critresde gestion qui consistent notamment maximiser le ratio VA/C. derrire ces

    formules obscures se cache une ide assez tonnante qui est que le capitalisme ne saitpas grer ses affaires. Il maximise le taux de profit, mais ce faisant utilise mallargent et se prive dune relance imptueuse tire par la demande salariale. Cetteextravagante prtention amliorer le capitalisme est condense dans cette formulecabalistique. I l faut donc maximiser la valeur ajoute (VA) produite par unit decapital (C), ce qui permet de combiner lefficacit (conomie de capital) et desarrangements varis quant au partage de la valeur ajoute. Tout ceci estparfaitement absurde et il est facile de montrer que ces critres se ramnent celuidu profit, moins de postuler la conversion spontane du capitalisme la satisfactiondes besoins sociaux. I l faut y voir aussi une manire de critique collatrale ducapitalisme, qui laisse des portes de sortie son amnagement. Les thmes du gchis , de la casse , de la mauvaise utilisation de largent ne sont pas faux ensoi. Mais la manire dont ils ont t martels a cr constamment lillusion que cenest pas le capitalisme en tant que tel quil faut combattre mais sesdysfonctionnements : le poids des monopoles, le poids de la finance, la recherche duprofit court terme, etc.

    La thorie du CME sera progressivement range au magasin des accessoires, et cetournant concide videmment avec la participation du PCF au gouvernement de lagauche. Cest alors Philippe Herzog qui va raliser une nouvelle synthse dans unlivre paru en 1982. Le sous-titre annonce une initiation aux politiques conomiques

    actuelles et il sagit certainement dune initiation de nouvelles formes decollaboration de classes. Sur la question-cl des nationalisations par exemple, P.Herzog avance cette fire devise : Personne ne propose de soviets lentreprise ! etprcise aussitt : Nous, communistes, proposons en revanche le dbut dunpluralisme dans les conceptions de gestion. I l faut mditer cet en revancheexplicitant la fonction des nouveaux critres de gestion, qui ne sont autre chose quundrivatif ou un simulacre de pouvoir des travailleurs dans lentreprise. Le nouvelconomiste en chef du PCF thorise la mixit conflictuelle entre un secteur public etun secteur priv. Cette comptition pacifique conduit une conomie hybride o, defait, les critres capitalistes ne peuvent que dominer. Herzog ladmet lui-mme : Les

    patrons mettront sans doute une principale critique : un tel critre pousserait tropdemplois et trop de salaires. Cest ne pas tenir compte du cadre concurrentiel danslequel nous sommes et restons : les productions doivent tre comptitives.

    La dimension la plus sinistre de cette construction est la croyance en des solutionsnationales qui renforce toutes les contradictions dj signales. On retrouve ici lundes traits profonds des partis staliniens, savoir leur incapacit fondamentale dvelopper une orientation internationaliste, et mme comprendre la dimensioninternationale de la crise. Ce qui se profile, cest donc une issue nationale structure autour dune alliance avec les capitalismes nationaux autour du thme Produisons franais . Cette position a considrablement affaibli le discours du PCFau dbut des annes quatre-vingt quand il a d affronter la fameuse contrainte

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    extrieure , invoque pour justifier le tournant vers laustrit. Dans un contexte ole Front national allait commencer dvelopper ses thmes partir derapprochements entre les 2 millions de chmeurs et les 2 millions dimmigrs, le motdordre Produisons franais tait particulirement douteux, dautant plus quilsaccompagnait de pratiques condamnables lgard de limmigration. Ntait-il pastentant en effet de rajouter avec des travailleurs franais au slogan du PCF ?

    Cette incomprhension de la nature mondiale de la crise saccompagne logiquementde gages donns la bourgeoisie franaise, bien rsums dans cette autre formule deHerzog : Si des sacrifices pouvaient tre efficaces, les travailleurs les consentiraient.I ls ont le sens du devoir national. Grattez les nationalisations, vous retrouvez le devoir national .

    Le PCF face au chmageVient ensuite le tournant vers le nolibralisme de 1983, inaugur par un programmede gel des prix, et surtout des salaires, mis en place par J acques Delors. Un an plustard, L aurent Fabius abandonne toute vellit de politique industrielle et deplanification. L es nationalisations apparaissent alors pour ce quelles sont, unevariante paradoxale du capitalisme monopoliste dEtat, o les fonds publics servent restructurer et reconvertir des groupes que lon rendra un peu plus tard au priv.Faute de pouvoir assumer cette rorientation, le PCF quitte le gouvernement, quiapprofondit le tournant. En 1985, Pierre Brgovoy entame un vigoureux programmede drglementation financire et systmatise la politique de dsinflationcomptitive . Cest une priode de restructurations brutales et de monte duchmage.

    Dans un tel contexte, les rponses du PC sur lemploi restent centres sur des thmesde gestion, et lon peut parfaitement soutenir quelles ne se distinguent pasfondamentalement des contre-propositions industrielles chres la CFDT. Lepoint commun de ces analyses, cest au fond de dire que les capitalistes sy prennentmal et que lon pourrait trouver de meilleurs arrangements. La notion de nouvellesproductivits fait partie de ce langage commun.

    Les critiques adresses au gouvernement du PS que le PCF a quitt un an plus ttrestent donc entirement abstraites, dans la mesure o elles ne sappuient pas sur un

    programme de mobilisation. I l y manque une comprhension correcte de ce quesignifie loffensive patronale de restructurations, contre les salaires, le droit dutravail et la protection sociale. Le PCF est profondment englu dans une idologie ola cible nest pas un systme, le capitalisme, qui fonctionne selon ses propres rgles,mais une entit floue, lconomie nationale , quon pourrait faire mieux fonctionner coup de partenariat conflictuel et de fonds pour lemploi.

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    La rduction du temps de travailLide de la rduction du temps de travail est centrale dans lhistoire du mouvementouvrier. On peut mme soutenir que les premires luttes et les premires victoires dece dernier portaient sur la limitation de la journe de travail. I l sagit dune constantede la tradition de la lutte des classes que lon retrouve dans lhistoire du courant

    marxiste rvolutionnaire, puisque le Programme de Transition contenait unerevendication dchelle mobile des heures de travail, complmentaire de lchellemobile des salaires. Citons ce texte de rfrence : Under the menace of its owndisintegration, the proletariat cannot permit the transformation of an increasingsection of the workers into chronically unemployed paupers, living off the slops of acrumbling society. The right to employment isthe only serious right left to the workerin a society based upon exploitation. This right today is left to the worker in a societybased upon exploitation. This right today is being shorn from him at every step.Against unemployment, "structural" as well as "conjunctural," the time is ripe toadvance along with the slogan of public works, the slogan of a sliding scale of workinghours. (...) all the work on hand would then be divided among all existing workers inaccordance with how the extent of the working week is defined. The average wage ofevery worker remains the same as it was under the old working week. Wages, undera strictly guaranteed minimum, would follow the movement of prices. It is impossibleto accept any other program for the present catastrophic period.

    Le PCF a depuis longtemps rompu avec cette perspective, trs exactement depuis lapriode de la Reconstruction , o il sagissait de retrousser les manches et de savoirterminer les grves. Avec des semaines de travail de plus de 50 heures, les 40 heuresdu F ront populaire taient bien oublies. Louvririsme et lexaltation de leffort autravail faisaient que la seule forme de rduction du temps de travail mise en avant

    centralement dans les revendications tait la retraite 60 ans. Au dbut des annes80, le PCF a rat une premire fois le coche des 35 heures, parce quil ntaitabsolument pas porteur dune telle alternative, si bien quil a contribu faireaccepter lenterrement de lide de rduction du temps de travail aprs le passage aux39 heures en 1982. Parti de gouvernement, le PCF a applaudi la politique de PierreMauroy qui a dcouvert la prretraite comme succdan aux 35 heures et commeinstrument de lutte contre le chmage.

    Au plan syndical, les luttes sociales taient dpourvues de vritables revendicationsradicales contre les licenciements et les dgts oprs par une ligne de

    reconversion du capitalisme qui ne dbouchait sur rien. Le discours creux des nouveaux critres de gestion tait psalmodi sans aucune traduction concrte dansla rsistance aux licenciements. Le grand rendez-vous avec les luttes des travail leursallemands pour les 35 heures, au milieu des annes 80, a t non seulement manqumais est rest hors de la perception des cadres politiques du PCF et des militantssyndicaux quil influenait. Cette faiblesse congnitale est un hritage du stalinismequi a toujours contourn soigneusement tout ce qui pourrait donner lieu unestratgie de contrle ouvrier, conue comme l'initiative directe des salaris sur tout cequi dtermine directement leurs conditions de travail. La crispation sur les solutionsnationales et la volont de ne pas contrer lorientation social-librale du PS augouvernement ont fait le reste.

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    Dshabiller Pierre pour habiller Paul , tel a t pendant longtemps la position duPCF l'gard du thme de la rduction du temps de travail. Ce rendez-vous manqurenvoie une forme de trade-unionisme semblable celui que Lnine reprochait laSeconde Internationale, et qui consiste sparer troitement les tches du syndicat etcelles du parti : le syndicat revendique sur le salaire, et le parti cherche prendre lepouvoir pour transformer la socit. I l y a peu de passerelles entre les deux types

    d'activit, et cette division du travail correspond l'opposition classique entre leprogramme minimum la lutte de classes au quotidien et le programme maximumqui alimente les beaux discours dominicaux. Quant l'ouvririsme, il prend la formede cette glorification du travail qu'il ne s'agit pas tellement de transformer, mais decompenser par des hausses de salaires et des primes durant la vie active, et par unebaisse de l'ge de la retraite ensuite. Comment comprendre autrement que le PCF atoujours dfendu la retraite 60 ans, mais jamais les 35 heures ? Cette visionpartielles ont donc conduit le PCF rater une seconde fois le tournant vers les 35heures. En dcembre 1992, Economie et politiquesort un numro spcial consacrtout entier des Mesures durgence pour lemploi. Le seul article consacr larduction du temps de travail sintitule La peste ou le cholra ? .

    La scurit emploi-formation (SEF)Ce concept a t forg au fil des ans et est devenu une rfrence centrale au 29mecongrs de 1996. La rsolution sur le projet du PCF avance une propositionneuve et de grande porte: une scurit emploi-formation. Cette ide concernenaturellement l'ensemble des salaris et des sans-emploi, la nation elle-mme ; ellerpond particulirement au besoin de rponses urgentes la situation impose aux

    jeunes. I l s'agit d'assurer toutes et tous un emploi, une formation lie l'emploi.

    Et aussi de prvoir, d'organiser, de garantir le passage des salaris, tout au long deleur vie de travailleurs, dans diffrentes activits - emploi, formation, participation la recherche, la formation des autres, notamment des jeunes - avec un revenucorrespondant leur qualification et voluant en fonction de celle-ci.

    Tout cela peut sembler sduisant, mais se rvle assez vite peu mobilisateur. Certes,le projet prcise que cette proposition va de pair avec une rduction importante dutemps de travail sans perte de salaire et avec embauche compensatrice, impliquantl'adoption d'une loi-cadre fixant la dure maximale du temps de travail hebdomadaire 35 heures, complte par des ngociations dans toutes les branches d'activits pour

    aboutir, selon les spcificits et les possibilits, une rduction plus grande encore,jusqu' 30 heures par semaine. Malgr cette clause de style, le projet de scuritemploi-formation (SEF) sert au PCF de succdan une orientation combative dont ilsest montr totalement incapable quand la question est redevenue dactualit partir de 1997. Le PCF na par exemple jamais mis en avant ce projet de loi-cadre,dont il parle dans sa rsolution de fin 1996, ou plutt il la laiss dans ses tiroirs. Ilna jou aucun rle de formation ou danimation sur ces questions.

    Sur cette question et sur dautres, cest une orientation similaire qui sest impose laCGT. Les textes confdraux de la priode semblent avoir t rdigs de la mainmme dHerzog, et sont en tout cas marqus du style emphatique qui lui est propre.On peut dire que la responsabilit du PCF est trs grande dans le dsarmement du

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    mouvement syndical sur la question des 35 heures. Faute dinitiative syndicale, le PSa pu rcuprer et dnaturer lide de rduction du temps de travail. Il aurait pourtantt possible de raliser une coalition entre partis, syndicats et associations(notamment de chmeurs) pour dfinir un projet radical de rduction du temps detravail et de lutte contre le chmage. Le PCF a t un obstacle, par son inertie et sonconservatisme revendicatif, sans parler de son insertion dans la majorit plurielle.

    Outre son caractre peu oprationnel, lide de SEF recle dnormes ambiguts quine sont jamais leves ou discutes dans les laborations du PCF. Une telle formulecherche prendre acte des modifications intervenues dans l'organisation du travail et concilier la continuit de la situation sociale et la mobilit de l'emploi. I l s'agit ld'un thme de dbat et d'laboration, qui pose de nombreuses questions. La premireest de savoir s'il faut accepter le discours patronal sur la flexibilit. Celle-ci passe parexemple par la sous-traitance gnralise, et le projet d'Alcatel d'aller vers une entreprise sans usines vient d'en donner une illustration saisissante. Faut-il pourautant prendre comme donne intangible ce type de restructurations ? La rponse estvidemment ngative : il n'existe aucune ncessit objective, par exempletechnologique, ces choix organisationnels. I ls servent notamment contourner ledroit du travail en externalisant le plus grand nombre possible de segments deproduction dans de petites entreprises mal protges. Mais le PCF nest pas armpour une telle rflexion critique, puisque ses conomistes sont occups chanter lagloire de la Rvolution informationnelle sans trop se soucier de lallure quelleprend sous direction capitaliste.

    Le PCF n'arrive pas faire le lien entre les diffrents aspects de la discussion, et le mot d'ordre de prts bonifis ( taux rduits) aux petites et moyennes entreprisesvient paradoxalement nourrir cette reprsentation dforme du statut rel des PME.

    Celles-ci sont prsentes implicitement comme de vaillantes petites entreprisescrases par les charges financires, alors que leur vulnrabilit provient de leurdpendance l'gard des grands groupes qui pompent leur valeur ajoute par touteune srie de mcanismes. On retrouve dcidment lhritage de lallianceantimonopoliste, et labandon de toute ide de contrle des travailleurs sur la gestiondes entreprises. Cest pourtant la racine, donc dans les entreprises, quil fautprendre le problme si lon veut limiter le droit patronal aux licenciements. Le projetde SEF peut trs bien se rduire un filet de scurit rcuprant aprs coup lesvictimes des licenciements reconnus implicitement comme invitables.

    La SEF devrait ensuite se situer par rapport toute une srie de propositions quicirculent sur le march des ides. I l y a par exemple le contrat d'activit mis enavant par le rapport Boissonnat, et le statut professionnel propos par le rapportSupiot4. Dans ces laborations, il y a le meilleur et le pire. Le meilleur, ce serait unprojet de mutualisation des cots sociaux du chmage, la charge des entreprises, demanire assurer une continuit du contrat de travail. Le pire, ce serait un fi let descurit, mdiocre contrepartie l'exigence patronale de grer la main-duvre sansaucune contrainte. Face une telle ambigut, on peut au moins adopter le principede prcaution propos par Robert Castel de ne pas laisser la proie pour lombre (Castel 1999). Encore une fois, il ne s'agit pas ici d'une rticence de principe. L'une

    4 dont l'un des rdacteurs, soit dit en passant, est Robert Salais ex-thoricien de l'emploi au PCF , et auteur, deuxans avant Balladur, dune proposition de SMI C-jeunes 75 % du SMI C. Voir Le Mondedu 22 janvier 1992.

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    des tches des marxistes est bien d'laborer des revendications qui prfigurent lemode de fonctionnement d'une socit socialiste. L'une des rares choses sur lesquelleson peut s'accorder ce sujet, c'est que la force de travail ne devrait plus tre unemarchandise comme les autres et que sa gestion devrait tre socialise, bref que lechmage devrait tre aboli.

    Cet objectif doit tre compatible avec une certaine fluidit de l'emploi, qui n'a rien voir avec la soif de flexibilit patronale. On l'oublie trop souvent, mais une socitsocialiste aurait pour vise de dtruire un trs grand nombre d'emplois rendusinutiles par une autre organisation de l'conomie. Des centaines, voire des millionsd'emplois, sont des doublons crs par une concurrence capitaliste largementirrationnelle ; ou bien, il s'agit d'emplois lis la marchandisation de servicescollectifs. Avec la sant gratuite, par exemple, le travail des milliers de personnes quigrent les remboursements devient superflu. Toute une srie d'industries, commecelles de l'armement, mais pas seulement elle, devraient tre reconverties. Lemaintien de l'emploi en l'tat est une revendication possible court terme, mais ellene correspond pas forcment une vritable perspective de transformation sociale. Ilfaut donc y adjoindre un projet de transformation du statut de salari dans le sens dela continuit. Ce dbat est donc parfaitement lgitime et nous y avons nous-mmescontribu (Coutrot et Husson 2001).

    On peut mme pousser la critique un peu plus loin, pour contester le rle dcisifaccord la formation, prsente comme quivalente lemploi. Cest dune certainefaon entriner des analyses parfaitement errones qui cherchent expliquer lechmage par une formation insuffisante. En grattant un peu, on peut mme retrouverles thories les plus ractionnaires sur la fameuse inemployabilit des chmeurs : dfaut de pouvoir les employer, il faudrait donc les former. Cette vision du chmage

    par dfaut de formation est videmment trs rductrice, et on peut se demander aufond sil ne vaudrait pas mieux parler, par boutade, dun projet de scurit emploi-temps libre.

    Ces critiques peuvent paratre systmatiques mais elles correspondent au fait que lePCF propose une coquille vide qui a une fonction de dlimitation politico-programmatique, plutt qu'une vritable force revendicative. La formule tout terrainde SEF a le mrite de se prter aux configurations programmatiques les plusdiverses, mais le PCF serait bien en peine de donner un exemple de mobilisationautour de ce thme, ou de traduction lgislative concrte. Encore une fois, il na

    dautre fonction que de substituer un autre projet, celui du retour au plein emploipar une baisse radicale du temps de travail, et de faire oublier labsence du PCF surce terrain.

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    Le PCF, parti de gouvernementLa thorie n'tant pas mallable l'infini, le retour du PCF au gouvernement rend lesgrands carts de plus en plus douloureux. Car le PCF reste communiste, dit-il, et sefixe toujours comme projet le dpassement du capitalisme. Le terme nest pascritiquable en soi, dans la mesure o le passage au socialisme serait effectivement un

    dpassement. En revanche, on ne peut s'en tenir cette perspective incantatoire, et ilfaut expliquer comment l 'action quotidienne du PCF s'inscrit dans une telleperspective. C'est videmment plus difficile, et l'on arrive assez rapidement despostures irrationnelles et schizophrnes.

    La premire d'entre elles est assez classique, et consiste ignorer la gauche radicalepour privilgier le dialogue avec les plus ractionnaires. Cest une tradition de longuedate : le PCF a toujours prfr dialoguer avec le patronat quavec les autresmarxistes. Plus rcemment, on peut voquer l'exemple de l'Appel des conomistespour sortir de la pense unique , n dans la foule du mouvement de novembre-dcembre 1995 et qui a d'emble constitu un lieu de confrontation intressant entrediverses sensibilits allant des keynsiens aux radicaux. Les tnors du PCF ont boudce regroupement, le qualifiant d'ambigu et dpourvu d'ambition. Certains desconomistes du PCF se sont aussi retrouvs la Fondation Marc Bloch, ce lieu derencontre des rpublicains des deux bords , mais l'exprience sans doute la plushallucinante est l'association Confrontationslance il y a une dizaine d'annes par P.Herzog. Mme la CFDT n'aurait pas os concevoir un tel projet, o syndicalistes etconomistes du PCF prennent un plaisir vident, mme s'il est parfois un peumasochiste, se confronter, trs courtoisement, des reprsentants de l'aile supposesociale du patronat.

    Depuis son entre dans la majorit plurielle, le PCF se voit condamn laschizophrnie. I l a ainsi pris lhabitude de manifester contre des projets de loi quilvotera finalement, une fois les banderoles replies. Ce double langage prive de toutcontenu le discours critique port certains jours, pour tre oubli le lendemain. 35heures, pargne salariale, rforme de lindemnisation-chmage (PARE), crditdimpt, modernisation sociale, toutes ces lois sont passes avec, le cas chant,quelques adverbes signs PCF. Mais, sur le fond, comment ne pas voir que la maniredont les conomistes du PCF magnifient ces pas de fourmi agit en retour pour viderde toute crdibilit intellectuelle leur posture critique lgard du capitalisme ? Etlhorrible soupon rapparat sur la vritable nature de cette vise de la scurit

    emploi-formation, qui vise surtout dployer un cran de fume devant la soumission un inexorable processus de rgression et de dconstruction sociale-librale.

    Bref, le bilan est globalement ngatif : dfiguration du marxisme, incapacit armerlintervention des salaris, anticapitalisme priphrique, incomprhension totale surla rduction du temps de travail, suivisme lgard du social-libralisme sousprtexte defficacit gouvernementale. Ce nest certainement pas de l que viendra larefondation dun projet de transformation sociale, ni un renouveau de la thorie.Faut-il alors sen remettre lcole dite de la rgulation ?

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    2. L ECOLE DE LA REGUL ATION

    Cette cole a exerc une influence dterminante dans le champ de lconomiehtrodoxe au cours des vingt dernires annes. Le livre dAglietta, Crises etrgulation du capitalisme, date de 1976 et peut tre considr comme lacte fondateur

    de la thorie de la rgulation. Sa rdition de 1997 et la postface qui lagrmente marquent sans doute le point darrive dune trajectoire qui a emmen cette coleassez loin du marxisme dont elle est pourtant en partie issue.

    Gense dune coleA sa sortie, louvrage dAglietta avait pu susciter une interrogation sur laquelle ilconvient de revenir aujourdhui : sagissait-il dune reformulation/actualisation dumarxisme ou de la mise en place dune approche thorique compltement renouvele ?A lpoque, les rgulationnistes sont marqus, dun ct, par une traditioncolbertienne ou saint-simonienne et, de lautre, par une certaine incarnation, bienfranaise elle aussi, du marxisme. L ipietz (1994) na pas tort den faire les filsrebelles de Mass5et dAlthusser , et leur projet peut sanalyser comme une rupturedialectique lgard de cette double filiation.

    La crise sera loccasion de cette rupture. Le projet rgulationniste est en effet n dansune conjoncture bien prcise : sur le plan politique, cest la priode du dbat autourdu Programme commun, qui devait sachever avec la rupture de lUnion de la gaucheen 1977. Sur le plan conomique, la rcession gnralise de 1974-75 marque lentre dans la crise . Par certains cts, celle-ci vient donner raison aux thoriciens du

    PCF qui prvoyaient depuis deux dcennies lenlisement final du CapitalismeMonopoliste dEtat . Mais elle fait surtout apparatre rtrospectivement ledogmatisme dune thorisation misrabiliste du capitalisme daprs-guerre. Lesrgulationnistes ont alors lintuition que la cl de la crise se trouve dans lacomprhension des Trente glorieuses qui viennent de sachever, sans que lon senrende pleinement compte. Deux ouvrages fondateurs sont alors produits : le livredAglietta de 1976, puis le rapport Boyer-L ipietz (et alii) de 1977 sur linflation.

    Une relecture confirme aujourdhui le sentiment que lon pouvait avoir lpoque dene rien y trouver dautre que la reformulation dun marxisme dont la principale

    novation est dtre dbarrass de ses oripeaux staliniens. Le livre dAglietta nest pourlessentiel quun expos assez classique des lois de laccumulation capitaliste, avecapplication au cas des Etats-Unis. La nouveaut consiste parler daccumulationintensive, dfinie comme reposant sur la production de plus-value relative. Certainsconcepts de Marx sont confronts aux donnes macro-conomiques de la compatibilitnationale, et Aglietta avance loccasion des pseudo-concepts aujourdhui oublis,comme ce cot salarial social rel qui nest autre chose que la part des salairesdans la valeur ajoute. Lanalyse empirique conduit Aglietta noncer que lemeilleur indicateur statistique pour reprsenter lvolution du taux de plus-valueest lvolution du cot salarial rel . I l ny a pas l de dcouverte renversante.

    5 Pierre Mass fut lun des principaux thoriciens de la planification la franaise .

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    Les rgulationnistes ont cependant le sentiment dinnover radicalement sur le planmthodologique, par le simple fait de confronter leurs concepts la ralit empirique.L encore, la rupture avec un certain structuralisme marxiste se combine avec leurinsertion dans ladministration conomique pour les inciter chercher unequantification empirique de leurs analyses. Mais cest avec lardeur des nophytesquils smerveillent de cette coupure pistmologique : ce retour la mesure, mme

    difficile et toujours insatisfaisant compte tenu de lorigine prcise des statistiquesutilises, a pour effet dintroduire la possibilit dun dmenti du cadre thorique dedpart, fut-il minemment satisfaisant dun strict point de vue logique (Bertrand etalii1980). Cette dcouverte nave de lautonomie de la ralit concrte par rapport la logique thorique ne peut srieusement prtendre reprsenter un dpassement dela mthode marxiste : elle ne peut se comprendre que par rapport la prgnance dustalinisme.

    La rupture avec Althusser est longuement dcrite par Lipietz (1979) ; le principalreproche quil lui adresse est de nier que sur cette base matrielle des rapportssociaux puisse se constituer quelque chose qui puisse dire cest nous et bouleverserle systme des rapports. Ce quelque chose tait pour nous le mouvementrvolutionnaire des masses . L encore, il est extraordinaire de pouvoir prsenterlintervention du mouvement rvolutionnaire des masses comme quelque chose quil serait ncessaire de redcouvrir pour renouer avec le marxisme, dont cestvidemment un lment constitutif ! Cest cette capacit enfoncer les portesouvertes que lon mesure la chape de plomb stalino-maoste que les inventeurs de largulation ont d soulever pour se retrouver lair libre. Cette trajectoire nest pasindiffrente, car elle les aura tenus lcart de la tradition vivante du marxismequils nauront pratiqu qu travers Althusser, Mao ou Boccara. Tout cela nempchepas les rgulationnistes dtre cette poque des critiques assez consquents du

    capitalisme.

    Quand le rgulationnisme nest pas (encore) un harmonicismeOn doit L ipietz (1994) cette dfinition parlante de la dmarche rgulationniste : onest rgulationniste partir du moment o on se demande pourquoi il y a desstructures relativement stables alors que logiquement elles devraient clater ds ledbut, puisquelles sont contradictoires (...) alors quun structuraliste trouveraanormal quelles entrent en crise . Mais si lon ne rduit pas le marxisme un

    structuralisme, ltude des modalits de la reproduction du capital fait videmmentpartie intgrante de sa critique qui na nul besoin dune sorte de thormedeffondrement permanent.

    Quoi quil en soit, la rflexion initiale dAglietta sur le no-fordisme montre quil sesitue alors pleinement dans le champ du marxisme et que, sur un point essentiel, ilnest peut-tre pas compltement rgulationniste au sens o on lentend aujourdhui.Aglietta (1976) envisage en effet la possibilit dune issue la crise, fonde sur unno-fordisme ainsi dfini : un nouveau rgime daccumulation intensive, le no-fordisme, sortirait de la crise en faisant progresser laccumulation capitaliste sur latransformation de la totalit des conditions dexistence du salariat, alors que lefordisme tait ax sur la transformation de la norme de consommation prive, la

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    couverture des frais sociaux capitalistes demeurant la lisire du mode de productioncapitaliste . En dautres termes, la crise pourrait trouver une issue par lextensionaux consommations collectives (sant, ducation, transports...) de ce que le fordismeavait ralis pour la consommation prive (logement et quipement mnager, voitureindividuelle). Ce thme est aussi prsent chez Attali (1978) qui crivait par exemple : la socit postindustrielle sera probablement hyper-industrielle. Mais la production

    y est oriente vers de nouveaux secteurs, substituts aux services collectifs producteursde demande, lcole, lhpital. Elle sappuie sur un nouveau rseau, technologiqueet social, produisant une demande pour ces objets marchands .

    Aglietta introduisait cependant une prcision dcisive en soulignant demble que lefait que cette transformation [no-fordiste] des fondements du rgime daccumulationintensive soit la seule issue durable la crise ne signifie pas ipso facto quelle soitpossible dans le capitalisme . Cette restriction montre que lapproche rgulationnisteest alors dpourvue de toute tentation harmoniciste et pouvait donc tre absorbesans peine dans le corpus marxiste.

    Le rapport salarial, un concept-clLa vraie nouveaut se trouve au fond dans cette analyse du rapport salarial fordiste,institutionnalis aprs 1945 avec linstauration dun salaire minimum, de conventionscollectives, et lextension du salaire indirect. Boyer en fait un indicateur central desspcificits de la rgulation monopoliste : lajustement cyclique ne sopre plus par lesprix (Boyer 1978), les institutions contribuent aligner la progression moyenne dessalaires sur la productivit industrielle (Boyer Mistral 1978). Aglietta (1976) introduitquant lui la notion centrale de norme de consommation et montre bien comment

    le fordisme marque prcisment lentre dans la consommation salarie de biensproduits avec dimportants gains de productivit. Enfin, Bertrand (1979) vrifie cettehypothse grce une analyse en sections de lconomie franaise qui reprend lesschmas de reproduction du Capital.

    Du point de vue thorique, encore une fois, il sagit donc plutt dune remobilisationde dbats et schmas disponibles par ailleurs, sans quon sache si ces filiations sontconscientes chez des rgulationnistes qui semblent tout ignorer du marxisme aprsMarx. Pour prendre un exemple, le lien nest notre connaissance jamais tabli avecle dbat qui a mobilis les conomistes marxistes pendant de longues annes autour

    de la Premire Guerre Mondiale : ses protagonistes sappelaient Kautsky, Bernstein,Lnine, Boukharine, Luxemburg, Bauer, Tugan-Baranovsky. Ce dernier, parexemple, propose des schmas de reproduction o la baisse de la production estcompense par laccumulation, et rejette pour cette raison la thse de leffondrementfinal. Bauer parvient un rsultat semblable et conclut la validit delaccumulation du capital lintrieur de certaines limites rgles par la productivitet la population. Sa polmique avec Rosa Luxemburg tourne autour dune questionqui est exactement celle de la rgulation : pourquoi cela ne seffondre pas ? Cesrfrences ne sont jamais cites par les rgulationnistes et cela donne souvent leurstravaux un ct naf, comme si le fait daborder ces thmes tmoignait duneformidable impertinence lgard du marxisme assimil aux manuels officiels dits Moscou, Pkin ou Paris.

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    Une autre source dinspiration est en revanche trs clairement revendique dans lecas de Boyer, cest celle de lcole cambridgienne, avec les conceptualisations deKalecki ou de J oan Robinson. Dans lAccumulation du Capital, celle-ci propose parexemple une dfinition de l Age dor qui ressemble fortement la rgulationfordiste. Cette filiation revendique est parfaitement lgitime et elle nest mentionne

    ici que pour souligner quel point la thorie rgulationniste aurait pu se construire partir dune synthse fructueuse du marxisme et du post-keynsianisme cambridgien.

    Plutt que dun dpassement du marxisme, la rgulation apparat ainsi comme uneactualisation ou une rappropriation ncessaires pour prendre en compte lesspcificits historiques du capitalisme daprs-guerre et sortir du dogmatisme.Louvrage qui, de ce point de vue, reprsente nos yeux la vritable synthse delapport rgulationniste est celui de Docks et Rosier, paru en 1983 (et qui mriteraitlui aussi dtre rdit). Lanalyse du rapport salarial et de la norme de consommationest parfaitement intgrable par un marxisme vivant, condition dabandonnerlhypothse implicite dun salaire rel constant, ce qui ne remet pas en cause le cadregnral danalyse (Husson 2000). On ne voit pas enfin pourquoi ltude des formesinstitutionnelles serait incompatible avec la mise en lumire des contradictions dumode de production capitaliste. Mais il y a quelque chose de plus dans lapprochergulationniste qui en fait la vritable spcificit, mais aussi sa principale limite :cest lharmonicisme.

    Le tournant harmonicisteLe basculement est simple : de la thse juste selon laquelle le capitalisme peut

    fonctionner, les rgulationnistes passent imperceptiblement une autre position, quine sen dduit pas forcment mais qui est un prolongement possible de leur analyse,selon laquelle le capitalisme peut toujours finir par fonctionner de manirerelativement harmonieuse. Ce glissement tait dautant plus tentant que larrive dela gauche au pouvoir en 1981 apportait aux rgulationnistes loccasion de quitter uneposition de critiques clairs pour se transformer en conseillers du prince. Leurposition dans lappareil de ladministration conomique et leur formationd ingnieurs les portaient naturellement vouloir faire , autrement dit peser surla mise en place dune nouvelle rgulation permettant de sortir de la crise par le haut.

    Sur le plan thorique, le tournant sest effectu en pivotant autour de la notion denorme de consommation. On peut le dater prcisment, avec la contribution dAgliettaet Boyer un colloque organis en 1982. Sur la base dune analyse typiquementrgulationniste, leur texte dbouche sur une premire recommandation : il faut maintenir une certaine progression de la consommation, pour autant quelle soitcompatible avec la reprise de linvestissement industriel et lquilibre des paiementsextrieurs et chercher discerner les nouvelles demandes dont lapparition et ledveloppement sont aujourdhui freins par linstabilit et lincertitude vhicules parla crise . Cette analyse rejoignait une version plus technologiste de lcole de largulation faisant de la filire lectronique le lieu naturel dmergence dune issue la crise, en fonction dun raisonnement dcoulant logiquement de lanalyse dufordisme : A notre explication de la crise correspond notre perception de son issue.

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    Les nouveaux lieux daccumulation doivent donc respecter globalement lensemble descontraintes explicites dans notre reprsentation, savoir permettre la fois de faireapparatre des gains de productivit et une norme de consommation renouvele, ettransformer une partie du travail improductif en travail productif (Lorenzi Pastr

    Toledano 1980).

    Le programme de travail rgulationniste est ds lors rorient vers linvention dupost-fordisme. I l sagit dimaginer un nouveau compromis social positif fond sur de nouvelles productivits et sur un nouveau modle social . Ce dplacementsaccompagne dune restructuration thorique. Alors que les textes fondateursinsraient les formes institutionnelles dans le cadre fix par les invariantscapitalistes, la plasticit des modes de rgulation en vient tre considre commepratiquement illimite, et cest Coriat (1994) qui formule avec le plus de lucidit ceglissement analytique : progressivement ces formes structurelles ont acquis dans lathorie de la rgulation le statut de vritables catgories intermdiaires, au sens oelles assurent entre thorie pure et invariants dun ct, faits observs et styliss delautre, ces outils indispensables la recherche desquels nous tions, pour pouvoirpenser, au-del des permanences, les changements et leurs spcificits . La porte estdsormais ouverte une combinatoire sans fin.

    Ds lors, la question thorique centrale se dplace et devient celle de la gense desmodes de rgulation. La thorie de la rgulation est ds lors ballotte entre deuxpositions symtriques consistant tantt dire que le mauvais capitalisme lemportesur le bon , et tantt montrer quil nexiste que des capitalismes concrets qui sontconstruits partir dune combinatoire dans laquelle on peut puiser volont. Entrelanalyse et la norme, le message est dfinitivement brouill, ou rduit quelqueslieux communs de bon aloi : la comptitivit ne dpend pas seulement du cot du

    travail, le march ne peut tre pleinement efficace sans institutions, le capitalismesauvage nest pas forcment le plus lgitime, et le modle japonais est atteint maisrsiste malgr tout.

    Le nouveau mode de rgulation du capitalismePuisque le fordisme est fini et que le capitalisme ne sest pas effondr, cest donc quece dernier a su inventer quelque chose de neuf, et quun nouveau mode de rgulation

    sest mis en place. Les rgulationnistes ont au fond oubli dtre rgulationnistes,puisquil auront pass vingt ans expliquer que nous sommes la croise deschemins au lieu dtudier ce mode de rgulation qui sinstallait sous nos yeux. Oualors, en poussant jusquau bout la drive harmoniciste, il faudrait rserver le labelaux bonnes rgulations, stables, cohrentes et lgitimes. Mais que se passe-t-ilpendant les priodes de cohrence instable, et en particulier au cours de cette phasercessive de londe longue daprs-guerre ?

    I l nous semble au contraire que lon peut trs bien exposer - dun point de vuemarxisto-rgulationniste si lon veut - les paramtres dun modle de fonctionnementdu capitalisme fond sur laugmentation parallle du taux dexploitation, du taux dechmage et de la part du revenu national allant aux rentiers. Plutt que de no-

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    fordisme, il faudrait plutt parler de no-malthusianisme. A ct de sa fameuse loi depopulation, Malthus est aussi linventeur dune intressante thorie dmontrant lancessit dune classe de consommateurs improductifs comme moyen daugmenter lavaleur changeable de la totalit des produits . Certes, Malthus aurait bien vouluque soit possible le bonheur de la grande masse de la socit . Mais une progressionexagre des salaires doit beaucoup augmenter les frais de production ; elle doit

    aussi faire baisser les profits, et diminuer ou dtruire les motifs qui engagent accumuler . Dun autre ct, Malthus voit bien que la consommation des classesproductives tendra tre infrieure loffre des produits matriels, et cest donc assezlogiquement quil en conclut la ncessit dun corps de consommateurs qui nesoient pas directement engags dans la production . Ces questions sont de vieillesquestions de rgulationniste et il nous semble que cest bien ainsi que fonctionne lecapitalisme contemporain (Husson 1996).

    Dans ces conditions, o un taux de chmage lev entretient une pression constantesur le salaire et o existent des dbouchs de substitution la demande salariale, ilest rationnel de bloquer les salaires. Tous les arguments sur les nouvellesproductivits la base dun nouveau consensus social seffacent devant le constat(Coutrot 1998) que lon peut rsumer ainsi : les patrons ont le beurre (limplicationsalarie) et largent du beurre (le blocage des salaires). Cest la revanche desinvariants capitalistes et au premier chef de la concurrence entre capitalistes privs.

    La thorie du capitalisme patrimonial ou linvolutionMais il sagit dune rgulation trs rgressive, et les rgulationnistes pensent que le

    capitalisme peut mieux faire. Par des voies dtournes, ils sont en train dereconstituer leur unit autour dun projet dactionnariat salari adapt au capitalisme patrimonial . Pour en arriver l, i l a fallu oprer un nouveaubasculement et faire des relations entre la finance et lindustrie un rapportfondamental qui surdtermine le rapport salarial. Lopration a t mene parAglietta qui propose un nouveau principe de priodisation du capitalisme reposantexclusivement sur le mode de financement de laccumulation : la finance oriente entrs longue priode le dveloppement du capitalisme. E lle dtermine les conditions definancement qui, alternativement, entranent des phases longues o la croissance estencourage, puis dcourage (Aglietta 1995).

    Lhistoire du capitalisme serait ainsi scande par la succession de deux grands modesde financement. Les systmes financiers structures administres ont pouravantage de sauvegarder les projets dinvestissement de telle sorte que laccumulation du capital est prserve mais que linflation peut tre variable . Aucontraire, la finance libralise admet les proprits inverses : elle favorise uneinflation stable et basse, mais entrave laccumulation . Cest donc une lectureindite de lhistoire longue du capitalisme et de ses crises que nous invite Aglietta.Vingt ans aprs avoir propos une analyse du capitalisme fonde sur des notionstelles que la norme de consommation salariale, Aglietta revient sur cettecomprhension dune ncessaire articulation des diffrents domaines de lareproduction du capital, pour rabattre toute la dynamique du capitalisme sur une

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    seule dimension, celle de la finance. Une boucle est donc effectivement boucle, quiramne les rgulationnistes lune de leur matrice de dpart, autrement dit lekeynsianisme.

    Dans un texte rdig pour la Fondation Saint-Simon, Robert Boyer et J ean-LouisBeffa concluent que la cration de fonds salariaux linitiative des entreprises et

    des syndicats puis leur gestion en fonction dobjectifs arrts en commun, quitte cequelle soit confie des professionnels, pourrait marquer une avance, en terme denouveaux droits sociaux . Michel Aglietta justifie de nouvelles formes dermunration par les transformations du travail : avec les technologies actuelles, cesont au contraire linitiative et ladaptation qui sont valorises (...) vous navez plus lagarantie de lemploi, mais vous recevez une part des profits sous la forme departicipation, dintressement, ou de stock options pour les cadres dirigeants : lepartage des responsabilits sest accompagn du partage des profits . Quant Lipietz, il a trouv avec les mutuelles la nouvelle forme institutionnelle pour leXXIme sicle : mme si lon demeure persuad de la robustesse des retraites parrpartition face aux instabilits financires et dmographiques, on ne peut plusexclure la contribution dune composante complmentaire par capitalisation (...) Cettevolution correspond deux demandes sociales ; laspiration une certaine souplesseet une certaine diversification (...) le souci dasseoir la capitalisation des entreprisesfranaises sur une base financire intresse lemploi en France (Lipietz 1999).

    La boucle est ainsi boucle. Les rgulationnistes ont choisi de se faire les apologues delactionnariat salarial et ont au passage abandonn toute rigueur scientifique. Lamanire dont Aglietta vante la dmocratie en Amrique est en effet un vritabletravestissement dune russite fonde sur une concentration des revenus (et de ladtention dactions) sans prcdent. De plus, en suggrant que ce modle est

    transfrable, les rgulationnistes oublient purement et simplement les avantagestirs de la situation de puissance dominante des Etats-Unis, confirmant ainsi leurincapacit intgrer le concept dconomie mondiale. On pourra encore trouver dansles textes rgulationnistes des lments danalyse et dutiles revues de la littrature,mais peu de suggestions abouties pour ceux qui veulent comprendre le monde et letransformer. Cest dommage, parce que cette trajectoire ntait sans doute pas la seulepossible : la thorie de la rgulation aurait pu faire uvre plus durable au lieu derompre avec la tradition critique du marxisme pour devenir une sorte de think tankpour directeurs des ressources humaines.

    3. LA TRAVERSEE DU DESERT DU MARXISMELa thse gnrale prsente ici consiste dire que la thorie conomique marxistesest trouve prise en tenailles entre stalinisme et rgulationnisme. On peut illustrercette relative marginalisation en examinant la trajectoire des conomistes serclamant du marxisme rvolutionnaire. Un premier exemple peut tre trouve dansla pntration des travaux dErnest Mandel en France. Avant 1968, Ernest Mandeltait connu pour son Trait dconomie marxistede 1962 et pour ses contributions auCentre dEtudes Socialistes o sera publi en 1964 le texte dune confrence donnedans un stage de formation du PSU. Divers articles sur le nocapitalisme dont celuide 1964 dans les Temps modernesont contribu alimenter la rflexion dune gaucheradicale en formation. Mais la jeunesse se radicalisait sur dautres thmes, tels que

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    lanticolonialisme, lantifascisme ou la critique de luniversit. Mandel taitsuperbement ignor par les staliniens, ce qui ne lempchait pas de participer undbat de rfrence avec Che Guevara et Charles Bettelheim sur la construction duneconomie socialiste Cuba (Mandel 1964b).

    Le mouvement de 68 a t suivi dun dveloppement trs puissant de la gauche

    rvolutionnaire o lanalyse conomique ne jouait pas non plus un rle absolumentcentral. De plus, la mise disposition des travaux de Mandel a souffert de problmesrcurrents de traduction. Late capitalism, dont la publication en allemand (derSptkapitalismus)date de 1972, ne fut disponible en franais quen 1976. Les leonsdonnes Cambridge en 1978 et qui constituent la matire des Long waves ofcapitalist developmentne sont toujours pas disponibles en langue franaise 6. Dernierexemple : les introductions rdiges par Mandel ldition Penguin du Capital enanglais (en 1976, 1978 et 1981) ont t rassembles en 1985 sous forme dun ouvrageen langue espagnole mais restent indisponibles en franais. Cette absence devisibilit explique pourquoi les travaux dconomie de Mandel ont tendu tremarginaliss auprs du public franais.

    Lhistoire de la revue Critiques de lconomie politique suit une trajectoirecomparable. Dans une premire phase, elle est organiquement lie au couranttrotskiste et produit un matriel dune grande richesse, mais qui diffuse relativementpeu. Une seconde srie est lance la fin des annes soixante-dix, sur la base dunlargissement au courant rgulationniste. Elle devient un lieu d change intressantmais elle a du mal remplir la fonction doutil dintervention directe, que larrive dela gauche au pouvoir en 1981 rendait ncessaire. Finalement, le tournant vers lenolibralisme aura raison delle : la revue cesse de paratre en 1985, lanne mmeo la gauche au gouvernement entame la drglementation des marchs financiers.

    Lconomie marxiste critique apparat comme tiraille entre deux difficults : elle adu mal assurer la mdiation entre des dbats thoriques de grande qualit etlaction politique, mais elle est aussi, en sens inverse, trs sensible aux rapports deforce idologiques. Cest en un sens plutt bon signe, dans la mesure o cettelaboration thorique nest pas insensible la conjoncture. I l nest donc pas tonnantde constater que ce courant de pense entame une traverse du dsert qui dureraenviron jusquau milieu des annes 90, plus prcisment jusquau mouvement denovembre-dcembre 1995. La renaissance de la pense critique est depuis lors un faitindniable qui se manifeste en particulier par lmergence de mouvements sociaux de

    type nouveau, depuis AC !, mouvement de lutte contre le chmage, jusqu Attac,mouvement de masse contre la mondialisation nolibrale. L un des traits nouveauxde ces mouvements est de lier laboration idologique et activisme politique. Un assezgrand nombre dintellectuels qui avaient fait le gros dos pendant les annes-fricrecommencent tisser des liens avec le mouvement social. Cest dans ce climat quelconomie critique opre une renaissance avec, en particulier, le lancement de lAppeldes conomistes pour sortir de la pense unique, qui scelle une alliance entreradicaux et keynsiens de gauche, et constitue aussi un lieu de rencontre entre deuxgnrations : les non-repentis de 68, et une nouvelle gnration critique. La rfrenceau marxisme nest pas hgmonique mais retrouve une pleine lgitimit. Elle irrigue

    6 Pour la petite histoire, Robert Boyer a mis un avis dfavorable la publication en franais de cet ouvrage LaDcouverte.

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    en pratique les diffrents lieux dlaboration, se structure autour des trois congrsMarx organiss au cours des dernires annes, avec le sminaire dtudes marxistesanim par Dumnil et Lvy.

    Plusieurs contributions confrent la mthode marxiste une actualit nouvelle,parmi lesquelles on choisira de citer, outre Dumnil et Lvy, les travaux de Franois

    Chesnais et Thomas Coutrot. Ce choix un peu arbitraire seffectue parmi unelittrature abondante, que lon peut qualifier de radicale plutt que marxiste, mme sila thorie marxiste est toujours une rfrence au moins implicite.

    Cest pourquoi, nous ne partageons pas la lecture propose rcemment dans un livrepar ailleurs intressant pour linformation quil contient, mais dont la grille de lectureest dforme par un point de vue centr sur la question de la pntration dumarxisme lUniversit (Pouch 2001). Que lon parle dapoge et de dclin pourdcrire la double trajectoire, dune part de llaboration conomique du PCF et,dautre part, de la reconnaissance acadmique de lconomie critique, voil qui estparfaitement lgitime. Ce qui ne lest pas du tout, en revanche, cest de vouloirappliquer cette priodisation lensemble de lconomie radicale et marxiste. Noussommes sortis depuis plusieurs annes du dclin et I l faut au contraire souligner lavivacit du renouveau. Ce dernier sappuie en particulier sur les liens avec lemouvement social qui permettent dopposer lappareil idologique nolibral unrseau alternatif de plus en plus capable de dvelopper des analyses thoriques defond, mais aussi des critiques pratiques du capitalisme contemporain, et darmerainsi la critique sociale, ce qui, aprs tout est la fonction essentielle du marxismervolutionnaire.

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