hunsy argwald - dune ombre a lautre

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D'une Ombre l'AutreHunsy Argwald

Published: 2010 Categorie(s): Tag(s): psychological Sex "rock and roll"

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Chapter

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qu'ai-je faire d'intelligence, de pertinence ? de dessein ? n'en ai point ! L'Univers non plus Cline, Les Beaux draps

Hlne attendait, comme tous les soirs, et elle narrivait pas fermer lil. Elle savait que cela allait venir. Pas vraiment quand, bien sr, mais elle savait que tt ou tard, sans prvenir, comme a, cela viendrait. Pour linstant, tout tait calme dans sa chambre. peine si elle entendait le voisin prendre sa douche au troisime, ou peut-tre tait-ce celui du quatrime ? Et puis il y avait la machine coudre des Chinois du rez-de-chausse qui, comme dhabitude, grondait en faisant vibrer le parquet. Mais cela ne la drangeait pas puisque Georgia dormait paisiblement, l, dans son berceau, juste cot delle. Les lumires de la foutue clinique que les vigiles sappliquaient laisser allumer toute la nuit ne la gnait pas non plus. Au contraire, elle se disait quelle pourrait, quand cela arriverait, bondir plus vite vers Georgia et la prendre dans ses bras pour lempcher de pleurer, pour la consoler. Alors, calmement, elle attendait, assise sur son lit, immobile Et, vers trois heures du matin, cela arriva. Au dbut, il ny eut presque rien. Juste quelques gouttes sonores encore frles rsonnant comme une berceuse ancienne. Au point quHlne se demanda si elle ne rvait pas. Mais, dun coup, tout samplifia.

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Ce fumier de pianiste plaquait ses accords la faon dun dment. Il frappait le clavier de son piano de concert et faisait trembler toutes les vitres de limmeuble. Georgia pleurait. Elle serrait ses minuscules poings et pleurait tellement fort que tout son corps tait nou. Des cris stridents et convulsifs qui semblaient venir du fond de son ventre et qui lui arrachaient la gorge. Hlne lavait prise dans ses bras, comme toujours, et elle arpentait la pice de long en large en essayant de la rassurer. Elle lembrassait, elle lui parlait : Ne pleure pas, ma chrie, je ten prie, ne pleure pas Maman est l ! Quelques fois cela marchait et Georgia sarrtait Oh, pas longtemps, une dizaine de secondes, le temps de regarder sa mre avec de grands yeux mouills. Mais cela ne durait gure plus cause de lautre dbile, en bas, qui cognait de plus belle. Et : wrang ! et : wrang ! Les notes explosaient les unes contre les autres, rebondissaient en chapelet et se fracassaient contre les fentres pour dferler en sinsinuant vicieusement dans les nerfs. Le pire, ctait quand ses doigts bloquaient sur un passage difficile. L, il devenait fou furieux et tentait de passer en force en rptant, en martelant, comme a, la mme petite phrase, encore et encore, jusqu ce quelle vrille loreille et brle les moindres vaisseaux du cerveau. Le plus tonnant, et ce quHlne ne comprenait pas, cest que personne ne disait rien. Pourtant il y avait du monde de ce ct-ci de limmeuble, une vingtaine dappartements, au moins. Mais non, rien, pas un cri, aucune protestation Juste une fentre qui se fermait de temps en temps, cest tout. Mme la gardienne, madame Bigot, avait paru tonn quand, un matin, Hlne lui en avait parl : Le pianiste ? avait-elle dit. Non, aucun copropritaire ne sest plaint ! Par contre Et l, elle lavait regarde droit dans les yeux. Il parat que votre enfant pleure souvent la nuit Vous ne le laissez pas seul, jespre ? Le pianiste stait arrt de jouer. Pourtant Hlne entendait toujours la maudite mlodie hache lui traverser la tte. En tendant loreille elle sapprocha de la fentre pour vrifier : tout tait redevenu silencieux. Mme Georgia avait cess de pleurer. Son corps tait tendu et ses doigts tout crisps, mais sa respiration tait dj moins saccade. Cela ne va pas durer ! pensa Hlne. Il ne sarrte jamais comme a. Cet enfoir est en train de changer de partition, cest tout !

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Elle nessaya pas de recoucher Georgia. Elle la blottit contre elle et alla sasseoir de nouveau sur le lit. Pendant un moment elle gota le silence de la ville : limmense grondement sourd qui enveloppe la nuit ; les sirnes des voitures de police passant en trombe, au loin Et mme les premiers chants dun merle, certainement tromp par les lumires du boulevard. Et puis, cela recommena : le tambourinage des graves, les salves cinglantes des aigus. bout, elle se rfugia avec Georgia dans lobscurit du minuscule cabinet de toilette. Cela finissait toujours comme a : elle sasseyait par terre, coince entre le mur et le lavabo, le plus loin possible de la porte qui filtrait peine les violentes arabesques sonores. Elle installait lenfant sur ses genoux en enfouissant la petite tte contre son ventre, et elle attendait Elle attendait jusquau matin, comme a, sans bouger, sans dormir, se rptant sans cesse mentalement la mme phrase : Aide-moi, mon Dieu, je ten prie ! Sil te plat, je ten supplie : aidemoi !

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Mario avait sorti les tables et les parasols. Il les avait installes sur la terrasse de la pizzeria, et un certain nombre de clients staient dj attabls. Par la fentre ouverte Hlne pouvait les observer. Elle regardait plus particulirement les jeunes cadres de la boite du cinquime en train de boire du ros, et elle les entendait rire, chahuter. Elle simaginait, elle aussi, profitant des premiers soleils du printemps, quelque part en Provence, en train de se prlasser dans un transat en coutant les cigales rien que les cigales. Et puis elle entendit une voix, derrire elle. Ten es o, la Hlne ? Stphanie, la clope au bec, se tenait prs de la machine caf. Elle attendait patiemment que le gobelet blanc se remplisse. Il me reste les ouvriers ! dit Hlne. Et je suis sur Paris, en plus Tu vois le tableau ? Moi je suis alle voir Richard pour quil me file une autre rgion ! Merde, je suis l pour gagner de la tune, pas pour glander ! Et il te la donne ? Ben oui, pourquoi ? Pas toi ? Il a pas voulu, cet enfoir. Il ma dit que je devais dabord faire mon quota. Putain, je me suis tape tous les Mohamed, les Ali et les Slim ils sont tous ingnieurs, ces cons ! Stphanie prit son gobelet et lui demanda : Tu veux quelque chose ? Non merci, jen ai dj trop bu ! Oh toi, tas pas lair daller ! Il a recommenc ? Tu parles, toute la nuit ! Jai pas ferm lil. Toute-la-nuit ? lencul ! Et la petite ? La petite, la petite ! Quest-ce que tu veux quelle fasse : elle a chial ! Je commence en avoir marre, Steph, je men sors plus de cette

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histoire. Je passe mon temps dans cette boite de merde pour gagner peine plus que mon loyer, et je peux mme pas me reposer chez moi ! Pourquoi tu dmnages pas ? Putain, Steph, thabites o ? On est Paris, ma vieille. Avec ce que je gagne jai juste droit un carton. Je sais mme pas comment jai pu trouver cette piaule, alors si je la quitte Et ce connard de pianiste, tas essay daller le voir ? Y a peut-tre moyen de lui faire comprendre. Bien sr que jai t le voir ! Jy suis mme alle avec des papiers que mavait file la Mairie. Des trucs qui disent noir sur blanc quil na pas le droit de jouer dun instrument dans son appart. Et alors ? Alors ? Il en rien foutre, ce connard, cest tout ! Je comprends ! quil ma dit. Je comprends mais il va falloir vous y habituer ! Voil ce quil ma dit ! Que la musique ctait sa vie, que dj il faisait des efforts ! Des efforts ! je lui ai fait ! Trois heures du matin, vous appelez a des efforts ? Il ma dit quil tait dsol mais quil ne pouvait rien pour moi, et il a referm la porte, ce fumier, tu te rends compte ? Stphanie ne disait rien. Elle avalait un peu de caf en la regardant, tirait de temps en temps sur sa cigarette et recrachait nerveusement la fume en faisant une grimace avec la bouche. Puis elle lcrasa dans lnorme cendrier chrom. Venant du fond du couloir, juste derrire elle, Hlne entendait le brouhaha des enqutrices qui tlphonaient. Elle se disait quil allait falloir bientt y retourner et, davance, cela la fatiguait. Ecoute ! fit Stphanie en allant sasseoir tout prs delle. Jai peut-tre une solution ! Elle regarda vers le couloir et baissa le ton de sa voix. Jai une copine qui il est arriv un truc un peu chelou Un mec son boulot qui lemmerdait. Il voulait la sauter ? Non, il voulait pas la payer, ce con ! Merde ! Et alors, quest-ce quelle fait ? Cest a le truc chelou ! Elle a essay tout ce qutait lgal mais le gonze il en avait rien secouer. Alors elle a fait appel au Proc ! Au Proc, cest quoi a ? Cest un mec que tu payes pour rsoudre tes problmes, mme quand il ny a plus rien faire.

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Et il fait comment ? Daprs ce que jai compris, il utilise des mthodes plus radicales. Je crois que dans ton histoire cest Bon, les filles ! Dsol de vous dranger, mais faudrait peuttre songer retourner bosser Le type se tenait juste devant elles, un grand brun presque maigre. Il leur souriait mais il semblait trs nerv. Sans y prter la moindre attention, Stphanie sortit une autre cigarette de son sac et lalluma. Tu fais chier, Richard ! finit-elle par dire en lui soufflant la fume sur le visage. Je viens juste darriver. Cest toi qui fais chier, fit le mec en clignant des yeux, faut toujours quon soit aprs toi. Je suis dsol, ma grande, mais tas dj pris ta pause, alors tu y vas Elle ne bougea pas. Elle continua de fumer, tranquillement, en regardant nonchalamment vers la fentre. Hlne, par contre, stait leve et elle se dirigeait vers la Phone-Room. Hlne ! lana Stphanie juste avant quelle ne quittt la pice. Ne tinquites pas, jappelle ma copine et on sen occupe ce soir *

Lascenseur tait en panne, et videmment Stphanie habitait au dernier tage. partir du quatrime, les muscles fessiers dHlne commencrent la faire souffrir. Stphanie, par contre, semblait grimper sans difficult. Elle arrivait mme lui parler. Tas russi faire garder Georgia ? Hlne ne put lui rpondre. Elle monta pniblement les cinq dernires marches de ltage et sadossa contre le mur du palier en cherchant reprendre son souffle. Stphanie aussi stait arrte, et elle lobservait en souriant. Tu manques dexercices, ma chrie, un petit jogging de temps en temps a te ferait pas de mal. Ouais, tas sans doute raison ! Cest encore haut ? Trois tages, mais on a le temps ! Hlne prit une grande respiration et expira longuement en posant sa main sur le ventre comme elle lavait appris au Yoga. Jai deal avec la nourrice, dit-elle finalement. Elle garde Georgia jusqu 11 heures a ira, non ? Pas de problme ! rpondit Stphanie.

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Et, ensemble, elles reprirent lascension. La pice ntait pas grande. Tout lespace tait occup par une table, deux chaises, une armoire et un clic-clac. Hlne sinstalla dans le canap toute contente de pouvoir enfin se dlasser. Cela lui faisait du bien de ne rien faire et dentendre quelquun sactiver autour delle. Stphanie dcapsula une bire et la versa dans deux verres. Puis elle prit le portable qui tait pos sur la table et vint sasseoir tout prs delle. Tu vas voir, dit-elle en allumant lordinateur, cest simple. Il faut dabord sinscrire un Groupe de Discussion ! Cest quoi ? Cest une adresse Internet o plusieurs personnes se runissent autour dun mme thme. Tu poses une question qui tintresse, et ceux qui savent te rpondent. Et cest comme a que tu le contactes le Proc ? Disons quil utilise ce principe Mais avant il faut quon sinscrive. Sur lcran, la page daccueil de Voil.fr safficha. La petite main se positionna sur Newsgroups et Stphanie cliqua. Ensuite, elle choisit Slection Thmatique, puis Droit. Quand le formulaire dinscription apparut, avant dcrire, elle demanda : Tu veux que je mette quoi comme Pseudo ? Jen sais rien. Tas qu mettre Richard ! Ah ouais, ouais, tas raison ! Et comme Mot de Passe je vais mettre gros con, comme a on sen souviendra ! Toutes les deux clatrent de rire, et cela dura pendant plusieurs secondes. Bon ! continua Stphanie. Maintenant je leur file ladresse dun vieux compte anonyme que jai sur Caramail Ensuite on valide, et : hop ! On na plus qu attendre lemail. Normalement, a ne devrait pas tarder Facile, non ? Et aprs, on fait quoi ? Aprs tu racontes ta petite histoire, et dici deux jours le mec devrait te contacter Hlne souriait presque batement. Sans encore pouvoir bien limaginer, elle envisageait, enfin, une solution son problme. Cela la rendait heureuse et elle savourait ce moment totalement dtendue. Quest-ce que cest calme chez toi ! Tu as vraiment du pot davoir trouv a. Calme, calme cest vite dit ! Quelle heure est-il ? 20 heures ! Tu vas voir, il va pas tarder.

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Qui a : il ? Le connard du fond. Tous les jours a lui prend Tiens, coute ! lautre bout du couloir, tout coup, une porte claqua. Et puis des pas retentirent, des pas bruyants et saccads qui rsonnrent crescendo en se rapprochant en rythme. Arrivs tout prs, ils sarrtrent. Une autre porte souvrit, et tout redevint silencieux. Il va aux chiottes, chuchota Stphanie, elles sont juste ct. Et le pire cest quil fait pareil en plein milieu de la nuit Timagines ? Il pourrait au moins pisser dans une bouteille ! Et personne ne dit rien ? Avec la voisine, on en a parl la concierge qui, parat-il, lui en a parl Mais il en a rien foutre, ce salaud. Je crois que cest un vieux militaire en retraite, le genre but born si tu vois ce que je veux dire ! Le type cracha plusieurs fois en se raclant longuement la gorge. Il tira la chsse et sortit sur le palier se laver les mains. Puis les pas sloignrent bruyamment, toujours en rythme, jusqu ce que la porte, la premire, claque de nouveau. Tu vois, fit Stphanie en se levant, chacun ses tars ! Mais tu remarqueras que cest souvent des mecs Elle fouilla dans son sac et prit une cigarette quelle alluma. Au fait, demanda Hlne, comment a sest fini avec Richard, il ne ta pas trop emmerde ? Tu sais, cest surtout mon cul qui lintresse Alors on sarrange ! Tu baises avec ? Non ! Mais je le dcourage pas non plus ! Oh, l, l ! Moi il me dgoterait ce mec, il est trop maigre ! Jai pas dit que jallais me le faire, jai dit que je Brusquement, la mlodie stridente de Mission Impossible linterrompit. Tiens ! fit-elle en cliquant sur une minuscule enveloppe en bas de lcran. On a dj la rponse, cest cool ! Le message confirmait linscription mais il demandait galement de la valider sur le site. Ce que fit immdiatement Stphanie. Et un autre tableau apparut. a y est, on y est ! dit-elle. Y a plus qu crire Ultime Recours, l, dans Sujet. Cest ce quelle ma dit de faire la copine Voil ! Cest toi, ma grande ! Hein ? Faut que tu expliques ton problme, l, dans cette colonne.

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Et je dis quoi ? Tu dcris ce qui tarrive, cest tout ! Cest bien pour a que tu es l, non ? Ben oui ! Alors vas-y !

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Ctait au bord de la Loire, je crois ! Certainement en t parce que je me souviens quil ny avait presque plus deau. En plus, ma mre narrtait pas de me dire de faire attention, que cela tait dangereux cause des sables mouvants Rodolphe regarda le docteur Carel. Derrire son bureau, le vieil homme tait avachi dans le grand fauteuil en cuir lim. Et il ne disait rien, comme dhabitude. De temps en temps, imperceptiblement, il dodelinait de la tte, peut-tre pour lui montrer quil coutait, mais jamais il ne lui parlait, mme pour rpondre ses questions. Quoiquil arrive il restait silencieux, sauf pour lui indiquer que la sance tait termine. Ma tante venait presque toujours avec nous. Dadou, on lappelait Dadou, quelle connerie ! Partout o on allait les gens lui disait monsieur cause de ses cheveux trs courts et de ses tatouages Faut dire qu lpoque, les tatouages, ce ntait pas si courant pour une nana. Surtout quelle les avait sur les bras et dans le cou. En plus, elle shabillait tout le temps avec des fringues de motard Je lai vue une fois en robe Elle tait vraiment trs mal laise, et puis elle avait lair dun travelo ! Mais quand mme, chaque fois quon lappelait monsieur, l, devant moi javais honte ! Elle, par contre, elle sen foutait. Je crois mme que a lui plaisait quon la prenne pour un mec Je me souviens, une fois, on tait sous la douche tous les deux. Avec sa main elle avait liss les poils mouills de son pubis en leur donnant la forme dun sexe dhomme, et elle les avait frotts contre mes fesses, comme a, en rigolant Rodolphe stait redress sur sa chaise, une chaise troite et pas trs confortable. Cela lui avait permis dviter un dbut dengourdissement qui gagnait sa cuisse droite. Presque aussitt, le docteur Carel lavait imit. Il stait, lui aussi, brusquement redress et avait pos doucement ses

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bras sur les accoudoirs pais du vieux fauteuil. Et puis, en plissant lgrement les yeux, il avait recommenc dodeliner de la tte. Le midi, continua Rodolphe, on allait au seul bistrot du village. Dadou prenait des Gitanes filtres des Gitanes blanches comme elle disait , et des Royales pour ma mre. Et puis, toutes les deux, elles commandaient un grand ballon de ros quelles sirotaient en discutant avec la patronne Elle nous aimait bien la patronne, a lui plaisait de recevoir des Parisiens ! Alors, pour pas cher, elle nous prparait des grosses omelettes avec de la salade de pommes de terre Des omelettes fates avec les ufs de la ferme Evidemment, tous les trois, l, on ne passait pas inaperu dans le bled Surtout ma mre ! lpoque, avec son foulard autour de la tte et ses lunettes noire, elle en jetait un max ! Il parat mme quelle ressemblait Madonna. En tout cas, cest ce que disait ma tante. Alors trs vite, chaque fois, tous les connards du coin rappliquaient. Des espces de gros bufs qui sagglutinaient autour de nous en faisant leur intressant. Jessayais bien de les dcourager en les regardant avec un il mauvais Mais javais quoi : 6 ans ? 7 ans ? Ils se foutaient tous de ma gueule, ces cons ! Le pire ctait quand ma mre La sonnette de la porte dentre lavait interrompu et, comme dhabitude, le docteur Carel en avait profit pour prendre lagenda sur son bureau. Trs bien ! fit-il en tournant rapidement les pages. Je crois que nous avons avanc durant cette sance. Essayez den relier le contenu avec votre quotidien daujourdhui, nous en parlerons la prochaine fois. Il vrifia si le rendez-vous tait inscrit, puis il se leva et prit les cinq billets de 20 que Rodolphe lui tendait. Ensuite, comme toujours, il le prcda et alla ouvrir lautre porte qui donnait directement sur le couloir. la semaine prochaine ! dit-il en lui serrant vigoureusement la main. Mme heure ! Et Rodolphe se retrouva dehors. *

cette heure lavenue Victor Hugo tait en plein soleil, et pendant quelques secondes il fut bloui. Il sarrta prs dun arbre, couta distraitement les tes o ? agaants dune adolescente qui tlphonait avec

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son mobile Puis, stant habitu la lumire, il traversa en direction du square Lamartine. La famille dAfricains squattait les trois robinets en cuivre de la fontaine. Ils remplissaient consciencieusement leurs vieilles bouteilles de Contrex avec leau de la seule source naturelle de Paris. La mre, en boubou blanc, narrtait pas de causer. Elle racontait des trucs qui faisait clater de rire sa fille, un rire norme, sonore, qui tenait tout le monde distance. Le mari, lui, fumait tranquillement sa cigarette en regardant le trafic sur lavenue, et il semblait totalement indiffrent ce que disait sa femme. Cela prit un certain temps, au moins dix bouteilles, chacun, quils rangrent dans les grands sacs Tati rouge et blanc. Et puis, lentement, trs lentement, ils sen allrent. Rodolphe fouilla dans sa poche et sortit un gobelet en tain. Ctait une habitude, maintenant. Ds quil quittait le docteur Carel il venait ici, quil pleuve ou quil neige, pour se rincer la bouche avec cette eau qui provenait du puits artsien de Passy. Il remplissait le gobelet, allait sasseoir dans le jardin denfants, juste derrire, et il laissait couler dans sa gorge le liquide lgrement cre, comme sil voulait se purifier. Quel con ! se dit-il en repensant la sance. Cest surtout moi qui la faisait chier. Je lempchais de se faire sauter, cette salope ! Il observa les escadrilles dhirondelles virevolter trs haut dans le ciel presque ple. Pendant un moment il couta leurs petits cris stridents qui lui faisait immanquablement penser aux sifflements des dauphins. Et puis il dcida quil tait temps de partir. *

Une connexion et une brune pression, sil vous plat ! Le type du Web-Bar le regarda peine. Il se pencha derrire le comptoir et griffonna un chiffre sur un bout de papier quil lui donna. Vous avez le 7 fit-il en lui servant un bock de Pelforth trop mousseuse. Rodolphe se dirigea vers larrire salle quasi dserte et monta au premier tage en faisant gaffe de ne pas renverser son verre. Lordinateur tait plac prs dun pilier. Il posa sa bire cot de lcran, et rapprocha le tabouret pour sasseoir. La soire tait douce. La plupart des consommateurs prfraient se pavaner sur la terrasse. Du coup il ny avait presque personne ltage,

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part deux mecs, tout au bout, qui se marraient en sourdine, et une gamine, juste derrire lui, concentre rdiger ses emails. Il dmarra Netscape, crivit voil.fr dans la barre dadresse et appuya sur la touche Entre. La bcane ntait pas rcente, elle couinait poussivement et peinait afficher la page daccueil. En attendant, il couta quelques mesures dune musique sud-amricaine merdique qui accentuait plutt latmosphre chaude et dessche. Il but une gorge qui lui donna limpression de se rafrachir un peu. Enfin il put taper son code, et il fit dfiler la liste des questions du NewsGroup. Comme toujours, seules lintressaient celles dont le titre dbutait par Ultime Recours. Il ny en avait quune ce soir-l, elle provenait dun certain Richard. Il regarda vite fait autour de lui et il ouvrit le message. Rodolphe saperut immdiatement quil sagissait dune femme. Je suis seule avec mon enfant Ecrivait-elle. Jhabite une studette dans le dix-neuvime arrondissement dont la tranquillit est quotidiennement perturbe par un nergumne qui joue du piano nimporte quelle heure de la nuit. Ma fille de deux ans narrive plus dormir et jai trs peur pour sa sant. Jai essay en vain plusieurs solutions et cest pourquoi je me retourne dsesprment vers vous aujourdhui. Pouvez-vous maider ? Lhabituel Nat-turtle lui avait dj rpondu. Il lui dbitait btement linvitable article R.623-2 du Code Pnal qui en pratique ne servait strictement rien. Il osait mme lui citer le cas cul dun pianiste condamn verser 770 ses voisins du dessus sur la foi dattestation produite aux dbats et sans mesure de niveau sonore. Il but une nouvelle gorge de sa bire brune qui avait tidie et jeta encore une fois un il autour de lui : la jeune fille sapprtait partir, et les deux gonzes, au fond, continuaient de glousser. Je suis seule avec mon enfant ! se rptait-il doucement pour lui mme en laissant bien rsonner chaque mot dans son corps : Je suis seule avec mon enfant ! Il cliqua sur Rponse.

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Le mec souriait. Il sautillait devant Beaujeu, les bras en fausse garde. Et il souriait. Le Dojo tait quasi silencieux. Les lves staient assis tout autour de la grande salle et personne ne parlait. On nentendait que le crissement des Adidas du mec sur le plancher trop cir. un moment, a sacclra. Le type poussa un cri et Beaujeu prit son pied gauche : vlan, en plein dans les ctes. Cela lui coupa le souffle. Il toussa, vacilla un peu Et lautre accentua son putain de sourire. Connard ! pensa Beaujeu. Il sen voulait de stre fait surprendre par ce jeunot. Mais, en mme temps, il trouvait a normal. Il dconnait depuis trop longtemps : rien bouffer, presque pas roupiller ; picoler, aussi. Il avait fini par perdre des kilos 5, au moins. 42 ans ctait mortel, et lautre con en profitait. Alors, Capitaine, lui cracha le gamin, on tient pas la forme ? Beaujeu ne rpondit pas. Il ajusta sa vision globale en pointant son regard sur la gorge du connard, expira lentement et dtendit sa musculature. Devant lui, le mec ne se tenait plus : il sautillait encore et encore, virait droite, gauche Dansait, presque, tout en se prparant frapper de nouveau. Mais cette fois Beaujeu anticipa : au moment o le type pivotait sur lui-mme en balanant sa chinoiserie, il bondit pour lui bloquer la jambe et : blam ! il lui mit un coup de boule. Pas un mchant, non. Mais le jeunot se retrouva sur son cul, hbt, en train de se masser la joue Et son putain de sourire avait disparu. lautre bout du Dojo, Mathias se leva. Cest bien ! fit-il en sadressant aux lves. Le Krav cest pas du KungFu ! Cest des Juifs qui lont mis au point, ne loubliez jamais. Et pour les Juifs, comme chacun sait, la meilleure dfense cest lattaque Quand un homme veut frapper, physiologiquement il fonctionne comme un radar : il accroche une cible, et il programme son coup pour quil soit efficace limpact. cela il y a trois rponses possible : vous parez ou vous encaissez, et vous contre-attaquez. Cest la doctrine du

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Karat et de ses drivs. Ou bien vous esquivez et vous accompagnez. Cest la doctrine de lAikido et du Jiu-Jitsu. Ou alors, vous rentrez dedans et vous stoppez le mouvement au dpart, comme dans le Krav-Maga. Lavantage cest que vous conomisez votre nergie et que vous restez toujours aussi efficace face dautres adversaires. Du coup, un vieillard peut vous faire la pige La preuve ! Il stait tourn pour dsigner les deux hommes, et tous les lves clatrent de rire. Ensuite il forma une croix avec ses deux mains pour leur signifier que le cours tait termin, et nonchalamment il sapprocha de Beaujeu. Tas une petite mine, Cocker. Cest Backmann qui te les bouffe trop en ce moment ? Pas seulement, camarade, le taulier nest quune infime partie de mon problme. Mathias Benzimra tait un ancien flic qui avait marn pour la Division. Il avait mme boss avec Beaujeu du temps o celui-ci tait encore inspecteur. Et puis un jour, en revenant de Tel-Aviv, il avait fil sa dme, comme a, sans explication, et il avait ouvert ce club, rue de la Montagne-Sainte-Genevive. Malgr tout, il navait pas totalement rompu avec la Maison. Rgulirement il entranait quelques instructeurs de Cannes-cluse, et il formait au Krav-Maga pas mal de flicaillons. Jai entendu des trucs sur toi, lui dit-il voix basse. Des trucs pas sympa. Genre ? demanda Beaujeu Que ttais sur la pente fatale, cause que tu dbordais de ton placard et que a agaait quelques truffes de lUsine. Des trucs classiques, quoi ? Classiques ! Je prends ma douche. Je te retrouve en face ? Dsol, Capitaine, jai un cours. La prochaine fois OK ? Pas de problme ! fit Beaujeu en ramassant sa serviette. Et, dun pas lourd, il rejoignit les autres dans les vestiaires. *

Trop tard ! Son regard lavait accroch, il allait le bassiner. Et a ne loupa pas, le clode sapprocha en clopinant :

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Tas pas une pice ? quil graillonna. Une petite pice, bordel Hein ? Beaujeu lui fit signe que non et il continua avancer en regardant ailleurs ! Mais lautre sen branlait, a lui suffisait pas comme rponse. Une cibiche, alors ? Un ticket resto, un sourire Ququ chose quoi ! Il le laissa brailler et traversa la rue des coles. En face, juste devant le bistrot, la vieille matrone aux cheveux sales lui chopa le bras. Les lignes de la main, bel homme ? Non ! grogna-t-il. a mintresse pas Mais elle lagrippa et se colla lui. Il y va de toi, bel homme. Jai pas un flche. Donne c que tas. Laisse tomber, merde ! Et il russit se dgager. En entrant il vit Tino, derrire son bar, en train de se marrer. Cest la Cour des Miracles, Commissaire, hein ? Faudrait que tu viennes bosser dans le coin, tu nous arrangerais a. Si tu veux vraiment que a change, vote un peu moins Droite, mon vieux Tino. On en a dj bouff pendant 20 ans de ce que tu proposes Tu vois o en est ? Je vais te dire mon opinion, moi : tre flic et tre de Gauche a va pas ensemble. Je dis mme que a perturbe les neurones Sans te manquer de respect, Commissaire. Tu sais bien que je donne lA.N.A.S *. Tu me manques pas de respect, mon vieux Tino, tinquites ! Par contre je crve de soif. Tu veux une Leffe ? Ouais, pression ! Le cafetier inclina dlicatement un verre sous le bec verseur, et le regarda se remplir. Puis, dun geste sec, il vira la mousse dans lvier. Tiens, Commissaire, cest ma tourne Beaujeu prit sa bire et alla sasseoir prs de la vitre, un peu lcart. Au fond du troquet, une partie des lves faisait du chahut. Ils sexcitaient en comparant les performances de leurs diffrents instructeurs lcole de Police. Celui qui stait mang le coup de boule restait silencieux, la mine renfrogne. Trop dorgueil, jugea Beaujeu, a va lui jouer des tours

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Dehors, son regard fut attir par la petite Chinoise qui faisait discrtement le tapin sape faon Working-Girl. Sa mini jupe lui mettait en valeur les fesses tout en sarrtant sagement mi cuisses. Du coup il essaya de se souvenir de la dernire femme quil avait touche. Son nom lui chappait. En fait, il ne se souvenait mme pas de la dernire fois. Ne lui revenait que les images furtives dun corps peine dshabill ; la sensation de quelques coups de reins trop saccads, et dune jaculation sans tendresse, quasi douloureuse. Il but une gorge de sa Leffe en essayant de penser autre chose. Capitaine Beaujeu ! La jeune fille se tenait devant lui, les jambes raides, presque au garde vous. Il observa la ceinture la crosse du 357 rglementaire dpassant lgrement du blouson entrouvert. Excusez-moi de vous dranger, Capitaine. Vous ntes pas sur votre secteur, Fasa ? Je sais, Capitaine ! Derrire, les lves ne mouftaient plus, mais tous les regards convergeaient vers le jean moulant de la jeune fille. Asseyez-vous, proposa Beaujeu. Vous buvez quelque chose ? Comme vous. Tino ? fit-il en direction du bar. Une autre ! Il se tourna de nouveau vers la jeune fille. Elle avait environ 30 ans, de grands yeux noirs, et des cheveux tout aussi noirs quelle attachait le plus souvent. Cela faisait deux ans quelle bossait dans son groupe. Il la trouvait fiable et efficace. On vous a laiss plusieurs messages, dit-elle un peu gne. Jteins toujours mon portable quand je mentrane. Nanard a eu ses news. Alors ? Daprs sa balance, ils vont taper demain matin louverture. Les deux vieilles ouvrent la bijouterie 9 heures. 9 heures ? Quen pense Backmann ? Cest lui qui menvoie vous chercher. Il veut que vous supervisiez le Flag Beaujeu but une autre gorge, lentement. Puis il lui demanda : Vous sentez a comment, Lieutenant ? Jai confiance en Nanard. Moi aussi ! Mais un Flag en pleine heure de Merde, cest quoi ce bordel ? Elle avait sursaut en regardant dehors. Il leva les yeux vers la vitre.

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Un grand mec fringu chicos tait en train de bastonner la Chinoise pour lui tirer son sac. Des putains de coups il lui mettait : dans sa gueule, sur son crne, partout, avec une sorte de gant clout. Mais elle s'accrochait, la meuf. Elle pissait le sang et elle chialait, mais elle s'accrochait. Tout a sous l'il des quelques passants qui n'en avaient rien foutre. Il sentit la jeune fille prte intervenir. Il posa la main sur son bras. Ne vous nervez pas, dit-il schement. Ce sont les terres de Fulpani et il naime pas quon y braconne. Laissez faire la P.S, cest leur boulot. Tas raison, Commissaire ! Tino avait pos le verre sur la table, et lui aussi matait vers la rue. Si cest trop chaud pour ses miches, la niac, elle va dcaniller et a nous fera des vacances. Cest China-Town dans le coin ces derniers temps Tu mets a sur mon compte coupa Beaujeu. Et lautre retourna vers le bar, sans insister. La petite Chinoise ne bougeait plus. Le mec s'tait barr avec son sac en la laissant sur le trottoir, comme a, tale dans son sang Et personne ne sen occupait. Sauf un clebs qui s'approchait, doucement, la queue entre les pattes, pour lcher le raisin. Et puis un mioche, aussi, qui la reluquait avec insistance, surtout ses doigts ceux avec les bagouses. Vous tes sortie de lcole depuis longtemps ? demanda Beaujeu. Presque quatre ans maintenant. Et vous vous prenez encore pour Zorro ? Plutt pour Bruce Willis, fit-elle en souriant. Pourquoi tes-vous devenue flic, quelquun ltait dans votre famille ? Non, pas du tout ! Elle but un peu de sa bire, et le regarda droit dans les yeux. Javais 17 ans. Un Samedi soir, vers 23 heures, jai pris le mtro la ligne 2, direction NATION. STALINGRAD, quatre types sont monts, des Tunisiens, comme moi. Ils taient bourrs et ils ont commenc minsulter. Ils mont traite de pute. Que jtais tout juste bonne me faire baiser et quils allaient me dfoncer Je vous passe les dtails. Jai essay de les calmer. Je leur ai parl de leurs mres, quelles auraient honte de voir comment ils se comportaient avec une de leurs surs. a les a rendus dingue. Ils se sont mis gueuler, me bousculer, et lun deux ma crache au visage. Tout a devant au moins dix personnes qui nont mme pas lev le petit doigt

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Elle jeta un il dehors, vers la Chinoise qui ne bougeait toujours pas. Ils mavaient coince contre la porte. Ils avaient dchir mon chemisier et ils me tripotaient avec leurs sales pattes dgueulasses Le pot cest quon est arriv une station la station BELLEVILLE et que trois bleus sont monts dans le wagon. Ils sont monts, cest tout. Trois jeunes poulets qui ne se sont mme pas rendu compte. Sauf que les autres chiasses ont dcarr comme des fiottes Elle planta de nouveau ses yeux dans ceux de Beaujeu. Cest ce jour-l que jai dcid de devenir flic, Capitaine Le fourgon de Police Secours stait gar en double file. Le chauffeur avait coup le deux tons assourdissant, mais il laissait tourner le gyrophare. Quatre kpis staient prcipits autour de la Chinoise, et lun deux bavassait dans sa radio. Un autre deux tons, plus sourd, se fit entendre. Aussitt une fliquette se planta au milieu de la chausse. Elle sifflait tout berzingue et agitait les bras pour arrter la circulation. Le SAMU arriva en sens inverse. Il traversa la rue et se gara juste devant le car de flic. Vous tes en voiture ? demanda Beaujeu. Je suis venue avec la mienne, oui. Finissez votre bire, Lieutenant, on rentre au Central *Association Nationale dAction Sociale dfendant les droits fondamentaux du policier

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La vieille DS 19 grise glissait vive allure sur lasphalte mouill de lautoroute quatre voies. Une fine averse se jetait par rafales contre le pare-brise tandis quau loin, vers lOuest, le ciel redevenait rose orang. Rodolphe poussa encore le volume de la chane et se laissa bercer par la guitare miaulante dEric Clapton. La voix de Phil Collins chantant I Wish it Would Rain Down lui donnait ce sentiment trange dtre en osmose avec la totalit du prsent. Il se sentait euphorique, quasi invincible, au point que, sans se rendre compte, il appuyait un peu plus sur lacclrateur. Devant lui, la Porte dOrlans se rapprochait rapidement et les lumires de la ville semblaient, comme dans un film, scintiller au rythme lancinant des drums *

Elle tait dj l, trs en avance. Il la reconnut facilement parce quelle avait suivi la lettre toutes ses instructions. Elle stait assise la terrasse du Saint Andr cot rue Suger, avait command un express avec une Pelfort brune, et devant elle, sur la petite table bancale, elle avait tal les viennoiseries des Arts Gourmands reconnaissables la couleur fuchsia du papier demballage. Tout en fouillant distraitement dans les bacs du Gibert Jeune, Rodolphe lobservait. Elle tait ple, presque maigre, ses cheveux noirs coups milong accentuaient les cernes, et elle paraissait anxieuse. Il lui donnait la trentaine, peut-tre moins. La jeune femme avait pos un livre sur ses genoux quelle semblait vouloir lire. Mais, sans cesse, elle levait la tte et regardait nerveusement autour delle. Il laissa passer le temps, comme a, pour voir, pour ressentir. Et quand il eut la certitude quelle tait seule, il profita du dpart des clients de la table voisine pour venir sasseoir tout prs delle.

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Elle lui jeta un regard furtif et recommena faire semblant de lire. Elle avait peur, il le sentait son odeur. Une odeur aigre qui se mlait aux effluves de son parfum bon march. Elle regarda une fois encore vers le carrefour Saint Michel. Puis vers lentre du Mtro, en face delle. Puis elle ouvrit son sac pour prendre son mobile. Stef ! fit-elle, il nest toujours pas l ! Tu es sre que tu ne tes pas trompe dheure ? Avec lindex elle se boucha lautre oreille. Cest a, pourtant ! Le problme cest que je nai pas trouv ce quil voulait. Cette conne de boulangre navait plus de croissant, alors jai pris une brioche la place ! Tu crois que cest important ? Sa voix tait lgrement voile. Rodolphe y distinguait un petit accent, une faon bien particulire de faire chanter certaines voyelles, mais il ne russit pas situer la rgion. Ecoute, jattends encore une demi-heure et puis, tant pis, je men vais ! Je te rappelle, ciao ! Brusquement elle se tourna vers lui et le regarda droit dans les yeux avec un air de reproche. Il en profita : Vous ne buvez pas votre bire ? Elle se figea. Quelque chose de froce, de presque sauvage, passa dans son regard. Jattends quelquun, finit-elle par dire, cest pour lui ! Alors, mon cher Richard, je crois que je vais la boire ! nouveau elle se raidit, mais ses yeux, cette fois, exprimait la surprise. Il se pencha pour prendre le verre, puis se rinstalla confortablement sur la chaise et gota latmosphre du soir. La petite place grouillait de monde, maintenant, surtout des touristes de diverses nationalits qui prenaient dassaut toutes les tables des restaurants. La chaleur quasi estivale, le brouhaha des conversations ml aux bruits des couverts, les relents de viande grille aux herbes de Provence Tout cela lui donnait limpression dtre dans une station balnaire. Il laissa quelques souvenirs lui traverser lesprit : le port de Ste, la nuit, en plein t ; un mauvais guitariste nonnant du Brassens ; les rires hystriques de sa mre, dans un bar, au bras de deux trangers Tranquillement, il but une gorge du liquide amer. Il savait que la jeune femme tait en train de lobserver, de le dvisager minutieusement. Mais cela ne le drangeait pas, au contraire. Il se tourna vers elle et la regarda.

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Vous tes Vous tes le Proc ? dit-elle, hsitante. Exact ! Vous buvez autre chose ? Non, merci ! Parlons de vos problmes alors ! De votre pianiste. Je vous ai presque tout dit, vous savez ! Si vous voulez que je vous aide, il me faut plus de dtails. Moi je veux bien, vous voulez savoir quoi ? Comment a a commenc par exemple. Pendant quelques secondes elle sembla rflchir. Puis elle se mit raconter avec la voix monocorde de quelquun qui rpte souvent la mme histoire. Faut vous dire dabord que cela dure depuis longtemps : six mois, maintenant, au moins ! La premire fois que je lai entendu ctait un samedi matin. Il a rveill ma fille, et a ma rveille bien sr ! Au dbut, cela ne ma pas trop drange Javoue mme que jai trouv a presque sympa : un vrai pianiste, chez moi, qui joue des super trucs classiques Gratuit, en plus ! Je me suis dit que ctait gnial. Je pouvais pas prvoir quil allait jouer dix heures par jour, ce connard, et surtout la nuit Pour que vous compreniez, il faut savoir quil habite juste en dessous de chez moi dans une sorte datelier pour artiste Vous voyez ? Avec un toit en verre dpoli. Ma fentre donne en plein sur sa verrire, alors quand il joue a rsonne tellement que jai tous les murs qui tremblent. Et personne dautre ne sest plaint ? Ben non, personne, cest a le plus dingue ! Pourtant, quand il a commenc jouer la nuit, je pensais que quelquun allait rler cause des vieux. Il y a beaucoup de vieux dans limmeuble, et dhabitude, question tranquillit, ils sont plutt tatillon. Mais l, rien, tout juste si on ne ma pas accuse den rajouter Jai rien compris ! Et alors ? Cest vite devenu un enfer, surtout pour ma fille qui ne dormait plus. Alors jai pris mon courage deux mains et je suis alle le voir. Mais, mme a, a na pas t facile parce que, pour aller chez lui, il faut passer par une cit, une cit un peu chelou si vous voyez ce que je veux dire Mais bon, jy suis alle et je lai vu. Vous pouvez me le dcrire ? Cest un petit con ! Enfin, un grand con plutt : 1 mtre 80 peu prs, les cheveux blonds trs courts, et parlant avec une voix qui veux vous en imposer. Le genre fils Papa qui en a rien foutre, quoi ! Et qui veut mme pas savoir quil fait chier quelquun.

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Vous lui avez parl des flics ? Bien sr, mais a na pas eu lair de linquiter. De toutes faons les flics chaque fois que je les ai appels, ils taient dbords. Le seul truc quils ont fait cest de me filer le numro dun soi-disant Conciliateur. Jai jamais pu le joindre, ce mec, il faut prendre un rendez-vous trois mois lavance. Brusquement elle dtourna la tte et porta sa main droite en visire comme pour se cacher le visage. Rodolphe crt mme voir quelques frmissements lui traverser le corps, mais elle resta silencieuse. Puis, de nouveau, elle le regarda avec des yeux rougis. Cela ne peux plus durer, fit-elle en sanglotant. Je nen peux plus, monsieur, et ma fille va tomber malade si a continue Est-ce que vous pouvez nous aider ? Rodolphe but une autre gorge de sa Pelfort brune. La tideur lavait rendue encore plus amre et il fit la grimace. En face, la vendeuse de la boutique de fringues sactivait. Ctait une blonde un peu vulgaire dont les gros seins ballottaient sous le chemisier transparent. Elle courait dun client lautre en leur parlant dans plusieurs langues. Il reconnut de litalien de langlais, bien sr, mais aussi de lespagnol, et peut-tre un peu darabe. Et le pre, demanda-t-il sans la regarder, vous lui en avez parl ? Je elle hsita. Je suis seule, je croyais vous lavoir dit. Oui, vous lavez dit, mais votre fille un pre je suppose Vous lui en avez parl ? Non ! On ne se voit plus beaucoup. Pourquoi ? a me regarde, je crois ! Ecoutez-moi, chre dame De nouveau il la fixa droit dans les yeux. Si vous voulez utiliser mes services, il faut rpondre mes questions. TOUTES mes questions, mme si elles vous drangent. Elle soupira profondment. On sest fch ! En fait il na pas voulu reconnatre Georgia cest le nom de ma fille : Georgia parce quil a cr que je lavais pig ce con ! Et cest vrai, vous lavez pig ? Bien sr que non ! Je voulais un enfant, cest clair, mais pas comme a ! Vous le vouliez comment ? Normalement, en vivant avec un mec Pas forcment en tant mari, mais en couple, quoi ! et surtout pas en lui forant la main.

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Et si vous viviez avec un mec, comme vous dites, quest-ce quil aurait fait, vous croyez ? Avec le pianiste ? Il lui aurait cass la gueule jespre ! Mais mme sans mec. Si je savais me battre, moi, je lui casserai la gueule ce fumier. Parce que, merde, en jouant 3 heures du mat, il sait bien quil emmerde des gens Non ? Et vous lui feriez quoi si vous pouviez ? Si je lui cassais la gueule, quest-ce que je lui ferais ? Elle se trmoussait sur sa chaise, regardait droite, gauche, mais ne rpondait pas. Allez, fit Rodolphe, dites-le moi. Je lui casserais les doigts, finit-elle par dire presque en criant. Je lui craserais les doigts avec mon talon, cet encul, comme a, lun aprs lautre Cest a que je lui ferais. Et vous voulez que je lui fasse la mme chose ? Une fois de plus elle vitait son regard. Rpondez ! insista Rodolphe. Vous voulez que je lui fasse la mme chose, cest a ? Oui, cest a ! Je voudrais quon lui crase les doigts cette enflure. Je peux mme le filmer si vous le dsirez Mais cest un peu plus cher, videmment ! Et sans filmer, vous prenez combien ? Cela dpend de beaucoup de choses. Vous fates quoi comme boulot ? Je fais des sondages par tlphone pour lIFOP, vous connaissez ? Ouais, jen ai entendu parler. votre avis cela cote combien ce que vous me demandez ? Oh, jy ai bien pens ! 800 au moins, non ? Et vous, vous pouvez mettre combien ? 450, a serait bien ! Vous me donnez 150 tout de suite. Si jaccepte le contrat je vous donnerai un autre rendez-vous, et vous mapporterez le reste. Parce que vous pouvez refuser ? Cest possible ! Cela dpend de beaucoup de choses, je vous lai dit. Et quest-ce que jai comme garantie ? Aucune ! Elle ferma les yeux, et pendant un moment elle resta silencieuse en se tordant les mains.

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Rodolphe la laissait rflchir. Il observait, sur sa droite, un couple qui venait de sattabler avec leur enfant. Toute la petite famille avait command des saucisses et des frites, mais le gamin rechignait manger parce quil voulait aller au Mac-Do. Juste devant eux, quelques mtres, un clodo, qui aurait pu tout aussi bien tre mort, dormait affal mme le trottoir. Tout contre lui, pelotonn contre ses jambes, un grand chien noir au pelage poussireux gardait une gamelle vide. Sans se rendre compte Rodolphe fredonna la mlodie dAnother day in Paradise, et il sen voulu. OK, jaccepte ! Il se retourna, elle le regardait avec un air dcid. Jaccepte le contrat, rpta-t-elle, on procde comment pour largent ? Je ne prends que du liquide. Elle attrapa son sac et se leva en hochant plusieurs fois la tte. Vous savez o je peux en tirer pas loin dici ? Il lui indiqua la banque au coin du boulevard. Je reviens ! dit-elle. Et dun pas mal assur elle traversa la place.

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Chapter

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Rodolphe entra par lun des deux porches de la Cit des Buttes. Il longea les plates-bandes imbibes durine et parsemes de crottes de clebs, puis il sarrta en essayant de sorienter. Il cherchait un btiment pouvant ressembler un loft ou un atelier dartiste, mais ce quil voyait autour de lui ne correspondait pas la description. Ctait dabord un immeuble de huit tages, une sorte de grande barre en forme de T, qui stirait le long de la cour. Cette norme masse grise faisait face un mur en parpaing contre lequel taient gares plusieurs voitures. Ensuite, tout au fond, venait un autre btiment, plus petit et en fausse faence blanche, qui dbouchait sur un escalier torsad. Comme de nombreux arbres en fleurs lui cachaient la vue, Rodolphe dcida de sen approcher. Il traversa lentement la cour en croisant les regards des marlous autochtones. cette heure, lendroit leur appartenait et ils vaquaient, a et l, leurs occupations mercantiles par groupes de deux ou trois. Depuis le dbut ils lavaient repr, mais ils feignaient de lignorer tout en le surveillant du coin de lil. Arriv prs de lescalier, Rodolphe dcouvrit sur sa droite, au bout dune alle pave, la structure en bton brut dun pavillon individuel. La petite maison de deux tages sadossait contre un immeuble en briques rouges, plus ancien, qui devait tre celui de la jeune femme. Il savana encore, et par la fentre demi ouverte de ltage suprieur il entendit schapper les salves furieuses dun piano queue.

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Il stait assis sur les marches de lescalier en mtal, quelques dizaines de mtres du pavillon, et il attendait que le type se dcide sortir. La jeune femme lui avait dit que, le soir, il sinterrompait souvent vers 9 heures. Il tait 9 heures 10, mais ce con jouait encore. Peu peu la nuit sinstallait, peine repousse par la lumire blafarde des lampadaires, et quelques merles impatients rivalisaient avec les programmes de tlvision. Dans la cour il ne restait plus que quelques ados regroups en bande autour des cages descalier. Il devinait leurs rires et suivait par intermittence les zigzags rougeoyants de leurs cigarettes. De temps en temps lun dentre eux venait faire virer sa meule tout prs de lui pour limpressionner, mais aussi pour le reluquer. Puis il sloignait en faisant rugir son pot dchappement trou, et les rires redoublaient. Cela dura comme a encore un long moment, une heure peut-tre. Et puis, enfin, le piano sarrta. Cest ce moment que, dans son dos, il entendit : Eh mec, tas une cigarette ? Ils taient trois lentourer, trois balzes fringus quasiment pareils avec des jeans et un sweat capuche qui cachait le haut de leur visage. Celui du milieu, le plus petit, sapprocha doucement en chaloupant. Tas une cigarette ? rpta-t-il en se marrant. Non, fit Rodolphe, jai pas de cigarette ! Dun coup le type changea de gueule. Il cracha par terre et se tourna vers ses potes : Tentends, putain, il veut pas filer de clope le blaireau. Celui qui tait en gris sapprocha son tour. Eh bouffon, pourquoi tas pas de clope ? Je fume pas, je peux pas en avoir. Putain de ta race ! fit le mec en se rapprochant encore. Tu viens faire quoi ici, hein ? Je tai jamais vu Rodolphe hsita. Il aurait pu lui rpondre nimporte quoi, mais il tenait ce que cela fasse vrai pour ne pas trop veiller les soupons. Il rflchit quelques minutes tout en surveillant la porte du pavillon au cas ou le pianiste sortirait. Et puis il repensa la pancarte Parking louer affiche lentre de la cit. Il se tourna vers celui qui portait des lunettes noires et qui navait pas encore parl. Je veux louer une place pour ma voiture, dit-il, alors je viens flairer lambiance. Le mec hocha la tte plusieurs fois, mais il resta silencieux. Cest son pote en gris qui reprit la parole.

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Si tu veux, on peut sarranger avec ta caisse ! Vous voulez dire quoi ? Je veux dire que mon pote, l, que tu vois, il est plutt bien vu dans la cit. Alors si tu te mets en affaire avec lui, ben y aura pas trop de blme avec ta bagnole. Pourquoi ? De quel genre de blme vous parlez ? Ben tu sais, les petits jeunes, ici, des fois ils sont livrs un peu eux-mmes Alors, en jouant, ils peuvent la rayer ta bagnole, ou bien te pter un pare-brise Mais pas pour faire le mchant, non, comme a, par inadvertance. Tu vois ce que je veux dire, mon frre ? Je vois, ouais ! Et les affaires, cest quoi ? Des petites affaires, quoi ! On te rend service et tu nous rends service, tu piges mon frre ? Je pige ! dit Rodolphe, mais juste ce moment il vit un grand blond sortir du pavillon. Je pige, mais a ne mintresse pas ! Il se leva, vita le balze en gris qui le dpassait au moins dune tte, et commena sloigner. Encul ! il entendit dans son dos. Cela le stoppa net. Lentement il se retourna. Encul ! rpta le mec en gris qui, en plus, se marrait. Rodolphe se positionna face lui et le regarda fixement dans les yeux. Il sentait comme une force douloureuse se nouer, l, tout au fond dans son ventre. Quelque chose dancien quil ne contrlait pas. Il serra les mchoires et fit un pas vers le gonze, mais, en mme temps, il saperut que le grand blond allait sortir de son alle. Alors il grimaa un sourire, comme a, un peu niais, et il se dirigea vers la sortie de la cit. *

En quittant le HLM et son calme relatif, Rodolphe fut presque surpris par le ramdam du boulevard. Le bruit provenait principalement, non pas du trafic qui, vu lheure, avait beaucoup diminu, mais des deux cafs qui stalaient le long du trottoir. Et plus particulirement du Chri(e) au coin de la rue Rbeval. Sa terrasse dbordait dune faune jeune et bigarre compose dacteurs, de musiciens, et de peintres qui pullulaient dans le quartier. Ils

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sinterpellaient joyeusement de table en table et riaient gorge dploye au rythme des boum boum mtalliques du juke-box. Pour ne pas se faire remarquer deux, mais surtout du grand blond, Rodolphe entra dans une vieille cabine tlphonique et fit semblant de passer un coup de fil Mais le mec ne venait toujours pas. Au bout de quelques minutes il commena sinquiter : Jespre quil ne sest pas barr par lescalier, ce connard ! Il se voyait dj tre oblig de raconter une autre histoire dbile aux trois gugusses du parking pour couvrir sa planque. Et, a, il prfrait lviter. Il attendit encore un peu, le temps de mater une rouquine qui hurlait en dzippant son blouson. Et puis enfin le type se pointa, et il entra dans le premier bar. Pendant un petit moment Rodolphe continua regarder la fille qui, maintenant, roulait une pelle sa copine. Puis il dcida dentrer, lui aussi, dans le bistrot. lintrieur, latmosphre enfume du rade contrastait avec sa terrasse. Malgr le peu de clientle lambiance tait plutt triste et pesante, pleine des relents du PMU de la journe. Nonchalamment le barman lui jeta un il et continua laver les verres. Le grand blond stait attabl au fond de la salle avec un autre type qui lui parlait vivement. Tous deux buvaient lapritif pendant quune serveuse mettait le couvert. Il sapprocha du comptoir. Vous servez encore manger ? Le barman se tourna vers la Chinoise qui tait assise lautre bout du bar. Elle regarda Rodolphe, sans rien dire, et cligna des yeux. Installez-vous, dit le mec en sessuyant les mains, je vais voir ce quil me reste. Rodolphe alla sasseoir deux tables du grand blond qui semblait ne pas lavoir remarquer. La serveuse, par contre, ne cachait pas son mcontentement. Elle imaginait, sans doute, les pas quelle aurait faire en plus et, davance, cela la fatiguait. Il ne me reste plus que des omelettes et des croque-monsieur lui lana le barman de derrire son bar. Je prendrai un croque, dit Rodolphe, avec une Pelfort brune *

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Le pianiste parlait peu, mais il mangeait. Il dvorait mme. Plus rien ne semblait compter que le mouvement mcanique de sa fourchette qui, inlassablement, allait de son assiette sa bouche. Pourtant il ntait pas gros, au contraire. Son corps paraissait en forme et plutt muscl. Cest lautre qui parlait, le plus vieux. Lui, il ne mangeait pas mais il bavassait sans cesse, posait des questions. Rodolphe, do il tait, nentendait pas tout. Quelques bribes, seulement. Tu as vu madame Jaure ? Tu lui en as parl ? Moi, jai tout planifi, mais il faut que tu prpares Ravel Tu mcoutes ? Le concerto pour la main gauche cest impratif ! Tes sur quoi en ce moment, hein ? Rachmaninov, je parie Encore la Rhapsodie, cest a ? Le grand blond ne rpondait pas vraiment. De temps en temps il grommelait quelque chose dinintelligible et, sans lever le nez, continuait mastiquer son entrecte Marchand de Vin. Comme dcourag, le plus vieux se leva en repoussant violemment sa chaise. Puis, grands pas, il alla sengouffrer dans les toilettes. Ds quil entendit la porte se refermer, le pianiste sarrta de manger. Il se figea, quelques secondes, en gardant sa fourchette en lair, regarda discrtement tout autour de lui Et dun coup, il se jeta littralement sur le plat de son compagnon, en dcoupa trois normes bouches quil enfourna avidement, comme a : hop, hop et hop ! Puis il revint son assiette, comme si de rien ntait, et reprit le va-etvient incessant de sa fourchette. Rodolphe repoussa le croque-monsieur peine entam que la serveuse lui avait apport avec ddain. Il contemplait lpaisse couche de fromage fondu qui lui rappelait les plats plastifis dans les devantures des restos chinois. Et pour en faire passer le got il but un peu de sa bire. La tl, au-dessus du bar, diffusait en permanence les images du journal de LCI. Pour linstant, sous le bandeau Guerre en Irak, elle passait en boucle le visage du petit Ali. Ses grands yeux verts, surtout, qui bouffaient quasiment tout lcran. Et puis la camra sattarda trop longuement sur son corps sans bras que des linges douteux emmaillotaient comme une vielle momie. Il tait 23 heures 43. Le CAC stait bloqu 2891, en hausse de 0,35. Il regarda nouveau le pianiste qui continuait, encore et encore, se goinfrer, et il comprit que son choix tait fait. Cela tait venu doucement, presque sans quil se rende compte. Dabord dans ses mains, dans sa

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gorge et puis dans tout son tre. Comme un nervement que chaque bouche du grand blond faisait grandir de plus en plus. *

Laissant retentir derrire lui les palabres tapageuses du Chri(e), Rodolphe saventura dans la minuscule rue de lAtlas qui stirait en pente sche jusqu lavenue Simon Bolivar. mi-cte, juste aprs limpasse qui mne lentre des tablissements ODOUL, il prit le temps de sarrter sous un magnifique figuier. Les senteurs sucres de ses grandes feuilles le propulsrent un instant trs loin dans son pass. Il se retrouva prs dun autre figuier, dans un jardin Menton, au ct dun vieil homme en train darroser abondamment ses tomates et ses aubergines. Le vieil homme lui faisait peur cause de sa grosse voix, mais tous les soirs il laccompagnait dans le potager, et tous les soirs il entendait les mmes phrases : Il ne faut pas que tu ailles sous le grand figuier, Rodolphe, surtout quand il a des fruits. Tu pourrais attraper une maladie, tu comprends ? Oui Tonton ! Mais, toi, tu y vas bien quand tu vas cueillir les figues, et tu nes pas malade ! Oui, mais ce nest pas pareil ! Je suis un adulte, tu comprends ? Je ne risque rien ! En haut, sur lavenue, le Taxiphone tait encore ouvert. LHindou fumait une cigarette sur le pas de la porte en savourant lagrable fracheur qui provenait du parc. En voyant Rodolphe sapprocher, il se mit lui sourire comme sil lattendait. Il tait le seul client. Il en profita pour prendre le PC le plus loign de la caisse, et il se connecta. Dabord, il envoya un email la jeune femme : Venez demain 18 heures 30 sur la Passerelle des Arts, cot Institut de France. Puis il se brancha sur son Newsgroup. Il ny avait que deux messages envoys par la mme personne, une certaine Mm moto. Et quand il les ouvrit, il y trouva exactement la mme chose. La mme, mme, petite phrase crite en lettres capitales :

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IL A RECOMMENC !

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9h17. Il commenait faire trs chaud dans la camionnette. Majax tuait le temps en essayant de trouver les numros du Loto. Engonc dans son gilet pare-balles, il tenait maladroitement entre ses doigts une sorte de pendule qui stait mis osciller de faon indcise. En mme temps, il marmonnait quelques phrases rendues inaudibles par les crachotements de la radio. Fasa le regardait lair amus, et elle le charriait : H, Majax, tu crois vraiment que tu vas les trouver ? Tu nous frimes, l, tu peux pas le croire, putain ! Ta gueule, Shakira ! Quand je serai au frais dans ma piscine pendant que tu mouilleras ton slibar dans le Soum Tu verras si cest des craques. Le fourgon fut secou cause dun bus qui passait en trombe, et Majax tira la gueule. 9h28. Peu peu, Beaujeu sentait limpatience lui tirailler le bide. Il aurait voulu sortir se dgourdir les jambes, fumer une cigarette lombre sous un arbre Il essaya de se dtendre en regardant passer une minette avec son froc qui lui tombait ras la foune. Backmann vient nous rejoindre ? demanda Fasa. Backmann ? Il investit pour lavenir, Backmann. Il fait faire le tour du proprio une bande de futurs tauliers. Alors je pense pas quon le verra, Backmann, il a mieux faire Il navait pas aim le ton de sa propre voix : trop amre, trop dsabuse, surtout devant les collgues. Du coup, il jeta encore une fois un il sa montre. 9h32. Les mecs ne se pointaient toujours pas. Nanard ! snerva Beaujeu, il tas bordur Tonton, o quoi ?

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Tinquite, Cocker, rpondit une voix dans la radio, ils vont venir. C'est du sr, je te dis, du cent pour cent Dans la Cuve il faisait de plus en plus chaud, et la tension montait dun cran. Majax ne cherchait plus ses numros. Maintenant, il tapait du pied, comme a, en rythme, sur le plancher en ferraille, et cela agaait Fasa. Elle aussi se mettait sagiter. Elle vrifiait sans cesse son flingue, son brassard, son gilet. En plus, dans la radio, il y avait deux clampins qui dconnaient sur elle. Ils ont qu la foutre devant la boutique, la Shakira, disait lun deux, et lui faire remuer son cul Tu vas voir comment ils vont rappliquer, les gusses. Putain, gueula Beaujeu, cest quoi ces branques ? Major ! tenez vos hommes, bordel. Je veux que Nanard sur cette frquence, pig ? Aussitt les deux types la bouclrent, ne laissant la place quune pluie de parasites peine recouverts par le raffut des coursiers sur leur scooter. Dehors, le trafic sintensifiait : aussi bien les bagnoles que les pitons. Et tout cela reprsentait un nombre incalculable de situations potentiellement dangereuses matriser Ce qui, vu lheure, nallait pas aller en sarrangeant. Une nouvelle fois, Beaujeu, refit visuellement le tour de son dispositif : la camionnette tait gare au coin de la rue Turbigo et de la rue du Temple. De l, il avait en ligne de mire la bijouterie ainsi que la station de Mtro, sur le terre-plein, o Nanard jouait les clodos dans lescalier. Au coin de la rue Notre-Dame-de-Nazareth, il voyait la moto avec Naceira et Maxou qui faisaient semblant de se rouler des pelles. Et en face, Sami et Juju en train de faire du lche-vitrines. Sans oublier les blaireaux de Lucas placs en retrait, plus loin, sur les trois axes de dgagement. Un coup de scurit classique prpar longuement au bureau, hier aprs-midi, et qui se droulait diffremment Comme dhab ! Cocker, Cocker ! crachota soudain Nanard. Ils passent devant moi, ils vont sortir du Mtro. Affirmatif, affirmatif, souffla Naceira, je les copie. Ils sont sur la place : trois mecs. Lun deux porte un sac a y est, ils traversent ! Fates gaffe, ajouta Nanard, normalement cest le petit qua du fer Beaujeu regardait les trois mecs qui sapprtaient entrer dans la bijouterie. Il expira doucement en dtendant les paules, puis il actionna le bouton de sa radio :

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Ok, la cible est sur lobjectif. Tout le monde se tient carreau et attend mon ordre Le plus petit marchait lgrement devant, la main droite fourre dans la poche de son blouson. Il sarrta un instant, fit semblant de mater la vitrine. Puis, lair naturel, il ouvrit la porte et entra, suivi des deux autres qui sengouffrrent derrire lui. Pendant encore un court instant la rue conserva son aspect normal : la foule des pkins se rpandait partout sur les trottoirs ; la cohorte des deux roues zigzaguait toute pompe entre les caisses coinces cause dun bouchon place de la Rpublique. Dans le fourgon, Majax ajustait son brassard fluorescent. Il stait plac gauche de la porte coulissante, prt bondir. Fasa triturait toujours nerveusement son gilet, et Beaujeu prparait son 45. Tout en surveillant la bijouterie, il monta une cartouche dans la chambre, moula sa main contre la crosse, le pouce sur le chien, et sentit sous sa paume la pdale de scurit prte tre enfonce. Son cur battait peine plus vite, mais il lentendait cogner dans ses tempes malgr le concert de Klaxons, tout autour. Et ses poignets taient froids, comme ses coudes. Il expira, longuement, par la bouche entrouverte Et puis, dun coup, ce fut le bordel ! Dabord, il vit la vieille. Elle avait surgi de la boutique, comme a, les cheveux hirsutes, les bras en lair, en gueulant : Au voleur, au voleur ! Puis ce fut un des mecs Et puis un autre. Chacun dtalant dans une direction oppose. Enfin, le minus apparut, le flingue dehors priori un Parabellum. Il avait du sang qui lui dgoulinait sur le front. Beaujeu se pencha vivement sur le micro : On les saute, ordonna-t-il, on les saute ! Majax ouvrit violemment la lourde et sarracha comme un para, suivi de peu par Fasa. Aussitt, elle prit la position rglementaire, le 357 bout de bras, guidon et cran de mire aligns. POLICE ! elle gueula au mec. TU BOUGES PAS ! TU BOUGES SURTOUT PAS ! Fais pas le mariolle, ajouta Majax qui sapprochait par la gauche. Pose ton flingo, doucement, et allonge-toi. La moiti des passants stait fige et matait la scne comme si ctait une srie la tl. Les autres, lair de rien, acclraient lallure en faisant semblant de navoir rien vu.

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Le minus tourna sur lui-mme : il aperut Naceira et Maxou qui le braquaient galement. Il hsita quelques secondes, et, lentement, posa le 9 millimtres sur le trottoir. ALLONGE-TOI ! hurla Majax, et carte les bras. Je veux voir tes mains Mais le mec ne fit rien de tout cela. Dun coup, il se jeta en avant et cavala comme un dingue vers le Mtro. Nanard, fit Beaujeu dans le MOTOROLA, il vient sur toi. Je rpte : il vient sur toi ! En mme temps, il avait travers la rue, au cul du mec, en se faufilant entre les bagnoles. Il arriva aux escaliers quasiment avec Sami. Cest l quils virent Nanard, en bas, en train de plaquer le minus au sol avec le genou, et lui passer les pinces. Ce con mest tomb en plein dessus dit-il en se marrant. Il avait un peu de sang autour de larcade. Tes bless ? demanda Beaujeu. Nanard sessuya lil avec la main et regarda ses doigts. Non, tinquites, cest que dalle ! Cocker, Cocker de 5 ! cracha la radio. Ouais ? fit Beaujeu. On a tes deux crnes, Capitaine, et y a pas de bobo. OK, Major, intervention termine. Vous embarquez les vieilles et on rentre au bercail

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Chapter

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En levant les yeux il aurait pu se croire au bord de lOcan. Une forte brise dlavait le ciel et trois golands, presque immobiles, glissaient imperceptiblement comme suspendus au-dessus du pont. Parfois lun dentre eux se laissait emporter au ras des flots, intrigu, sans doute, par quelques reflets plus vifs. Puis il rejoignait les autres, lentement, et ses longs cris rauques se rpercutaient contre le vent. Mme la Seine se gonflait dune houle marine qui faisait tanguer et grincer lembarcadre du Vert-Galant. Rodolphe stait plac entre les talages de deux bouquinistes sous limposant feuillage dun des vieux marronniers du quai Conti. De l, sans tre vu, il pouvait surveiller la Passerelle des Arts qui, comme toujours, grouillait de touristes se rendant au Louvre. Cette fois, cest lui qui tait en avance. La jeune femme ntait pas encore arrive, du moins, il ne la voyait pas. Il patientait en regardant les bateaux-mouches qui se suivaient la queue leu leu ; samusait des gamins qui, inlassablement, de pont en pont, faisaient de grands signes auxquels jamais personne ne voulait rpondre. Puis il sintressa aux livres poss en tas, tout prs de lui, sur le parapet en pierre. Il reconnut, sous sa protection en Cellophane, la couverture vert olive dun vieux Simenon quil avait dj vu, il y a trs longtemps, dans la bibliothque de son grand-pre. Le graphisme dsuet et joyeux des annes soixante le fit sourire et lui donna envie de prendre le livre, de le toucher, comme pour se r-approprier un peu de son pass. Mais il croisa lil mfiant du bouquiniste. Alors il se contenta dapprcier la drle de machine crire rose do schappait une feuille de papier sur laquelle tait crit : Le Passager du Polarlys *

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Il lobservait en train de monter les quelques marches qui menaient la Passerelle. Elle tait vtue dune robe gris mouchet qui lui tombait mi-mollets, et dun blouson en cuir noir un peu trop large pour elle. La jeune femme semblait anxieuse, elle jetait sans cesse de brefs coups dil, droite, gauche le cherchait certainement. Puis une place se libra sur le premier banc et elle alla sasseoir, les doigts tout crisps sur le sac quelle tenait serr contre sa poitrine. Rodolphe attendit encore un peu, le temps de regarder les quelques clients qui se pavanaient sur la pniche-bar amarre en contrebas. Et au moment o Saint Germain lAuxerrois sonnait la demi-heure il se dcida la rejoindre. Bonjour Richard ! Elle leva les yeux du livre quelle faisait semblant de lire. Bonjour, rpondit-elle en amorant un sourire. Vous savez en fait je mappelle Hlne ! Bonjour Hlne ! Excusez-moi dtre en retard mais avec toutes ces grves Vous voulez vous asseoir ? Elle se poussa pour lui faire de la place. Il prfra rester debout, tout prs delle, cherchant savoir do provenait les quelques notes de blues quil entendait. Plus loin, contre la rambarde, il aperut un type aux cheveux clairsems qui grattait sur une vieille guitare caille. Devant lui, ses pieds, il avait install un morceau de carton avec Jai FAIM griffonn dessus. Cest sympa ici, fit-elle, on se croirait presque sur un bateau. Je ne connaissais pas. Si vous avez le temps, restez pour le coucher de soleil. Paris, cest ici quil est le plus beau. Le soleil descend l-bas, juste dans laxe de la Seine, et toute leau devient bronze dor Cela vaut le coup dil, vraiment ! On raconte mme que le Vert-Galant cest le jardin qui est la pointe de lle, l, derrire nous on raconte quil a t conu spcialement pour a, pour que Henri IV puisse admirer le coucher du soleil. Vous avez lair de bien connatre Paris. Normal, jy suis n ! Moi, a fait peine deux ans que jhabite ici. Je ne connais pas encore grand chose Je ne suis mme pas alle sur la tour Eiffel, vous imaginez ? Si cela peut vous consoler, moi non plus ! Vous venez do ?

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De Saint Flour ! Dsol, je ne sais pas o cest. Cela ne mtonne pas ! Cest une toute petite ville en Auvergne, pas trop loin de Clermont-Ferrand ! Et vous tes venue faire quoi ici ? Pourquoi vient-on Paris votre avis ? Pour le boulot, je suppose. Quand quand le pre de Georgia ma quitte il a bien fallu que je me dbrouille. Cela semblait plus facile Paris. Et vos parents ? Mon pre est mort ! Et avec ma mre Vous ne vous asseyez pas ? Il d se serrer contre elle cause dune famille dAmricains qui prenaient beaucoup de place, mais elle ne sembla pas sen offusquer. Pendant un moment ils restrent comme a, silencieux, regardant lhorizon, vers louest, l o le ciel commenait rosir. Et puis, doucement, elle lui murmura : Vous vous tes dcid, alors ? Pardon ? Si vous tes l, cest que vous acceptez Non ? Vous aussi on dirait ? Oui, moi aussi ! Enfin, je sais pas bien. Quest-ce qui vous gne ? Elle ne rpondit pas. Elle serrait toujours son sac, peut-tre un peu plus fort, se tordait les doigts. Un court instant, elle tourna la tte en direction de la foule, et Rodolphe eut limpression quelle regardait une femme. Celle-ci tait assise, quelques mtres, sur un autre banc. Elle tenait difficilement un enfant dans ses bras qui sagitait et qui pleurait. Je risque quoi ? finit-elle par dire. Juridiquement, si a tourne mal, il peut marriver quoi ? a dpend ! Il jeta un il autour de lui et baissa le ton de sa voix. Vous voulez lempcher de jouer dfinitivement du piano, ou simplement quil arrte pendant quelque temps ? La question semblait leffrayer. Oh je veux juste quil comprenne, dit-elle, pas lestropier, a, non ! Article 222-11 du Code Pnal ! Cest dire ?

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Les violences qui ont entranes une incapacit totale de travail pendant plus de 8 jours sont punies, lorsquelles sont commises avec prmditation, de 5 ans demprisonnement et de 75000 damende Voil ! Mme Elle hsitait. Mme si ce nest pas moi qui Est complice dun crime la personne qui par ordre aura provoqu une infraction ou donn des instructions pour la commettre. Article 121-7 du mme Code Pnal. Mais ne vous inquitez pas, il ny a aucune raison pour que a tourne mal Et puis, de toutes faons, on ne pourrait pas remonter jusqu vous Elle sourit et parut se dtendre. Vous le fates quand, alors ? a y est, vous tes dcide ? Il ny a pas grand chose dautre faire, hlas. Il est vraiment trop con, ce mec ! Il a recommenc ? Toute la nuit, jusqu 5 heures du matin ! Et cest comme a depuis quon sest vu. Elle fouilla dans son sac et lui tendit une enveloppe quil glissa directement dans sa poche sans louvrir. Vous ne vrifiez pas ? dit-elle. Pourquoi, je devrais ? Oh non ! Jai fait exactement comme vous mavez demand : 300 rien quen liquide Cest bien a ? Alors votre problme est quasiment solutionn ! Elle se mit rire tellement fort que mme les Amricains, cot, se retournrent pour la regarder. Excusez-moi, fit-elle au bout dun moment, mais jattends a depuis si longtemps ! Je sais, cest difficile faire comprendre aux autres Mme avec ma copine, je vois bien que, des fois, elle me prend pour une dingue. Cest normal, dailleurs, parce que vu de lextrieur cela parat drisoire. Mais croyez-moi, se retrouver, l, toute seule, avec son enfant qui pleure, en sachant quon ne peut rien faire et quen plus on vous prend pour une conne Jai vraiment eu limpression dtre une grosse merde ! Parce quils sen foutent, bordel, tous Ils sen foutent et a les amuse, vous comprenez ? Vous parlez de qui l ? De tout le monde : du pianiste, de mes voisins de cette salope de concierge ! Ils sont tous au courant et ils prennent leur pied, ces enfoirs, cest a qui est insupportable

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Au dbut, je ne voyais pas tout a toute cette mchancet. Btement, je pensais quils ne se rendaient pas compte, et quil suffisait que jen parle pour quils maident Mais je me trompais sur toute la ligne. Vous voulez dire que tout a est prmdit ? Prmdit, je nen sais rien ! Ce dont je suis sre cest quils laissent faire. Et pourquoi ils feraient a ? Aprs tout, ils le subissent aussi votre pianiste. Je sais, je narrive pas lexpliquer ! Mais il est vident que depuis le dbut ils ne mapprcient pas. Peut-tre quune mre clibataire a les drange aprs tout, mme notre poque ! En tous cas ils y trouvent leur compte, jen suis certaine, cause des regards que je croise, des petits sourires en coin, des silences Ces salauds sont tous de mche. a me rappelle ce film, l, de Polanski Vous lavez vu ? Le Locataire, je crois ! Cest tout fait la mme ambiance. Ecoutez, dit Rodolphe, je vais dj moccuper de ce connard de pianiste. a devrait un peu vous arranger la vie, non ? Aprs, on verra sil faut Oui, vous avez raison ! Pouvoir rentrer chez moi sans avoir peur dtre emmerde tout moment par ce tar, a serait dj comme une sorte de petit miracle. Plusieurs jeunes gens trs bruyants venaient darriver sur le pont, et ils dployaient, mme le sol, une immense nappe blanche. Puis ils sinstallrent dessus et commencrent sabler le champagne sous les yeux ravis des touristes qui les prenaient en photo. Si on faisait pareil ? demanda-t-elle. Jai envie de fter a moi aussi. Vous mattendez l ? je vais chercher boire. Je suis dsol, Hlne Jai un rendez-vous. Vous avez un autre pianiste liminer ? Eh ! Je ne suis pas un tueur gages. Un peu, quand mme ! Dailleurs, cher Procureur, cela sappelle comment votre job Justicier ? Je dirais plutt que je suis une sorte de Vengeur gages, au vrai sens du terme ! Au moment de se lever, Rodolphe croisa de nouveau le regard de lautre femme. Lenfant pleurait toujours, et elle tentait de le consoler. Georgia simpatiente, murmura-t-il, vous devriez la rejoindre. La jeune femme le regarda avec cet air un peu sauvage quil lui connaissait dj. Mais, trs vite, elle se radoucit.

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Javais personne pour la garder ! Alors jai demand ma copine de maccompagner Je sais, vous maviez dit de venir toute seule Vous men voulez ? Il ne rpondit pas. Il ne pensait qu partir. Mais avant quil ne fasse un pas, elle lattrapa par le bras. Cest sr alors, vous allez vous en occuper ? Il tapotait lenveloppe dans sa poche. On a pass un contrat je crois Non ? Puis posant tendrement la main sur son paule, il ajouta : Juste un conseil, Hlne : nbruitez pas trop cette histoire. Pour vous comme pour moi je pense que cest plus sage, daccord ? Avec la tte elle lui fit signe quelle avait compris. Alors, sans se retourner, il sloigna en direction de la place de lInstitut.

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Lnorme Yamaha tait bien l, toujours aussi rutilante. Comme dhabitude elle obstruait lentre du 14 et dbordait sur le minuscule trottoir, obligeant tous les passants descendre sur la chausse au risque de se faire happer par les bagnoles. Mm Moto avait raison , pensa Rodolphe, cet enfoir a recommenc ! Il traversa la rue et longea la faade de lhtel Rive Gauche. Le rceptionniste tait derrire son bureau, leurs regards se croisrent. Rodolphe, nonchalamment, poussa jusqu la rue de lUniversit, et il entra au Comptoir des Saints Pres. Il commanda une Pelfort brune, mais le barman nen avait plus. Vous avez quoi la place ? demanda-t-il. Porter 39 ! a ira ! Il sinstalla tout prs de la vitre de faon pouvoir surveiller la moto, et il jeta un il sur la pendule au-dessus du bar. Il tait presque 20 heures. Vous fermez quelle heure ? fit-il au mec qui lui apportait sa bire. Oh ! Comme cest parti, 21 heures ! Il le paya. Et le type retourna derrire le bar laver les verres. part cinq tudiants en mdecine qui se marraient dans larrire salle, et quelques touristes sur la terrasse, le bistrot tait quasiment dsert. Il avala une gorge et allongea ses jambes pour se dtendre. Dcidment, il naimait pas la Porter. Depuis toujours il la trouvait cre au got, plus paisse dans la bouche. Nanmoins, ce soir, elle le rafrachissait. Car latmosphre tait lourde, presque oppressante, cause de la rue trop troite et du trafic intense qui rejoignait le boulevard Saint Germain. Il but une autre gorge. La fentre juste au-dessus de lentre du 14 avait les volets clos. Mm Moto avait d se rfugier dans sa villa de Nice en attendant que le Proc

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rgle son problme. Rodolphe se souvenait de leur premire entrevue au Jardin des Plantes. Sous larbre de Jude ct des golands Avait-il crit sur lemail. Vous me fates traverser Paris Avait-elle rpondu. Et deux heures plus tard, il avait vu une petite vieille de 80 piges, toute sche et toute noueuse, venir sasseoir ct de lui. Cest vous le Proc ? avait-elle dit en le regardant sous toutes les coutures. Je vous voyais plus g ! Malgr tout elle lui avait dball son histoire. Je demeure au 14 de la rue des Saints Pres. Cest un immeuble bien tenu et trs tranquille, il ny a pour ainsi dire que des retraits. Cela fait 40 ans que jy demeure. Nous avions, avec mon mari, achet lappartement pour quil puisse y tablir son cabinet Il tait mdecin. Et jusqu sa mort nous navons jamais eu nous plaindre En dcembre de cette anne, un nergumne a emmnag au quatrime. Au dbut, nous navons pas eu de problme, il paraissait tranquille et mme bien lev. Et puis en janvier il a achet une moto, une trs grosse moto, et partir de l les ennuis ont commenc. Elle regardait le gros gris, derrire la grille, qui restait immobile. Pourquoi ne senvole-t-il pas celui-l ? demanda-t-elle. Ils leur coupent les ailes, madame, cest pour a quils restent l. Cest idiot, il y en a plein en libert ! Pourquoi ne les laissent-ils pas nicher l, ils reviendraient de toutes faons ? Je ne sais pas, madame, cest comme a ! Elle haussa les paules et reprit son rcit : Jen tais o ? Ah oui ! En janvier ce monsieur a donc achet une moto et il sest mis la garer juste devant la porte, de manire quon ne puisse plus sortir. Nous lavons gentiment prvenu quil gnait tout le monde Cela na rien chang, il a continu la garer de la mme faon. Maintenant il nous faut chaque fois dranger le gardien, ce pauvre monsieur Rgent, pour quil ouvre en grand la porte cochre qui est si lourde Vous vous rendez compte ?

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Le dimanche comme cest le jour de cong du gardien je ne peux mme plus aller la Messe de 7 heures. Je dois attendre que ce monsieur sen aille Cest quand mme un comble ! En fait, cest tout limmeuble qui est rgl sur sa vie. Nous ne pouvons tout de mme pas continuer ainsi, vous tes daccord avec moi ? Vous navez pas contact la police ? Bien sr que si ! Cest monsieur Vasseur qui sen est charg. Cest un homme trs bien, monsieur Vasseur, il tait notaire avant de prendre sa retraite Il sait donc ce quil fait ! Et bien, pensez-vous, il ne sest rien pass. Une ou deux amendes, cest tout ! Et, en plus, lautre sest fch Un soir il est venu frapper la porte de monsieur Vasseur. Il lui a montr une contravention, et il lui a jet au visage, comme a, en hurlant Pardonnez-moi, mais cest ce quil a dit : Je suis avocat, pauvre con, et si je veux garer ma moto sur ton palier cest pas toi qui men empcheras ! Voil, cher matre, voil o on en est. Et vous attendez quoi de moi ? Elle avait paru hsit. Cest ma petite fille qui vous a trouv sur Internet. Moi, ces choses-l ne sont plus de mon ge ! Elle a pens quun Procureur pourrait rgler le problme plus facilement. Vous tes bien Procureur ? Cest juste un surnom, madame, bien que je sois moi aussi une sorte dintercesseur ! Mais mes mthodes sont plus comment dirai-je ? plus expditives, si vous voyez ce que je veux dire Dans votre cas, par exemple, je peux men prendre directement votre avocat Physiquement, jentends ! O bien moccuper de sa machine, cest vous qui choisissez. Je prfre que vous vous occupiez de sa machine. avait-elle rpondu vivement. Alors jenvisage de lui crever ses deux pneus et de casser son phare. Cela devrait suffire pour commencer. Je le ferai discrtement, bien sr, pour que lon pense du vandalisme. Mais lui devrait comprendre, surtout si cela se rpte. Et puis, sil sobstine Pendant quelques minutes la vieille dame navait rien dit. Elle stait contente dobserver le minuscule Tamarin Lion Dor qui saccrochait, tte en bas, aux barreaux de sa cage. Puis, doucement, elle stait leve en faisant craquer ses genoux, et lui avait chuchot : Cest daccord ! Fates ce que vous avez faire et dites-moi combien je vous dois.

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La pendule marquait un peu plus de 21 heures. Les tudiants taient partis et le barman commenait mettre les chaises sur les tables. Rodolphe se leva pour aller payer sa bire, puis il sortit du bistrot. La moto tait toujours l. Mais beaucoup trop de gens circulaient encore, et le jour ntait pas compltement tomb. Alors, en attendant, il dcida de marcher un peu. Il prit la rue Jacob, sur sa gauche, jusqu la rue Saint Benoit quil remonta lentement pour simprgner de lambiance. Il passait devant les boutiques encore ouvertes, devant les restaurants toujours autant frquents, et ses souvenirs superposaient les noms anciens ceux daujourdhui. Il revoyait le Bistingo, le Bilboquet, et tout le reste Il repensait surtout une gigantesque fte organise en plein air, un soir dt, quand il avait 12 ans. Avec son oncle il avait russi, malgr la foule, se faufiler jusquaux barrires, et toute la nuit il avait regard les nombreuses personnalits de lpoque venues samuser sans complexe. Il ne reconnaissait presque personne. Ce qui lintressait, lui, ctait ces superbes filles plutt dvtues qui, en dansant, montraient quelques fois leurs seins et leurs cuisses toutes bronzes. Son oncle, par contre, semblait connatre tout le monde. Regarde, criait-il par-dessus la musique, cest Sylvie l-bas, tu la vois ? Elle est tout en blanc ! Et ct cest Carlos tu le reconnais ? Il les cherchait mais ne les voyait pas. Et trs vite son regard simmobilisait sur le corps en sueur dune magnifique noire qui, croyaitil, le regardait aussi. Quelques fois, pendant de longues minutes, son oncle ne disait plus rien. Il restait comme a, le regard fixe, presque hagard, jusqu ce que Rodolphe lentende murmurer : Tu verras, un jour cest moi qui serai de lautre ct ! Et puis il recommenait. Il lui donnait de grands coups de coude et criait : Et celui-l, tu sais qui cest ? Avec son petit costard Renoma, hein ? Cest Jacques Dutronc ! On la vu la tl, dimanche, tu te souviens ? *

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La terrasse du Flore dbordait de gens qui se croyaient incontournables. Rodolphe les vita en longeant la bordure du trottoir et en passant derrire les arbres. Au coin du boulevard il retrouva la rue des Saints Pres qui le ramena quasiment son point de dpart. Le Comptoir tait ferm prsent, et la rue redevenait peu peu silencieuse. Il ne restait que quelques touristes gars qui erraient lamentablement autour de la Facult de Mdecine en vocifrant dans leur langue. Il fit semblant dadmirer les fresques sculptes qui ornaient la faade austre de luniversit. Celle qui reprsentait un homme en train dgorger un mouton attira son attention. Elle lui fit penser une des rares phrases prononce par le docteur Carel : La mdecine est fille des rves mais aussi de la barbarie lui avait-il dit un jour avec un petit sourire. Quand les touristes sloignrent, il marcha paisiblement jusqu lhtel Rive Gauche. Cette fois le portier tournait le dos la rue pour suivre un match de foot qui passait la tl. Rodolphe en profita pour traverser et il sapprocha de la Yamaha. On aurait dit un gros insecte tapi dans lombre de la porte. La couleur jaune accentuait cette impression en faisant ressembler le rservoir une carapace. La TDM 900 tait dj une belle bcane, surtout pour la ville. Peut-tre un peu capricieuse cause dune injection trop sensible, cest comme a quil la voyait en tout cas. Un soir, son pote Albert lui avait prt la sienne juste pour une vire sur le Priphe. Il se souvenait dune machine difficile doser, brutale la dclration et trop heurte la remise des gaz. Ta pas lhabitude ! lui avait dit Albert. Mais cela ne changeait rien, il prfrait sa petite CB 350 Four moins fougueuse et tellement plus maniable. Il fouilla dans sa poche, en extirpa un passe qui lui permit de faire sauter le bouchon dessence. Puis il bourra le rservoir avec une longue mche imbibe dhuile quil laissa pendre sur le ct du moteur. Ensuite il prit son briquet dans lautre poche et regarda autour de lui : la rue tait dserte ; il ny avait personne ni aux fentres ni aux balcons, et le mec de lhtel matait toujours sa putain de tl. Quelques voitures remontaient bien jusquau carrefour, mais elles roulaient trs vite. Il se pencha et enflamma la mche avec son vieux Zippo

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* Il arrivait pratiquement devant le Flore quand l'explosion retentit. Il y eut un simple bruit sourd et deux ou trois pigeons qui dcamprent tire-d'aile. Personne ne sembla y prter attention. Pourtant la rue se figea une fraction de seconde. Et puis la foule des badauds recommena dambuler le long des trottoirs, comme si de rien ntait. Rodolphe traversa le boulevard et se dirigea vers le carrefour Odon. De loin il reconnut les deux silhouettes qui avanaient lentement vers lui et, pendant un instant, il se demanda ce qu'il devait faire. Cela faisait plusieurs fois qu'il les rencontrait ainsi, serrs lascivement lun contre lautre. Du coup il se sentait gn, comme s'il violait leur intimit. Le vieil crivain habill de noir se collait firement au corps sculptural de sa compagne tout en la tenant tendrement par la main. Lui aussi sembla le reconnatre. Alors il se pencha discrtement vers son amie et lui murmura quelque chose. La jeune fille au parfum des les se tourna vers Rodolphe avec un air amus. Puis le couple poursuivit son chemin sans prter attention aux premires sirnes qui se rapprochaient. Si je les rencontre encore, songea Rodolphe, c'est sr, qu'il me mettra dans son prochain bouquin !

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chaque dgagement, le mme son de cloche : Viagra rlait. Charriez pas les mecs ! rptait-il derrire son bar. Charriez pas, quoi ! Mais les lardus sen foutaient. Il ny avait queux dans le rade, exception fate de deux putes qui turbinaient pas loin et dun journaleux bossant parfois pour lUsine. Beaujeu, comme son habitude, se tenait un peu lcart. Il sirotait son nime Picon-bire, les pieds sur une chaise, en coutant Bye Bye BlackBird qui passait fond sur la mini chane. De temps en temps il jetait un il dehors, comme a, juste pour savoir o en tait la journe. Et puis, de nouveau, il se laissait happer par les trilles mlancoliques du grand Matre. Sans se rendre compte, Nanard accordait ses gestes aux scansions de la trompette. Ce connard tait l, au milieu du bistrot, en train de faire le beau pour sduire une des putes Peut tre les deux ? Ce genre de greluche tant fascine par les armes, la conversation tournait autour de son feu. Il leur faisait effleurer caresser, presque le canon de son 357. Et les gonzesses se pmaient. Quand le saxo de Coltrane attaqua son entre, Nanard voulut leur montrer comment il pratiquait. Il se campa devant le bar, ploya lgrement les genoux et : hop ! il dgaina. Un pauvre gonze qui entrait dans le rade se trouva nez nez avec le flingue. Il leva les bras en poussant un cri et se figea. Police, ne vous inquitez pas ! sexcusa Nanard. Et tout le bistrot clata de rire. Sauf le gonze qui restait les bras en lair, et Viagra qui recommena : Charriez pas les mecs, merde, Charriez pas ! La nuit tait presque tombe quand Fasa entra. Elle alla directement au bar chercher deux Picon-bire, puis vint sasseoir en face de Beaujeu. a y est, dit-elle en lui tendant un des verres, cest clout ! Backmann les prsente au Qupar demain matin.

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Quest-ce quil a dit ? Backmann ? Rien ! Des investigations menes sans dsemparer et de mme suite, en situation de flagrance Quest-ce quil pouvait dire ? En tout cas, jaurais bien voulu voir la vieille bastonner le minus coup de batte de Base-Ball, putain, vous imaginez ? Et la perquise, demanda Beaujeu, a a donn quoi ? Ces petits cons avaient tapiss leur piaule avec des photos de la bijouterie On a trouv des tracs sionistes, aussi. Le minus narrte pas de gueuler quil fait parti dun mouvement pro-isralien et que son casse est politique. Au Proc de se dmerder la notre ! Il avait lev son verre et trinquait avec elle. Lambiance stait un peu calme. Au comptoir, Lucas et Juju jouaient au 421. chaque dcharge ils clusaient leur pastaga que Viagra resservait systmatiquement. Maxou dansait avec une des deux putes, une grande black avec un visage de statue Dogon. Ils se regardaient les yeux dans les yeux et leurs corps enlacs ondoyaient sur les mlodies lancinantes du Freddy FreeLoader. Cest du Miles, a ? demanda Fasa. Vous connaissez ? Tout le monde connat Miles Davis, Beaujeu. Ouais, cest vrai ! Mais, quand mme, cest plutt mon poque. Vous pouvez mexpliquer pourquoi les vieux flicards sont tous des fondus de Jazz ? Le mot vieux le fit sourire. cause de la ville, murmura-t-il. De la ville et de la nuit Mais ces putains de nuits ne sont plus les mmes. Cest quoi la diffrence ? Il but une gorge du Picon-bire devenu tidasse. Disons qu cette poque le dsespoir semblait avoir un sens Vous coutez quoi, vous ? Des tas de trucs ! En ce moment : The Distillers. Connais pas. Mais jcoute Miles aussi Des soirs jteins la lumire, je me mets un oreiller sur le ventre et je laisse sa trompette memmener ou elle veut. Vous savez, soupira Beaujeu, cest toute une histoire cette putain de trompette. La rumeur dit que Miles avait les lvres hyper fragiles. chaque fois quil jouait plus dune heure, il pissait le sang et tait out

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pendant deux ou trois semaines. En plus, cette poque, la mode tait au vibrato Vous avez une cigarette ? Dsol, jai arrt il y a deux