h,t,rog,n,it, de la douleur migraineuse

10
Douleurs, 2005, 6, 2 82 FAITES LE POINT Hétérogénéité de la douleur migraineuse Vincent Cahagne (1) , Hubert Guyard (2) INTRODUCTION Verbalisation de la douleur À la suite des études inaugurées par Melzack et Torgerson 1 , nous nous proposons d’analyser la manière dont les patients migraineux verbalisent leurs douleurs. Migraine et importance de l’approche clinique Hormis des techniques utilisées en recherche (imagerie fonctionnelle), la migraine ne dispose d’aucun autre moyen d’investigation clinique que la parole des patients eux- mêmes. Les recommandations professionnelles ne compor- tent pas d’indication à une imagerie dans la plupart des cas 2 . Les recherches des mécanismes physiologiques de la migraine ne sont, pour le moment, que partielles et ne peu- vent clairement rendre compte de la richesse des symptô- mes céphalalgiques observables (par exemple, le modèle « vasculaire-supraspinal-myogénique 3 » a cherché à rendre compte de la variabilité des manifestations cliniques par une intégration différente d’une crise à l’autre des influx vasculaires, myofasciaux et supraspinaux). Dès lors, les repères professionnels dictés par l’IHS 4 apparaissent comme des jalons incontournables dans l’approche sympto- matique des céphalées, et plus précisément des migraines, que ces dernières soient avec ou sans aura. « Dans la crise migraineuse sans aura, la plus fréquente, la douleur est hémicrânienne et revêt souvent un caractère pulsatile ; elle est accompagnée de nausées, de vomissements ainsi que d’une intolérance au bruit, à la lumière, voire aux odeurs 5 ». Cette définition symptomatique, inspirée des critères IHS, met l’accent à la fois sur des caractéristiques externes à la douleur (nausées, vomissements, phobies) et sur des carac- téristiques internes (latéralité, pulsatilité). Dimension prototypique de la description Ce sont ces deux derniers traits (latéralité et pulsatilité) que l’on retrouve à la base de la plupart des descriptions médi- cales de la douleur migraineuse. Ainsi D. Annequin et al. (1998) commentent ces deux caractéristiques. La latéralité est sans doute l’élément diagnostic qui leur paraît le plus pertinent, mais cette pertinence n’a aucun caractère absolu et reste relative : « La topographie de la céphalée est classi- quement unilatérale, tantôt droite, tantôt gauche, mais elle peut être diffuse, soit d’emblée, soit secondairement. La douleur siège plus fréquemment dans la région antérieure de la tête (tempe, front, région orbitaire) mais elle prédo- mine parfois dans la région occipitale ou la nuque. Le chan- gement de côté d’une crise à l’autre est un excellent signe de migraine mais une céphalée siégeant toujours du même côté reste bien plus souvent due à la migraine qu’à une lésion intracrânienne 6 ». De la même manière, la pul- satilité est mentionnée comme un trait souvent présent, formulation prudente qui implique que la pulsatilité peut parfois manquer : « La céphalée migraineuse est le plus souvent pulsatile, décrite par le patient comme pareille à des battements cardiaques, à des coups de marteau. Le caractère pulsatile ne peut survenir qu’à certains moments de la crise lorsque la céphalée est décrite comme continue 7 ». C’est surtout à son début (mais aussi parfois après une aura) que la céphalée migraineuse est parfois mineure, diffuse et sans les signes associés qui vont venir à la phase de céphalée installée 8 . Dès lors il devient évident que ce portrait de la douleur migraineuse ne reflète pas la 1. Neurologue, Service de Neurologie (Pr Edan) et consultations de la douleur (Pr Ecoffey), Centre Hospitalier Universitaire, 2, rue Henri Le Guillou, Rennes. 2. Professeur, Département des sciences du langage, Laboratoire interdisciplinaire de recherches sur le langage, Université Rennes 2 Haute-Bretagne, Rennes. 1 Melzack R, Torgerson WS. On the language of pain, Anesthesiology 1971;34:50-9. Melzack R, Katz J. The McGill Pain Questionnaire: appraisal and current status. In: Turk DC, Melzack R. Handbook of pain assess- ment. New York, London: Guilford, 1992. 2 ANAES, Service des recommandations et références professionnelles et service évaluation économique. Octobre 2002. Prise en charge dia- gnostique et thérapeutique de la migraine chez l’adulte et chez l’en- fant : aspects cliniques et économiques. 3 Olesen, Clinical and pathophysiological observations in migraine and tension-type headache explained by integration of vascular, su- praspinal and myofascial inputs. Pain 1991;46:125-32. 4 The International Classification Of Headache disorders, 2 nd Édi- tion. Cephalalgia 1904;24:Supplément 1. 5 P. Henry, Migraine, Encyclopédie Universalis, 1995. 6 D. Annequin, M.G. Bousser, B. de Lignières, N. Fabre, H. Massiou, A. Pradalier, F.Radat. Migraine : la clinique, in Migraine, Éd. In- serm, 1998, p.41 7 D. Annequin & al, Idem, p.41. 8 Cady et al., Primary Headaches : A Convergence Hypothesis. Headache 2002;42:204-16.

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Douleurs, 2005, 6, 2

82

F A I T E S L E P O I N T

Hétérogénéité de la douleur migraineuse

Vincent Cahagne

(1)

, Hubert Guyard

(2)

INTRODUCTION

Verbalisation de la douleur

À la suite des études inaugurées parMelzack et Torgerson

1

, nous nousproposons d’analyser la manière

dont les patients migraineux verbalisent leurs douleurs.

Migraine et importance de l’approche clinique

Hormis des techniques utilisées en recherche (imageriefonctionnelle), la migraine ne dispose d’aucun autre moyend’investigation clinique que la parole des patients eux-mêmes. Les recommandations professionnelles ne compor-tent pas d’indication à une imagerie dans la plupart descas

2

. Les recherches des mécanismes physiologiques de lamigraine ne sont, pour le moment, que partielles et ne peu-vent clairement rendre compte de la richesse des symptô-mes céphalalgiques observables (par exemple, le modèle« vasculaire-supraspinal-myogénique

3

» a cherché à rendrecompte de la variabilité des manifestations cliniques parune intégration différente d’une crise à l’autre des influxvasculaires, myofasciaux et supraspinaux). Dès lors, lesrepères professionnels dictés par l’IHS

4

apparaissentcomme des jalons incontournables dans l’approche sympto-matique des céphalées, et plus précisément des migraines,que ces dernières soient avec ou sans aura. « Dans la crise

migraineuse sans aura, la plus fréquente, la douleur esthémicrânienne et revêt souvent un caractère pulsatile ; elleest accompagnée de nausées, de vomissements ainsi qued’une intolérance au bruit, à la lumière, voire aux odeurs

5

».Cette définition symptomatique, inspirée des critères IHS,met l’accent à la fois sur des caractéristiques externes à ladouleur (nausées, vomissements, phobies) et sur des carac-téristiques internes (latéralité, pulsatilité).

Dimension prototypique de la description

Ce sont ces deux derniers traits (latéralité et pulsatilité) quel’on retrouve à la base de la plupart des descriptions médi-cales de la douleur migraineuse. Ainsi D. Annequin

et al.

(1998) commentent ces deux caractéristiques. La latéralitéest sans doute l’élément diagnostic qui leur paraît le pluspertinent, mais cette pertinence n’a aucun caractère absoluet reste relative : « La topographie de la céphalée est classi-quement unilatérale, tantôt droite, tantôt gauche, mais ellepeut être diffuse, soit d’emblée, soit secondairement. Ladouleur siège plus fréquemment dans la région antérieurede la tête (tempe, front, région orbitaire) mais elle prédo-mine parfois dans la région occipitale ou la nuque. Le chan-gement de côté d’une crise à l’autre est

un excellent signede migraine

mais une céphalée siégeant toujours dumême côté reste bien plus souvent due à la migraine qu’àune lésion intracrânienne

6

».

De la même manière, la pul-satilité est mentionnée comme un trait

souvent

présent,formulation prudente qui implique que la pulsatilité peutparfois manquer :

« La céphalée migraineuse est

le plussouvent

pulsatile, décrite par le patient comme pareille àdes battements cardiaques, à des coups de marteau. Lecaractère pulsatile ne peut survenir qu’à certains momentsde la crise lorsque la céphalée est décrite commecontinue

7

». C’est surtout à son début (mais aussi parfoisaprès une aura) que la céphalée migraineuse est parfoismineure, diffuse et sans les signes associés qui vont venir àla phase de céphalée installée

8

. Dès lors il devient évidentque ce portrait de la douleur migraineuse ne reflète pas la

1. Neurologue, Service de Neurologie (Pr Edan) et consultationsde la douleur (Pr Ecoffey), Centre Hospitalier Universitaire, 2,rue Henri Le Guillou, Rennes.2. Professeur, Département des sciences du langage,Laboratoire interdisciplinaire de recherches sur le langage,Université Rennes 2 Haute-Bretagne, Rennes.

1

Melzack R, Torgerson WS. On the language of pain, Anesthesiology1971;34:50-9.Melzack R, Katz J. The McGill Pain Questionnaire: appraisal andcurrent status. In: Turk DC, Melzack R.

Handbook of pain assess-ment

. New York, London: Guilford, 1992.

2

ANAES, Service des recommandations et références professionnelleset service évaluation économique. Octobre 2002. Prise en charge dia-gnostique et thérapeutique de la migraine chez l’adulte et chez l’en-fant : aspects cliniques et économiques.

3

Olesen, Clinical and pathophysiological observations in migraineand tension-type headache explained by integration of vascular, su-praspinal and myofascial inputs. Pain 1991;46:125-32.

4

The International Classification Of Headache disorders, 2

nd

Édi-tion. Cephalalgia 1904;24:Supplément 1.

5

P. Henry, Migraine, Encyclopédie Universalis, 1995.

6

D. Annequin, M.G. Bousser, B. de Lignières, N. Fabre, H. Massiou,A. Pradalier, F.Radat. Migraine : la clinique, in

Migraine

, Éd. In-serm, 1998, p.41

7

D. Annequin & al, Idem, p.41.

8

Cady et al., Primary Headaches : A Convergence Hypothesis.Headache 2002;42:204-16.

Douleurs, 2005, 6, 2

83

diversité et la multiplicité des tableaux observables, maisqu’il en constitue, de façon plus ou moins explicite, uneréduction, un résumé représentatif, un portrait à la foiscondensé et exemplaire, pour tout dire un prototype

9

.

Prendre la mesure de cette réduction

Si la douleur migraineuse est exemplairement latérale et pul-satile, toutes les douleurs migraineuses ne se laissent pasréduire à ces deux seules propriétés. Ce ne sont là que deuxéléments d’un plus vaste ensemble de qualités descriptives.Le questionnaire McGill permet d’obtenir ce que ses auteursappellent « une constellation spécifique de mots

10

», c’est-à-dire un ensemble d’adjectifs applicables à la douleur ressen-tie par le patient, et qui en permet une définition précise. Parexemple, ce questionnaire a été appliqué dans la céphaléemigraineuse décrite comme « aiguë » à la différence du « ser-rement » de la céphalée de tension

11

. Son utilisation a encoremontré récemment la richesse des formulations et leur mul-tiplicité : les migraineux utilisent en moyenne entre douze ettreize mots sur les vingt possibles du questionnaire pourrendre compte de leur douleur de crise

12

.

Vers l’élaboration d’une constellation spécifique de la douleur migraineuse

Reprenant les objectifs initiaux de Melzack

et al.

, nous sou-haitons continuer l’étude descriptive de la douleur, et plusprécisément, ici, de la douleur migraineuse. Seuls les moyensdiffèrent : le questionnaire n’est plus une fin en soi, mais lapremière étape d’une analyse plus longue. Il s’agit d’encou-rager les patients migraineux,

de formulations en formula-tions

, à enrichir leurs propres descriptions.

MÉTHODOLOGIE

Une formulation verbale « assistée » par questionnaire

Des questionnaires ont été donnés aux patients souffrant decéphalées et consultant pour cette raison. Ces questionnaires

proposaient quelques exemples aux patients mais restaient

volontairement très « ouverts », chaque patient étant expli-

citement invité à trouver ses propres mots, ses propres

métaphores pour cerner, au plus près, la nature de ses dou-

leurs céphaliques. Les réponses obtenues n’étaient donc

pas une fin en soi mais avaient pour but de focaliser les

patients sur la description, l’intensité, le déroulement et la

localisation de cette douleur ; ces réponses étaient donc

reprises et commentées lors d’une consultation ultérieure.

Cette formulation n’est pas journalière ; elle constitue déjà une abstraction

Il n’a pas été demandé à chaque patient de décrire chacune

des crises éprouvées au jour le jour. On peut donc penser

qu’ils ont décrit « une » crise exemplaire, c’est-à-dire une

crise abstraite, la crise susceptible de représenter l’ensemble

des crises particulières ressenties.

Population

L’étude porte initialement sur vingt cinq patients adultessouffrant de maux de tête chroniques, examinés dans uncentre d’évaluation et de traitement de la douleur en milieuhospitalier. Ces vingt cinq patients testés ont d’abord rem-pli une feuille correspondant aux critères IHS de migraine

13

(tableaux I, II)

. Puis, les 25 patients ont tous rempli

unquestionnaire

sur leurs céphalées. Les réponses ont étéreprises

oralement

avec chaque patient en consultation.Certains patients ont pu être vus plusieurs fois et remplirdeux questionnaires (exemple du sevrage d’un abus d’anal-gésiques). L’objectif était moins de réunir des réponses chif-frables que d’expliciter les raisonnements effectués par lespatients. L’approche est résolument qualitative. Le détaildes questions et réponses apparaîtra plus loin. Sur ces vingtcinq patients nous n’avons retenu que les seize questionnairesattestant, avec suffisamment de points convergents, l’exis-tence d’une migraine (avec ou sans aura). Ces seize ques-tionnaires sont présentés selon des critères définis dans lepremier tableau, qui reprend également selon les critèresIHS 2003, le diagnostic retenu lors de la consultation. Undeuxième tableau récapitule les observations selon les caté-gories de l’IHS 2003. Un troisième tableau complète la pré-sentation des questionnaires avec quelques remarquesponctuelles lorsqu’un écart est apparu entre les données duquestionnaire et le diagnostic retenu lors de la consultation.

RÉSULTATS

La douleur migraineuse est hétérogène, mais il est possible de

prendre la mesure de cette hétérogénéité. Le questionnaire a

sollicité les formulations des patients de trois manières :

9

On appelle

prototype

le meilleur exemplaire d’une catégorie. Leprototype est l’élément le plus familier de cette catégorie, c’est-à-dire celui qui vient le plus rapidement à l’esprit, en quelque sorteson meilleur exemple ou son meilleur représentant (par exemple,le prototype des fleurs, c’est la rose).

10

« Une des découvertes les plus intéressantes née de ce question-naire, c’est que chaque type de douleur est défini par une constel-lation spécifique de mots » in Melzack Ronald and Wall Patrick,

Ledéfi de la douleur

, traduction de A. Bohuon, Vigot-Edisem (ed),1989, p. 34. Les auteurs renvoient eux-mêmes à un autre article :Dubuisson D. and Melzack R. Classification of clinical pain descrip-tions by multiple group discriminant analysis, Exper

Neurol1976;51:480-87.

11

Hunter M, Philips C. The experience of headache pain – an assess-ment of the quality of tension headache pain. In: Pain 1981;10:209-19.

12

Mongini et al. Confirmation of the Distinction Between ChronicMigraine and Chronic Tension-type Headache by the McGill PainQuestionnaire. Headache 2003;8:867-77.

13

Feuilles et réponses obtenues d’après des questions tirées del’enquête FRAMIG 2000.

Douleurs, 2005, 6, 2

84

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2003

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-29

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Douleurs, 2005, 6, 2

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Douleurs, 2005, 6, 2

86

Une formulation faisant appel à un choix de verbes ; une for-mulation faisant appel à des comparaisons ou à des métapho-res et une formulation sollicitant une accumulation d’adjectifs.

Utilisation des verbes pour définir la douleur migraineuse

Le malade est invité à utiliser des verbes pour décrire sadouleur, soit ceux figurant dans une liste proposée, soitceux de son choix. Il peut utiliser plusieurs verbes s’il lesouhaite. De cette façon, il peut cerner progressivementl’hétérogénéité de sa douleur.

La pulsatilité est fréquente mais pas systématique

Quatorze consultants sur seize expriment très explicitementla pulsatilité (ça cogne). Onze sur treize l’avaient déjà indi-quée dans le questionnaire FRAMIG 2000

(tableau III)

. Uneconsultante P21 peut donner des réponses contradictoirescar elle dit ne pas ressentir de battements dans le question-naire FRAMIG mais elle utilise dans les verbes « ça cogne ».En revanche, deux consultantes montrent que cette caracté-ristique peut-être absente. Par exemple, P6 n’utilise qu’unseul verbe pour une douleur très spécifique (ça ronge). Laseconde patiente P9 retient le même verbe (ça ronge) maisprécise sa douleur en utilisant d’autres verbes (ça pince, çaserre, ça ronge, ça tire). La pulsatilité est parfois liée à telle outelle zone douloureuse ; par exemple P4 précise que çacogne

« sur la tempe »,

mais que ça déchire

« à l’œil »

.

Le serrement est plus fréquent que prévu

Si l’on se rapporte aux critères IHS, la pulsatilité est liée à lamigraine, et le serrement est plutôt la caractéristique liée à la

céphalée de tension. Or, notre corpus montre que le serre-ment constitue une caractéristique majeure de la douleurmigraineuse dans la mesure où sept consultants sur seizel’évoquent. Le serrement n’est pas la seule caractéristique dela douleur mais en constitue l’un des éléments importants. Parexemple, P10 dit qu’il éprouve une douleur dans laquelle

« çacogne, ça serre, ça creuse »

. P3 est encore plus précis dans lamesure où le serrement et la pulsatilité peuvent soit se mani-fester consécutivement, soit simultanément :

« Au début çaserre, puis ça cogne. Puis ça cogne et ça serre en mêmetemps »

. Le serrement n’est pas seulement associé à la pulsati-lité ; il peut être également lié à d’autres qualités doulou-reuses, l’étirement et la corrosion chez P9 (ça pince, ça serre,ça ronge, ça tire), la corrosion chez P15 (d’abord ça cogne,puis ça serre et ça ronge en même temps).

La corrosion occupe une place égale au serrement

Quatre malades utilisent

« ça ronge »

et montrent que cetteimpression de corrosion n’est pas négligeable pour carac-tériser la douleur migraineuse. Un malade, P6, en fait mêmela seule caractéristique de sa douleur. Les trois autres asso-cient ce verbe à d’autres caractéristiques, la pulsatilité chezP8, l’étirement chez P9, la pulsatilité et le serrement chezP15.

Une tête qui explose ou qui éclate

Contrairement à ce que nous attendions, explosion et écla-tement ne sont évoqués que par quatre consultants seule-ment. P5, de façon plus prévisible cette fois, en fait l’une descaractéristiques associées à la pulsatilité :

« ça cogne, çaexplose, ça éclate »,

comme P26 (« ça cogne, ça explose). Et

Tableau IICodage IHS 2003 et sélection des questionnaires.

Code IHS 2003 Intitulés des céphalées Nombre Retenu pour cette étude

1.1.

1.2.1.

1.5.1.

1.6.1

2.3.2

4.8.

8.2.2.

8.2.3.

8.2.4.

Total

Migraine sans aura

Migraine avec aura : aura typique et céphalée migraineuse

Migraine chronique

Migraine probable sans aura: tous les critères sont là sauf 1 (parmi A, B, C, D)

Céphalée de tension chronique non-associée avec une sensibilité péricranienne

Céphalée quotidienne durable d’apparition récente (NDPH*)

Céphalée par abus de triptan

Céphalée par abus d’analgésique

Céphalée par abus d’opioïde

13

3

3

2

1

1

1

1

1

26

11 (2 non retenus car association à céphalées de tension 2.2.2)

3

0

2

0

0

0

0

0

16

* New daily-persistent headache (NDPH).

Douleurs, 2005, 6, 2

87

P11 multiplie les verbes pour mieux donner cette impres-sion d’une douleur volcanique :

« Ça cogne, ça explose, çaserre, ça boue, ça bagarre, c’est comme un combat, çatape, ça frappe, ça serre ».

P25 éprouve aussi cette impres-sion d’éclatement, mais localisée à l’œil (alors que le reste desa topographie de douleur est différent

« ça cogne, ça lance,ça pèse)

.

La mesure de l’hétérogénéité de la douleur

La douleur migraineuse est hétérogène, mais les maladesrestent capables d’en apprécier les composantes. Si onconsidère l’ensemble des réponses des seize patients, ildevient possible d’établir une sorte de portrait robot de ladouleur migraineuse. Pulsatilité (ça cogne, ça tape, çafrappe) = 14/16 ; serrement (ça serre) = 7/16 ; corrosion (çaronge, ça creuse) = 3/16 ; explosion (ça explose, ça éclate)= 3/16 ; pincement (ça pince) = 3/10 ; étirement (ça tire)= 1/10 ; déchirement (ça déchire) = 1/10. Cette représenta-tion ne prend pas en compte la pondération de chaque qua-lité douloureuse selon qu’elle se trouve isolée ou, aucontraire, associée à d’autres qualités.

Utilisation des métaphores pour définir la douleur migraineuse

Les 16 patients sont invités, dans un second temps, à uti-liser des métaphores

14

. Un exemple leur est donné dont ilspeuvent s’inspirer. On constate que les patients combinentdeux stratégies de réponses. La première consiste à synony-miser les réponses précédentes, et la seconde consiste àles compléter. D’où l’impression générale d’un enrichisse-ment progressif et dynamique de la description. Certains

patients sont assez réticents dans la production de méta-

phores alors qu’ils n’ont pas d’hésitations à utiliser les

verbes ou les adjectifs.

Pulsatilité et métaphore du battement cardiaque

Seulement deux consultants, sur les quatorze à ressentir la

pulsatilité, utilisent le battement cardiaque pour la décrire.

Ainsi P4 qui avait choisi le verbe « ça cogne » nous propose

la métaphore suivante :

« C’est comme si j’entendais le bat-

tement de cœur d’un futur bébé à l’échographie »

. De

même, P5 qui avait également utilisé « ça cogne » mais en

association avec l’idée d’une explosion («

ça explose, ça

éclate

») propose cette même métaphore d’un cœur installé

dans le périmètre du crâne :

« C’est comme si j’avais le

cœur qui battait dans ma tête ».

Des métaphores instrumentales

Sollicités pour la métaphore, six patients sur seize utilisent

des instruments : P15 synonymise également la pulsatilité,

mais en utilisant des machines bruyantes et à percussion

rapide :

« C’est comme si c’était une mèche de perçeuse.

C’est comme si c’était un marteau-piqueur ».

D’autres métaphores instrumentales reformulent tantôt

l’étirement et la corrosion :

« C’est comme si je recevais

un coup de poignard lent et continu »

(P9). Ou une dou-

leur pénétrante comme P24 («

un tournevis, ou une

vrille, fonctionne dans ma tête

») ou comme P25 («

une

aiguille à tricoter transperce la pupille, traverse le globe

oculaire dans un mouvement perpétuel

»). La méta-

phore d’un casque trop étroit permet à P3 de mieux

exprimer la notion de serrement, en même temps qu’il

permet d’introduire la notion de lourdeur :

« C’est comme

si je portais un casque intégral beaucoup trop petit

pour ma tête et très lourd »

. «

La tête dans un étau

»,

métaphore la plus admise pour le serrement, n’est utilisé

que par P18 (sur sept patients qui ont utilisé le verbe «

ça

serre

»).

14

« Quelqu’un en proie à une douleur atroce peut la qualifier debrûlante et ajouter, embarrassé et en larmes, « c’est comme si onm’enfonçait un fer rouge dans les orteils en le faisant tourner lente-ment ». L’expression « comme si » est souvent indispensable pourtraduire les caractéristiques de l’expérience ». in Melzack Ronaldand Wall Patrick,

Le défi de la douleur

, traduction de A. Bohuon,Vigot (ed) edisem, 1989, p. 32.

Tableau IIIRemarques ponctuelles concernant les questionnaires retenus pour cette étude.

Remarques justifiant le diagnostic de migraine malgré un questionnaire ne remplissant pas les critères IHS

P4

P6

P9

P10

P14

P19

Crises > 72 h car phase de résolution incluse dans la durée (la phase céphalalgique est inférieure à 72 h)

Questionnaire rempli en fonction des crises courantes et peu importantes car traitées efficacement

Crise : durée variable (1/2 h avec traitt) ; une crise de 4 j

Critère de durée : renseignement en fonction de la crise la plus longue et exceptionnelle

Critère de durée non rempli : car elle se traite toujours et dès le début

Critère de durée : disparition très lente de la céphalée mais la phase intense dure 24 h

Douleurs, 2005, 6, 2

88

Des métaphores ontologiques

Quatre patients sur seize vivent leur douleur comme uneagression d’un corps ou d’une entité étrangère et mal-veillante. P6, par exemple, nous dit qu’il éprouve

« l’impres-sion que quelque chose attaque mon visage d’un seul côté(le droit) »

, tandis que P8 imagine devoir enlever

« quelquechose d’abominable ». Cette chose est indéterminée maistrès présente ; il a l’« impression d’avoir quelque chose demauvais derrière l’œil ». Pour P23, c’est plus précis et inté-rieur : « une bête me ronge dans la tête ». Alors que pour P26,l’agression est multiple et extérieure « un troupeau de bisonscourt, des milliers de sabots piétinent mon cerveau encadence », ce qui se rapproche de P11 « ma tête est sonchamp de bataille, c’est comme une invasion ».

Apparition d’autres qualités douloureusesCe second exercice, venant après celui consacré à l’utili-sation des verbes, permet aux patients de prolonger l’ana-lyse d’une douleur qui ne se laisse que progressivementcerner. Ainsi P3 qui, avec des verbes, a déjà décrit unedouleur où se combinent la pulsatilité (ça cogne) et le ser-rement (ça serre), ajoute maintenant l’idée d’une lour-deur, et même, nous semble-t-il, l’idée d’unehypertrophie de la tête par rapport à l’ensemble ducorps : « C’est comme si je portais un casque intégralbeaucoup trop petit pour ma tête et très lourd. C’estcomme si ma tête pesait une tonne et était posée sur unetige de roseau ». P2 semble profiter de cette nouvelle pos-sibilité d’expression pour compléter le verbe préalable-ment utilisé (« ça cogne »). Non seulement il éprouve cebattement mais aussi un effet d’engourdissement : « C’estcomme si la moitié de ma tête était engourdie par ladouleur ».

Variabilité de la richesse métaphorique lors du remplissage du questionnaireSi sept patients ont pu inscrire des métaphores de leur dou-leur migraineuse, trois n’en ont trouvé aucune. Dans ce der-nier cas comme dans les autres, le verbe n’a jamais manqué.Parmi les consultants, six patients ont fourni deux méta-phores. D’une manière générale, les métaphores ont montréleur utilité car elles ont pu selon les cas faire apparaître ouconfirmer le caractère pulsatile, mais également ouvrir surles aspects émotionnels de la souffrance de la crise.

Utilisation des adjectifs pour définir la douleur migraineuseLes seize patients sont invités, dans un troisième temps, à uti-liser des adjectifs. Quelques exemples leur sont donnés, maisen nombre très restreint. Cet exercice reste donc très« ouvert » et sollicite assez fortement les capacités de verbali-sation des patients. Les éléments strictement descriptifs sefont plus rares, alors que les éléments expressifs apparaissent

très massivement15. Néanmoins il est possible de faire appa-raître certaines caractéristiques que les deux premiers exer-cices n’avaient qu’assez peu évoqué et donc de compléterune sorte de « portrait robot » de la douleur migraineuse.

Une douleur insistante

P4, P10, P23 et P24 considèrent qu’il s’agit d’une douleur« incessante ». P5 va plus loin et ajoute qu’il s’agit non seule-ment d’une douleur « incessante » mais aussi d’une douleur« obsédante ». P2, préfère parler d’une douleur « tenace »,tandis que P3 évoque une douleur « lancinante ». P6 parle,plus simplement, de douleur « constante » et P9 de douleur« continue ». Enfin, P11 et P14 résument les adjectifs précé-dents en parlant de douleur « omniprésente ». En d’autrestermes 13 patients sur 16 font ressortir cette insistance de ladouleur migraineuse ; on peut donc la considérer commesignificative.

Une douleur épuisante

Ils sont six à évoquer la fatigue provoquée par la migraine.C’est le cas de P6 qui se contente simplement d’évoquer unedouleur « fatigante ». P3 et P5 sont plus précis et parlent res-pectivement d’une douleur soit « usante », soit « tuante »Elle est même « annihilante » pour P25. Mais c’est P11 quiinsiste le plus dans la mesure où il procède par une accumu-lation de quatre adjectifs plus ou moins synonymes : « C’estune douleur fatigante, usante, éreintante, pénible ».

Une douleur déprimante, insupportable

C’est une douleur dont les patients soulignent le caractère« insupportable » (P2 et P6). Plusieurs qualificatifs conver-gent. P3 parle d’une douleur « déprimante ». P8 parle d’unedouleur « atroce, invivable, mauvaise », combinant ainsitrois adjectifs dont les effets de sens se renforcent mutuelle-ment. P11 n’est pas en reste et multiplie, lui aussi, adjectifset expressions pour présenter une douleur « qui broie, quiprend la tête, pénible ».

Une douleur vive et « pointue »

En parlant de douleur vive, les patients ne font pas qu’évoquerseulement l’intensité de cette douleur ; ils veulent aussi parler

15 Boureau F, Luu M, Doubrere JF. Comparative study of the validityof four French McGill Pain Questionnaire (MPQ) versions. Pain1992;50:59-65. Ce résultat est à rapprocher du QDSA, questionnai-re sur la verbalisation de la douleur également construit sur l’utili-sation des adjectifs. À la différence du QDSA, notre questionnairene propose aux patients, à titre d’exemples, que trois ou quatre ad-jectifs et il appartient aux patients de « trouver » les adjectifs quiconviennent le mieux à la description de leur propre douleur. Nosrésultats font apparaître que les adjectifs semblent davantage utili-sés pour décrire certaines caractéristiques expressives (ex : tuante)de la douleur et n’être qu’assez peu utilisés pour cerner les qualitésdescriptives (ex : pulsatile) de ces douleurs. En d’autres termes, lechoix de telle ou telle catégorie verbale nous semble avoir un cer-tain « effet » sur les concepts développés par les patients.

Douleurs, 2005, 6, 2 89d’une douleur hyperactive. L’intensité est exprimée par lesadjectifs suivants : « une douleur lourde » (P2, P6 et P11),« une douleur pressante » (P3), « une douleur vive » (P4),« une douleur puissante » (P5), « une douleur forte » (P11),une « douleur violente » (P14), une « douleur atroce » (P26). Ils’agit d’une douleur très alerte, ce que soulignent P3 en parlantde « douleur alternative » (il accompagne son propos d’undessin montrant des dents-de-scie), P5 et P9 en parlant de« douleur aiguë ». C’est encore cet aspect que P9 semble lemieux exprimer en parlant d’une « douleur pointue ».

Des qualités déjà expriméesEnfin, P3 en parlant d’une « douleur pulsatile » et P11 enparlant d’une « douleur explosive » retrouvent des qualitésdouloureuses déjà formulées lors des deux tests précé-dents.

Définir un ensemble de formulations non excluesLe même item — par exemple ça cogne — peut devenirl’élément d’un ensemble, ou d’une constellation pourreprendre le terme de Melzack et al., à chaque fois diffé-rent. Il suffit de comparer les réponses suivantes : ça cogne,chez le patient P2 est choisi seul, à l’exclusion de tous lesautres verbes. Alors que chez le patient P5, le même verbeest choisi en même temps que ça explose et ça ronge, etchez le patient P10 en même temps que les verbes ça serreet ça creuse. En d’autres termes, le même item n’a pas lamême valeur descriptive dans tous les cas de figure et sacontribution à la définition de la douleur peut être distincteselon les cas :P2 : Ça cogne.P5 : Ça cogne. Ça explose. Ça éclate.P10 : Ça cogne. Ça serre. Ça creuse.C’est également le cas du verbe « ça serre » qui se trouvepris dans des ensembles différents d’un patient à l’autre :P3 : Ça cogne. Ça serre !P9 : Ça pince. Ça serre. Ça ronge. Ça tire.P10 : Ça cogne. Ça serre. Ça creuse.Même remarque avec le verbe « ça ronge » :P6 : Ça ronge.P8 : Ça cogne. Ça ronge.P15 : Ça serre. Ça ronge.Si, comme semble le suggérer la linguistique, c’est la rela-tion d’équivalence qui fonde abstraitement l’identité duconcept, force est de reconnaître que l’équation « douleur= {ça cogne} » n’a pas la même valeur que l’équation « dou-leur = {ça cogne, ça serre} ». Il convient, selon nous, deprendre en compte non pas l’item lui-même mais sa valeurrelative. Logiquement, l’identité conceptuelle à prendre encompte est celle d’un rapport d’opposition. Les verbesexclus, autant que les verbes choisis, participent logique-ment de la description de la douleur. Il est des cas où « ça

serre » et « ça cogne » sont mutuellement exclusifs, et d’autrecas où ces deux verbes ne le sont pas. L’identité concep-tuelle se mesure alors à l’identité d’un rapport16, celui quioppose l’ensemble des items exclus à l’ensemble des itemschoisis. Ce rapport, finalement très abstrait, n’est sans doutepas la douleur elle-même, mais la douleur telle que le patientlocuteur peut l’aborder en la conceptualisant au plus près. End’autres termes, la « douleur dite » ne peut que tendre à coïn-cider avec la « douleur perçue », mais elle ne peut y parvenirque par une dynamique de (re)formulations. Et les maladesnous disent qu’ils « redécouvrent » leur propre douleur au furet à mesure qu’ils la disent ou qu’ils la conceptualisent.

BilanAu total, la douleur éprouvée par les patients résiste à uneformulation homogène. Les patients sont amenés à retenirplusieurs verbes, plusieurs comparaisons ou métaphores,plusieurs adjectifs, tous les mots retenus contribuant àdéfinir une douleur finalement relativement composite,et différente d’un patient à l’autre. La douleur n’a que trèsrarement la définition d’un seul mot « ça cogne », trait des-criptif élémentaire qui serait exclusif de tous les autresmots ; la douleur migraineuse, au contraire, est la résul-tante d’une mosaïque d’impressions diverses qui ne selaisse cerner que par une succession de formulations.Encore faut-il que le dispositif d’observation laisse la pos-sibilité aux patients de formuler progressivement, essaiaprès essai, une douleur aussi effective que difficilementconceptualisable. De ce point de vue, inviter les patientsà passer des verbes aux adjectifs, les encourager à pro-duire des métaphores ne peut que les aider à obtenir ceteffet recherché : celui d’une convergence entre formula-tions différentes aboutissant à une « constellation spéci-fique de mots », potentiellement toujours à reprendre etsusceptible d’être encore précisée.

DISCUSSION

L’intérêt de l’approche verbale de la douleur a déjà été argu-menté. Nous voulons simplement revenir sur quelquespoints que notre étude permet plus précisément d’aborder…

16 Ce rapport nous paraît correspondre au « vocable » tel que le dé-finit J. Gagnepain, c’est-à-dire à « la classe des substitutions sémio-logiquement possibles sans altération de l’identité du concept »,plus précisément à « la convergence de ce qui, même différencié,n’est pas exclu ». Des mots lexicalement différents convergentpour dire une « même » douleur. C’est cette convergence, qui abou-tit à ce que Melzack et al. nomment une « constellation spécifiquede mots », créant ainsi l’identité sémantique d’une douleur dès lorsdéfinissable malgré son hétérogénéité interne. J. Gagnepain, Duvouloir dire. Traité d’épistémologie des sciences humaines. I. DuSigne. De l’Outil, Paris-Oxford, 1982, p. 86-7.

Douleurs, 2005, 6, 290Implicite et expliciteLe premier bénéfice de cette analyse des douleurs migrai-neuses est sans doute d’expliciter le savoir implicite quetout spécialiste de la douleur migraineuse a pu, au fil dutemps, progressivement capitaliser. Au fond, le cliniciensait que les tableaux migraineux sont très diversifiés etcomplexes ; reste à prendre la mesure de cette hétérogé-néité. Cette étude ne vise qu’à y contribuer.

Relativité des symptômesLe second bénéfice de ce travail n’est qu’une confirma-tion du caractère relatif des symptômes. (1) La pulsatilitéest effectivement présente dans la douleur migraineuse,mais elle n’est pas la seule qualité évoquée par les patients,à loin près. Quelques rares malades ne l’évoquent d’ailleurspas. (2) Les migraineux se plaignent souvent de serre-ment alors qu’on attend plutôt cette dimension doulou-reuse chez les patients souffrant de céphalée de tension.(3) Par ailleurs, la dimension de la corrosion (« çaronge ») est remarquablement présente. (4) On prendégalement la mesure de la diversité des expressions de ladouleur migraineuse d’un patient à l’autre, alors que leprofil douloureux reste, le plus souvent, étonnammentconstant chez un même patient.

Nécessité d’une mesure fine de la douleurLe troisième bénéfice de cette approche est peut-être un peuplus spéculatif. Chez les patients rebelles aux médicaments,il est nécessaire de mieux analyser les gains thérapeutiquesrespectifs de telle ou telle prescription. Une meilleure ana-lyse des symptômes douloureux doit pouvoir fournir à cespatients un meilleur « algomètre », les rendant capables demieux cerner les effets partiels des médicaments, non seule-ment en terme d’intensité de la douleur, de délai d’action desmolécules, de leur durée d’action, d’incapacité, mais aussi enterme de qualité de cette douleur.

Longueur de l’analyseL’une des objections qui pourraient être adressée à cette étudeconcerne sa longueur et la difficulté de la mettre en œuvre enmédecine courante. L’approche verbale de la douleur migrai-neuse est effectivement demandeuse de temps. Nous ne pen-sons pourtant pas qu’elle relève seulement de l’approchescientifique ou explicative ; elle peut devenir, dans certains casprécis, un élément de la pratique clinique courante. Rappelonsqu’elle ne s’adresse qu’à des migraineux chroniques etsévères, amenés par conséquent à consulter assez périodique-ment. La succession des consultations permet d’enrichir pro-gressivement le descriptif des douleurs ressenties. De plus, lequestionnaire est rempli par les patients avant la consultation.Seul son commentaire est effectué en séance. C’est donc sur-tout la première lecture qui prend effectivement du temps.

Contribuer à la démarche diagnostiqueD’une façon générale, et en dehors des céphalées, on saitque la description de la douleur peut permettre d’affiner cer-tains diagnostics (Van Buren et al.17 ; Grushka et al.18 ; Mel-zack et al.19 ; Jerome et al.20 ; Mongini et al.21). En ce quiconcerne les douleurs céphalalgiques, on peut espérer obte-nir des éléments d’un diagnostic différentiel. Ce travail sur ladouleur migraineuse doit donc être prolongé pour aborder ladescription de la douleur d’autres tableaux céphalalgiques.

Construire une douleurIl nous apparaît aussi que le dispositif utilisé contraint ladescription de la douleur et que cette douleur ne préexistepas à l’outil utilisé pour en rendre compte. Même si onobserve une convergence de sens selon la formulation, ladouleur se présente un peu différemment selon que l’onpropose au patient des adjectifs, des métaphores, ou desverbes. De même, la reprise des formulations au cours deconsultations successives montre une possible évolution del’expression verbale de la douleur, une précision de la ver-balisation alors que le patient ne dit pas avoir une céphalée« différente » et que le neurologue ne perçoit pas de modi-fication qui remettrait en cause le diagnostic de migraine.La formulation verbale de la douleur migraineuse peutchanger avec le dispositif d’observation alors même que lescritères de migraine restent présents.

CONCLUSIONS

Utiliser les ressources de la sémantique pour approcher la douleurDans une perspective actuelle, la qualité douloureuse estune préoccupation du clinicien pour arriver au diagnosticde céphalée. Toutefois le « caractère pulsatile » de lamigraine paraît un critère relatif, une réduction qui favorisel’une des caractéristiques seulement de la douleur migrai-neuse. La douleur migraineuse est très hétérogène et il estpossible d’en prendre la mesure. Il convient donc de

17 Van Buren, J, Kleinknecht, RA. An evaluation of the McGill PainQuestionnaire for use in dental pain assessment, Pain 1979;6:23-33.18 Grushka, M, Sessle, BJ. An applicability of the McGill Pain Ques-tionnaire to the differenciation of “toothache”. Pain 1984; 19:49-57. 19 Melzack R. Terrence C., Fromm G., and Amsel R. Trigeminal neu-ralgia and atypical facial pain: use of the McGill Pain Questionnairefor discrimination and diagnosis. Pain 1986;27: 297-302.20 Jerome A, Holroyd KA, Theofanous AG, Pingel JD, Lake AE, SaperJR. Cluster headache pain vs. other vascular headache pain: diffe-rences revealed with two approaches to the McGill Pain Question-naire. Pain 1988;34:35-42.21 Mongini F, Italiano M. CMJ disorders and myogenic facial pain. Adiscriminative analysis using the McGill Pain Questionnaire. Pain2001;91:323-30.

Douleurs, 2005, 6, 2 91reprendre les objectifs de Melzack et al., et d’encouragerl’analyse conceptuelle et descriptive de la douleur par lespatients eux-mêmes. Des migraineux sévères verbalisentleur propre douleur, par capitalisation progressive de plu-sieurs types de formulations, des verbes, des métaphores etdes adjectifs. Ils élaborent progressivement un certain « pro-fil » de leur propre douleur migraineuse. Les patients sontco-auteurs de leur propre analyse parce qu’ils ne sont pasconfrontés à un questionnaire fermé du type « case àcocher ». Ils choisissent leurs mots, élaborent leurs propresmétaphores, confrontent leurs réponses aux différents sub-tests, reprennent leurs réponses antérieures pour les modi-fier ou les compléter. De plus, ils inscrivent leurs réponsesdans le temps et dans le suivi des consultations. Au-delà dechaque patient, il devient possible de dégager, par recoupe-ment des réponses individuelles, une identité de la douleurmigraineuse, éventuellement opposable à d’autres tableauxcéphalalgiques.

Place de la pulsatilité parmi les caractéristiques de la douleur migraineuseSi les caractéristiques de topographie (latéralité) et de qualitédouloureuse (pulsatilité) sont des données de référence de ladouleur migraineuse, l’interrogatoire de nos patients montreun lien fréquent entre ces deux données essentielles : telletopographie est liée à telle qualité douloureuse. Dès lors, onvoit que si la pulsatilité est présente, elle témoigne autant dela topographie que de la qualité de la douleur. De plus, lapulsatilité n’est pas constante au cours d’une crise migrai-neuse mais elle peut en être un événement temporaire, suc-cédant ou suivant une autre qualité de douleur. La pulsatilitéest souvent pour nos patients seulement une fraction de latopographie de la douleur et un fragment des types de dou-leurs ressentis au cours d’une crise complète.

Les déterminants de la qualité douloureuseLa dernière question est spéculative : quelle est la consé-quence en termes de qualité de douleur d’un mécanismedouloureux ? La « pulsatilité » de la douleur migraineuse est-elle en lien, et comment, avec les modifications vasculaires ?Plus généralement, qu’est-ce qui fonde biologiquementl’expérience qualitative de la douleur et quel est ce lienentre mécanisme biologique et qualité douloureuse ? On nepeut pourtant pas éliminer d’autres facteurs de « confu-sion » car le langage est aussi à la croisée d’autres détermi-nismes culturels. Ces déterminants sont marqués del’appartenance sociale, mais aussi par l’expression ou laretenue de la plainte à travers le discours, et encore parl’univers technique des outils qui imprime sa marque sur lamétaphore de la douleur. S’il y a donc un possible lien entremécanisme biologique et qualité de la douleur, ce lien nepeut être étudié sans également prendre en compte la

manière dont cette qualité s’élabore culturellement. Lescapacités diagnostiques d’une douleur à travers le langagesont donc à la fois permises par celui-ci mais toujours et enmême temps complexifiées par lui. ■

Remerciements. Les auteurs dédient ce texte à MauriceBensignor, pour l’aide apportée à ce texte, mais aussi pourson écoute amicale, ses encouragements et son enseigne-ment.

RésuméCe travail cherche à exploiter les capacités de verbalisation des pa-tients douloureux, en particulier migraineux. Partant de leur des-cription de la douleur, encouragée par un questionnaire ouvert etcommentée verbalement durant la consultation, il vise à reprendrele principal critère descriptif de la douleur migraineuse, la pulsati-lité, et à en explorer les variations. Le questionnaire a été utilisépour vingt-cinq consultants. Les résultats montrent une hétérogé-néité importante de la verbalisation douloureuse et une importantediversité expressive qui dépasse la seule pulsatilité. Enfin, si la qua-lité douloureuse est déterminée par les événements physiopatholo-giques de la crise migraineuse, elle l’est également par le langage etvarie en particulier selon que l’on utilise, adjectifs, métaphores ouverbes pour tenter d’en rendre compte.Mots-clés : migraine, questionnaire, langage, sémantique.

Summary: Heterogeneous nature of migraine headacheWe wanted to explore the capacities of patients with pain, partic-ularly migraine headache, to express their suffering. Startingwith their description of pain, favored by an open questionnaireand a face-to-face interview commenting the questionnaire, weidentified the main criteria used to describe migraine headache:pulsatility, and explored its variations. The questionnaire wasused by twenty-five patients attending consultations. The resultsrevealed the very heterogeneous nature of patients’ expression ofpain, and the divers words used to describe it, going beyond pul-satility. We found that while the quality of the pain is determinedby pathophysiological mechanisms underlying migraine head-ache, it is also affected by the language used to describe it andvaries depending on whether the patients use adjectives, meta-phors, or verbs to express their suffering.Key-words: migraine, questionnaire, language, semantics.

Tirés à part : V. CAHAGNE,Service de neurologie (Pr Edan),

et Consultations de la douleur (Pr Ecoffey),Centre Hospitalier Universitaire,

2, rue Henri Le Guillou,35033 Rennes.