hommage cabu

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26 Versailles Magazine février 2015 Versailles Magazine février 2015 27 TéMOIGNAGE Cabu, tendre et indomptable La Ville de Versailles rend hommage à Cabu mort le 7 janvier dernier comme un autre grand dessinateur de presse, Georges Wolinski, et trois de leurs disciples : Charb, Tignous, et Honoré. Jean Cabut, personnalité émouvante et géniale, dessinateur hors du commun, caricaturiste incisif et juste, fut élève au Lycée Hoche dans les années 50, juste avant de découvrir Paris et de poursuivre le destin qu’il s’était, très tôt, lui-même tracé. Q uand il arrive au Lycée Hoche, le jeune Jean Cabut est déjà re- connu. Né le 13 janvier 1938 à Châlons-en-Champagne, il passe son enfance à Châlons-sur-Marne où son père, Marcel Cabut est pro- fesseur à l’École Nationale Supé- rieure des Arts et Métiers. À 12 ans déjà, il remporte un premier prix d’un concours de dessin pour le magazine Cœurs Vaillants et signe ses illustrations sous le nom de J.K Bu. Il s’installe à Paris en 1954, dé- couvre Trenet à L’Olympia, le jazz, fréquente l’École Estienne et croque des modèles vivants les week-ends à L’Académie Julian. De ses débuts, Cabu gardera toujours la fraîcheur et la curiosité, la soif de l’étudiant puis du reporter, le désir de saisir, l’envie de traduire la vie, de la « cho- per » dans ce qu’elle a de plus drôle, de plus dur, et de plus émouvant. « Quand vous faites du reportage, vous pouvez être en empathie. » Il confiait en 2011 au journal Le Monde : « Ne faire que du dessin de presse serait un peu monotone. L’ex- périence montre qu’il faut se déplacer, car on est toujours récompensé. Il y a toujours un détail, une gueule à des- siner, qu’on ne découvre qu’en allant voir sur place. » Son premier dessin de Parisien paraît dans Paris-Match en 1957. Il a 18 ans. Il illustre la vie des collégiens et des collégiennes de l’époque, comme il le fera aus- si en 1964, l’année de son retour à Versailles, en tant que reporter pour le magazine Pilote qui accueille le Grand Duduche. Dans le cadre d’une série sur les meilleurs lycées de France, Cabu a dû souhaiter inau- gurer la série par le Lycée Hoche. Et c’est ainsi que dans le n°222 de Pilote, on retrouve les dessins de Cabu, venu faire son reportage, 11 ans après son passage au lycée. Caché derrière son personnage, il évoque certains de ses professeurs : Monsieur Hélier, professeur de Mathématiques, Monsieur Mazin, professeur d’Histoire-Géographie… « Il parle de son 1 er Prix de Gymnas- tique, confie à quel point les frites du ly- cée sont bonnes et raconte, entre autres, que pour être un véritable crac à Hoche, il ne faut pas avoir le 1 er Prix de Philo- sophie, mais plutôt le plus de timbres de grandes valeurs… » raconte Ma- rie-Louise Mercier-Jouve, auteur d’un ouvrage sur l’histoire du Ly- cée Hoche * . Le coup de crayon, la tendresse, la légèreté de Cabu est là. les années 80 aux émissions de Jac- queline Joubert et en particulier de Récré A2 se souvient de Cabu, de Dorothée et de son fameux nez. Puis il s’amuse tout autant chez Mi- chel Polac dans Droit de Réponse. En 1992 il participe à la renaissance de Charlie Hebdo avec ses copains Ca- vanna, Delfeil de Ton, Siné, Gébé, Willem et Wolinski. Ils attirent de nouvelles signatures, dont Charb, Tignous ou Luz. Il perd son fils unique, Mano Solo, en 2010, et continue de plus belle à griffonner. En 2007, une exposition hommage a lieu à l’Hôtel de Ville de Paris. Sa- lué unanimement comme l’un des dessinateurs les plus doués du XX e siècle, il a été reconnu très vite par ses pairs et par un public nom- breux et de tous âges. Il laisse des milliers de dessins, de carnets de voyages, des dizaines d’ouvrages de caricatures ou de reportages. Merci à Marie-Louise Mercier Jouve et Florian Audouin (Association des Amis du Musée du Lycée Hoche), Thomas Legrain (Président des Anciens Élèves), Monsieur Loubignac (Président des Anciens Enseignants) et Loïc Toussaint de Quiévrecourt, proviseur du Lycée Hoche. *Le Lycée Hoche de Versailles par Marie-Louise Mercier-Jouve. Editions Patrice du Puy. Cabu était salué unanimement comme l’un des dessinateurs les plus doués du XX e siècle, TéMOIGNAGE L’émotion des Versaillais Plus d’un millier de personnes se sont réunies à l’appel du maire de Versailles le 8 janvier dernier devant l’Hôtel de Ville pour rendre hom- mage au dessinateur Cabu. Le 11 janvier, de nombreux Versaillais se sont joints à la marche parisienne et plus de 7000 personnes se sont ras- semblées place du Marché. « Nous gardons le souvenir de son parcours admirable, de son coup de crayon sans égal et de son humour corrosif. Il meurt assassiné à l’âge de 77 ans au côté d’autres grands noms du dessin de presse. Cette attaque fera 12 morts et mettra toute la patrie en deuil pour ses pertes tragiques et la menace lancée à l’encontre de ses valeurs. » écrit Amaury Criscuolo, administrateur de l’Association des Anciens Élèves de Hoche, dans son hommage au dessinateur. Et plus que ça. Son esprit, sa person- nalité. Derrière, son air d’éternel en- fant-adolescent, avec sa coupe de cheveux improbable, son air de ne pas y toucher, se cachaient une vir- tuosité et une maîtrise impression- nantes, à tel point qu’il lui arrivait de dessiner « à l’aveugle », en gar- dant son carnet et son crayon dans sa poche pour ne pas être repéré. Génération Récré A2 René Goscinny ne s’y trompe pas lorsqu’il l’embauche à Pilote. II écrit bien des années plus tard en 1979: « Une chevelure hirsute, d’étranges pe- tites lunettes à montures d’acier, un ac- coutrement qui doit plus à la fantaisie qu’aux exigences de la mode, des yeux candides, un sourire de cancre mali- cieux, c’est le Grand Duduche… et c’est aussi Cabu. » Le Grand Duduche, puis Le Beauf, il poursuit parallè- lement sa carrière de caricaturiste de presse, de dessinateur politique. En 1969, il rejoint Hara-Kiri Hebdo, puis Charlie Hebdo, collabore à un nombre impressionnant de jour- naux dont évidemment le Canard Enchaîné à partir de 1982. Toute la génération de quadra, nourrie dans Le Grand Duduche apparaît dans les pages de Pilote en 1963 et devient rapidement une des vedettes du journal. L’étudiant lunaire, amoureux transi de la fille du proviseur, déjà écolo, est en lutte permanente contre les professeurs, Belphégor le pion, la police, les parents. Fin 1963, Cabu, ancien élève, revient au lycée Hoche avec une équipe du journal Pilote, à l’occasion de l’ouverture du nouveau bâtiment scientifique et du gymnase. Il laisse du lycée de sa jeunesse des images pleines d’humour : à gauche «sortie d’un professeur», à droite «sortie d’un prof très populaire ». Des yeux candides, un sourire de cancre malicieux, c’est le Grand Duduche… et c’est aussi Cabu. © DR © DR © DR © DR

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Page 1: Hommage Cabu

26 Versailles Magazine février 2015 Versailles Magazine février 2015 27

Témoignage

Cabu, tendre et indomptableLa Ville de Versailles rend hommage à Cabu mort le 7 janvier dernier comme un autre grand dessinateur de presse, Georges Wolinski, et trois de leurs disciples : Charb, Tignous, et Honoré. Jean Cabut, personnalité émouvante et géniale, dessinateur hors du commun, caricaturiste incisif et juste, fut élève au Lycée Hoche dans les années 50, juste avant de découvrir Paris et de poursuivre le destin qu’il s’était, très tôt, lui-même tracé.

Quand il arrive au Lycée Hoche, le jeune Jean Cabut est déjà re-connu. Né le 13 janvier 1938 à

Châlons-en-Champagne, il passe son enfance à Châlons-sur-Marne où son père, Marcel Cabut est pro-fesseur à l’École Nationale Supé-rieure des Arts et Métiers. À 12 ans déjà, il remporte un premier prix d’un concours de dessin pour le magazine Cœurs Vaillants et signe ses illustrations sous le nom de J.K Bu. Il s’installe à Paris en 1954, dé-couvre Trenet à L’Olympia, le jazz, fréquente l’École Estienne et croque des modèles vivants les week-ends à L’Académie Julian. De ses débuts, Cabu gardera toujours la fraîcheur et la curiosité, la soif de l’étudiant puis du reporter, le désir de saisir, l’envie de traduire la vie, de la « cho-

per » dans ce qu’elle a de plus drôle, de plus dur, et de plus émouvant.

« Quand vous faites du reportage, vous pouvez être en empathie. »Il confiait en 2011 au journal Le Monde : « Ne faire que du dessin de presse serait un peu monotone. L’ex-périence montre qu’il faut se déplacer, car on est toujours récompensé. Il y a toujours un détail, une gueule à des-siner, qu’on ne découvre qu’en allant voir sur place. » Son premier dessin de Parisien paraît dans Paris-Match en 1957. Il a 18 ans. Il illustre la vie des collégiens et des collégiennes de l’époque, comme il le fera aus-si en 1964, l’année de son retour à Versailles, en tant que reporter pour le magazine Pilote qui accueille le Grand Duduche. Dans le cadre d’une série sur les meilleurs lycées de France, Cabu a dû souhaiter inau-gurer la série par le Lycée Hoche. Et c’est ainsi que dans le n°222 de Pilote, on retrouve les dessins de Cabu, venu faire son reportage, 11 ans après son passage au lycée. Caché derrière son personnage, il évoque certains de ses professeurs : Monsieur Hélier, professeur de Mathématiques, Monsieur Mazin, professeur d’Histoire-Géographie… « Il parle de son 1er Prix de Gymnas-tique, confie à quel point les frites du ly-cée sont bonnes et raconte, entre autres, que pour être un véritable crac à Hoche, il ne faut pas avoir le 1er Prix de Philo-sophie, mais plutôt le plus de timbres de grandes valeurs… » raconte Ma-rie-Louise Mercier-Jouve, auteur d’un ouvrage sur l’histoire du Ly-cée Hoche*. Le coup de crayon, la tendresse, la légèreté de Cabu est là.

les années 80 aux émissions de Jac-queline Joubert et en particulier de Récré A2 se souvient de Cabu, de Dorothée et de son fameux nez. Puis il s’amuse tout autant chez Mi-chel Polac dans Droit de Réponse. En 1992 il participe à la renaissance de Charlie Hebdo avec ses copains Ca-vanna, Delfeil de Ton, Siné, Gébé, Willem et Wolinski. Ils attirent de nouvelles signatures, dont Charb, Tignous ou Luz. Il perd son fils unique, Mano Solo, en 2010, et continue de plus belle à griffonner. En 2007, une exposition hommage a lieu à l’Hôtel de Ville de Paris. Sa-lué unanimement comme l’un des dessinateurs les plus doués du XXe siècle, il a été reconnu très vite par ses pairs et par un public nom-breux et de tous âges. Il laisse des milliers de dessins, de carnets de voyages, des dizaines d’ouvrages de caricatures ou de reportages. ­

Merci à Marie-Louise Mercier Jouve et Florian Audouin (Association des Amis du Musée du Lycée Hoche), Thomas Legrain (Président des Anciens Élèves), Monsieur Loubignac (Président des Anciens Enseignants) et Loïc Toussaint de Quiévrecourt, proviseur du Lycée Hoche.

*Le Lycée Hoche de Versailles par Marie-Louise Mercier-Jouve. Editions Patrice du Puy.

Cabu était salué unanimement comme l’un des dessinateurs

les plus doués du XXe siècle,

Témoignage

L’émotion des VersaillaisPlus d’un millier de personnes se sont réunies à l’appel du maire de Versailles le 8 janvier dernier devant l’Hôtel de Ville pour rendre hom-mage au dessinateur Cabu. Le 11 janvier, de nombreux Versaillais se sont joints à la marche parisienne et plus de 7000 personnes se sont ras-semblées place du Marché. « Nous gardons le souvenir de son parcours admirable, de son coup de crayon sans égal et de son humour corrosif. Il meurt assassiné à l’âge de 77 ans au côté d’autres grands noms du dessin de presse. Cette attaque fera 12 morts et mettra toute la patrie en deuil pour ses pertes tragiques et la menace lancée à l’encontre de ses valeurs. » écrit Amaury Criscuolo, administrateur de l’Association des Anciens Élèves de Hoche, dans son hommage au dessinateur.

Et plus que ça. Son esprit, sa person-nalité. Derrière, son air d’éternel en-fant-adolescent, avec sa coupe de cheveux improbable, son air de ne pas y toucher, se cachaient une vir-tuosité et une maîtrise impression-nantes, à tel point qu’il lui arrivait de dessiner « à l’aveugle », en gar-dant son carnet et son crayon dans sa poche pour ne pas être repéré.

Génération Récré A2René Goscinny ne s’y trompe pas lorsqu’il l’embauche à Pilote. II écrit bien des années plus tard en 1979: « Une chevelure hirsute, d’étranges pe-tites lunettes à montures d’acier, un ac-coutrement qui doit plus à la fantaisie qu’aux exigences de la mode, des yeux candides, un sourire de cancre mali-cieux, c’est le Grand Duduche… et c’est aussi Cabu. » Le Grand Duduche, puis Le Beauf, il poursuit parallè-lement sa carrière de caricaturiste de presse, de dessinateur politique. En 1969, il rejoint Hara-Kiri Hebdo, puis Charlie Hebdo, collabore à un nombre impressionnant de jour-naux dont évidemment le Canard Enchaîné à partir de 1982. Toute la génération de quadra, nourrie dans

Le Grand Duduche apparaît dans les pages de Pilote en 1963 et devient rapidement une des vedettes du journal. L’étudiant lunaire, amoureux transi de la fille du proviseur, déjà écolo, est en lutte permanente contre les professeurs, Belphégor le pion, la police, les parents.

Fin 1963, Cabu, ancien élève, revient au lycée Hoche avec une équipe du journal Pilote, à l’occasion de l’ouverture du nouveau bâtiment scientifique et du gymnase. Il laisse du lycée de sa jeunesse des images pleines d’humour : à gauche «sortie d’un professeur», à droite «sortie d’un prof très populaire ».

Des yeux candides, un

sourire de cancre malicieux, c’est le Grand Duduche…

et c’est aussi Cabu.

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