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Hommage à Jean-Claude Frachon - Spelunca 103 - 2006 7 Hommage à JEAN-CLAUDE FRACHON On a pu lire la vie de Norbert Casteret, vue par sa fille, dans deux numéros de Spelunca en 2000-2001 ; celle de Bernard Gèze contée par un de ses amis et spéléologues de renom, en 1997 ; et plus anciennement, celle de Robert de Joly dans Spelunca n°4 de 1968. Jean-Claude Frachon est de la même pointure. Et si sa disparition il y a moins d'un an « laisse un grand vide » selon l'expression consacrée, son existence elle, aura légué aux spéléologues et à la spéléologie une masse de travail considérable. Il mérite bien ces quelques pages dans la revue nationale de la Fédération. Le Bureau fédéral m'a confié la mission de réaliser ce numéro de Spelunca. Sans doute étais-je le mieux placé pour cela, de par ma relation trentenaire avec l'individu, ma proximité géographique avec son domicile, et la possibilité qui m'a été donnée d'explorer – très partiellement bien sûr – sa bibliothèque et son ordinateur. Privilège douloureux d'ailleurs : chacun comprendra l'émotion que peut susciter le fait de fouiller dans les archives personnelles d'un ami décédé… Tous les témoignages communiqués n'ont pu trouver place dans les 64 pages réglementaires de ce Spelunca*. D'autant qu'il m'a paru indispensable d'associer l'œuvre au personnage. C'est pourquoi je me suis appliqué à produire deux articles spéléologiques qui auraient pu – qui auraient dû – être publiés sous la signature de Jean-Claude Frachon. Ce que vous lirez sur la grotte d'Osselle et la caborne de Menouille est le fruit de la documentation rassemblée ou produite par lui-même. Son obstination à rendre publiques toutes ses recherches ne laisse aucun doute : ces deux travaux en cours, sur son disque d'ordinateur, allaient aboutir sur le papier, ou sur le web. Son cœur ne lui en a pas laissé le temps. C'est fait désormais, en son nom. * Consultables en ligne sur le site du CDS du Jura http://cds39.ffspeleo.fr Avant-propos Rémy LIMAGNE Plongée dans un siphon jurassien (1976). Cliché Robert Le Pennec. Stage technique dans le Doubs (1975). Cliché Gérard Picard. Dans un « gouffre » jurassien (1994). Cliché Robert Le Pennec. Jean-Claude Frachon au départ du puits de la Mort, gouffre de la Henne-Morte (1976). Cliché Luc Rossigneux.

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Page 1: Hommage à JEAN-CLAUDE la Henne-Morte (1976). …cds39.ffspeleo.fr/jcf/spel103.pdf · Ce que vous lirez sur la grotte d'Osselle et la caborne de Menouille est le fruit de la documentation

Hommage à Jean-Claude Frachon - Spelunca 103 - 2006 7

Hommage à JEAN-CLAUDEFRACHONOn a pu lire la vie de NorbertCasteret, vue par sa fille, dansdeux numéros de Spelunca en2000-2001 ; celle de BernardGèze contée par un de ses amis et spéléologues de renom, en1997 ; et plus anciennement,celle de Robert de Joly dansSpelunca n°4 de 1968.Jean-Claude Frachon est de la même pointure.Et si sa disparition il y a moinsd'un an « laisse un grand vide »selon l'expression consacrée,son existence elle, aura léguéaux spéléologues et à la spéléologie une masse de travail considérable.Il mérite bien ces quelquespages dans la revue nationalede la Fédération.Le Bureau fédéral m'a confié lamission de réaliser ce numérode Spelunca. Sans douteétais-je le mieux placé pourcela, de par ma relationtrentenaire avec l'individu, maproximité géographique avecson domicile, et la possibilitéqui m'a été donnée d'explorer – très partiellement bien sûr –sa bibliothèque et sonordinateur. Privilège douloureuxd'ailleurs : chacun comprendra

l'émotion que peut susciter lefait de fouiller dans les archivespersonnelles d'un ami décédé…Tous les témoignagescommuniqués n'ont pu trouverplace dans les 64 pagesréglementaires de ceSpelunca*. D'autant qu'il m'aparu indispensable d'associerl'œuvre au personnage.C'est pourquoi je me suisappliqué à produire deuxarticles spéléologiques quiauraient pu – qui auraient dû –être publiés sous la signaturede Jean-Claude Frachon.Ce que vous lirez sur la grotted'Osselle et la caborne deMenouille est le fruit de ladocumentation rassemblée ou produite par lui-même.Son obstination à rendrepubliques toutes ses recherchesne laisse aucun doute : ces deux travaux en cours,sur son disque d'ordinateur,allaient aboutir sur le papier,ou sur le web.Son cœur ne lui en a pas laisséle temps. C'est fait désormais,en son nom.

* Consultables en ligne sur le site du CDS du Jura http://cds39.ffspeleo.fr

Avant-propos Rémy LIMAGNE

Plongée dans un siphon jurassien (1976).Cliché Robert Le Pennec.

Stage technique dans le Doubs (1975).Cliché Gérard Picard.

Dans un« gouffre »

jurassien(1994).

Cliché Robert Le Pennec.

Jean-Claude Frachon au départdu puits de la Mort, gouffre de

la Henne-Morte (1976).Cliché Luc Rossigneux.

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arfois j’aimerais faire partiede la nouvelle génération despéléologues !

Ceux-là qui n’ont connu le Frach’ qu’auhasard de quelques assemblées, ceuxqui ne garderont de lui que l’image d’unsexagénaire chenu et un peu enveloppéqui parlait très for t enréunion. Ceux-là ne serontsans doute guère plusaffectés par sa dispari-tion qu’à la lecture d’unsimple fait divers. Maispour les quelques autres,ceux pour qui s’achèventvingt, trente voire qua-rante ans de camarade-rie, de complicité teintée d’admiration !Pour ces derniers, une par tie d’eux-mêmes s’est effondrée ce 26 octobreau soir. Le vide est ver tigineux, despans entiers de souvenirs sonnentmaintenant le creux, une indiciblesensation d’être désormais orphelins.

Orphelin ! C’est le mot qui est venuspontanément et sans concertation surtoutes les lèvres. Son influence auraété telle sur la spéléologie jurassienne

que tous ceux qui l’ont approché engarderont à jamais une marque indélé-bile, quasi génétique. Combien d’élé-ments de notre « quotidien spéléo »sont nés sous son impulsion? Combiende publications qui font toujours réfé-rence ont vu le jour sous sa plume ?

Combien d’explorations?Combien de topogra-phies ? Combien destages ? Combien deplongées? …Cer tes, Jean-Clauden’avait pas que descopains ; son tempéra-ment volcanique et sonengagement inébranlable

pour cer taines idées lui ont valuquelques inimitiés tenaces. Mais, amisou adversaires, il aura eu le mérite dene jamais laisser personne indifférent.

Comment rester de marbre devantsa culture éclectique ou son potentielde travail hallucinant ? Comment nepas avoir été agacé par son éternelrefus de la médiocrité et de l’à-peu-près?

La disparition d’un tel monumentnous a tous laissés incrédules, dubi-tatifs ; les déficiences biologiquestouchent donc aussi les géants?

Ceux qui l’ont connu au plus fortde sa forme se souviendront d’uninfatigable meneur d’hommes, d’unexplorateur accompli qui parachevait

systématiquement ses investigationsde terrain par des topographies, desrapports et des publications dont nousavons tous profité un jour ou l’autre.

L’âge aidant, il avait peu à peuréduit ses activités purement spéléo-logiques pour se consacrer à la commu-nication, essentiellement par le biais deson site Internet.

PCombien depublications quifont toujoursréférence ontvu le jour soussa plume?

François JACQUIERSpéléo-club San-Claudien - Président CDS 39

François Jacquier.

L’empreinte d’un géant

Hommage à Jean-Claude Frachon - Spelunca 103 - 20068

Lors d’unweek-endtechnique à Béruges,Vienne (1981),à droite : Juan Espejo.Cliché OlivierRéau.

Exercice de secoursdans le Doubs.Cliché AlainCouturaud.

Escaladehivernale

à la grotte des Moulins,Jura (1980).

ClichéRobert Le

Pennec.

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Baume de la Favière28 décembre 1984

Par un froid sibérien nous nousétions retrouvés tout à fait par hasarddans ce nouveau gouffre encore enpleine exploration. Après quelqueslégers élargissements du méandre vers–100, les puits s’étaient brusquementenchaînés devant nous contre touteattente. Sans plus de protocole, lematériel des deux équipes avait alorsété réuni pour faire face à ce don duciel. En tête, Philippe Gilotte plantaitfrénétiquement les spits tandis que leFrach’ et moi peaufinions l’équipementtout en scrutant dubitatifs cette pers-pective verticale qui se perdait dans l’in-connu. Derrière nous, dans un bruit defond, le Luc ronchonnait à propos del’heure tardive et d’un repas de familledont tout le monde se foutait éperdu-ment. Finalement, vers vingt heures,devant les injonctions du Luc et surtoutdevant l’épuisement total du stock decordes, il fallut faire demi-tour et remon-ter vers la surface. Le Frach’ me précé-dait de deux ou trois fractionnementsquand je l’entendis me crier : « Si jene me suis pas trompé dans mes addi-tions on a allégrement dépassé les–200 ! ».

Son affirmation m’avait alorsramené brusquement à la réalité. Dansle feu de la découverte, j’avais complè-tement oublié où nous étions et dumême coup de cumuler les longueursde cordes utilisées. De prime abord, cechiffre me semblait très exagéré pourle Jura, mais quelques jours plus tardles chiffres de la topographie lui donnè-rent raison, une fois de plus…

Source de l’Ain20 octobre 1985

Cette année-là, la sécheresseautomnale avait été exceptionnelle pourles investigations dans la source et ilfallait absolument mettre le paquetavant le retour de la pluie. Le Frach’avait donc coordonné une suite d’ex-plorations collectives en mettant àcontribution une bonne partie des clubsjurassiens. Ce dimanche était plus

par ticulièrement réservé à unecampagne de plongée. Dans un premiertemps, Bébert avait fait une pointe de140 m dans le siphon des Plaques etlors du portage retour, comme il restaitde l’air dans les bouteilles, Jean-Claudeavait un peu insisté pour que j’aille jeterun œil dans le siphon aval où, quelquesannées auparavant, un passage degalets avait mis un terme à sa propretentative. Sans me faire trop prier,j’avais accepté tout en renâclant pourla forme à propos du matériel qui n’étaitpas le mien… Plus chanceux que lui, jeréussis à franchir le passage et àprogresser de 45 m au-delà.

Une fois ressortis et changés, nousnous retrouvons tous au bistrot de Sirodà la nuit tombée. La salle est déjà enva-hie par une horde de chasseurs toni-truants et il faut jouer fin pour trouverun coin de table libre. C’est alors lemoment des bilans où chacun revit sapropre plongée au bénéfice des autres.Moi qui m’exprime plus facilement avecun crayon que par des paroles, je traceun croquis de ma plongée directementsur la nappe en papier, entre une tachede café et une auréole de bière. Jen’omets rien : le talus de galets, lesdunes, l’éboulement terminal. Le Frach’pose des questions, je rajoute unesection, il émet des hypothèses, le toutdans un brouhaha assourdissant. Puisvint le moment de se quitter. On se lève,on va payer au comptoir avant de sortir.Mais, curieusement, le Frach’ retournevers la table comme s’il avait oubliéquelque chose. Et là, au milieu des riresgras et d’une épaisse fumée bleutée,je le vois encore déchirer proprement lemorceau de la nappe et le glisser danssa sacoche… Je présume que ce boutde papier sale, comme des milliersd’autres, est encore soigneusementarchivé dans un dossier, identifié, daté,numéroté.

Gouffre de Pierrefeu22 avril 2005

Au retour d’une visite de routine, jevisionne tard le soir quelques photo-graphies numériques prises dans ce

Le Frach’ ne se raconte pas en quelques lignes, il faudrait sans doute plusieursouvrages pour cerner réellement cette figure emblématique. Toutefois,j’aimerais faire revivre quelques traits du personnage au travers de trois courtsrécits personnels. Trois épisodes seulement parmi des centaines qui ontforgé sa légende.

Hommage à Jean-Claude Frachon - Spelunca 103 - 2006 9

Baume de la Favière (Jura) (1985). Clichés François Jacquier.

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Hommage à Jean-Claude Frachon - Spelunca 103 - 200610

gouffre. En zoomant sur un coin deparoi de la salle terminale, j’ai lasurprise de découvrir un nom inscrit aucrayon de papier sur une coulée deconcrétion : Chevrot. Je sais que cepatronyme est en rappor t avec lesbalbutiements de la spéléologie dansle Jura mais j’ignore si ce vaillant explo-rateur est lié ou non au gouffre de Pier-refeu. Il n’y a qu’une personne pouréclairer ma lanterne et j’envoie cemessage à 23h55à: [email protected] :

– « Le Gouffre de Pierrefeu faisait-il par tie des explorations du docteurChevrot ? Et là je sais, tu vas vouloirm’en mettre plein la vue en me donnantla date exacte, les références biblio,la liste de tous les participants et lenom du gamin du village qui a aidé àporter les sacs… »

À 0 h 15 la réponse suivante meparvient :

– « Évidemment ! Le gouffre de Pier-refeu a été exploré en “première” lorsde quatre descentes, par l’équipe duClub alpin français de Lons-le-Saunier :- Le 17 juin 1895, par MM. Chevrot,Küss et Guérillot. Ils se sont arrêtésce jour-là en haut de l’à-pic conduisantau fond de la dernière salle.

- Le 21 juin 1895, par MM. Chevrot,Küss et Guérillot.

- Le 8 juillet 1895, par MM. Bidot,Chevrot, Jacquemin, Küss et Guérillot.

- Le 18 août 1895, par MM. Chevrot,Küss, Guérillot, Viré et Wiriath.

Le Dr Chevrot a publié une descrip-tion et une topo assez fidèle du troudans Spelunca, bulletin de la Sociétéde spéléologie, n°4, décembre 1895,p. 115-118.

Je n’ai pas le nom des gamins duvillage, mais j’ai celui du propriétaire dutrou à l’époque (1895) : c’était le géné-ral Chomereau… »

Et vlan !… Plein la vue commed’habitude…

Désormais qui va pouvoirreprendre le rôle de garant de la spéléo-métrie et de l’historique des cavités duJura ? Qui va corriger nos doublons etqui va refréner nos revendications de« premières » en apportant pour preuvesdes entrefilets de publications vieuxparfois de plus de cent ans ?

Je crois qu’il est encore trop tôtpour mesurer l’ampleur réelle de saper te, mais il est cer tain que sonœuvre et son empreinte perdurerontencore pendant de nombreusesdécennies. •

Georges MARBACH

Ma Frach’

oilà.Nous l’avons porté en terre.Nous avons refait ces

gestes dérisoires : passage dugoupillon, bouquets de mots, fleursjetées sur cette bière qui, dernièrefrachonnade, refusa obstinémentd’entrer dans le caveau. Enfin, nousavons bu, non pour oublier, mais pournous souvenir ; et nous avonséchangé des rires mêlés de larmesfurtives, essuyées sans honte.

Ces rites sans âge ont, commechaque fois, fonctionné : la boule quenous avions, là, au fond de nous,s’est dénouée. Nous avons, au fil deces heures suspendues, fait notredeuil. Chacun s’en estallé, rasséréné, pour-suivre son chemin ; etles mots, qui refusaientde sortir, sont revenus.

J’ai connu Jean-Claude en 1963 enHaute-Saône, à la résur-gence du Cul-de-Vau, auhasard d’une invitationoù Bruno Dressler,heureux possesseurd’une 2 CV, m’avaitconduit depuis Paris. Très vite, nousavions eu conscience de nous retrou-ver au milieu d’un règlement decompte tordu entre Francs-comtois.C’était l’époque des « prises de date »

dans Spelunca, qui permettaient àdes clubs de quasi retraités de s’ar-roger des droits exclusifs sur unecavité, pour ne l’explorer ensuite qu’àdose homéopathique. Le Cul-de-Vauétait verrouillé par la bande à Nuffer,et le luxe des installations exté-rieures, avec abri, table, bancs etautres patères disait bien que cesgens-là passaient plus de temps horsde la grotte que dedans, où une

terrible cascade repous-sait censément tousleurs assauts. La bandeà Frachon avait décidéde changer ça, et nousnous retrouvions enrôléspar hasard dans uneexploration pirate, maisoù le fumet de lapremière avait vite éteintde possibles remords.La cascade avait étéavalée en une bouchée,et la rivière torchée

jusqu’au siphon amont, les narinesau ras de l’eau, qui à l’époque, étaitencore claire. Au retour, les chosesprirent un tour franchement pica-resque, avec déséquipement en règle

V GeorgesMarbach à la grotte duCul-de-Vau,Doubs (1963).Cliché BrunoDressler.

Chacun s’en est allé,rasséréné,poursuivreson chemin ;et les mots,qui refusaientde sortir, sontrevenus.

Montage François Jacquier.

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du matériel en place, puis dans unentrain joyeux, réduction des commo-dités extérieures à l’état de ruinesfumantes. Nous, les Parisiens bienélevés, regardions les yeux ronds cedéchaînement de violence où s’entre-croisaient des vociférations, des éclatsde bois et des éclats de rire. Des Hunsn’auraient pas fait mieux ; mais c’estun fait que la fin des prises de dateen fut précipitée, et, d’ailleurs, il y aprescription.

Surnageait de cette épopéedestructrice l’image d’un garçon douéd’une énergie certaine et d’une répar-tie incisive, mais pas franchementfréquentable ; lorsque, l’année suivante,en 1964, j’avais retrouvé mon Frachonau stage initiateur de Chalain. J’étaisstagiaire et lui cadre, nous avions tousles deux vingt ans.

L’ambiance était toute différenteet j’eus l’occasion de découvrir l’autreface de ce Janus : le spéléologue véloceà l’esprit rapide disposait aussi d’uneremarquable culture générale et scien-tifique. C’est à Chalain qu’a vraimentdébuté notre amitié. En dehors des acti-vités du stage, son côté potache ressor-tait bien vite et sa gouaille prenait ledessus : le gaillard savait s’amuser,et le fréquenter n’était pas triste. J’étaisséduit. Il nous avait entraînés à deux outrois dans la première traverséeMenouille-Cerdon. Une fois dans lasinistre bassine où il faut s’immergerpour franchir l’étroiture siphonnante,il avait déclaré sobrement : « Pourréchauffer la flotte, pissons dedans ».

Ce n’est que plusieurs années plustard, en 1970, que nous nous sommes

retrouvés pour encadrer le stage moni-teur à Font d’Urle. Puis l’EFS nous apris. Nous nous sommes alors vus trèsrégulièrement, auConseil fédéral oudans les réunionsde la commission,tout au long de cesannées où, aprèsque Michel Letrônem’eut confié ladirection de l’EFS, ilfallait monter unenouvelle organisa-tion, avec unedouble filière technique et pédagogique.Son esprit d’analyse était sans égal ; deplus, il parlait bien, et sa force depersuasion était grande. Le contredireétait toujours un quitte ou double. Nousavions la même stratégie mais souventune vue tactique différente : lui préfé-

rait démolir avant de rebâtir, descendreses adversaires en flammes pournettoyer le terrain, quand je privilégiaisune évolution plus consensuelle. Saméthode était plus efficace en termede rapidité de résultats, mais il y avaitparfois des dégâts collatéraux.

À la FFS, la commission secoursétait en pleine mutation, et nous y mili-tions activement.

Que de joutes oratoires passion-nantes, avec un tel bretteur !

Lorsqu’en 1976 mon activité crois-sante de fabricant de matériel m’a paruincompatible avec des responsabilitésfédérales, je n’ai vu que lui commesuccesseur possible. Et il a pris enmain l’EFS, jusqu’en 1979. Lui a conti-nué une vie fédérale riche, aussi bienau niveau local que national, puis inter-national. Qui ne le sait ?

Ces activités débordantes ne l’em-pêchaient pas de mener sa vie d’ex-plorateur, accumulant les découvertes,

se jetant à fond dansla plongée qui sestructurait et dont ilfut l’un des principauxacteurs. Il fut appelésuccessivement à ladirection de cettecommission, puis àcelle des secours, oùson impulsion futdécisive. Il mena làd’autres combats,

contre l’immobilisme, contre la médio-crité, et aussi contre « les rouges », dontce fils de pompier resta pourtant l’ad-versaire acharné.

S’il aima plus que tout sa chèreFranche-Comté, il avait sévi aussi dansle massif d’Arbas, où l’avait conduit son

Exercice desecours, rivièrede la Baume,SSF du Jura,juin 1992. ClichéPascale Lafosse.

L’énorme masse detravail qu’il effectuaitne l’empêchait pasde vivre encore àcent à l’heure et derester un déconneurde première force.

Les quatre premiers directeurs de l’Ecole française de spéléologie : Gérard Duclaux, Jean-Claude Frachon,Georges Marbach et Michel Letrône, 7 décembre 1985. Cliché XXX.

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service militaire, et surtout au réseaude la Dent de Crolles. La belle aura eucomme amants successifs Chevalier,Petzl, Letrône et Frachon, excusez dupeu !

L’énorme masse de travail qu’ileffectuait ne l’empêchait pas de vivreencore à cent à l’heure et de rester undéconneur de première force. Il étaittoujours souriant, sinon hilare, animéd’une incroyable force vitale et d’uneconstante envie de s’amuser. Être à satable était l’assurance de réussir unejoyeuse soirée, et les réjouissancescommençaient dès l’apéro, à coup de« Capitaine Paf ». Il y avait parfois desrisques à le côtoyer : au repas ducongrès de Grasse, alors qu’HervéTainton tentait de tenir les convivesmalgré le retard du traiteur, la Frach’excitait les Francs-comtois contre lesRhône-alpins, dirigeant les tirs d’aïoli etde verres d’eau jusqu’à l’anarchie finalequi ne se termina que par l’évacuationde la salle.

Ce n’était pas un tendre. Son culotmonstre le poussait toujours aux limiteset il n’hésitait jamais à déclencher lechahut, ni à mettre à mor t en publicun adversaire qu’il méprisait. Il avait sacour et ses souffre-douleur.

Au fil du temps, nous noussommes constamment revus, toujoursavec le même plaisir ; il y avait alorstoujours un moment où la conversationdérapait, sur un sujet grave ou futile, etoù nous prenions par principe despar tis opposés, même s’ils étaientintenables, pour le simple bonheurd’échanger des arguments, de rompredes lances. Il m’appelait dans cesmoments-là : « l’épicier » et moi : « lerat d’égout »… Les hostilités cessaientlorsqu’il me disait : « Quoi qu’il en soit,j’ai un dossier sur toi. Il y a tout, mêmece que tu as oublié. Si je publie, tu escuit ! ».

Et moi, je lui rappelais sa « galère »,en souvenir de la réunion de concilia-tion de Marseille, en janvier 1974, lorsde la première guerre entre la FFS etl’EFS. Une entrevue convoquée astu-cieusement par le président Proposdans sa ville, en un lieu inconnu, le Vieilarsenal des galères. Lâché pour une

fois par son bon sens habituel, Jean-Claude n’avait pas trouvé l’adresse,errant dans la ville deux jours pour finirpar arriver après la bataille, furieux den’avoir pu lancer dans le débat lesgrenades dégoupillées qui lui étaientcoutumières.

Ces dernières années, des soucisde santé l’avaient éloigné du terrain. Ils’était donc investi à fond dans l’infor-matique, qu’il mettait évidemment auservice de sa passion souterraine.« Quelle bénédiction que l’ordinateur »,m’écrivait-il, « qui me permet depuis monpetit coin du Jura de rester en contactétroit avec tout le milieu spéléo ».

Notre dernière rencontre date de lasoirée « Spéléoulipologie » il y a deuxans à Lyon. Comme en 1964, maisavec trente-neuf ans de plus, nousétions dans la même situation : lui aujury et moi candidat ! Il m’avait présentéla craquante Isabelle, et la soirée à labrasserie Georges avait duré fort tard.

Jean-Claude était capable d’explo-ser en colères homériques, comme dese faire bénédictin pour enrichir etcompiler dans le silence de son bureaules fiches des cavités du Jura.

Une vie ne suffit pas pour faire letour d’un tel homme, dont j’ai encoredécouvert le jour de sa mise en terrede nouvelles facettes, des talentscachés, des solidarités insoupçonnées.

La Frach’, quelle stature : féru derégionalisme, spéléologue complet,amateur de femmes, bibliophile

reconnu, débatteur passionné etpassionnant, personnage extra-verti mais secret, goûtant bon vinet bonne chère ; et encore meneurd’hommes, amateur de poésie,tribun ; tour à tour bâtisseur etdestructeur, charmeur et carnas-

sier, grande gueule et grand cœur,amoureux de la vie jusqu’à l’excès…

Jusqu’à ce jour funeste où toncœur t’a lâché, après une alerte l’étédernier. Tu as tout réussi, même tamort, faisant un dernier bras d’honneurau naufrage de la vieillesse.

Mais quel vide tu nous laisses !Nous n’aurons plus le bénéfice de latruculence de tes sor ties, desressources de ta vaste culture, duchatoiement de ton esprit.

Ce disant, c’est évidemment surnous que nous pleurons, avec notreégoïsme ordinaire. C’est à nous qu’ilmanque, et c’est nous qui noussentons une nouvelle fois frôlés parl’aile de la mort. Si, comme le disaitMontaigne, « philosopher, c’estapprendre à mourir », quel cheminavons-nous encore à parcourir avantd’apprivoiser la Camarde !

En apprenant la mor t de Jean-Claude, et le premier ver tige passé,toutes ces complicités, ces batailles,ce compagnonnage, tout cela m’asubmergé ; et j’ai pensé aux dernièresparoles des Quat’z’arts de Brassens,qui sonnent comme un avertissement :oui, « Les vrais enterrements viennentde commencer ».

Le lendemain, me revenaient enboomerang quelques lignes de la mainde Jean-Claude, à propos d’une anec-dote qu’il avait évoquée incidemmentsur la liste Internet spéléo, deuxsemaines avant sa mor t : il s’étaitretrouvé une fois, par le plus grand deshasards, invité par l’une de sesconnaissances à une soirée chez Bras-sens. Et voici qu’un co-listier lui avaitdemandé, en privé, d’en dire plus. Jean-Claude lui avait fait une réponselapidaire bien dans sa manière :

« Si tu avais été présent à ma placece jour-là, tu aurais été timide commeun gamin, ému comme une pucelle,saoul comme un cochon (commetous les gens présents) et combléd’entendre Brassens te chanter “l’Au-vergnat” en remplaçant “l’Auvergnat”par “le grotteux”… »

Alors je me représente la scène.J’imagine ces deux libres penseurs

face à face. La voix du grand Georges.Et ces paroles, si connues, mais quiprennent maintenant une résonancepoignante :

« Toi le grotteux, quand tu mourras,Quand le croque-mort t’emportera,Qu’il te conduise à travers cielAu Père éternel ». •

« Toi le grotteux, quand tu mourras,Quand le croque-mort t’emportera,Qu’il te conduise à travers cielAu Père éternel ».

Réunion du CDS 39 au CREPS de Chalain(1995). Cliché Robert Le Pennec.

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Hommage à Jean-Claude Frachon - Spelunca 103 - 2006 13

utomne 1960. Je par ticipeà une réunion du Spéléo-clubde Lons-le-Saunier animée

par Guy Coulois et nous évoquons desactions en faveur de la création d’unefédération. Parmi les spéléologuesprésents, je remarque un jeune quipose beaucoup de questions et que jetrouve bien sympathique. Il s’appelleJean-Claude Frachon. Nous parlons ducélèbre réseau de la Dent de Crollesdont, avec mon club, les Tritons, nousavons repris l’exploration et je l’invite ànous rejoindre au mois d’août 1961.J’avais aussi invité quatre jeunes lyon-nais en recherche de club.

Fin juillet 1961. Ils ont rendez-vousau col des Ayes, après une bonne heurede marche, car il n’y a pas encore deroute qui monte jusqu’au col du Coq,Jean-Claude et les Lyonnais, dont GillesBabenko, sont là.

Pour les tester, je les envoie, aprèsavoir remonté les puits du Mât (20 m),de la Cloche (20 m) équiper les grandspuits Marie-Suzon (35 m), et des Canne-lures (20 m) du « méandre Guillemin »,qui, lui-même n’est pas du gâteau. Lelendemain, ils ressortent fatigués maisenchantés. Ils en redemandent. Je sensqu’ils vont être « des bons » parce quece que je leur avais demandé n’était pasdu facile et ils ont du matériel qui fonc-tionne bien. Pour moi, c’est un critère !

Le surlendemain 7 août, je rentreavec eux. En bas de ces puits, nousdécouvrons la rivière que nous bapti-sons « Tritonne ». Nous la remontons etsommes arrêtés à la base d’un énormepuits que nous laissons aux généra-tions futures.

Chaque expédition dure au mini-mum dix heures d’efforts intenses etnous avons bien besoin d’une journéepour récupérer.

Donc, le 9, c’est avec Jean-Claudeet Jean-Paul Dotto que nous allons« attaquer », bien en forme, la suite duboyau des Souffrances découvert enoctobre l’an dernier. Nous y arrivonssans histoire.

Une équipe de trois « bons », ça« tourne rond ». Pour moi c’est l’idéal.Aucune perte de temps, rien à dire, toutse fait tout seul, ça fonce ! On secomprend sans rien dire !

Franchissement toujours aussipénible du boyau des Souffrances ! Là,nous avons le choix entre deuxbranches. Nous prenons le méandre degauche et descendons le puits Fournierdécouvert et baptisé le jour où j’aifait ma chute dans le puits de laCloche. Là commence l’inconnu !

Il nous reste heureusementtrente mètres d’échelles car unnouveau puits démarre à sa base.Difficile recherche d’un amarragesolide à défaut d’être bien placé(nous ne connaissons pas encore lesspits).

C’est le « Frach’ » qui inaugure, cesera donc le puits Frachon, vingtmètres ! Il hurle d’en bas que ça conti-nue et qu’il semble que ça s’agrandit,nous le rejoignons aussitôt en rappelsur mousqueton en ce temps-là.

Depuis le haut du méandre Guille-min, nous avons descendu plus de200 m et il reste une cinquantaine demètres avant de nous trouver au niveaudu Grand collecteur ainsi nommé parPierre Chevalier.

Nous sommes en plein suspense,le courant d’air est violent et un « je-ne-sais-quoi » dans la configurationgénérale et dans l’écho de nos bruitsme dit que nous sommes arrivés dansun volume important.

Ef fectivement, après quelquesmètres de galerie étroite et boueuse

nous arrivons à un carrefour. Pas trèsgrand ce carrefour, mais nos voix et racle-ments reçoivent de plus en plus d’échos.L’excitation monte. Nous laissons àgauche un joli départ de galerie (je vaisrevenir ici en 1964, cette galerie mèneau puits de l’Abandon et au puits desSalauds). Mais aujourd’hui nous descen-dons. En face de nous une galerie trèsinclinée va en s’agrandissant.

Jean-Claude se met à courir commeun lapin, nous crions notre joie etdéboulons dans une immense galerie…« le Métro ! ». Je crois que le mot a jaillide nos trois bouches… et ça continueen amont et ça continue en aval, ungrand tube, d’un noir profond des deuxcôtés… Ce seul moment de jouissancejustifie toutes les souffrances pourparvenir à cette découverte que noussavons déjà être primordiale pour lasuite de nos explorations.

Nous n’avons pas pris le matérielde topographie, j’ai froid, et pourcouronner le tout nous n’avons pourmanger qu’un malheureux morceau deComté (content le Frach’ ?) et un tubede lait Nestlé à moitié percé.

Tous bien d’accord, nous rentrons.Il y a 200 m de puits et méandres àremonter. Nous sommes encore enbonne forme et chacun remonte en

Michel LETRÔNEDirecteur EFS de 1969-1973

Comment Jean-Claude arrive à l’EFS

« Pèlerinage »annuel à la Dent deCrolles (août2005). ClichéIsabelle Parnot.

A

Parmi les spéléologues présents,je remarque un jeune qui posebeaucoup de questions et que je trouve bien sympathique.

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« auto-assurance » et nous retrouvonsla surface, les étoiles et les odeursvégétales après seize heures d’ex-ploration.

Les explorations continuent et jeconnais de mieux en mieux notreFrach’. C’est un « solide » et vivre en sacompagnie est des plus agréable etmême amusant. Il est tellement bienacclimaté à notre équipe « Rhône-Alpes » qu’il ose maintenant en dire dumal au profit des « Francs-comtois ». Lesmots volent bas au cours des soirées !Mais tout s’arrange autour d’un verrede « Tchouk-tchouk ». Il s’agit de l’uniqueboisson du camp : de l’Antésite, deuxgouttes… qui sont restées jusqu’à cesderniers jours dans son vocabulairequand nous avions soif : un « tchouk-tchouk », mais c’était désormais del’Arbois !

Bref, ce Frach’ est un bon. Ce sontdes types comme cela dont j’ai besoinpour remplir les stages de « moniteurs »dont le CNS (Comité national de spéléo-logie) vient de me confier la charge.

Je commence donc à le baratinerpour qu’il s’inscrive l’an prochain, en1962.

Juillet 1962. Il est au stage àVallon. Notre objectif est de former nonseulement des spéléologues d’explo-rations difficiles mais aussi des anima-teurs régionaux convaincants, capablesd’entraîner leurs clubs vers la créationde CDS et d’une fédération. C’est exac-tement son profil. Il est naturellementparmi les meilleurs et obtient un

des premiers diplômesde moniteur fédéral etavant que n’existe lafédération.

Il quitte Vallon etrejoint le col des Ayessous la Dent de Crollesoù toute l’équipe de l’an-née dernière se retrouveet nous reprenons lesexplorations où nous lesavions laissées. Je mesouviens d’une traverséeP40 – Glaz que nousavons faite tous les deux en moins detrois heures. Je pense que c’esttoujours un record mais c’était surtoutun régal d’harmonie dans la progressionet dans les manœuvres. Ah mon Frach' !

Nous en reparlionssouvent de cettetraversée express !Au mois de juillet1963, la Fédérationfrançaise de spéléo-logie étant née lemois précédent, j’aienvoyé son alterego Gilles Babenkosuivre le mêmestage de moniteur,

vraiment fédéral celui-là, etnaturellement réussi.C’est comme cela qu’en1964, désirant décentrali-ser les stages de Vallon, lemême centre « Jeunesseet sport » mais à Chalain,dans le Jura, accepte denous accueillir.Georges Garby, un de ceuxqui ont atteint le premier lacote moins 1000 augouffre Berger avait éténommé « moniteur sur

titre » en 1960. Il va diriger le stageavec Jean-Claude et Gilles. Nous aurons23 stagiaires, c’est beaucoup, mais cestrois solides spéléologues sontcapables de les maîtriser et, parmi lescandidats, j’ai déjà repéré quelques« grosses pointures » potentielles qui,ne poseront pas de problèmes, bien aucontraire. Il y avait entre autres JoMarbach et Marcel Meyssonnier !

C’est ainsi que le Frach’ acommencé sa carrière à l’EFS et peuaprès, en mars 1965, en créant le CDSdu Jura, le cinquième CDS français.

Une très longue carrière au servicede la spéléologie jusqu’en ce triste jourdu 26 octobre 2005. •

Bref, ce Frach’est un bon. Ce sont destypes commecela dontj’ai besoinpour remplirles stages de« moniteurs ».

Dans la grotte des Planches (Jura)(1964). Cliché Robert Le Pennec.

Carte de moniteur de la Fédération française

de spéléologie.

Hommage à Jean-Claude Frachon - Spelunca 103 - 200614

Dans ungouffre deChartreuse(1964).Cliché RobertLe Pennec.

Carte d’initiateur du Comité national de spéléologie.

Le Progrès du Jura, 1962.

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Hommage à Jean-Claude Frachon - Spelunca 103 - 2006 15

ean-Claude Frachon, dit LeFrach’J’ai eu le bonheur de le compter

parmi mes amis et il me le rendait bien.J’aimerais, pour le plaisir de me souve-nir et pour celui de partager ces souve-nirs avec d’autres amis ou admirateursdu Frach’, vous raconter une « aven-ture » – bien loin des grandes premièressouterraines – qui me revient à l’es-prit quand je pense à Jean-Claude.

J’ai narré ailleurs (in Stalactite, àparaître en 2006) nos complicités etaventures cocasses dans le cadre duDépartement enseignement de l’UISet dans la publication récente deSpéléOulipologie, Métempsyc(h)ose dumondmilch. Ceux qui ne connaissentpas cet ouvrage feraient bien de se leprocurer : d’une part pour se faire plai-sir à sa lecture, et d’autre par t pourdécouvrir de quoi Jean-Claude étaitcapable. J’aimerais, pour les lecteursde Spelunca, narrer un épisode inéditqui touche au domaine de la publicationspéléologique, où il excellait et qui mepassionnait également.

Ce fut une réussite gastronomico-amicale mais un échec pour ce qui estde la publication ! Lors d’un pari de finde soirée entre Le Frach’ et ClaudeChabert, ennemis intimes et insépa-rables, ce fut ce dernier qui perdit et quidû fournir une caisse de Chablis à boireentre amis. Le thème du pari était sifutile que je n’en parlerai pas, mais ilme suffira de dire qu’il fut publiquementqualifié de stupide. C’est ainsi que, le30 avril 1994, se réunit dans le Jurala Commission des Paris Stupides, dontle programme de travail était double :boire à onze (il y eut une défection dedernière minute), douze bouteilles d’unexcellent Chablis, en les accompagnantévidemment de mets régionaux à lahauteur, et tenir symposium (n’oublionsjamais que symposium vient du grecbanquet…) à propos de n’importe quoi,pour le seul plaisir de disserter sérieu-sement sur des objets futiles.

Les interventions furent peunombreuses (tout le monde n’avait paspris au sérieux la seconde par tie duprogramme) mais truculentes. LeDr Bariod disserta de « La préventioncomme stratégie de communication »et votre serviteur de « La communica-tion », tout simplement ! Après une nuitroborative (sauf pour ceux qui la passè-rent à compulser les pièces rares de labibliothèque de Jean-Claude), on parti-cipa, entre autres activités culturelles,à un concours international de topo-

graphie souterraine dans une cavité de17 m de longueur à l’aide d’instru-ments aussi divers que deux modèlesde boussoles en boîtier bois datant dela première guerre mondiale, la célèbretable de logarithmes à cinq décimalesde Bouvard & Ratinet (j’ai failli écrire unautre nom!) dans son édition de 1905,ainsi qu’un « litre étoilé » comme instru-ment de mesure des longueurs.

Lorsque nous avons organisé, enavril 1994, le Premier symposiuminternational de la Commissiondes paris stupides dont parlenotre ami suisse, je suis arrivé audomicile frachonesque bien avantmes compères. C’était lelendemain du grand Charivari àColonne. Il s’agit d’une nuit oùtous les objets accessibles dansla commune sont déménagéschez les voisins. On retrouve ainsisa tondeuse à gazon dans lejardin de son pire ennemi, sesbacs à fleur dans l’église, lebarbecue du curé sur sa propreterrasse et autres joyeusetésinnocentes…Bref, après un tour de village pourrécupérer son dû et les libationsd’usage, le Frach’ m’a confié quecomme pour Jo, il avait un« dossier sur moi ». Nous ensommes restés là.Nos « dossiers » doiventdésormais se trouver aux Archivesdépar tementales du Jura, avecsûrement bon nombre d’autres.Ainsi les futurs chercheurspourront réécrire l’histoire de la

spéléologie du XXe siècle enFrance…Bref, pour la nuit ou ce qu’il enrestait, j’ai eu le privilège dedormir dans la chambre de sa filleAline, prénom dont je me suissouvenu puisqu’une de mes fillesse prénommait également ainsi.Ce n’est que lors de la soirée deremise des prix du concours« Oulipologie », une bonne dizained’années plus tard, que nousnous sommes mis à parler desaléas de nos vies respectives.À un moment, je lui ai dit : « Tuas bien une fille qui s’appelleAline, toi ? »

Et lui de répondre interloqué :« Comment tu sais ça, toi ? »« J’ai un dossier sur toi… »

Et ce fut notre dernière complicité.Il ne reste effectivement de cepremier symposium que latopographie du trou de la Lune,à Poligny, relevé entièrement aulitre étoilé… Mais nous enpublierons les Actes un jour, c’estsûr. Pour le Frach’. •

Les textes de Georges Marbach et Jean-Claude Lalou m’ont remis en mémoire une petite anecdote…

Jean-Claude LALOUSociété suisse de Spéléologie

Jean-Claude Frachon, dit Le Frach’

Jean-Claude Lalou à la réunion de l’ANAR, Vallorbe,Suisse (mai 2005). Cliché Jean-Claude Frachon.J

Philippe DROUIN

Le « Trou de la Lune », dans les falaises qui dominent Poligny.

Carte postale de 1913.Collection Jean-Claude Frachon.

t

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Hommage à Jean-Claude Frachon - Spelunca 103 - 200616

Piqués au vif, les participants qui n’avaitpas préparé de communication pour le sympo-sium envoyèrent dans les semaines qui suivi-rent (les semaines furent un peu longues pourcertains) des contributions délirantes mais ayanttous les aspects de publications sérieuses.Jean-Claude produisit une notice sur Gaffarel quine contenait pas moins de 90 notes infra-pagi-nales pour un texte de quatre pages (notesincluses), ainsi que quelques commentaires surles prémices de la Commission et les activitésdiverses qui furent à notre programme. PhilippeDrouin commit une rêverie lamartinienne et unhistorique des colorations souterrainesatypiques. Roger Laurent se fit le chroniqueurillustré et coloré de la réunion. Claude Chabertpeina à produire un texte si ésotérique quemon ordinateur refuse absolument de l’ouvriraujourd’hui, et dont je ne me rappelle pas le filconducteur (y en avait-il un ?). Seul, René Davidne produisit rien ; il est vrai qu’il avait prisl’initiative d’of frir un somptueux bouquet defleurs à notre supposée hôtesse. Quant à noscompagnes, qu’elles fussent d’un soir ou plusfidèles, elles nous soutinrent ardemment danstous nos effor ts ! Il y en eut même une pourpeindre l’aquarelle de couverture de la publica-tion en chantier !

Et puis… las ! Rien ne se fit : le manuscritlaborieusement corrigé erra de mains en mainssans jamais que la publication voit le jour. C’estpeut-être mieux ainsi : il nous reste – à quelques-unes – le souvenir, et – aux autres bibliomanes –le regret frustré de la publication introuvable.

Si vous avez eu le courage de me lirejusqu’ici et que vous ayez eu l’impression de nepas tout comprendre, qu’on vous cachait mêmequelques détails, ne m’en voulez pas : j’ai relatéce souvenir comme je l’aurais écrit pour Jean-Claude, à mots couverts. Il aurait probablementaimé, j’ose espérer que cette fidélité vivante àson souvenir m’excusera à vos yeux.

Pour terminer cette évocation désordonnée,j’aimerais partager avec vous tous la dédicacequ’il m’écrivit sur la page de garde de Spéléosportive dans le Jura franc-comtois, qu’il publiaen 1983 avec Yves Aucant (un petit guide de7 mm d’épaisseur : on verra plus loin que celaa son importance…). On y retrouve sa façoninimitable et pudique de vous dire unegentillesse en la déguisant en vacherie : « Pourl’af freux Lalou. Ces quelques propos d’ungrottophage à destination d’un public boulimiquebéatement satisfait de spéléo-consommation etdont – je le sais – tu n’es pas venu grossir lesrangs. Ton vice à toi, c’est le kilométrage depapier imprimé aligné sur des étagères : cetopuscule ne l’encombrera pas beaucoup – nil’esprit, ni la bibliothèque – mais te rappellera,j’espère, qu’outre-Jura un autre Jean-Claudenourrit les mêmes passions. En toute amitié. LeFrach’ » •

enter un éloge de Jean-Claude Frachon seraitbien présomptueux de

ma part. Je me contenterai donc deraconter simplement les quelquesévénements qui ont transformémes interrogations, ma méfianceenvers un tel personnage et quim’ont convaincu que le bonhommeétait au-dessus du lot, une espècede héros fédéral, un monstre sacréde notre petit monde souterrain.

Je l’avais admiré, j’allais le côtoyer, je l’ai apprécié !

Lecteur assidu de Spelunca etd’Info plongée depuis la fin desannées 1970, je m’intéressede près aux événements spéléo-logiques en Franche-Comté. Jeremarquais fréquemment le nomde Jean-Claude Frachon dans tousles domaines de la spéléologie. Cesimple fait forçait mon admiration.

Il faut avoir une énergieinépuisable pour pouvoir

réaliser tout cela !

Je le vis pour la première foisau congrès fédéral à Saint-Émilionen juin 1987 : Une terrible tempêtevient de faire effondrer le chapi-teau. Je m’étais réfugié dans mavoiture et n’ai pas assisté à lacatastrophe. Tout à coup, quelquesmembres du Spéléo secours fran-çais courent vers leur stand etavant de comprendre ce qui sepasse, je les vois revenir avec lematériel d’assistance à victime.

Frach’ est en tête du groupe ! Je suis trèsimpressionné par autant

d’efficacité.

Mon premier réel contact avecla « bête 1 » a lieu au centenaire dela spéléologie à Millau en juillet1988. Je participe comme il se doità la réunion SSF et j’assiste à unehorrible passe d’armes au sujet ducontenu d’Info-SSF. Frach’ lamineen public un interlocuteur qui seplaint du contenu trop rude contreceux qui n’appliqueraient pas lapolitique du SSF ! Les argumentssont démontés l’un après l’autre,tout est anticipé, réfléchi, réalisé,exécuté. Les blancs-becs donneursde leçons ne connaissent pas lamoitié des tenants et aboutis-sants. Ils doivent s’écraser. Fermezle ban !

Après une telledémonstration de force,

comment ne pas être sur ses gardes !

Une individualité telle queJean-Claude fait peur : avoir à sadisposition une telle puissance detravail, une telle force de convic-tion, une telle mémoire deshommes et des faits, et une telleemprise sur les événementspermet tous les débordements.

Ces débordementsn’allaient-ils jamais

au-delà des limites que je pouvais accepter ?

Quelques jours plus tard, jeparticipe au stage Conseiller tech-nique à Saint-Mar tin-en-Vercors.Tout le monde por te à Frach’ ungrand intérêt qui se traduit de diffé-rentes façons et c’est un véritablespectacle ! L’un partage des souve-nirs impérissables de la créationdu SSF ou sur d’autres événe-ments majeurs. Le deuxièmeraconte les dernières péripéties detel ou tel autre vivant à l’autre bout

Jean-Paul COUTURIER

Frach’

T

1 • Jean-Claude disait souvent « il voulait voir la bête » en parlant d’un nouveau venu faisantconnaissance avec le SSF !

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Hommage à Jean-Claude Frachon - Spelunca 103 - 2006 17

du pays et dont Frach’ connaît déjà tousles secrets. Le troisième aborde unaspect « politique » de la FFS et se faitexpliquer, détailler, décortiquer, dissé-quer les arguments expliquant une déci-sion mal comprise. Le quatrièmeespère lui apprendre des choses sur telou tel trou en pleine exploration. Lecinquième veut l’af fronter sur la« déconnade » : peine perdue, que cesoit pour un Capitaine Paf ou tout autreplan délirant, Frach’ est prêt à relevertous les défis et à payer de sa personnepour les gagner ! Même sur les sujetsdont il annonce ne pas être un grandspécialiste, il démontre qu’une solutionsimple et efficace existe depuis deslustres (encore faut-il avoir un peu deculture !) et qu’il est bien inutile decomplexifier les choses et de réinven-ter ce qui est déjà connu. Je l’ai vu enmême temps corriger les épreuves deSpelunca, répondre à son voisin quidemandait une précision et interveniroralement pour compléter l’exposé queprésentait un cadre ! Je repars doncdu stage CT « groggy » : je viens de vivreune formation par ticulièrement enri-chissante, de découvrir des sujets capti-vants, et de rencontrer quelquespersonnalités exceptionnelles, Frach’en tête !

Qu’il soit joueur, orateur,scribe, avocat ou juge,

l’affrontement est pour luiun principe de vie.

Frach’ doit convaincre et même vaincre !

Mon ami et adjoint au SSF Ile-de-France, Philippe Ratel, par ticipe austage CT de 1989. Il est inquiet parl’aura et les exigences du SSF. Je luiraconte beaucoup de choses et enparticulier lui présente les personnali-tés qu’il va rencontrer. Pour moi, Frach’est tout en contraste, il ne laisse pasindif férent, il est dérangeant : sagentillesse, sa patience et son sens dupartage sont illimités, et à l’opposé sonexigence, sa dureté et sa cruautépeuvent être démesurées! Philippe partdonc à ce stage avec mes quelqueséléments de réflexion. Il est sur sesgardes. À son tour, il est subjugué parle bonhomme.

Cette confirmation meconvainc définitivement.

Frach’ est un hommeextraordinaire.

Fin 1989, Jean-Claude me proposede participer à la vie du SSF nationalet me demande de réaliser le suivi desstages secours dépar tementaux etrégionaux. J’accepte avec plaisir cettemission. Je découvre alors un Frach’d’une gentillesse, d’une patience etd’une générosité remarquable. Il dépen-sera sans compter son temps pourm’expliquer ma tâche, me photocopiertoutes les archives nécessaires, m’aiderdans la rédaction des rapports annuels.

Lorsque j’acquiers mon toutpremier PC et que j’ai du mal à le maîtri-ser, il m’aidera à installer les logicielsnécessaires pour accomplir ma tâche.Il écrira même les programmes qui mefaciliteront le travail. J’aurai cru qu’ilvoyait l’informatique comme un moyenbassement technique. En fait, il acompris que cet outil lui ouvre denouvelles possibilités, augmente sapuissance de travail qui semblait pour-tant déjà immense. Cela devient une deses passions. Il connaît la solution àtous les problèmes techniques.

Frach’ est toujours enavance sur les autres.

Je ne m’étendrai pas sur la périodeoù je participais aux réunions du comitédirecteur du SSF. Ce serait écrire unepartie de l’histoire du SSF et ce n’estpas l’objet. Par contre, je dois préciserque Frach’ était un exemple d’organi-sation. Toutes les réunions étaientpréparées avec minutie, chaque sujetétait synthétisé. La discussion pouvaitalors s’engager pour prendre une déci-sion. Frach’ nous recadrait lorsque nousdérivions. Tout cela était clair et simple,rapide et efficace. L’ordre du jour étaittraité dans sa totalité, sans perte detemps, sans discussions stériles.

Frach’ était un maîtreorganisateur, un exemple

pour tous les responsables.

Lorsqu’en 1992, il laisse la direc-tion du SSF à Pierre-Henri Fontespis-Loste, certains devaient être étonnésqu’il ne s’accroche pas à la place. Monami PH m’ayant demandé de devenirson président adjoint, je suis bien placépour affirmer que Frach’ nous a laisséle champ libre, presque trop libre ! Aprèsune période aussi clairvoyante, aussidense, aussi forte, avec une oppositionétouffée, toutes les rancœurs pouvaientalors s’exprimer. Je dois reconnaître quela période ne fut pas facile.

Frach’ nous a toujoursapporté son aide, sansjamais nous l’imposer.

En 1994, j’ai eu l’honneur de visiterla Caborne de Menouille en duo avecl’inventeur des lieux. C’est l’une desplus belles réalisations de Frach’ dansson cher Jura. Je vis ces instants d’in-timité comme un cadeau. J’apprendspar son auteur tous les détails desexplorations. Je suis impressionné parl’ampleur des découver tes, sur toutqu’elles ont eu lieu à une époque oùla technique n’avait pas encore fait lesprogrès que l’on connaît. Ses récitssont gravés dans ma mémoire.

Avant d’être un homme de dossier, Frach’ était

un spéléologue hors pair.

1997, Jean-Claude souhaite vérita-blement prendre sa retraite du SSF. Ilme remet sa dernière charge, celle desarchives accidents. Je dispose alorsd’une source absolument unique dedocuments rassemblés scrupuleuse-ment avec l’aide des conseillers tech-niques, par la consultation de toutes lesbibliographies, en récupérant la moindrecoupure de journal… Pour exploiter lesiècle de données cachées dans cesarchives, Frach’ a conçu une base dedonnée informatique. Il m’a alors fourni

Jean-Claude Frachon est en pleine forme,sous l’œil admiratif de Hubert Zassot,Saint-Martin en Vercors(Drôme), 4-9 juillet 1988.Cliché : XXX.

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Hommage à Jean-Claude Frachon - Spelunca 103 - 200618

a vie of fre bien desrencontres, des partages,des confrontations… On

synthétise tout ça et on tente de sesituer, d’y voir clair… Puis un jour,quand l’expérience commence à sédi-menter pour enfin offrir un semblantd’assise de convictions et de cer ti-tudes, tu rencontres un mec qui maniela dialectique comme un chirurgien (çafait mal mais à terme ça soulage…).Certains arrivent à te faire prendre desvessies pour des lanternes. Mais leproblème avec Frach’ c’est que nonseulement tu marchais, mais qu’enplus tu trouvais qu’elles éclairaientbien…

Son énergie volcanique au service deson intelligence, de ses valeurs, deses compétences et de cette capacitéà manier l’argument, explique cecharisme qui nous a tous inspirés.

La mer a changé, les vents onttourné, mais en ce qui me concerne,j’essaye de tracer un sillage aussi francque ce capitaine Paf… bien qu’ilcamouflait sa générosité et son empa-thie sous le masque implacable del’efficacité…

Des notes et des paroles ressur-gissent d’un brouhaha aviné (« In vinoveritas ») vieux de 19 ans… (Je croisme rappeler, que c’était sur l’air de« Ah, tu verras, tu verras » la chansonde Nougaro…).

1Oui t’as raison (2)Père Frachon t’as raison (3)Au sein du SSF t’as raison (2)Mais fais gaffe à YvonQui te bouffe le fionA tous ces gens du sudQui te mènent la vie rudeMais tu as du soutienDe la part des copainsMais pas de ceux qui fontPin Pon (3)Bagarre-toi Frachon t’as raison (2)Tu passes pas pour un con t’as raison (2)Et puis en fin de compte t’as raison (2)S’il n’en reste qu’un c’est toi.

2Dans tous les stages que tu faisT’as toujours des idéesQue tu sais imposerMalgré tous ces CT qui te sont opposésMais que tu sais biaiser poil au nez (2)Avec les conventions, les lois, les règlementsDécrets d’application, décentralisationMédicalisation, plongée, désobstructionPompage, héliportage, ordre de réquisitionMieux que tous les canonsQue tu fais absorber à ces futurs CTQui ne connaissent pasTon pote le Capitaine Paf.

3Et d’ici quelques annéesQuand tu seras courbéAvec tes cheveux blancsEt tes doigts tout tremblantsSur ton ordinateur toujours tu écrirasA PP, à Gomez, à Toto, à la RhâA PH, à Hubert, à ce bon DecobertQui depuis si longtemps sait gérer nos affairesOn te retrouvera assis sur l’escalierA te ronger les sangs en pensant au passéPourtant on te dira “Allez reviens Papet”Car on ne t’en veut pasTu as toujours raison.

Philippe RATEL

Le Frach’

L

Texte d’une chanson composée par lesstagiaires, en l’honneur du « patron » duSpéléo secours français et chef du stage,Jean-Claude Frachon. Vallerauge (Gard)7-14 juillet 1989.Voir transcription ci-dessous :

Pierre-Henri Fontespis-Loste à la guitare,Hubert Zassot au clavier (stage CT,

Valleraugue, Gard, 7-14 juillet 1989).Cliché Jean-Claude Frachon.

2 • De webmaster pour être plus précis.

un petit programme très bien fait, mefacilitant grandement les extractions d’in-formations et les statistiques. Si la struc-ture SSF permet de rassembler lesdossiers de l’année assez facilement,l’analyse des informations contenuesdans ces dossiers n’est pas aisée.Frach’ a passé de longs moments pourm’expliquer les subtilités de l’analysed’un dossier ! Depuis cette date jen’avais eu de cesse de « l’embêter »pour comprendre tel ou tel détail contenudans un vieux dossier dont un détailm’échappait. J’étais comme un enfantqui écoutait papy Frach’ raconter toutesles péripéties de tel ou tel sauvetage.

Frach’ avait une mémoired’éléphant, un cerveau

encyclopédique !

Sur ces dernières années il s’étaitbeaucoup passionné et investi dansla réalisation de son site Internet« www.juraspeleo.com ». Comme à sonhabitude, il a commencé humblement etsimplement. Avec une patience demoine, il a étoffé son site qui est devenurapidement une référence. Grâce à cetteréalisation, la spéléologie s’est enrichied’un superbe pan de culture.

Le SSF n’a pas pu résister à luidemander son aide pour dépoussiérerson propre site. Il a accepté ce travailponctuel de « maître 2 ». En quelquessemaines, il met les idées au clair,réorganise les informations existantes,ajoute les pages impor tantes quimanquaient. La gestion du site devientalors beaucoup plus simple. J’ai eu l’im-mense plaisir de le retrouver à quelquesréunions du comité directeur du SSF.

Frach’ était un artisted’efficacité !

Au terme de ces rencontres avecmon ami Frach’ j’ai ressenti sa dispari-tion comme un coup de poignard. Sesprojets étaient innombrables, son éner-gie semblait inépuisable. C’est unepartie de l’âme de ma spéléologie quis’éteint. J’aurais aimé avoir le temps dele retrouver encore bien souvent.

C’était tellement enrichissant de lecôtoyer.

Pour le bien de tous, Frach’aurait mérité de vivre jusqu’à

un âge canonique ! •

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Hommage à Jean-Claude Frachon - Spelunca 103 - 2006 19

L’explorateurLe Lédonien Jean-Claude Frachon

débute sa longue carrière d’explorateursouterrain dès l’âge de 14 ans, en1958, dans le Jura. Premier grandsuccès dès 1964 : l’exploration de laCaborne de Menouille et réalisationcette année-là de la jonction avec legouffre de Cernon, par le franchisse-ment d’un siphon. La plongée souter-raine n’en est alors qu’à sesbalbutiements, et les techniques trèsrudimentaires… La cavité totalise alors5500 m de galeries pour 157 m dedénivellation, et devient la plus grandetraversée du quar t nord-est de laFrance.

Véritable précurseur en matièrede plongée en siphon, Jean-ClaudeFrachon et ses équipiers feront ensuitebien d’autres découver tes dansquelques-uns des 200 siphons querecèle le sous-sol jurassien : grotte duGour bleu, Source de l’Ain, rivièresouterraine de la Châtelaine…

Ces kilomètres de réseaux souter-rains seront tous méticuleusementtopographiés et publiés.

Ne perdant aucune occasion, ilprofite de son séjour « forcé » à l’Écolemilitaire d’Aix-en-Provence en 1966 et1967 pour pratiquer la spéléologie enProvence et dans les Pyrénées.

Car si la Franche-Comté reste sonpremier terrain d’action, Jean-ClaudeFrachon participe avec d’autres clubs àdes campagnes d’exploration surd’autres massifs prestigieux tels que laDent de Crolles (Isère) en compagniede son ami Michel Letrône, ou la CoumeOuarnède (Haute-Garonne) avec GérardPropos.

Le militant fédéralMembre du Groupe spéléologique

jurassien dès 1960, Jean-ClaudeFrachon fonde en 1964 le Spéléo-clubdu Jura, qu’il préside ensuite pendantprès de quarante ans. Il est l’un desmembres fondateurs du CDS 39, où ilsiège au Comité directeur presque sansinterruption depuis sa création en1965, et occupe en tant que titulaire ouadjoint le poste de Conseiller techniquesecours de 1973 à 1992.

À l’échelon régional, Jean-ClaudeFrachon participe à la création du CSR« Alsace - Bourgogne - Franche-Comté »,et siège au Comité directeur, jusqu’àla naissance en 1980 de la Ligue deFranche-Comté, participant à son admi-nistration pendant près de quinze ans.

Au-delà, son investissement ausein de la FFS est impressionnant : ilest pendant neuf ans membre ducomité directeur de la FFS, directeur dela Commission de plongée souterraine

de 1973 à 1977, puis de l’École fran-çaise de spéléologie jusqu’en 1979.Membre fondateur du Spéléo secoursfrançais, il en devient président adjointpuis président de 1986 à 1992. Ilpréside le Département enseignementde l’Union internationale de spéléologiede 1984 à 1997.

Une telle implication bénévole luivaut – heureusement ! – quelquesdistinctions bien méritées, telles quela médaille de bronze du ministère del’Intérieur pour « acte de courage et dedévouement », et la médaille d’argent duministère de la Jeunesse et des Sports.

La Fédération française de spéléo-logie le nomme membre d’honneur en2002.

Le cadre fédéralJean-Claude Frachon, enseignant

dans l’âme, est instructeur de lafédération, et titulaire du brevet d’Étatdepuis 1995. Cette passion pour

Jean-ClaudeFrachon(1971).

Au pied de la Dent de Crolles (1983).

Rémy LIMAGNE

Première biographie

ne gageure que de prétendre rédiger une « biographie » deJean-Claude Frachon en quelques jours ? Assurément oui. « Quandon prétend, faut pouvoir ! » se serait-il gaussé…

Et il y a de quoi, tant l’entreprise semble colossale. En attendant une véritablebiographie (et il faudra être patient !), voici quelques points de repères,pour commencer à connaître – un peu – le personnage.Jean-Claude Frachon est né à Lons-le-Saunier le 13 avril 1944 et décédé àColonne (Jura) le 27 octobre 2005.

U

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Hommage à Jean-Claude Frachon - Spelunca 103 - 200620

l’enseignement l’amène à organiseret encadrer plus d’une centaine destages.

Trente sessions de formation tech-nique et de formation de cadres toutd’abord, pendant une vingtaine d’an-nées. Ainsi sous sa conduite aura lieule premier stage national d’initiateur, en1964 dans le Jura. Il assure la respon-sabilité d’une quinzaine de stages despéléologie jusqu’en 1983, essentiel-lement dans le Jura, le Vercors, et lesPyrénées.

Durant le temps de sa présidencede la commission plongée, il organiseet encadre trois stages nationaux deplongée souterraine.

À par tir de 1978, Jean-ClaudeFrachon se consacre essentiellementaux formations secours, en encadrantune trentaine de sessions : stagestechniques, gestion de sauvetage,conseiller technique de préfecture…ainsi qu’un stage au Liban.

En dehors de la Fédération, il a étésollicité pour participer à huit jurys del’examen final du brevet d’État despéléologie, et est intervenu jusqu’àcette année sur la plupar t des UF 3(connaissance du milieu) qui se sontdéroulées à Chalain.

L’écrivain documentalisteEnseignant-géographe, Jean-Claude

Frachon se spécialise évidemment dansla connaissance du relief karstique. SonDiplôme d’études supérieures engéographie por te sur « Les reculéesdu Jura lédonien » (1970). Les théoriesqu’il développe, qualifiées de « révolu-tionnaires » à l’époque, sont aujourd’huicommunément admises.

À l'origine du premier fascicule deCDS-info en 1972, bulletin d’informa-tion du CDS du Jura, Jean-ClaudeFrachon aura assuré la parution de plusde la moitié des 200 fascicules éditésà ce jour. Cette même année débuteégalement l’énorme entreprise de l’in-ventaire des cavités souterraines dudépartement. En 2005, ce sont plus de2400 phénomènes souterrains qui sontrépertoriés, localisés, décrits, et pourplusieurs centaines, topographiés.Cet énorme travail de recherche n’auraitjamais abouti sans l’opiniâtreté, laméticulosité, et l’extrême rigueur dupersonnage.

Devant le développement de laspéléologie dans les centres devacances, Jean-Claude Frachon publieen 1975 la première édition de Décou-verte du Jura souterrain, fascicule décri-vant une vingtaine de cavités du Juraadaptées à l’initiation, réédité en 1980puis en 1992. Plus récemment, il parti-cipe à l’édition des deux topo-guidesSpéléologie en Franche-Comté. Enfin, ilsupervise la publication des deuxtomes de Spéléologie dans le Jura(1999 et 2003).

Il pilote pour le Jura L’inventairedes circulations souterraines reconnuespar traçage en Franche-Comté, qui serapublié en 1979 par le ministère del’Agriculture et réactualisé en 1987.

Est-il enfin possible de dénombrerle nombre d’ar ticles spéléologiquespubliés par ce prolifique écrivain ? Oui !Car il en tenait lui-même une compta-bilité rigoureuse. Les revues spéléologi-ques foisonnent de récits, de rapports,de synthèses, sous la signature deJean-Claude Frachon. Plus d’un millierd’articles, depuis son premier compterendu d’exploration à la Caborne deMenouille, en 1963. Par exemple, latable des matières de Spelunca 1981-2000 (supplément à Spelunca n°88,4e trimestre 2002), recense plus de100 articles portant sa signature, endix ans, dans cette seule revue fédé-rale. Il prend d’ailleurs une part activeà la rédaction de Spelunca dès 1973comme correspondant régional, puis

comme membre de la rédaction en1986. Pour ne rien oublier, il convientaussi de mentionner son implicationpendant près de 25 ans dans l’élabo-ration du Bulletin bibliographiquespéléologique de l’Union internationalede spéléologie.

Anecdotique? Jean-Claude Frachonfigure dans le « Quid », en 1990, parmiles « spéléologues les plus connus »…entre Eugène Fournier et Bernard Gèze !

À son domicile de Colonne, le quar-tier général du spéléologue était consti-tué d’une pièce de cinquante mètrescarrés, dans laquelle on peinait à semouvoir entre les dizaines de mètres derayonnages emplis de boîtes à archivessoigneusement classées, et les autrescartons empilés un peu partout… « àclasser » ! On imagine l’énormité de labibliothèque rassemblée ici. Si sa valeurmarchande n’a pas été évaluée, sonintérêt historique pour la spéléologie nefait aucun doute. Les milliers de fiches,croquis originaux (parfois tracés sur unenappe de restaurant…) de son inven-taire des cavités du Jura constituentLA source d’information sur le karst dudépartement. Sa collection absolumentcomplète de Spelunca (depuis 1895)comprend des exemplaires annotésexceptionnels, telle cette dédicace deFournier sur un numéro de 1913…

La question de la conservation dece fonds documentaire s’est évidem-ment posée rapidement. Le choix a étéfait de la confier aux archives départe-mentales à Lons-le-Saunier.

Le « fonds Jean-Claude Frachon »fait désormais partie du domaine public.

Ces dernières années, il s’estappliqué à construire son site internet« Juraspéléo ». Évidemment un modèledu genre. Une mine de renseignementsméticuleusement organisés, scrupu-leusement vérifiés. Malgré son intitulé,l’intérêt de ce site dépasse largementles limites du Jura : on y trouve unrecueil de poésies en rappor t avecla spéléologie, jeux, anagrammes,légendes, peintures, etc. Ce site estdevenu une véritable référence dansle monde de la spéléologie, et bien au-delà. Désormais hébergé sur le serveurde la FFS, il sera conservé, commeœuvre d’auteur, en l’état où il nous l’alégué lors de sa dernière mise à jour, le25 octobre 2005. •

Borne aux Cassots (2004). Cliché Pascale Lafosse.

Le site du CDS du Jura lui fait suite. De nombreuses pages sont consacrées à Jean-Claude Frachon :photographies et témoignages. Elles peuvent s’enrichir de toutes contributions… Merci !

À consulter à l’adresse http://cds39.ffspeleo.fr

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Hommage à Jean-Claude Frachon - Spelunca 103 - 2006 21

ores et déjà, l’ensembledes documents est iden-tifié sous la cote 109 J« Fonds Jean-Claude

Frachon », la série J correspondantà l’entrée de documents par voieexceptionnelle, ici une donation parAnne et Aline Frachon, les deux filles deJean-Claude.

L’ensemble du fonds est commu-nicable suivant les prescriptions légalesde communication adaptées auxdocuments des Archives départemen-tales, conformément à la loi n° 79-18du 3 janvier 1979. Dans le cas de lareproduction, les mêmes règles sontappliquées que celles prévues pour lesarchives publiques et privées, dansla mesure où cela n’altère pas l’écri-ture ni le support des documents. Aucontraire, toute reproduction de regis-tres et d’ouvrages publiés est interdite.

Il n’est pas inintéressant de préci-ser, en quelques lignes, comment etpourquoi ce transfert a été réalisé auxArchives dépar tementales du Jura.En novembre 2005, j’ai proposé deme charger de l’inventaire et du deve-nir de ce fonds très impor tant d’ar-chives spéléologiques régionales. Pourcomprendre cette proposition, il fautsavoir que, au moins pendant le tempsde nos études universitaires à Besan-çon, Jean-Claude et moi par tagionsquelques passions, en plus de laspéléologie au sens strict : l’une d’entreelles touchait à ce besoin forcené deconnaître l’origine des choses et à unecuriosité mal maîtrisée pour la massede documents et de publicationssouvent peu exploités qui concernaientla géologie, la karstologie, la préhis-toire. Derrière le Jean-Claude décon-tracté qui, à cette époque, s’affichaitencore avec la collection complète (etle style) de Lucky Luke, fumant la pipeet se nourrissant de romans policiers(mais surtout en public), se cachait unféru des approches historiques, unardent lecteur de littérature grise, unpassionné de l’écrit et de son évolution

au cours des siècles. Il nous apparais-sait alors que depuis le début duXIXe siècle, l’essentiel de ces docu-ments publiés était resté inutilisé et lesconnaissances dispersées. Ce serait lerôle de Jean-Claude de faire le tour desdonnées spéléologiques et de concen-trer l’information en un seul point (sachambre d’étudiant d’abord, puis sonbureau), tandis que je me chargerais dece qui était préhistoire régionale, enprésage de ma future orientation dechercheur au CNRS. Et c’est ainsi queJean-Claude, pendant plus de quaranteans, a collecté tout ce qui touchait auxgrottes, au karst et à la géologie du Juraplus particulièrement, mais aussi del’ensemble du massif jurassien. À l’ori-gine destiné à un projet jamais accom-pli (un véritable inventaire spéléologiquedu dépar tement du Jura), ce fondsdocumentaire devait (sans dif ficultéaucune) concurrencer l’inventaire deJean Colin publié un peu vite par leBRGM. Même resté inédit, cet inven-taire du Jura est devenu une référenceobligée pour tout scientifique qui s’in-téressait au sous-sol de la région : dansson bureau – et sur tout dans samémoire phénoménale pour tout ce quitouchait à sa passion – Jean-Claude

vous sortait tel ou tel document, parfoisà diffusion très restreinte, justementcelui que vous cherchiez depuis desannées, ou bien telle informationinédite, collectée au hasard de la vie etcouchée par écrit pour ne pas risquerd’être à nouveau perdue. Jean-Claudeest ainsi peu à peu devenu la mémoirecentrale de la spéléologie du Jura ;jusqu’à sa mort à l’âge de 61 ans, il acontinué à gonfler prodigieusementcette base documentaire, même si,dans les dernières années, la tâche acommencé à devenir démesurée pourun seul individu, quelle qu’ait été sapuissance de travail.

À la mor t de Jean-Claude j’aiaccepté cette responsabilité de gérer– ou plus exactement de réorienter – unfonds documentaire qu’il n’est pasoutré de qualifier d’exceptionnel. Jean-Claude n’avait jamais dit grand-chosedu devenir de ses documents et de seslivres, accumulés par fois sur deuxrangs – dans des étagères surchar-gées – ou empilés au sol ; le seulsouhait clairement exprimé était laconstitution d’un fonds unique (au sensde non-divisé) accessible à tous (etque je me suis permis de traduire :au plus large public). Avec l’accordd’Anne et d’Aline, Anne-Marie Pétrequin,Françoise Frachon et moi avons faitl’inventaire de ce qui touchait à laspéléologie et à la géologie : au totalquatorze mètres linéaires de papierécrit, imprimé, impressionné, cousu,relié, dissocié, qu’il a fallu conditionnerpar thèmes et décrire, de sor te quele fonds puisse rapidement devenirutilisable, donc consultable. Je me

Pierre PÉTREQUINLaboratoire de Chrono-écologie, CNRS et Université de Franche-Comté

Archives et bibliothèque de Jean-Claude Frachon

Pierre Pétrequin à la Baume de Gonvillars, Haute-Saône(janvier 1961). Cliché Jean-Paul Daugas.

Les archives personnelles et la bibliothèque

de Jean-Claude Frachon ont été déposées au :Service départemental des Archives du Jura

Impasse des Archives - BP 1439570 Montmorot

Tél. : 03 84 47 41 28Fax. : 03 84 43 05 41

où elles sont consultables aux horaires d’ouverture au public, c’est-à-dire du

lundi au vendredi, de 8h30 à 12h et

de 13h15 à 17h15.

D’

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Hommage à Jean-Claude Frachon - Spelunca 103 - 200622

souviendrai de ces quelques longsweek-ends enneigés passés cloîtrésentre de hauts rayonnages qui n’enfinissaient pas de s’alléger (et qui nesont toujours pas vides, loin de là).

Mais la question essentielle restaiten attente : où déposer ce fonds docu-mentaire pour qu’il reste non divisé etconsultable par tous ? En tant que cher-cheur de profession, je sais par expé-rience qu’en France les Archivesdépartementales offrent les meilleuresconditions de conservation et d’acces-sibilité au public, car il s’agit d’institu-tions of ficielles entre les mains deprofessionnels formés à ce travail, dansle cadre d’une volonté explicite degestion à long terme. Mais ce n’étaitpas à moi seul de décider de l’avenirdes archives et de la bibliothèque deJean-Claude.

Nous avons alors rapidementexploré deux autres pistes :■ La Fédération française de spéléolo-gie, en par ticulier la Commissiondocumentation et la Bibliothèque àLyon. À certains spéléologues, restait,semble-t-il, un goût amer de fonds docu-mentaires volatilisés. Quoi qu’il en soit,les contacts pris via le Net ont montréque le public (en ma personne, pourprendre un exemple) ne pouvait pasconsulter la base documentaire sansacquitter au préalable une cotisation, cequi se conçoit pour une association,mais en conséquence est une formed’exclusion des non-initiés. Un examenun peu plus détaillé permettait d’ailleursde se tourner vers la véritable basedocumentaire qui est celle, semble-t-il,de la Société suisse de spéléologie,dont la bibliothèque est installée ausous-sol de la Bibliothèque de la Chaux-de-Fonds depuis 1982. Pour ces diffé-rentes raisons, le projet d’un don à laFédération française de spéléologie n’apas été retenu.■ La Bibliothèque de la Société suissede spéléologie (http://www.speleo.ch/commissions/librar y_F.php) af fi-chait, à juste titre, de bien meilleursatouts, en par ticulier une grandeproximité avec le Jura français, unstatut administratif officiel et la possi-bilité de prêt par correspondance ou dedemande de photocopies, en plus d’uneconsultation possible sur place. Mais,

plus amples renseignements pris, cettebibliothèque n’aurait pu recevoir lefonds Jean-Claude Frachon qu’à lacondition que les héritiers fassentd’abord procéder à l’évaluation finan-cière de la bibliothèque, avant déclara-tion en douane de tous les documents.Je laisse le lecteur juger des implica-tions d’une telle procédure lourde poursor tir d’Europe et entrer en Suisse.Jean-Claude en aurait certainement faitun fromage, avec quelque raison.L’intention de dépôt outre-Jura s’estdonc arrêtée là.

Restait l’hypothèse première : ledépôt aux Archives départementales duJura à Lons-le-Saunier. À cette hypo-thèse il y avait bien des avantages : laproximité géographique – d’autant,qu’explicitement, le fonds Frachon estun ensemble documentaire à valeurrégionale prépondérante – ; la facilitédes conditions de dépôt et nous devonssouligner la qualité de l’accueil fait à ceprojet - ; la certitude de pouvoir travaillerdans la longue durée – car c’est, pardéfinition, le statut des documentsdans les Archives départementales –.

En fin février 2006, le fonds Jean-Claude Frachon a rejoint les Archives duJura. Bien sûr, tout n’a pas encore ététrié dans le fameux bureau de Colonne ;mais la suite est moins urgente etconcerne les documents plus person-nels, comme les photographies, ou trèsvolumineux, comme certaines topogra-phies originales. Leur temps viendraaussi, plus lentement. Pour résumer, lefonds Jean-Claude Frachon a été diviséen trois parties :- 2 m linéaires de manuscrits, numéro-tés par dossiers sous l’abréviationFR. Concerne essentiellement desdocuments inédits, en particulierl’inventaire spéléologique dudépar tement du Jura, aveclistings, topographies et réfé-rences bibliographiques ;

- 3,65 m linéaires correspondantau fonds régional (intitulé Région),entendons la Franche-Comté et lemassif jurassien. Essentiellementdes documents publiés (mais passeulement) concernant la spéléo-logie, mais aussi plus largementles études géologiques et lesapproches du karst ;

- 5,85 m linaires d’ouvrages despéléologie hors massif jurassien(abréviation SG), auxquels s’ajou-tent 2,30 m de périodiques natio-naux. Cette section du fonds est

infiniment plus diversifiée et concerneaussi bien des acquisitions person-nelles (tous ces « vieux » classiquesqui ont bercé l’imagination des adoles-cents de cette génération), que desincontournables de la littérature scien-tifique dans ce domaine.

Mon point de vue est que ce fondsn’est pas seulement exceptionnel parson importance numérique (il vaudraitmieux dire volumétrique, tout encomprenant par fois pléthorique). Lefonds Jean-Claude Frachon représenteune mine régionale qui attend mainte-nant ses chercheurs, équipés d’unportable et d’un bon scanner. Ce fondsest également – et ce n’est peut-êtrepas son moindre intérêt – un véritableétat de l’ar t (dans le domaine de laspéléologie) pour la deuxième moitié duXXe siècle. Il offre enfin ce que nousn’avons jamais eu au moment où nousen ressentions le plus le besoin : l’ac-cès direct à un siècle de documents,depuis les coupures de journauxjusqu’aux articles scientifiques les plusobscurs. L’impor tance n’en est pasmesurable dans un monde à évolutiongalopante où l’on tend trop souvent,sans base documentaire, à réécrirel’histoire à défaut d’être à même de lapenser à nouveau. L’impor tance nepeut pas davantage en être niée dansun monde tellement complexe qu’il fautbien chercher à s’y intégrer autrement,par le biais de ces passions exclusivesqui ne servent à rien d’autre qu’à vivreen société.

En notre nom à tous, qu’on mepermette de remercier Anne, Aline etFrançoise Frachon. •

À Corveissiat lors de son exposé sur les reculées duJura lédonien le 8 octobre 2005, dernière photographiede Jean-Claude Frachon. Cliché Jean-Yves Bigot.

Jean-Claude est ainsi peu à peudevenu la mémoire centrale dela spéléologie du Jura.

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Hommage à Jean-Claude Frachon - Spelunca 103 - 2006 23

ean-Claude Frachon préparait pour son site « Juraspéléo » une trèsimportante étude bibliographique sur la grotte d’Osselle. Ses recherchesavaient permis de rassembler, fin 2005, près de 70 écrits anciens, depuis

la fin du XVIe siècle, et une centaine de documents iconographiques relatifsà la grotte. Nous ne présentons ici qu’une sélection très réduite de cetensemble documentaire.La totalité du travail réalisé sera consultable sur le site web du CDS du Juraà l’adresse : http://cds39.ffspeleo.fr.

Par Rémy LIMAGNE, d’après Jean-Claude FRACHON

La grotte d’Osselle(Rozet-Fluans, Doubs)

J

La grotte d’Osselle se situe àenviron 20 km de Besançon (Doubs),sur la commune de Rozet-Fluans, enrive gauche du Doubs. C’est une despremières cavités touristiquesmondiales ; des visites y ont été orga-nisées dès le XVIe siècle.

Voici ce qu’en dit l’Inventairespéléologique du Doubs (tome 2,1991, publication du Comité dépar-temental de spéléologie du Doubs).

• Grotte d’Osselle :865,400 x 243,55 x 240 (IGN)Dév. : 1 km environBathonien

Cette importante cavité est aména-gée pour l’exploitation du tourisme.Si son intérêt scientifique et spéléolo-gique est considérable, par contre elleprésente un intérêt moindre pour letourisme. Ce qui ne l’empêche pasd’être très fréquentée, grâce à sarenommée déjà ancienne, et à la publi-cité qui en est faite. Le saccage desrichesses naturelles et archéologiques,bien commencé dans les sièclespassés, a continué avec les aménage-ments touristiques. Comme c’estsouvent le cas, les exploitants fontpasser leurs intérêts commerciauxavant toute autre considération. En fait,s’ils se sont efforcés d’éviter les visitesnon contrôlées des spéléologues,ils n’ont pas su empêcher le pillagedu gisement paléontologique. Nousn’avons trouvé aucune publicationrécente sur la grotte, dont l’exploration

même semble être restée au point oùFournier et ses émules l’ont laissée àla fin du siècle dernier. La topographieest introuvable auprès des exploitants,qui n’ont pas accepté de nous laisserlever une carte complète. Celle-ci risque-rait sans doute de contredire quelquepeu leurs prétentions extraordinairesconcernant le développement de lacavité ! La topographie que nouspublions date de 1970.

DescriptionUne entrée artificielle, soigneuse-

ment cadenassée, et aménagée auxdépens d’une diaclase étroite, donneaccès à la galerie fossile de 700 m quiconstitue l’essentiel de la cavité. Surprès de 500 m, cette galerie concré-tionnée de bonnes dimensions est diri-gée vers le sud-ouest. Ensuite, elleoblique vers l’ouest et passe un carre-four où des conduits supérieurs (explo-

La grotted’Osselle.Photographieextraite de la plaquettepublicitairedu site.

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Hommage à Jean-Claude Frachon - Spelunca 103 - 200624

rés ?) débouchent dans la voûte. Lagalerie prend alors la forme d’une inter-strate au sol argileux et dépourvu deconcrétionnement. C’est dans cettezone que les exploitants montrent aupublic, derrière un grillage rouillé,

quelques débris des squelettes d’oursqui ont fait la réputation de la grotte. Lagalerie recoupe ensuite le réseau actifqui siphonne rapidement à l’amontcomme à l’aval. C’est là que l’on aconstruit un pont de pierre au siècle

des Lumières. La galerie, d’abord hauteet concrétionnée, revient rapidementà sa section en interstrate pour s’arrê-ter brusquement. Une diaclase latéraleen partie noyée constitue un regard surl’amont du ruisseau.

1592 : dans « Les mémoires histo-riques de la République séquanoise etdes princes de la Franche-Comté deBourgougne », Loys Gollut écrit :

« (...) Mais lon ne treuuerat mpoinsadmirable ce que près de Osselle,Quingey et Courte-fontaine lon treuueen une grotte fort longue et large, enlaquelle, de long loisir, la nature hatfaict des choses semblables, descolonnes, des beaulmes, destombeaux, des animaux de sor tesdiuerses qui rauissent en admirationtous ceux qui s’y transportent.

Ce lieu est une longue etassés large cauerne trauersant unemontaigne, et la persant par un for tlong espace, et iusques à ce que lamontaigne, presque réunie, en monstreune seconde, par le milieu de laquellecourt une petite riuiére, que les païsanspensent estre celle qui coule à Courte-fontaine.

Or, si je ne me trompe, ce lieu hatesté, du temps des Romains, uneminière d’or, proche de ceste Aucelleque nous disons Auricella en laquellelon ne cessat de fouiller iusques à cequ’ilz heurent desentraillé ce ventretant riche et tant doré. Puis l’haïansabandonnés pour ce qu’il n’y hauoit

plus aucune chose à prendre, nature,comme si elle heut voulu empescherque le reste de la montagne ne vint àse fondre et aualler dedans ce grandvuide, y hauroit faict assiduement, etde goutte à goutte, distiller des eaux,lesquelles, en tombant dedans ceslieux très-froids, viennent à se glasser,et en se glassant de iour en iour et deplus en plus, se endurcir de sorte queenfin, degenerans en autre qualité,tornent à se marbrer, par une durefermeté qui endure la pesanteur et lacharge de la montagne, comme aussila chaude viuacité des flammes. Puisauec le temps, ces gotettes glacées,puis endurcies et marbrées, s’engros-sissent par le découlement d’autresnouuelles, s’entre-reuestissantes lesunes les autres, et passantes ensemblables metamorphoses, à finque du bas du terrain iusques auplus ault de la fosse et voûte, l’ont heutdes colonnes et des hercules qui

supportassent tout le faix et charge dela montagne, et empeschassent qu’ellene vint à se ruir. »

Ainsi, Gollut assimile la grotte àune ancienne mine d’or, et en déduitl’étymologie du nom d’Osselle (contrac-tion de « Auricella »). Son analyse surl’origine du concrétionnement est fortintéressante !

L’exploration la plus ancienne?

Le XVIIIe siècle : premiers aménagements

Cette page de titre est celle d’un des deuxexemplaires de l’édition originale (Dole, chez

Ant. Dominique, 1592) déposés à la Bibliothèqued’étude et de conservation de Besançon. Elle estendommagée par une tâche, mais c’est celle de

l’exemplaire personnel de Loys Gollut, dont lasignature autographe figure en bas.

Osselle et l’EncyclopédieLe chevalier de Jaucourt parle de

la grotte d’Osselle dans le septièmevolume de « L’Encyclopédie ou diction-naire raisonné des sciences, des artset des métiers, par une société de gensde lettres », mis en ordre & publié parM. Diderot, de l’Académie royale dessciences & des belles-lettres dePrusse.

« GROTTE de Quingey, (Géogr. &Hist.nat.) grotte de Franche-Comté,à une lieue de Quingey, & à cinquantepas du Doux. Elle est longue & large,& la nature y a formé des colonnes,

des festons, des trophées, destombeaux, enfin tout ce que l’onveut imaginer : car l’eau dégouttantsur diverses figures s’épaissit, & faitmille grotesques. Cette caverneest habitée par des chauves-souris du-haut en-bas ; ainsi ceux qui voudrontla visiter, doivent faire provision deflambeaux & de just-au-corps de toile,tant pour y voir clair, que pour ne pasgâter leurs habits. Le terrein est for tinégal, selon les congélations qui s’ysont faites ; il est même vraisemblablequ’avec le tems il sera entierementbouché. »

La grotte d’Osselle dans les manuscrits de l’abbé Rose

En 1779, l’abbé Jean-BaptisteRose rédige pour l’Académie de Besan-çon son « Mémoire sur la grotte deQuingey ou d’Abbans ». En dix chapitresmanuscrits, il propose là la premièremonographie « scientifique » sur lacavité, dans laquelle il a procédé à devéritables mesures de longueurs, dehauteurs, de température… Il formuledes hypothèses per tinentes pourl’époque sur la genèse de la grotte, etsur le concrétionnement : « Ce ne sontdonc pas précisément l’eau ou le marc

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Hommage à Jean-Claude Frachon - Spelunca 103 - 2006 25

d’eau par eux mêmes qui forment lamatière des pétrifications, ils n’en sontque le véhicule, ce sont les dépotsdes pierres, des fossiles, des pierrescalcinées ou pulvérisées que les eauxentraînent par les issues qu’elles trou-vent dans les fentes des montagnes.Lorsque les dépots sont considérableset se font en même temps, ils formentdes masses de plusieurs toisesd’épaisseur […] La chute insensible deces eaux chargées de corpuscules pier-reux et salins, à travers les lits, lesjoints et les pores des rocs forme à lavoute des grottes des stalactites qui nesont mouillées par le bout pyramidal

que dans les premiers temps de leuraccroissement et qui le sont ensuitedans toute leur surface, lorsque le troude la stalactite est obstrué et que lastalactite prend plus d’empattement[…] »

Mais il rend compte également despremiers aménagements :

« (…) avant que messieurs deBeaumont et de La Corée, intendans decette province en eussent fait aggran-dir les passages l’un en 1752, l’autreen 1765 ce dernier por ta même l’at-tention sur les avis de M. Faton jusqu’àfaire construire un pont de pierre sur lecanal qui sépare la dernière salle dela 3° avec les pierres prises dans cettesale de roch brut, et de faire écarter decôté et d’autres les tas de boüe quirendoient le chemin très incommode ».

Un écrit ultérieur confirme d’ailleursl’intérêt porté à la grotte par l’intendantLacoré !

« M. de Lacoré parait avoir eu ungoût particulier pour cette grotte. C’estlui qui a fait aplanir le chemin et taillerla voute. Il a même voulu y donner unefête : on montre encore l’endroit qu’ilavait fait éclairer et décorer pour unfestin, et on assure que la fête étaittrès-brillante. La société fit, sans doute,son possible pour répondre aux atten-tions du maître ; mais qu’il a dû êtredifficile de s’égayer dans un souterraindont les sombres enfoncemens inspi-rent une secrète horreur, et où rien nerappelle la nature vivante ! […]

À la vue de deux ornières que leguide nous fit remarquer dans le sol,nous restâmes muets d’étonnement.Comment une voiture avait-elle puentrer dans cette grotte, et à quelle finl’y avait-on introduite? Le guide nousexpliqua tout. M. de Lacoré, intendantde la province, avait voulu embellir sonchâteau de plusieurs belles colonnesqui étaient dans le fond de la grotte: illes fit abattre ; et comme elles étaienttrès-pesantes, il fit démonter un petitcharriot pour l’introduire dans le souter-rain ; il y fit mettre ensuite les colonnes;mais il ne put jamais parvenir à les fairesortir de la grotte : il fut obligé de leslaisser là, et on les voit encorecouchées sur le sol » (Depping, 1819).

Rose évoque également les prélè-vements de concrétions…

« Depuis les derniers ouvrages faitsà la grotte de Quingey en 1765, M. leduc de Pecquigni en fit enlever deuxcolonnes dont une se brisa à la sortie,et dont M. Faton a réuni les pièces parquelques barres de fer qui les unissenten une même masse dans son jardin,à Quingey, tout récemment, encore,M. le marquis de Toulongeon en a faitenlever quantité de pilastres et decolonne pour en faire une grotte artifi-cielle dans les jardins de son chateaud’Antorpe, près de la route de St Vit àDole ».

Premières représentations :Lallemand, 1786

Jean-Baptiste Lallemand est unpeintre né à Dijon en 1716, et mort àParis, rue de Seine, en 1803.

Fils d’un tailleur, il reprend d’abordle métier de son père, puis il par t àParis en 1739 pour y apprendre la pein-ture. En 1747, il s’installe à Rome, oùil peint pour le pape Benoît XIV et deriches étrangers. Il collabore avecGreuze pour certaines gravures dont ilfait les fonds de paysages.

Il rentre en France en 1761 ; ilséjourne à Lyon, Dijon et Paris où ils’installe définitivement en 1773.

À partir de 1780, il travaille pourl’édition, et fait des dessins destinés àêtre gravés, par exemple pour laDescription générale et particulière dela France (1781-1784) de Benjamin deLa Borde.

La gravure reproduite ici estextraite de son Voyage pittoresque dela France, paru en plusieurs volumes,dont la Franche-Comté (1784-1786).

Le pont. Photographie extraite de la plaquettepublicitaire du site.

Gravure de J.-B. Lallemand : Au centre, un homme tient deux flambeaux. À droite, au premier plan, deuxpersonnages dont l’un, tête nue, semble commenter la visite à son voisin, enveloppé dans une cape.À gauche, à l’arrière-plan, deux autres personnages à peine visibles.

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Hommage à Jean-Claude Frachon - Spelunca 103 - 200626

Osselle vue par un historien :Georges-Bernard Depping

Les visites touristiques dans lagrotte d’Osselle ont débuté dès avantla Révolution française, aidées par lestravaux d’aménagement de l’intendantLacoré, mais elles se sont multipliéesensuite, la fumée des flambeauxoccasionnant les noircissures qu’onimagine, qu’on peut encore observer denos jours.

Ainsi en témoigne Georges-BernardDepping en 1811, dans Merveilles etbeautés de la nature en France.

« Un des plus beaux effets de cettegrotte, se montrait lorsque quelques-uns de nous étaient séparés du restede la compagnie par des colonnes oupar des stalactites pendantes : on nevoyait pas alors leurs flambeaux ; mais

la transparence des stalactites, répan-dait une lueur rougeâtre fort singulière,et ce que nous voyions de leurspersonnes avait aussi une teinte rouge.Nous les comparions aux démons del’Opéra, et le tout ressemblait en effetà une belle décoration de théâtre.

Les stalactites autour de nousavaient toutes sor tes de formes :c’étaient des troncs d’arbres, descolonnes, des groupes de glaçons, desalcôves, des espèces de coulisses ; àmesure que nous passions devant tousces objets, nos lumières les faisaientétinceler comme des diamans. Autre-fois l’éclat de ces concrétions a dû êtrebien plus vif. Malheureusement lesfréquentes visites des curieux ont faitcouvrir de fumée presque tous lesendroits que l’on peut atteindre ».

Des fouilles, et un plan de la grotte

Dans « l’Annuaire statistique dudépartement du Doubs », par A. Laurens(chef de division à la préfecture duDoubs), puis P. Laurens, la grotted’Osselle est citée et décrite quatorzefois entre 1812 et 1859. C’est souventle même texte qui est repris. Il relateentre autres le résultat d’une fouilleentreprise en 1826, et conclut à l’exis-tence d’une autre entrée rebouchée :

« Les fouilles faites en 1826 pourla recherche d’ossements fossiles, ontdémontré que ce ruisseau n’avait pasété traversé par les animaux auxquelsles grottes ont servi de retraite ; on doiten conclure qu’il y avait pour y pénétrerdes ouvertures qui se sont fermées ;car il n’est pas possible que l’entrée

Plan de la grotte par Rochon, accompagné d’une légende descriptive. Levé en 1826 et publié en 1833 dans l’Annuaire statistique du département du Doubs.

La grotte d’Osselle dans le romantisme du XIXe siècle

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Hommage à Jean-Claude Frachon - Spelunca 103 - 2006 27

unique qui existe aujourd’hui, ait jamaisservi d’issue à des animaux de la tailleet de la force des ours des cavernes(Ursus spelaeus), qui, d’après les osse-ments recueillis, devaient avoir la taillede nos chevaux ordinaires. »

Les ossements recueillis par Frédé-ric Gevril, conservateur du Musée d’his-toire naturelle de Besançon, sontenvoyés à l’Académie des sciences.L’Académie accorde une subvention de500 francs, d’où levé du plan de lagrotte par Rochon (au 1/1280e), jointen annexe du fascicule de 1833 (alorsque le plan avait été réalisé sept ansplus tôt).

Dans le fascicule de 1827,A. Laurens fait état des dégradationsdans la grotte, évoque des accidents,et sa fermeture !

« Les dégradations qui ont eu lieudans les grottes depuis un grandnombre d’années, faisant craindre quede nouvelles détériorations ne finissentpar leur ôter entièrement le charme quela variété de leurs pétrifications offreaux curieux, et, d’un autre côté, la faci-lité avec laquelle on pénétrait dans cesgrottes, loin de toute surveillance, ayantoccasionné des accidents, M. le Comtede Milon, Préfet du Doubs, a pris unarrêté qui autorise M. le maire de Roset-Fluans, commune dont les grottes ditesd’Osselle dépendent, à en faire fermerl’ouver ture, à y établir un gardienchargé de veiller à la conservation despétrifications, et d’introduire et deguider les curieux, moyennant unelégère rétribution. Ces sages disposi-tions sont exécutées depuis le1er janvier 1826. »

Mais l’édition de 1833 présenteaussi un dessin de l’auteur

(A. Laurens) : le fameux pont quienjambe le « précipice », qu’avait faitconstruire l’intendant Lacoré.

LithographiesEn 1825, Charles Nodier, Isidore-

Justin Taylor et Alphonse de Cailleuxpublient un ouvrage de 222 pagesaccompagné de 148 lithogravures,Voyages pittoresques et romantiquesdans l’ancienne France : la Franche-Comté.

La grotte d’Osselle bénéficie d’unedescription dans le plus pur styleromantique :

« Après avoir quitté le vestibule dontnous venons de parler, on passesuccessivement dans un grand nombrede galeries et de salles très spacieuses,décorées d’une grande variété de stalac-tites, réfléchissant de mille feux la

flamme des flambeaux ; quelques-unesde ces cristallisations ont porté leurslarmes brillantes du plafond au sol dece palais poétique ; elles forment alorsdes milliers de colonnes en faisceaux,dont les groupes miraculeux ravissentles regards et l’imagination. Tantôt leursagrégations capricieuses figurent unevaste église, où le guide peut désigneravec précision les tuyaux d’un buffetd’orgues, la chapelle profonde, la chaireaux sculptures élégantes, et montrerjusqu’au cénobite éternellement immo-bile qui va y faire entendre la parole deDieu. Quelle éloquence, au reste, ajamais témoigné d’une manière pluséclatante en faveur de son existenceet de ses prodiges? »

Parmi ces lithogravures, la planche113 représente « les Orgues » de lagrotte d’Osselle.

Le dessin est de Taylor, la litho-graphie est de Engelmann.

La grotte d’Osselle dans le premier Spelunca

Et en 1895, alors que la spéléolo-gie commence à se structurer enFrance, Edmond Renauld publie uncour t ar ticle sur une expédition à lagrotte d’Osselle, dans le tout premiernuméro de Spelunca (bulletin de laSociété de spéléologie, n°1, p.40-41) :

Grotte d’Osselle (Doubs). - M. E.Renauld écrit à la date du 30 janvier :

« J’ai visité au début de janvier, lagrotte d’Osselle, for t belle, ancienne

Le fameux pont qui enjambe le « précipice »,dessin de A. Laurens, auteur de l’Annuairestatistique du département du Doubs, 1833.

Dessin de Taylor, planche 113 de « Voyages pittoresques et romantiques dans l’ancienne France : la Franche-Comté », par Nodier, Taylor et Cailleux - 1825. Dans le détail, on reconnaît à droite, le guide, vêtu à lapaysanne, tête nue, un flambeau à la main, commente la visite pour un groupe de trois visiteurs : deuxhommes et une femme, en tenue de ville. À l’arrière, un chien, peut-être celui du guide…

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Hommage à Jean-Claude Frachon - Spelunca 103 - 200628

rivière souterraine dans de grandesdiaclases. (…) La grotte a 750 mètresde longueur ; à 600 mètres de l’entréeon y traverse un ruisseau, dont la gale-rie, perpendiculaire à la principale, estbelle et praticable dans les deux sens.L’ex-meunier du moulin de la Fraidière

s’y est aventuré assez loin en bateau,avec un ami, il y a une vingtaine d’an-nées. Ils ont poussé à une cinquantainede mètres, et ont reconnu des élargis-sements considérables (lacs). Leurbougie étant venue à manquer tout àcoup, ils faillirent chavirer de peur et

eurent toutes les peines du monderegagner l’embarcadère où ils retrou-vèrent de la lumière. Depuis cette expé-dition, qui manqua tourner au tragique,personne n’est revenu à la charge.Aussi, je compte y retourner à la Pente-côte. »

Eugène-Yves-Antoine-Marie Four-nier (1871-1941) est sans doute lespéléologue le plus connu du siècledernier en Franche-Comté.

Chargé de cours de géologie et deminéralogie à la faculté des sciencesde Besançon, le « professeur » travailleaprès 1894 pour la carte géologique deFrance (régions de Cahors, Montauban,Séverac-le-Château, Franche-Comté,Lorraine, Bourgogne), et effectue deuxmissions hydrographiques dans lesPyrénées avec Mar tel en 1908 et1909.

Après la première guerre mondiale,Fournier reprend ses cours à la facultéde Besançon, dont il fut doyen du1er février 1918 au 1er février 1921.

Il fut un des principaux contribu-teurs à Spelunca depuis sa création.

Ses études hydrogéologiques etexplorations spéléologiques ont étépubliées dans de nombreux ouvrages,dont cinq principaux : Gouffres, grottes,cours d’eaux souterrains du départe-ment du Doubs en 1919, Les gouffres,Grottes et rivières souterraines en1923, Les eaux souterraines en1926, et Phénomènes d’érosion etde corrosion, applications scienti-fiques et pratiques de la spéléolo-gie et de l’hydrologie souterraine,en 1928.

Il relate ainsi ses premièresexplorations à Osselle : extrait deSpelunca n°72, année 1913.

« Les Grottes d’Osselles sontaujourd’hui parfaitement aménagéeset éclairées à la lumière électrique ; lepropriétaire, M. Démoulin, a formé leprojet de rendre accessible la galeriede la rivière souterraine qui, comme onle sait, n’a jamais été explorée d’unefaçon complète. Nous avons tenté,le 15 décembre 1912, de reprendreson exploration. Tout d’abord nousessayons de pénétrer dans la résur-

gence voisine du Moulin de la Froidière,résurgence dans laquelle j’avais pupénétrer jusqu’à 150 mètres environ,par une sécheresse, en 1899. Virieuxet moi entrons dans l’eau jusqu’au-dessus de la ceinture.

Malheureusement, les eaux étaientplus hautes que nous ne l’avionsespéré et, à 20 mètres environ, M.Virieux, qui s’était jeté à la nage, vitqu’il était impossible de mettre à flot leBerthon et de pousser plus loin l’ex-ploration. Nous transportons alors leBerthon dans la grotte et le mettons àflot, à l’aval du pont. M. Démoulin etmoi, nous avançons dans l’eau versl’aval, jusqu’à une douzaine de mètreset laissons aller à la dérive le Berthon,maintenu par une cordelette et danslequel était monté Virieux, qui put ainsis’avancer jusqu’à 50 mètres environà l’aval du pont et constater qu’en l’étatactuel des eaux, la voûte était presquesubmergée et qu’il était matériellementimpossible de pousser plus loin l’ex-ploration. Nous tentons

alors de remonter vers l’amont du Pont.Là, M. Boiteux est arrêté à une quin-zaine de mètres et je constate que lepetit gouffre que l’on rencontre à droitede la galerie, après le pont, retombe surla rivière souterraine, non loin du pointoù est parvenu M. Boiteux. A gauche dela galerie terminale, une sor te d’en-tonnoir retombe aussi sur la rivière qui,là encore, circule dans une galerie, quin’est pas pénétrable, dans l’état actueldes eaux […] ».

Il s’agit bien là désormaisd’exploration spéléologique, et nonplus de balade romantique ! Fourniercomplète avec A. Magnin le plan deRochon de 1826, qu’il publie dansSpelunca n° 21 (1899), avec 25 réfé-rences bibliographiques. Ce plan està nouveau publié en 1923 dansGrottes et rivières souterraines avecune description :« La galerie principale est d’accèstrès facile et mesure environ900 mètres de longueur ; vers sonextrémité, elle rencontre l’impor-tant ruisseau souterrain sur lequelle pont mentionné plus haut a étéconstruit. Ce ruisseau provient del’entonnoir de Courtefontaine et

Fournier 1913 : Spelunca dédicacé parEugène Fournier. Collection JCF.

Le XXe siècle : Fournier, les eaux souterraines et Osselle

Le professeur Fournier, le « père » de la spéléologiefranc-comtoise.

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Hommage à Jean-Claude Frachon - Spelunca 103 - 2006 29

va ressor tir, à environ 1 kilomètre àl’aval du pont de la grotte, près dumoulin de la Froidière, au sud de l’en-trée, après avoir effectué un parcourssouterrain total d’environ 3 kilomètres.Après la traversée du ruisseau, la gale-rie principale se poursuit encorependant environ 150 mètres et setermine par un entonnoir qui formeregard sur le cours d’eau souterrain àl’amont du pont. Une petite galerie laté-rale que nous avons explorée lors d’unede nos premières visites de la grotte,le 9 mai 1897, aboutit aussi à unevasque d’eau, qui est vraisemblable-ment en communication latérale avecle ruisseau à l’aval du pont. »

Cette description très « spéléolo-gique » est complétée, outre le plan, parune photographie. Il s’agit sans doutede la première photographie publiée del’intérieur de la grotte.

Plus rien après Four-nier… Sinon une notuleanonyme en 1970 dansLa Nouvelle revue franc-Comtoise intitulée Décou-vertes archéologiques auxGrottes d’Osselle (Doubs).

« Une véritable nécro-pole d’ours des cavernesvient d’être découverte aucours de travaux entreprisdans les grottes d’Osselle(Doubs). Cette découvertea permis de reconstituerun squelette complet ducarnassier qui est ainsi letroisième existant au monde.

Dans un bloc de 10 mètres cubesd’argile représentant seulement lacentième partie du gisement exploité,les chercheurs ont mis au jour18 crânes ou ossements ayant appar-tenu à des animaux qui vivaient il y a40 millénaires et dont de nombreusestraces (griffures, polissures de rocheset charnier) avaient déjà été déceléesdans le sous-sol de la Franche-Comté.

D’après l’étude des squelettes,l’ours des cavernes devait mesurerenviron 3 mètres debout et peser prèsde 800 kilos. » •

Le premier plan de la grotte publié dans Spelunca (1899), par Fournier etMagnin, d’après celui de Rochon (1833).

Orientation bibliographiqueLa bibliographie élaborée par Jean-Claude Frachonsur la grotte d’Osselle comprend 70 références.Nous nous limitons ici aux quelques ouvrages qu’ilest encore relativement facile de consulter.

1895, E. Renauld : Spelunca, bulletin de la Sociétéde spéléologie, n°1, p.40-41.1899, E. Fournier, A. Magnin : « Recherches spéléolo-giques dans la chaîne du Jura, 1ère campagne 1896-1899 ». - Spelunca, Mémoires de la Société despéléologie, tome III, n° 21, p.342-346.1913, E. Fournier : « Recherches spéléologiques ethydrologiques dans la chaîne du Jura, 14ème et15ème campagnes 1911-1912-1913 ». - Spelunca,Bulletin & Mémoires de la Société de spéléologie, tomeIX, n°72, p.55-56.1923, E. Fournier : « Grottes et rivières souterraines »,Besançon, p.5-9.1925, Abbé Monnier : « Les grottes d’Osselle ». - In« Franche-Comté et Monts Jura », n°57, 1924-1925,p.76-77.1970, Anonyme : « Découvertes archéologiques auxgrottes d’Osselle (Doubs) ». - In « La Nouvelle revuefranc-comtoise », n°41, t.XI, fasc.1, p.48.1972, Y. Aucant et P. Pétrequin : Cavernes, n°2,p.66-73.1991, Comité départemental de spéléologie du Doubs :« Inventaire spéléologique du Doubs », tome II,p.144-145.

L’ensemble sera prochainement en ligne sur http://cds39.ffspeleo.fr

L’unique topographie contemporaine de la grotte d’Osselle,par P. Pétrequin et G. Picard, 1970.

Première photographie publiée de l’intérieur de la grotte : Fournier, 1923, Grottes et rivières souterraines.

Un des « 2 à 3000 squelettes d’ours » (!) découverts dans la grotted’Osselle... Photographie extraite de la plaquette publicitaire du site.

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Hommage à Jean-Claude Frachon - Spelunca 103 - 200630

La Caborne de Menouille à Cernon(X = 854,80 - Y = 160,33 - Z = 397),dans le sud du Jura, est le réseau leplus important de la Petite montagne.La grotte (« caborne » en patois local)s’ouvre sous la vieille route de Cernonà Menouille, dans les rochers de Sainte-Barbe.

Depuis longtemps, les habitants duhameau de Menouille connaissaient lacaborne, au pied des escarpements duplateau. On pouvait, au bout de 130 mde boyaux bas et caillouteux, en fran-chissant trois étroitures et un siphontemporaire, parvenir à une voûtemouillante terminale.

1948-1949En 1948, le Groupe spéléologique

jurassien entreprend l’exploration dela cavité. Par siphonnage, la voûtemouillante est vidée, ainsi qu’un troi-sième siphon, à 380 m de l’entrée, et1200 m de galeries vierges sont explo-rées (Réseau inférieur, Salle à manger,Réseau supérieur).

En 1949, le même club effectue le15 avril la liaison Réseau supérieur –Réseau inférieur par le P60 ; le 17 avril

l’exploration des réseaux Ouest et Est ;puis peu après, l’exploration partielledu « Chemin de Croix » (570 m).

Ces découver tes por tent ledéveloppement du réseau à 2200 m,pour 70 m de dénivellation (–55, +15).Ont par ticipé aux expéditions :Mlle Chaudat, MM. Besson, Cazal,Chaneaux, Cuaz, Dupan-loup, Métrat, Steck, etChaneaux en 1949.

1950-1956Durant plusieurs

années, l’explorationde la grotte est interrom-pue. En 1957, l’Électri-cité de France envisagela construction d’ungrand barrage hydro-électrique sur l’Ain(590 millions de mètrescubes), un kilomètre enamont de la Caborne.L’ouvrage élèverait deplus de 100 m le niveauprimitif de la rivière. Lesassises étant calcaires,la retenue d’eau risquait

de subir des fuites latérales. De plus,la configuration en méandre de la rivièreet la présence de la grotte laissaientcraindre la possibilité d’un court-circuitd’amont en aval. Une collaborations’est alors établie entre spéléologueset EDF, afin d’étudier l’hydrographiesouterraine du plateau.

ien que n’ayant pas fait partie des tout premiers explorateurs,Jean-Claude Frachon est un personnage clé de l’exploration de laCaborne de Menouille. L’amont de la rivière principale du réseau

porte d’ailleurs son nom : « Rivière Frachon ». La seule vraie monographiede la cavité a été publiée par lui-même en 1971, dans les Actes du4ème congrès suisse de spéléologie, congrès qui s’est déroulé à Neuchâtelen septembre 1970. Étude complétée plus récemment, toujours parJean-Claude Frachon, dans une publication du Jura Regards sur la Petitemontagne, en 1994, et enfin par le volumineux compte rendu du stage fédéralÉquipier scientifique de 2001.

Jacques Besson (« Jim ») à Menouille, 1949. Collection Bernard Lamy.

Par Rémy LIMAGNE, d’après Jean-Claude FRACHON

La Caborne de Menouille, plus long réseau souterrain du Jura sud

B

40 ans d’explorations

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1957-1958Prospection du plateau, désobs-

truction de plusieurs gouffres, aména-gement des siphons de la Caborne.Participants : Chevassu, Coulois, Lamy,Skowron, Steck.

1959Franchissement du sommet du P60

en escalade, et exploration de la rivièreamont sur 550 m par Cabaillot etSchneider, dans le cadre d’une expé-dition interclubs qui faillit bien tournerau drame (voir plus loin). Le dévelop-pement du réseau est alors de 2750 mpour 87 m de dénivellation (–55, +32).

1960Aménagements et topographie

(Coulois, Foray, Frachon, Mathieu,Skowron). Le 18 décembre, découvertedes galeries « Super Menouille » àl’extrémité du réseau Ouest (Foray etFrachon). Le développement de la grotteest alors de 3000 m pour 87 m dedénivellation.

1961L’EDF aménage en tunnel les

quatre cents premiers mètres de lagrotte, supprimant ainsi tous lessiphons. D’autre par t, le gouffre deCernon est désobstrué jusqu’à –40 m.En mai, exploration de la rivière dugouffre de Cernon jusqu’au siphon dela Boue, à 110 m de la base du puitsd’entrée (Coulois, Frachon, Mathieu,Skowron). Une coloration prouve lacommunication de cette galerie avec larivière amont du P60 dans la Caborne.

En juin et juillet, exploration duréseau Mystère dans la Caborne, parsiphonnage ou plongée de cinq voûtesmouillantes (Cabrol, Coulois, Foray,Frachon, Mathieu, Skowron).

En septembre, poursuite del’exploration du « Chemin de Croix »(750 m), par Cabrol et Lingot.

Le développement atteint alors4200 m pour 91 m de dénivellation(–55, +36).

1962Aménagements et topographie

(Coulois, Foray, Frachon, Mathieu,Renault). En octobre, escalade descheminées du réseau Ouest (Frachon).

1963En février, franchissement du

siphon de la Boue dans le gouffre deCernon par Callier, Frachon, et Pyanet.Au-delà, exploration sur 40 m jusqu’àune étroiture.

En décembre à la Caborne, désobs-truction de l’étroiture terminale de la

rivière amont du P60, puis explo-ration de la rivière Frachon,d’abord jusqu’au siphon de laCheminée (Frachon, Maréchal),puis jusqu’au siphon desBaignades (Frachon).Le réseau atteint 4600 m de déve-loppement pour 105 m de déni-vellation (–55, +50).

1964En mai, plongée en apnée dusiphon des Baignades (5 m), etarrêt 30 m plus loin au pied dupuits des Poules mouillées(Frachon).En juin, désobstruction de l’étroi-ture terminale du gouffre deCernon, par Coulois, Médaly,Portier.Le 2 juillet, la liaison gouffre deCernon – Caborne de Menouille estef fectuée au puits des Poulesmouillées, par Foray et Frachon,

après désobstruction d’une nouvellechatière à 250 m du puits d’entrée.

En juillet, exploration de plus de400 m de galeries affluentes dans legouffre de Cernon, par Frachon etPyanet. Le 31 juillet, la première traver-sée intégrale gouffre de Cernon –Caborne est réalisée par une équipe destagiaires de la Fédération française despéléologie, dirigée par Frachon (Colla,Daugas, Falgade, Girard, Marbach etZannoni).

Le développement du réseauatteint 5600 m, pour une dénivellationde 157 m (–55, +102).

1987-1988Plus de découver te majeure

pendant vingt ans. La Caborne deMenouille devient une « classique »du Jura, de plus en plus fréquentée.

Accès aux galeries du « super Menouille ».Cliché Robert Le Pennec (années 1980).

Dans le secteur de la voûte mouillante (in Le Progrès, 2 avril 1959). Le même endroit en 2006. Cliché François Jacquier.

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Toutefois, en 1987, le Spéléo-club san-claudien vidange le siphon terminantle réseau Mystère, et découvre 600 mde galeries au-delà. Il y ajoutera encore500 m l’année d’après, si bien que lagrotte développe en tout à ce jour,6 665 mètres de conduits, ce qui luiconfère la deuxième place dans ledépar tement, derrière la Borne auxCassots à Nevy-sur-Seille, qui dépassequinze kilomètres…

Dessin de François Jacquier.

Le 9 mai 1959, nous arrivons àMenouille, objectif n° 1 de notre expédi-tion. Sous la conduite de Guy Coulois(GSJ), nous suivons le câble électrique quientre dans la grotte pour alimenter lapompe placée entre les deux siphons.Après être passés sous des cascatellestombant de la falaise, nous arrivons à l’en-trée : ouver ture basse (environ 1 m) etlarge au pied de la falaise. La galerie estbasse : reptation et 4 pattes, passagesen U pouvant siphonner, se succèdent. Jefais cette réflexion à Choppy, qui traînaitavec moi un sac de matériel : “En cas d’ar-rivée d’eau, ce trou serait un vrai piège àrats !”. Je ne pensais pas si bien dire !Nous arrivons au 1er siphon : il est désa-morcé, une petite perte au point bas dusiphon débite suffisamment pour le vider.Une seule précaution à prendre : ne pasmarcher dessus, car elle serait immédiate-ment colmatée par de l’argile et le siphon(25 m de long) se remplirait.

Nous arrivons dans une petite salleoù la pompe électrique est installée. Il ya une ampoule électrique, comble duconfort pour un spéléo. Immédiatementà la sor tie de cette salle se trouve ledeuxième siphon : presque amorcé celui-là. Nous mettons la pompe en marche etvidons le siphon amont dans le siphonaval. Quand nous franchissons ce siphon,il n’y reste que 15 à 20 cm d’eau. Enamont de ce siphon, il y a un barrage de

blocs de pierre et d’argile pilée : 80 cm dehaut sur 4 à 5 m de large, afin de freinerle remplissage du siphon que nous venonsde vider.

Après une galerie ascendante, nousdébouchons dans une vaste salle.L’équipe se scinde en deux : une partie vaparcourir le réseau inférieur (Vila, Choppy,Ducros, Granier, etc.), l’autre va continuerdans le réseau supérieur (Coulois,Cabaillot, Schneider, Ranglaret). Norma-lement, les deux équipes doivent se retrou-ver aux deux extrémités d’un puits verticalde 40 m : l’équipe Coulois au sommet,l’équipe Vila à la base. Un essai de jonc-tion est prévu. »

Le récit suivant ne concerne que leparcours de l’équipe Coulois.

« Nous nous engageons dans unméandre assez étroit, aux formes tortu-rées. Un coin malsain en cas de crue carce méandre est bas de plafond (par fois1 m à 1,5 m). Après un parcours assezlong, nous arrivons devant l’obstacle quiavait arrêté les explorateurs précédents :le puits de 40 m. Il s’agit de le franchiren varappe (c’est pourquoi je suis là) etd’essayer d’atteindre une amorce de gale-rie que l’on devine dans la paroi opposée(10 m plus loin) et à 4 à 5 m en contre-bas. Solidement assuré, je m’engage enopposition près de la voûte, car immédia-tement plus bas, le puits s’évase et les

parois sont lisses. Des becquets provi-dentiels permettent de faire de l’auto-assu-rance, ce qui limiterait le pendule en casde dévissage. Le passage est cer taine-ment impressionnant pour le spectateur,mais en fait, il est relativement aisé. J’ar-rive à l’aplomb de la paroi opposée dupuits et je me rends compte que la gale-rie aperçue d’en face n’est que le méandredans lequel je varappe, coupé par un pontde blocs coincés. Je franchis ce pont etdescends derrière lui, ce qui me donneune assurance supplémentaire. Ladescente est plus délicate car les prisessont rares et le méandre trop large nepermet plus de faire de l’opposition. Jepasse sous le pont et me retrouve… surun autre pont de blocs. Sous moi, lacascade gronde dans le puits qui présenteà ce niveau des dimensions fort respec-tables.

J’entends Choppy, à la base du puits,qui me hurle des choses que je necomprends pas, car le grondement de lacascade et l’écho sur les parois du gouffreles rendent inintelligibles, même en déta-chant les syllabes. Fait curieux, Choppy al’air de mieux entendre ce que je lui hurle.Coulois fait descendre une corde dans lepuits afin de remonter un train d’échellespour faire la jonction. Mais la cascadedébite trop et la tentative est abandonnée.Je comprends vaguement que l’équipe duréseau inférieur repart vers la sortie.

9 mai 1959 : on frôle la catastropheL’expédition du 9 mai 1959, en collaboration avec le Spéléo-club de Paris (on reconnaîtra des noms…) a bien faillitourner au drame. Qu’on en juge à la lecture du récit circonstancié d’un des protagonistes, Paul Cabaillot (in Grotteset gouffres, bulletin du Spéléo-club de Paris, 1959) :

« Caborne de Menouille, 9 mai 1959 »

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Je me décorde et je décide de faireune pointe solitaire afin de voir “si ça conti-nue”. Je progresse en varappe ou en oppo-sition sur les parois du méandre. Je trouverapidement la rivière, remonte une petitecascade 150 m plus loin ; comme çacontinue toujours sans difficulté, je décidede retourner au puits pour chercher unéquipier. Schneider franchit le puits,solidement assuré, et ma propre corded’assurance pouvant lui servir de maincourante. Il s’en tire à merveille. Nousnous décordons et fonçons dans leméandre. Rapidement, nous dépassons lepoint où je m’étais arrêté. La galeriechange d’aspect à plusieurs reprises :tantôt c’est le méandre haut et déchiquetéavec la rivière au fond, tantôt c’est leméandre étroit aux parois lisses, au tracé“serpentiforme”, qui rappelle étrangementla “galerie des poignets” de la grotte duBrudour (Vercors). Nous passons sous unecascatelle tombant du plafond. Pour allerplus vite, nous progressons dans l’eauchaque fois que c’est possible : la profon-deur varie du genou à la ceinture. Quandc’est plus profond, nous préférons lesparois.

Nous remontons 6 cascades. L’uned’elle, la cinquième je crois, pose unproblème : le débit est tel qu’il n’est paspossible de l’attaquer de front. Il faut esca-lader une coulée stalagmitique 7 ou8 mètres avant la cascade : cette couléesurplombe légèrement mais les prisessont franches, sauf à la sortie ; ensuite,il faut passer en traversée le long de laparoi pour rejoindre le sommet de lacascade. Un peu plus loin, tout le méandreest fermé par une coulée stalagmitique.Il faut la franchir par une chatière que l’ontrouve au sommet de la coulée, tout contrele plafond. Derrière cette coulée, onretrouve la rivière. On remarque des tracesde mise en charge totale, due probable-ment au barrage que constitue la coulée.Nous courons dans l’eau pour aller plusvite. Arrivés à un confluent, nous laissonsun affluent à gauche et construisons uncairn pour éviter toute erreur au retour.L’aspect de la galerie change à nouveau :les parois et le plafond sont profondémentérodés, on a l’impression de circuler sousun fromage de gruyère ! Puis, environ100 m plus loin, c’est le cul-de-sac : l’eaujaillit sous pression d’un trou qui se trouveà 10 cm sous le niveau de la rivière. Unboyau semble nous promettre une conti-nuation. Quelques mètres, un coude à 90°à gauche et c’est la fin : ça ne passe pas.Peut-être qu’avec une masse on pourraitagrandir le passage, mais cela paraît bien

problématique ! Revenus dans la rivière, jevarappe au plafond pour chercher unpassage. Une fissure ascendante, danslaquelle je m’engage, devient rapidementtrop étroite : il faudrait se déshabiller maisil n’en est pas question car le tempspresse. Fait curieux, dans cette fissure, jetrouve des cadavres de mouches bleues,ce qui indique la proximité de la surface ;cependant, il n’y a aucun courant d’air ! Jerejoins Henri qui cherche dans la rivière :aucun passage possible. C’est bien la finpour nous.

Nous fonçons vers la sortie en comp-tant nos pas, afin d’évaluer approximati-vement quelle longueur de rivière nousavons découverte. Au passage, nous nousengageons dans l’affluent laissé de côtéà l’aller. Au bout de 10 m, étroiture, maisqui paraît franchissable. Cependant, nousn’insistons pas sous le faux prétexte d’unepanne de lumière possible, et je presseHenri, car je me suis rendu compte quele débit de la rivière a augmenté, ce qui neprésage rien de bon pour les siphons desortie. La cascatelle sous laquelle nousétions passés s’est transformée en unevraie cascade ! Henri s’en aperçoit et m’enfait la réflexion. Ma réponse est très vague,mais l’inquiétude est en nous, bien quechacun garde apparemment sa bonnehumeur et ne souffle mot de ses préoc-cupations à l’autre. Nous fonçons vers lasortie : c’est une véritable course, non pasune course irraisonnée dont le moteurserait la peur, mais une volonté de gagnerdu temps seconde après seconde.

Nous arrivons au P.40. Nous hurlonspour avertir Coulois et Ranglaret de notreprésence. Restés sur la rive opposée dupuits, c’est tout juste s’ils nous entendent,tant le grondement de la cascade dansle puits est devenu puissant. Rapidement,nous franchissons le puits, plions lescordes, et fonçons vers la sortie. Chacuns’est rendu compte du danger qui nousguette, mais aucun n’en parle. Au

contraire, c’est à qui lancera lesplaisanteries les plus saugrenues et unebonne humeur forcée, mais contagieuserègne dans l’équipe. Bien que transportantdu matériel, nous ne mettons que3/4 d’heure pour rejoindre le siphon, alorsqu’il faut ordinairement 1 h 1/2. Arrivés aubarrage, Coulois me regarde : le barrageest plein, et il fuit de toutes parts ! Sansrien se dire, on s’est compris. Le siphonest encore désamorcé : il reste 20 cm derevanche. Mais l’autre siphon qui lui faitsuite, celui de 25 m, doit être plein. Nousplongeons et franchissons ce premiersiphon, et traversons la salle de la pompeen courant. Coulois, qui s’est engagé dansla lèvre du siphon de 25 m, nous lance :“Il est amorcé, inutile d’essayer de passeren plongée, il est trop long.”

Henri, d’une voix blanche, nous ditqu’il ne sait pas nager. Je lui rétorque quecela n’a pas d’impor tance puisque lesiphon est plein. Nous tenons un brefconseil de guerre : je propose deconstruire un barrage dans la salle de lapompe et de pomper l’eau du siphon avaldans le siphon amont. Coulois m’objecteavec raison que cette manœuvre hardiefermerait le siphon amont et en casd’échec, nous serions pris au piège dansla salle de la pompe, ce qui nous empê-cherait de refluer vers les salles en amontdu siphon. Il propose d’essayer de renfor-cer le barrage en amont du siphon quenous venons de franchir. C’est ce que nousfaisons.

Coulois, Ranglaret et moi refranchis-sons le siphon afin de travailler au barrage.Henri reste dans la salle de la pompe afinde surveiller le niveau du grand siphon.Pendant plus d’une heure, nous travaillonsd’arrache-pied, dans l’eau. Nous colma-tons les fuites du barrage. Malheureuse-ment, à peine avons-nous bouché une fuiteavec des blocs et de l’argile, qu’une autrevoie d’eau se déclare. Sous la pressiondes eaux, le barrage devient une vraie

Dessins de Paul Cabaillot.

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passoire, l’argile est chassée d’entre lesblocs. Henri nous crie que le niveau dugrand siphon, qui avait semblé vouloirbaisser, se met à remonter.

Coulois, Ranglaret et moi refranchis-sons le siphon. Nous décidons d’essayerla manœuvre préconisée au début. Bienque très risquée, c’est le seul moyen desortir de ce trou : plus nous attendons,plus nos chances de succès serontminces car le volume d’eau à pomperaugmente. Le froid commence à noussaisir et nous claquons des dents. Nousentamons la construction d’un nouveaubarrage. Celui-ci doit être non seulementétanche, mais à toute épreuve du pointde vue résistance à la poussée, car il serahaut. En cas de rupture, le flot balaye-rait le siphon et ce serait la mor t desspéléos engagés dans le siphon.

Comme emplacement, je choisis lepoint de la tranchée d’évacuation (creu-sée en 1949) le plus éloigné du siphonamont, afin de pouvoir emmagasiner lemaximum d’eau ; d’autre part, ce pointest étroit et profond, ce qui nous permet-tra de bâtir rapidement un ouvrage épais,gage de sécurité. Il faut non seulementfaire vite, mais battre de vitesse lamontée des eaux car si ce barrage seremplissait au fur et à mesure de saconstruction, ce serait peine perdue !Nous travaillons fébrilement. Henri maniedes blocs, il les empile et construit ainsideux murs de 1,5 m de haut, séparés parun vide de 40 cm environ. Au fond, entreces deux murs, nous bourrons un sac àdos. Je manie avec ardeur un morceau debarre à mine (30 cm de long) trouvé surplace, afin de remplir d’argile pilée l’es-pace compris entre les deux murs.Coulois et Ranglaret empilent des blocsde soutènement derrière le barrage. Celanous réchauffe : nous suons, sans pourautant arrêter de claquer des dents.

Quand le barrage commence à êtreterminé jusqu’à mi-hauteur, Coulois etRanglaret entreprennent de déplacer lapompe, car nous manquons de tuyaux. Ilfaut descendre la pompe pratiquement auniveau de l’eau afin que la crépine puissealler assez bas dans le siphon. Le tuyaud’évacuation est trop juste : il faudra letenir pour débiter en amont du barrage.Henri accomplit des prouesses : infati-gable, il empile des blocs plus lourds quelui. Je creuse un semblant de plate-formedans le talus pour installer la pompe.Coulois et Ranglaret esquissent des pasde danses exotiques sous l’action desdécharges électriques (220 v) de lapompe qui est sous tension.

Enfin le barrage estterminé, la pompe enplace, je tiens le tuyauau-dessus du barrage.Coulois met le contact, lapompe tourne… rien nevient : elle s’est désa-morcée pendant le trans-por t ! Il nous faut unegamelle pour remplir d’eaule car ter : le casque deCoulois fera l’affaire. Uncasque d’eau, contact…rien ! Nous recommen-çons la manœuvre : deuxcasques d’eau dans le carter, contact, lapompe tourne, quelques borborygmes,quelques crachotis, puis brusquement, lejet puissant. Une lueur d’espoir brille dansnos yeux. Coulois descend dans la lèvredu siphon pour surveiller le niveau,pendant que je tiens le tuyau afin que lejet de la pompe n’endommage pas lebarrage. Le niveau de l’eau monte rapi-dement derrière le barrage. Le siphonamont est déjà profondément amorcé. Ilne reste plus que 10 cm à remplir derrièrele barrage lorsque de la lèvre du siphon,un cri de Coulois : “Venez vite, çapasse !”.

Coulois est déjà passé. Pendantqu’Henri et Ranglaret passent, le barragecommence à fuir sérieusement à sa base.Avec le jet d’eau, je démolis la berge afinde faire tomber des blocs et de l’argile aufond du barrage, pour colmater la fuite :celle-ci diminue. À mon tour de passer :je prends ma musette de quincaillerie(matériel d’escalade artificielle), non poursauver ce matériel, mais pour m’alourdirafin d’avoir plus d’adhérence et deprogresser plus vite dans le siphon, car iln’y aura plus personne pour tenir le tuyaude la pompe et le barrage risque de céder.Je lâche le tuyau et pars en courant versla lèvre du siphon. Je me laisse tombersur le glacis d’argile afin d’aller plus viteet glisse ainsi jusque dans l’eau dusiphon : il y a 10 cm de revanche. Malampe à acétylène est immédiatementnoyée, mais mon éclairage électrique desecours fonctionne par faitement. Mamusette de quincaillerie me permet decourir à 4 pattes tout en étant pratique-ment immergé : seul le casque sort del’eau. Quand je sors du siphon, l’eaucommence à remonter : le barrage a dûcéder ou doit être plein.

Le plus dur est fait, mais nous nesommes pas pour autant hors de danger.Nous sommes dans une galerie trèsbasse et nous savons que deux autres

points près de la sortie peuvent siphon-ner. Nous serions coincés et il faudraitforcer ces siphons en plongée libre.Heureusement, le premier siphon quenous rencontrons n’est plein qu’à moitié.Quant au dernier, il ne reste qu’une faiblerevanche, mais suffisante pour le franchir.Nous pensions trouver les sauveteursaprès les siphons, mais personne, d’oùcette réflexion qui fit résonner la voûte :“Les salauds ! Pendant qu’on crève dansce trou, ils sont en train de bouffer”.

Une surprise nous attendait à lasortie même de la grotte : une énormecascade tombait du haut de la falaise,et il nous fallait franchir ce rideau liquide,une douche de plus mais nous ne crai-gnions plus rien. D’autres douches nousattendaient d’ailleurs car le sentier longele pied de la falaise et par endroits,c’étaient de véritables cataractes quenous essayions d’éviter. Il était 4 heuresdu matin et un brouillard intense régnaitsur la vallée, à tel point que nous avonseu du mal à retrouver le camp. Au camp,l’équipe de secours était prête à partir :M. Chevassu, monté de Lons-le-Saunier,allait chercher pompes et tuyaux depompiers. Grande fut leur surprise de voirque nous nous étions tirés tout seuls dece mauvais pas. Nous n’étions pas beauxà voir : doigts en sang, claquant desdents, yeux caves, mais vivants etheureux de respirer enfin à l’air libre.

L’explication de notre mésaventurenous est donnée : une heure après notreentrée dans la grotte, un formidable oragea éclaté (28 mm d’eau tombés en 1 heurerelevé au pluviomètre !), ce qui a amenécette brusque montée des eaux.

Bien que nous ayons abandonné toutle matériel (sauf la “quincaillerie”) dansla salle de la pompe, le bilan de cetteexpédition est tout de même positif : leP.40 a été franchi, 800 m environ derivière nouvelle explorée et six cascadesremontées. D’un point de vue purement

Dessins de Paul Cabaillot.

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humain, je dois dire que le moral del’équipe a été admirable : à aucunmoment la panique ne s’est emparéed’elle, bien que chacun d’entre noussavait pertinemment que notre manœuvreavait 8 chances sur 10 d’échouer. Chacuna travaillé avec le maximum d’efficacité,sans se soucier de la douleur (car nousn’avions pas d’outils pour effectuer nostravaux de terrassement). Pourtant je suispersuadé que ce travail harassant n’em-pêchait pas le cerveau de mes camaradesde remuer des idées… sombres. Person-nellement, j’avoue avoir eu, pendant laconstruction du barrage, une penséeémue pour mes parents et mes amis…Mais personne n’a soufflé mot de sespropres préoccupations, afin de ne passaper le moral de l’équipe. C’est ce quinous a permis de sortir par nos propresmoyens et de transformer en “bon souve-nir” ce qui aurait pu devenir une catas-trophe, car, le soir même de notre sortie,un nouvel orage a éclaté…

Si nous étions restés coincés dansla Caborne de Menouille, il est probableque les vivres et le réchaud que Granier,averti de la montée des eaux par l’équipeChoppy-Vila, avait eu l’audace et ledévouement d’apporter dans la salle dela pompe, alors que le siphon était déjàpresque fermé, ne nous auraient pas étéd’un grand secours… Pendant laconstruction du barrage, j’ai remarqué cesac, mais je l’ai pris pour un sac de maté-riel : j’étais à cent lieues de soupçonner

ce qu’il contenait. Quant à l’équipeChoppy-Vila, elle était ressortie plusieursheures avant notre retour ; les siphonsn’étaient pas encore amorcés, mais l’eaumontait déjà. Il leur était absolumentimpossible de nous prévenir et il valaitmieux 4 spéléos coincés que 8 ! Nous

tenons aussi à remercier l’aubergiste deMenouille qui, à 4 heures du matin, étaitencore debout à nous attendre pour servirun confortable repas aux rescapés. N’ou-blions pas de féliciter Henri Schneider qui,pour un “apprenti-varappeur” (qu’il se dit !)s’en est tiré tout à son honneur. »

Quotidien « Le Progrès » du 12 avril 1959.

Dans un article du 12 mai 1959, le quotidien Le Progrès relate ainsi l’incident. On noteraqu’à l’époque, loin de culpabiliser les spéléologues, la presse les présente comme des héros…[cop 8-9] Il faut dire que l’auteur qui signe sous le pseudonyme de Jacques Brévent, n’est autreque Jacques Besson, un des premiers explorateurs du réseau.

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« Lorsque Stéphane me sollicita, au fond de ma semi-retraite, pour animer une par tie du stage scientifique à laCaborne de Menouille, je fus vite séduit. D’abord parce que lechoix de ce site me paraissait per tinent pour un tel stage.Ensuite parce que c’était pour moi la perspective d’un retour àmes premières amours, à cette cavité qui fut pour moi la caverneinitiatique. J’acceptai donc.

En effet, au début des années 1960, après quelque tempspassé à arpenter quantité de modestes trous jurassiens, c’estdans la Caborne de Menouille que je réalisai mes premièresexplorations d’envergure. Et pas de tout repos, les expédi-tions de l’époque ! Cela commençait souvent par quarantekilomètres à vélo, chargé comme un mulet, au départ de Lons-le-Saunier. Puis, équipé de façon très rudimentaire – blue-jeanet vieux pull – il fallait affronter les 300 premiers mètres de lagrotte, en rampant dans des passages bas et boueux, inon-dés lors des pluies ; il fallait pomper un siphon pour accéder àla suite ; il fallait se hâter, toujours, sous peine d’être bloqué auretour par le siphon à nouveau rempli. Les jeunes générationsne connaissent pas ces plaisirs masochistes, la zone d’entréede la grotte étant désormais transformée en tunnel ! Dans cesconditions précaires, nous avons pourtant entrepris de multiplesdésobstructions avec marteau et burin ou des kilos d’explosifs ;nous avons réussi des escalades à l’aide de mâts aussi fragilesque lourds ; nous avons mis en œuvre despompages imposant le transport haras-sant d’un matériel inhumain, sur desdistances inhumaines… Récompensefinale, je parvins en 1964 à relier le gouffrede Cernon et la Caborne, ce qui en fit àl’époque la plus longue et la plus profondecavité de la région, avec 5600 m de déve-loppement et 157 m de dénivellation. Unerude école physique…

C’est également là que je fusconfronté, pour la première fois, à laspéléologie appliquée. Nos explorations s’intégraient aux étudesmenées par l’Électricité de France, en vue de la construction duvaste barrage de Vouglans, tout proche. Des centaines demètres de galeries du réseau devinrent, de ce fait, un chantieranimé, où nous eûmes à côtoyer des entreprises qui réalisaientun semi-aménagement : perforateurs, rails Decauville, treuils,explosifs, pompes, scellements, poses d’échelles fixes et delimnigraphes, etc., n’eurent bientôt plus de secrets pour nous.À l’autre extrémité du réseau, le gouffre de Cernon devint en1964 un déversoir des égouts du village : j’entrepris alors, maisen vain, un recours auprès de l’Agence de Bassin. Politique etfinance passaient outre, déjà, au respect de la réglementa-tion, de l’environnement et du bon sens. Une rude école de lavie…

C’est enfin à Menouille que j’appris ce qu’était l’étudeglobale d’un réseau. Très vite, je devins le coordinateur du club,pour l’étude morpho-tectonique du massif de Cernon, pour leslevés et reports topographiques du réseau, pour les colorationset mesures de débits, pour les observations morphologiquessur les conduits et les remplissages, avec Philippe Renault dans

Quotidien « Le Progrès » du 4 décembre 1962.

Jean-Claude Frachon et MenouilleJean-Claude Frachon ne découvre la Caborne de Menouille qu’en 1960 (il a alors 16 ans…). Il ne la quittera plus durant cinqans. Participant ou conduisant des dizaines d’expéditions, parfois en solitaire, son acharnement permettra de doubler le développementexploré du réseau, et surtout de réaliser enfin la jonction entre la Caborne et le gouffre de Cernon.Trente-cinq ans après, le Frach’ intervient dans l’encadrement du stage national « Équipier scientifique », qui se déroule àMenouille en juillet 2001, sous la conduite de Stéphane Jaillet.La préface du rapport de stage qu’il a rédigée montre bien l’importance que ce réseau avait dans sa mémoire…

ce dernier domaine… Corollaire obligé, j’eus àrédiger des synthèses, tant pour les rapportssollicités par EDF, que pour les revues spéléo-logiques. Une bonne école, qui fit de moi unadepte de la karstologie, et plus généralementun “spéléologue”, au sens premier du terme.

Tout ça date déjà de 30 à 40 ans. En mefaisant venir à ce stage, Stéphane m’a permisd’exhumer des souvenirs, de revoir des lieux, decroiser des fantômes. C’est à lui que je doisl’émotion qui m’étreignit devant les dépôts fluvio-glaciaires du “Super-Menouille”, prolongementsque j’avais découverts en 1960 et où je n’étaispas revenu depuis plus de trente ans ! »

Jean-Claude FRACHON

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Galeries d’entréeInitialement connues comme un

boyau caillouteux de quelques déci-mètres de haut, les galeries d’entréeont été transformées en tunnel par lestravaux d’élargissement entrepris parEDF à par tir de 1961. En période decrue, certains passages peuvent êtrenoyés partiellement ou totalement (enjuillet 1996, une équipe de spéléo-logues lyonnais s’est retrouvée bloquéeà cet endroit montrant que cette zonereste inondable par for tes précipita-tions, malgré les aménagementsréalisés).

À 320 m de l’entrée, sur la droite,débute le réseau Inférieur. Tout droit,60 m de galeries ascendantes mènentà la Salle à manger, longue de 40 met large de 10 m, où convergent cinqgaleries décrites plus loin.

Réseau SupérieurDans la Salle à manger, en face de

la galerie d’entrée, des échelons scel-lés mènent au réseau Supérieur.À gauche, l’entrée d’un laminoir marquel’accès au Chemin de Croix. Ce réseauSupérieur débute par une vaste galerieargileuse, à parcours aisé sur 150 m,malgré quelques escalades parmi desblocs. Après un passage bas sur 50 m,la galerie reprend sa taille primitive,tandis qu’on descend un petit ruisseletde 80 m. On débouche alors ausommet du « P60 », qui rejoint 40 m

plus bas le réseau Inférieur. On estalors à 740 m de l’entrée (cote +11 m).

Traversée du P60 et rivière Frachon

On peut franchir en opposition lesommet du P60 par une vire délicate(broches en place) d’une dizaine demètres suivie d’une descente de 6 m.

On prend pied dans la rivière qui sejette dans le P60. Vers l’amont, on laremonte sans dif ficultés sur 500 m,hormis deux chatières, jusqu’à unecascade de 10 m. L’escalade en estaisée en étiage mais peut poserquelques problèmes en hautes eaux.Au sommet, on bute 50 m plus loin surun bouchon stalagmitique.

Il faut chercher un peu avant, envoûte, une lucarne ouverte à l’explosif.Un passage étroit descendant, puis unecascade de 4 m à remonter conduisentà la rivière Frachon. D’abord surbaisséependant 125 m au-dessus d’un plan

d’eau profond, la galerie devient plusconfor table après une chatière. Onatteint 220 m plus loin une petite salleclose en amont par un siphon. On setrouve alors à 1630 m de l’entrée, àla cote +37 m. Au-delà de cet obstacle,une jonction a été réalisée avec legouffre de Cernon, à +102 m, par300 m de galeries non décrites ici.

Descente du P60 et réseau Inférieur

Au retour, on pourra descendre leP60 (profond de 40 m seulementmalgré son nom), au lieu de le traver-ser en voûte, à condition d’avoir équipéau préalable le réseau Inférieur.

Opposition au sommet du« P60 ». ClichéFrançois Jacquier.

Description de la cavitéDans les actes du congrès deNeuchâtel de 1970, Jean-ClaudeFrachon fait une descriptiondétaillée du réseau sur plus de cinq pages. Nous ne présenteronsici que l’essentiel, pouvant intéresserles amateurs de classiques.

Passageau-dessus du lac,

vu depuis « lalucarne ». ClichéDaniel Chailloux.

Page 32: Hommage à JEAN-CLAUDE la Henne-Morte (1976). …cds39.ffspeleo.fr/jcf/spel103.pdf · Ce que vous lirez sur la grotte d'Osselle et la caborne de Menouille est le fruit de la documentation

À la base du puits, oncontourne un lac profond parune traversée en paroi équipéed’un fil clair (cet équipementétant très malmené lors descrues par la cascade, on luiaccordera une confiance limi-tée…). Il faut alors gagner parune escalade délicate unelucarne à 6 m au-dessus duplan d’eau. On redescend del’autre côté de la même hauteur pour retrou-ver la rivière qui passe, elle, par un étroitgoulet au ras de l’eau.

Vers l’aval, la rivière se perd rapidement,et on continue par une galerie semi-active,obstruée 150 m plus loin. On la quitte alorsen gravissant, à gauche, une série de ressautséquipés d’étais vermoulus, où une grandeprudence s’impose. On remonte ensuite unpuits de 10 m, à équiper à l’aller avant d’en-treprendre ce circuit. Puis 230 m de galeriesrocheuses pittoresques rejoignent le carrefourmentionné plus haut, à 230 m de l’entrée.

Réseau OuestAu débouché des galeries d’entrée dans

la Salle à manger, on atteint le réseau Ouesten utilisant sur la gauche les échelons métal-liques scellés dans la coulée stalagmitique.Laisser à droite une diaclase conduisant 15 mplus loin à un siphon (réseau Mystère) età gauche un petit boyau (réseau Est). Ausommet de la coulée, s’ouvre une vastegalerie en « trou de serrure ». Un parcours de

80 m en opposition sur des cornichesargileuses conduit à un carrefour, à proximitéd’un puits de 5 m où se perd un ruisseau :- En suivant le lit du ruisseau vers l’amont,on remonte une série de cascatelles, suiviesd’un boyau humide sans intérêt.

- En s’élevant en opposition de 3 ou 4 m, peuavant les cascatelles, on trouve une petiteniche dans la paroi de gauche (rive droitedu ruisseau). Cette niche est suivie d’uneétroite chatière en « manivelle », suivie d’unepetite galerie. Tout droit, on descend sur unéboulis dans une étroite diaclase avec ruis-selet sans intérêt (longueur 100 m). À gaucheà la sortie de la chatière, un passage basdébouche dans une petite salle décoréed’une coulée stalagmitique (l’escalade pourraen être effectuée par un varappeur ; elle estsuivie d’une pente d’éboulis, surmontéed’une nouvelle cheminée de 7 m et de deuxpetites salles).

Au-dessus d’un talus argileux de 2 m,s’ouvre une petite galerie de 10 m. Un à-picde 7 m permet alors de rejoindre la galeriedu réseau Ouest, au carrefour situé à 80 m dela Salle à manger.

Recommandations Même si l’idée est séduisante, il ne faut

plus envisager la traversée intégrale « Cernon-Menouille ». Le déversement des égouts dansle gouffre a entraîné le colmatage despassages étroits dans le secteur de lajonction… Par ailleurs, les aménagementsspectaculaires de la galerie d’entrée donnentune impression de sécurité infondée.Le « siphon » peut toujours siphonner. Malgréles apparences, la zone d’entrée n’est pasfossile, comme l’atteste la photographie ci-dessous ! •

L’entrée de la Caborne de Menouille, jour de l’an 1995.Cliché Bernard Hostache.

Galeries du réseau Inférieur. Cliché François Jacquier.

Bibliographie chronologiqueCHANEAUX, J, (1949) : La Caborne deMenouille, près Moirans (Jura).- Bulletin del’Association spéléologique de l’Est II (3) :p.37-41.R.P. (1949) : Exploration à la Caborne deMenouille, près Moirans (Jura).- Bulletin del’Association spéléologique de l’Est II (2) :p.27.AA. (1959) : Exploration à la Caborne deMenouille.- Spéléos, bulletin du G.S. deValence (26) : p.11.CABAILLOT, P. (1959) : À la Caborne deMenouille.- Grottes et gouffres, bulletin duS.C.Paris 20 : p.11-16, 2 figures.FRACHON, J.-C. (1962) : Activités du G.S.Juras-sien.- Spelunca, bulletin de la Fédération fran-çaise de spéléologie (2) : p.37-39, 1 figure.FRACHON, J.-C. (1963) : Étude du réseausouterrain de Cernon-Menouille- Spelunca,bulletin de la Fédération française de spéléo-logie (3) : p.24-26.DELANCE, J.-H. (1964) : Expédition à laCaborne de Menouille (Jura).- Sous le plan-cher, bulletin du S.C Dijon III (1) : p.12-15.FRACHON, J.-C. (1964) : Exploration à laCaborne de Menouille.- Spelunca, bulletin dela Fédération française de spéléologie (3) :p.46.FRACHON, J.-C. (1964) : Les grandes cavitésdu Jura français : département du Jura.-Spelunca, bulletin de la Fédération françaisede spéléologie (4) : p.24-30.COLIN, J. (1966) : Inventaire spéléologique dela France (BRGM). Département du Jura, p.80(plan).G.S. JURASSIEN (1967) : Activités 1966.-Spelunca, bulletin de la Fédération françaisede spéléologie (3) : p.238.MINVIELLE, P. (1970) : Guide de la Francesouterraine.- Paris, 477 p. (p.411).FRACHON, J.-C. ; PÉTREQUIN, P. (1970) : Circu-lation souterraine des eaux dans le Juracalcaire (1).- Cavernes, bulletin des Sectionsneuchâteloises de la Société suisse de spéléo-logie (2) : p.107-109, 2 figures.FRACHON, J.-C. (1971) : La Caborne deMenouille (Cernon, Jura français).- Actes du4ème Congrès suisse de spéléologie, Neuchâ-tel, septembre 1970, p.125-137, 5 figures.FRACHON, J.-C. (1971) : La Caborne deMenouille (Cernon, Jura français).- Cavernes,bulletin des Sections neuchâteloises de laSociété suisse de spéléologie (1) : p.8-17,3 figures.FRACHON, J.-C. (1971) ; La Caborne deMenouille (Cernon, Jura français).- Cavernes,bulletin des Sections neuchâteloises de laSociété suisse de spéléologie (2) : p.36-44,2 figures.THEROND, R. (1972) ; Recherche sur l’étan-chéité des lacs de barrage en pays karstique,p.18-19, 43, 45-46, 94,102, 104,109, 296,298, 303-305, 395, 409 (photographies, plan,coupe).FRACHON, J.-C. et al (1975) : Découverte duJura souterrain (CDS Jura).- p.14-17, 2 figures.MINVIELLE, P. (1977) : Grottes et canyons,p.176-177, 4 figures.FRACHON, J.-C. et al (1980) : Découverte duJura souterrain (CDS Jura).- p.12-15, 2 figures.FRACHON, J.-C. (1981) : Jura (in Chabert, C.,Les grandes cavités françaises, Fédérationfrançaise de spéléologie).- p.80-81.AUCANT, Y. ; FRACHON, J.-C. (1983) : Spéléosportive dans le Jura franc-comtois (Edisud).-p.25, 38-39, 3 figures.FRACHON, J.-C. (1987) : Jura.- Spelunca, bulle-tin de la Fédération française de spéléologie(26) : p.6.FRACHON, J.-C. (1988) : Jura.- Spelunca, bulle-tin de la Fédération française de spéléologie(30) : p.4.FRACHON, J.-C. (1989) : Jura.- Spelunca, bulle-tin de la Fédération française de spéléologie(34) : p.4.SPICHER, A. (1989) : Le barrage de Vouglans(Recto-Verso).- p.53, 1 figure.AUCANT, Y. ; FRACHON, J.-C. ; SCHMITT, C.(1990) : Spéléologie en Franche-Comté (SHAG- SCJ).- p.13, 23-24, 53-57, 2 figures.FRACHON, J.-C. et al (1992) : Découverte duJura souterrain (CDS Jura).- p.18-21, 2 figures.FRACHON, J.-C. (1994) : Regards sur la petitemontagne (Adapemont).- p.47-51, 54, 59, 61,6 figures.FFS, ECOLE FRANÇAISE DE SPÉLÉOLOGIE etCOMMISSION SCIENTIFIQUE (2001) : Stagenational Équipier scientifique 2001, Cabornede Menouille (FFS) – 117 pages.Hommage à Jean-Claude Frachon - Spelunca 103 - 200638

Dans la Salleà manger,accès au

réseauOuest. Cliché

de Jean-LucLacroix.