Hélène Boucher, jeune fille française

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d é m i e f r a n ç a i s e ) 1 9 1 6 .

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MES GARÇONS ET VOS FILLES. P r o p o s d ' É d u c a t i o n . CE QU'ON APPELLE LE MONDE.

LA TRAGÉDIE DU DANUBE. 1 9 3 4 .

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L'ANGOISSE DES FILLES.

C R I T I Q U E , H I S T O I R E , B I O G R A P H I E

LA GUERRE DES FEMMES, H i s t o i r e d e L o u i s e d e B e t t i g n i e s

e t d e s e s c o m p a g n e s ( O u v r a g e c o u r o n n é p a r l ' A c a d é m i e -

f r a n ç a i s e ) . COMME DISAIT M. DE TOCQUEVILLE.

LA VRAIE VIE DE SAINT VINCENT DE PAUL.

ZITA, PRINCESSE DE LA PAIX.

L'ÉVÊQUE DES ANTHROPOPHAGES ( M g r A u g o u a r d ) .

HÉLÈNE BOUCHER, JEUNE FILLE FRANÇAISE

est publié sous le patronage de la FÉDÉRATION AÉRONAUTIQUE DE FRANCE

Le portrait qui figure sur la couverture de ce volume est de PHOTO-INTRAN.

ANTOINE REDIER

H é l è n e Boucher , jeune fille française

Ministre de l'Air.

ERNEST FLAMMARION, ÉDITEUR

Il a été tiré de cet ouvrage : cinquante exemplaires sur papier alfa

numérotés de 1 à 50.

Droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous les pays.

Copyright 1935, by ERNEST FLAMMARION.

PRÉFACE

Je me porte garant de la douloureuse émo- tion que suscitera dans l'aviation et dans le pays ce livre consacré à Hélène Boucher. Si fugitives que soient les années, si pressante que soit notre tâche quotidienne, la postérité aura toujours le temps et le devoir de rendre justice aux grands souvenirs. M. Antoine Redier va l'y aider avec un rare talent et le double senti- ment de l'exactitude et du respect.

Elle était bien charmante et douce dans sa tâche virile, notre petite camarade de l'air qu'une chute tragique a brisée le 30 novembre 1934. Je la revois sur son lit à l'hôpital de Versailles où j'étais arrivé une heure après l'horrible accident. Le visage presque épargné était calme ; les yeux clos gardaient le secret du rêve qui avait illuminé sa courte vie. J'ai

assisté à la douleur de tous ceux qui accou- raient auprès d'elle. J 'a i épinglé sur sa poi- trine la Croix de la Légion d'Honneur qu'elle devait recevoir aux promotions de janvier 1935. N'avais-je pas, en réalité, devant moi, à la fois un soldat tombé au combat et l'image symbolique de la jeune fille française dans toute sa puissance de dévouement simple et de sacrifice total ?

Je ne veux rien dévoiler au lecteur de la carrière d'Hélène Boucher. M. Antoine Redier est là. Historien de la gloire féminine, il jette sur ses héroïnes une lumière qui les sauve à jamais de l'oubli. Ainsi a-t-il fait pour cette sœur d'Hélène, Louise de Bettignies, qui, au milieu des horreurs de l'invasion, à Lille, à l 'intérieur des lignes ennemies, demeura jusqu'à son arrestation plus qu'un combat- tant : une flamme de la résistance et un vrai chef du service de renseignements des Alliés.

C'est un honneur pour notre corporation que l'une des nôtres soit à son tour confiée à cet observateur, à cet écrivain impartial, qui exalte à travers la vie — et dans la mort — de ses personnages le sentiment moral dont aucune manifestation de courage n'est dis- pensée. Mission d'une haute portée que la glo- rification de mémoires comme celles de Louise

de Bettignies et d'Hélène Boucher ! Symbo- lique rapprochement ! La jeunesse à venir mesurera le niveau de notre époque à la taille de ces êtres exceptionnels.

Du point de vue purement aérien, je ne répéterai jamais assez combien les vocations féminines nous sont indispensables dans le domaine de l'air.

Qu'une frêle jeune fille puisse réunir dans son cœur et dans sa main assez de force, d'ini- tiative et de sagesse pour battre des records d'altitude et de vitesse, cela dit assez de quoi nous serions privés sans cet appoint providen- tiel, sans cette leçon de vaillance et d'habileté qui surprend et émeut nos cœurs de pilotes, endurcis pourtant contre tous les risques pro- fessionnels.

Il serait facile de mettre sous quantité d'ex- ploits aériens des noms de femmes, mais nous voudrions que leur soit épargnée la dramatique apothéose qui vaut à Hélène Boucher les hon- neurs du beau livre que vous allez lire avec gravité.

G É N É R A L DENAIN,

Pilote Aviateur.

Hélène Boucher, jeune fille française

CHAPITRE PREMIER

LÉNO, J E U N E CAPTIVE

« Je revois une fillette volontaire et le regard décidé, une petite élève intelligente, ardente au travail ; plus tard, une jeune fille dont le visage avait une expression de pureté émou- vante et dont la réserve marquait une âme délicate et profonde... Je garde à cette enfant chérie une tendresse et une admiration fer- vente, et sa disparition m'a causé une peine infinie. »

M'ayant ainsi donné son sentiment sur Hélène Boucher, M Stautner, professeur au collège Sévigné, m'assurait dans la même lettre qu'il était inutile que je vinsse la voir. Elle m'avait tout dit.

Sans doute. Et son témoignage m'a paru d'un grand prix, puisque je le place au seuil de ce livre. Mais je tenais à connaître la valeur du témoin et j'ai frappé à la porte de M Staut- ner. C'est une personne qu'au premier regard on juge bonne et droite. Elle m'a raconté peu de choses, et j'ai compris qu'elle n'aimait pas les anecdotes. Mais j'ai observé son visage et peu de visites m'ont aussi magnifiquement instruit.

— Hélène était, toute petite, une enfant volontaire, me dit-elle ; je l'ai trouvée, plus tard, moins agressive ; elle était devenue une jeune fille réservée, avec une intense vie inté- rieure.

— Il y a tout de même de méchantes gens, lui dis-je, qui veulent que cette aviatrice ait été une fille un peu hardie...

— Est-il possible ?... Et je vis qu'elle allait fondre en larmes. Deux jours plus tôt, j'avais interrogé un

officier de l'armée de l'air, le commandant Lemaitre, grand soldat, grand pilote, mort aujourd'hui. Je lui racontais qu'on m'avait médit de la jeune Léno et conseillé d'y regarder à deux fois avant de la présenter comme un type de jeune fille.

— C'est bien simple, me dit-il, nous ne

mâchons pas nos mots, nous autres, même devant les femmes. Eh bien ! quand cette petite arrivait, nous devenions des ambassa- deurs.

Il avait claqué les talons pour me dire cela. Et voici que M Stautner pleurait mainte- nant... Je décidai que j'appellerais mon livre Hélène Boucher, jeune fille française.

Je ne vais pas raconter ici toute son enfance, mais strictement ce qu'il faut en savoir pour comprendre la suite.

Elle est née le 23 mai 1908. C'était donc une enfant de six ans quand a éclaté la guerre ; une enfant toujours, une enfant de vingt-six ans, quand elle est morte. Son père est architecte et possède en Beauce une petite propriété avec un jardin. C'est à Boigneville, dans la région de Maintenon. Hélène a beaucoup vécu dans ce bled entre 1914 et 1918. Elle a quelque temps fréquenté l'école communale et les pre- miers regards qu'elle a jetés là sur les hommes et sur la nature ont mis en elle deux amitiés : les petites gens, le désert. Elle préférera tou- jours les simples aux gens en place et les hori- zons nus aux plus beaux paysages.

Tout de suite, son trait dominant fut une volonté de fer. Elle était née à Paris, près du Lion de Belfort. Ses parents, si on les presse

de questions, vous racontent, dans les larmes, que sa garde la promenait dans l'avenue de Montsouris, que longe, en la surplombant, une voie ferrée. « Elle n'aura peur de rien, cette petite, disait la vieille femme. Les autres enfants, quand passe un train, sont effrayés et je suis obligée de rentrer. Elle, au contraire, dresse l'oreille et regarde. On dirait qu'elle est contente. » On a d'abord envie de hausser les épaules quand on vous raconte de ces his- toires de bébés : c'est un tort. Car nous nais- sons tout faits : Hélène Boucher, dans les bras de sa bonne, était déjà pareille à la fille ardente qui s'envolerait un jour à six mille mètres dans les cieux. Nous arrivons sur la terre avec nos richesses, mais nous les perdons en route. La gloire de cette fille est d'avoir gardé les siennes.

J'ai appris des mêmes bouches d'autres détails pleins d'innocence et de charme. Léno, c'est le nom familier que tout de suite on lui donna, ne voulut jamais s'asseoir sur des sièges d'enfants ; et sur la chaise ordinaire, celle des grandes personnes, elle ne permettait pas qu'on l'attachât. Elle dégringolait tout le temps, bien entendu ; et cela la mortifiait fort, mais elle serrait les dents, jetait un regard volontaire sur ceux qui étaient là, se relevait

pour grimper sur le siège difficile et, triom- phante, dévorait sa soupe, car elle était gour- mande, et l'est restée. Défense aussi de lui mettre au cou une serviette de bébé. Et parce qu'elle n'entendait pas, sur ce point, la plai- santerie, elle s'appliqua tout de suite à manger proprement. C'est ainsi qu'on désarme les parents, ces maîtres, et qu'on les dompte.

Elle avait cependant affaire à forte partie, car son père ne m'en voudra pas de dire qu'il est autoritaire. C'est la gloire de sa fille, qui la tient de lui.

— Mon enfant, lui disait-il un jour, je ne veux plus que tu voies cette petite Z...

— Je la verrai, papa. — Je te le défends, Léno. Et la petite, les mains derrière le dos, la

tête en arrière, se plantait devant son père et le regardait dans les yeux.

— C'est mon amie, disait-elle. Je ne fais pas de mal en la voyant. Tu peux me punir, papa, et faire tout ce que tu voudras. Je la verrai.

Diable ! Le père se grattait la tête ; et, pour le moment, on parlait d'autre chose.

Car il la savait droite, et c'est bien l'essen- tiel. Notamment, elle était déjà, en matière, d'argent, d'une honnêteté scrupuleuse,

presque farouche. Voici encore une histoire d'enfant, qu'on me pardonnera, car elle a du prix et nous sommes dans une matière impor- tante. Un jour, des amis offrent à son frère Noël, qui est un peu son aîné et qu'elle aime beaucoup, un jeu de méccano. Noël, qui se préparera plus tard à la carrière d'architecte, est, pour l'heure, assez penaud devant ce jouet qui ne l'intéresse pas. Elle, naturellement, convoite le bien d'autrui : tous les enfants sont ainsi ; et je n'en infère pas du tout qu'elle eût déjà le goût de la mécanique et des avions. Bref, ils font un marché. Elle aura le méccano et donnera à son frère une petite somme d'ar- gent, grosse pour sa bourse, car sa tire-lire n'y suffit pas. De ce jour, elle vécut dans l'inquié- tude de cette dette, qui lui pesait. Dès qu'elle avait trois sous, elle disait à sa mère : « Je vais les donner à Noël. » Elle poussait si loin son souci d'être en règle, ce beau souci de correction qui est dans le sang de tant de gens de ce pays, que ses parents jugèrent raison- nable de l'apaiser au plus tôt par des généro- sités insolites qui, de la main de la petite fille, passaient incontinent dans celle du garçon.

Le corps était solide, comme l'âme. Bien plantée, bien droite, elle portait avec orgueil et gentillesse, sur un front limpide, la plus

éblouissante chevelure blonde. Ses portraits d'enfant montrent des boucles vaporeuses, souples, abondantes, avec mille jeux de lumière. Plus grande, deux nattes encadraient son visage et tombaient sur sa poitrine. La directrice du cours Sévigné la trouvait ado- rable ainsi et l'appelait sa petite reine méro- vingienne. Une telle enfant a naturellement des gestes vifs de la tête. Un jour on passa les ciseaux dans tout cet appareil qui pesait sur sa nuque et ses tempes, et elle put à son aise secouer sa crinière. Cela ne la rendit pas mas- culine, car ses cheveux, qui ondulaient comme les vagues de la mer, encadraient un visage d'une grande fraîcheur. Cette volonté, dont j 'ai déjà parlé et qui restera sa marque de fille exceptionnelle, ce n'est point dans ses yeux qu'on la voyait d'abord, des yeux qui fasci- naient pour commander sans doute, mais des yeux tendres, des yeux de femme et d'amou- reuse ; ni dans la bouche, qui était moqueuse, vivante, une grande bouche autoritaire et intel- ligente ; c'est à son menton ferme qu'on recon- naissait la conquérante, l'invincible. Au ton de sa voix aussi, de sa voix qui se faisait, sui- vant les heures, dure ou caressante. Car elle était tour à tour la force ou la timidité mêmes, et c'est bien curieux.

J'entreprends dans ces pages de perpétuer le souvenir d'une belle figure féminine, d'un type remarquable d'humanité. Hélène Bou- cher, enfant des hommes, n'était point par- faite, mais elle fut grande. Il faut, quand on trouve sur son chemin une créature de haute race, la regarder avec beaucoup d'attention. Celle-ci était donc timide quelquefois. Disons mieux : elle était modeste et facilement rou- gissante. J 'aurai cent occasions de le répéter. Je le signale tout de suite afin qu'on com- prenne à ce signe le sens de la belle histoire que je commence et qui sera celle, non d'une amazone ou d'une acrobate, mais d'une femme.

Une vraie femme n'aime pas beaucoup qu'on la découronne. Quand elle eut un moment secoué au soleil ou dans le vent ses cheveux courts, il plut à la jeune Hélène de ceindre à nouveau le diadème opulent dont saint Paul, dans sa première Epître aux Corin- thiens, a dit qu'il est honteux à la femme de le faire couper ou raser. On revit ses lourdes nattes. Aviatrice, elle emportait dans les espaces, sous le casque de cuir, la parure royale de ses cheveux longs. A la fin, tout à la fin, au plein temps de sa gloire, des amis, hommes et femmes, qui la harcelaient au nom

de la mode, eurent raison d'elle. « Ils me rasent ! » dit-elle un jour. Elle alla chez le coiffeur ; et, peu de jours plus tard, elle mou- rait en cheveux courts.

A vingt ans, elle n'aimait pas la campagne, car on y vit lentement et ce n'était point l'af- faire de cette femme, qui serait un jour la plus rapide du monde. Mais, toute petite, elle goûta la bonhomie des paysans et s'attacha aux bêtes, qui sont bonnes et se laissent conduire et caresser. Une baguette à la main, elle mar- chait dans les rues du village derrière les vaches, qu'avec ses petites compagnes de la ferme d'en face elle ramenait du pâturage à l'étable.

Donc, des goûts simples ; mais aussi un extrême besoin d'activité. Elle veut tout de suite être utile, faire quelque chose, travailler. Sa mère l'a mise de bonne heure à la couture. Elle s'y adonne avec application et veut aller vite au plus difficile. C'est la guerre et les temps sont durs : Léno rêve qu'elle sera cou- turière. Son père, qui l'adore, achète à Paris un coupon de joli tissu et, sous le regard mater- nel, l'enfant se fait une robe, une robe bien facile sans doute, une robe de toute petite fille, mais voici qui la met en goût. Il faudra laisser cela bientôt et, de retour à Paris, s'en

aller au collège, où son temps sera pris par d'autres études.

Elle a d'ailleurs pris à la campagne certaines habitudes, auxquelles elle ne va pas renoncer si facilement. Un jour on la voit arriver tout à coup dans le jardin en tenue de motocycliste. Elle est allée dans la chambre de son frère, dont elle a pris la salopette, le serre-tête, les gros gants, les lunettes. Elle est belle ainsi, et s'en doute, cette petite fille élancée, au visage rayonnant. Vivement elle sort la moto pater- nelle du garage. Voilà longtemps qu'elle regar- dait avec soin, sans rien dire, comment son père, son frère faisaient marcher cette grosse machine. « Ce n'est pas plus difficile, pense- t-elle, que ma bécane, et c'est plus rapide. » La voilà partie, toute fière et sûre d'elle-même. Il fallut bien, jusqu'à seize ans, qu'elle se pri- vât de courir à califourchon sur sa chère machine dans les rues de Paris. Dès l'âge du permis, elle ne se gêna plus. Et quand son père eut une voiture, elle sauta tout de suite au volant, impatiente d'atteindre les dix-huit ans requis par l'administration, cette pim- bêche, qui ne sait donc pas que des petites filles peuvent avoir le poignet solide et la tête sûre.

Évidemment, Léno n'avait peur de rien. Car comment se lancer dans la carrière d'avia- trice, si l 'on n'est, devant le danger, qu'une petite fille... Tout de même, j 'ai voulu savoir, et j 'ai interrogé ceux qui l 'ont connue. Voici ce qu'un jour on m'a raconté. C'était au temps où l'aviation commençait à la tenter. Elle en parlait peu encore, mais avec enthou- siasme, et son frère la taquinait. Elle se trou- vait avec lui chez des amis à Chaville, un soir après dîner. Un beau jardin. D'épais tilleuls. Des hamacs. Hélène en choisit un, s'y installe; les autres font de même ; elle s'endort, et la nuit vient. Vers minuit, le frère ouvre un œil et dit à une amie de Léno qui était toute proche : « Vous savez, Simone, elle est frous- sarde, l'aviatrice. — Pas possible ! — Je vous assure. Une peur folle des araignées et des serpents... » Alors les deux compères se lèvent, et la jeune fille réveille doucement Léno, lui disant : « Il faut rentrer, ma chère... Tiens, cette araignée qui descend sur vous... » Hélène Boucher pousse un cri aigu, et elle va sauter à terre, quand son frère lui crie : « Attention ! une couleuvre à tes pieds. » La pauvre enfant

fit alors un bond de carpe, et crut qu'elle allait mourir.

Elle avait peur de la mer aussi, et des rivières ; en quoi elle était bien de son pays. Les Beaucerons n'aiment pas l'eau. Ils sont quelques-uns comme cela, en France, parmi les terriens. Ni pour boire, ni pour se laver. C'était de s'y noyer seulement que craignait Léno, mais elle le craignait bien.

Et puis elle était incroyablement frileuse ; et la sensation d'entrer, comme elle disait, dans la flotte, lui faisait horreur.

On conçoit mal qu'elle ait si facilement accepté de survoler la terre, et de si haut, quand de traverser l'eau sur un pont l'ef- frayait. Et l'on se demande ce qu'allait faire dans les régions glacées qui sont au-dessus des nuages cette impénitente amie de la chaleur.

A quinze ans, ses parents l'ont envoyée en Angleterre, dans un joli coin de l'île de Wight. Elle y travaille courageusement et achève d'y apprendre l'anglais. Un jour, elle fait avec ses maîtresses et ses compagnes un pique- nique. « Nous avons longé la plage, écrit-elle à sa mère, jusqu'à des rochers où nous avons déjeuné. Nous étions les pieds nus et nos chaus- sures dans les bras ; et nous pataugions dans l'eau. Enfin, tout ce que j'aime ! Deux de

mes amies se sont baignées. J'ai un joli coup de soleil sur le nez et sous les yeux : les plai- sirs des bains de mer ! Nous étions très fati- guées ; mais au moins nous n'avons rien dépensé. » Elle se répète dans une autre lettre : « Encore un pique-nique... J'espère que cela ne se renouvellera pas souvent. On mange mal, on s'embête, on est fatigué et on dépense de l'argent. »

« Nous n'avons rien dépensé... On dépense de l'argent... » Voilà bien la petite fille de la terre. A la fois elle déteste l'eau, qui mouille, et elle se garde des plaisirs coûteux. Nous ver- rons si elle avait peur en avion, et comment elle réagissait. Nous verrons aussi quelle éner- gie elle déploya pour entrer, puis se maintenir, sans argent, dans la plus dispendieuse des car- rières. Le vrai courage, elle le savait bien, ce n'est point d'être sans crainte, mais d'avoir peur et de marcher quand même.

Au collège Sévigné, elle fut d'abord une élève studieuse. Ses maîtresses, ses compagnes disent toutes qu'elle travaillait beaucoup. Dolly Van Dongen, la fille du peintre, qui fut l'amie de son enfance, de ses jours de lutte et de ses

grandes heures, confesse que, tentée parfois de faire l'école buissonnière, elle essayait d'en- traîner Léno au Luxembourg, où les ombrages sont doux et les fleurs bien jolies. Léno se fâchait et Dolly allait en classe. Un jour vint où la routine scolaire agaça cette fille forte. Impatiente de vivre, elle renonça au bachot tout proche et c'est alors que ses parents l'en- voyèrent en Angleterre.

Était-elle donc une inconstante ? Point. Mais une nature positive, qui déjà voulait un but. Les études mènent à une carrière, l'en- seignement, et Léno n'avait sans doute pas cette vocation-là. Elles ont un autre objet, qui est de nourrir et de former l'esprit. Au temps où les jeunes filles de sa sorte vivaient jus- qu'au mariage dans les jupes de leurs mamans, elles avaient assez de loisirs pour se cultiver, mais justement elles n'y songeaient pas alors et gaspillaient leurs journées dans des arts dits d'agrément. Elles s'instruisent aujourd'hui et c'est beaucoup mieux, mais pourquoi faire ? Par goût désintéressé des fortes études ? Le peuvent-elles, dans ces années dures où il n'y a plus de loisirs pour personne, et où il faut que les filles, comme les garçons, se débrouil- lent ? Ce que cherchait Léno, à quinze ans, c'était une situation déjà. Elle avait bien tra-

vaillé ; et jugeant, à tort ou à raison, qu'elle en savait assez et que de rabâcher le pro- gramme du baccalauréat ne la mènerait à rien, elle demanda et obtint d'entrer dans la lutte sans perdre une heure.

Elle part avec son père. Pour arriver en Angleterre, il faut aller sur l 'eau d'abord. Triste affaire. « J 'ai été terriblement malade, écrit-elle. Sept heures de traversée. Ce n'est pas drôle. » Elle ajoute, car il ne s'agit pas de gémir : « Enfin, nous sommes assez frais ! » La voici dans la pension où elle va vivre trois mois, séparée des siens pour la première fois. D'abord elle regarde, et s'amuse : « Les pen- sionnaires ici ont un petit uniforme roulant. Elles sont habillées à vingt centimètres au- dessus du genou. Elles ont dix-sept ans. Tu vois cela d'ici. Avant de nous coucher nous allons chacune embrasser, sur une joue seule- ment, miss B... et miss D... en disant : Good night, miss B... Good night, miss D... Miss D., c'est la sous-directrice. Elle est raide comme un piquet. Mon lit est très mauvais, mais je m'y habituerai. » Dans la lettre suivante, on lit : « La nourriture est carrément infecte, mais je commence à m'y habituer. »

Le mal de mer, le lit, la nourriture, elle accepte tout, et c'est donc une enfant de bonne

volonté. Elle accepte le sermon aussi. Car tout de suite elle a été rebutée, comme l'est tout Français qui débarque dans la puritaine Angle- terre, par la multiplicité et la longueur des offices. « Dimanche dernier, mande-t-elle à sa maman, je me suis appuyée une heure et demie d'église. » Et elle s'en fâche un peu, mais elle ajoute : « J 'en ai tiré le plus de profit que j'ai pu. Le prêtre a prêché pendant trois quarts d'heure et j 'ai compris tout ce qu'il a dit. Mais j'étais fatiguée. Pendant ce temps-là mes camarades dormaient comme des bienheu- reuses. »

On leur fait faire de la gymnastique, ce qui l'enchante. « Ce sont, dit-elle, des exercices du corps, sans agrès. L'ennuyeux, c'est qu'on fait cela dans notre classe, qui est pleine de poussière. Alors, quand on s'étale par terre, c'est charmant, et on en mange. Heureuse- ment, la maîtresse nous fait des cours d'hy- giène. » Elle est ravie tout de même, car il y a aussi l'escrime, dont elle raffole, et le tennis.

Si je m'attarde aux premiers pas de cette enfant dans la vie, c'est pour montrer qu'elle était pareille aux autres et qu'elle a fait un grand chemin avec des vertus modestes, ces vertus banales que les maîtres et les parents

recommandent depuis toujours aux nouveaux venus sur la terre . Aucune originalité dans son cas. L ' âme est enthousiaste et dévorée d 'ambi-

tion, on le verra b ien un jour. P o u r l ' heu re , Léno suit la route avec application. Cette fille ardente, q u ' o n dirai t effrénée, p r e n d tout avec bonne humeur , amasse les épreuves, petites et grandes, comme on s 'enr ichi t , se gardant de grogner, de muser aussi : elle a senti tout de suite et, morte , elle nous enseigne que la gloire n ' e s t pas une affaire de fantaisie, mais de patience.

Elle est sérieuse au sermon, sérieuse au tennis, sérieuse à l 'escrime. Elle a le mal de mer , mais c 'est sans importance. Le lit est mauvais : on s 'y habi tuera . La nour r i t u r e est infecte : on s 'y fera. A la gymnastique, i l faut manger de la poussière : c 'est très bien tout de même. Elle sortira de là sachant l ' an-

glais, ayant vécu, avide de vivre encore plus et d ' é chappe r à la loi des petites filles derr ière leurs mamans.

Entendons-nous. Elle est toute rempl ie d 'amit ié pour sa mère , son père , son frère . C'est la plus aimante des filles, des sœurs. « Nous quat re ! » elle dit ces mots-là avec une tendresse naïve, dont on s 'é tonne quand on sait de quelle t rempe elle était. Mais il y a le

OUVRAGES POUVANT ÊTRE MIS ENTRE TOUTES LES MAINS ALANIC (MATHILDE)

Anne et le bonheur 12 » Les Danaides 12. » Etoiles dans la nui t 12. » Francine chez les gens de r ien 12. » Les loups sur la lande . . . . . 12 » Nicole, j eune g r a n d ' m è r e . . . . 12. » Rayonne ! . . . 10. »

BALZAC (HONORÉ , E) Eugénie (Grandet . . . 8. »

CORDEAUX (HENRY), de l'Axad. française La g lor ieuse misère des prêtres

Nouvelle é d i t i o n . . . 12 » Le mariage. (Hier et a u j o u r d » La petite Mademoiselle. (Illustré) 9 »

CHARCOT (JEAN) Autour du Pôle Sud. Expédit ion du

« Pourquoi-Pas ?» (Illustré) . . . 12 » COULOMB (JEANNE DE)

Au revoir, soleil! 12 »

COURTES-MAHLER Le cœur d 'une mère. Traduit de

l'allemand par Alice Cuénoud. 12. » Le tal isman de la Rani. Traduit

de l'allemand par M L. Maître 12. » DANRIT (CAPITAINE)

Robinsons sous-marins (Ouvrage couronné par l'Academie française) (lllustté) 12 »

DAUDET (ALPHONSE) Tartar in de Tarascon. (Illustré. 12. » Tar tar in su r les Alpes. (Illustré) 12. » Port-Tarascon. (Illustré) . . . . 12. »

DEK08RA (MAURICE) Le rire dans le brouil lard . . . 12. »

DELLY Le Candélabre du Temple . . . 15. » Comme u n conte de f é e s , . . . 12. » L'infidèle 12. » Mitsi 12. » Les ombres 12. »

FARRÈRE (CLAUDE), de l'Acad. française L'Atlantique en r o n d . 1 2 » L'Inde perdue (Col. "L'Histoire".) 12. » Mes voyages. I. (La promenade

d'Extréme-Orient 12 » Mes voyages. II. (En Méditerranée 12 »

FAURE (JEAN-LOUIS) Au Groënland, avec Charcot

(lllustre) . . . . . . 12 » FOLEY (CHARLES)

C'était pour rire ! 12. » La cloche des perdus 12. » L a cousine inconnue . 12. » Princesse d 'un s o i r . . . . . 12. » La veuve d ' A m é r i q u e 12 »

GASQUET (MARIE) Une enfance provençale . . . . 12 »

GÉNIAUX (CHARLES) La découverte de l ' a m o u r . . . . 12. » La passion d'Armelle Louanais.

(Grand Prix du roman de l'Aca- démie française) 12 »

HALT (MARIE-ROBERT)

Histoire d 'un petit h o m m e . . . 10 HAY (IAN)

Le chevalier 5 H P. Traduit par Maurice Lebail 12 »

JABOUNE

Les Grands Hommes quand ils étaient petits. (Illustré) . . . . 9 »

MACHARD (ALFRED)

Le Loup-garou 7. »

MALOT (HECTOR) En Famille (a vol. illustrés), chacun 12. » Sans Famille (2 vol. illust.), chacun 12. »

MEYNIER (COLONEL 0.)

Les conquérants du Tchad. (III.). 7 50 PINEDO (FRANCESCO DE)

Mon vol à travers l'Atlantique. Traduit par Robert Renard. (III.) 12. »

PRÉVOST (MARCEL), l'Acad. français L'art d 'apprendre 12. »

ROUCH (J.) Lieutenant de vaisseau

Le pôle Sud. (Illustré) 12. » THULIEZ (LOUISE)

Condamnée à mort. Préface du général Weygaad 12. »

TRILBY (T.) Aimer, c'est pardonner 12. » Amoureuse espérance 12. » Deux pigeons s 'a imaient d'à-

mour tendre 12. » Le droit d 'aimer . . . . 12. » Fred ou la lune de m i e l . . . . 12. » Furette ou la rançon 12 » La jolie bêtise 12 » Le mauvais a m o u r 10. » Marie-Pierre au volant ou la

grande aventure 12. » Pantins et m a r i o n n e t t e s . . . . 12. » La petite parfumeuse 12. » Princesse de Rv ie ra 12. » Le retour 12. »

VIGNES ROUGES (JEAN OES) Deviens un chef! . . . . . . . . 7.50

7213. — Imp. Flammarion, Paris . — (11-35). ( A )

Participant d’une démarche de transmission de fictions ou de savoirs rendus difficiles d’accès par le temps, cette édition numérique redonne vie à une œuvre existant jusqu’alors uniquement

sur un support imprimé, conformément à la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012 relative à l’exploitation des Livres Indisponibles du XXe siècle.

Cette édition numérique a été réalisée à partir d’un support physique parfois ancien conservé au sein des collections de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal.

Elle peut donc reproduire, au-delà du texte lui-même, des éléments propres à l’exemplaire qui a servi à la numérisation.

Cette édition numérique a été fabriquée par la société FeniXX au format PDF.

La couverture reproduit celle du livre original conservé au sein des collections de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal.

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La société FeniXX diffuse cette édition numérique en accord avec l’éditeur du livre original, qui dispose d’une licence exclusive confiée par la Sofia ‒ Société Française des Intérêts des Auteurs de l’Écrit ‒

dans le cadre de la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012.