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Histoire d'un baiser / parAlbert Cim

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Cim, Albert (1845-1924). Auteur du texte. Histoire d'un baiser /par Albert Cim. 1894.

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Couvertures supérieure et inférieureen couleur'

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H~TOtRE D'UN BAISER

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PARIS

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HISTOIRE D'UN BAISER

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PETITE'Bib&~hèque Omnibus illustréen' ilitistrée

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ALBERT CI]~

Ancienne Maison ROYÉDtTEUR

H. G E !='<='ROY, Successeura:2,BOULEVARCSAMT-GERMAtN;~3:

PARIS

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HiSTOIRE~D'UN BAISER

.4 ~e?!f: DeMMM.

~B fut un beau tapage, ce soir-là,.dansg tous les cercles, cafés et salons de

Saint-Servin-sur-Ga.ronne,quand onapprit ce qui s'était passé quelques heuresauparavantchez M. Hector Sédeillant, le plusgros banquier de la contrée.

A l'issue d'un copieux déjeuner fait avecdeux de ses correspondants et qui s'était pro-longe jusqu'à trois heures de Paprès-midi,;M. SëdeiHant, pris de je ne sais quelle lubie,était allé trouver, dans le recoin' voisin de)'ofuce, ou e!!e travaiHaitd'ordinaire, la pè-tite Jeandin, M"! Colette, une ouvrière à lajournée, que Mme Sédeillant faisait venirtrois jours par semaine. Juste au moment où

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il sais'ssait par derrière la taille de Colette etlui appliquait un savoureux baiser dans lesfrisons de sa blanche nuque, Mme PalmyreSédeillant, l'austère et vigoureuse épouse,était entrée, et. clicclact avait administréà monsieur une superbe paire de soufflets,puis empoigné mademoiselle par le bras etjeté a la rue cette effrontée.

Ah petite drôlesse c'est ainsi que vousvous comportez! Et chez moi encore! Chezmoi! Allez, vilaine 1 AllezJe me charge devous recommander. Oui Une belle réputationque vous êtes en train de vous faire, made-moiselle(

C'est en vain que la pauvre petite Coletteprotestait et sanglotait à cœur* fendre:

Madame Mais je vous jure! Mais,madame. 0ht comment pouvez-vouscroire,madame 1.

Madame, enfiévrée d'indignation, affoiéede eoiëre, ne voulait rien entendre et conti-nuait à clabauder et vociférer dans la courde l'hôtel, en pleine rue autant dire, et pen-dant que voisins et passants s'attroupaient.

Aussi la nouvelle de cette mésaventureconjugale s'était-elle promptement répandueà travers la ville et fa)sa.it-et)e, le soir même,L'objet de tous les entretiens.

Bien entendu, on ne manquait pas d'am-plifier les choses, d'enjoliver le récit, le,fes-tonner et le broder à profusion.

L'intrigue durait depuis longtemps déjà,

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affirmait-on; les mieux renseignés, ou dumoins ceux qui se piquaient d'avoir surprisquelques particularités probantes et de pos-séder des détails inédits, – et tout le mondevoulait en être de ceux-)à, racontaient quesi la petite Jeandin portait d'aussi jolies bou-cles d'oreilles, des perles fines, s. v. p. 1

vous n'avez qu'à regarder quand elle passec'était grâce à la généreuse gratitude de

M. Sédeillant. Le bijoutier Lacassagne, duquai des Vergnes, les lui avait vendues, ven-dues à lui-même, et les avait reconnues en-suite aux oreilles de la donzelle. Il lui avaitencore fait présent, cet amant aussi épris queprodigue, d'une bague achetée chez le mêmebijoutier, d'une bague magnifique: une tur-quoise entourée de b);iHants,ne vousdéplaise

Oui, plus que ça de luxe, et pour une mor-veuse qui habitait dans un galetas du fau-bourg Roucayro!!es et battait la dèche avecson vieil ivrogne de père, le rempailleurde chaises. Si ce n'est pas une honte1

Et comprend-onça? Quand on a une femmed'aussi gentil visage et d'aussi riche corsageque M"" Sédeillant, la belle Mme Sédeillant,imposante comme Junon, charmante, capti-vante, adorable comme Vénus! Tandis quecette petite mauviettede Colette. Je ne saispas si vous êtes comme, moi, je ne peux passouffrirles femmes maigres.Ça ne me dit riendu tout.~Ni a vous non plus, n'est-ce pas?

Par sa cottduite,après l'avanie qu'elleavait

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infligée à Colette, et dès le soir même dece déplorable esclandre, M" Sédeillant sem-hlait encore sanctionnerces pcrtides racon-tars, donner pleine raison il la malveillanceet a la calomnie. Ne s'était-elle pas avisée,dans sa rageuse rancune, de quitter le domi-cile conjugal et d'aller demander asile et.protection à son père, M. Cyprien Ladevèze,le président du cercle agrico)e de l'arrondis-sement, le châtelain et grand éleveur duMas-d'Àrtigues, à deux lieues de Saint-Ser-vin ?

Et cette rupture, et tout ce bruit, tout cevacarme pour rien t Rien que ce pauvre pe-tit bécot dans le cou de la lingère C'étaittout ce que ie banquier lui avait jamaisdonne. Jamais il ne ~i avait pris autrechose, ce jour-là, après cet émoustillantdéjeuner, comme auparavantet de toute éter-nité, – autre chose qu'un brin de taille. Etsi M"° Colette Jeandin avait aux oreilles dechétifs pendants en chrysocaie et imitationde peries, au doigt une misérable bague entoc, c'était elle-même, la pauvrette, avecquelques gains supplémentaires, qui avaitacheté ces piètres bijoux chez Lacassagnc,l'orfèvre du quai des Vergnes.

De la ville, la rumeur gagna bientôt lacampagne environnante.

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Vous savez, M. Hector Sédeillant, )ebanquier de Saint-Servin? Parait qu'il enmène une drôle de vie! Ce n'est rien que de)edire!Uadesmaitressesatous)escoinsde rue, des filles qu'il couvre d'or! Sanscompter une actrice de Bordeaux qu'il a faitvenir, qu'il entretient, qui lui coûte les yeuxde la tête! 1Il se ruine en diamants et en fal-balas pour ces péronnelles, tout ce sérailC'est au point que sa femme s'est séparée delui.

–Ah! diab)et Alil diable! Mais. Oh!mais. vous faites bien de me dire ça!

Vous avez des fonds?.– Chez lui? Oui, queuques p'tiotes choses t

Et tous ces prudentissimes et architaffeursvillageois de courir bien vite à Saiut-Servinet de retirer sur-le-champ les dépôts qu'ilsavaient pu effectuer, qu'i)s effectuaient detemps immémorial à la banque SédeiHaht,jadis Sédeillant et Peyreholade, puis Sédeil-lant et neveu, et enfin Sédeillant tout court.

Ce fut au tourdu banquier de crier: « Diable!rAh diaMe! et aussi « Gare! gare! Casse-cou!*»Et le voilà qui donne l'ordre d'atteler et filegrand'erre chez son beau-père, au Mas-d'Ar-(igues.

M. Ladevèze n'avait pas attendu {'arrivéede son gendre pour essayer de caimer l'iras-ciMe Patmyre et lui faire reprendre sa placeauprès de son époux.

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Alors il te trompe, ce gredin d'Hector?gOui, papal Je l'ai surpris. Oh i)il

ne peut pas nier t

–Et tu Ne)'as pas vitriolé, lui et sa com-plice ? Tu n'es pas dans le train, mon enfant

– Mais, papa.– Bien entendu, il n'y avait rien de trop

beau pour ta rivale. U lui avait payé hôtel etdomestiques, chevaux et voitures, bijoux,dentelles, tout le tralala! Il a mangé ta dotavec cette gourgandine, et.– Mais non, papa, il ne lui donnait pas un

sou. C'était ma Hngere, une petite meurt-de-faim qui venait travailler à ta maison.

Et tu te plains?'t–Mais, papa, tu ne comprends pas!1

Je comprends, ma chère Palmyre, quetu voudrais changer l'espèce humaine, fa'reque l'homme n'éprouve pas de désirs pourune autre femme que la sienne, et ne cher-che pas fatalement a tes contenter, ces désirs,et cela me peine de te voir ainsi perdreton temps. Certes, tu es.~j'en suis convaincud'avance, miltefois mieux, mille fois plus ave-nanteetappétissanteque ta. Hngere maistuas le tort irrëmédiaNe d'être t'épouse, c'est-à-dire !e devoir, la règle et l'habitudeta tmgère.sitaide qu'elle soit, a l'inestimableavantage d'être, elle,la nouveauté,l'inconnu,to fruit défendu, pour combleVoil& pour-quoi; ton coquin de mari se sent attiré verseHe: Héias )oui, ma fjl!e, c'est désoia.nt, mats

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c'est comme ça. Depuis que le monde estmonde, changement d'herbage a réjoui ]esboeufs!

–Ohtpapa.– Oui, ma poulette) repartit réminent

agronome.Sois donc raisonnable, et dépêche-toi vite de retourner auprès d'Hector, unexcellent mari, au total, un époux modèle,crois-moi, puisque, tu l'avoues toi-même, ilne détourne pas un maravédis de la commu-nauté et ne te fait pas tort d'un fifrelin.

Il me faut des excuses! Je ne rentre-rai que lorsqu'il m'aura demandé pardon del'outrage qu'il a inflige à ma dignité et àmon honneur )I s'écria péremptoirementPalmyre.

Pour toute réponse, M. Ladevèze se mit asiffler l'air de la Casquette du père Bu-geaud t, sa ritournelle favorite.

n.k

Mais, quand M. SédeiHant arriva et qu'ileut raconté ce qui se passait aux guichets deses bureaux, le philosophe et sceptique beau-përe vittoutde suite qu'il n'était plus tempsde badiner, et., joignant'ses instances a celtesdu mari, ordonna & Pà!myrede mettre séancetenante son chapeau et son manteau, prendreses cliques et ses claques, et regagner Saint-Servin.

Palmyre eHe-même, d'ai)!eui'S, en sentait

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Ja. nécessité, et si bien qu'elle ne parlait plusd'excuses, ne songeait plus à faire agenouil-ler devant elle, un cierge à la main, son cri-minel époux.

On décida que, pour combattre et réduireà néant les terribles propos qui circulaient,il fallait que le ménage se montr&t partout,fit bien voir MrM et o'M combien il était uni,paisible et heureux.

En conséquence, M. et M"' Sédeillant necessèrent plus de se promener du matin ausoir dans Saint-Servin et sa banlieue brasdessus bras dessous, gentiment pressés l'uncontre l'autre, comme d'impatients amou-reux, de nouveaux mariés en pleine lune demiel.

Ils imaginaient des achats pour pénétrerdans les magasins, des visites pour s'exhibercôte à côte dans tous )es salons de l'aristo-cratie, de la haute, moyenne et petite bour-geoisie de l'endroit.

Rien n'y fit. Le moùvement'était donné; leretrait des fonds se continuait.

Anxieux, bouleversé, perdant la tête, M. Sé-deillant convoqua un matin tout le personnelde ses bureaux, dans l'unique intention de« protester contre les odieuses calomniesdont `

i) était t'objet'. <– Vous me connaissez, messieurs vous savez

combien rëguHëre, rangée et laborieuse a ;<toujours été ma vie! Le travaill Le travaiHiTêt a toujours ëtë momseut réconfort, ma

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suprême joie! Vous le savez, vous tons.. inf'schers collaborateurs, etc.

Tous, en effet, le savaient et tenaientM. Hector Sédei))antpour le plus bienveillantdes patrons, le plus équitable et le plus .;OMsciencieux des hommes. Tous l'aimaient, ievénéraient maigre sa jeunesse, ses trente-trois ans; tous s'évertuaient à le défendre audehors, à disculper sa moralité et rétabiir saréputation.

Bien mieux, le banquier crut de son devoiret de son intérêt d'aller trouver le père Jean-din, pour lui présenter à la fois des excuseset des explications.

– Je t'accompagnerai, cela fera encoremeii)eur effet, lui déclara spontanément lafière Palmyre. Je verrai cette petite, je cause-rai avec elle et réussirai bien à lui faire ou-blierla. cette. le. malentendu, et obtenird'elle qu'elle revienne chez nous.

Ah ) oui, elle en avait rabattu, la jalousetigresse Elle filait doux, à présent, était toutsucre et tout miel. Il le fallait bien: H fallaitbien luttercontre ce flot qui montait, montait,toujours et menaçait de tout submerger.Nécessité fait loi.

Le père Jeandin, selon son rituel de chaquejour, passé neuf heures du matin, était entredeux tins, quand M, et M" Sédeillant heur-tèrent à !a porte de son taudis.

Aht 1 c'est pour ça que vous venM, 'm:r.bon monsieur, et vous aussi, ma belle dame

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Oh 1 fallait pas vous déranger pour si peu 1.Certainement que je suis au courant. H nese passe pas de jour que je ne recove des let-tres, où on me raconte un tas de vilaineschoses sur vous et not' Colette. Deslettres de je ne sais qui). Des bêtises 1

Tenez, v'là le cas que j'en fais de tous cespapiers-là 1

Et il ponctua sa phrase par un geste tout àfait famiiier.– N'empêche, reprit-i), que ces cancans-là

ont causé bien du tort à not' Colette, un tortconsidérable1 Oui, ma belle dame t Vous n'a-vez pas idée. E!!e ne travaille plus nullepart, on ne la demande plus comme avant,qu'eHe avait tant de pratiques qu'elle ne sa-vait comment s'y prendre pour les contenter.Elle ne pouvait pas aller chez toutes à la fois,pas vrai ?Maintenant.Ah maintenant 1. Jesuis tout de même heureux de vous voir, parce:[ue si. si c'était un effet de votre bonté.si vous pouviez. si peu que ce soit, monbon monsieurAh) oui, les temps sont durs,aliezt

Collette, qui n'avait rien osé dire à son pèrede l'algaradede Mme Sédeillant, mais n'avaitùu lui cacher son, renvoi de la maison dubanquier, ni empêcher les lettres anonymesde lui parvenir, se trouvait, en effet, dans 1~

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HISTOIRE D'UN BAISER i~

plus précaire situation. Les paysans d'alen-tour n'étaient pas accourus, tous en foule,comme chez le banquier, lui réclamer l'accentqu'iis lui avaient confié, non; mais toutes lesfamilles qui t'employaient, qui lui faisaientgagner son pain, lui avaient du jour au len-demain fermé leurs portes.

Pensez donc 1 Une fille qui débauche leshommes maries

Aussi accueillit-elle avec joie les bonnes pa-roles que lui adressa M°" Sédeillant, et c'estavec ravissement qu'elle consentit à reprendreses <; journées à t'hôte!.

Toujours afin de combattre la calomnie etdétruire la tégende qu'elle avait si inconsidé-rëtûent fait naître, M"" Sédeillant installaen quelque sorte la jeune lin'gère à demeureauprès d'eile, en fit sa compagne, l'emmenachez ses fournisseurs, l'interrogeant devant

.eux, la consultant sur telle étoffe, telle coupede robe, telle forme de chapeau. de sortequ'on vit bien qu'elle n'avait aucune jalousiecontre elle, nulle rancune à son endroit, –qu'il ne s'était rien passé.

Hélas héias! L'héroïque Palmyre en futpour-ses frais. Rien ne put endiguer la houle,mater et repousser le courant. Pourquoi tou-jours croire si volontiers au mal, si difficile-ment au bien?

Quinze mois jour pour jour âpres le chéttfet misëraMebaiser dont M. Hector ScdeiHant

i avait entë~ ~e cou dequinze mois

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après la scandaleusesortie de la belle M' Pa!-myre, !e banquier déposait son bilan.

Quant à M"" Colette, elle n'avait pas attendusi longtemps sa mise en faillite il y avaithuit mois déjà que la gentille petite avaitfaussé compagnie à son ivrogne de père ets'était fait enlever par un commis voyageur.

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DUEL A MORT

~~O~MCf~.

L y avait quinze jours que Félix-Séra-phin Cabrillat était entré, en qualitéde troisième é)eYC, à la pharmacie

Pichancourt, la plus importante de Chèvre-mont-en-Bresse, quand, un soir d'octobre, letimbre de la porte retentit,et une jeune fille,une mignonne petite blonde aux yeux bleuset aux joues roses, apparut tout essouffléesur !e seuil de l'officine.Cabrillat,qui était entrain de'-découper des étiquettes, s'élança,comme c'étâit son devoir, à la rencontre decette cliente. Mais le premier élever NestorRichefeù, qui, en principe, ne se dérangeaitjamais, à moins qu'ilne s'agît, comme à pré-sent, de quelque frais minois., avait dëj&

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planté là le traité de chimie organique danslequel il paraissait ptongé, et s'inclinait leplus galamment du monde devant la jeunepersonne.

Mademoiselle! Vous désirez, mademoi-selle?

Monsieur. Je viens. C'est pour monpère, monsieur. Il a pris froid. H était partidès le matin pour la chasse, et il est revenuavec une douleur à l'épaule. une douleurtrès vive, qui le tient la, comme cela, dans tehaut du dos, dans tout le bras. Il ne peutse remuer, et il souffre, il crie.

– Rhumatisme aigu, insinua Riehefeu.– Nous l'avons frictionné avec de l'alcool

camphré.Pas mauvais. oui. opina l'aspirant

apothicaire.– Mais cela n'a rien fait, monsieur, rien du

tout. Alors j':ai.couru chez le docteur Morel,notre médecin. Par malheur, il n'est paschez lui. Et commej'allais rentrer, j'ai.~pensëque. peut-être. vous pourriez în6'< me

donner quelque chose qui soulagerait monpauvre papa. >Certainement, mademoiselle Rien deplus facile! Je vais vous préparer ce que ledocteur Morel lui-même aurait ordonné.C'est tout comme si vous t'aviez vu. Un-élotion infaillible,un baume souveraint

Combien je vous remercie 1

–< Dansune petite demi-heurecësera prêt},

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nmdcmoiseiïe. Je vous enverrai cette lotion.A moins que vous ne préfériez attendre?

Oh1 non, monsieur J'ai hâte d'être deretour. Ne mandez pas surtout, n'est-ce pas,monsieur?q

Oh! n'ayez crainte 1. Mademoiselle, j'aibien l'honneur.

Et Nestor Richefeu, qui avait reconduit lajeune fille jusque sur le trottoir, referma laporte.

Soudain il se frappa le front.Imbécile que je suis Triple brute!1Quoi donc? X~M te prend? demanda le

deuxième élève, Théodule Lardenois, qui,retenu dans le laboratoire attenant à la phar-macie, n'etaitarrivé qu'au milieu de l'entre-tien..

?––– Son adresse? Où demeure-t-eiïe,.cettepetite? Cabril!att Vite, nom d'un chien, cours

âpres)'–Pas la. peine, Caorinat. Voilà ce que

J:c'est, mon vieux, tu perds la tête des qu'uncotillon entre icil répliqua Lardenois. Com-ment, tu ne la connais pas? Et tu avais l'airsi à l'aise avec eMe, tu tacouvais d'un œi! si.

– Emin, qui est-ce, cette jeune'fille? inter-rompit Richefeu avec impatience. Où habite-

~C~Desbrmeaux,5t"'Adrienne~ësorMea~1pére, veuf encore'rt, malgré sbn' rhumatisme~ possëde ungrahdchahtiéi;3~~SCIerIe ,il.. l 'tre-

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mité du faubourg Saint-Étienne ce qui nej'empêche pas d habiter tout près de nous,rue Haute. cette iongue maison basse, pré-cédée d'une cour avec grille.

–Ah) comment) C'est lit?Oui, c'est là. Je m'étonne qu'il faille te

l'apprendre. Je croyais bien que.Mais toi-même, comment es-tu si bien

renseigne?tBelle maliceexclamaLardenois. Mlle Des-

ormeaux passe tous les matins avec sabonne. oui, tous les matins). depuis deuxmois au moins, époque de sa sortie du cou-vent, j'imagine. entre huit et neuf heures,là, devant la pharmacie, pour se rendre à lamesse. Alors, l'ayant aperçue, je me suisinformé j'ai interrogé la femme de chambrede la patronne, entre autres, cette grandebringued'Ernestine.Et voilà tout le mystère

C'est étonnant) s'écria naïvement Ri-chefeu. Je ne l'avais pas encore remarquée,moi1

Il y a commencement à tout, ma vie)!M1

repartit le jeune Lardenois dans sa profondesagesse.Et. inutile de te demander si. si tuen tiens pour e!Ie?

Oui, inutile, parce que je ne le sais pasencore bien moi-même. Cela viendra peut-être ) 1 conclut avec la même remarquable judi-ciaire Thëodule Lardenois.

Tout en écoutant son compagnonet discou-

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rant avec lui, Nestor Richefeu s'était misen devoir de confectionner le plus efficacedes liniments, l'irrésistibie baume annoncé.Quand la besogne fut terminée, le.goulot duitacon dûment entouré de sa coiffe verte, soi-gneusement ficelée et cachetée, le flacon lui-même enveloppé d'un papier blanc commeneige, Nestor, au lieu de le confier au garçonde peine, à ce satané petit flandrin de Vincent,si pertinemment baptisé l'Endormi, glissa labouteille dans sa poche, s'esquiva sans motdire du laboratoire par la porte ouvrant surie corridor, et gagna la rue.– Dis donc, Cabrillat fit Lardenois, à qui

ce manège n'avait pas échappe, tu n'as pasvu?P– Quoi donc ?l

Tu ne te demandes pas. où est passé cetanimal de Richefeut

– Non. Pourquoi ??Parce que monsieur.lejoli cœur, au lieu

d'envoyer Vmcent chez les Desormeaux,n'apu résister au désir d'y aller lui-même.Voiiat J'en suis certain ai entendu grincerla porte du couloir.

»

Située dans ie plus riche quartier de Chèvre-uaont, au coin de la placede la Mairie etde laGrand'Rue, ia pharmacie Pichancourt, avecses .deux tangues façades garnies, selon la

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coutume, de gigantesquesbocaux rouges etbleus, jaune de chrome et vert d'émeraude,sa double plinthe de marbre noir et sa dou-Me enseigne en lettres d'or .PK'/K!MCOMf<,M'-tK<enM SM 7top:'<aM.r de Paris, avait tout à-fait belle apparence. Elle n'aurait pas dépareles boulevards de « la capitale on étaitunanime à le reconnaître à Chèvremont-en-Bresse, et à la proclamer même le plus ciË-gant et le plus cossu des magasins de la ville.

Sur chacune des deux immenses glaces dela devanture, une inscription se détachaiten légende AH<MO~za, mor~MC déposée

pt'otMMt'M Mt~6K«M <<'o?'. C'était cette« spéciatitë D précisément qui obligeaitM. Pi-chancourt à se pourvoit- de trois aides ou é)e-ves, tandis que les autres pharmaciens de lalocalité se contentaient généralement d'unseul, qui jouissait même de nombreuxloisirs.

Fanfaré par toutes les trompettes de laréclame, répandu à profusion dans toutes lesofficines de France et de Navarre, universel-lement connu et employé, sans pour cela, j'enai une vague crainte, que sa réputation fût desplus méritées, t'anticoryza était, pour soninventeur tout au moins, une excellenteaffaire. M. Pichancourt avait dû construire,pour la fabrication de ce remède, un labora-toire spéeia!, une véritable usine, à cinq kilo-mètres de la ville, au Val d'Amb!y,prës de lafrontière suisse. Toutes ses journées se pas-saientr dans cet étaNissement, à surveiller

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ouvriers et ouvrières, comptables et expédi-tionnaires, camionneurset garçons de peineet comme lecontre-chocde cette iourde chargese faisait inévitablement ressentir jusqu'à !aboutique de la place de la Mairie~ jusqu'à la< maison mère », le pharmacien avait étécontraint d'abord d'obvierà son absence et sefaire remplacer, ensuitede prendre un secondélève; total trois « potards

Nestor Richefeu, le plus ancien, celui à quiM. Pichancourt avait délégué ses pleins pou-voirs, était un solide gai)]ard de vingt-quatreans, trapu, courtaud, largement ràbié, jouffluet rubicond commeune pomme d'api.

Le second, Théodule-Alcide Lardenois, quiavait un an de moins, était tout aussi solide-ment étoffé et à peu près aussi mafflu et rou-geaud que son supérieur. Comme lui, il appar-tenait à une famille de paysans bressans.

Le troisième, Fé)ix Cabrillat, entrait danssa vingt-deuxième année et avait pour pèreun maître d'armes de Besançon. l! était detaille moyenne, pâlot et maigrelet, avait l'airdoux, réservé, distingué, somme toute, et,depuis deux semaines qu'il faisait partie dupersonne) de la pharmacie Pichancourt, nes'était pas encore regimbé contre les inévita-bles exigences de ses deux aînés.

Il y avait près d'une année que ceux-civivaient côte a côte, et, jusqu'à cette soiréed'octobre,à part quelques piques insignifiantes,la meilleure intelligence n'avait cessé de

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régner entre eux. Mais, comme la poule dufabuliste, M"' Adrienne Desormeaux survint,

Et Yoiia la guerre allumée

entre nos deux coqs, Nestor Richefeu et Théo-dule-Alcide Lardenois.

Le lendemain matin, sur les neuf heures, ason retour de la messe, M"< Desormeaux,escortée de sa gouvernante, pénétrait de nou-veau dans la pharmacie. Il faut croire que lebaume « souverain n'avait produit que fortpeu d'effet, car la jeune fille tenait, pliéedans son livre de prières, une ordonnancedu docteur More).

Gette fois, ce fut Théodule Lardenois quis'avança. Nestor Richefeu, monsieur le jolicœur~ëtaitason tourabsent de la boutiqueet occupé dans le laboratoire.

Monsieur votre père ne va donc pasmieux, mademoiselle? Y

Non, monsieur, hélas Il n'a pu fermerl'œilde la nuit. Toujoursson rhumatisme dansl'épaulet Et puis la nevre qui s'est déclarée,une grosse uëvre. M. Morel est venu dès )ematin.

–Heureusement que c'est sans gravité t

crut devoir aJlëgaer Lardenois pour la tran-quilliser. r/

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C'est ce qu'assure aussi M. Morel. fi n'ya aucun danger, rien de sérieux à redouter.N'empêche que papa souffre bien. Nousavons eu beau le frictionner;Naïs et moi, avecce que le. ce que votre. le monsieur quiétait là, nous a apporte hier soir, rien n'ya fait. M. Morel a même déciaré qu'il auraitmieux valu ne rien faire du tout et attendresa visite. Aussi vous serai-je infinimentrecon-naissante de préparer l'ordonnance sanstarder.

Mais tout de suite, mademoiselle, l'ins-tant même! Et je vous la porterai moi-mêmeaussitôt

Vous serez bien aimable, monsieur.Juste au moment où Adrienne et sa gou-

vernante Na!s quittaient la pharmacie, Ri-chefeu y entrait par la porte opposée à cellede la rue, la porte du laboratoire.

– Tiens, mais. c'est M"' Desormeauxquiétait ici?. Ah! veinard!

Oui, elle-même, avoua Lardenois, quiétait déjà en train d'exécuter l'ordonnancedu docteur Morel.

Lorsqu'il eut fini, il mit la fiole et les deuxpetits paquets de drogues dans sa poche, et,commeavait fait Richefeu la veille, s'apprêtaà sortir, mais ostensiblement, par la portedu magasin et non par celle du corridor.– Où vas-tu donc? demanda le remplaçant

de M. Pichancourt.Porter t'ordonnance Desormeaux.

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Et Vincent, quoi sert-il alors? C'est labesogne du garçon de laboratoire, et noncelle des élèves, de porter les ordonnances àdomicile.

Tu y es bien allé hier, toi, porter cellede M"* Desormeaux!1

Moi, je suis aHë? Qu'en sais-tu? Ça n'estpas vrai d'abord!

– Tu as un fier toupetl s'écria Lardenois.Nous t'avons vu, Cabrillat et moi, te faufiler.Et puis M"" Desormeauxvient encore de mele connrmer à l'instant! Même que ledocteur Morel a trouvé que tu aurais mieuxfait de te tenir tranquille plutôt que de. temêler de soigner ses maladesl.

Je te dis que tu ne sortiras pas rugitRichefeu.

Je te dis que je sortirai!Je te dis que non, moiIJe te dis. Au revoir, Nestor! A tout à

l'heure, ma vieille1

Pour rien au monde, Nestor Richefeu n'eûtomis de se trouverà la pharmacie le Jendo-mnin, à l'heure de la messe. CatcùiantqueM"'Desormeauxprofiterait très probablementde sa sortie matutinalepour-apporter, commela veille, une nouvelle ordonnance du docteur,il s'était embusqué derrière les bocaux de lamontre, et il épiait sa venue, son passage

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tout au moins. Mais Théodule Lardenois, luiaussi, était fidèle au poste et guettaitsa proie.Lorsqu'il la vit entrer, il se précipita.– Monsieur Lardenois, faites-moi donc le

ptaisir d'aller au laboratoire survei))er votredécoction de salsepareille. Voilà trois quartsd'heure qu'elleest sur le réchaud.

Monsieur, je n'ai pas d'ordres a recevoirde vous

Je vous demande mille pardons, mon-sieur, vous avez des ordres à recevoir de moi.M. Pichancourt vous Fa déjà dit; il vous lerépétera, s'il le faut. Et pms, pas de discus-sion devant les ctients, n'est-ce pas, je vousprie: filez au laboratoire, allons) achevaRichefeu.

Comme Nestor Richefeu l'avait devancéauprès de M"" Desormeaux et s'était emparédéjà du carré de papier l'ordonnancequ'elle tenait à la main, l'infortuné Lardenoisn'avait plus qu'a se soumettre à cette humi-liante injonction, à céder la place a sonrival, et c'est ce qu'il fit rageusement, toutfuribondet fulminant.

Mais, aussitôt la jeune fille partie, il se ruadu laboratoire dans la pharmacie,apostrophaRichefeu, l'accabla d'insultes, donna librecours à tout son dëpit et son exaspération.

Richefeu ne manqua pas de se rebiffer,comme-bien on pense. Les gros mots, ainsique des volants de raquettes, rebondirent depart et d'autre; de part et d'autre, les

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menaces retentirent, les provocations, criéesà tue-tête, firent trembler tous les bocaux del'officine et se répercutèrent jusqu'à l'extré-mité de la place de la Mairie.

« Je t'apprendrai, moi! Ah! je te mon-trerai, moi! Oui, tu sauras Voyczdonc le joli merle – Regardez donc ce grandserin! Ne m'échauffe pas les oreiiiesplus longtemps, ou bien N'achève pas,sinon Je ne réponds plus de moi,Lardenois, je t'en avertis! J'en ai assez,Hichefeu,jete préviens! »

Bref, ils faillirent en venir aux mains, et,sans l'intervention de leur collègue Cabrillat,ils eussent très certainement passé des parolesaux actes et transformé la pharmacie enchamp d'honneur.

Cabrillat leur fit comprendre tout le dangeret tout le ridic!ilede leur conduite. Mme Pichan-court, dont l'appartement était situé aupremier étage, au-dessus même.du magasin,pouvait les entendre. Alexandrine, la cuisi-nière, attirée par te bruit, venait de se glisserdans le laboratoire, pour écouter tout a sonaise..

Oui, messieurs, elle était là il y a uninstant. Que le patron ait vent de l'affaire,et. vous devinez ce qui en résultera pourvous deux? Et tenez, tous ces gamins ras-semblés devant la porte. C'est à vous qu'ilsen ont, c'est pour assister au spectacle.Quel scandale

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La querelle s'apaisa donc ce jour-!a, maispour reprendre de plus belle le lendemain etse continuer de plus belle encore les jourssuivants. En vain Richefeu invoquait-il sespouvoirs et s'efforçait-il d'imposer silence u.

son rival: celui-ci haussait les épaules, l'en-voyait promener, lui et son autorité, le nar-guait, le défiait, lui montrait le poing.

Approche donc! Viens donc un peuici, que je te rabatte le caquet

Monsieur Lardenois, vous ferez tant queje me verrai dans la nécessité de.

D'aller moucharder auprès du patron,n'est-ce pas?3– De l'instruire de ce qui se passe et de le

mettre en demeure de choisir entre vous etmoi, monsieur Lardenoisl

Et moi, je lui raconterai, au patron, dequelle jolie manière vous justifiez)a confiancequ'il a en vous, et à quoi vous employez votretemps et consacrez vos prérogatives.Quand itsaura que c'est à courtiser et accaparer toutesles clientes de la maison, nous verrons lamine qu'il fera et s'il tiendra tant que ça à-ne passe priver de votre précieux concours,monsieur Nestor Richefeu t

Le fait est que Nestor Richefeu, ne se sen-tant pas !a conscience absolument nette, étaitpeu disposé à porter plainte contre son subor-donné.

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Comme, malgré tous les baumes, lotions etfrictions, le rhumatisme de M. Desormeauxs'obstinait a ne pas déguerpir, M'~ Adriennecontinuait ses visites a la pharmacie avec lamême fréquence et la même régularité, et il

ne se passait pas de jour, pas d heure mêmepour ainsi dire, que Félix Cabrillat ne setrouvât contraint de rappe]er ses eoHègues,ses « anciens à l'ordre et au calme, voired'arrêter les mains et mettre le holà entreeux.

Battez-vous une bonne fois, finit-il parleur conseilleren sa qualité de fils de maîtred'armes décidez-vous pour le fleuret, l'épëeou le pistolet; mais, de grâce, plus de dis-putes, plus de criailleries, la paix!

Eh bien, c'est cela Oui, Cabrillat araison battons-nous! clama Lardenois.

Battons-nous! Oui, il le faut l Un denous est de trop sur terre! Battons-nous!glapit à son tour Richefeu, qui, en présencedu zèle et de la fougue de son adversaire,ne pouvait décemment paraître reculer.

Mais ni l'un ni l'autre n'avait jamais tenuun pistolet, jamais manié fleuret, sabre ouépée.–A coups de poing 1 La boxe! vociféraLardenois tout enflammé.

Comme des goujats, des ivrognes?. Fidonc! repartit Cabriilat. C'est pour le coupque M. Pichancourt trouverait que vouscausez préjudice à son établissement, que

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vous déshonorez la corporation tout entière 1

Non, pas de pugilat, mes amis

– Cependant.–Mais alors?.– Eh! mordienne, pas n'est besoin d'avoir

hanté les salles d'escrime ni les tirs pour êtreà même d'appuyer le doigt sur la gâchetted'un pistolet!

Sans doute, mais.H s'agit de viser! objecta Richefeu.

Il ne put les convaincre.Le soir même une nouvelle altercation

ayant éclaté, Cabrillat revint à la charge etsomma les deux adversaires d'en finir, unefoispourtoutes.

Ou sinon c'est moi qui aviserai le patronC'est insoutenable, cette vie-là, c'est à devenirfou, ma paro!~ Si vous ne voulez pas vousaligner sur le terrain, tirez au sort celui devous deux qui devra disparaître, – se logerune balle sous le menton, avaler une pilulede cyanure ou de strychnine, ou s'ouvrir leventre à )a japonaise Comme bon vous sem-blera, Mais pour Dieu! terminons-en!

Tiens, mais.C'est une idée! acheva Richefeu.Oui, nous tirerons au sort, reprit Lar-

denois. Tu nous prépareras deux pilules,Cabrillat.

– Ah! vous vous décidez pour!es pi)u]es?–Oui! H y en aura une d'inoffensive;

l'autre renfermera un poison des plus éner-

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giques et dont tu nous tairas ]e nom, afinque nous ne puissions découvrir sur-le-champl'antidote, tu comprends?'1

Parfaitement;répondit Cabrillat. Quoi-que. Vilaine besogne dont vous me chargezlà! C'est à moi que la justice s'en prendra,moi qui serai responsable.

Ne t'inquiète pas, interrompit l'enragcLardenois. Nous aurons soin de mentionnerpar écrit que c'est volontairement que nousnous donnons la mort. Tant mieux pourcelui qui survivra!

Alors, comme ça, soit! Néanmoins,ajouta Cabrillat,-je crois qu'il serait bon.afin d'éviter les commérages et d'empêcherque le nom de M"" Desormeaux ne fut mêlélA-dedàns. qu'iL Serait préfëraMe que l'af-faire eut lieu hors de la viile, ou même del'autre côté de la frontière.

–En effett répliquaRichefeu.Je ne demande pas mieux,dit Lardenois.L'un de vous pourrait, par exemple, se

rendre à Genève, l'autre Berne ou a Lau-sanne.De cette façon, le résultat de. duduel causera moins de rumeur ici; l'origine,le réel motif, en sera moins facile à démêler.

–Ilaraispnt s'écrierentensemMe les deuxprétendants.

– Tu n'as plus maintenant qu'a confection-ner les pilules je suis prêt! clama Lardenois.

– Et à nous faire tirer au sort: j'en griiied'impatience) achevaRichefeU.

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.:€iwuL'austère et vigoureuse efte~e était entrée, et.

clic clac! avait administré à monsieur unesuperbe paire de soufflets. (Page 6.)

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Le dimanchesuivant, qui était précisémentle jour de sortie de MM. Nestor Richefeu etThéoduJe Lardenois, nos deux potards mon-taient en wagon aune demi-heure d'inter\a!teet se dirigeaientle premier sur Genève, l'autresur Berne. Tous deux emportaient, soigneu-sement enfouie dans une poche de leur porte-feuille ou au fond de leur porte-monnaie,une microscopique boite ronde contenant lasusdite pilule, la vie ou la mort.

A Genève,aussitôthors de la gare, Richefeu,qui, malgré ses très Légitimes appréhensions,se sentait un impérieux appétit, s'acheminavers un des plus confortables hôtels de la ruedu Mont-Bfanc, y retint une chambre ets'assit Il la table d'hôte, où il fit amplementet magnifiquementhonneur au déjeuner. !)alluma un cigare ensuite, un pur havane, et

alla s'installer sur la terrasse d'un café duGrand-Quai.

Après s'être d'abord dit, s'être fermementet irrévocablement promis, qu'aussitôt des-cendu du train, il se débarrasserait de saterrible incertitude et liquiderait son sort, i)s'efforçait a. présentde chasser cette anxieuseidée, de se donner le change et s'étourdiri)ëtait résolu de recuier le plus,possiblel'épou-vantable échéance.

tl faisait un temps inespéré, un clair et

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gai soleil de )'ëtë de la Saint-Martin. Récon-forté, malgré lui pour ainsi dire, et ragail-)ardiparlanneboutei)iede pomarddonti)ava<t arrosé son dessert, paria tasse demoka et les petits verres de chartreuse qu'itvenait d'absorber, aussi bien que par cetteradieuse après-midi, ces pimpantes toilettesqui défilaient sous ses yeux, ces sveltes tailles,ces minois provocants, par ce lac superbe,cette immense nappe d'azur et d'argent quimiroitait en face de lui, par tout ce réjouis-sant spectacle et ce féerique panorama, NestorRichefeu s'abandonnait à une sorte d'ivressegniDeretie et fringante, savourait tout lebonheur de vivre. zD

De temps il autre pourtant, ses sourcils sefronçaient soudain, un frisson le secouait:l'horrible pensée lui était brusquement revenueà l'esprit, lui avait traversé le cœur commeun coup de poignard.– Baste! nous verrons ce soir, après le

diner.J'i'ncore]c temps).Aquoi bon.se tourmenter d'avance?. C'est stupide!N'y songeons plus. Voyons, secouons-nous1Hop!

Et, pour faire diversion, il se leva, se mêlaà la foule des promeneurs et erra, le cigareaux lèvres, le long des quais.

Vers les sept heures il regagna l'hôtel, et,bien qu'il ne se sentit pas grand'faim, pritplace à table, et, toujours pour se remonterle mora], se donner des forces, se contraignit

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& manger et fêta de son mieux les plats et lesvins.

Il quitta le dernier la salle manger, sedisant que cette fois il n'y avait plus bar-guigner, que le moment était venu de s'en-fermer dans sa chambre et de.

Mais, tout en délibérant de la sorte, il avaitfranchi le seuil de l'hôtel et se trouvait déjàde l'autre côté de la rue.

Une affiche de spectacle frappa ses regards.Par extraordinaire. LA VIE PARISIENNE.jouéepar les act~M~ du ~t~Mr~ des Variétés,d'fFat'M.

– Si j'y allais? Je puis bien encore attendrejusqu'à ce soir. Voilà tout, j'en serai quitte;pour ne rentrer à Chèvremont que par untrain du matin. Pour une fols, le pèrePichancourt n'aura rien à dire. A moinsque. que ce ne soitmoi qui. ai la déveine ?Brrrt.

Au thé&tre, il fit la connaissance de deuxaimables dames, à qui il o<Mt des grogsdurant un entr'acte, et qui, à la fin de tareprésentation, lui proposèrent d'aller souperavec lui.

)I ne rentra & son hôtel que très tard, outrès bonne heure pour mieux dire, puisque lespremières blancheurs de l'aube moutonnaienta!'h6rizon.

n avait la tète lourde, le cerveau conges-tionné, Névreux, tout brûlant, comme si onlui eut versé dans le crâne du plomb en

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ébullition. Cependant il se souvenait. Lapetite boite était là, dans une pochette de sonportefeuille. Il fallait s'exécuter.Autrement,que penseraient de lui ses collègues Lardenoiset Cabri)iat?H avait juré d'ailleurs. U devaittenir son serment, ~nontrer qu'il n'était pasun lâche!

Non, il n'avait pas peur, et la preuve!Il Saisit la pilule et l'avala.

Une heure plus tard, Nestor Richefeu, quis'était jeté tout habillé sur son lit et n'avaitpas tardé à succomber au sommeil, futréveillé par des crampes affreuses, d'atrocesdouleurs d'entrailles.

Aussitôt. la mémoire lui revint. La véritésurgit brusquement.

Ah mon Dieut C'est moi 1 Empoisonné I

Fichu! Ah) mon Dieu1

Et il se mit à hurler comme un possédé.Les gens de l'hôtel accoururent. Vite on

envoya quérir un médecin.Les souffrances du malade paraissaient

augmenter, son état empirer rapidement.Quand le docteur arriva, Nestor Richefeugisait presque sans connaissance, secoué demoments en moments par de violents sou-bresauts, les lèvres spumeuses, la respirationsaccadée, le front et le visage et tout le corpstrempé de sueur.

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Un des garçons raconta que ce voyageurétait rentré au petit jour, qu'il l'avait entendutrébucher dans l'escalier, comme quelqu'unqui n'a ni les jambes ni la tête bien solides,quec'étaitsimp'!ementune.uneindigestion <.

– Une forte indigestion, oui, ajouta ledocteur; mais compliquée d'intoxication,certainement)l

Et, jugeant à divers symptômes que cetoxique devait être l'opium, Il prescrivit lesrévulsifs et antidotes indiqués.

Une insurmontable torpeur s'était emparéelie Richefeu, et ce n'est que dans l'après-mididu lendemain qu'il commença à sortir de cetétat comateux et à recouvrer ses esprits.

«Il était dans une chambre d'hôtel. à

Genève. à cause de. du duel. pourM"" Desormeaux. de la pilule préparée parCabrillat. Oui C'était lui qui avait eu lamalchance, sans aucun doute. Il n'était pasmort pourtant! »

Il garda le lit ou la chambre trois joursencore; puis, le samedi matin, le docteur luiayant rendu sa liberté, il s'achemina, encoreflageolant, vers la gare, et reprit la route deChèvremont-en-Bresse.

M. Pichancourt était debout sur le seuil desa porte, discutant, clamant et gesticulant, ledos tourné vers la rue, au moment où Nestor

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Hichefeu arrivait devant la pharmacie et sepréparait a réintégrer le bercail.

tnvoiontairement, à la vue de son patron,il fit mine de se dérober, voulut rebrousserchemin; mais le père Pichancourt l'avaitaperçu.-Ah bon 1 Voilà l'autre, à présent! Quandje vous disais qu'ils s'étaient donné le mot!J'avais bien deviné mes gaillards ontdécampé tous deux ensemble, s'en sont allésde conserve tirer une bordée, et les voici quinous reviennent, toujours de compagnie!Entrez donc, Richefcu, ne restez pas sur letrottoir, mon garçon

Richefeu obéit, et aperçut dans la boutique,nonseulementson pseudo-compticeLardenois,mais Félix Cabrillat et trois autres potardsdéjà installés derrière les comptoirs et intro-nisés dans leurs fonctions.

M. Pichancourt continua:Vous auriez dû m'avertir au moins, que

diantre 1. C'est ce que j'étais justement entrain de dire a Lardenois. J'aurais pris mesdispositions en conséquence. Je ne vous aijamais refusé de congé au besoin je seraisvenu moi-même vous suppléer. Maisdéguerpir ainsi, laisser ainsi une maisonen plan! Ce sont des procèdes des pro-cèdes!). inqualifiables !tt Aucun de mesconfrères, personne au monde ne tolérerajamais de reilles escapades. Toute unesemaine! huit jours de bambocheAh!1

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vous allez bien, vous, quand vous vous ymettez t

Pardon, monsieur, mais je. je vousvous assure, monsieur. bégaya Richefeu.

-Permettez-moi, monsieur, de. de vous.Monsieur, je. je vous certifie. bredouillaLardenois.

Quoi? Que pouvez-vous invoquer pourvotre défense ? Je me le demande 1 Il y a unfait, un fait incontestable: c'est que vousavez tous les deux, simultanément, sans meprévenir, planté la. le magasin, et que votreabsence & tous les deux a duré huit jours.Vous n'allez pas me répondre que vous êtestombésmalades l'un et l'autre.

Si, monsieur! J'ai été malade, bienmalade. interrompit Lardenois.

Moi aussi, monsieur ajouta Richefeu.Aht vous aussi? En même temps?

Comme ça? Faudrait cependant mettre unpeu de variété dans vos. vos contes en l'air,mes bons amis. Je n'aime pas qu'on se moquede moit Puisque vous me quittiez, j'ai dûpourvoir à votre remplacement. Votia. vossuccesseurs, reprit le père Pichancourt enindiquant à MM. Lardenois et Richefeu lesnouveaux potards. Ah! oui, ils sont trois,continua-t-it. C'est que Cabrillat, lui aussi,s'en va. Lui, c'est autre chose 1. Je ne lecongédie pas. C'est lui qui se retire, –pourremarier. Il épouse M"" Desormeaux etdeeient l'associéde son beau-père,lemarchand

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de bois. Vous avez joliment raison, allez,Cabrillat, fichu métierque la pharmacie! Ennvoilà la preuve! On n'est jamais tranquille,

..on n'est jamais sûr de. ce qui se passe chezvous quand vous n'y êtes pas. Toujoursesclave, à t'attache!1

Lorsque Nestor Richefeu et Théodute Lar-denois se retrouvèrent dans la rue et purentlibrement échanger leurs impressions, ilsreconnurent, mais non sans indignation nifureur, que les émotions et les mésaventuressurvenues à Genève à l'un d'eux, l'autre lesAvait à peu près identiquement éprouvées àBerne. En d'autres termes, ils avaient ététous les deux abominaMement joués par leurjeune coHëgne Cabrillat, qui s'était empresséde mettre à, profit leur absence pour faireavecM"'AdriennepIus ample connaissance,gagner les bonnes grâces du papa Desor-meaux en Je guérissant de s~on rhumatisme,– en un mof, pour leur couper l'herbe sousle pied.

Ils jurèrent de se venger; et, le soir venucomme le garçon de peine achevait de bou-lonner les volets de la devanture, e!. queCabrillat, avantde mo.nter se coucher, aHait,selon son habitude, fumer un cigare et boireune chope au café de la Mairie, ils surgirent

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devant lui, armés de cannes, et tout disposésà lui faire un mauvais parti.

Cabrillat eut le temps de rétrograder et desaisir un énorme gourdin oublié dans leporte-parapluie par quelque paysan des en-virons. Atorsdécrivantun artistiquemoulinet:

–Attention, mes braves! menez-vous!Ce ne sera pas à la pilule avec moi. Jesuis fils de maître d'armes, n'oubliez pas t

Et l'extrémité du gourdin passa si près dunez de Lardenois que ce dernier se hâta debattre en retraite et de gagner le large,entraînant avec lui l'autre assaillant, lebouillant Nestor.

Tous deux songèrent ensuite à intenter unprocès à leur mystificateurpour < préparation,et distributionde substancesmédicamenteusessans prescription ni formule émanant d'undocteur en médecine ou d'un officier desanté n mais Nestor Richefeu ayant retrouvéune place de premier élève dans une phar-macie de Lyon, et Théodule Lardenois décou-ve: pareille aubaine a. Dijon, ils se désisterontde leurs vindicatifs desseins et abandonnèrentle traltre Cabrillat à ses remords et II. sonbonheur.

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LE MARIAGE D'HERMANCE

A DaMW /c~e.

Se jura de ne pas mourir vieille fille. Elleavait vingt-neuf ans déjà, et si. son père, an-cien agent voyer cantonal, décédé sept ouhuit ans auparavant, si M"" Desrigny, avecsa prévoyance et sa tendre sollicitude, n'a-vaient pas réussi à l'établir, malgré leurmodeste aisance et la dot qu'ils étaient toutdisposés attui servir, c'est que la pauvreHérmance n'était pas b&tie comme tout lemonde et d'un placement facile elle était<eossue. Mais cette difformité ne l'empêchaitpas d'avoir un petit cceurremp)! de géné-

fut surtout après avoir perdu samère qu'Hermance Desrigny sentits'accroître son désir de se marier et

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reuses aspirations, gonf)é de sève, embraséde juvéniles ardeurs et de légitimes convoi-tises, des trésors d'affection et de dévoue-ment a prodiguer. Et sur qui verser cebaume, épandre cette lave?

Seule, dans sa jolie et quiète maison de larue des Remparts, au chevet de Saint-AIban,J'élégante egiise romane qui forme la princi-pale ou plus justement l'unique < curiositéde ChatiHon-sur-Meurthe, e))e songeait mëian-coliquementa t'avenir qui l'attendait, s'épou-vantait de ce perpétuel isolement.

Depuis )a mort de M"" Desrigny, elle avaitpris à demeure la femme de ménage quivenait précédemment chaque matin vaqueraux grosses besognes de la maison; mais, siobligeante, probe et fidèle qu'elle fût, lamère Toinette, avec ses soixante-six ans etmalgré les unes moustaches qui lui étaientpoussées, ne pouvait guère lui tenir lieu demari, tout au plus lui servait-ellede chaperonet de porte-respect.

Où le trouver, cet époux si secrètementmais si instamment appelé? A qui recourir,oser s'adresser?

Hermance savait bien qu'elle ne possédaitpas la taille élancée d'une Diane chasseresse,pas plus que l'ampleur et l'imposante pres-tance de Junon; mais de là à se croire con-trefaite, à s'avouer qu'elle était bossue! Elle

-se reconnaissait« un peu trop petite, dans

son for intérieur, toute mince, fluette et mi-

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gnonne, avec une épaule, oui, Fepauic droite,peut-être un peu x. un peu différente del'autre il n'y avait pas a en douter, pasmoyen t et certaines~hr-ises chuchotées par-fois derrière elle le lui avaient appris, « unpeu plus haute et trop. anguleuse. Voilà ceque c'est que de ne pas survei))er le maintiendes enfants lorsqu'ils sont encore au berceauet a )a lisière, de leur laisser prendre demauvaises postures! Et puisd'ailleurss'il n'yavait pour convoler que les Vénus ou lesfemmescolosses, il y a bel Age que le mondeaurait cessé de se recruter. 0

Un soir qu'elle parcourait son journalhabituel, Le Petit Lorrain, < journal deMeurthe-et-Meuse et des départements limi-trophes t, Hermance Desrigny rencontra, aubas d'une colonne de la troisième page,l'annonce suivante

« INSTITUT MATRIMONIAL DE FRANCE, fondépar M"" DE SAt~T-ELME, pour faciliter. entretes familles honorables les alliancesles mieuxassorties au point de vue physiologique et so-ciaJ. – Dots de 10,000 francs à plusieurs mil-lions.- Rue de laChaussée d'Antin,6S, Paris.– De une heure à cinq.–Correspondance. s

Le lendemain le regard d'Hermancetombaencore sur cette annonce, !e surlendemainencore.

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« Si j'écrivais à cette dame? » finit par sedireM'~Desrigny.

Et elle lui écrivit.Par retour du courrier elle reçut un miri-

fique prospectus, lithographié sur papierrose, et destiné à expliquer, prôner et célé-brer « ]e but moral de l'Institut matrimonialde France".

« L'INSTITUT MATRiMONIAf. DE FRANCE n'estpoint une agence, o déctarait catégorique-ment et dédaigneusementMmedeSaint-Elme,en tête de son épître.

« En le fondant, je me suis proposé d'offriraux familles mon concours maternel etdévoué; d'être pour elles plus et mieux qu'unintermédiaire et un trait d'union :–une mère!unemèrevigifante, prévoyante,douée d'unflairprovidentiel, d'une expérience consommée,d'un tact accompli, avant tout d'une invio-lable discrétion, et n'ayant en un mot d'autresouci que d'assurer le bonheur de ses en-fants.

« Je crois rempHr ainsi une véritable mis-sion, un devoir imposé par les circonstancesprésentes, aujourd'hui que notre société,ébranlée dans sa base, a besoin de se recon-stituer et de trouver des cœurs généreux prêtsà aider à ce mouvement de régënérati<jn quis'accomplit, etc. »t Comme conclusion, Mme de Saint-Elme.invitait ses correspondants à lui adresser lamodiquesomme de vingt francs, prix d'abon-

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Bernent au Voile MMp<M~, «moniteur officielde l'INSTITUT MATMMONfAL DE FRANCE,B Où,chaque mois, une nombreuseliste d(. beaux etbrillants partis, tous garantis bon teint, étaitrégulièrementenregistrée et soumise au choixéclaire, offerte à )a juste et sainte impatiencedes lecteurs et lectrices. Pour figurer surcette liste, mériter d'être admis parmi cetteélite, il suffisait d'ajouter cinquante francsau prix de l'abonnement.

Hermance acquitta cette double taxe et.expédia en outre à Mme de Saint~Eime, con-formément à une recommandation inséréedans l'éloquent prospectus, une de ses photo-graphies, – un petit portrait-carte exécutéFan passe et où apparaissait seulement safine tête, pleine d'expressionet de grâce, etson cou, jusqu'à ia naissance des épaules.

Mais, au milieu de tous ces futurs con-joints, dans cette longue et interminableséquelle de brèves annonces qui remplissaitLe Voile MMp<t'<!<, qui choisir,où se fixer?q

Grand était l'embarras d'Hermance.Après avoir pointé au crayon d'abord une

vingtaine de ces courts entrefilets,puis réduitce nombre à quinze, puis à dix, puis à huit,et s'être alors demandé s'il ne valait pasmieux s'en rëférer au jugement de Dieu ettirer au sort parmi ces huit postulants, ellefinit, de guerre lasse, par s'arrêter au nu-méro 12,818, ainsi tibetté

< Employé d'administr. habit. province,

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appointem. 3,500, avec chances d'avant.àssur. 38 ans, bonne santé, goûts simples,désire épouser demois. ou veuve, ayant âge,fortune et caract. en rapport. D

« Goûts simples, » il se pourrait bien quece fussent ces deux petits mots qui, au mi-lieu de son inextricable perplexité et en unde compte, avaient détermine Hermance.

Elle fit part de ce résultat à la maternelledirectrice de l'Institut matrimonial, et,moyennant un nouveau versement de cin-quante francs, elle reçut communication deia photographie du numéro 12,818, accompa-gnée d'une fiche relatant les nom, prénom,qualité, résidence, etc.) du candidat.

H se nommait Adrien'Bastideet était rece-veur de l'enregistrement au fond de la Bre-tagne, dans le petit bourg de Kernorven. Ilétait représenté en pied sur son portrait-carte, et, malgré t'épaisse barbe qui s'étalaiten éventait et frisottait sur sa )arge poitrine,il n'avait pas du tout l'air terriMe; sa phy-sionomie souriait au contraire et était em-preinte d'aménité et d'accortise.

Mais quelle taille, mon Dieu quen& gigan-tesque taillel

On eût dit d'un tambour-major en civil, oud'un maître sapeur sans sa hache, son tablieretson bonnet & poil. Que! contraste a côte de!a pauvre petite maigrichonne d'tiermànce t

–Ah) il est bien trop bel homme pourmoi !mm'murà-t-el!e en soupirant.

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Mais il n'y avait plus à reculer. En mêmetemps qu'elle transmettait aHermance cettecarte photographique et. ces indications,Mme de Saint-Efme, toujours attentive auxintérêts de sa clientèle, c'est-à-direaux sienspropres, et pressée de toucher des deux côtésà la fois, avisait le numéro 42,818 de la dis-tinction dont il était l'objet, lui expédiait lanote signalétique et le portrait de M"° Desri-gny, et celle-ci recevait le lendemain mê~Yieune )ettre signée Adrien Bastide et ainsi con-çue

« Mademoiselle,< Bien que n'ayant pas l'honneur d'être

connu de vous, j'ose prendre la liberté devous adresser ces lignes je ne puis résisterau besoin de vous exprimer la profondeémotion qui m'a saisi au seul aspectde votreimage, et par quelle toute-puissante, quelleprovidentielle sympathie, je me sens attirévers vous. Oui, il me semble que j'obéis àune voix du ciel, qu'une inspiration surnatu-relle me guide et me pousse. Il est impos-sible qu'avecun regard si pur, si ouvert, sifranc, des yeux à la fois si pétillants d'espritet si remplis de mansuétude et de bonté,vous n'ayez pas un cœur généreux, compatis-sant et aimant.

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«Mademoiselle, voulez-vous, avant que je

prenne les dispositionsnécessairespour vousaller voir, vouiez-vous m'autoriser à vousécrire, et consentiriez-vous à répondre à meslettres? Ce serait, me para!t-i), un moyentout simple de faire connaissance ensemble,une connaissancepréalable.

«C'est du fond de l'âme, de toutes mes

forces, que je vous conjure de m'accordercette grâce. Vous ne repousserez pas mapriere,non Vous êtes bonne je l'ai vu dans vosyeux, j'en ai la certitude, et c'est en attendant)e bonheur de vous lire que j'ose me dire,

Mademoiselle,« Votre très humble et très respectueux

serviteur, ..· t« ADRIEN.BASTIDE,

((Receveur de l'enregistrement,~.f~ KerMrven ~Finis~6re). qtTfj. ~~tEn Ë!!e avisée et bien élevée, M"° Desrigny

estima convenable, avant d'aquiescer à cetteproposition, de compléter les renseignementsque lui avait fournis Mme de Sa.int-Elme, etelle pensa qu'elle ne pouvait mieux s'adres-ser pour cela qu'à M. le curé de Kernorven.

Sauf certain paragraphe, la réponse quilui parvint était entièrement rassurante.M. Adrien Bastide jouissait dans tout )e can-ton d'une excellente réputation; il étaitsobre, rangé; plein d'exactitude et de cour-toisie dans l'exercice de ses fonctions, d'une

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probité et d'une moralité au-dessus de toutsoupçon. Il sortait peu, principalement de-puis le décès de sa mère, survenu l'an passe,ne voyaitpour ainsi dire personneen dehorsde, ses heures de bureau, et occupait ses loi-sirs à jardiner et & pêcher à la ligne.

« Le seul reproche que je me permettraide formuler contre lui, ajoutait le conscien-cieux pasteur, c'est qu'il ne témoigne pasassez de zë)e dans l'accomplissement de sesdevoirs religieux. M. B. n'assiste guère à lasainte messe que trois ou quatre fois l'an,aux grandes fêtes, et je ne l'ai jamais vus'approcher des sacrements. »

Cette restrictive considération n'alarmapas Her mance outre mesure. Bastet une foismariés, jele convertirai! songea-t-elie sansdoute; et elle manda & M. Adrien Bastidequ'elle agréait volontiers son offre, que cetteidée de correspondre ensemble, en attendantleur entrevue prochaine, de s'étudier d'aborda distance et se révéler l'un a l'autre, luiparaissait très judicieuse et d'autant plusacceptable 'qu'ils n'étaient plus des enfants,qu'ils se trouvaient tous les deux en pleinematuritéd'âge et de raison.

Un commerce de lettres, de plus en plusactif, se noua donc entre eux. Ils se contèrent,avec des détails chaque jour plus abondantset plus intimes, ce qu')Is avaient fait jus-qu'ici, quelles avaient été leur enfance et leurjeunesse, quels leurs rêves d'avenir, et com-

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ment et pourquoi tous deux avaient eu re-cours à l'entremise de Mme de Saint-Elme.

Le même motif les y avait poussés lemanque de relations, l'isolement où ils vi-vaient l'un et l'autre.

Une entière conuance, un charmant aban-don, s'établit ainsi entre eux par degrés.Bientôt Adrien fit emplette d'une bague qu'ililadressa à Hermance comme gage de fian-çailles Hermance alors de lui broder bienvite un élégant porte-cigares pour le jour desa fête, le 8 mars.

L'entrevue des deux soupirants ne devaitplusd'ailleurs être longtempsretardée. AdrienBastide avait annoncé son intention de pron-ter de la semaine de Pâques pour solliciter uncongé auprès de son directeur départementalet se rendre à Châtillon.

Bref, l'affaire était en si bonne voie,)eschoses s'emmanchaient si bien, que M"' Qes-rigny s'avisa qu'il était temps de prévenirdeux amis de son père, M.Maucdurt,le phar-macien, et M. le capitaine en retraite Lar-sonnier, afin qu'ils voulussent bien lui servirde témoins et si, après réflexion, elle différacette démarche, ce fut simplement par excèsde réserve. Qne risqpait-elle d'attendre quel-ques jours encore, jusqu'à Farrivée de sonnancé? Son fiancé Ah! comme ce mot luiétait doux & prononcer, faisait délicieusementbattrësoncoeùrt–De la sorte, elle n'iraitpasseule chez ces messieurs;sonAdrienl'accompa-

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gncra.it; et quelle joie de l'avoir à son bras,quel triomphe et quelle ivresse de l'exhiber

Enfin le grand jour se leva. C'était le ma-tin même du dimanche de Pâques qu'AdrienBastide devaitdébarquer à Ch&tiHon, et Her-mance était avertie qu'il se présenterait chezelle aussitôt après, sur les deux heures del'après-midi.

La coquette petite maison de la rue desRemparts avait été nettoyéede fond en com-ble, à l'occasion de cet événement, le corri-dor lavé à grande eau, le parquet du salonénergiquement ciré et frotté, transformé enmiroir, les ailées du jardin minutieusementesherbées, et ratissées et peignées commel'arène d'un cirque.

–J'attends quelqu'un, Toinette1

– Mademoiselle me l'a déjà assez dit t Cen'estpas pour le lui reprocher 1.

– Vous aurez soin de ne pas faire languirà la porte, comme cela vous arrive souvent.

Oh t peut'on.– et d'introduire aussitôt ce. cette per-sonne dans le salon, achevaHermance.–Bien sûr, mademoiselle!Où voudriez-

'vous?. N'ayez crainte je m'embusquedans le corridor, et, au premier coup de son-nette.

H retentit, ce coup de sonnette. Hermance,

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assise devant la cheminée du salon, tenaitun livre a la main, par contenance, et trem-blait, tremblait.

La porte s'ouvrit; ie bel homme, le tam-bour-major à longue barbe apparut, maistraînant la patte, arme d'une forte canneressemblant à une béquille; il boitait, le bongéant.

Mademoiselle Desrigny ? fit-il.C'est moi, monsieur.. monsieur Bas-

tide ? balbutia la petite bossue, en laissantéchapper son livre.

Vous?. Mais. Mademoiselle HermanceDesrigny?.quim'écriviez?.

–Oui.Et ils demeuraient plantés l'un devant

l'autre, lui boiteux, elle avec sa bosse, tousdeux ébaubis, interdits, bouche bée, et seconsidéraient stupidement.

Mais, mademoiselle, vous ne m'aviezpas.vous auriez dû me. m'avouer que.

Comment, monsieur t

I! fallait me. Non, mademoiselle,non,ce n'est pas ainsi que l'on. Si j'avaissu.

Si vous. vous m'aviez dit, monsieur.Et Hermance, les joues empourprées,trem-

blait de plus en ptus, se sentait prèsde défa!Uir.

– Oui, j'aurais dû. c'est vrai, mademoi-selle Mais vous, vous aussi.

Monsieur, je ne. Moi? Ohl. Non.Adieu, monsieur 1.

Et la pauvre petite bossue, toute confuse,

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désorientée,affolée, les yeux remplis de lar-mes, et sur le point d'éclater en sanglots,s'enfuit brusquement, abandonnant la placeà son visiteur, son ex-fiancé.

Le' bon géant boiteux patienta 'quetqucsinstants, trois ou quatre minutes puisque faire ? il ouvrit la porte du salon,celle du corridor ensuite, et s'en retournaclopin-clopantvers l'hôtel où il était descen-du, l'hôtel du Cygne.

Sur son chemin, il rencontra la pittoresquepromenade des Quinconces, qui se déroule aupied d'un contrefort des Vosges, surptombf;la rivière, et commande une immense etagreste vaUée.

Un pâle soleil évoluait dans l'azur sansnuage, et, malgré la saison peu avancée, l'airavait tiédi déjà, et l'on pressentait l'éveil desbourgeons et l'éclosion du renouveau.

Sous les arbres des Quinconces, de nom-breux promeneurs vaguaient par couples oupar groupes, à petits pas, douillettement,pa-resseusement, et savouraient de leur mieuxcette première belle journée.

Adrien Bastide s'assit à l'écart, sur un des!ourds bancs de pierre, et, les yeux machina-.!ement fixés au loin, le regard perdu dans lessinuosités de la vallée ou

Tes brumes de l'ho-r)zon, se prit à méditer sur son aventure, samésaventure plutôt, et s'abandonnaà toutesles réflexions qu'elle lui suggérait.

Bossue 1 Elle était bossue, cette demoiselle

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Hermance Desrigny, et elle ne lui en avaitrien dit 1 Ah 1 ce n'étaitpas de jeu, cela, c'étaitde la fourberie, une indigne tricherie) 1 EtMme de Saint-Etme, la « materneiie direc-trice de l'INSTITUT MATRIMONIAL DE FRANCE,est-ce qu'elle n'aurait pas dû mieux connaî-tre ses enfants, et les avertir?. VoUa ceque c'est que de s'adresser à ces charlatansset ces filous 1

Mais lui-même, est-ce qu'il n'avait pas sa.son infirmité? H s'était bien garde d'en parlercependant ) 1 Il avait donc voulu tricher, luiaussi? Non, ce n'était pas tout à fait ce motif.Il n'avait pas osé. C'était une sorte de. dehonte, qui l'avait retenu. Mais pourquoiM* Desrigny n'aurait-eUepas obéiaux mêmesscrupulesque lui? Oui, c'était sans doute aussila timidité, !a honte, qui l'avait empêchée.

– A moins que. à moins qu'eUe n'ignorâtson état, sa bosse ? Il y en a, des bossus, quine se doutent pas de leur conformation, qui,par conséquent, ne peuvent.jamais avouer.Ah 1 n'importe Bossue 1 Elle que, d'aprèsson portrait,j'avais crue si séduisante uneperfection( Non, ça ne se fait pas J'ai beauboiter, moi. Si elle n'était que boiteuse,passe encore Mais bossue 1 bossue1

Adriet) Bastide a.va.{t eu le malheur d'êtreëJeye par une mère teHementidolâtre de lui

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qu'elle'l'avait toujours gardé sous sa coupe,tenu accroché à ses jupes, jalouse de toutesles femmes qui pouvaient approcher de ce/MM chéri et le ravir à sa folle tendresse.

Quand, & l'âge de vingt-deux ans,'par suited'une griëve chute de cheval, il perdit )e libreusa-e de sa jambe gauche, cette incompa-rab!e maman, au milieu de ses larmes et deson désespoir, fut presque tentée de se ré-jouir. Oui! Au moins son Adrien ne la quit-terait plus, se trouverait rivé près d'elle. Oh!elle avait bien l'intention de le marier, certai-nement 1 Elle sauraitbien, tôt ou tard, lui dé-couvrir une avenante petite femme, biendouce, bien docile, grassement dotée surtout.C'était son devoir de mère, et elle n'y failli-rait point, bien sûr) En attendant les mois etles années s'écoulaient, et elle ne découvraitrien. Elle mourut sans avoir mis ia main surcette perle fine.

CependantAdriense voyaitmonteren graineetsongeait qu'ilétait temps,grandtemps de sedécider, de faire choix d'une compagne quiremplaçât cette chère et inappréciable ma-man. Mais où choisir? De quel côté se tour-ner? Sa timidité naturelle, encore dévelop-pée et aggravée par l'éducation qu'il avaitreçue; )'apprëhension, le trouble, la doulou-reuse gêne que sa claudication lui causait,l'empêchaient de chercher autour de lui etune réclame de journat lui ayant révélél'existencede Mme de Sainte-Elmeet du pro-

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videntiel et patriotique étabhssemcnt qu'elleavait créé, ii s'enhardit, il est si aisé d'êtrebrave à distance et plume en main et de-manda à prendre rang dans !a. brillante etéblouissantephalange du Voile .MM~<M<coût cinquante francs d'insertion, plus vingtfrancs d'abonnement.

Lorsqu'il reçut avis du désir exprimé parHermance, avec communication de son por-trait, et apprit qu'elle figurait dans )e susditlivre d'or sous le numéro 19,724 Orpheline,39 ans, physiq. agr~ab., bien élevée, disting.musicien. 40,000 fr., habitant province, johemaison avec jardin et cours d'eau, épous.monsieur honor. de préférence empl. d'ad-ministr. » il fut à son tour immédiatementséduit, d'abord par la délicate et ravissanteexpression de sa physionomie, ainsi qu'il"s'était hâté de )e lui mander; puis, il fautbien le dire aussi, par les 40,000 francs et parcette «

jolie maison avec jardin et coursd'eau où ses goûts d'horticulteur et de pé-cheur à la ligne trouveraient à s'exercer libre-ment, sans dérangement, à son aise et à sesheures.

Et de même qu'Hermance avait consulte.M. le curé de Kernorven, il jugea prudent dese renseigner,lui aussi, d'écrire à son collè-gue, 'à M. le receveur d'enregistrement deCh&tiiIon-sur-Meurthe. Celui-ci comprit, sansdoute, qu'il s'agissait d'un prêt a faire, oud'une hypothèqueà prendre sur la jolie mai-

60 LE MARIAGE D'HERMANCE

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son avec jardin; et ilfournit sans retard lesattestations les plus circonstanciées et lesplus favorablessur l'honorabilité et la so)va-biiitëdeM""Desrigny(iIei'mance)..

Tout étaitdoncpouriemieux,c'était parfait,et l'on pouvait sans risque aller de l'avant.

Héiasti) n'y avait qu'un point d'omis dansl'annonce du Fo!~ nuptial, aussi bien quedans la lettre de M" de Saint-Elme et danscelle du collègue de Châtiiion c'est qu'elleétait contrefaite, qu'elle était bossue, cetteorpheline.

Mais lui, est-ce qu'il ne différait pas aussiquelque peu du commun des mortels, est-cequ'il n'avait pas aussi sa tare? Et puis,, ellésemMaitsi affectueuse, si prévenante,dévouée,remplie de généreux sentiments, cette petiteHermance; elle lui écrivait de si gentHie%lettres, si cordiales, bien tournées, spiritue)-les. On devait être si heureux dans la pim-pante et proprette maison de la rue des Rem-parts, le jardin paraissait si bien exposé, lepetit cours d'eau si poissonneux t

En tous cas, il ne fallait pas tourner brideet détaler sans se revoir et se mieux èxpli-quer. Que diantreon ne fait pas deux centsheues pour toucher barre simplement et re-biousser chemin au galop.– Ce ne serait pas raisonnable Mainte-

nant que le premier moment de surprise estpassé; que la glace est rompue, il faut deviser

fUnbrin.

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Hermance, pendant ce temps, étaiten trainde se tenir un langage analogue.

Ce n'était pas si facile d'agripper un marielle en savait quelque chose avec ses vingt-neuf ans 1 Raison de plus pour ne pas laissers'envoler celui qu'elle avait trouvé, qu'elleëtaitsurie point de saisir.

Il était-boiteux; mais enfin, elle, elle avaitbien l'épaule un peu. un peu pointue?

Rien, songeait-elleavec tristesse et aussiavectouteapparence dejustesse,rien neretiontplus M. Bastide ici. Il va se hâter de partir,et comme il n'y a que trois trains par jourpour Paris, deux dans la matinée et un lesoir, il n'attendra pas jusqu'à demain c'estce soir même, par l'express de quatre heures,qu'il s'en ira. Je devrais bien tout au moinstâcher de t'apercevoir, de me trouver sur lechemin de la gare, comme par hasard.

Et vite, elle mit son chapeau, s'enveloppade sa mante, et sortit. Mais, à deux pas de~hezelle,–il est vrai que la rue des Rempartsconduisaitdirectement à la station, elle sejeta dans le bon géant, le. colosse boiteux.

–MonsieurAdrien.Vous partez?Et elle avait la mine si contrite, les yeux

encore si rouges, si prêts & se mouiller de--rechef. que le géant s'inclina vers elle, luiprit la main timidement et respectueusement.

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– Je vous, demande pardon, mademoi-selle Hermance. pardon de. de tout al'heure. Vous étiez si émue. Moi aus~i.Mais je ne voudrais pas m'en retournercomme ça. Me permettez-vous de rentreravec vous? A présent que nous nous.connais-sons, nous causerons plus posément.

JI y a deux heureux maintenant dans lapetite maison de la rue des Remparts.

Sur l'un des vantaux de la porte, est fixéun écusson en zinc verni et de forme ovale,où se détache, en lettres noires cette inscrip-tion .Bio'MM de <EM)'~M~M<'M<. Quelquesmois après son mariage, Adrien Bastide aobtenu, en effet, de permuter avec son col-lègue de ChatiHon.

Et ils sont heureux, les deux disgracias,bienheureux, dans leur paisible et gaie soli-tude.

Mais quelle drôle de noce que la )eur Cettenaine et ce géant, ce boiteux et cette boscotte!1On s'en souviendra longtemps, de cette céré-monie, à Chàtillon-sur-Meurthe.

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Et ils demeuraient plant6s l'un devant l'autre, luiboiteux, eUea.yecSabosse.(Page 56.)

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LE BRACELET

~MKM~'e Boutique.

fois que ses affairésl'appelaient à Paris, c'est-à-dire tous les quatre ou cinq mois, d'alleroffrir ses hommages à M"" Léa de Mortagne,une mûre et hospitaiièl'e habitante de la ruede Moscou. Et chaque fois, en reconnaissancedu bon accueil qui lui était fait, il avait soinde laisser à la noble dame quelque gentilsouvenir, 'pendants d'oreilles, boutons dediamant, bague ou médaillon.

M"~ de Mortagne se montrait d'autant plussensible à ces gracieusetésqu'elle.raffolait detous les bijoux et professait pour tout ce qui

[EN que marié à unejeune et charmantefemme, Paul Holger, le maitre verrierdes !s)ettes,ne manquait jamais,chaque

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est lucre et bénéfice en général un culteincomparablementplusardentque celuiqu'ellerendait à la vertu. Elle était même célèbredans son monde par sa rapacité, si célèbreque plusieurs de ses bonnes amies, la voyantpresque chaque soir rôder aux alentours dela petite Bourse, prétendaient qu'elle était derace juive et le soutenaient avec obstination.t) n'en était rien. Léa avait été solennellementbaptisée, trente-huit ans auparavant, dansl'égHse de Mortagne, sa ville natale, et s'appe-lait de son vrai nom Mélanie Cochenard.

A différentes reprises, Léa avait remarqué,dans la vitrine d'un bijoutier du boulevarddes Italiens, un bracelet en or mat garni detrois superbes saphirs sertis de briHants, etpeu à peu elle s était laissé fasciner par cebijou,senétait entichée.

Commentl'avoir?Lorsque Paul viendra, rumina-t-e]!e, il

faudra que je tache de me faire payer ça!l

Paul Ho]ger arriva, et Léa n'eut rien deplus pressé que de l'amenerdevant la montredu bijoutier et de le convier à partager sonadmiration.

–Très beau, en effet D'un goût, d'uneélégance).

Et lés saphirs, quel édaU Vois, le jolibleu 1 Un bleu pas trop foncé, à la fois limpideet velouté.

– Un bleu magnifique! Oh l certes s'écriaPaul. Seulement.

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Oui, c'est le prix!Une microscopique étiquette, fichée dans

l'écrin où reposait le bijou, portait le chiffre3,200, et Paul Holger ne mettait guère d'habi-tude plus de douze ou quinze cents francs àses témoignages de reconnaissance enversMme de Mortagne. On était donc loin decompte.

– Nous pourrions toujours entrer, insinuaLéa, examiner de près. est ravissantVoisdonc, quels feux Nous causerions avec lecommis ou le patron. Quelquefois les prixannoncés ne sont pas exacts. Peut-être aussiconsentirait-où à un rabais.

Soit, entrons, dit Paul.Le prix marqué était toujours un prix fixe.

tmpossibie de rien rabattre l'usage de lamatson s'y opposait. Cependant, pour êtreagréable à madame, ne pas refuser uneaffaire, et à titre tout à fait exceptionnel, onlaisserait le bracelet à trois mille francs,chiffre rond.

C'était encore bien plus que ne voulaitpayerPaul.

~– Nous verrons. Nous réfléchirons.murmura-t-il en faisant mine de s'en aller.

–Maismonsieur pourrait voir d'autres bra-celets. Nous en avons d'autres, très avanta-geux des modèlestout nouveaux. Combienmonsieur pensait-H mettre ?Dans quelsprix ?.

Je ne pensais pas dépasser dix-huitcents, deux miiïe francs.

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J'ai quelque chose qui plairait sûre-ment.

Mais c'est ce bracelet que nous désirionset non un autre. Du moment que vous nepouvez pas.

Le marchandage se prolongea encorequelques instants; puis, devant l'obstinationdu négociant et persuadés de l'inutilité deleurs efforts, Paul et sa compagne se retirè-rent.

Deux heures plus tard, Léa réapparaissait'dans le magasin.

– H vous serait égal, n'est-ce pas, dit-elleau, bijoutier, de laisser le bracelet à deuxmille francs, du moment où la différencevous serait préalablement payée? Tenez, lavoici, voici mille francs, Ct-eHe en lui remet-tant un billet de banque. La personnerevien-dracesoiroudemain.

Dans ces conditions, madame, parfaite-ment) Ça va tout seul. Dès qu'on se présen-tera, qu'on reparlera du prix, au lieu demaintenir mon chiffre, je le baisserai peu àpeu. Vous pouvez vous en rapporter à moi,madame.– J'y tiens, ace bracelet, mais beaucoup,

beaucoup Je serais désespérée de le laisseréchapper)1.,

– Le fait est qu'H'est vraiment.

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RavissantlN'ayez crainte, madame. Je vais le

mettre de côté. Madame est certaine qu'onreviendrabientôt?

Ce soir même, d'emain au plus tard.Absolumentcertaine

Effectivement, Léa y mit une telle insis-tance, tant d'adresse et d'astuce, elle sut sibien manœuvrer, que Paul Holger lui promitde retourner chez le bijoutier et d'essayer dele rendre plus accommodant.

C'est tout ce qu'elle demandait.La soirée était trop avancée pour que Paul

remplit sur-le-champ sa promesse.Le magasin doit être fermé à cette

heure-ci. 1Mais demain matin, sans faute, j'ypasserai, ma chatte.

Le lendemain, la matinée s'écoulasans queLéa vit rien arriver. A trois heures de l'après-midi, elle n'avait encore rien reçu. Dévoréed'impatience, saisie peut-être bien aussi d'uncommencementd'inquiétude, d'une naissantepanique, elle courut chez le bijoutier.

Madameest au comble de ses vœux?– On. est venu?t– Ce matin même,oui, madame, et l'affaire

a été conclue, ainsi que vous le présumiez,moyennant deux mille francs.

Léa poussa un soupir d'a))cgement et de

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joie et regagna bien vite sa demeure, convain-cue que Paul, ou tout au moins Je bracelet,l'y attendait.

Personne. Rien.L'impatience et l'anxiété )a reprirent et

t'aiguilionnèrentde plus belle. Non, impossibled'y résister! C'était trop languir.

L'hôtel où Paul Holger descendait d'ordi-naireetaitsituésur]ap)acede)aMade)eine;c'était une espècede maisonde famille, /a:M{/</ltotel, fréquentée par de paisibles provinciauxet des étrangers économes. Léa y était alléeuue fois déjà, et, avec sa mise simple, sa toi-lette sérieuse et sombre, pouvait s'y présenterde nouveau sans crainte de froisser Paul,sans inconvénientaucun.

– M. Hoiger? demanda-t-elleà la caissièreou gérante, une quadragénaire haute en cou-leur, la mine déluréeet joviale, qui était assisedevant un petit bureau d'acajou et en train decompulser des factures

M. Holger est parti, madame.A quelle heure pensez-vous qu'i! rentre?Mais, madame, puisqu'il n'est plus ici.

S'il est absent, sorti.Parti, madame. M. Holger a quitté Paris

ce matin.–Cematin?– H a dû prendre un train vers midi.– Et pour retournerchez lui, aux Istettes!– Oui, madame, c'est cela même, aux

Islettes.

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– Êtes-voussûre? fit Léa, qui se refusaitencore à croire à une telle catastrophe.

C'est M. Holger qui me l'a annoncé desa propre bouche, répliqua la caissière. Pen-dant que le garçon lui descendait sa valise,il m'a même montré un bracelet qu'il venaitd'acheter, un très joli bracelet orné de saphirs,m'a demandé comment je le trouvais. « Je meréjouis de la surprise que je vais faire ce soirà ma femme! s'est-il écrié. Mme Holger vientjustement de me rendre père ce sera soncadeau de relevailles 1 Je l'avais déjà aperçu,ce bracelet, je le guignais. Et puis pas cher,vous savez, pas cher du tout! Il y a des maris,a-t-il ajouté avec son enjouement habituel,assez pervers pour offrir de pareils présentsaux petites dames; mais nous autres, naïfsprovinciaux, gens de moeurs simples et aucoeur pur.»

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LES DEBUTS DE BRIGODIN

A Georges Haas.

Eputs dix.mois qu'il avait abandonnéson emploi de garçon de magasin,dans la maison de laines et tissus de

1 1Peut vier-Royon,unedes meilleuresde la placede Reims, Isidore Brigodin ne s'était recasénulle part. Non pas qu'il lui fut échu quelquebon gros ou même bon petit héritage et qu'iljugeâtplus simple et plus agréable de mangerses rentes que de besogner et trimer: Brigo-dm ne roulait pas sur l'or et l'argent, hélasnoottant s'en tauttMais:itnesesenta plus

goût au trayait, il était devenu paresseux,:mùsard; et Hëmmard au possible; et puis,surtout,avait une diaboliquehabitude, qui,s'~ggrav~it et empirait de jour en jour, sans

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qu'il fit rien pour l'entraver et s'en délivrer,au contraire) 1Il buvait comme une éponge.C'était même à cause de ce terrible défautqu'il était sorti, qu'il avait été congédié, pourmieux dire, de la maison Peulvier-Royon.

Commentavait-ilvécu durant ces dix mois?Quelques pièces de vingt sous gagnées à por-ter de la gare à domicile ou réciproquementdes colis de voyageurs, de chétives aumônessoutirées de droite et de gauche, à des étran-gers principalement, sur le parvis de la cathé-drale ou sous les Loges, tel avait été le plusclair de ses revenus.

Un soir, lassé de coucher à la belle étoileet n'ayant rien mangé – ni rien bu, misère 1

depuis la veille au matin, il s'était aviséde iancer unegrêJe de cailloux dans un réver-bère voisin d'un poste de police, et, grâce àce bel exploit, avait réussi à se faire allouersur-le-champun gite au susdit poste, plus undemi-pain de munition et une cruche d'eau,

pouaht!Un autre soir, ayantencore le ventre déplo-

rablement creux, il était entré dans uneauberge du faubourg de Laon, s'était fait ser-vir un copieux festin qu'il avait arrosé detrois bouteilles de vin du pays, et, le quartd'heure de Rabelais venu, avait effrontémentdéclaré au patron qu'il ne possédait pas uncentime

–Pas unrôuge ]iard,monbei ami, pas unradis, je vous le jureVous pouvez me fouil-

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1er, si vous ne me croyez pas. et vous fouil-ler surtout! Vous n'avez qu'à envoyer cher-cher les agents, ils me fourrero.nt au bloc

Oui, Brigodin espérait obtenir encore )egite après ie souper; mais son attente futdéçue. L'aubergiste, homme prudent et d'ex-périence, se dit que s'il appeiait la police àson aide, il lui faudrait aller le lendemainfaire sa déposition dans le bureau du com-missaire et perdre ainsi une matinée presqueentière; qu'il serait obligé d'aller ensuiterenouvelercette déposition devant le tribunal,ce qui ferait encore une matinée de perdue;et qu'il était bien plus économiquede passerles frais de ce repas au compte de profits etpertes. Il administra en conséquence unvigoureux coup de pied dans le fond de culottede maitre Brigodin,et invita ce < sacré'Clou Jà aller se faire pendre ailleurs.

Restaient donc les becs de gaz à démolir etles réverbères à fracasser, et c'était en en'etl'expédient auquel Brigodin avait le plusordinairement recours pour mériter d'êtrelogé à !'œi! et hébergé gratis.

JI avait ainsi récolté, durant ces dix mois,et par périodes toujours croissantes, un totalde six mois de prison.

.'Le vol n'avait eu néanmoins aucune partdans ces multiples condamnations; il n'yétait question que de vagabondage, ivresse,tapage nocturne, dégradation d'objets desti-nés a !'utiHtë publique, des peccadilles;

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mais notre triste sire était en trop beau che-min pour s'arrêter là et ne pas ajouter bien-tôt à son casier judiciaire cette indispensablemention.

La première tentative entreprise dans cettevoie par Isidore Brigodin ne fut cependantpas des plus heureuses, comme vous allez en

juger, et auraitbien dû lui servir de leçon,de providentielavertissement.

C'était durant le rigoureux hiver de 1879-1880 le nombre des mendiants et malan-drins avait plus que doublé dans la ville etles faubourgs, et justement le malchanceuxZidore venait de quitter, ce qu'il nommait« sa maison de campagne

»et'd'être rend'u à

la liberté, c'est-à-dire au froid et à la faim, àla fainéantise, & l'ivrognerie, a tous les tour-ments et a toutes ]es hontes de'la misère.

Après avoir dépense, bu, en moins de qua-rante-huit heures et histoire de rattraper letemps perdu, t'hum,b!e pécule qu'il avaitgagné en tressant de grossières corbeillesd'osier,tes sept francs qui lui avaient été remisàsa sortie de prison, il se trouvait dans teplus complet dénûment et était venu s'affalertëut; grelottant sur un banc des Prome-'tiades.

Que fau'e? La faim, !'horrible ~conseiUëre,le tenaillait. y'

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Si. je pouvais chaparder quelque chose?Mais où'? Quoi?

Et bientôt il se rappeta certaine chambremansardée, située en face de celle qu'il occu-pait l'an dernier, lorsqu'il travaillait chezPeuivier-Royon une simple mais proprettepetite chambre louée à un jeune homme, unemployé de commerce, qui partait le matinet ne rentrait qu'à la nuit, et avait coutumede toujours laisser sa fenêtre ouverte, afinsans doute que l'odeur du tabac c'étaitun fumeur enragé, ce jeune homme sedissipât plus aisément et que l'air s'épurât lemieux possible, pendant son- absence.

Si j'y allais ? Il doit avoir de l'argent,ce garçon-là, des économies cachées dans sestiroirs. un petit saint-frusquint1

Et,voilà Brigodin s'acheminant vers.Ia ruede Mars, où il avait demeuré naguère et oùhabitait trèsprobablementencore cet employé.Il se fauN]a dans le corridor de son anciennemaison et grimpa jusqu'au sommet de Fesca-Her sans attirer l'attention, sans rencontrerpersonne.

Ce dernier palier étaitéclairé par une largelucarne donnant sur une terrasse contiguë àune cour intérieure, la même cour uù lachambre de remployé prenait jour. La fenêtrede cette chambre était grande ouverte, ainsique Brigodin l'avait conjecturé; selon touteapparence, -le locataire était donc toujours ce1e

même jeune homme, émérite culotteur de

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pipes, qu'il avait entrevu plus d'une foisjadis.

Le difficile était de se rendre du palier àladite chambre. Il fallait d'abord franchir lalucarne, puis descendre sur la terrasse, cequi exigeait un saut de deux mètres; de laterrasse, se laisser ensuite glisser à troismètres plus bas, sur un petit toit qui se trou-

vait presque de plain-pied avec la mansardeen question.

Brigodin effectua sans encombre ce péril-Jeux trajet.

Aussitôt entré dans la place, il s'empressad'ouvrir les tiroirs de la commode la clefétait à la serrure de l'un d'eux et fouillapartout rapidement, fiévreusement, pourdécouvrir la réserve, les «

économies dutilocataire.

Rien dans la commode. Dans l'armoire àglace, rien non plus, sauf une demi-douzainede chemises, une boite de faux cols, deschaussettes, et une ou deux piles de mou-choirs, rangées sur les rayons. Dans les deuxétroits placards dissimulésde chaque côté dela cheminée, rien encore. Dans le cabinet detoilette, où quelques vêtements étaient appen-dus, rien, toujours pas de magot, pas desaint-frusquin.

Je ne me doutais guère qu'il était sipannéqueçat maugréamëntaiementBrigodin.Vrai, si j'avais su 1. Moi qui me suis donnétant de peine).

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Au moins fallait-il que cette peine ne fûtpas totalement perdue. Et, à défaut d'argent,it songeaà se rabattre sur Je linge et les vête-ments, à se faire un bon paquet qu'il empor-terait. Mais comment l'emporter?Commentremonter du toit sur la terrasse, puis de laterrasse jusqu'à la lucarne du palier avec untel fardeau?

Pas moyen Faut y renoncer A moinsque j'endosse cette défroque?. C'est ça 1 Etje iui laisserai la mienne en échange Unebonne farce Il en fera une tête, quand iltrouvera mes guenilles à la place de ses meil-leurs effets 1. Ah! je voudrais le voip~

Et vite, vite, de se déshabiller, tout enratiocinant de la sorte, de décrocher gilet,paletot, pantalon, pardessus. vite, vite,d'aveindre chemises et chaussures..

Mais, juste au moment où Isidore Brigodinétait quasiment nu et se disposait à enfilerun pantalon de drap noir tout battant neuf,un pas se fit entendre de l'autre côté de lacloison, dans un corridor sans doute, uneclef grinça dans la serrure.

Brigodin de se baisser aussitôt et se coulersous le lit. Et maintenant, ne bougeonsplus!

La porte s'était ouverte, puis refermée, etd'on allait et venait dans la pièce.

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S'il me faut passer la nuit là, me voilàpropre! se dit Brigodin, qui sentait déjà lefroid le pénétrer et lui ankyloser les membres.

On continuait à marcher tout contre lui; ilentendait manoeuvrer les tiroirs de la com-mode, grincer la porte de l'armoire et celle ducabinet. Le froid le gagnait de plus en plus.

– Mon Dieu mon Dieu Pourvu que jen'aille pas éternuer! Et s'il aperçoit mesnippes sur son iit.? S'il voit qu'on a dérangé.Ah) malheur! Est-ce qu'il va demeurer là?Est-ce qu'il ne va pas ressortir?.

Si) I! lui semble qu'on se rapproche de laporte. Oui 1 On J'ouvre. On s'en va

Ah enfin! quelle chance!Maintenantplus de temps à perdre. Il s'agit

de se rhabiller presto et de filer grand'erre.Mais.

– Où donc sont les vêtements?Le pan-talon, la chemise, les bottines, le paletot, quej'avais prépares?. Disparus Et mes loquesque j'avais laissées là, sur le lit? Où les a-t-itfourrées?

Derechef, Brigodin explora l'armoire, lacommode, le cabinet de toilette. Toute lagarde-robe avaat été emportée! Tout le lingeenlevé!

Et ses pauvres frusques avaient été, eiiesaussi, comprises dans la rafie )

Oh Mais ce n'est donc pas lé locataire,l'employé de commerce qui vient de venir ?IC'est un voleur, un confrère! Eh bien, merci)

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En v'là un; Ah je ]e retiens, c't animal-làt1Si je lé connaissais!

Oui, c'était un deuxième larron – il yavait tant de misérables à Reims cet hiver-la!–qui, n'ayant pas, comme'Brigodin, laressource de s'introduire dans cette chambrepar la fenêtre, y avait pénètre par )a porte,à l'aide d'un rossignol et, pendant que son«

confrère se morfondait sous !e lit, avaitfait main basse surtout c6 qu'il avait trouvé,mis toute la pièce au pillage.

Que devenir? Comment me carapaterde là? ruminait Brigodin, transi et glacé dela tête aux pieds. Je ne peux pourtant pasme sauver tout nu, courir sur les toitscomme un singe. Ah! miséricorde Envoila une déveinetOh!l

Se sauver tel que), il n'était même plustemps. Un bruit de pas retentissait et s'ap-prochait, une voix jeune, pleine et tapageuse,lançait ses éclats à tous les échos et clairon-nait des fragments d'une romance alors envogue:

Non, tu n'es plus ma Pâquerette,th Pâqueretteà l'œU si doux!

C'était le jeune homme, le vrai locatairecette fois, qui, leste et joyeux, grimpait sonescalier et réintégraitle logis.Il cessa net sa chanson, comme bien onpense, et poussa un cri de stupeur et d'effa-rement à l'aspect de cet individu planté au

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milieu de sa chambre et dépouillé de toutvoile.

Eh monsieur Barbier monsieur Bar-bier appela-t-il à tue-tête.

Isidore Brigodin le connaissait, ce M. Bar-bier c'était Je principal locataire de la mai-son, un peintre en bâtiments qui sous-Jouait à des jeunes gens les mansardes dudernier étage.

M. Barbier accourut, et ce fut lui lorsquel'infortune Brigodin eut piteusement, touttremblant de froid et claquant des dents, con-fessé sa mésaventure qui alla chercherdans sa défroque et parmi ses mises-bas dequoi couvrir la nudité de notre apprenticambrioleur et permettre de le conduire auposte.

En v'là d'une roide, tout d'même cla-mait Isidore Brigodin chemin faisant. C'estmoi qu'est le volé. Oui, mossieu, tout aussibien que vous et c'est moi qu'on pige t

Enfin, je serai du moins logé et nourri pourrien tout mon hiver C'est toujours ça degagné, n'est-ce pas, père Barbier?Y

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LE PËRE DE MADAME

A ~'<!?!~ Jourdain.

URTOUT, Annette, ayez bien soin de monpère

C'est ce que ne manquait jamais dedire Mme de Lautry à sa domestique, chaquefois que celle-ci sortait, poussant devant ellela petite voiture où le pauvre M. Buvignièresgisait impotent et inconscient.

Ancien haut fonctionnaire, inspecteur desFinances en retraite, commandeur de laLégion d'honneur et décoré d'une multituded'ordres exotiques, M. Buvignières, auxabords de ses soixante-dix ans, avait étéfrappé de paralysie.I! était veufet n'avaitqu'unenfant, une fille, veuve elle-même depuispeu, et qui s'empressa de le recueillir chez

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elle et de l'entourer de sa plus tendre sollici-tude. Mère d'un garçonnet de six ou sept anset d'une-petite fille qui atteignait à peine sesvingt mois, M'°° de Lautry partageait ainsi sonaffection et tous les trésors de son excellentcœur entre ses bébés et son infortuné père.

Elle habitait, a Passy, un modeste et pai-sible pavillon de la rue du Ranelagh, etchaque après-midi, quand le temps le per-mettait et qu'elle en avait le loisir, elle s'enallait, accompagnée de ses enfants et de safemme de chambre qui voiturait M. Buvi-gnières, faire une promenade dans le bois deBoulogne, aux alentours de la Muette. LorsqueMme de Lautry se trouvait retenue par quelquevisite à rendre ou à recevoir, empêchée parquelque urgente course, Annettepartait seule,avec )e malade dans sa chaise roulante, etalors

Surtout, ayez bien soin de mon peretVous entendez, Annette?

Madame peut être sans inquiétudet

En effet, quel danger pouvait-il y avoir?QLes voitures étaient rares dans ces parages,et c'était sitôt fait de gagner le Bois, d'arri-ver à une contre-allée ou de s'engager dansun des petits chemins interdits aux cava-liers

Or, il advint qu'une après-midi de juin;Annette qui, ce jour-là, était seule avec sonmalade, fit la rencontre d'une de ses payses,de la grosse ËIisa, son anciennecamarade de

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première communion à Saint-Bonnet deBourges, devenue, par le hasard des temps,bonne comme elle chez des bourgeois dePassy. Deux militaires, deux superbes train-glots, tout luisants et battants neufs, escor-taient Élisa, et, comme eux aussi étaientoriginaires de la ville de Jacques Cœur, voilànos quatre Berrichonsbientôtrassembléscôteà côte sur un banc, le long d'une pelouseavoisinant la porte de la Muette, et dégoisantà cœur joie et à bouche que veux-tu de tousleurs souvenirs du pays natal. Près de cebanc, en bordure de la pelouse, se dressaitun épais bouquet de bois devant lequelAnnette avait eu soin de placer la petitevoiture, de façon que le malade fût abrité lemieux possible contre le soleil et contre levent. Il n'y avait du reste aucune indiscrétionà redouter de sa part, puisqu'il n'articulaitque des sons incompréhensibles,semblait neplus entendre, ne rien voir presque, ne s'in-téresser rien et ne vivre que pour manger,mais avec quel appétit!

L'entretien était si intéressant, si passion-nant, qu'il se prolongea toute une grandeheure. Quand enfin Annette se décida àprendre congé de ses pays pour regagner lamaison et tourna ia tête. ô stupeur! miséri-corde divine 1 le père de madame avait dis-paru. Plus de voiture, plus rien1

Annette n'en croyait pas ses yeux. EUe semit en quête, courut d'un côte, d'un autre,

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revint sur ses pas, rebroussa chemin de nou-veau, arrêtant les passants, les interrogeant,tout anxieuse, haletante, éperdue.

Non, on n'avait pas vu de malade, Non,pas de petite voiture 1.

Il fallait rentrer pourtant 1 Et commentoser?. Que répondre à madame? Ah 1 monDieu mon Dieu 1

Dans son saisissement et son affolement,la pauvre fille en vint a. se dire que M. Buvi-gnières était peut-être reparti tout seul, qu'ilavait pu marcher, oui, tout d'un coup, commeça, par miracle; qu'il s'en était retourne delui-même, sans ia prévenir, à la dérobée,sans doute pour lui jouer une farce, rame-nant sa roulotte avec lui, et qu'elle allait leretrouverà la maison.

Hélas non, il n'y était pas Et l'on peutjuger avec quelle désolation et quelle indi-gnation Mme de Lautry accueillit les aveux desa domestique.

Malheureuse 1 Je vous le disais bien defaire attention Je vous le recommandais bienchaque fois Est-ce vrai? Et vous me rép)i-quiez toujours qu'il n'y avait rien à craindre,aucun danger. Vous voyez, n'est-ce pas?qVous voyez 1

Des jours et des semaines s'écoulèrentmalgré les déclarations faites à la police, les

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démarches de toute sorte et les recherchessans nombre, M. Buvignières demeuraitintrouvable.

Mme de Lautry, dont la foi était des plusvives, la piété ardente et profonde, avait finipar ne plus rien attendre du secours deshommes et s'en remettre entièrement à Dieu.Elle ne cessaitde le prier, d'implorer sa misé-ricorde et sa clémence, pour qu'il protégeâtl'infortuné vieillard et le lui rendit. s'il étaitencore de ce monde

Un jour qu'elle était allée voir une de sesamies de pension,sa plus intime amie, BertheLefillol, perchée dans le haut du boulevardSaint-Michel, et qu'elle s'en revenait le longde la grille du Luxembourg, en compagniede son petit garçon et de M"" Suzanne, qu'An-nette portait dans ses bras, elle fut accostéepar une vieille femme, une mendiante, quipsalmodiait:plaintiv'ement

– N'oubliez pas un pauv' paralytique, sivous plaît 1

Elle fouilla dans sa poche, en tira unepièce de menue monnaie;mais à l'instant oùelle la glissait dans la main de la mendiante,Annettëjetauneri.

Oh t madame 1 madame 1

Le regard de M"'° de Lautry suivit celui desa bonne. La, à deux pas d'elle, contre lemur de soubassement de la grille, M. Buvi-gnières était installé dans une petite voiture,– pas celle qu'il avait rue du Ranelagh, une

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autre moins élégante et moins cossue, plusfatiguée et défraîchie, mais proprette cepen-dant. Oh! c'était bien lui! Sans le moindredoute! Du premier coupHétaitreconnaissable,quoique paraissant mieux portant, moinssanguin. Il n'y avait que sa rosette de la.Légion d'honneur, qu'on avait prudemmentenlevée.

Mon père Mon~përe)1 Toi s'exclamaitMme de Lautry.

Et une sorte d'épanouissement, de vaguesourire, comme un rayon d'intime joie et desuprême allégresse, iiiumina la face du para-lytique, toujours immobile, muet, affalé.

Commentce malade est-il là, madame?Où l'avez-vous trouvé? Comment osez-vousle.

Mais la mendiante, jugeant ces questionstrop indiscrètes et la situation quelque peugênante, s'était empresséede gagner le large.

Annette, passez-moi Suzanne, et prenezcette voiturel. Ramenez monsieur!

Eh bien ce retour ne profita pas, ainsiqu'on aurait pu le croire, à M. Buvignières.

La mendiante, la vieille mèrePeHegrin, qui,durant près de dix ans, avait soigué deuxparal,ytiques, son mari d'abord, puis un beau-frère de celui-ci, et avait vécu d'eux et bienvécu, copieusementexploité avec ces infirmes

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la charité publique, s'entendait comme per-sonne à les traiter et à les gouverner.

Ils avaient beau se fâcher ou implorer,beau geindre ou vociférer, elle ne se laissaitpas imposer ni attendrir, elle tenait bon etferme pas de vin pur, pas de viandes noires,pas de salaisons, aucun excitant, rien que del'eau rougie et des légumes, du végétalisrne.

Il est probable que Mme de Lautry, dans safiliale tendresse, se montra moins prudente.Elle se fit une fête sans doute d'indemniserson père des jeûnes et privations qu'il avaitendurées. Tant il y a que, dès )e lendemainde sa rentrée au bercail, M. Buvignièrescommença à perdre sa bonne mine et ceregard dont la vivacité et l'éclat attestaientcertainement des réapparitions de l'inteHi-gence. Il semblait toujours fatigué à pré-sent, toujours alourdiet ensommeillé; il avaitcomme peine à soulever les paupières, et,lorsqu'il regardait, c'était d'un œil terne etfixe, atone et vitreux,inconscient,sans expres-sion, sans vie.

Annette remarqua vite ce changement etcrut devoir le signaler à sa maîtresse.

Voyez donc, madame, comme monsieura le teint rouge, empourpré, tout le visagecongestionne. Et puis il dort tout le temps.Ça m'inquiète, madame, je vous assure.Mais moi également, ma fille. Oui, jeme suis bien aperçue aussi de ces somno-lences continuelles et de cette congestion.

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Je suis passée hier chez le docteur Vallierpour lui en parler et le prier de venir le plustôt possible; je l'attends ce matin.

~coûtez, madame, ce n'est pas pourvous commander, mais. à la place demadame, j'aurais plus de confiance dans lafemme. vous savez, cette vieille femme,la mendiante qui avait emporté monsieur.Qui, elle doit certainement posséder quelquesecret pour ravigoter ces malades-la

Annette A quoi pensez-vous– Que madame veuille seulement se rap-

peler comment était monsieur quand nousl'avons repris, comme il avait l'air éveille etflorissant. et comparerl

C'est vrai. Il n'y a pas à nier. bal-butia M" de Lautry.

Eh bien t si j'étais que de madame, jetâcherais de la retrouver, cette sorcière-là, et– je ne lui rendrais pas monsieur, non 1mais je lui dèmanderais comment elle faisaitpour le si bien soigner.

On n'eut pas !e. temps d'entreprendre cetterecherche et tenter cette expérience ce jour-là même, un quart d'heure après le departdu docteurVallier,M. Buvignières était frappéd'une nouvelle attaque et enlevé par unemort foudroyante.

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LA

JARRETIÈRE DE LA MARIÉE

~M~MS~ Aubry.

OOBR DE VjGNEULES.vit arriver chez lui,ce matin-la, son principal créancier,le père Satpmé, encore plus revêehe et

p]usintraitab!equedecoutume.– Non, monsieurle comte, je ne veux plus

attendre! Assez commeça Vous vous moquezde moi, c'est clair comme le jour Eh bien,je n'aime pas qu'on se moque de moil

–Je vous assure bien, monsieur Salomé,que teUe n'a jamais été mon intention,jamais!

– Allons donc 1 Enfin j'ai besoin d'argentvous ne pouvez pas m'en donner, n'est-ce-past"

~– Je'ne le puis pas, effectivement.

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Alors d'ici même je m'en vais chezl'huissier 1 Je m'en vais vous poursuivre, fairevendre. Il faut en finir, à la fin des fins!

Faites conclut Roger en étouffant unbâillement et d'un ton qui ne laissait aucundoute sur la complète inefScacité de cettemenace.

– Je vous avais cependant propose unmoyen. un moyen bien simple de vous libé-rer, reprit le vieux Satomé,agacé et démontépar l'imperturbable cahne de son intariocu-leur. Oui, si vous m'aviez écouté.

Quoi donc?Vous seriez marié)Grandmerci J'aime mieuxvous devoir t

C'est ça! Toute Ja~vie) Quand je vousdisais que vous vous gaussiez de moitl

–Marie! Marié par vous! Moi! Vous n'ysongez pas, monsieur Sa)omé!

Je vous demande bien pardon, j'y songe,monsieur le comte. Ou plutôt, j'y songeais!1Et permettez-moid'ajouter que vous pourriezl'être plus mat que par moi, marié! Oui, nevous en déplaise J'avais justement si bienvotre affaire!

Votre petite paysanne? Votre vigneronnede la Champagne? Encore)1

– Oui, monsieur le comte, encore! Mapetite vigneronne, comme vous dites! Unejeune personnetout fait digne de vous. Sixcent mille francs de dot, plus un million a lamortdupët'e, sans compter le reste, tes

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oncles, les tantes. Avec cela, belle à ravir,gracieuse et distinguée comme une petitereine; instruite, mais sans exagération; excel-lente musicienne. Elle sort du couvent, etson rêve sera.it d'habiter Paris et de s'entendreappeler M'ne la comtesse.

Voyez-vous ça!Quelle'aubaine Nous serions illico, vous

tiré d'embarras, moi paye, et il vous resteraitune perle, monsieur le comte, une véritab)eperle! Je ne lui connais qu'un défaut, unseul.

– Vous devez vous tromper, monsieurSaiomé. Elle est absolument intacte et par-faite, votre perle, interrompit Roger, toujoursavec son ironique placidité.– Non, malheureusement! EUe. elle

boite.Vous avez dit?Elle boite, cette jeune personne. Elle est

atteinte de. claudication. Oh! très iégère-ment C'est à peine visible! 0

Ah çà, vous plaisantez? C'est vous quivous moquez de moi, monsieur Saiomet

Pas le moins du monde Je ne dois rieitvous cacher, monsieur le comte. Je vous aifait voir les avantages de l'affaire, le beaucôté ,de la médaille à présent, je vous endévoile le revers, car il y a un revers, il y ena toujotirs un.

Au dire même de M. de la Palisse!

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Cependant M. Justius Salomé insista sivigoureusement cette fois, se montra si élo-quent et si persuasif, que Roger de Vigneuies,malgré son scepticisme et son indifférence,consentit à se laisser conduireà une partie dechasse au château de BIerzy-iez-Reims, chezM., Martelot, le grand fabricant dé vin deChampagne, et à entrevoir M"° Clotilde, lajeune « vigneronne ». en revint tout surpris'et enthousiasmé.

Mais il a raison, ce diable de Satomé!Elle est charmante, ravissante, cette petite tOn la prendrait sans dot, et six 'cent millefrancs, plus le million du papa, les espéran-ces. Tiens, tiens, mais! Ce -ne serait passi bête.

Son infirmité? Mais elle n'avait rien depénible pour autrui, rien de désagréab)e.

Au contraire! était même presque tentéd'ajouter Roger. Elle lui donne presque unattrait de plus, un surcroit de grâce, commeaM""de!aVa!!ière!l'

Bref, Clotilde lui plut si fort qu'U n'hésitapas à continuer ses démarches et bientôt asolliciter sa main.

Si Roger avait été séduit par la beauté, lescharmes physiqueset la dot de M"° Martelot,celle-ci, de son côté, n'était pas demeuréeinsensibleaux qualités du jeune comte, à ses

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élégantes manières, son cachet aristocratiqueet son chic parisien, surtout au prestige deson nom et de son titre. Aussi fut-il agrééd'emblée.

Puisquevous vous convenez, mes erfants,et que la chose est décidée, le mieux est d'enterminer tout de suite, déciar'a ]e braveM. Martelot:Nous approchonsde Pâques. Lemariage pourrait avoir lieu dans la semainede la Quasimodo.

Parfaitement, mon cher beau-père. Lesdélais légaux seront expirés, et votre avis,votre proposition, s'accorde p]~inement, d'ail-leurs, avec mes plus vifs désirs le plus tôtsera le mieux!l

Le soir mêmede la cérémonie, commetousles invités, au nombre d'une trentaine, étaientrassemblés autourd'une longue table dressée,'vu la circonstance,dans le salon d'été duch&-teau, et qu'on venait, flûtes en mains, de boirea la prospérité du nouveau couple, un petit-cousin de Roger, Saturnin d'Hattonville, unjouvenceau de quinze ou seize ans, se glissamystérieusementsousiatablepouraller, selonl'antique coutume,dénouer et cueillir la jarre-tiëre de la mariée.

Mais soudain, en même temps que Clotildese reculait en jetantun cri strident, Saturninsurgit tout défait, blême, effaré.

–Oh! oh t. Mais c'est que. elle a unejambe de bois!

–-Une jambe de boisj~ssj'écriaRoger en-se/f\lil?."5.

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levant d'un bond et en considérant sa femmeavec stupeur. Vous avez une:

Clotildecourba la tête et se plongea le visagedans les mains.

Me tromper de la sorte Oh 11

Mais je croyais que vous le saviez Elleaussi le pensait interrompit M. Martelot.Nousn'avons voulu tromper personne Commentdonc

– Une jambe de bois! Oh oh! répétaitRoger tout indigné et consterné.

Allons, calmez-vous,mon ami, reprit

M. Martelot, calmez-vous C'est un petit malen-tendu.

Un petit?. Par exemple 1 je vous trouvesuperbe!1

– Voyons,Roger!Pas de scandale, m.on en-fantl. Remettez-vous! Voyons! J'augmen-terai la dot de cinquante mille francs, ajouta-t-il à voix basse et en forçant son gendre àse rasseoir.

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UNE PETITE CHARITÉ

s. v. P.

Albert Rousseau.

soUieita son changement de résidenceet par-vint, grâce à ses deux volumes sur les coloniesgrecques et les colonies romaines, à se faufilerdans les bureauxdu ministère de l'instructionpuMique.

M. Baudelot, gros. marchand de bois deSaint-Aubin,qui clamait sur tous les tons etsur tous les toits qu'il donnait cent millefrancs de dot à sa petite-fine Renée, centmille francs comptant! recta t pas un centimede moins) –avait trouve ridicule, irrévéren-cieux et insultant même qu'un simple Hcencié,

EST & la suite d'un échec matrimonialque Maurice Chantenay, professeurd'histoire au coHege de Saint-Aubin,

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gagnant tout au juste deux mille huit centsfrancs et ne possédant d'autre avoir que sonlatin et ses diplômes, osât se mettre sur lesrangs, prétendre a un aussi brillant parti.– Il a du toupet, vrai, ce petit pion1

Renée, qui était orphelineet avait été élevéepar ses grands-parents, avait dû se soumettreet rencogner ses larmes, car elle l'aimait, « cepetit pion » Son unique réconfort avait étéde s'épancher auprès de sa grand'maman,tendre et excellente femme, mais à qui aucunemanifestation de volonté n'était permise, etqui, depuis longtemps, depuis )e lendemainmême de son mariage, avait été assujettie etannihilée par son maître et seigneur.

Arrivé à Paris, Maurice s'était installé avecsa mère dans un très modeste appartementde la rue Notre-Dame-des-Champs,et, avaitrepris là sa vie studieuse. Plus que jamais ilavait besoin d'occuperet surmener son esprit,de le contraindre à oublier son rêve impos-sible. Et puis qui sait? Il avait en tête, sur lechantier même déjà, un grand ouvrage con-sacré à'la géographieancienne, et il lui tar-dait de mener cette œuvre à bonne Sn. Peut-être, avec beaucoup de démarches, beaucoupde remuements et de protections, réussirait-i)& décrocherquelque récompenseacadémique;un mince rayon de gloire viendrait miroitersur son front on verrait bien alors, la-bas,a Saint-Aubin, qu'il n'était pas un Âne, etpeut-être a! ors le père Baudelotregretterait-il

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de l'avoir repousse, de l'avoir méconnu.Et Maurice, stimule par cet espoir, aileché

par ce gentil brin de laurier, vivait confinédans sa retraite, terré comme un bénédictindans ses livres et ses paperasses. Il ne sortaitque pour aller a son bureau, à dix heures dumattn, et: desque quatre heures avaient sonné,reprenait ponctuellement la route du logis.A!ors, une fois rentre, aussitôt)edinerterminéen tête à tête avec sa mère, quelle bonne et)ongue soirée, tout entière remplie par depassionnantesinvestigationsà travers les écri-vains latins et leurs interprètes et glossateurs1

Pour se rendre à son ministère, MauriceChantenay suivait invariablement le mêmechemin rue Saint-Placide, rue du Bac, ruede Varenne et rue de Bellechasse; pour enrevenir, les mêmes voies en sens inverse.

Or, il advint qu'un matin, à l'angle de larue Saint-Placide et de la rue de Vaugirard,un mendiant l'accosta. ZD

Un petit sou, m'sieu, si vous p)a.!t! sivous piait, m'sieu 1

Maurice se laissa toucher par l'air dolentet minable du pauvre hère, et lui bailla unemodique aumône.

Mais, à dater de ce jour-là, tous les matins,immanquablement, à l'heure où il débouchaitdans la rue Saint-Placide, notre bureaucrate

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était certain de voir ce mêmemendiantsurgirde son coin de porte, de son embuscadehabituelle, tomber sur lui, l'escorter engeignant, soupirant et roulant des yeuxdésespères « M'sieu. je vous en prrriet.M'sieu. ayez pitié! J'ai neuf enfants. Ma~-t

femme est à l'hôpital. M'sieut. M'sieu.jeevous en prrrie). » s'agripper férocement àses gt'egues, et ne le lâcher qu'après avoir em-poché son obole.

Maurice finissait par être impatienté decette poursuite aussi méthodiqueet inévitablequ'acharnée etimp)acaMe,etdecetimpôt force.

Je ne suis plus libre à présent! Plusmoyen de passermon chemintranquillement.Ah! non, non, il faut que je me débarrasse dece crampon1

Et, cette résolution prise, il modifia son iti-néraire, de façon à éviter l'embuscadesusdite.

A quelque temps de là, comme il sortait deson bureau et venait de s'engager dans lapaisible rue de Varenne, il fut abordé parune vieille femme, une pauvresse, qui vaguaitd'un trottoir l'autre, guignant les passantsbien mis et de physionomie paterne, ainsique les équipages qui s'arrêtaient devant lesportesd'hôteL– Une petite charité, mon bon monsieur,

s'i]vousp!a!tt

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Maurice eut l'air de ne pas entendre, nebroncha point et doub)a le pas.

Je vous en pt'ie, monsieur! Une petitecharité 1. Je suis bien malheureuse,, mon bonmonsieur. Ça vous portera bonheurl.

Il avait beau ne rien répondre, filer droitet presto, la pauvresse ne le quitta.it pas,trottinaità ses côtés, en continuantdemodulerses larmoyantes implorations.

Une charité, monsieur). Une petitecharité! Si peu que ce soit. monsieur).Je vous en sssupplie!Je vous en ssssup-plie!

–Non,

ma brave femme, non répliquadurement Maurice agacé.'Parce que, si je vousdonne aujourd'hui, H faudra vous donnerencore demain et tous les jours que Dieu fasse.Je ne pourrai plus passer dans cette rue 'sansque vous me poursuiviez. Je ne donnejamais en rue. C'est un parti pris chez moi.Je ne connais que le bureau de bienfaisanceadressez-vous à votre mairie.– Mais, monsieur, je m'y suis adressée.

On m'accorde trois livres de pain par semaine.On ne peut faire plus, qu'iis m'ont dit; cesmessieurs du bureau. Pour lorsss, faut. bienque' j'aie, récours aux âmes charitabies. Je.suis bien ma~eureuse, allez, mon bon mon-sieur( Je viens d'être malade.VoiJaplus d'unmois que je ne sors pas. Je vous promets,

'tjë vous làisseï'~ tranquille quand vous passe-rez, Je n'abuserai pas.

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Est-ce bien vrai?. Vous me le promet-tez ?. Vous ne me relancerezpas?.

Non, monsieur, non, bien sûr!Eh bien, tenez

Et il lui mit quelques gros sous dans lamain.

– Merci bien, mon bon monsieur, mercibien Ça vous portera bonheur.

Le lendemain, à la même heure, la pau-vresse était encore au même endroit, entrainde faire sa chasse. En apercevant de loin unmonsieur en chapeau haut de forme et par-dessus, elle courut à lui; mais, des qu'elleeut reconnu son bienfaiteur de la veille, elles'arrêta net, esquissa un timide salut et tra-versa la chaussée pour aller embotter te pasà une élégante dame accompagnée d'unenounou et de son bébé.

Les jours suivants, même jeu delà part dela mendiante, qui décidément avait choisi lariche et aristocratiquerue de Varenne pourchamp d'opérations elle se dirigeait d'aborddroit vers Maurice, puis, à trois pas de lui,ayantconstaté a qui elle allait s'adresser, elle °effectuait une discrète volte-face et partaitjeter le grappin de l'autre côté delà rué.

–Allons, tenez, lui dit Maurice un soir,âpres avoir fouiHë dans sa poche et en sou-riant malgré lui dans sa barbe, puisque vousêtessindëieayotreparpte. ,'>,)– Je vous remercie bien, monsieur! Quele bon Dieu vous protège)1

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Et bientôt, peu a peu, ce fut l'employé qui,au lieu de laisser ia pauvressevenir au-devantde lui, prit l'habitude d'aller à elle et de luidonner chaque jour un petit sou. Cet impôt,qu'il avait d'abord esquivé et repoussé, parcequ'on voulait l'en frapper sans son aveu etpour ainsi dire malgré lui, maintenantqu'onne le lui réclamait plus, qu'on ne cherchaitplus a le lui extorquer ou le lui soutirer àforce d'insistance, d'importunité et d'astuce,il se faisait un devoir et un plaisir de l'ac-quitter. Il se serait plutôt détourné de saroute à présent, s'il t'eût fallu, pour rencon-trer « sa » mendianteet lui verser son minus-cule tribut accoutumé.

– Merci bien, merci bien, mon bon mon-sieur Le Seigneur tout-puissantvous le ren-dra plus tard!

Maurice avait fini par prendre intérêt àcette indigente, et un jour que Mme Chantenayvoulait se débarrasser de quelques défroqueshors d'usage, il songea à cette vieille femmeet lui demanda de pousser jusque chez lui.

Venez de bonne heure, entre huit etneuf. Vous n'oublierez pas n° 37, rueNotre-Dame-des-Champs, M. Chantenay?

Et je monterai directement au troi-sième?

Oui, cela vaudra mieux. C'est afin que

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la concierge ne sache pas. Elle trouveraitpeut-être que ces vieux effets auraient dû luirevenir.

N'ayez crainte, je ne soufflerai mot.Et puis elle ne verra pas ce que j'emporte.

Trois semaines environ après cette visitematinale, Maurice fut tout étonné, à sa sortiedu ministère, de ne pas voir sa mendiantedans les parages habituels.

Tiens) que se passe-t-il donc?Le lendemain, elle ne s'y trouvait pas non

plus.–EHe a donc change de quartier?. A

moins qu'elle ne soit tombéema)ade?.Mais comment s'en asssurer? Il ignorait

son nom. Il savait seulement qu'elle habitaitdans la rue du Cherche-Midi, du côté du bou-levard Montparnasse.

Elle paraissait avoir bien définitivementdéserté son poste.

Et sans rien dire?. aussi soudaine-ment?. C'est drô)et

Il avait néanmoins presque oublié déjàcette pauvresse, quand un soir il reçut unelettre signée du commissairede police de sonquartier, par laquelle ce magistrat l'invitaità passer sans retard à son cabinet.

Il s'y présenta le lendemain matin, etaussitôt le commissaire donna l'ordre del'introduire.

–Vous êtes bien M. Chantenay?– Lui-même, monsieur. Voici la lettre que

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vous m'avez expédiée. Voici une quittance.des cartes.

Vous avez connu une dame Tabourin,domiciliée rue du Cherche-Midi, 150?

Tabourin? Non, monsieur,je ne connaispersonne de ce nom.

Une vieille femme,une vieille mendiante,qui rôdait toujours par ici.

Ah 1 bien bien! E])e s'appelleTabourin?Je la rencontraisd'ordinaire rue de Varenne.

C'est ça! Et vous ne la rencontrez plusmaintenant?Elle est décédée, monsieur.

AhlEt elle vous a institué son héritier.

– Moi?Vous-même. J'ai dû avant-hier pénétrer

chez elle. Le concierge était venu m'informerqu'on la croyait morte dans sa chambre,qu'une odeur de pmB'en plus fétide emplissaitl'escalier, se répandaitdans toute la maison.J'ai fait ouvrir sa porte,-uneporte de man-sarde, de soupente. un taudis sans nom.Elle gisait, à demi décomposée déjà, sur lapaillasse et les hardes qui lui servaientde lit.Il a fallu enlever le corps immédiatement.Ehbien, monsieur, sous ces,hardes, dans ce tasde guenilles où couchait la mère Tabourin,j'ai découvertdes valeurs, des billets de ban-que, une fortune. Cent douze mille troiscents francs, monsieur!

Cent douze mille. Et c'est à moi qu'elle!ëgue.?

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– A vous, oui, monsieur. Son testament,rédigésur une demi-feuillede papier à lettres,mais en bonne et due forme, était soigneuse-ment placé derrière un crucifix pendu au mur.Elle y déclare que, n'ayant plus ni parents,ni a])iés, personne au monde, elle nommehéritier de tout ce qu'elle possède M. Chan-

.tenay Os, demeurant'rueNotre-Dame-des-Champs, n" 37, qui a toujours été très bonpour elle.

Pauvre vieille1

– .Qui lui faisait l'aumône chaque jour,malgré la méMance et la terreur que lui ins-pirent les mendiants des rues.

– C'est vrai1– « Mais je lui disais bien, que ça lui por-terait bonheur s Ce testament, du reste, estactuellement entre les mains de Me Hurteaude la Hurteaudiëre, notaire, boulevard duPalais, qui est chargé de vous le remettre etqui vous attend.

Un mois plus tard, Maurice Chantenay étaitl'époux de Renée Baudelot. Le mariage avaitété pompeusementet magnifiquementcëiébrea Saint-Aubin –le grand-përe Baude)otn'entendait pas être accusé de faire Chiche-ment les choses, lui qui donnait cent mi)!efrancs de dot a sapetite-niië,cent miUe francs `

comptants, la, recta, rubis surronglet

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La première visite des jeunes époux, enarrivant Paris, fut, on le devine, pour latombe de la mère Tabourin. Pas de couronnestrop grandes, pas de bouquets trop beauxpour elle. H lui ont acheté une concession àperpétuité, et l'ex-guenilleuse pauvressede larue de Varenne repose, comme une opulentedouairièredéfunte,dans un caveau particulier,sous une dalle de marbre blanc surmontéed'une croix sculptée.

C'est le moins qu'ait pu faire pour elle sonhéritier improvisé.

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~'t'a?:c:Me Sarcey.

LE JUSTICIER

collier,diamants et saphirs, quatorzemille francs; deux paires de pendantsd'oreilles, sept mille cinq cents; nous

disons.Oui, monsieur le. commissaire.

– Ce qui, ajouté à la valeur approximativedes huit bracelets, des broches, des bagues,etc., formel un total de cinquante-quatremille six cents francs.

–P!us :'argentt

–Ahi il vous a pris de l'argent aussi?– Tout ce qui se trouvait avec mes bijoux

dans mon armoire 6. glace. Il a tout raflé,monsieur(QûeUecalamité)Ah1 SeigneurEt

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moi, bonne bête, qui étais à cent lieues deme douter. Un homme si chic

Pardon, reprit le commissaire, envoyant que la déposition allait se perdre ende veines jérémiades. Pardon, madame,quelle somme vous a-t-il dérobée?

J'avais quatre mille francs en billetsde banque dans un con'ret, sept ou huit centsfrancs en or. Environ cinq mille en tout.

– Total générât cinquante-neuf mille sixcents; disons, en nombre rond: soixantemille C'est assez coquet!

C'est indigne, abominaMe) rugit ia plai-gnante, plantureuse quadragénaire aux traitsfatigués et flétris, mais à i'œil vif encore ettout à fait dépourvu de timidité. A qui se fiermaintenant? Un type qui avait l'air:

Si chic, avons-nousdit Et comment leconnaissiez-vous, ce type; où l'aviez-vousrencontré?t

Au Moulin-Rouge, monsieur le commis-saire. Une fois déjà, it y a huit jours. oui,c'est cela, huit jours. i) m'avait abordée,m'avait dit toutde go et très poliment: C'està madame deMortagneque j'ai l'honneur.»,ce qui n'avait pas laissé de m'interloquer. Jenel'avais jamais tant vu, lui Commentsavait ilmon nom? H ne voulut pas me l'expliquer etme quitta au bout d'un instant. Voila qu'hiersoir, il vient a moi de nouveau.–Au Moulin-Rouge, toujours?

– Oui. s'informe de ma santé, m'avoue

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q~'H m'attendait avec une anxieuse impa-timce, se montre très empressé, très galant,fin par m'inviter souper. J'accepte. Nousvoi'& instaiïés en tête-a-tête chez Matte, dansun cabinet de l'entreso! Un gentil petitsouper au Champagne frappé, des huîtres, unperdreau, des écrevisses. Pardi t pource queça

Ju~ coûtait1 Je dois même vous dire que.

oh tertainement,ii il avait déjà dresse sonplan 1 me versait des rasades! J'étais légè-rement. paf, en me levant de table.

–Ah!ah!lEt je ne serais même pas surprise qu'ilil

m'eût fait boire quelque narcotique. Om, jeme sentaistout alourdie, toutedrôle. Commede juste, il me ramène chez moi. « Je te pré-viens, ma petite chatte, qu'il me dit commeça, que je serai forcé de partir d'assez bonneheure j'ai mes occupations. Ça ne faitrien, monte tout de même! Ma bonne t'éveil-lera à l'heure que tu voudras, » que je luiréponds, moi, toujours naïve, confiante.Fallait bien me montrer gentille avec lui,puisqu'il était gentil pour moi, et la mainlarge, vous savez. vingt-cinq louis.

Un gaiiïard qui ne lésine pas en affaires,quoi Ça travaille en grand!1

Voilà qu'en me réveillant à onze heures,après avoir dormi d'un sommeilde plomb, jene le vois plus Ja. Je me rappelle alors cequ'il m'a dit, qu'il était oMigë dese rendre àsa besogne. Je me lève un instant après, et

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je décou-vre. Ah! le gredin! M'être ai~sitaissé jouer t L'avoirmot-même attiré 1

Toujours soucieux d'empêcher l'entretiende dévier et dégénérer en stériles regret etmalédictions superflues, le commissaire re-prit

LQuel âge peut-il avoir, cet individu?

–Trente-cinq ans. Quarante au piup.Ce n'est pas un étranger ? I! vous a bien

semblé appartenir au monde parisien?Oh 1 sans nul doute Il connaît son Pa-

ris comme vous et moi, monsieur le commis-saire.

Flatté de ce rapprochement, le magistratesquissa un léger sourire et un imperceptiblesalut.

Il m'a parte de théâtre, poursuivitM°" de Mortagne, de pièces nouveiïes,d'actri-ces en vogue,des courses, de tous les endroitsoù l'on s'amuse.

Mais sur lui, sur sa vie privée, lui est-iléchappé quelques particularités?'l

Non. rien. bégayaiadonzeUe.Il n'a prononcé aucun nom. aucun

nom de femmes de votre connaissance, parexemple? Cela pourrait nous mettre sur lavoie.

– Non, St-e!!e, j'ai beau chercher. H nedoit même pas avoir beaucoup de relationsde femmes; il ne m'en a cité aucune, à partles actrices. H m'a seulement interrogée àproposd'un M. d'Hastry.Oh t un simple mot

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Qu'est-ce que ce M. d'Hastry?qUn charmantgarçon qui s'est tué après

de grosses pertesàta Bourse.Mais à propos de quoi ce filou vous a-t-il

parlé de ce M. d'Hastry ? Comment ce nomest-il venu dans votre conversation?

Nous causions des désespérés, des gensqui se décident à en finir avec l'existence. Il

me cita alors l'exemple de M. René d'Hastry.« Peut-être vous rappelez-vous cette affaire.vous avez dû la liredans les journaux ? ajou-ta-t-il. Je crois bien que je me la rappelais1Je lui répondis que j'avais beaucoup connuM. d'Hastry. « Et vous, vous le connaissiezaussi? J'ai eu occasion de le voir », merépondit-il. Voilà tout.

Il y a combien de temps quece M. d'Has-try s'est tué ?Y

C'est l'année dernière; il y a dix-huitmois.

En quels termes étiez-vous avec hii?C'était un de mes « amis répHqua,

sans broncher, M"' de Mortagne.– C'est à Paris qu'il s'est tué ?q– Oui, monsieur, chez lui, 75, rue Tron-

chet.Quelle était sa profession?

J'ignore exactement s'il en avait une.Il s'occupait d'affaires de Bourse. Peut-êtreëtait-it associe avec un agent de change.

– Bien, madame, ça suffit. Si j'ai besoind'autres renseignements, j e vousferaimander.

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-Ali 1 monsieur le commissaire,dites-moi

que vous le retrouverez, ce misérable, que je/rentrerai en possession de tout ce qu'ilm~Ifemporté!Vousavez bon espoir, n'est-cepas?.

i

Quelques heures plus tard,M.Desrous-seaux, notre commissaire de police, appre-nait par le concierge du numéro 75 de la rueTronchetque M. René d'Hastry, qui s'étaiteffectivementdonné la mort dans cette mai-son l'année précédente, avait laissé uneveuve et trois enfants, et que cette dame,ruinée après le suicide de son mari. unepetite dame bien courageuse,bien méritante.avait déménagé et habitait maintenant touten haut du faubourg Saint-Honoré, aunuméro 297.

Le soir même, M. Desrousseaux, accom-pagné de son secrétaire, se transportait àcette adresse et trouvait dans une mansardedu sixième étage une jeune femme, frêle etmaladive, et trois petits enfants, dans -undënûmentcomplet.

Il déclina sa qualité, et, tout -en s'excusantauprès de M'°° d'Hastryde raviversa douleur,posa quelques questions au sujet de sonmari et des personnes avec qui il avait été.jadis en rapport.

Mais presque aussitôt la jeune veuve l'in-~terrompit.

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Oh! monsieur Je devine ce qui vousamène. J'ai reçu }ine lettre tantôt,une lettresi étrange.

Quelle lettre? Quoi donc? repartitM. Desrousseaux, qui, lui, ne se doutait derien et ne comprenait pas.

Avec de l'argent dedans, des billetsde banque. Tenez, veuillez lire, dit-elle enlui présentantla lettre tout ouverte.

« Madame,- lut M. Desrousseaux,- Quel-qu'un qui se reconnait pour le débiteur deM. d'Hastry d'une somme de soixante millefrancs, mais à qui il n'est pas permis de senommer, prend l'engagement de vous servirchaque année la rente de cette somme. Dèsque, sans rompre son incognito ni se compro-mettre, il pourra déposer ce capital entre vosmains ou le placerquelque part en votrenom,il s'empressera de ie faire. Vous trouverezci-inclus 1,500 francs, montantdes deux pre-miers trimestres échus.

« Veuillez agréer, madame, etc. »

– Et rien ne vous fait présumer quel peutêtre ce débiteur ? Vous n'avez aucun soupçon ?2demanda le commissaire.

Aucun, monsieur, absolument. Depuisdeux heures que j'ai reçu cette lettre, je mecreuse la tête.

Je vous demande encore une fois par-don, madame, pour la question que je vaisvous adresser. J'y suis oMigé. M. d'Hastryne connaissait-i)pas une dame. ou demoi-

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selle Cochenard, dite Léa de Mortagne?A ce nom. M"" d'Hastry fit un brusque

haut-Je'corps, son visage s'empourpraMonsieur).C'est cette femme. ba!bu-

tia-t-eUe, qui est cause. cause de sa mort.de tout mon malheur t.

Cette fois, le commissaire commençait àvoir clair.

N'ayez crainte,madame, reprit-i) commepour répondre d'avance à une interrogationde M"~ d'Hastry. La lettre que vous avezreçue n'émane pas de cette femme, je vousle certifie!

Ah! bien, monsieur! soupira M"'° d'Has-try. D'après votre question, j'avais peur, eneffet.

Non, madame, non, rassurez-vousplei-nement. M' de Mortagne n'est pas de cellesqui restituent, non 1

En quittant M" d'Hastry, M. Desrous-seaux se rendit rue de Moscou, chez Léa deMortagne.

Dès que celle-ci l'àperçut, elle poussaun cride joie.

Ah! monsieur le commissaire! J'aiquelque chose! Je tiens un fil qui peutnousguider! Voici la lettre que je viens de rece-voir. °

Et, à son tour, elle tendit à M. Desrous-

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seaux une lettre dépliée, dont l'écriture,notre commissaires'en aperçut sur-le-champ,

était la même que celle de la lettre adres-sée à M"d'Hastry.

« Ma toute belle, écrivait ce' même cor-respondant, – H ne suffit point de ne pasavoir oublié René d'Hastry il faut tâcher,non de réparer, hélas mais de soulager lemal que vous avez fait. C'est vous qui, enmoins de deux ans, avez ruiné ce pauvregarçon c'est à cause de vous qu'il s'est tué.Eh bien j'ai pensé qu'il n'était pas équitableque sa. veuve et ses trois enfants fussentp)ongés dans la plus profondemisère, tandisque vous, l'auteur de ce désastre, prospériezplus que jamais. Je me suis dit qu'il fallaitvous contraindre à restituerun peu- !e pluspossible – des dépouilles de René d'Hastry,et comme vous avez dû le constater ce matin,j'y ai réussi.

« Que le bien que cet argent va faire à vosvictimes vous indemnise de votre perte, macharmante,et soit un adoucissementà votredouleur!

-S~HC < UN JUSTICIER. »

– Et il me nargue encore! s'écria Léa,avec son manque habituel et absolu de sensmoral. Vous avez lu la dernière phrase, mon-sieur le commissaire ?~

–Oùi,il me semble bien que. qu'il se

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moque de vous, par dessus le marché, ce.ce'Justicier!" »

Je puis toujours vous laisser la lettrecomme mdice. comme spécimen de sonécriture ? Ça vous aidera dans vos recher-ches.

Parfaitement, madame; donnez)Et il ajouta en lui-même

– Que vous le vouliez ou non, belle dame,nous en resterons là Encoreplutôt que nousirions défaire ce que la Providence vient desi bien arrangert

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LE PÈRE GrALMICHE

<< Paul ~6!0<.

fesmalandrins de la villé de Reims.eoyé deAncien ouvrier trieur de laine, renvoyé de

tous les triages à cause de sa fainéantise et deson incurable soif, il était tombé peu à peudans lu plus noire débine, au rang d'aborddes vagabonds, mendiants et crève-la-faim,puis des maraudeurs, chapardeurs, flibus-tiers et coupe-bourses, dont s'agrémente toutegrandecite..

Mais ni l'inclémence des temps, ni lesduretés du sort et les sévérités des hommes

VEC Isidore Brigodin, le père Galmicheétait, il y a quelque dix ans, un desplus célèbres ivrognes et des plus fief-

Il

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n'avaient pu altérer la bonnehumeur du pèreGalmiche.

H avait particulièremente le vin gai. Lors-qu'il était « bu les idées drôlichonnes etfalottes germaient en foule dans sa cervelle,les ripostes narquoises, facétieuses et gouail-jouses, cocasses et déconcertantes aMuaient-sur ses lèvres et partaient en fusées.

Combien de condamnations avez-votts.attrapées, Galmiche, depuis que vous ne tra-vaillez plus? lui demandait un jour un de sesanciens patrons.

Oh si vous croyez que je m'amuse àcompter ça1

Enfin, vous ne sortez plus de la prison,autant dire t C'est votre château Vous avezdû faire là de jolies connaissancest

Il y a de la canaiHe partout, allez,.m'sieul'

Un jour qu'un commis voyageur venait delui faire t'aumone et lui reprochait de ne passeulementsouleversacasquette en !e remer-ciant:

– J' vas vous dire. Faut pas m'en vouloir,lui répliqua,a mi-voix le père Galmiche. C~estque j'aperçois ja-bas, au coin de]a rue, !eet'andBiaron,tl'agent de ,police, qui nous.guette. H est oujours a. l'abat des pauvrea

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diables comme moi, qui implorent la com-passion des âmes charitables, ce gredin-là!El pour lorsss, en me voyant causer, commeça avec vous, il ne se doute de rien, il nousprend pour une paire d'amis!

Il faut croire que, malgré cette judicieuseexcuse, le brave Galmiche n'aimait pas à sedécouvrir l'occiput, car, une autre fois qu'ilétait encore dans les brindezingues et solli-citait la générosité des fidèles à la porte del'église Saint-Jacques,une pieuse vieille damelui ayant glissé une chéUve pièce de cinqcentimes dans la main, en ajoutant cettemalencontreuse réflexion « On salue aumoins On dit merci) o Galmiche la bom-barda sur-le-champ d'épithètes malsonnanteset des plus outrageants quolibets.

–- V'ia-t-i pasdes embarras pour un mai-

heureuxsou A-t-on jamais vu 1 Madame vou-drait que, pour un sou, un misérable petitsou, je m'exposeà attraper un rhume qui mecoùterait quatre francs de tisane et de su'op.sans compter )es pastilles Géraudett Si c'estpas une pitié t Je vous laisse juge! Peut-onainsi se moquer de son prochain Faut vrai-ment pas avoir~ de cœur! Ah 1 s'il s'agissaitd'une pièce blanche, d'une belle grosse rouede derrière, je comprendrais Aht bien alors)1On pourrait risquer. Non seulement je con-sentirais & ôter ma casquette, mais mon pale-tot aussi, mais mes escarpins, ma chemise,ma culotte, tout, tout! pour lui faire plaisir

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à c'te princesse Mais pour un sou, un salepetitsou!0ht!!ohtt!

C'est encore lui, un jour qu'un des fashion-nables de la ville, le fils de M. Peulvier-Hoyon, le négociant en laines, lui refusaitl'aumône, qui ripostait

Vous devriez avoir honte de ne rienme donner; pas un pauv'petit sou, vous, unhomme si bien mis 1

Et ses conversations avec l'ami Bngodin'1Tu dis que t'étais sou! l'autre nuit, que

t'étais étendu sans connaissance sur le trot-toir des Loges, et qu'on t'a ramasse, que tut'es réveilléau poste?. Mais, fiston, tu auraisété étendu <avec* ta connaissance, qu'ont'aurait ramassé tout de même et aussi bienfourré au bloc, va t

Des boutons de fièvre ~uet'as là, su' 1'

nez? Tais-toi donc! N' nous monte donc pasl' coup! Des boutons de a culotte ou): àla bonne heure V1& c' que t'as su' l' nez,espèce de pochard!

Tu prétends que j'étais gris hier? Non,ma vieille, non) Pas même <t:t par !e mal-heur t Seulementj'avais p'-t'étre bientichéuncoup de trop. Oui, c'est possible Parce que,vois-tu, faut que tu saches, il n'y a rien quialtère comme de boire, c'est bizarre, maisc'est commeça Et alors, tusaisis,mon p'tit?quand on a commencé,p'us moyen d'enrayeret de s'arrêter! On en entonnerait pendantplusieurs éternités! s\

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Mais c'était surtout devant le tribuhal, lors-qu'on !e 'jugeait pour quelque maraude avecbris de clôture, ou pour ivresse, rixe et tapagenocturne, qu'il fallait ouïr l'illustre Galmiche

– Accusé, vos nom et prénoms?Allons, mon président, ne faites donc

pas l'enfant Vous ne voyez que moi ici!Le. fait est que. c'est au moins la tren-

tième fois que vous venez vous asseoir sur cebanc Vous n'avez pas honte! s'exclamait leprésident,!e digne et paterne M. de.Btosseiières.

– Via bien douze ans que je vous aper-çois assis sur le même fauteuil, moi, m'sieude Biosseliërest Est-ce que j'ai jamais songéà vous)ereprocher?

Qu'avez-vous encore fait? Qui vousamène ici?

– He!as soupirait Galmiche en montrantles gendarmes; vous le voyez bien ce sontces messieurs t

Vos antécédents sont déplorables, Gal-miche. Votre première condamnation re-monte à 4 845. C'était pour ivresse déjà etinsultes aux agents.

– Ça me rajeunit de vous entendre rap-peler ces souvenirs, m'sieu de Blosselières.J'avais dix-sept ans alors. Ah t c'était « labette âge y

–Vous avez fait du chemindepuis! Aujour-

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d'hui vous êtes accusé de vol. Le gardechampêtre de la commune de Cernay vous asurpris dans un verger clos d'une haie etattenant à une habitation,. l'habitation deM. Houdart. Vous aviez ],es poches pleinesde fruits, de pommes, de poires, et vous vousapprêtiez à déguerpir avec votre butin.

C'est facile à dire, mon président Pasmalin d'attribuer aux gens. les canailleriesqu'on a soi-même dans la cervelle!

Permettez, accusé, je ne vous laisseraipas.-Mais il ne faut pas juger tout le monded'après soit Non, m'sieu de Blosselières Cespoires et ces pommes, elles étaient tombées.

–Ce n'était pas une raison.Je les ai ramassées, mais ce n'était pas

pour les emporter, je vous en donne maparole d'honneur, mon président! Au con-traire, je voulais essayer de les remettre surl'arbre.

Ah 1 très bien très bien Et qu'avez-vousà répondre à la dépositionde l'agent Biarron,qui vous a encore rencontré en train de ten-dre la main aux passants?

Si on peut dire Pas aux passants, monprésident! Non, j'avais cru sentir des gouttesd'eau, et je la tendais, la main, comme vousfaites vous-même, comme ça, tenez, pourm'assurer s'il pleuvait rëel!ement.

1 Soit mais, dans ce cas, à quoi bon cettecasque~e au bout de votre bras ? Pourquoi

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la présenter à cette dame, qui traversait laplace des Marchés?

Je lui demandais mon chemin, à cetterespectableconcitoyenne, rien de plus, monprésident! Alors, naturellement, par poli-tesse, en homme qui sait vivre, j'avais retiréma casquette. Moi qu'on accuse de la portervissée sur ma tête, pour une fois qu'il m'ar-rive de l'avoir à la main, pas de chance,nomd'un chien, convenez-en 1

Je suis sûr, Galmiche, qu'avant de com-paraître devant le tribunal, vous avez encorepris soin de vous ingurgiter plus de rasadesque votre raison n'en peut supporter.?

Mon président, c'est par respect mêmepour la justice Quand on a l'honneur deparler devant vous, faut dire tout ce,qu'on asur le cœur, faut que la vérité sorte intacte,de la bouche. Pour lorsss, je me suis appli-qué de mon mieux à l'arroser, afin qu'ellene soit pas « altérée ». Ai-je pas bien fait;voyons ??

Entre autres aventures qui ont populariséà Reims le nom de Galmiche. le bon tourqu'il joua à certain adjudant d'un régimentde ligne mérite d'être rapporté. ZD

Ce régiment était caserné dans les bara-quements voisins du canal et du bouievardFiechambault-etqu'entoure une interminabis

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palissade en planches peintes. Ledit adju-dant se trouvait, une après-midi, accoudé surcette barrière, en dedans des baraquements,et en train de fumer un superbe et excellentlondrès.

Galmiche, qui était un fumeur enragé et nepossédait pour le moment ni un seul mara-védis ni le moindre cornet de tabac, vint àpasser le long du canal et avisa ce mirifiquecigare, dont le parfum délicieux, exquis,arrivait jusqu'à lui et le faisait soupirer etrenifler.

Une furieuse envie le peignit au cœur.Mâtin comme ce serait bon l

Il tira son brûle-gueulede sa poche, se leplanta dans le .bec et s'approcha de l'adju-dant.

Mon général, lui dit-il, en esquissant lesal ut militaire, si c'était un effet de votrebonté de me donner un peu de feu?

L'adjudant, sans défiance, lui passe soncigare par-dessus la clôture, et Galmiche deréintégrer bien vite sa pipe dans sa profondeet d'emboucher le londrès sans façon, enaspirant voluptueusement et coup sur coup,quelques bouffées.

Merci bien, mon généra!Il va on nepeut mieuxl

Et il tira sa révérence à l'adjudant, qui,stupéfait d'abord et toutpenaud,puis indigné,1 jeux hors de lui, jurait comme un sacre,?sans pouvoir, hélas 1 -se-lancer à ta poursuite~

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Mon père t Mon père Tois'exclamait.M""deLautry.(Page90,)

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de Fimpudent larron et le corriger d'impor-tance, puisqu'il était séparé de lui par ]a palis-sade, dont les planches, presque de hauteurd'homme, étaient toutes taillées en pointe àleur extrémité, et que, d'autrepart, il se trou-vait à trois cents pas du poste d'entrée.

Mais Galmiche n'avait pas tous les jours depareilles aubaines, et il lui advenait souventd'&tre encore plus la victime que le hérosde ses prouesses.

C'est ce, qui eut lieu notamment lors del'expédition qu'il entreprit dans le domicilede M. Majore!, le gros marchand de bouchonsdu boulevard Cérës, et la visite qu'il fit auxcaves de ce négociant.

Sachant que M. et Mme Majorel s'en allaientpasser chaque dimanche,de la belle sâison,avec leurs enfants et leurs gens, dans leurpropriété de Rilly, et que leur hôtel restaitainsi désert ce jour-là, Galmiche profita decette circonstance; un dimanche de septem-bre, pour s'introduire dès le matin dans lacour et les communs de l'hôtel, et exptorerparticulièrement lés caves du bouchonnier.

EUe dura si longtemps, cette exploration,elle fut si consciencieuse, si experte et siapprofondie) que quand maître Gatmiche sedécida a remonter et reparut sur terre, il

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faisait nuit noire, et notre argonaute ne putretrouver son chemin, escalader le mur pourpartir, comme il l'avait eseaiadé pour entrer.'

Il avait du reste complètement perdu toutenotion de temps et de lieu, si bien qu'il secrut sans doute arrivé chez lui et élut d.omi-cile dans la niche des chiens, une haute et,large niche adossée à un ang)e de la cour.

Lorsque, vers les dix ou onze heures, )e pro-priëta.irerentraavec tout son monde et voulutconduire ses deux épagneuls a leur demeure,il la trouva donc occupée par Galmiche, quironflait à lui seul comme tous les tuyaux desgrandes orgues de la cathédrale.

Comme, en même temps, on venaitdeeons-tater que la porte de la cave était ouverte, ilne fut pas difucite à M. Majorel de devinercequi était advenu.

Lui aussi, il aimait à,rire, M. Cyprien Majo-re), et, au lieu d'envoyer quérir la police, etde crier « A la garde! il prit le co!!ierquiétait attaché à une chaîne fixée la niche, lepassa a.u cou de l'ivrogne et le ferma par uncadenas.

Ce n'est que le lendemain, dans l'après-midi, que Gaimiche se réveilla et entreprit dequitter son logementimprovise,et toutd'abordde se débarrasser de son étrange faux col.

–Qu'est-ce que ça signifie donc? maugréai t-il. Qu'est-il donc arrivé? Comment, me voilàchangé en chien Je suis chien maintenant!

Et, tout en se débattant, la cervelle encore

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brouilléepar les fumées de t'ivresse, il hur)ait,jappait et aboyait.

Les habitants de la maison et tous les voi-sins d'accourir pour contempler le prisonnier,que M. Majorel ne tarda pas d'ailleurs à du)i-

vrer.Tachez que la leçon vous profite!

-N'empêchequ'un peu plus je seraisdevenuenragé) grognait Galmiche en détalant, pour-suivi par les rires et les moqueriesde l'assis-tance.

Et néanmoins, quelques semaines plustard, rencontrant le marchaLnd de bouchonssur l'Esplanade, il t'aborda pour lui dire

Vous savez,m'sieu Majorel, si vous voulezmeremettre la place de vos cabots,j'accepte!Ah) j'ai eu bigrement tort de me sauverl'autre jour! Au lieu de camper a la belleétoile et de crever la faim, j'aurais eu .chez

vous )a pâtée et la niche à po'pette, -tout cequ'un chrétien peut désirer: quoi t

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MISS FAUVETTE

AUVM petite Fauvette 1

C'est dans l'ombreux jardin d'un couvent de la rue de Picpus que je t'ai

vue pour la. première fois. EHe avait quinzeans, et, depuis l'âge de six ans, elle était en-fermée là, quasi abandonnée. Ses ~o)'<tM sepassaient, l'hiver, dans la salle de récréationou la'chambrette de quelque compatissantereligieuse l'été, dans le préau ou sur unbanc, à l'ombre d'une de ces minuscules cha-pelles de bois peint décorées d'une Vierge enplâtre et d' chandeliers de plomb, que lessoeurs s'etaieut plu à ériger ça et là sous unmassif d'arbustes,au centre d'un rond-point,ou a L'extrémité d'une a)iée.

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De temps à autre cependant, le jeudi, onla demandait au parloir. C'était son père, unhommedéjàtoutgrisonnant,frisant ]a soixan-taine, mais de belle prestance encore, ayantun cachet d'élégance et de distinction qu'ellesavait apprécierdéjà et dont elle était fière. Ill'embrassait, la questionnait un instant sursa santé, ses jeux et ses études, tirait de sapoche quelque chatterie sac de chocofat oude petits fours, boite de caramels ou de fruitsconfits, et vite, vite, s'envoiait. Il avait tou-jours l'air si pressé, ce pauvre papa i

Une fois par an, une seule fois, et encorepas toujours, vers la fin d'août ou le commen-cement de septembre, tantôt une domestique,tantôt le papa en personne venait la prendreet l'emmenait soit aux alentours de Paris,dans une luxueuse maison de plaisance, soitau bord de la mer, dans quelque coquettevilla.

C'était là seulement qu'elle voyait, qu'clleentrevoyait sa mère, une grande et bellefemme, aux yeux de velours, au teint «

de liset de roses », d'une fraîcheur éclatante, augalbe du visage allongé, mais bien rempli,d'un modeie superbe, à ~aHure à la fois im-posante et nonchalante.

Puis, quinze jours après, la petite Fauvetteétait réintégrée dans sa cage.

Matgré cette sorte d'inau'ectionou d'indif-férence, Fauvette était loin d'être triste etn'avait nullement l'aspect d'une victime. Au

136 MISS FAUVETTE

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contraire, c'était, même & sa belle humeur, ason réjouissant babil, aussi bien qu'à la mi-gnonne sveltesse de son petit corps toujoursen mouvement et à sa légèreté d'oiseau,qu'elle devait d'avoir été dépossédée par sescompagnesde ses nom et prénom d'AndréeVaucarnp et baptisée de son gai surnom.

Un soir d'avril, Fauvette allait entrerdans ses dix-sept ans, – M" de Saint-AI-donce, la supérieure, l'ayant fait appelerd'urgence, elle trouva près d'elle la femmede chambre de sa mère, Claudine, tout denoir vêtue, et on lui apprit, avec les ména-gements et circonlocutionsd'usage, que sonpère venait de mourir subitement, frappéd'une congestion cérébrale.

C'était le premier deuil qui atteignaitAndrée, et, bien qu'elle n'eût guère vécudans le cercle de ]a famille, elle ne laissapas de ressentirvivementce coup et de verserde grosses tarmes. N'était-ce pas lui, ce cherpapa, lui seul, qui lui avait témoignequelqueintérêt, donné que)ques par celles de sontemps et quelques réconîortantes caresses?

Le surlendemain de la funèbre cérémonie,après avoir à peine pu embrasser sa mère,qui s'était cioitrée dans sa chambre, missFauvette regagnait Je couvent. Elle était toutedépaysée au dehors, toute éberluée, et avaithâte, ma)gré son chagrin, de reprendre sa,place auprès de ses compagnes, sous la tu-telle dés bonnes sœurs. o

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Mais son séjour dans cette pieuse retraiten'allaitpas tarder à être de nouveau et défini-tivement interrompu trois semaines environaprès la mort de son mari, M"" Vaucampse présenta au parloir de l'établissement,

pour la première fois, et annonçaà sa fille qu'elle venait la retirer de -pen-sion et qu'elle la garderait près d'elle dé-sormais.

Mm" Vaucamp était bien changée. Soit quela perte qu'elle venait d'éprouver l'eût pro-fondément affectée, soit qu'elle eût profité de

ce deuil pour abandonner certainespratiquesde toilette propres à réparer plus ou moinsles «

irrëparaMes outrages », elle n'avait plusce teint éblouissant et ces cheveux d'un noirsi lustré qu'Andréelui avait toujours connus.Subitement ils étaient devenus tout gris, descheveux, presque blancs, et de petites rides,toutes fines encore,mais nombreuses, étaientapparues ça et ta,, avaient zébré son frontet s'irradiaient aux commissures des pau-pières. Elle avait néanmoins fort belle mineencoreet grand air; sa-tailleétaitrestéeminceet souple, ëianeée, et, avec son buste opulent,ses sculpturales épaules, M"" Noémi Vau-camp avait conservé sa grâce empreinte dedignité et de noblesse, son port de reine.Même teinte; argentée de sa chevelure,

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qu'on aurait dite poudrëe à frimas, ne)uimesseyait nullement et donnait à sa physio-nomie une très piquante et très originaleexpression.

M. Vaucamp, qui, de son vivant, dirigeai)une importante sucrerie à Saint-Denis, n'a-vait pas, surtout dans ses dernières années,très habilement conduit sa barque la plusgrosse part de la fortune qu'il laissait, appa-rtenait à sa veuve. Une cinquantaine de millefrancs tout au p)us devaient revenir à Andréedu chef de son père.

Mme Vaucamp, riche encore de trentemille livres de rente, n'apporta que peu dechangements à son train de maison. Le co-cher fut congédié, mais on prit un coupé aumois, on conserva le grand appartement del'avenue de Villiers, et les trois domestiques,cuisinière, femme de chambre et valet dechambre.

Cependant la vie, jusqu'alors très mon-daine, dissipée et tapageuse de la belleMme Noémi Vaucamp, s'était sensiblementmodifiée.

D'abord, pour obéir aux conventions, ob-server le deuil, il falla.it bien laisser de côtéthéâtre, bals, fêtes, grands dîners. Puis, sousle coup de cette mort, quelques judicieusesréflexions s'étaientfait jour dans l'esprit denotre veuve. Elle s'était tout a coup rappelée~qù'èHa avait une fille, une grande fille, d'âge& être pourvue – déjà – bonne à marier,

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Fcomme on dit, et avait conclu que cetteenfant lui serait d'un grand secours dans )acirconstance et i'iuderait à supporter sonisolement obligatoire.

En outre, et pendant qu'elle était en veinede réflexion, de sagesse et de hardiesse,M"'°Vaucamp avait osé supputer le nombrede ses années, sans tricher, et avait reconnutout bas qu'elle venaitd'atteindre le chiffre dequarante-trois;et, tout en rendant hommageà i'ëciat si juvénile de son regard, à latoute printanière fraîcheur de son sourire,aux purs contours et à ta blancheur satinéede ses ëpau)es, ei)e n'avait pas craint d'exa-miner son visage a nu et sans fard, sescheveux sans teinture, et elle avait eu lesuprême courage de s'avouerqu'il étaittemps,

peut-être – de rentrer au port et de ferfertaToiie.

Miss Fauvette, transplantée du couventdans le vaste appartement, devenu soudainsilencieux et morne, de l'avenue de Villiers,n'eut d'autre occupation que de tenir compa-gnie à sa mère, -de faire connaissanceaveccette hautaine belle dame, qui l'appelait« fillette », qu'elle nommait « maman D, etavec qui elle n'avait jamais passé jusqu'icicinq minutes en tête-a-tête. Avec sa douceurde caractère, sa gentillessenative, elle s'ap-p)iqua. instinctivement à lui plaire, à gagnerson affection.

Les deux femmes sortaient peu. Leurs 'vi-sites se bornaient à quelques intimes, dont

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un vieil ami du défunt, M. Pages, gros entre-preneur de constructions,qui habitaita proxi-mité de M°"* Vaucamp et était ie subrogé-tuteur d'Andrée.

Marié àune chétive femme, qui, depuisdes années, ne quittait son lit que pour allers'étendre sur sa chaise longue, devant sonbalcon, M. Pages, tout en cherchant de sonmieux a adoucir le sort de cette malheureuse,n'avait demandé de distractions et de conso-lations qu'au travail. Son bureau, ses affaires,c'était sa vie.

Ancien agent secondaire des ponts et chaus-sées, puis dessinateur et métreur chez un ar-chitecte, il n'était parvenu à la fortune qu'àforce d'énergie et de ténacité. Il se souvenaitde ses origines; il avait conservé ses maniè-re,s simples, voire communes, sa rondeur,ses brusques familiarités avec ses ouvriersqu'il tutoyait tous indistinctement; mais il

avait gardé aussi son bon coeur, son intelli-gente générosité, toujours active, en éveil,toujours à l'au'ùt d'une misère à soulager, dequeiqueeftortàsoutenir,à encourager. M savaitcommeiIestdifHciIedefairesatrouée,-petiteougrande, et quel grand bien fait un peu d'aide.

,C'est ainsi qu'ii s'était pris d'affection-pourun de ses commis, un garçon de vingt-cinqans, sans famille, jadis placé par quoiquebienfaiteur anonyme à l'institution de Saint-Nicolas, où il avait été doté d'une instructionrudimentaire mais pratique.

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Par son assiduité au travail, son zèle sou-tenu, ses réelles connaissances, aussi bienque par la régularité de sa vie et son irré-prochable conduite, Antonin Lefuel justifiaitpleinement l'intérêt que lui portait son pa-tron et qu'il avait su capter aussi, il fautbien le dire, par une excessive souplesse, uneobséquiosité qui allait jusqu'à la platitude etque M. Pages prenait pour une marque dedévouement, mille petites Hagorneries quichatouillaient déhcteusement son amour-propre.

Antonin était ambitieux avant tout, et unambitieux que les scrupules n'embarrasse-raient jamais beaucoup; il se l'était promisdès qu'il avait commencé à comprendre lavie. Joli garçon, au surplus,de taillemoyenne,mais bien prise, des yeux bleus toujourssou-riants et caressants, une superbe barbe noiretoute frisottante, dont il était très fier et qu'ilsoignait avecamom', il étaitdes mieux armespour éveiller de prime abord et conquérir lessympathies féminines.

Mme Vaucamp et sa fille, dans leurp visitesà M°'° Pages, avaient eu plus d'une fois occa-sion de rencontrer le protégé de l'entre-preneur. Ces visites, à mesure que le deuildes deux femmes approchait de sa 6n, deve-naient plus fréquentes, et un jour arriva où, laconnaissancejetant déjà amplement faite,M' Vaucamp invita M. Lefuelvenir la voir.

– .T'y suis tous les vendredis, dit-elle.Très touché de cette faveur, de cet insigne

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honneur, le jeune commis se confondit enremerciements et ne tarda pas à profiter del'invitation.

La conduite de M"" Vaucamp, en cettecirconstance, n'avait fait que répondre auxintimes désirs d'Andrée.

Souvent, en sortant de chez M" Pagès, iamère et )a8!)e s'étaient entretenues d'c M. An-tonin Lefuel. Comme il avait l'air bien, cejeune homme! Réserve, plein de tact, et del'esprit, et du goût, des façons si aimables, sidistinguées, que sais-je!

Miss Fauvette lui trouvait toutes les qua-)itës, et la maman s'empressait d'acquiescer,d'enchérir même

–Oh! certainement) 1 Il est parfait, par-fait

Ce penchant que miss Fauvette éprouvaitpour Antonin Lefuel, eUe le savait payé deretour, à n'en pas douter certaines pressionsde main un peu prolongées, certains regardsempreints de respectueuse mais franche cor-dialité, de confiance, et, par instants, de joieet de gratitude, le lui avaient insidieusementrevoie.

Peu à peu cette ftamme naissante s'aviva.Andrée se surprit comptant les jours qu'elle

.avait a passer sans le voir, épiant sa venue,rappelant tout bas, avec une fébriie impa-

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tience. Sa pensée maintenant ne cessait deJ'évoqner; elle ne voyait que lui, ne vivaitque pour lui.

Ëtevée, comme elle l'avait été, dansi )sote-ment du couvent, subitement tirée de cettesolitude et transportée dans l'entourage de

sa mère, elle n'avait jamais connu d'autrecavalier servant, jamais approché d'autre.homme, et du premier coup son cœur s'étaitdonné.

Antonin ne s'en tenait plus maintenant àses visites du vendredi. Parfois, et précisé-ment les jours où elle s'était absentée, où samère t'avait fait conduire chez quelque an-cienne amie de pension', miss Fauvette le trou>vait, a son retour,intimementinsta.))é auprèsde M" Vaucamp, dans le petit salon qui luiservait de boudoir. Et elle était bien heureusede la surprise: c'était pour elle, évidemment,pour attendre sa rentrée, qu'il s'était ainsiattardé.

Un soir qu'elle avait eu ce suprême bon-heur et qu'Antonin, après lui avoir, commede coutume, tendrement serré la main, venaitde prendre congé d'elle et de sa mère

Tu ne sais pas, fi))ette? H faut que jet'annonce une nouvelle, dit sans plus depréambule M°" Vaucamp. Je vais me rema-rier.

-Ah)t

Oui, avec M. Antonin.Lui Anton.

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La petite Fauvette demeura bouche bée, lesyeux écarquillés, hagards, les bras rompus,tout ahurie, anéantie.

Je devine bien ce qu'on dira, reprit d'unevoix hésitante M°" Vaucamp, qui éprouvaitle besoin d'expliquer et d'excuser.sa folie, ets'efforçait de dissimuler son embarras.Oui, je me doute bien 1.. H est trop jeune.Mais pour deux ou trois années que j'ai deplus que lui! D'ai)Ieurs, cela ne regardepersonne, n'est-ce pas donc, ma chérie? Jen'ai de compte à rendre à qui que ce soit.Et puis il est si posé, si réfléchi, si sérieux.bien plus sérieux que.moit D'emblée on s'enaperçoit j'ai l'air d'une enfant, moi tandisque tui, avec son air grave.

Oh oui, elle l'était, peu sérieuse, l'incorri-gible coquette elle se rendait justice. Mais,ce qu'elle omettait de rapporter, ce qu'elleignorait, c'est que Je bel Antonin n'avaittourné ses vues sur elle qu'après s'être pru-demment renseigné sur la situation de for-tune respective de la mère et de la fille. Elleeut d'ailleurs pu continuer longtemps à dis-courir et déraisonner de la sorte la petiteFauvette n'entendait rien, restait sans voix,sans mouvement,sans pensée.

Malgré l'énergique désapprobation deM. Pages et les sourires moqueurs des < bon-nes amies le mariage eut lieu. Mais quel-qu'un manqua à la cérémonie, – quelqu'un

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disparu le matin même. et dont on trouva.le cadavre, cinq jours après, sous un chalandamarré le long du quai de Grenelle.

Pauvre miss Fauvettei

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LE BOUQUET DE LILAS

OMMN le fiacre, chargé d'une valise etd'une malle, venait de tourner t'angtcde la. rue de Rivoli et du boulevard

Sébastopo!, le voyageur, un jeune homme ala mine dolente et maladive se pencha etordonna au cocher de s'arrêter. Puis, il ouvritla portière et se dirigea, en s'aidant de sacanne, vers un luxueux magasin de fleurssituée vis-a-vis.

La patronne de t'étabiissement, M"' Guil-laume, qui trônait dans son comptoir,accueil-lit le visiteurpar un salut plein de courtoisie,un sourire des p!us gracieux et des plus en-gageants.A n'en pas douter, le jeune hommeun client habituel de la maison.

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–Je m'absente pour quc~nc .temps, ma-dame, dit-il. Auriez-vous i'obhgeance de con-tinuer a envoyer, chaque dimanche matin, unbouquetdelilas blanc t'adresse de M"" Der-viHe?'?

– Parfaitement, monsieur; soyez sanscrainte. Mst-ce que votre absence sera lon-gue? Vous semblez souu'rant?

Un peu de uëvre, voi)a tout; mnis je nepuis arriver à me débarrasser de ce malaise,aussi je vais me faire soigner chez moi i'airnata) me remettra.

Remède souverain, ajouta complaisam-ment la marchande, qui ne manqua pas determiner par tes souhaits de rigueur

AHohs, bientôt, monsieur Guérissez-vous vite!

Le jeune homme la remercia, prit congéd'elle et regagna sa voiture, qui le conduisaità la gare de t'Est.t.

Séverin Evrard avait vingt-trois ans. Apresavoir achevé ses classes au collège de Verdun-sur-Mense, sa ville natale, il avait travailléquelque temps dans le bureau de son père,J'architecte le plus en renom de l'arrondisse-ment puis on avait jugé nécessaire de l'en-voyer a Paris pour y étudier les grandes con-structions et se perfectionner.

Depuis uri an, il était attaché, en qualité

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de dessinateur et vérificateur, au bureau deM. Aubryon, architecte-expert, quand ce ma-]aise, cette fièvre, l'avait saisi et décide à allerprendre chez lui quelques jours de repos.

Durant cette année, il ne s'était pas bornéà accroître ses connaissancesdans les qualitéset la mise en œuvre des matériaux il avaitinspiré à une de ses parentes, a la fille d'unde ses arrière-cousins, une sympathie qnis'étaitpromptement transformée en affection,en une rée))e passion.

M. DerviHé, le père de la jeune fille, avaitété d'autant plus surpris de ce changement,qu'Antoinette, élevée chez les oblates de larue de Vaugirard,avait, depuis sa premièrecommunion, constamment témoigne le désir,l'intention formelle, de se faire religieuse.Comme il était veuf et n'avait pas d'autreenfant, il avait vu avec peine cette résolutionet. s'était efforcé de la combattre. Mais lavictoire était réservée à Séverin.

Maintes fois Antoinetteavait ou! parler deses parents de Verdun, de son petit-cousinSévërin Evrard. H y.avait deux mois à peinequ'il habitait Paris, lorsqu'elle sortit de pen-sion et eut occasion de le voir. M. DerviHc,ancien bureaucrate de ministère, chef de di-vision en retraite, avait très cordialementaccueilli le jeune homme.

– Cousine, nousnous mettons tous les joursà table a sept heures. Quand le cœur vous endira?.

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Séverin avait de plus en plus profité decette invitation, car, de plus en pins,M.Der-villé se montraitaffable, affectueuxcnverslui;de plus en plus, ]e pëtit-cousin se plaisait danscet intérieur, ce paisible et confortableappar-tement de l'avenue Victoria.

Loin de sourire des inexpériencesdu pro-vincial, de le prendre en pitic, lui et sa sim-pticité de mise et de ton voire ses gaucheries,Antoinette démêlait là des indices de ses qua-lilés morales, de sa franchise, sa loyauté, dusérieux et de la sûreté de son caractère. Avecson air doux, presque timide, ses yeux graveset songeurs, son profil maigre, aux méplatsbien accentués, empreints de finesse et de dis-,tinction, il l'avait charmée, s'était insinuédans son coeur.

Heureux de voir sa fille lui revenir, M. Der-viiié avait de son mieux tâché d'encouragercette passion, et quand le cousin Evrard fit levoyage de Verdun, tout exprès, afin'de solli-citer pour son fils la main d'Antoinette, il futreçu bras ouverts.

C'est à Antoinette à vous répondre, cou-sin. Moi, je ne suis pas de ces pères barba-res.

Antoinette rougit jusqu'au blanc des yeux,en guise de réponse, et baissa la tête.

–A)]ons,quine dit motconsent, et puisquela chose est décidée, il n'y a pas de raison pourla retarder, répondit M. Dervillé, qui avaithâtede voir sa fille définitivement engagée dans

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les liens terrestres du mariage. Le plus tôtserale mieuxNous sommesmalheureusementen carême. Dans un mois, tout de suite aprèsPâques?. L'époque vous convient-elle?

Mais, parfaitement, mon cher cousin,c'est cela

Dix jours après le départ de Séverin, undimanche matin, un fiacre s'arrêtait devantle magasin de fleurs de M" Guillaume. Unevalise placée à côté du cocher indiquait quec'était encore à une gare que le véhicule serendait.

Avant d'ouvrir la portière, M. Dervillé setourna vers Antoinette, qui était en granddeuil comme lui.

–Tuferaismieuxde rentrer, chère petite.Ce n'est pas raisonnable.

–Père, je t'en prie! Que je te conduisejusqu'au chemin de fert.

Ils pénétrèrent dans le magasin et M. Der-villé demanda une botte de roses Manches.on de lilas blanc.

Une fillette au minois chiffonné, aux che-veux blonds en broussailles, lui présenta unbouquet de lilas, entouré de sa haute colle-rette de papierblanc, et qui attendait là, toutpréparé, sur un comptoir.

Pas celui-là, mademoiselle Ernestine,intervint M°" GuiHaume.C'est celuide M"" Der-

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ville. Le garçon va le porter. Excusez-moi,monsieur, ce bouquet est vendu.

La fillette alla chercher dans le fond dumagasin un autre bouquet de même sorte et,pendant qu'elle s'occupait de l'habiller depapier blanc, Antoinette s'approcha de lacaisse.

N'envoyez rien a M"" Dervillé. C'estmoi-même, madame. Plus rien. bégaya-t-eHe. Nous prendrons ce bouquet avec l'au-tre. pour sa tombe.

Deux ans plus tard, a la mort de M. Der-villé, Antoinette rentrait, pour n'en plus sor-tir, chez les oblates de la rue de Vaugu'ard.

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FEU LAVIGNON

PaM~ Dt'ey/M~.

E soir~à, PhilippeLavignon, cocherdun° 18,833de la Métropolitaine,décidade nepasrentrer chez )ui. Trois heures"£'c-durant il avait, verre en main, fêté )a ren-

contre d'un pays il se sentait légèrementému, oht très légèrement, une petite pistachede rien du tout; mais enGn'it n'y avait paspresse d'affronter )aco)ère de la bourgeoise,d'entendre M" Séraphine Lavignon ciabau-der, piauler et piailler à n'en plus. finir. Carette n'était pfLS. commode, Séraphine, ouProserpihe; comme il l'avait surnommée; –

~pas endurante, a.h! Dieu non t Jamais ellen'avait voulu le comprendre, lui, jamais!1Toujours des reproches, des semonces, des

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jérémiades, des bouséulades! Et son argentqu'elle lui chipait!

Non, pas de scène ce soir t Je veux êtretranquille.

Et ce soir-là, ni le lendemain, ni la nuitsuivante, le cocher Lavignon ne réintégra lelogis.

inquiète de cette absence insolite, M"' Lavignon s'en fut dès l'aube, après cette secondenuit d'attente, au dépôt de la Métropolitaine;rue de TocqueviHe, et s'enquit de son mari.

Là non plus il n'était pas rentré.– Et justement, madame, nous allions

envoyerchez vous pour avoir de ses nouvelles.Quelques heures plus tard, la Compagnie

l'informait qu'on venait de trouver la voiturede Lavignon abandonnée, ainsi que le cheval,sur la berge de la Seine, à Billancourt.

Il ne s'agissait donc plus seulement, commeelle l'avait pensé d'abord, d'une ripaille_plusprolongée que les précédentes un ma heur

accident ou crime était à redouter, étaitprobable.

Vite elle courut à la préfecture de policepuis de là à la Morgue.

Le corps de PhilippeLavignon était étendusur une dalle. C'était bien lui, hélas) Elle lereconnut d'emblée, quoiqu'il eut le visagemarbré d'ecchymoseset tuméfié c'était bience pauvre Philippe) 1 On l'avait ret'ré de l'eaulëmatinmême.

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Si altéré et gobelotteur qu'il fût,

La perte d'un époux ne va point sans, soupirs,

et Scrapbine-Proserpine consacra bien sixsemaines à soupirer après son défunt et sur-tout à se douloir sur son propre sort,a elle,

son veuvage et sa misère. Six semaines,c'était certainement plus qu'il ne méritait,l'incorrigible ivrogne!

Au bout de ce temps, eiïe commença àrechercher quelques secours et consolationsauprès d'un voisin, d'un ouvrier ferblantierdont elle blanchissait et raccommodait le]inge et qui avait été.l'ami de feu Lavignon.A Fopposë de celui-ci, Francis Lucotte étaitd'une sobriété exemplaire. Souvent même illui était arrivé de fa)re JaJeçon à Lavignon

-Voyons,Philippe,tu n'espas raisonnable,mon vieux! Te flanquér dans des étatspareils Ta bourgeoise bougonne, ça se com-prend Il y a de quoi, vrai

Et c'est toujours lui qui s'efforçait ensuited'apaiser le courroux de Proserpine et deremettre la paix dans le ménage.

Et non seulement Francis Lucotte étaitsobre et rangé, mais encore c'était un travail-]eur,gagnàntdegrosses journées,nechômantpresque jamais, et facile à mener avec cela,m colère, ni criard, ni brutal, une bonnepàte

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d'homme tout à fait, plutôt même trop doux,voire un peu simple. Mais, aux yeux d'unegaillarde comme Proserpine, qui tenait à gar-der la bourse et porter la culotte, ce ne sontpoint là des défauts, bien au contraire.

Lé ciel"qui n'avait pas béni l'union de Phi-lippe Lavignon,se montra plus démentquand Francis se fut substitué au défunt eteut hérité de sa veuve. Dix-huit mois aprèsla mise en terre de l'infortune pochard, Sëra-phine donnait le jour & un vigoureux petitbonhomme,qui ressembtaitasonpapaco~meune goutte d'eau microscopiqueressemble àune autre goutte d'eau volumineuse.

Dans leur empressement à se consoler et ase réconforter, Mme veuve Lavignon et le voi-sin Francis avaient néglige d'aller, au préa-lable, solliciter la permission de M. le maireet implorer !a bénédiction de M. le curé deleur paroisse; ils n'en étaient pas moinsheureux pour cela; et Francis Lucotte n'enavait pas moins ta ferme intention de recon-na.ître comme sien te produit de ses oetivreset de donner son nom àl'enfantde Séraphine.

Le matin du jour où, sortant des bureauxde la mairie, il venait, en compagnie de deuxCamarades d'atetier comme tëmo!ns, et toutBer, radieux et triomphant, de dëptarer lanaissance d~e ce futur citoyen et de s'en pro-

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clamer l'auteur, comme on avait, en l'hon-neur d'un tel événement, vidé plusieurs litresdéjà et que les jambes commencaientàmo)-]ir, qu'en outre l'heure pressait de se rendreau travail, on résolut de faire la course envoiture, et Francis avisa uri fiacre en stationtout près de là, le long du boulevard des Liati-i-gnolles. Il ouvrit la portière, invita sestémoins à s'asseoir,et, levant la tête, donnal'adresse à t'automédon.

Mais soudain sa langue se paralysa, sesyeux s'écat'qui))ërent, il demeura c!ouc surplace bouche béante.

C'était Lavignon, Philippe Lavignon enpersonne, qui se trouvaifsur le siège.

Bin oui, c'est moi Ça t'épate, hein?9Pas tant de manières, va, monte donc, Fran-cis C'est ça). reprit Lavignon. Nous ysommes) Hue, Cocotte)

Arrivé à destination, comme les troishommes descendaient de la voiture et queFrancis, encore tout ahuri, tout efTaréet eber-lué, fouillait dans sa poche, cherchant samonnaie

Pas,la peine, uston) Tu vas payer unverre et puis ça fera la rue Miche)! Tiens,entrons là, ajouta Philippe; je connais lepatron.'Et comme on achevait de trinquer devantle comptoir

– A)ors, tu. tu ne veux plus d'eiïe? ha-sarda Francis. Tu ne me~ -ta reprendraspas?

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Pourquoi faire ? Tu es content commetu es, n'est-ce pas, Francis? Moi itou. Ehbin, alors 1 A quoi bon changer, aller repren-dre ma. ma succession? Non, ma vieille,restons comme ça! Bien des choses à Pro-serp-i-i-i-ne !ança-t-i),après avoir rassembléses guides et en cinglant Cocotte.

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LA RUE DES TROIS BELLES

Eugéne Pitou.

A petite vi!!e de Popey-sur-Ornain ouPopey-en-Barrois, dont les maisonss'étagent sur les hauteurs et le flanc

d'un coteau et se pressent au pied de ce mon-ticule, dans une étroite vallée qu'arrose lamaigre rivière d'Orne ou Ornain, se trouvetout naturellement divisée en deux parties,ville haute et ville basse. Cette dernière estde beaucoup la plus peuplée, la seule tantsoit peu vivante, bruyante, commerçante.L'autre, avec son château aux pignons d'ar-doise, sa grosse tour, ses vestiges de rem-parts, ses restants d'esplanade ouj)<MM,aux

'ormes sécutaires, ses larges voies bordées de~ié&xhôte)s bourgeois a façades artistement

n'

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ouvrées, agrémentées de gargouilles, de tym-pans et de mascarons, sembles'être endormie,il y a deux sièctes, enveloppée dans son richemanteau de pierre comme dans un linceul.

Sans sa placide et. pittoresque <.Vi)Ie-Haute», Popey ne différeraitguère d'un grosbourg aux rues banales et plates, non pavées,et, partant; tour a tour fangeuses et pou-dreuses,ayant marché couvert, salle de spec-tacle, hospice, gare de chemin de fer, templeprotestant, statues de célébrités locales, etc.Aussi est-ce vers la Ville-Haute que se dirigentd'embléetous les touristeset curieux,de mêmeque c'est sur ces pentes agrestes et paisiblesque vont se terrer de préférence les fonction-naires retraités,les.commerçants qui ont faitleur pelote et vendu leur fonds, tous les ren-tiers, petits et gros.

Parmi les rues de la Ville-Haute, la rue duTribel, qui contourne en partie la crête duplateau et longe d'anciennes fortifications,est une des plus calmes, des plus discrètes,et aussi l'une des plus caractéristiques, desplus riches en beaux points de vue, en vastesjardinset hautes terrasses, C'est sur son par-cours que se trouve < le parapet des Gran-gettes », d'où l'on domine presque toutel'étendue de la ville, le parc, la promenadedu canal, le faubourg de Marhot, la coquettevallée du Na.veton; ou,, de toutes parts, etcomme tout près de ~ous. surgissent desmassifs de collines la butte boisée de Fai'é-

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Et il tomba aux pieds de Denise, lui saisit la main..(Pagei77.)

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mont, la côte avignée de Sainte-Catherine,les coupeaux de Mastrique avec leur verdoyantliséré, etc.

Ce nom de Tribel a longtemps intrigue lesrares archéologues et chorégraphes de l'en-droit. Dans son Historique de la ville dePopey-en-Barrois, le très sagace et disert.érudit Cyrille-Eudoxe Fessecahierfait dériverTribel du grec, tria, trois, ?0~, soieii, ruedes Trois-Soleils, parce que, remarque-t-ilavec sa puissante, originalité accoutumée,« la ftituation de cette rue circulaire, ditejadis rue de la Tuerie, permet de contemplerle roi des astres sous ses trois aspects aulevant, au midi et au couchant.

Sans méeonhaitre l'importance d'une telleautorité, j'oserai m'inscrire en faux contrecette ingénieuse mais trop poétique expli-cation. Tribel signifie trois belles, tout sim-plement, comme trident est mis pour troisdents; tricorne, pour trois cornes, etc. Envoici la preuve, étayée, ainsi que vous leconstaterez, par une série de faits qui n'ontrien de surnaturel et dont maint habitant dePopey, parmi les ancienssurtout, peut garantiria scrupuleuse, authenticité.

"Dans les derniers mois de 1S1S, le docteurJttvigny, qui avait pris part, en qualité de chi-rùrgten et durant plus de vingt Annëes~ à nos

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campagnes militaires, se décida à postulersa mise à la retraite et se retira dans sa villenatale, à Popey-en-Barrois.Républicain trèsardent, imbu des idées du xvitt" siècle, admi-rateur du Contrat social et de l'Emt/e aussibien que de la Lettre sur les aveugles et duSystème de la nature, disciple de Cabanis etde Bichat, lié, soit d'amitié, soit par desétudes et recherches professionnelles, avecDupuytren, Larrey, Richerand, Corvisart,Roux, Flaubert, Boyer, Broussais, toute lagrande pléiade chirurgicale du premierEmpire, il avait bien consenti à servir J~apo-léon en souvenir de Bonaparte, mais prêterserment aux Bourbons,se rallier auxjésuites,jamais La patienceetia modération n'étaientpas dans son tempérament; il'se fâcha toutrouge à cette insultante proposition, sacra,tempêta et envoya au diable son uniforme,Louis XVIII et la Congrégation.

Sur les confins de la Ville-Haute, dans larue de la Tuerie, il trouva à acheter a boncompte une spacieuseet-vieille maison, biendéchue de sa splendeur, toute lézardée etdélabrée, à taqueHe aliénait un long jardinqui, grâce a une suite de terrasses formantescalier, descendait, dégringolait jusqu'aufond du vallon de Polval.

Jeune encore relativement, il n'avaitpas atteint !a cinquantaine, marié, pèrede trois filles qu'il faudrait doter bientôt, etpe possédant d'ailleurs, outre sa bicoque et

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ses quinze cents francs de pension, qu'un trèsschëttf capital provenant de l'apport de safemme, d aurait dû songer à utiliser sondiplôme de docteur et se créer une clientèle.C'est bien ce qu'il fit, en effet; mais, en véri-table adepte de Jean-Jacques, n'obéissant qu'àses croyances démocratiques et à son cultehumanitaire, il recruta cette clientèledans labasse classe, parmi tous les porte-guenilleset traîne-misère de )a localité, si bien qu'enfait d'honoraires il ne reçut jamais quekyrielles de remerciements, los, actions degrâces et bénédictions, tous très glorieuxtémoignages,qu'il pouvait estimer suffisants,voire superflus, mais qui n'ajoutaient pas unmaravédisà la dot de ses filles. Au contraire,bien souvent le brave docteury mettait encoredu sien et soldait de sa poche les frais del'ordonnance qu'il venait de rédiger.SoUicité par la municipalité et le dépar-tement, il avait accepté, et à titre gracieux,bien entendu, les fonctions de médecin deFhôpital et de la prison; mais ici ce ne futpas seutementdes remerciements et congratu-lations qu'il récolta en 1820, après l'attentatde Louvel, le docteurJuvigny,dénoncépar lesuftras de l'endroitcomme jacobin, robespier-riste, athée et franc-maçon, vit un matinarriver chez lui le commissaire de police,M. Poustor, qui lui déclara solennellementqu'i! étaitsuspect à l'autorité et procédaen conséquence & une perquisitionrigoureuse,

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de fond en comble. A l'issue de cette visite,pendant laquelle il avait failli plus d'unefois caresser à coups de botte i'échine dufonctionnaire, M. Juvigny s'empressa derompre toute attache officielle, pour ne plussoigner que ses pauvres, – vignerons de

Poiva), &0&MMMSM et tisserands du Jard oude la rue de Véel, qui avaient préféré leurgaletas à l'assujettissementet à )a promiscuitéde l'hôpital.

Sa consultation terminée, sa tournée faite,l'edocteurJuvignys'occupaitdebêcheret ense-mencer les carreaux de son jardin, de taillerses quenouilles, de lier ses espaliers et sestreilles; ou bien, besogne réservée pourles jours de mauvais temps, il s'amusait àscier et à fendre sa provision de bois dechauffage, ses trois cor~M de rondins; ouencore, transformé en menuisier, serrurier,charpentier, etc., il s'ingéniait à rajuster etreclouer les montants de ses fenêtres, les aiset les gonds de ses contrevents et de ses portes,à raboter les lames de ses parquets, ransto)erceci, cela, cela encore. Tout était à conso-lider et à refaire dans cetteimmense et vétustébaraque. Sous les tuiles d'un petit grenier,au-dessus de la chambre à four, il avaitinstallé son atelier avec tous ses outils; dansun autre coin de la maison, i! s'était aménagedeux petites chambrettes qu'il avait meubléesd'un bureau de bois noir, d'un antique canapéà fond de paille, d'un fauteuil et de quelques

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chaises de mêmestyle, et où il avait rangé lelong des murs, sur des rayons de sapin parlui-même apprêtés et mis en place. les cmqou six cents volumes de médecine, de philo-sophie, d'histoire et de littérature qui com-posaient sa bibliothèque. C'était là qu'il seretiraitchaque j ouraprès son seconddéjeuner,

ce repas de dix heures, onze heures oumidi, appelé dîner en Lorraine, pour yfumer sa pipe, en relisant quelques pages del'Essai sur les m<BM~ ou de la Gazette médi-cale, et y faire sa sieste.

Ses soirées se passaient auprès de sa femmeet deses filles,dans !avaste ptëce, haute de plusde quatre mètres,qui servait de salon. Pendantque M"* Juvigny, qui, à l'âge de quaranteans,a !a. suite d'une maladie nerveuse,avait perdula vue, manoeuvraitles aiguillesde son tricot,– un invariable bas de coton Manc; queM"" Denise, Claire et Gilberte ourlaient,rebordaient, reprisaient, ravaudaient. le doc-teur, assis dans une sorte de bergère recou-verte d'une housse, squs te manteau de pierrescuiptée de la cheminée,leur faisait la lecturede son journal, J~ C<MM<t<M<M<Mt~.Très fré-quemment/uncoup de sonnetteou un brusquetoctôc'&)'undes contrevents l'interrompaitet faisait tressauterla maman et les fillettesc'était un vMs)n ou quelque famille amie quivenait – lés dames munies de leur sac &.

ouvrage – tenir compagnie aux Juvigny.U y avait douze ans que l'éx-chirurgien-

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major avait planté sa tente à Popey et vivaitde cette humble vie, toute semée néanmoinsde bonnesœuvres, resplendissante de dignité,de charité, d'abnégation, lorsqu'une épidémietyphoïdeayantéclatëdans certains misérablesquartiers de la ville, il prodigua ses forces, semultiplia, se dévoua, si bien qu'il finit parcontracter les germes du mal et succomba,frappe ainsi, ce stoïcien et ce sage, comme ill'aurait souhaité si on lui en eût laissé lechoix, au chevet de ses pauvres, sur sonchamp d'honneur.

M"" Denise,Faînée des filles du docteurJuvi-gny, avait alors vingt-septans. Quelques moisauparavant elle avait failli se marier unaide-major, en garnison a Nancy, et quediverses circonstancesavaient mis en relationavec l'ex-chirurgien, s'était épris d'elle etavait chargé une dame Muguet, vieille amiedes Juvigny, de lui déciarer ses intentions etde lui demander si elle l'autorisait à solli-citer ofucieHemënt sa main. Elle y consentitd'autant plus volontiers qu'intérieurement,secrètement, elle partageait cet amour. Sur-vint !a.,catastrophe, la soudaine mort dudocteur Ja démarche fut diffërée, le projettinterrompu. Quand M. Firmin Vayeur, raide-major rentra en pourparlers, Denise avaitrëNéchi et elle répondit par un refus.

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Elle avait réfléchi et à la situation de samère aveugle et à l'avenirde ses sœurs, dontl'une, Gilberte, sortait à peine de l'enfance,et dont l'autre, Claire, Agée de vingt-deuxans, était une nature contemplative et mys-tique, inapte à la gouverne d'une maison, àtoute besogne et préoccupation matérieHes.Mariée à M. Firmin Vayeur, ob)igée de quitterla ville, d'accompagner son mari de garnisonen garnison, qui donc la remplacerait? Quisoignerait sa mère, si habituée à elle, ne vou-lant qu'elle pour la servir et la guider? Quiveillerait sur Gilberte ? Qui défendrait lesintérêts de la famille et dirigerait la barque?

Elle resta, s'applaudissant de n'avoir pasaJiéné sa liberté, sacrifiant pour jamais à cequ'elle jugeait son devoir les aspirations deson coeur; seulement, durant près dequarante années, jusqu'à son dernier jour, onput voir, suspendu dans son alcôve, au chevetde son fit, à côté d'un petit bénitier en stucet d'une image de Notre-Dame du Guet, unmédaiH&n de plâtre, où, dans le fin profil dugénéral Bonaparte, la vieille fille retrouvaitune frappante ressemblance de l'aide-major,un souvenir toujours présent, mais compré-hensiblepour elle seuie, de son unique amour.

Lés ressources de la maisonnée avaientbien diminue depuis la mort de M. Juvigny.Au lieu des quinze cents francs qui étaientailoués au chirurgien-major comme pensionde retraite, sa. veuve n~eh touchait plus que

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le tiers, cinq cents francs payables par tri-mestre.. Denise et Claire, en attendant que lapetite Gilberte pût se joindre à elles, s'étaientprocuré de l'ouvrage dans une fabrique de laVille-Basse, une fabrique de corsets. Cescorsets, il s'agissait de les border, d'en fixerles baleines, de les p~M~r ou éventailler;ehaque samedi, une ouvrière qu'elles rému-néraient en conséquence leur apportait leurtâche à domicile, trois douzaines de cor-sets bruts, et remportait les trois douzainespiquées et parachevéesdu samedi précédent.En outre, mère et filles s'étaient arrangéespour n'occuper que le rez-de-chausséede leurgrande bicoque, et avaient, non sans quelquepeine et délai, réussi à en louer le premierétage encore deux cents francs à ajouter aubudget annuel.

Quant au jardin, Denise s'en était chargée.Elle avait abdiqué toute coquetterie, toutejuvénile prétention, et s'était hardiment etgaiement c)assée au rang des vieilles filles.Sans pitié pour la délicatesse de ses mains,pour le frais incarnat de ses joues, la laiteuseblancheur de son c0t et de ses bras, elle sar-c)ait les plates-bandes, promenait la raclottedans les allées, maniait bêche, râteau, hoyau,sécateur ou cisailles, durant des matinéesentières, alors que le jardin, situé au levant,n'avait pas un coin d'ombre.

Les exercices virils ne l'avaient d'ailleursjamais épouvantée, au contraire. Elle. avait

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été élevée en garçon, habilléemême en garçonjusqu'à l'époque de sa première communionle major encore en activité de service ence temps-là, se plaisait à l'emmener avec luià la caserne et dans les marches militaires,à la faire grimper sur son cheval èt galoper àperdre haleine, à lui planter sur l'oreille sonbonnet de police Voyez mon beau petitenfant de troupe »Elle tenait de son père, au moral commeau physique. Elle avait sa vivacité, ses brus-queries, sa pleine indépendance et sa rudefierté de caractère, sa brutale franchise, sonenthousiasme, ses engouements, voire sesopinions démocratiques et sociales, et ceculte d'universelle tolérance prêché par Vol-taire, bien que, selon la communecontra-diction, te médecin-philosophe eût laisséinstruire ses trois filles dans le dogme et lespratiques catholiques. Comme son père, elleétait douée d'un admirable instinct d'affee-tivité et de dévouement, elle éprouvait l'irré-sistible besoin de se prodiguer à tout ce quipeine et souffre, à tout venant. Comme luiaussi, elle avait les traits du visage vigoureu-sement dessinés, la lèvre inférieure un peusaillante, l'œil bleu, pétillant de malice etcomme humide de bonté, le front large,proéminent et, pour la trouver belle,il fallait,– ce que faisaient sans doute les familiersde la maison, les vieux amis du docteurrestés fidèles, sa veuve et a ses filles,

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lui tenir compte de ses qualités morales.Des années s'écoulèrent. C'était toujours ia

même existence quiète, modeste, uniforme;les mêmes journées remplies par les mêmesserviles travaux; les mêmes soirées passéesautourdu guëridon du salon ou sur le bancde pierre du jardin, en compagniedes mêmeshabitués, la plupart hommes d'âge ou damesà cheveux Mânes, qui, presqueà tour de rôle,venaient, après leur souper, sans façon, faireun brin de causette avec Mme Juvigny et « lesTrois Belles », ainsi qu'ils avaient fini pardésigner entre eux M"" Denise, Claire etGilberte.

Peu à peu cependant, entre les multiplesobjets où l'activité et !a générosité de Deniseavaient sans cesse besoin de s'épandre, unetâche s'imposa, un but prédomina. C'étaitassez d'elle pour veiller sur la maman,vaquerà l'entretien du jardin et aux soins duménage, assez d'elle qui gardât le cétibat.

Elle avait suffisammentpratiqué le monde,étudié la vie, pour constater tous les désa-vantages, les infériorités sociales, les millechagrms et déboires inhérents 6. la conditionde fille, de vieille fille surtout; et, si elle avaitdu l'accepter, la subir, cette condition, elledevait à tput prix l'épargner à ses sœurs.

Claire, la cadette, approchait de la .tren-stàihe, et aucun prétendant ne s'était encorerévéJé.Cet oubli, à vrai dire, ne !a préoc-cupait guère; son ardente piété la consolait

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de toutes les rigueurs du sort, et elle ne con-voitait d'autre amour que l'amour de Dieu.Son royaume n'était pas de ce monde. Denisela sermonna, s'efforça de l'arracher à sesnuages, de la ramenersur le terre-,plein de laréalité. Son ignorance des choses du ménage,son peu de goût pour ces serviles mais indis-pensables besognes, ne devaient pas être unobstacle; cette science et ce zëte, elle. lesacquerrait commepar surcroit, les obtiendraitpar grâce d'état, lorsqu'elle serait nantie d'un.mari., Oui, il le faudrait bien 1 Clairepourvue, Gilberte aurait son tour.

Tel était le projet qui s'était emparé del'esprit de Denise, qu'elleméditait et ruminaitsans trêve ni relàche. La doubte entreprisen'était pas facile a mener à bonne fin, vusurtout l'absence de dot: l'ainée des TroisBelles ne s'illusionnait point: mais, baste 1 ense remuantbien, et avec l'aide de Dieu 1

Popey-sur-Ornain, dont la situation topo-graphique, l'étroit vallon, resserré commeune gorge, et les pentes abruptes semblaientexclure toute garnison de cavalerieou mêmed'infanterie, partageait alors avec'la petiteville de Vitré, en Bretagne, le privilège deposséder une compagme de sous-ofnciersvétérans. Ces braves, ia plupart décorés oumédailles, avaient pour caserne une ancienne

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halle de la Ville-Haute, et étaient particuliè-rement apprécies et choyés par les cabaretierset les vieilles filles de l'endroit.

Tous ayant dépassé la quarantaine se trou-va.ient mûrs pour le mariage, avides d'avoiren propre un foyer où chauffer leurs tibiasrhumatisants, un terrain de quelque centverges avec baraque ou tonnelle, où )'été ons'en irait fumer sa pipe, boire sa canette etsouper au frais, et une femme proprette,avenante, indulgenteaux faiblesses et maniesdu quadragénaire. En outre, irrésistibleappât chacun d'eux avait droit à unepension de retraite, reversible peut-être surla tête de l'épouse survivante! Aussi, pourtout ce qui avait coiffé sainte Catherine,ouvrières, domestiques, vigneronnes, bouti-quières même et petites bourgeoises, < épouserun vétéran c'était là grande ressource, lesuprême espoir, )e rêve le plus cher, le plusassidûment et ardemment caressé.

Un des officiers de ce corps d'éHte, le lieu-tenant Césaire Debrolle, avait connu, douzeou quinze ans auparavant, le chirurgien-major Juytgny, et, dès son arrivée à Popey,il était aHé présenter ses hommages a saveuve et peu à peu avait pris place parmi lesintimes de la maison. C'était le plus jeuned'entre eux: i! n'avait que quarante-trois ans.Denise ne tarda pas & yotr en lui un partipttu.r sa soeur cadette.

Nous ne pouvons pas rester vieilles fines

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toutes les trois c'est bien assez de moi t repe-tait-e)ie sans cesse, 11 faut~un homme dansune maison. C'est indispensableLes femmesont beau faire. Oui, oui, Oairette,. crois-moi 1

Et)e manœuvra si bien, elle se monta sibien la tête, qu'elle finit par la monter àClairette et lui persuader que M. Debrolle nevenait au logis que pour eUe, était amoureuxfou d'elle.

– Mais cependant, Denise, il ne me par]epas autrement qu'a toi ou à Gilberte, ne faitpas plus attention a moi qu'à vous. Tuexagères, tu t'abuses ?'1'

– Non non H n'ose pas, voiJà tout Maisj'ai bien remarqué les coups d'œi) qu'il telance à la dérobée, quel embarras il éprouvelorsqu'il est assis près de toi. Tiens, hiersoir, il se trouvait entre nous deux tu n'aspas vu comme il était intimidé, ne sachantque faire de son chapeau, répondanttout detravers?.

En effet. oui.Je suis certaine qu'il meurt d'en vie de te

déclarer sa uamme et de te conduire à l'autel 1–Oht.– H n'y a pas de- oh qui tienne. H faut

tp sacrifier, ma chatte C'est toi que le sorta désignée. Pour maman, pour moi, pourttous toutes.ii il faut te sacrifier!Claire courba le front et laissa faire sona!nëe.

La semainesuivante, par une chaud après-

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midi de juillet, vers les quatre heures, Denise

ayant à réparer, puis a amidonner et repasserun jupon, était demeuréeseule dans iagracdechambre de devant, tandis que sa mère etses, sœurss'étaient réfugiéesavec leur ouvrageedansjin coin du jardin, sous un berceau denoisetiers, quand le lieutenant Debrolle vinta passer. Comme de coutume, il s'approchadelà fenêtre pour saluer ces dames etprendrede leurs nouvelles.

Mais entrez donc 1 Vous n~aHez pasdemeurer là, par ce soleil?.

De prime saut, l'occasion lui parut on nepeut plus propice, faite à souhait pour l'en-tretienqu'ellevoulait avoir avec le lieutenant.L'amener, le pousserà avouer son amour, sefa.ire de gré ou de force sa confidente, luilaisser entendre que cette confidente nedemanderait pas mieux que de lui servird'intermédiaire, le presser, le stimuler, luipromettre gain de cause, tel était le plande Denise. Quels prodiges de tactique i! luifallut déployer poui' attirer la conversationsur le chapitre du mariage, lesinconvénientsdu célibat, les tristesses de l'isolement, ledésolant spectacle d'une vieillesse solitaire t

Et cependant CésaireDebrone s~y prêtait dela meilleure grâce du mondé, acquiesçait a,tout, enchérissait même parfois. Certes oui,il étatt las de cette vie de vieux garçon, deyièux mollusque, surtoutdepuisqu'il habitentPopey, oui,depuis qu'il avait t'honnéur.

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d'être reçuchezM"Jnvigny.l'inappréciableebonheur de fréquenter. de contempler.

Hyvenaitdehn-même,)'exce)ientM.Césaire.Ah j'avais bien deviné 1 repartit Denise

avec un malicieux et encourageant sourire.Mais pourquoi n'avez-vous pas eu plus deconOance? Pourquoi avoir attendu jusqu'àprésent? Et encore il a fat)u que je vousarrache cet aveu mot par mot 1

Chère demoiselle Denise! combien jevous sais gré. d'avoir eu pitié. balbutiaCésaire, tremblantet rayonnantde joie. C'estdepuis le premier jour. la première fois queje suis entré ici, que je vous ai vue. Vous/étiez à cette même place, tenez. et j'aiéprouvé. j'ai. je vous ai aimée tout de'suite l

Et il tomba aux pieds de Denise, lui saisitla main et y appuya pieusement et passion-nément les lëvres.

Moi 1. moi! s'exc]ama-t-e!!e aussitôt enle repoussant avec une fébrile vivacité. Maisnon, non). Il ne s'agit pas de. C'était.Oh!

Et elle s'enfuit, toute consternée et affolée.

Claire n'eut pas de peine à abjurer lesespérancesque sa sœur fui avait insinuées etimposées, et a se résoudre définitivement aucélibat.Elle prolongea les stations qu'elle fai-

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sait matin et soir à TégHse dans !a chapellede Notre-Dame du Guet; puisant dans sesardentes effusions toutes ses forces et ses joies,et se consacra entièrement et sans retour aMarie, cette tendre Mère, et à son divin Fils,l'incomparable époux.

Gi]berte, pendant ce temps, la petite Gi)-berte, la plus jeune des demoiselles Juvigny,grandissait, vieillissaitplutôt. Elle touchait ases vingt-trois ans, lorsque Denise, de plusen plus convaincue des desagrémentset crève-cœur réservés aux vieilles filles lui annonçaqu'elle lui avait trouve un mari.

– Oui, ma c/tOMroM~ (un de ses petitsnoms d'amitié habituels que lui. fournissaitle patois local). Car je ne présume pas que.tu aies l'intention de nous imiter, Claire etmoi, n'est-ce pas? Rien ne remplace unhomme dans une famille, vois-tu, et il n'y aplus que toi sur. qui nous puissions comptermaintenant.'C'est à toi, ma Béberthe, qu'ilétait réservé de nous assurer un protecteurpour nos vieux.jours!

Bref, elle lui tint le même langage qu'elleavait tenu naguère à son autre soeur, et ter-mina parles mêmeschaleureusesexhbrtatioTts,les mêmes appels à l'abnégation etau sacrifice.

Gilberte, comme Claire, se soumit et donnacarte Manche &. Denise.

Mais, au moins, apprends-njoi qui tu asen vue? Dis~moi )e nom de l'heureùx môrt'et?J'ai beau chercher, me creuser la têfe.

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C'est qu'en effetles épouseurs n'abondaientpas à Popey, à la Ville-Haute surtout, malgrémêmel'appoint fourni par les bravesvétérans.Les filles du peuple pouvaient, à la rigueur,trouver bague à leur doigt, pètit vigneron,ouvrier tisserand, (rameMT- ou corsetier; maisles «

demoiselles de la classe bourgeoise, lesmaigres héritières de tel ancien inspecteurdes postes, tel ex-contrôleurdes contributionsou agent voyer principal, de tel capitaine ouchef de bataillon en retraite. Ah ce n'étaitpas chose facile de les pourvoir! Les filles dudocteur Juvigny en était la preuve. Outrequ'à Popey comme ailleurs, le « sans dotnn'est, auprès de nul ga] ant, un titre de recom-mandation, il y avait disette de jeunes gensa iaViUe-Haute. Leurs études terminées, leurdiplôme de bachelier en poche, les fils detous ces chétifs rentiers, de tous ces officierset fonctionnaires retraités, s'en allaient, quid'un côté, qui de l'autre, chercher leur gagne-pain, fourn'ir leur carriëre,– administrativeou militaire le plus souvent, quitte plustard, au bout de leurs trente ans de service,et suivant l'exemple paternel, à revenir man-ger leur pension et finir leurs jours sous cemême gai coin de ciel.

Gilberte, quoique n'ayant pas l'emnarrasdu choix, tant s'en faut, était bien excusablede ne pas deviner quel époux là tendre pré-voyance deson aînée avait réussi a découvrir?1 lui tenait en réserve. < L'heureux mortel

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n'était & Popey que depuis trois jours, etc'était le matin même, pas davantage, queDenise l'avait aperçu pour ta première fois.I) cheminait devant elle dans la Grand'Rue,comme elle remontait du marché, et elleavait eu tout loisirde remarquersa prestance,son allure distinguée, l'élégante coupe de sesvêtements; eHe avait même pu entrevoir uninstant, lorsqu'il s'était arrêté pour pénétrerdans )a maison du receveur de l'enregistre-ment, les traits de son visage, ses fines mous-taches noires, son intelligente et avenantephysionomie.

Quel est donc ce monsieur? avait-eHeaussitôt demandé à une voisine, vieiile NHe

comme elle, qui revenait aussi de faire sesprovisions. Ce monsieur qui entre là?.

C'est le successeur de M. Paradis, lenouveau receveur de l'enregistrement.M. Raymond Mansuy, qu'on l'appelle. Ilprend ses repas à l'hôtel du Lion d'Or. Jecrois même qu'il y couche, car il est garçon,faut vous dire.

–AhtUne bonne recrue pour les demoiselles

de la Ville-Haute,n'est-cepas donc, mam'zelleDenise?

Pour les jeunes, ouij mais pour lesvieilles comme nous, ma pauvre Sophie 1

Ohl nous, c'est bien fini1< Le fait est, rumina Denise, lorsque sa

voisine, M"" Sophie Camus, l'eut quittée, le

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fait est qu'il parait très convenable, tout àfait bien, ce monsieur. Raymond Mansuy.Il a je ne sais quoi de doux, de réservé, detimide presque, qui me plaît au delà de tout.Comme on voit tout de suite qu'il sort d'uneexcellente famille, qu'il a été parfaitementëievét Si je. Oui, si j'essayais! Gilberte,elle aussi, est très bien! n

Et, avec son exaltationaccoutumée,croyantdéjà le mariage en train, sinon décidé etconclu, elle s'empressa de faire part à sajeune sœur de sa découverteet de lui garantirla réussite de son dessein. Puis, sans plustarder, elle se mit en campagne et préparales avenues.

M"" de Woimbey, veuve d'un ancien rece-veur des finances, et qui, malgré ses soixante-cinq ans et un commencement de surdité,aimait à s'entourer de jeunesses,à donner àdîner et à baller dansson hôtel de la rue desCiouyeres, a )a Ville-Basse, venait de convo-quer à une sauterie son monde habituel. Enqualité de dame de charité, Denise âvait étéfréquemment en rapportavec elle; elle courutla voir, lui expliqua confidentiellement sonplan et la pria d'adresser une invitation àM. RaymondMansuy.

Pour la lui remettre, on pourrait,ajouta-t-eHe, se servir d~ M. Millot, un despensionnnaires du Lion d'Or, très lie déjà,m'a-t-on dit, avec M. Mansuy.

– C'es~ cela, parfait! repartit l'obiigeante

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Mme de Woimbey. Et je ferai en sorte s'i!accepte, car enfin de vous le présentermoi-même. Je le placerai a côté de notrecharmante petiteGilberte.Rapportez-vous-enà moi, chère demoiselle.

Ce qui fut dit fut fait. Le samedi suivant,a dix heures clochantes, Gilberte, chaperon-née par Denise, effectuait son entrée chezMme de Woimbey, tandis que Claire, qui avaitpour jamais renoncé à Satan et à ses pompes,était demeurée gardienne du logis en compa-gnie de Mme Juvigny.

M. Millot arriva bientôt, escorté de sonnouvel ami, M. Raymond Mansuy, qui remer-cia d'autant plus vivement la maîtresse de )amaison d'avoir bien voulu penser à lui, qu'ilétait étranger à la ville, tout nouvellementdébarque.

Et comptez-vous faire un long séjour aumilieu de nous? demanda Mme de Woimbeyavec son bon sourire habituel. Ces vilainesadministrations déplacent si capricieusementleur personnel!

Mon prédécesseur,M. Paradis, est restédeux ans à Popey; je présume y être main-tenu pendant ce même laps de temps, peut-être davantage.

– Je le souhaite pour nous, monsieur.Popey n'est pas une vii)e gaie et bruyante,tant s'en faut! Vous avez dû vous en aper-cevoir déjà? Vous vous y ennuierez, c'estcertain. Ne vous récriez pas! C'est ce qui

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me fait espérer que vous voudrez bien venirme voir de temps en temps.;– Madame t

– Nous ferons de notre mieux pour allé-ger cet ennui. En outre, si vous êtes bon mar-cheur et aimez les promenades, les distrac-tions ne vous manqueront pas, durant labelle saison tout au moins. Les bois du Haut-Juré, les friches de Savonnières, la gorge desFourchesou de Misère, l'entonnoirde Resson,les étangs de Sainte-Geneviève, la vaiiée de laSaulx, Jeand'heurs, Trois-Fontaines, quesais-je encore? offrent de très agréables butsd'excursion, de ravissants points de vue.Vous ayez' été à même déjà d'apprécier cescharmes, les.seuls que Popey puisse légitime-ment revendiquer. Vous habitez la Ville-Haute, n'est-ce pas, dans la maison deM. Paradis?La terrasse qui fait suite au jar-din domine, si mes souvenirs sont exacts,toute-la rue de Véel et le versant de Corotte,et l'on y jouit d'une fort belle vue.

Fort belle, en effet, madame.M. Mansuy n'était pas causeur, décidément,

et affectait, malgré sa jeunesse, une retenue,une gravité, empreinte, il est vrai, de cour-toisie, de respectueusecondescendance,maisfort gênante néanmoins pour Mme de Woim-bey. Celle-ci) de dépit de se voir si mal~secondée, changea de thèse, et, indiquantDenise et Gilberte assises à sa droite, reprit– Ces demoiselles sont vos voisines,préci-

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sément. M. jMansuy, receveur de l'enregis-trement, ma chère demoiselle Denise.M'~ Denise et Gilberte Juvigny, filles dudocteur Juvigny, dont vous entendrez souventparlerà Popey, monsieur Mansuy: un savantet un homme de bien, qui était la providencede tous les indigents, et qui est mort poureux. Un affreux répubiieain, par exempleacheva la vieille douairière avec un comiquehaussement d'épaules.

Ainsi retenu par M°" de Woimbey et surson invitation, M. Mansuy prit place vis-à-visd'elle et des demoiselles Juvigny. Denise dutbientôt soutenir à elle seule tout le poids dela conversation la maîtresse du logis avaità s'occuperde ses hôtes et le receveurnouveauvenu ne se départait pas de sa courtoise cir-coMpection. « Oui, mademoiselle. Eneffet t – Sans doute 1 Certainement, made-moiselle. » La pauvre Denise s'intriguait,s'ingéniait, s'évertuait à lui extirper quelquedétail personnel, quelque indice sur sonpassé, sur ses habitudes et ses goûts, etn'obtenait, en réponse,que debrèves locutionsconfirmatives, une exclamation ou quelqueinsignifiantlieu commun. Tout ce qu'elle par-vint à savoir, au bout d'une demi-heured'efforts et de ruses, c'est qu'il habitait htFlandre précédemment, qu'il arrivait deValenciennes, trouvait Popey charmant etétaitsûrde s'y plaire.

Comme les sons de l'orchestre retentissaient

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autour d'eux et que le flot des danseurs avaitenvahi la pièce, M. Mansuy, arrondissantsonbras, sollicita de son interlocutrice l'honneurde polker avec elle.

Oh moi, mon temps est passé 1 repar-tit allégrement Denise. Je suis une vieillefemme, et j'aurais honte de ne pas vousépargner cette corvée.

En galant cavalier, M. Mansuy protesta etréitéra sa demande; mais Denise tint ferme,

et comme il se tournait vers GilberteOui, faites danser ma sœur c'est de

son âge, à elle 1

Un mstantaprès, tandis que les deux jeunesgens tournoyaient, chastement enlacés l'un àl'autre, M"* de Woimbey rejoignit Denise.

Eh bien t où en sommes-nous ? Il paraîttrès bien, ce jeune homme, très distingué.Un peu sérieux cependant, n'est-ce pas? unpeu. un peu froid?

Oui, trop froid, trop fermé, mais fortbien, oh fort bien 1 Gilberte qui aime leshommes graves 1.

Vous me tiendrez au courant, bienentendu ? Ne manquez pas 1 Bonne chancet

acheva Mme de Woimbey en pressant sournoi-sement, –muette attestationde l'ardeur deses vœux, affectueux témoignage de compli-cité, – la main de Denise.

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Gilberte emporta de cette soirée un doux etréconfortant souvenir, une impression ineffa-çable. Avec sa belle mine, son élégante etimposantedistinction, son accorte et déférentediscrétion qui décelait la haute sagacitéde sonjugement, des trésors d'expérience, et atta-chait à chacune de ses rares paroles un'prixinestimable, Raymond Mansuyl'avait commefascinée.

Sa sœur Denise, toujours absorbéepar sonunique pensée, sa mission matrimoniale,toujours généreuse, empressée, remuante,ardenteetimprudenteaussi,toujpurs prompteà s'épancher, à s'exalter et & < s'emballervenait encore aviver cette flamme naissante,verser,de l'huile sur le feu.– Sais-t4 bien qu'il fait sensation à Popey,ton monsieur Raymond? D'un bout à l'autrede la ville, c'est à qui le prônera,l'encensera.Partout on le porte aux hues. Et, de fait, onn'est pas habitué a rencontrer un .jeunt!homme aussi. aussi accompli Dépéchons-nous, ma petite Gitberté, dépêchons-nousqu'on ne nous.te prenne pas'!

Peu dé jours après ]ë bal de M' dé Woim-bey,ù)ié aprës-mtdi,Déhise'reconduisaitu!ifournisseur et venait d'ouvrir ta porte de larue, quand elle aperçut a trois pas d'eHe;cheminant au milieu de la chaussée, M. Ray-mondMânsuy. En réponse au très gracieux

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et respectueux salut qu'il lui adressa, elle serisqua à l'arrêter au passage, lui demanda deses nouvelles; puis, d'un air tout souriant,enjoué, bon enfant, un air qui lui était habi-tuel

– Entrez donc un instant, sans façon, en,qualité de voisin t. Vous ferez connaissanceavec maman.

tl s'inclina en remerciant < Vous êtes tropbonne, vraiment, mademoiselle et suivit lavieille' fille. Après l'avoir présenté à Mme Ju-vigny et à Claire, elle l'invita à visiter lejardin et le conduisit, escortée de Gilberte,jusqu'à la tonnelle de clématiteset dehoublonqui garnissait la plus haute terrasse.

Quand il se fut rassasié de contemplerl'alpestre panorama déroulé devant lui, dansla fraîche et gaie lumière de ce soleil de mai,Denise fit un signe à Gilberte qui alla quérirune bouteillede bière mousseuse, de doublebière de mars, ainsi que trois verres qu'elleapporta, rangés sur un plateau.

– Mais vous me gâtez, mademoisellet serécria M. Mansuy.

Et comme il faisait mine de refuser– Oht mais ce n'est pas à votre intention

seule j'en boirai volontiers! riposta Denisetoute guillerette..Encore une chère et radieuse journée pour

'Gilberte, que Raym'ond, au'dire de la vieillefUIë, n'avait ëessé de reluquer, de dévorer

:.des yeux)1

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Le dimanche suivant, c'était, d'après leroulement établi par les dames Juvigny, àl'effet de ne pas laisser la maison seuledurant le temps des offices paroissiaux,c'était au tour de Claire et de la mamand'assister à la grand'messe, tandis que Deniseet Gilberte devaient se contenter de la messede' onze heures. Leur mère et leur sœur reve-nues au logis, Gilberte et son aînée se diri-gèrent vers l'église. Comme elles longeaientla Grand'Rue,elles aperçurent, arrêtéedevantla maison du receveur de l'enregistrement,une voiture de déménagement toute char-gée.

Ce sont les meubles de M. Mansuy quiviennent d'arriver, sans doute? remarquaGilberte.

Sùrement, val De qui voudrais-tu?.En quittantVaienciennes,il s'est fait expédierson mobilier par les messageries.

C'est cela, évidemment tLe banc des dames Juvigny se trouvait à'

l'entrée de l'église, sous les orgues. Les deuxsœurs y prirent place, comme le prêtre ter-minait l'épître.– Nous arrivons juste, murmura Denise.

Un peu plus).Un peu plus, l'évangile était dit, et pas

d'évangile, pas de messe valable.L'œil nxé sur leur paroissien ou tourne

vers l'.officiant, elles ne se laissaient distrairepar aucun bruit, aucun mouvement, et

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n'avaient à cœur que l'accomplissement deleurs dévotions.

A l'issue de la cérémonie, comme ellesvenaient de s'engager sous le porche latéralvoisin de leur stalle et en descendaient lesdegrés, elles se heurtèrent à M. Mansuy, qui.lui aussi, sortait de l'église. Une dame jeune,svelte, bien prise, vêtue avec une élégantesimplicité, s'appuyait sur son bras et donnaitl'autre main à un petit garçon de quatre oucinq ans.

Les deux sœurs se regardèrent, muettes destupeur, bouche bée, les yeux écarquillés. Ence moment même, M. Mansuy leur décochaitson plus galant coup de chapeau.

–Mesdemoise)]es, M'"c Mansuy, ma femme,qui est arrivée hier soir. Je vous l'amèneraitrès prochainement eHe se fera un plaisir.'Juyigny, dont jet'ai parlé, mon amie.

Quoique Denise, dans sa constante bonnehumeur et son inattéraMe optimisme, n'eûtpas tardé à se moquer elle-mêmela premièrede sa mésaventure et à se remettreen cam-pagne, & ta recherched'un mari pour Gilberte,ceHe-ei suivit les traces de ses aînées, et pritrang peu a peu, illicitement d'abord, douteu-sement, puis sans contesté, dans le régimentdes vieilles 6!!es.} M°'Jnvigny mourut.Un & un disparurent

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les anciens habitués de la maison d'autres,aussi ndëies, les remplacèrent, et, quoiqueles trois sœurs, plus ou moins courbées sousle poids de l'âge, fussent toutes grisonnantes,ces derniers venus, conservant la tradition deleurs prédécesseurs, disaient encore lesTrois Belles, la rue des Trois Belles, et, parcorruption, du Tribel.

Voilà comment, n'en déplaise à l'historio-graphe Cyrille-Eudoxe Fessecahier, la rue dela Tuerie perdit scur oom.~

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pagesHiatoirod'unbaiser. 8.'Duelamart. i7Len~fMged'Hermance. 45Lobracetet. MjLéadébutsdeBrigodin. 75JLepèredemadame. 85.Lajatretiëmdetamanée.MUaep6~itechanM,s.v.p. 99)Lejusticier.i. )HLepëroGatmiche. i2t,.Mi~ Fauvette. i35,t.<!b6uquetde)i)a9.t' i47~euLav)gp9n.I. 't53Laruedt!!iTroiaBe)Jes.?' iM\ii~V 158

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HISTOIRE D'UN BAISER