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ROUDH EL-KARTASHISTOIREDES

SOUVERAINS DU MAGHREB(ESPAGNE ET MAROC)

ET ANNALES DE LA VILLE DE FEZ

TRADUIT DE LARABE

PAR A. BEAUMIER,AGENT VICE-CONSUL DE FRANCE RABAT ET SAL (MAROC) CHEVALIER DE LA LGION DHONNEUR,, ETC. PUBLI SOUS LES .AUSPICES DU MINISTRE DES AFFAIRES TRANGRES.

PARISIMPRIM PAR AUTORISATION DU GARDE D ES SCEAUX

LIMPRIMERIE IMPRIALE.

MDCCCLX

ROUDH EL-KARTASHISTOIREDES

SOUVERAINS DU MAGHREB(ESPAGNE ET MAROC)

ET ANNALES DE LA VILLE DE FEZTRADUIT DE LARABE

PAR A. BEAUMIER,AGENT VICE-CONSUL DE FRANCE RABAT ET SAL (MAROC) CHEVALIER DE LA LGION DHONNEUR,, ETC. PUBLI SOUS LES .AUSPICES DU MINISTRE DES AFFAIRES TRANGRES.

PARISIMPRIM PAR AUTORISATION DU GARDE D ES SCEAUX

LIMPRIMERIE IMPRIALE.

MDCCCLX

Page 4

AVERTISSEMENTRoudh el-Kartas, le Jardin des feuillets, crit 1a cour de Fs, en 1326, sur les livres et les documents les plus authentiques de lpoque, par limam Abou Mohammed Salah ben Abd el-Halim, de Grenade, nous claire sur Cinq sicles et demi de lhistoire dOccident, durant lesquels cinq dynasties et quarante-huit mirs se sont succds sur le trne de Fs et de Maroc. Chacune de ces dynasties a eu sa capitale de prdilection et sa ncropole, o les tombeaux des anciens souverains sont aujourdhui encore vnrs comme des lieux saints ; chacune a laiss des monuments que lon peut dire imprissables. Lauteur commence son rcit la fuite dEdriss, cinquime descendant dAli, gendre du Prophte, qui, en lan 788 de Jsus-Christ, chass de lArabie, arrive dans le Maroc, y propage lIslamisme, btit Fs et londe la dynastie des Edrissites, qui rgnent pendant, deux cents ans. Les Zenta enlvent le pouvoir aux descendants dAli, se dclarent. Indpendants des Ommiades, matres de lEspagne, et, ne pouvant asseoir leur gouvernement Fs (la turbulente), fondent Oudjda, o ils maintiennent pendant quatre-vingts ans le sige de leur puissance. Les Almaoravides, slanant du Sahara occidental, parviennent renverser les Zentas fondent Maroc, leur capitale, et pntrent en Espagne la suite de :la sanglante bataille de Zalaca (1086 de J. -C.). Ils rgnent simultanment Maroc et Cordoue pendant soixante et dix-huit ans, avec le titre de Princes des Croyants, que les sultans du Maroc ont conserv depuis lors. En lan 1140 de Jsus-Christ, les Almohades, surgis de Tywml, ville de lAtlas (Daren), arrachent aux Almoravides Maroc, Fs, tout le nord de lAfrique jusqu Barka et la plus grande partie de lEspagne ; ils lvent son apoge la puissance musulmane en Occident (bataille dAlarcos, 1196 (le J.-C.), et marquent, par leur dsastre dHisn elOukab (Las Navas de Tolosa, 1212 de J. C.), la premire heure de sa dcadence. Pendant, un rgne de cent trente ans, les Almohades dient Gibraltar ; les quais, la kasbah, les fortications, laqueduc, la kasbah

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AVERTISSEMENT

et laqueduc de Fs; la kasbah, laqueduc et la grande tour de Maroc, la ville de Rabat et la tour de Hassan; Ies fortications dOudjda, de Mezemma et de Bads dans le Rif. Enn les Beny Meryn, anciens Arabes dOrient, confondus avec les Berbres de la lisire du Sahara, arrivent pour saisir et perdre pair; peu lhritage en lambeaux des Almohadess, dont ils ne, conservent que la partie comprise entre la Mouloua et lAtlantique, la cte du Rif et le Dsert, cest--dire le Maroc tel quil est encore aujourdhui. Les Beny Meryn dient successivement les nouvelles villes dAlgziras el-Djedid, Fs el-Djedid, Tlemcen el-Djedid et Oudjda, quils avaient rase au commencement de leur domination. Cest sous le rgne du neuvime souverain de cette dynastie des Beny Meryn qua vcu limam Abd el-Halm ; cest cette poque (1326 de J. C.) que sarrte son histoire. Roudh el-Kartas contient, en outre, les dates et quelquefois les descriptions des phnomnes clestes et des aux qui ont pouvant ou frapp lhumanit durant cette longue priode de plus de cinq sicles. Il donne les titres de certains ouvrages et les noms de divers personnagess de lpoque, auteurs, mdecins, lgistes et autres, et ces notes ne peuvent que faciliter les nouvelles recherches que lon pourrait faire, ds prsent, dans les bibliothques de Sville et de Cordoue, et qui se feront sans doute un jour dans celles, de Fs, o lauteur du Kartas nous dit que treize charges de manuscrits ont t dposes, en 684 (1285 J. C.), par lmir Youssef, qui les avait arrachs au roi de Sville, Sancho, ls dAlphonse X. Roudh el-Kartas, en nous faisant suivre la marche des armes dans toutes les directions de lempire maghrebin, nous donne encore de prcieux renseignements sur la topographie du Maroc. Le Maroc ! trange phnomne politique qui, en regard des ctes de lEurope et limitrophe de lAlgrie, est rest Jusqu ce jour end dehors des investigations des savants, des voyageurs et du courant, de la civilisation ! crit par un Musulman et pour des Musulmans, ce livre dvoile, enn, le caractre immuable de cette loi Intolrante qui peut toujours, dun moment lautre, reproduire ces excs de fanatisme sanglant qui viennent, une fois encore, de faire frmir tout le monde chrtien ! de cette religion du fatalisme qui paralyse seule lintelligence incontestable et la bonne nature de lArabe africain ! Aussi, au risque de sacrier quelquefois llgance du style lexactitude de la traduction, nous

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AVERTISSEMENT

sommes-nous appliqu reproduire en franais le texte arabe de limam Abd el-Halim dans toute son originalit, et mot mot, pour ainsi dire. En lisant cet ouvrage, quiconque a des rapports avec, les Musulmans reconnatra que les Arabes de nos jours pensent, agissent et crivent comme pensaient, agissaient et crivaient les Arabes du Roudh el-Kartas, il y a mille ans, et ce sera, entre autres enseignements, une observation pleine de consquences. Jai pu, crivait dernirement un juge trs comptent, M. Lon Roches, dans un rapport, ofciel sur la traduction de Roudh el-Kartas, jai pu comparer la correspondance des mirs entre eux, il y a huit cents ans, et celle des mirs avec les princes chrtiens ; il me semblait lire les lettres que lempereur du Maroc adressait, en 1844, son ls et au marchal Bugeaud, et qui ont t trouves la bataille dIsly En publiant notre traduction de Roudh el-Kartas, nous navons pas la .prtention doffrir une uvre inconnue la science ; les savants orientalistes ont pu, depuis longtemps, trouver dans les diffrentes bibliothques de Paris, dUpsal, de Wiborg, de Leyde et dOxford, des exemplaires arabes plus ou moins complets de cet intressant ouvrage, sur lesquels M. C. J. de Tornberg a fait sa remarquable traduction latine publie Upsal, en 1846, aux frais du gouvernement sudois. M. de Tornberg a plac, au commencement de son volume, un savant examen critique de ces divers manuscrits arabes, dont pas un seul exemplaire ne possde, daprs lui, un texte correct, et dont plusieurs seraient mme singulirement tronqus ou altrs. Notre traduction a t faite sur deux manuscrits arabes, les seuls que nous ayons pu nous procurer durant, quinze annes de recherches en Afrique. Le premier est une copie textuelle dun trs-ancien manuscrit (loriginal peut-tre), dpos dans la grande mosque de la ville de Maroc, faite par un thaleb que nous envoymes, cet effet, pendant notre sjour Mogador ; il porte la date de Maroc, an 1263 (1846 de J. C.). Le second a t trouv par nous quelques annes plus tard, Tunis, et porte la date de Fs, an 1100 (1688 de J. C.). Les orientalistes pourront consulter ce dernier exemplaire, qui est trs net et trs complet, la Bibliothque impriale de Paris, laquelle nous mous proposons den faire hommage aussitt aprs la publication de notre traduction.(1)_______________ 1 Nous nous proposons galement doffrir la bibliothque de Marseille

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AVERTISSEMENT.

Dans son examen critique, M. de Tornberg discute galement la valeur des diffrentes traductions du Kartas, qui ont t tentes plusieurs poques. La premire, qui existe la Bibliothque impriale de Paris, est un manuscrit franais, autographi de Ptis, de la Croix, termin le 28 novembre 1693. Une copie en a t donne la bibliothque dUpsal ; il est, dit M. de Tornberg, comme lbauche dun livre. Cest plutt une espce de paraphrase quune traduction dle, moins en rapport avec les termes quavec le, sens, du texte. Vient ensuite une traduction en allemand (Agram, 1794) de F. Dombay : Il sen faut de beaucoup, dit le savant sudois, que le livre de Dombay soit la traduction dle de louvrage de lauteur ; on peut, bon droit, ne la considrer que comme un abrg. En 1828, un pre de la Merci, Antonio Moura, homme dun rare talent dans la littrature arabe, t paratre une traduction en portugais plus conforme au texte, et destine mettre en lumire lhistoire du Portugal. Enn, Conde, dit toujours lauteur de lexamen critique que nous citons, a insr dans son livre trs-connu sur lhistoire dEspagne, traduite en allemand par Rutschmann, la presque totalit du Kartas, sans faire mention de lauteur, suivant son habitude Le jugement svre que Gayangos a nagure port sur le livre de Conde me parait dautant mieux fond quen le lisant avec attention, jy ai trouv de grossires erreurs qui ne pourraient sexpliquer si on navait constater que Conde tait mort avant que, son travail ft termin. En ce qui nous, concerne, nous devons humblement confesser que, lorsque nous fmes copier grands frais notre premier manuscrit dans la bibliothque de la mosque de Maroc, nous ignorions compltement lexistence des divers exemplaires rpandus en Europe, ainsi que des traductions qui en avaient t faites; ce nest quau moment de la publication de notre ouvrage que la connaissance du livre latin de M. de Tornberg nous a clair. Nanmoins, loin de rien regretter, nous trouvons, au contraire, dans le cas que nos matres paraissent avoir toujours fait de cet important livre dhistoire, le meilleur tmoignage de lutilit de notre travail. Nous esprons, dailleurs, quil mous sera tenu _____________notre manuscrit de Maroc, dont nous avons eu lhonneur de dposer la bibliothque du ministre des affaires trangres une belle copie, faite sous nos yeux, en 1858, Sal, par un des crivains du sultan Moulai Abd erRahman.

AVERTISSEMENT.

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compte davoir men n un pareil ouvrage, en saisissant, pour ainsi dire, les rares loisirs que nous ont laisss des fonctions publiques, actives et incessantes, pendant un sjour de quinze annes au Maroc et Tunis, o, moins heureux que le savant professeur dUpsal, nous navions, hlas ! aucune des ressources ni aucun des documents qui auraient pu faciliter ou abrger notre tche. Un mot sur le nom de lauteur et la signication du titre de Roudh el-Kartas. Lexamen critique de M. de Tornberg nous apprend quil sest lev, ce sujet, de nombreuses controverses. Sans avoir le droit de nous prononcer sur ces questions, nous nous bornerons dire quen concdant limam Abd-el-Halim lhonneur davoir crit le Kartas, nous nous sommes conform non-seulement aux textes de nos manuscrits arabes, mais encore lopinion unanime des foukha et des tholba ou savants marocains que nous avons consults. Ces rudits nous ont tous galement donn la mme explication du titre, assez bizarre il est vrai, de cet ouvrage. Selon eux, il serait ainsi nomm Roudh el-Kartas, le Jardin des feuillets, parce que limam Abd el-Halm a d recueillir une foule de notes, de documents, de feuillets pars pour les rassembler dans son livre, comme on rassemble des eurs dans un parterre. En rsum, nous navons dautre but, en publiant notre traduction, que de vulgariser un des pares ouvrages dhistoire marocaine qui jouissent, juste titre, de lestime gnrale des savants europens et des lettrs arabes. Cest parce que la connaissance du Roudh el-Kartas nous a rendu, nous-mme, les plus grands services dans nos rapports avec les Musulmans, que nous esprons faire une uvre utile en le livrant ltude pratique des hommes, nombreux aujourdhui, que leurs fonctions mettent en contact avec les Arabes ou qui ont intrt les connatre, et aux mditations de tous ceux qui soccupent de lhistoire et de lavenir de notre belle colonie dAfrique. Quil nous soit, permis, en terminant, dadresser ici un tmoignage public de notre profonde gratitude, A S. Exc. M. Thouvenel, ministre des affaires trangres, dont la haute bienveillance nous a mis mme dentreprendre la publication de notre ouvrage, et qui a daign nous autoriser le placer sous les auspices de son Dpartement ; A chacun des ministres du gouvernement protecteur de Sa Majest Impriale, qui ont honor notre livre du gnreux concours de leurs souscriptions ; A lImprimerie impriale de Paris ;

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AVERTISSEMENT.

A nos directeurs et sous-directeurs du ministre des affaires trangres ; A tous nos chefs et nos amis, qui nous ont assist de leurs conseils et de leurs encouragements dans laccomplissement de notre travail. Auguste BEAUMIER.

Paris le 15 octobre 1860.

Nota. Les ouvrages franais qui traitent des Arabes ont adopt chacun une orthographe particulire pour les noms de lieux et de personnes. Cette diversit dans les modes de reproduction en franais des lettres arabes est une cause permanente dobscurit et de difcults quil serait indispensable de faire disparatre. Nous croyons savoir que le ministre de lAlgrie, proccup juste titre de ces inconvnients, songe faire publier un dictionnaire ofciel de tous les noms arabes transcrits en caractres franais. En attendant cette utile publication, nous nous sommes conforms, autant que possible, en ce qui nous concerne, hiu lorthographe adopte par M. le baron de Slane dans son savant et bel ouvrage, lHistoire des Berbres.

ROUDH EL-KARTASHISTOIRE DES SOUVERAINS DU MAGHREBET

ANNALES DE LA VILLE DE FS.Au nom de Dieu clment et misricordieux! Que Dieu rpande ses bndictions sur notre seigneur Mohammed, sa famille et ses compagnons, et leur accorde le salut ! Il ny a de force et de puissance quen Dieu trs-haut, trs-magnique ! Le chehh, limam distingu, savant et sage, vers dans le hadits, Abou Mohammed Salah ben Abd el-Halim, que le Trs-haut lui fasse misricorde et lagre, amen ! a dit : Louanges Dieu qui conduit toutes choses selon sa volont et sa direction, qui aplanit les difcult par son soutien et son concours, qui a cr toutes choses dans sa sagesse et leur a donn leurs formes, qui a donn la vie ses cratures par son pouvoir et leur a dispens les choses ncessaires leurs besoins ! Je lui adresse mes louanges, et mes louanges sont celles dun homme qui connat sa faiblesse et les bienfaits du Seigneur. Il ny a de Dieu que Dieu seul, il na pas dassoci ! Je le tmoigne du fond de mon cur et de ma pense, Je tmoigne aussi que notre seigneur Mohammed est le serviteur et lenvoy de Dieu, qui la lu pour remplir sa mission, et dont il a mrit lamiti, les bienfaits et la toute-bont. Que le Trs-haut rpande ses bndictions sur lui et sur sa famille juste et pure, sur ses femmes sans taches quil a exemptes de souillures ! Que Dieu soit propice ses compagnons qui, les premiers, lont suivi dans la foi et la victoire, lui ont port honneur et respect, et ceux qui les ont suivis et qui les suivront jusquau jour de la rsurrection dans la voie du bien ! Que cette prire sont faite aussi longtemps que la nuit aura ses tnbres et le jour sa lumire ! Je prie aussi pour lHeureux rgne des Mryn, ls dOthman. Que Dieu lve leurs- ordres et leur puissance ! Quil conserve leur gouvernement aussi longtemps que les jours ! Quil les comble de grandeurs et de prosprits, leur donne la victoire et des conqutes clatantes ! Ensuite, que Dieu prolonge la vie de notre matre le khalife, limam qui chrit et lve

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HISTOIRE DES SOUVERAINS DU MAGHREB.

lislam, qui dteste et dompte lindle, la couronne qui rpand la justice, qui dcouvre et confond linjustice, le prince du temps, lornement lu sicle, le dfenseur de la religion et de la foi, lmir des musulmans, Abou Sad Othman, ls de notre matre, le protg, le victorieux, le roi, ladorateur, laustre, le juste qui excelle en toutes choses, le prtre de, la justice, le soutien de la vrit, lmir des musulmans, Abou Youssef Yacoub ben Abd el-Hakk ! Que Dieu rende notre matre victorieux ! Quil le protge, ternise son gouvernement et ses jours ! Quil comble de bonheur et de victoires sa bannire et ses enseignes ! Quil lui ouvre les rgions de lOrient et de 1Occident ! Quil fasse tomber les ttes de ses ennemis pour quil puisse monter sur leur s cols on temps de paix ou de guerre ! Quil lui donne des victoires clatantes ! Quil laisse le khalifat ses descendants jusquau jour de la rsurrection, et que ses descendants le conservent et le fassent revivre sans cesse ! Quils lvent sa lumire ! Quils le prservent du mal ! Puissent la prosprit. accompagner leurs affaires, la joie tre toujours sur leur seuil, la victoire unie leur bannire, et puissent tous les curs les aimer aussi longtemps que les teintes varies de laurore coloreront le vtement de la nuit, et que les oiseaux chanteront et gazouilleront soir les arbres ! Je prie pour notre matre qui ne cesse de dfendre lislam, qui combat dans la vrit pour cette vie et pour lautre, qui donne sans ostentation, et chez qui lon trouve ce que lon dsire. Et, lorsque jai vu la gnrosit de cet heureux gouvernement, que Dieu lternise ! ce rgne semblable un collier de perles prcieuses, dont toutes les bouches chantent les louanges et dont toutes les actions tincellent, jetant partout leur clart, ce rgne quune resplendissante lumire soutiendra jamais ; ce prince qui suit lexemple de ses anctres et ne peut pas prir : jai voulu aussi en tracer les beauts et chercher les rendre accomplies. Jai essay dcrire ses grandeurs dans cet ouvrage; mais elles sont telles que je nai pu les exprimer par des mots. Je me suis plac sous lombre de cette cour, et jen ai bu leau douce ! Mon livre, dune tendue moyenne, contient les beaux faits de lhistoire ; il runit les principales poques, leurs merveilles et leurs prodiges. Il contient aussi lhistoire des rois et des hommes illustres de lantiquit, et la dure des dynasties anciennes, leurs rgnes, leurs origines, leurs ges, leurs gouvernements, leurs guerres, leur conduite envers leurs peuples, leurs constructions dans le Maghreb, leurs conqutes dans les rgions diverses, la description de leurs chteaux et de leurs forteresses, les impts quils ont perus. Jnumre mir par mir, roi par roi, khalife par khalife, sicle par sicle, selon leur rang et leur mrite, depuis le commencement du rgne du chrif Edriss ; ls dAbd Allah el-Hossen jusqu nos jours. Jy ai mis tous mes soins, jy ai employ tous mes efforts, jy ai

ET ANNALES DE LA VILLE DE FS.

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consacr tout mon temps. Jai demand Dieu si mon uvre lui serait agrable. Je lai pri de me secourir. Dieu ma entendu et je dois la Russite ses bienfaits et la bndiction de notre matre, lmir des musulmans. Jai rassembl ce joli recueil en choisissant les perles des principaux livres dhistoire authentiques. Je nai dcrit que les faits vritables et je me suis born aux explications essentielles, en renvoyant pour plus de dtails aux ouvrages dont je me suis servi. Jai ajout ce que jai appris moi-mme des chekhs de lhistoire, de mes collgues, et des crivains contemporains, tous gens honntes et dignes de foi, dont je connais la .vie et lorigine, que jaurais rapportes si je navais craint de surcharger -et obscurcir mon livre de choses inutiles. Jai cherch dire le plus de choses possible en peu de mots, et jai ainsi fait un livre dtendue moyenne, ce qui est prfrable tout, comme le savent les sectateurs du Prophte (que Dieu le comble de bndictions !), au prcepte duquel je me suis conform.. Dans le hadits, il est dit quun jour Mohammed, conversant avec ses compagnons, leur apprit que, de toutes choses, la moyenne est la meilleure. Jai intitul mon livre Roudh el-Kartas (Jardin des feuillets), Histoire des souverains du Maghreb et annales de la ville de Fs. Que Dieu prserve mon ouvrage derreurs, il ne contient que ce que jai pens. Puiss-je en tre rcompens ! Que le Seigneur nous conserve notre matre, lmir des musulmans, que son rgne soit au-dessus de tous les rgnes, et que ses ennemis lui soient soumis, que sa puissance soit victorieuse et ses jours chris de tous ! Il ny a de Dieu que Dieu, et de bien que son bien !

ANNALESDES

SOUVERAINS DU MAGHREB,DEPUIS LES EDRISSITES HOSSENIEINS (que Dieu les agre !), LEUR HISTOIRE ET CELLE DE LA VILLE DE FS, BTIE PAR EUX,DEMEURE DE LEURS PRINCES ET SIGE DE LEUR GOUVERNEMENT.

Lauteur de ce livre (que Dieu lui pardonne !) raconte ainsi les motifs de la venue et de ltablissement dans le Maghreb des Edrissites Hosseniens. Limam Mohammed, ls dAbd Allah, ls dHossen, ls del-Hossen, ls dAli, ls dAbou Thaleb (que Dieu les agre !), stait soulev contre Abou Djafar el-Mansour, lAbbassite, prince des musulmans dans lHedjaz, dont il blamait la tyrannie et les iniquits ; on tait alors dans lanne 145 (762 J. C.) : El-Mansour envoya Mdine une grande arme qui chassa limam Mohammed et sempara de sa famille et de ses amis. Limam, stant chapp, se dirigea secrtement vers les pays de la Nubie, o il demeura Jusqu la mort del-Mansour (que Dieu lui fasse misricorde !). El-Mehdi; ls del-Mansour, devint khalife la place de son pre ; Mohamnaed ben Abd Allah ben Hossen partit pour la Mecque lpoque du Mousam, et, son arrive, il convoqua le peuple pour se faire proclamer souverain ; un nombreux parti laccueillit, et les habitants de la Mecque et de Mdine, ainsi quun grand nombre dhommes de lHedjaz, se soumirent lui. Mohammed fut surnomm le Probe, cause de sa dvotion et de son extrme probit, de ses aumnes, de son abstinence, de sa science et de ses bienfaits. Il avait six frres : Yahya, Soliman, Ibrahim, Assa; Ali et Edriss; il en dpcha plusieurs dans les principaux pays, avec mission de faire reconnatre sa souverainet. Ali, quil envoya en Ifrkya, fait accueilli par un grand nombre de tribus berbres, mais il mourut avant davoir atteint son but. Yahya, qui fut envoy au Khorassan, y demeura jusqu lpoque de la mort de son frre Mohammed, o il se rfugia dans le pays de Delem. Il y fut bien reu, parvint sy faire reconnatre souverain, et devint trs-puissant. Le khalife el-Rachid, aprs avoir vainement envoy ses armes contre lui, fut oblig demployer la ruse, et parvint lattirer sa cour en lui donnant laman. Yahya resta quelque temps auprs du khalife et nit par y tre empoisonn. Soliman alla en gypte, et y demeura jusqu ce quil et appris la mort de Mohammed son frre ; alors il passa successivement dans le Soudan, dans

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HISTOIRE DES SOUVERAINS DU MAGHREB

le Zb africain(1), et arriva enn Tlemcen ; ville, du Maghreb, o il se xa. Il eut un grand nombre denfants, qui, plus tard, lpoque de son frre Edriss, prirent le nom dHosseniens, cause de leur descendance de Soliman, ls dAbd Allah, ls dHossen. Ce fut aussi alors, dit-on, que ces Hosseiniens se rpandirent dans le sud, et pntrrent jusque dans le Sous el-Aksa(2). Cependant limam Mohammed tant devenu fort et puissant la Mecque, en sortit avec une nombreuse troupe de soldats de lHedjaz, de lYmen et dautres lieux, pour attaquer larme del-Mehdi. La rencontre eut lieu un endroit connu sous le nom de Fadj, situ six milles de la Mecque (que Dieu lennoblisse !). Un grand combat fut livr, et le massacre fut sanglant. Limam Mohammed fut tu (que Dieu lui fasse misricorde !), son arme mise en droute, la majeure partie de ses soldats massacrs, et les autres disperss et mis en fuite. Les cadavres furent abandonns sur le champ de bataille, tant ils taient nombreux, et devinrent la proie des oiseaux et des lions. Le combat eut lieu un samedi, jour de Trouyat(3), 8 du mois doul hidj de lanne 169 (786). Ibrahim, qui fut du nombre des fuyards, vint chercher asile Bassora, o il se xa. Il continua faire la guerre ses ennemis, jusqu ce quil et trouv la mort dans un combat (que Dieu lui pardonne !) Edriss, aprs la mort de son frre et des siens, prit 1a rsolution de se rfugier dans le Maghreb. Il sortit, dguis, de la Mecque, accompagn dun ancien serviteur, nomm Rachid, passa en gypte, et arriva dans la capitale, qui tait gouverne par un des lieutenants del-Mehdi, nomm Ali ben Soliman el-Hachemy. Edriss et son serviteur rent halte en cette ville, et, un jour; tandis quils parcouraient les places et les rues, ils sarrtrent devant une fort belle maison, dont ils se mirent contempler larchitecture et lextrieur remarquable. En ce moment le matre du logis sortit, les salua, et, aprs quils eurent rendu le salut, leur demanda pourquoi ils considraient ainsi cet dice. Seigneur, rpondit Rachid, nous admirons sa grandeur, son architecture et sa solidit. Vous tes trangers, ce que je vois ? dit cet homme. Puisse notre venue vous tre propice ! nous sommes trangers. Quel est votre pays ? LHedjaz. Et de quelle ville de lEldjaz tesvous ? Nous sommes de la Mecque. Appartiendriez-vous aux descendants dHossen, et seriez-vous du nombre de ceux qui ont pris la fuite aprs_________________ 1 Zb, ancienne province dAfrique, dont le chef-lieu tait Biskera. 2 Sous el-Aksa, province extrme de la Mauritanie, chef-lieu Tarudant. (Gographie dAboulfda et dIdirisi.) 3 jour de la boisson ; cest le jour o les plerins de la Mecque boivent leau du puits de Zemzem.

ET ANNALES DE LA VILLE DE FS.

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la dfaite de Fadj ? A, cette question, Edriss et Rachid furent sur le point de dguiser la vrit. pour cacher leurs affaires ; mais, leur interlocuteur leur ayant paru bon et bienfaisant, Rachid rpondit ; Seigneur, sur votre physionomie il nous a sembl que nous navions que le bien attendre de vous ; car vos actions doivent-tre comme la srnit de votre front et la joue de votre visage. Cependant, si nous nous faisions connatre vous, si nous vous disions nos affaires, garderiez vous le secret ? Je vous le promets, au nom du Seigneur de la Kaaba ! Je cacherai vos affaires ; je garderai vos secrets, et je ferai tout ce qui me sera possible pour votre bien. - Cest ce que nous avions pens de vous, et ce que nous attendions de votre bienfaisance, reprit Rachid. Eh bien, voici Edriss, descendant dHossein, ls dAli, ls dAbou Thaleb (que Dieu les agre tous !), et je suis son serviteur Rachid, et je lai accompagn dans la fuite, parce que je craignais quil ne perdt la vie avant quil et atteint le Maghreb. Rassurez-vous donc, et cessez de craindre. Jappartiens aussi au peuple de la Mecque, je suis un de ses serviteurs, et, comme tel, je dois tre le premier garder ses secrets et faire tout ce qui est en mon pouvoir pour son bien. Soyez donc sans peur, sans soupons, car vous tes mes htes. Ils entrrent alors dans la maison, et ils y demeurrent quelque temps, combls dattentions et de gnrosits. Cependant le gouverneur Ali ben Soliman el-Hachemy, ayant t inform de la prsence de ces trangers, t venir lhte qui les avait accueillis, et lui dit : Je sais que tu donnes refuge chez toi deux hommes, et le commandeur des croyants a ordonn de poursuivre les Hosseniens, et de faire prir tous ceux que lon dcouvrirait. Il a envoy ses cavaliers sur les chemins pour les chercher, et il a plac des gardes :sur les routes de la ville, pour visiter les caravanes, an que nul ne passe avant davoir fait reconnatre son identit, expliqu sers affaires, et dclar do il vient et o, il va. Je ne veux point pourtant faire verser le sang du peuple de la Mecque, ni tre cause quil lui arrive aucun mal. Je donne dont laman toi et tes htes ; va les trouver, et fais que dans trois jours ils ne punissent plus tre en mon pouvoir ! Lgyptien se rendit immdiatement auprs dEdriss et de Rachid, leur t connatre ce dont il sagissait, et soccupa aussitt des prparatifs de leur dpart pour le Maghreb. Il ,acheta trois btes de somme, dont une pour lui, t dabondantes provisions, et se . munit de tout ce qui tait ncessaire pour aller en Ifrkya. Il dit, ensuite Rachid : Sors avec la foule par la grande route, tandis quEdriss et moi nous prendrons un chemin dtourn et solitaire. La ville de Barka sera le lieu de notre rendez-vous, et, nous ty attendrons; car l nous serons labri des poursuites. - Ton avis est le mien, rpondit Rachid ; et, stant dguis en marchand, il sortit par, la grande

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HISTOIRE DES SOUVERAINS DU MAGHREB

route avec la foule. Edriss et lgyptien partirent aussi, et, suivant toujours les lieux dserts, ils arrivrent la ville de Barka ; ils attendirent la venue de Rachid, et alors lgyptien, ayant renouvel les provisions et tout ce qui tait ncessaire pour la continuation du voyage de ses htes, leur dit adieu et retourna dans son pays. Edriss et: Rachid se mirent en route travers lIfrkya, et marchrent grandes journes jusqu ce quils eussent atteint la ville de Kairouan, o ils se reposrent quelque temps avant de reprendre leur voyage vers le Maghreb el-Aksa. Rachid tait de ceux qui runissent en eux le courage, la science, la prudence, la force, lesprit, la religion et la puret de la famille par excellence. En sortant de Kairouan, il revtit par prcaution Edriss dune robe de laine ordinaire et dun turban grossier, et, lui donnant des ordres, il affectait de le traiter comme un domestique. Ils allrent ainsi jusqu Tlemcen, do, aprs stre reposs quelques jours, ils se dirigrent, vers les terres de Tanger, et ayant pass lOued Mouloua, ils entrrent dans le Sous el-Adna. Le Sous el-Adna est compris entre la Mouiloua et la rivire Oumm el-Rebya. Cest la terre productive du Maghreb ; elle est dune merveilleuse abondance. Le Sous el-Aksa est compris entre Tedla et le Djebel Dern. Edriss et son serviteur marchrent jusqu ce quils eussent atteint, la ville de Tanger. Tanger tait alors la capitale du Maghreb, la mre de ses villes, la plus belle alors et la plus vieille. Mais jai dj parl de sa fondation et de ses annales dans mon grand ouvrage intitul Zohrat el-Boustn Akhbr el-Zeman. Edriss et Rachid. demeurrent quelque temps Tanger ; mais ils ne purent sy plaire, et ils se remirent en route. Ils arrivrent Oualily(1), cheflieu des montagnes de Zraoun. Oualily tait une ville entoure de superbes murs de construction antique, et situe au milieu de belles tertres, abondamment arroses et couvertes doliviers et de plantations. Edriss descendit chez le chef dOualily, nomm Abd el-Medjid, qui le reut gnreusement, et qui, en lui entendant conter son histoire, donna les plus grandes marques de joie, laccueillit dans sa propre maison et le servit en cherchant prvenir tous ses dsirs. Ce fut lan 172 (788 J. C.) quEdrisss entra dans le Maghreb. Son arrive chez Abd el-Medjid Oualily eut lieu dans les premiers jours du mois bni raby el-aouel de la mme anne. Edriss demeurait depuis six mois Oualily, lorsque dans le commencement du ramadhan de ladite anne, Abd el-Medjid, ayant rassembl ses frres et les Kabyles dOuaraba, leur t connatre lhistoire dEdriss, ses vertus et sa parent avec le prophte de Dieu (que le Seigneur le comble de____________________ 1 Oualily, aujourdhui Zaoua Moula Edriss, situe deux des montagnes de Zraoun, vingt myriamtres environ de Fs et en vue de Mekens. Lien saint inaccessible aux indles.

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bndictions et lui accorde le salut). Il leur parla de sa noblesse, de sa science, de sa religion et de toutes les autres bonnes qualits qui taient runies en lui. Lou soit Dieu qui nous l donn ! scrirent les Kabyles. Sa prsence au milieu de nous, nous ennoblit ; car il est notre matre et nous sommes ses esclaves, prts mourir, pour lui ! Mais dites : Que dsirezvous de nous ? Proclamez-le souverain, rpondit Abd el-Medjid. Nous avons entendu; quil soit notre souverain, quil reoive ici le serment de notre Soumission et de notre dlit !HISTOIRE DU RGNE DE LIMAM EDRISS LHOSSENIEN, PREMIER IMAM SOUVERAIN DU MAGHREB.

Edriss, ls dAbd Allah, ls dHossein, ls del-Hossen, ls dAli, ls dAbou Thaleb (que Dieu les agre !), se montra en public dans la ville dOualily, le vendredi quatrime jour du mois de Dieu ramadhan de lanne 172. La tribu des Ouaraba fut la premire le saluer souverain; elle lui donna le commandement et la direction du culte, de la guerre et des biens. Ouaraba tait cette poque la plus grande des tribus du Maghreb ; puissante et nombreuse, elle tait terrible dans les combats. Vinrent ensuite la tribu des Zenta et des fragments des tribus berbres de Zouakhta, Zouagha, Lemmaya, Louata, Sedretta, Khyata, Nefrata, Mekensa et Ghoumra, qui le proclamrent et se soumirent, lui. Edriss affermit son gouvernement et son pouvoir ; de toutes parts ou venait en foule lui rendre hommage. Bientt devenu puissant, il se mit la tte dune immense arme, compose des principaux dentre les Zenta, Ouaraba, Senhadja et Houar, et il sortit pour faire une razia clans le pays de Temsena. Il se porta dabord sur la ville de Chella, qui tait la plus proche, et sen empara. Il soumit ensuite une, partie du pays de Temsena et se dirigea sur Tedla, dont, il enleva les forteresses et les retranchements. Il ny avait dans ce pays que quelques musulmans ; les chrtiens et les juifs y taient trs-nombreux ; Edriss leur t tous embrasser la religion de Mohammed. Limam Edriss revint Oualily, o il t son entre la n du mois doul-hidj de ladite anne 172. Il y passa le moharrem, premier mois de lan 173 (789 J. C.), pour donner ses gens le temps de se reposer, et il sortit de nouveau pour aller soumettre ce qui restait encore dans le Maghreb de Berbres, chrtiens, juifs ou idoltres. Ceux-ci taient retranchs et fortis sur des montagnes et dans des chteaux inaccessibles; nanmoins, limam ne cessa de les attaquer et de les combattre que lorsquils eurent tous, de gr ou de force, embrass lislamisme. Il sempara de leur terres et de leurs retranchements ; il t prir la plus grande partie de ceux qui ne voulurent pas se soumettre lislam, et, dpouilla les autres de leurs familles et de leurs biens. Il ravagea le pays, dtruisit les forteresses des Beni Louata, des

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Mediouna, des Haloula et les citadelles .des Khyata et de Fs ; il revint alors Oualily et y entra vers le milieu de djoumada el-alchira de la mme anne 173. Un mois aprs, vers le 15 de radjeb, son arme tant repose, limam se remit en campagne et se porta sur Tlemcen, qui tait occupe par lies tribus des Mahgraoua et des Beni Yfran. tant arriv dans les environs de cette ville, il campa, et aussitt lmir Mohammed ben Ghazen ben Soulat el-Maghraouy el-Ghazy, qui la commandait, vint vers lui pour demander laman. Edriss le lui accorda, et reut sur le lieu mme la soumission de Mohammed ben Ghazen et de tous ceux qui laccompagnaient. Limam entra sans coup frir Tlemcen, donna laman au peuple et, dia une belle mosque, quil orna dune chaire sur laquelle il t graver ces mots : Au nom de Dieu clment et misricordieux. Ce temple a t lev par les ordres de limam Edriss ben Abd Allah ben Hossein ben elHossen ben Ali ben Abou Thaleb, que Dieu les agre ! On tait alors au mois de safar de lanne 174 (180 J. C.). Sur ces entrefaites, on annona au, khalife Rachid quEdriss avait conquis le Maghreb, que toutes les tribus lavaient proclam souverain, et quil stait empar de la ville de Tlemcen, o il avait fait lever une mosque. On linforma galement du courage entreprenant de limam, de ses moyens, du grand nombre de ses sujets et de leur, puissance la guerre, et on lui parla du dessein quil avait conu de semparer de lIfrkya. A ces nouvelles, le khalife craignit quEdriss, rendu puissant, ne vnt un jour lattaquer, car il nignorait pas ses bonnes qualits et lamour que les hommes portaient ceux qui appartenaient la famille du Prophte. (Que lieu le comble de bndictions et lui accorde le salut !) Cette pense lpouvanta et linquita vivement ; il envoya chercher son premier ministre Yhya ben Khaled ben Bermak, homme puissant et entendu dans les affaires du gouvernement, pour lui raconter ce quil venait dapprendre, et lui demander conseil. Il lui dit quEdriss descendait dAli ls dAbou Thaleb et de Fatime, lle du Prophte (que; Dieu le comble de bienfaits et lui accorde le salut !), quil avait affermi sa souverainet quil commandait de nombreuses troupes, et quil stait empar de la ville de Tlemcen. Tu sais, ajouta le khalife que Tlemcen est la porte de lIfrkya, et que celui qui se rend matre de la porte est bientt matre de la maison entire. Javais rsolu denvoyer une forte arme pour faire prir Edriss ; mais ayant ensuite rchi lloignement du pays, la longueur de la route qui spare lOrient de lOccident, jai vu quil tait impossible aux armes de lIrak daller jusque redans le Sous, qui est situ lOccident, et jai chang davis ; je ne sais que faire, donne-moi donc tes conseils. Mon opinion, rpondit Yhya ben Khaled, est que vous envoyiez un homme rsolu, rus, loquent et

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audacieux, qui tuera votre ennemi et vous en dbarrassera. Cest bien, Yhya, ton opinion est bonne ; mais o trouver cet homme ? Prince des croyants, reprit le ministre, je connais parmi les gens de votre suite un individu nomm Soliman ben Djrir, entreprenant, audacieux, fourbe et mchant, fort en discussion, loquent et rus : vous pourriez lenvoyer. Quil parte ]instant, dit le khalife, Aussitt le ministre se rendit chez Soliman ben Djrir, lui apprit ce dont il sagissait et la mission dont le chargeait le prince des croyants, en lui promettant en rcompense de llever aux premires dignits et de le combler de richesses et de biens ; il le munit de tout ce qui pouvait lui tre ncessaire et le congdia. Soliman ben Djrir partit de Bagdad, et marcha avec diligence jusqu son arrive dans le Maghreb. Il se heurta Edriss dans la ville dOualily et le salua. Limam lui ayant demand son nom, son origine, sa rsidence Habituelle et le motif de son voyage, il rpondit quil tait un des anciens serviteurs de son pre, et quayant eu de ses nouvelles, il tait venu vers lui pour lui offrir ses services, sa dlit, et le dvouement quil professait pour ceux de :la famille par excellence, qui taient suprieurs tous et ntaient comparables qu eux-mmes. Edriss, tranquillis par ces paroles, laccueillit avec joie, lui accorda sa conance et son estime, et bientt il ne lui permit plus de le quitter. Jusque-l limam ne stait attach particulirement personne, parce que, cette poque, les habitants du Maghreb taient grossiers et barbares; mais, reconnaissant la politesse, lesprit, les talents et la science quil y avait chez Soliman ben Djrir, il lui accorda son affection entire. Dans les assembles o Edriss sigeait au milieu des principaux Berbres et Kabyles, Soliman prenait la parole, parlait des vertus et de la saintet de la famille, par excellence, et, faisant venir le discours sur limam Edriss, il disait que lui seul tait imam, et quil ny avait dimam que lui. Il appuyait son raisonnement de dmonstrations et de preuves videntes, et gagnait ainsi le cur dEdriss. Mais tandis que celui-ci, frapp de tant desprit., de talent et de connaissances, ladmirait et laimait toujours plus, Soliman cherchait le moyen et le moment de tuer limam, chose jusque-l impossible, car Rachid le serviteur ne quittait jamais son matre. Enn, il arriva un jour que Rachid dut sortir pour faire quelques visites. Ben Djrir vint chez limam selon sa coutume, sassit auprs de lui et lui adressa quelques paroles. Bien certain de labsence de Rachid, il crut avoir trouv loccasion favorable de mettre son projet excution, et il dit Edriss : Seigneur, puiss-je vous tre propice ! Jai apport avec moi de lOrient un acon dessence odorifrante, et, comme il ny en a point dans ce pays, jai pens que ctait vous quil appartenait den faire usage plutt qu moi, qui ne suis rien auprs de vous, et cest l ce que jai vous offrir. En mme

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temps il sortit un acon et le donna Edriss, qui, aprs lavoir remerci beaucoup de cette attention, louvrit et se mit en respirer le parfum. Ce quayant vu, Soliman ben Djrir, qui savait avoir atteint son but, se leva et sortit tranquillement, feignant davoir un besoin satisfaire.; il, se rendit chez lui, et aussitt, sautant sur un superbe cheval, excellent coursier, quil tenait toujours prt lvnement, il sortit de la ville dOualily, pour se mettre en sret par la fuite. Le acon tait empoisonn. A peine Edriss eut-il respir lessence, que le poison, lui montant la tte et se rpandant bientt dans le cerveau, ltourdit, et il tomba sans connaissance la face contre terre, de sorte que personne ne put savoir ce quil avait, avant que Ben Djrir, auquel on ne pensait pas, se ft dj fort loign. Limam resta dans cet tat jusquau soir et rendit lme (que Dieu lui fasse misricorde !. Ds que le serviteur Rachid avait t inform de ce qui se passait, il tait accouru en toute hte et tait arriv auprs de son matre, qui respirait, encore, mais qui ne pouvait dj plus profrer un seul mot, tant la mort tait proche. Rachid, ananti et ne sachant quoi attribuer ce malheur, demeura au chevet dEdriss jusquau dernier moment. Limam Edriss mourut dans les derniers jours du. mois de raby el-aouel, an 177 (793 J. C.), aprs avoir gouvern le Maghreb pendant cinq ans et sept mois. On nest pas daccord sur le genre dempoisonnement dont fut victime limam ; outre la version de lessence que lon vient de raconter, il en est dautres qui rapportent quEdriss sempoisonna en mangeant du chabel (alose), on bien des anguilles. Ceux-ci sappuyent sur ce que limam fut pris durant son agonie dun relchement des parties gnitales. Dieu connat la vrit ! Cependant, aprs quon eut enseveli Edriss, Rachid demanda o tait Soliman ben Djrir. On ne sut o le trouver, et bientt des gens venus du dehors donnrent la nouvelle quils lavaient rencontr une distance de plusieurs milles de la ville. On comprit alors que ctait lui qui avait empoisonn limam, et aussitt un grand nombre de Berbres et Rachid luimme, montant cheval, partirent sa poursuite : la nuit ne les arrta point, et ils coururent tant que les chevaux eurent de forces ; ils succombrent tous, except celui de Rachid, qui seul atteignit le fuyard au moment o il passait lOued Mouloua. Rachid se prcipita sur Soliman, lui coupa la main droite et lui porta trois coups de sabre sur la tte ; mais son cheval tait bout de forces, et il fut oblig de sarrter avant, davoir tu le tratre qui, mutil et couvent de sang, continua fuir. Ben Djrir arriva dans lIrak: des gens venus plus tard de Bagdad afrmrent lavoir vu manchot du bras droit, et marqu de plusieurs cicatrices la tte. Rachid, abandonnant la poursuite, retourna la ville pour tranquilliser

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la population par sa prsence et faire lever, un tombeau limam. (Que Dieu trs-haut lui fasse misricorde et lagre !) Edriss mourut sans enfants, mais il laissa sa femme enceinte. Mohammed Abd el-Malek ben Mohammed el-Ourak dit avoir lu, dans louvrage intitul Ed-Mekabs, dans El-Bekry, El-Bernoussy et plusieurs autres auteurs, qui traitent de lhistoire des Edrissites, que limam Edriss, ls dAbd Allah, qui navait point eu denfants durant sa vie, laissa, en mourant, sa femme, Berbre de naissance et nomme Khanza, enceinte de sept mois. Rachid, aprs avoir achev de rendre les derniers devoirs son matre, rassembla les chefs des tribus des principaux du peuple. Limam Edriss, leur dit-il, est mort sans enfants, mais Khanza, sa femme, est enceinte de sept mois, et, si vous le voulez bien, nous attendrons jusquau jour de son accouchement pour prendre un parti. Sil nat un garon, nous llverons, et, quand il sera homme, nous le proclamerons souverain ; car, descendant du prophte de Dieu, il apportera avec lui la bndiction de la famille sacre. Sil nat une lle, vous verrez ce que vous aurez faire pour choisir entre vous un homme de bien. - Ils rpondirent, vieillard bni ! pouvons-nous avoir dautre avis que le vtre ? Ne tenez-vous pas auprs de nous la place dEdriss ? Comme lui donc soyez notre chef, dirigez notre culte, gouvernez-nous selon le Livre et le Sonna jusquau jour de laccouchement de Khanza ; si elle nous donne un garon, nous llverons et le proclamerons souverain. Dans le cas contraire, nous ne serons point embarrasss ; car nul ici ne vous surpasse en vertus, en religion et en science ! Rachid, les remercia, et, aprs avoir pri avec eux, il les congdia. Il se mit donc la tte des affaires, et gouverna les Berbres jusquau jour de laccouchement de Khanza, qui mit au monde un garon, dune ressemblance frappante avec limam Edriss. Rachid prsenta le nouveau-n aux principaux dentre les Berbres, qui scrirent unanimement : Cest Edriss luimme! Edriss na pas cess de vivre, et lon donna lenfant le nom de son pre. Rachid continua gouverner les Berbres et, veiller aux affaires. Ds que lenfant eut cess dtre allait, il le prit auprs de lui, pour lui donner, une bonne ducation. Il commena par lui faire tudier le Koran (et lge de huit ans, le jeune Edriss le savait entirement par cur). Il linstruisit dans le Sonna, la doctrine, la grammaire, la posie, les sentences et les penses arabes, dans lorganisation et la direction des biens. Il le t exercer monter cheval, lancer le javelot et lui enseigna lart et les ruses de la guerre. A dix ans, Edriss, ls dEdriss, possdait toutes ces connaissances. Rachid le prsenta au peuple, pour le faire reconnatre souverain du Maghreb ; sa proclamation eut lieu dans la mosque de la ville dOualily.

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HISTOIRE DES SOUVERAINS DU MAGHREBHISTOIRE DU RGNE DE LIMAM EDRISS, FILS DEDRISS LHOSSENIEN. QUE DIEU LAGRE !

Limam Edriss, ls dEdriss, ls dAbd Allah, ls dHossen, ls dEl-Hossen, ls dAli, ls dAbou Thaleb, que Dieu les agre ! eut pour mre Khanza, femme quEdriss avait reue en prsent, et naquit le troisime jour du mois de radjeb de lanne 177. Edriss ben Edriss, auquel on donna le prnom dAbou, el-Kasem, tait le portrait vivant de son pre; teint rose, chevelure frise, taille parfaite, yeux noirs et parole facile ; trs-bien lev, savant dans le Livre de Dieu, dont il suivait dlement les prceptes, observateur du Hadits du Prophte que le Seigneur lui accorde le salut et le comble de bndictions !), fort vers dans la doctrine et le Sonna, distinguant sagement ce qui est permis de ce qui est dfendu, jugeant sainement tous les diffrends, dsintress, religieux, charitable, gnreux, laborieux, courageux, bon soldat, trs-intelligent, profond dans les science, et vers dans les affaires. Voici ce que rapporte Daoued ben Abd Allah ben Djafar. Jaccompagnais Edriss, ls dEdriss, dans une expdition contre les Berbres hrtiques de Seferia, qui se prsentrent nous au nombre de trois mille. Au moment o les deux troupes se furent rapproches, je vis Edriss descendre de cheval, se purier, se prosterner et invoquer le Dieu trs haut, puis remonter cheval et .se prcipiter au combat. Le massacre fut sanglant ; Edriss, courant dun bout lautre de sa ligne, frappait partout et sans cesse. Vers le milieu du jour, il se retira dans son Camp et vint. se placier prs de son drapeau, tandis que ses gens continuaient combattre sous ses yeux ; je mtais mis derrire lui, et je lobservais attentivement. Debout, lombre des bannires, il excitait sa troupe au combat et dirigeait ses mouvements. Jtais frapp dtonnement, par tant de courage et de talent, lorsque, ayant tourn la tte, il maperut et me dit : Daoued ! quas-tu donc mobserver ainsi ? Prince, lui rpondis-je, jadmire en vous des choses que je nai vues chez nul autre. Et quelles sont ces choses, Daoued ? Ce sont, repris-je, votre beaut, votre lgance, la tranquillit de votre cur, la srnit de votre visage, et lardeur sans pareille avec laquelle vous fondez sur vos ennemis ! Ces biens, Daoued, me viennent de la bndiction de mon aeul, le prophte de Dieu (que le Seigneur lui accorde le salut !) qui veille sur moi, et pour lequel je prie ; ils sont aussi lhritage de notre pre Ali, ls dAbou Thaleb (que Dieu lagre !) Comment se fait-il, prince, lui dis-je encore, que vous ayez la bouche si frache, tandis que la mienne est sche et brlante. - Ceci, Daoued, provient du sang-froid et du courage que japporte la guerre,

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tandis que chez toi ; esprit faible, la peur dessche la bouche et trouble les sens. Et pourquoi, seigneur, vous agitez-vous sur la selle ? Pourquoi, courant sans cesse, ne restez-vous pas a un moment au mme endroit ? Lactivit et la rsolution, Daoued, sont choses bien ncessaires la guerre. Ne va pas penser, au moins, que ces courses et ces mouvements soient motivs par la crainte, et il ajouta en vers : Tu ne sais donc pas que notre pre Hachim, ceignant ses vtements, a transmis ses ls lart de frapper de la lance et du sabre ? Nous ne redoutons pas la guerre, et la guerre ne nous ddaigne pas. Si le malheur nous atteint, nous ne nous plaignons pas. Edriss tait bon pote. Voici ce quil crivit un certain Behloul ben Abd el-Ouahed, chef puissant et son alli, auquel Ben el-Khaleb, lieutenant du khalife El-Rachid, qui commandait dans lIfrkya, avait conseill de passer de son ct et de se soumettre au khalife, avec promesse de lui donner les plus grands biens : O Behloul ! les grandeurs dont ton esprit se atte auront bientt chang leur clat en tristesse. Ibrahim, quoique loin de toi, te trompe ; et demain tu te trouveras brid sans ten douter. Comment ne connais-tu point les ruses de Ben el-Khaleb ? Demande, et tous les `pays te les feront connatre. Tes plus belles esprances, Behloul ne sont que malheurs ! les promesses dIbrahim sont des chimres ! Edriss eut pour ministre Amer ben Mosshab Elezdy ; pour kady, Amer ben Mohammed ben Sad el-Kasby, et pour secrtaire Abou el-Hassen Abd Allah ben Malek el-Ensary. Limam Edriss ayant accompli dix ans et cinq mois, Rachid le Serviteur rsolut de le mettre la tte du gouvernement des tribus berbres et autres du Maghreb ; mais il men eut point le temps, car Ibrahim ben Khaleb, qui gouvernait dans lIfrkya, ayant connu son projet, gagna, par de fortes sommes envoyes secrtement, les Berbres de sa suite, qui le mirent mort en 188 (803 J. C.). Rachid fut remplac dans les affaires par Abou Khaleb ben Yezid ben Elias el-Hamoudi, qui t reconnatre, vingt jours aprs, la souverainet dEdriss par toutes les tribus berbres. Sa proclamation eut lieu un vendredi, au commencement du mois de raby elaouel, an 188. Abd el-Malek et-Ourak, parlant dans son histoire de la mort de Rachid, rapporte ce qui suit : Ibrahim ben Khaleb, dans une de ses lettres au khalife Rachid, crivit en tmoignage de soit dvouement et de sa. dlit. Sachez que Rachid a succomb mes ruses et nexiste plus, et que je tends pour Edriss de nouvelles embches. Jai su les atteindre dans leur demeure lointaine, et je leur ai fait justement ce quils voulaient me faire. Cest le frre de Hakim

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qui a tu Rachid, mais cest moi qui lai pouss, car il dormait tandis que je veillais. Celui que Ben Khaleb dsigne par le frre de Hakim se nommait Mohammed ben el-Mekatel el-Haky, et avait aussi un commandement dans lIfrkya que le khalife Rachid lui ta cette occasion pour le donner Ibrahim ben el-Khaleb. Dans Bekry et Bernoussy on trouve que Rachid ne mourut quaprs la proclamation dEdriss, et il est dit ce qui suit : Limam Edriss, ayant accompli sa onzime anne, possdait un esprit, un talent, une raison et une loquence qui surprenaient les sages et les savants ; Rachid le prsenta aux Berbres pour le faire reconnatre comme souverain. Ctait le vendredi de raby el-aouel, an 188. Edriss monta en chaire pour rciter au peuple les prires de ce jour, et dit : Louange Dieu ! je le glorie ! Quil me pardonne et me secoure ! Dieu unique, je vous ai implor ; guidez mon me dans le bien, prservez-moi du mal et prservez-en les autres. Ici, je le tmoigne, il ny a de Dieu que Dieu, et notre seigneur Mohamamed (que le Tout-puissant le bnisse !) est son serviteur et son prophte, envoy auprs des hommes et des gnies pour les avertir, les instruire et les rappeler dans la voie du ciel, au nom de leur Dieu et par des signes vidents. Rpandez, mon Dieu, vos bndictions sur lui et la famille sacre, famille pure, prserve de tout mal et exempte de toute souillure ! hommes ! je vais avoir dsormais le commandement de ces affaires que Dieu rcompense ou punit doublement, selon quelles sont bonnes ou mauvaises. Nallez donc pas chercher un autre chef que moi, et soyez certains que je comblerai vos dsirs, tant quils seront conformes la justice. Les assistants furent frapps de la clart, de lesprit, de lnergie et du sang-froid quEdriss dployait, si jeune, et peine fut-il descendu de chaire quils se portrent en foule vers lui pour lui baiser la main en signe de leur soumission. Cest ainsi queut lieu la proclamation, dEdriss dont la souverainet fut reconnue par les tribus des Zenta, Ouaraba, Senhadja, Goumra et tous les Berbres du Maghreb. Rachid mourut quelque temps aprs.. Dieu connat la vrit ! Edriss ayant reu la soumission de tous les habitants du Maghreb, rgularisa et tendit sa domination, augmenta le nombre de ses ofciers et agrandit ses armes. On accourait vers lui de tous pays et de tous cts. Il employa le reste de lanne de sa proclamation, 188, distribuer des biens, faire des prsents aux nouveaux venus et sattacher les grands et les chekhs. En 189 (804 u J. C.), une foule dArabes des pays dIfrkya et dAndalousie arrivrent chez Edriss, ainsi que cinq cents cavaliers environ des tribus dAkhysia, El-Houzd, Medehadj, Beni Yahthob, Seddafy et autres. Limam les accueillit avec joie, les leva aux honneurs et les initia aux affaires de son gouvernement, lexclusion des

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Berbres, auxquels il les prfrait cause de lidiome arabe que ces derniers ne savaient pas. Il choisit pour ministre Amer ben Mosshab ; ctait un des principaux chefs arabes dont le pre, Mosshab, stait maintes fois distingu en lfrkya et en Andalousie, o il stait valeureusement comport dans les guerres contre les chrtiens. Il leva galement Amer ben Mohammed ben Sad el-Akhyssy de Khys Khillen la dignit de kady. Amer tait homme de bien, intgre, instruit, et vers dans les doctrines dEl-Malek et de Soufan el-Tourry, quil suivit exactement. Edriss se dcida aller faire la guerre sainte en Andalousie ; mais peine fut-il descendu dans lAdoua, quil fut rejoint par un grand nombre dArabes et autres qui venaient se rallier lui de tous les points du Maghreb ; alors, considrant que sa domination stait tendue, que son arme stait augmente tel point que Oualily tait dsormais trop petite pour la contenir, limam conut lide de btir une nouvelle ville pour lui, sa famille, sa suite et les principaux de ses sujets. Revenant donc sur son premier dessein, il partit, avec quelques ofciers et les chefs de sa suite, la recherche dun emplacement. On tait alors en 190 (8o5 J. C.). Arriv au Djebel Oualikh, Edriss, charm de la position du terrain, de la douce temprature et de ltendue des valles qui entouraient cette montagne ; traa sa base le circuit de la ville. On commena btir ; mais dj une partie des murs denceinte tait leve, lorsque un torrent, se prcipitant une nuit du haut de la montagne, dtruisit tout ce qui tait construit, emporta les habitations des Arabes et dvasta les champs. Edriss cessa de btir et dit : Ce lieu nest point prospre llvation dune ville, car le torrent le domine. Cest ainsi que Ben el-Ghleb rapporte ce fait dans son histoire. On raconte aussi quEdriss, ls dEdriss, ayant atteint le sommet du Djebel Oualikh, fut charm de la belle vue que lon avait de tous cts; et ayant rassembl les chefs et les principaux de leurs sujets, il leur ordonna de btir au pied de la montagne. Ceux-ci, se mettant louvrage, construisirent des maisons, percrent des puits, plantrent des oliviers, des vignes et autres arbustes. Limam lui-mme jeta les fondements dune mosque et des murs denceinte, qui taient dj levs au plus du tiers de leur hauteur, lorsquune nuit la tempte survint et plusieurs torrents runis, descendant imptueusement de la montagne, dtruisirent tout ce qui avait t construit, dvastrent les plantations et emportrent les dbris jusquau euve Sebou o ils sengloutirent. Un grand nombre dhommes prirent cette nuit-l, et telles furent les causes qui rent abandonner les travaux en cet endroit. Au commencement de moharrem, an 191 (806 J. C.), limam Edriss se mit de nouveau en campagne pour aller chercher lemplacement de la ville quil voulait construire. Arriv Khaoullen, prs du euve Sebou, il fut sduit par le voisinage de leau et du bois, et rsolut dy btir sa ville.

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Il commena creuser les fondements, prparer le mortier et couper des pices de bois ; mais au moment de construire, il lui vint lide que les eaux bouillonnantes du Sebou, dj si abondantes, pouvaient bien; eu temps de pluie, augmenter encore et causer par leur dbordement. la perte de ses gens. Saisi de crainte, il renona encore cette fois sa ville et revint Oualily. Cependant, il chargea son ministre Amer ben Mosshab el-Azdy le lui trouver un emplacement convenable pour mettre son projet excution. Amer partit, accompagn de quelques hommes, et parcourut le pays en tous sens ; arriv Fhahs Sas, il fut satisfait des terres vastes, fertiles et bien arroses qui se droulrent devant lui, et il mit pied terre prs dune fontaine dont les eaux limpides et abondantes coulaient travers de vertes prairies. Stant puri ainsi que ses gens cette source, le ministre t la prire du Douour et supplia. le Dieu trs-haut de lui venir en aide et de lui dsigner le lieu o il lui serait agrable que ses serviteurs demeurassent. Alors, remontant cheval, il partit en ordonnant ses gens dattendre l son retour. Ce fut Amer ben Mosshab qui donna le nom cette fontaine, que de nos jours encore on appelle An Amer. Cest de lui que descendent galement les Beni Meldjoum, qui sont les maons de Fs. Amer parcourut Fhahs Sas et sarrta aux sources de la rivire de Fs, qui jaillissent au nombre de soixante et plus, sur un beau terrain couvert. de romarins, de cyprs, dacacias et autres arbres. Eau douce et lgre ! dit Amer aprs avoir bu ces sources, climat tempr, immenses avantages !... Ce lieu est magnique ! Ces pturages sont encore plus vastes et plus beaux que ceux du euve Sebou ! Puis, suivant le cours de la rivire, il arriva lendroit o la ville de Fs fut btie ; ctait un vallon situ. entre deux hautes montagnes richement boises, arros par de nombreux ruisseaux, et qui tait alors occup par les tentes des- tribus des Znta dsignes sous les noms de Zouagha et Beni Yarghich. Retournant prs dEdriss, le ministre lui rendit compte de ce quil avait vu, et lui t une longue description de ce pays si beau, si fertile, abondamment arros et plac sous un climat doux et sain. Limam, merveill, lui demanda : A qui donc appartient cette proprit ? A la tribu des Zouagha, quon appelle aussi Beni el-Kher (Enfants du Bien), rpondit Amer. Ce nom est de bon augure, dit Edriss, et aussitt il envoya chez les Enfants du Bien pour acheter lemplacement, de la ville, quil leur paya 6,000 drahem, ce dont il t dresser acte. On raconte aussi que lendroit o Fs est situe tait habit par deux tribus zenta, les Zouagha et, les Beni Yarghich, hommes libres, dont les uns professaient lislamisme et les autres taient chrtiens, juifs ou idoltres. Les Beni Yarghich taient camps sur le lieu nomm aujourdhui

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Adoua el-Andalous ; mais leurs habitations et leurs familles taient Bel Chybouba. Les Zouagha occupaient lemplacement actuel de lAdoua elKairaouyn. Ces deux tribus taient constamment en guerre, et elles se battaient pour une question de territoire, lorsque Edriss et son ministre Amer arrivrent. Limam, ayant appel lui les principaux des deux partis, leur t faire la paix et leur acheta lemplacement de Fs, qui tant alors couvert de bois et deau, et servait de repaire aux lions et aux sangliers. Suivant un autre rcit, limam acheta des Beni Yarghich lemplacement de lAdoua el-Andalous pour l,500 drahem quil leur paya, et t dresser lacte de vente par son secrtaire le docte Abou el-Hassen Abd Allah ben Malek el-Ensary el-Regeragi. On tait alors en 191. Edriss commena btir et tablit ses tentes lendroit nomm aujourdhui encore el-Gedouara quil entoura de broussailles et de roseaux: Ce fut aprs cela quEdriss acheta pour 3,500 drahem lemplacement de lAdoua el-Kairaouyn, qui appartenait aux Beni el-Kher, fraction, des ZouaghaHISTOIRE DES CONSTRUCTIONS FAITES PAR LIMAM EDRISS DANS LA VILLE DE FS. DESCRIPTION DES BIENFAITS ET DES BEAUTS QUE DIEU A DISPENSS FS, QUI EXCELLE SUR TOUTES LES AUTRES VILLES DU MAGHREB.

Lauteur du livre (que Dieu lagre !) continue : Depuis sa fondation, la ville de Fs a toujours t le sige de la sagesse, de la science, de la paix et de la religion ; ple et centre du Maghreb, elle fut la capitale des Edrissites hosseniens qui la fondrent, et la mtropole des Zenta, des Beni Yfran, des Maghraoua et autres peuples mahomtans du Maghreb. Les Lemtuna sy xrent quelque temps, lors de leur domination; mais bientt ils btirent la ville de Maroc, quils prfrrent cause de la proximit de leur pays, situ dans le sud. Les Mouhdoun (Almohades), qui vinrent aprs eux, suivirent leur exemple par la mme raison; mais Fs a toujours t la mre et la capitale des villes du Maghreb, et aujourdhui elle est le sige des Beni Meryn qui la chrissent et la vnrent. (Que Dieu perptue leurs jours !) Fs runit en elle eau douce, air salutaire, moissons abondantes, excellents grains, beaux fruits, vastes labours, fertilit merveilleuse, bois pais et proches, parterres couverts de eurs, immenses jardins potagers, marchs rguliers attenant les uns aux autres et traverss par des rues trsdroites ; fontaines pures, ruisseaux intarissables qui coulent ots presss sous des arbres touffus, aux branches entrelaces, et vont ensuite arroser les ,jardins dont la ville est entoure. Il faut cinq choses une ville, ont dit les philosophes : eau courante, bon labour, bois proximit, constructions solides, et un chef qui veille sa prosprit, la sret de ses routes et air respect d sa puissance. A ces

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conditions, qui accomplissent et ennoblissent une ville, Fs joint encore de grands avantages, que je vais dcrire, sil plait Dieu. Dans nulle partie du Maghreb on ne trouve de si vastes terres de labour et des pturages si abondamment arross que ceux qui entourent Fs. Du ct du midi slve la montagne des Beni Behloul, dont les forts superbes donnent cette quantit incalculable de bois de chne et de charbon que lon voit accumule chaque matin aux portes de la ville. La rivire, qui partage la ville en deux parties, donne naissance, dans son intrieur, mille ruisseaux qui portent leurs eaux dans les lavoirs, les maisons et les bains, et arrosent les rues, les places, les jardins, les parterres, font tourner les moulins et emportent avec eux toutes les immondices. Le docte et distingu Abou el-Fadhl ben el-Nahouy, qui a chant les louanges et la description de Fs, sest cri : O Fs, toutes les beauts de la terre sont runies en toi ! De quelle bndiction, de quels biens ne sont pas combls ceux qui thabitent ! Est-ce ta fracheur que je respire, ou est-ce la sant de mon me ? Tes eaux sontelles du miel blanc ou de largent ? Oui peindra ces ruisseaux qui sentrelacent sous terre et vont porter leurs eaux dans les lieux dassembles, sur les places et sur les chemins ! Le docte Abou el-Fadhl ben el-Nahouy tait de ceux qui possdent science, religion, intgrit et bienfaisance, ainsi quil est dit dans le Tchaouif qui traite de lhistoire des hommes savants du Maghreb. Un autre illustre. crivain, le docte et trs-savant Abou Abd Allah el-Maghyly, tant kady Azimour, a dit ce qui suit dans une de ses odes Fs : O Fs ! que Dieu conserve ta terre et tes jardins, et, les abreuve de leau de ses nuages ! Paradis terrestre qui surpasse en beauts tout ce quil y a de plus beau et dont la vue seule charme et enchante ! Demeures sur demeures aux pieds desquelles coule une eau plus douce que la plus douce liqueur ! Parterres semblables au velours, que les alles, les plates-bandes et les ruisseaux bordent dune broderie dor ! Mosque el-Kairaouyn, noble nom! dont la cour est si. frache par les plus grandes chaleurs !... Parler de toi me console, penser toi fait mon bonheur ! Assis auprs de ton admirable rejet deau, je sens la batitude ! et avant de le laisser tarir, mes yeux se fondraient en pleurs pour le faire jaillir encore ! Lauteur du livre reprend : LOued Fs, dont. leau lemporte par la douceur et la lgret sur le meilleures eaux de la terre, sort de soixante sources qui dominent la ville. Cette rivire traverse dabord une vaste pleine couverte de gossampins et de cyprs: puis, serpentant travers les prairies toujours vertes qui avoisinent la ville, elle entre Fs, o elle se divise, comme on la dit, en une innit de petits ruisseaux. Enn. Sortant de Fs,

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elle arrose les campagnes et les jardins, et va se jeter dans le euve Sebou, deux milles de la ville. Les proprits de leau de lOued Fs sont nombreuses ; elle gurit de la maladie de la pierre et des mauvaises odeurs ; elle adoucit la peau et dtruit les insectes ; on peut sans inconvnient eu boire en quantit jeun, tant elle est douce et lgre (qualits quelle acquiert en coulant travers le gossampin et le cyprs). Le mdecin Ben Djenoun rapporte que, bue jeun, cette eau rend plus agrable le plaisir des sens. Elle blanchit le linge sans quil soit ncessaire demployer du savon, et elle lui donne un clat et un parfum surprenants. On tire de lOued Fs des pierres prcieuses qui peuvent. remplacer les perles nes. Ces pierres valent un metkal dor la pice, ou plus ou moins, selon leur puret, leur beaut et leur couleur. On trouve galement dans cette rivire des cheratyns (crevisses) qui sont trs-rares dans les eaux de lAndalousie, et on y pche plusieurs espces de poissons excellents et trs-sains, tels que el-boury (le mulet), el-seniah, el-lhebyn (cyprinum), el-bouka (murex) et autres. Eu rsum, lOued Fs est suprieur aux autres rivires du Maghreb par ses bonne, et utiles qualits. Il nexiste nulle part des mines de sel aussi remarquables que celles de Fs ; situes six milles de la ville, ces mines occupent un terrain de dix-huit milles, et sont comprises entre le hameau de Chabty et lOued Mesker, dans le Demnet el-Bakoul. Elles, donnent diffrentes espces de sel variant entre elles de couleur et de puret. Ce sel, rendu en ville, cote un drahem les dix sa, quelquefois plus, quelquefois moins, selon le nombre des vendeurs; autrefois avec un drahem on en avait une charge (de chameau), et souvent mme les marchands ne pouvaient sen dfaire, tant labondance tait grande ; mais ce qui est vraiment merveilleux, cest que lespace occup par ces mines est coup en divers sens par des champs cultivs, et certes, quand au milieu du sel on voit slever de belles moissons dont les pis se balancent sur de vertes tiges, on ne peut que dire : cest l un bienfait de Dieu, un signe de sa bndiction ! A un mille environ de Fs est situ le Djebel, Beni Bazgha, qui fournit ces quantits indicibles de bois de cdre qui chaque jour arrivent en ville. Le euve Sebou, qui na quune seule source, sort dune grotte de cette montagne et suit son cours lest de Fs, . une distance de deux milles. Cest dans ce euve que lon pche le chabel et le boury (lalose et le mulet), qui arrivent si frais et en si grande quantit sur les Marchs de la ville. Cest aussi sur les bords du Sebou que les habitants de Fs viennent faire leurs parties de plaisir. tous les avantages qui distinguent, Fs des autres villes, il faut ajouter encore les beaux bains de Khaoulen, situs quatre milles de ses portes, et dont les eaux sont dune chaleur extraordinaire. Non loin de Khaoulen sont enn les magniques thermes de Ouachnena et de Aby Yacoub, les

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plus renomms du Maghreb. Les habitants de Fs ont lesprit plus n et plus pntrant que les autres peuples du Maghreb ; fort intelligents, trs-charitables, ers et patients, ils sont soumis leur chef et respectent leur souverain. En temps danarchie ils lont toujours emport sur les autres par leur sagesse, leur science et leur religion. Depuis sa fondation, Fs a toujours t propice aux trangers qui sont venus sy tablir. Grand centre, on se runissent en nombre les sages, les docteurs, les lgistes, les littrateurs, les potes, les mdecins et autres savants, elle fut de tout temps le sige de la sagesse, de la science, des tudes nouvelles et de la langue arabe, et elle contient elle seule plus de connaissances que le Maghreb entier. Mais, sil na jamais cess den tre ainsi, il faut lattribuer aux bndictions et aux prires de celui qui la fonde; limam Edriss, ls dEdriss (que Dieu lagre !), au moment dentreprendre les premiers travaux, leva les mains au ciel et dit : O mon dieu ! faites que ce lieu soit la demeure de la science et de la sagesse ! que votre livre y soit honor et que vos lois y Soient respectes ! Faites que ceux qui lhabiteront restent dles au Sonna et la prire aussi longtemps que subsistera la ville que je vais btir ! Saisissant alors une pioche, Edriss commena les premiers fondements. Depuis lors jusqu nos jours, an 726 (1325 J. C.), Fs a effectivement toujours t la demeure de la science, de la doctrine orthodoxe, du Sonna, et le lieu de runion et de prires. Dailleurs, pour expliquer tant de bienfaits et de grandeurs, ne suft-il pas de connatre la prdiction du prophte (que Dieu le bnisse et le sauve !), dont les propres paroles sont rapportes dans le livre dEdriss ben Ismal Abou Mimouna, qui a crit de sa propre main ce qui suit : Abou Medhraf dAlexandrie ma dit quil tenait de Mohammed ben Ibrahim el-Mouaz; lequel le tenait de Abd er-Rahmann ben el-Kassem, qui le tenait de Malek ben Ans, qui le tenait de Mohammed ben Chahab elZahery, qui le tenait de Sad _ ben el-Messyb, qui le tenait dAbou Hrida, lequel avait entendu de Sidi Mohammed lui-mme (que Dieu le sauve et le bnisse !) la prophtie suivante : Il slvera dans lOccident une ville nomme Fs qui sera la plus distingue des villes du Maghreb ; son peuple sera souvent tourn vers lOrient; dle au Sonna et la prire, il ne scartera jamais du chemin de la vrit ; et Dieu gardera ce peuple de tous les maux jusquau jour de la rsurrection ! Abou Ghleb raconte dans son histoire quun jour limam Edriss, se trouvant sur lemplacement de la ville quil voulait btir, tait occup en tracer les, contours, lorsque arriva vers lui un vieux solitaire chrtien, qui paraissait bien avoir cent cinquante ans, et qui passait sa vie en prires dans

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un ermitage situ mon loin de cet endroit. Que le salut soit sur toi ! dit le solitaire en sarrtant; rponds, mir, que viens-tu faire entre ces deux montagnes ? Je viens, rpondit Edriss, lever une ville o je demeurerai et o demeureront mes enfants aprs moi, une ville o le Dieu trs-haut sera ador, o son Livre sera lu et o lon suivra ses lois et sa religion ! Si cela est, mir, jai une bonne nouvelle te donner. Quest-ce donc, ermite ? coute. Le vieux solitaire chrtien, qui priait avant moi dans ces lieux et qui est mort depuis cent ans, ma dit avoir trouv dans le livre de la science quil exista ici une ville nomme Sf qui fut dtruite il y a dix-sept cents ans, mais quun jour il viendrait un homme appartenant la famille des prophtes, qui rebtirait cette ville, relverait ses tablissements et y ferait revivre une population nombreuse ; que cet homme se nommerait Edriss; que ses actions seraient grandes et son pouvoir clbre, et quil apporterait en ce lieu lislam qui v demeurerait jusquau dernier jour. Lou soit Dieu ! Je suis cet Edriss, scria limam, et il commena creuser les fondations. A lappui de cette version lauteur cite le passage dEl-Bernoussy o il est dit quun juif, creusant les fondements dune maison prs du pont de Ghzila, sur un lieu qui tait encore, comme la plus grande partie de la ville, couvert de buissons, de chnes, de tamarins et autres arbres, trouva une idole en marbre, reprsentant une jeune lle, sur l poitrine de laquelle taient gravs ces mots en caractres antiques : En ce lieu, consacr aujourdhui la prire, taient jadis des thermes orissants, qui furent dtruits aprs mille ans dexistence. Daprs les recherches des savants qui se sont particulirement occups des dates et de la fondation de la ville de Fs, Edriss jeta les premiers fondements le premier jeudi du mois bni de raby el-aoued, an 192 de lhgyre (3 fvrier 808 J. C.). Il commena par les murs denceinte de lAdoua(1) el-Andalous, et, un an aprs, dans les premiers jours de raby el-tni, an 193, il entreprit ceux de lAdoua el-Kairaouyn. Les murs de lAdoua el-Andalous tant achevs, limam t lever une mosque auprs du puits nomm Gemda el-Chiak (lieu de runion des chekhs) et y plaa des lecteurs. Ensuite il t abattre les arbres et les broussailles qui couvraient de leurs bois pais lAdoua el-Kairaouyn, et il dcouvrit ainsi une innit de sources et de cours deau. Ayant mis les travaux en train sur cet emplacement, il repassa dans lAdoua el-Andalous et stablit, sur le lieu appel el-Kermouda ; il construisit la mosque El-Cheya (que Dieu lennoblisse !) et y plaa des lecteurs. Ensuite il btit sa propre maison, connue jusqu ce jour sous le nom de Dar el-Kytoun et habite par les chrifs Djoutioun, ses descendants; puis il dia lAl-Kayssera (les bazars) ct de la mosque, et tablit tout autour des boutiques et des____________________ 1 Adoua, rive ; les rives dun euve, dun ruisseau, les deux cts dun dtroit.

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places. Cela fait, Edriss ordonna ses gens de construire leurs demeures. Ceux dentre vous, dit-il, qui auront choisi un terrain et qui auront sur ce terrain tabli des maisons ou des jardins avant que les murs denceinte soient entirement achevs, en resteront propritaires. Je le leur donne, ds prsent, pour lamour du Dieu trs-haut. Aussitt le peuple se mit btir et planter des arbres fruitiers ; chacun, choisissant un emplacement assez vaste pour construire sa demeure et son jardin, le dfrichait et employait la construction de sa maison le bois des arbres quil abattait. Sur ces entrefaites, une troupe de cavaliers persans de lIrak, appartenant en partie aux Beni Mlouana, arrivrent auprs dEdriss et camprent dans le voisinage de l lAn-Ghalou ; cette fontaine, situe au milieu dune paisse fort de dhehach, de ghyloun, de kelkh, de besbs et autres arbres sauvages, tait la demeure dun ngre nomm Ghalou, qui arrtait les passants. Avant la fondation de Fs, personne nosait sapprocher de cet endroit, ni mme se mettre en chemin, de peur de rencontrer Ghalou. A cette peur se joignait lpouvante quoccasionnaient le bruissement des bois pais, le grondement de la rivire et des eaux, et des cris des btes froces qui avaient l leurs repaires. Les bergers fuyaient ces parages avec leurs troupeaux, et si quelquefois il leur arrivait de se hasarder de ces cts, ce ntait, jamais que sous une nombreuse escorte. Edriss commenait btir sur lAdoua el-Andalous lorsquil apprit ces dtails; immdiatement il donna lordre de semparer du ngre, et, ds quon le lui eut amen, il le tua et t clouer le cadavre un arbre situ au-dessus de ladite fontaine, o il le laissa jusqu ce quil et entirement disparu en lambeaux de chair dcompose. Cest de l que vient le nom de Ghalou que cette fontaine porte encore aujourdhui. Dans la construction des murs de lAdoua el-Kairaouyn, limam prit pour point de dpart le sommet de la colline dAn Ghalou, o il t la premire porte de la ville quil nomma Bab Ifrkya (porte dAfrique) ; de l, portant les murs vers An Derdoun et jusqu Sabter, il leva la deuxime porte Bab Sadaun ; de Bab Sadaun, il se dirigea vers Ghallem, o il tablit la porte appele Bab el-Fars (porte de Perse) ; de Ghallem, il descendit sur les bords de la rivire (Oued Kebir) qui spare les deux Adoua, et il t le Bab el-Facil (porte de la sparation), qui conduit dune Adoua lautre. Passant sur lautre rive, il construisit, en remontant le cours de leau, cinq mesafat de murs, au bout desquels il tablit le Bab el-Ferdj (porte du soulagement), que lon nomme aujourdhui Bab-el-Selsela (porte de la chane); repassant la rivire et rentrant sur lAdoua el-Kairaouyn, il remonta de nouveau le courant jusquaux fontaines situes entre El-Sad et El-Gerf, et construisit l le Bab el-Hadid (porte de fer) ; rejoignant enn cette dernire porte au Bab Ifrkya, il acheva lenceinte de lAdoua el-Kairaouyn, ville

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de grandeur moyenne, ayant six portes, abondamment arrose et contenant grand nombre de Jardins et de moulins eau. Passant lAdoua el-Andalous, il construisit au midi la porte par laquelle on prend le chemin de Sidjilmea, que lon nomme aujourdhui Bab el-Zetoun (porte des oliviers) ; de l il dirigea les murs le long de la rivire, en remontant vers Bersakh, et, arriv vis--vis le Bab el-Ferdj de lAdoua el-Kairaouyn, il t une porte; puis continuant les murs jusqu Chybouba, il construisit la porte de ce nom qui fait face au Bab el-Facil de lautre Adoua ; de Bab el-Chybouba il arriva la pointe de Hadjer el-Feradj, et y plaa la porte de lorient nomme Bab el-Kenesya (porte de lglise), qui conduit an bourg des malades et par laquelle on prend le chemin de Tlemcen. Cette dernire porte fut conserve telle quEdriss lavait faite jusquen 540 (1145 J. C.). A cette poque, elle fut dtruite par Abd el-Moumen ben Ali, qui, devenu matre du Maghreb, stait empar de la ville de Fs. Elle lut rebtie en 601 (1204 J. C.) par El-Nasser ben el-Mansour lalmohade, qui ret neuf les murs denceinte, et elle prit alors le nom de Bab el-Khoukha (porte de la lucarne). Le bourg des malades tait situ au dehors de Bab el-Khoukha de faon ce que le vent du sud pt emporter loin de la ville les exhalaisons qui auraient t nuisibles au peuple. De mme la rivire ne passait dans ce bourg quau sortir de Fs, et on navait point craindre ainsi que les eaux se corrompissent par le contact des malades qui sy baignaient et y jetaient leurs ordures. Mais, en 619 (1222 J. C.), lors de la dsastreuse famine qui, jusquen 637 (1239 J. C.), bouleversa le Maghreb et le plongea clans les troubles et la misre (malheurs dont Dieu se servit pour mettre n au gouvernement des Almohades et faire briller celui des Meryn), les lpreux passrent le Bab el-Khoukha, et vinrent stablir en dehors de Bab el-Cheryah. (une des portes de lAdoua el-Kairaouyn), dans les grottes situes auprs du euve, entres les silhos aux grains et le Jardin Meserlat. Ils demeurrent l jusqu ce que les Meryn, devenus souverains du Maghreb, eurent affermi leur pouvoir, fait briller la lumire de leur justice, rpandu leur bndiction sur le peuple, rtabli la sret, des routes et accru par leurs bienfaits la population de la ville. Alors seulement, en 658, on se plaignit lmir des musulmans, Abou Youssef Yacoub ben Abd elHakk, de ce que les malades se baignaient et lavaient leurs vtements, leur vaisselle et autres objets dans la rivire, et corrompaient ainsi les eaux dont lusage compromettait la sant des musulmans de la ville. Aussitt Abou Youssef (que Dieu lui fasse misricorde !) ordonna au gouverneur de Fs, Abou el-Ghala Idriss ben Aby Korech, de faire sortir les malades de cet endroit et de les chasser loin de la rivire. Cet ordre ft excut, et les lpreux furent relgus dans les cavernes de Borj el-Koukab, au dehors de Bab el-Dysa, une des portes de lAdoua el-Kairaouyn.

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Edriss construisit une porte dans le sud de lAdoua el-Andalous et la nomma Babel-Kabla (porte du Sud); cette porte resta intacte jusqu lpoque on elle fut dtruite par Dounas el-Azdy, qui sempara, les armes la main, de lAdoua el-Andalous ; elle fut ensuite reconstruite par El-Fetouh ben el-Mouaz ben Zyry ben Athia el-Zenety el-Maghraouy, lors de son gouvernement Fs, o, suivant lhistoire de Ben Ghleb, par El-Fetouh ben Manser el-Yfrany, qui lui aurait donn son nom. Fs, dit Abd el-Malek el-Ourak, tait anciennement compose de deux villes ayant chacune ses murs denceinte et ses portes ; la rivire qui les sparait rentrait du ct de Bab el-Hadid par une ouverture pratique dans le mur, laquelle on avait, adapt une porte bon et beau grillage de bois de cdre, et sortait par deux portes semblables lendroit nomm El-Roumelia; les murs et les portes des deux villes taient hauts et forts ; par le Bab el-Hadid on prenait le chemin du mont Fezez et des mines de Ghouam ; par la grande porte (Bab-Soliman), on prenant celui de la ville de Maroc, du. Messamid et autres pays ; par le Bab el-Mkobera (porte du Cimetire), on allait vers lancienne chapelle situe au sommet du mont Meghaya. Cette dernire porte fut ferme lpoque de la famine, en 627, et na plus t ouverte depuis. Enn la dernire porte construite par Edriss dans lAdoua el-Andalous fut le Bab Hisn Sadouu, situe au nord des murs, sur le mont Sather. Plus tard, lpoque des Zenta, la population stant accrue, une partie des habitants dut aller se loger dans les jardins situs au dehors de la ville, et ce fut alors que lmir Adjycha ben el-Muaz et son frre ElFetouh, qui gouvernait lAdoua el-Andalous, renfermrent dans une mme enceinte les deux Adoua et leurs murs ; ils rent construire chacun une porte laquelle ils donnrent leur nom. Le Bab Adjycha, situ vis--vis le Bab Hisn Sadoun susmentionn, fut conserv tout le temps des Zenta et. des Lemtouna jusqu lpoque du gouvernement de lmir des croyants Aby Abd Allah el-Nasser lAlmohade, qui t reconstruire les murs dtruits en 540 par son grand-pre Abd el-Moumen. Aby Abd Allah t btir par del le Bab Adjycha une grande porte quil appela galement Adjycha, dont on t El-Djycha, en substituant larticle el au an, nom quelle garda jusqu sa n. Dtruite par le temps, en 684 (1285 J. C.), elle fut releve par ordre de lmir des musulmans Abou Youssef Yacoub ben Abd el-Hakk (que Dieu lui fasse misricorde !), lequel tait alors Djezyra el-Hadra (le verte, Algsiras) dans lAndalousie. En mme temps on rela neuf toute la partie des murs attenants cette porte, except le Kous el-Barni (arc des trangers), que lon trouva en bon tat et auquel on ne toucha pas. En 681 (1282 J. C.), Abou Youssef (que Dieu lui fasse misricorde !), aprs avoir fait rparer et reconstruire les murs du sud de lAdoua el-Andalous, t abattre toute la partie comprise depuis le Bab el-Zeytoun jusquau

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Bab el-Fetouh. Ces travaux furent excuts sous la direction du docte kady Abou Oumya el-Dylley. Les maisons de Fs ont deux, trois, et jusqu quatre tages, tous galement btis en pierres dures et en bon mortier; les charpentes sont en cdre, le meilleur bois de la terre; le cdre ne se corrompt point, les vers ne lattaquent pas, et il se conserve mille, ans, moins que, leau ne latteigne, Chaque Adoua a toujours eu sa mosque principale, ses bazars et son Dar Sek (tablissement de la monnaie) particuliers ; lpoque des Zenta ces deux parties eurent mme un sultan chacune, El-Fetouh et, Adjycha, ls tous deux de notre pre lmir El-Mouaz ben Zyry ben Athia; El-Fetouh commandait lAdoua el-Andalous et Adjycha lAdoua el-Kairaouyn ; lun et lautre avaient une arme, une cour, et adressaient leurs prires au Dieu trshaut; mais lun et lautre aussi voulaient le pouvoir suprme et gouverner le pays entier. De l, haine mortelle entre eux et une longue suite de combats sanglants qui furent livrs sur les bords de la grande rivire, entre les deux villes, lendroit connu sous le nom de Kahf el-Rekad. Les habitants de lAdoua el-Andalous taient forts, valeureux et la plupart adonns aux travaux de la terre et des champs ; ceux de lAdoua el-Kairaouyn, au contraire, gnralement haut placs et instruits, aimaient le luxe et le faste chez eux, dans leurs vtements, leur table, et ils ne se livraient gure quau ngoce et aux arts. Les hommes de lAdoua elKairaouyn taient plus beaux que ceux de lAdoua el-Andalous ; mais, en revanche, les femmes de lAdoua el-Andalous taient les plus jolies. On trouve Fs les plus belles eurs et les meilleurs fruits de tous les climats. LAdoua el-Kairaouyn surpasse cependant lautre Adoua par leau dlicieuse de ses nombreux ruisseaux, de ses fontaines intarissables et de ses puits profonds ; elle produit les plus dlicieuses grenades aux grains jaunes du Maghreb, et les meilleures qualits de gues, de raisins, de pches, de coings, de citrons et de tous les autres fruits dautomne. LAdoua el-Andalous, de son ct, donne les plus beaux fruits dt, abricots, pches, mres, diverses qualits de pommes, abourny, thelkhy, khelkhy, et celles dites de Tripoli, peau ne et dore, qui sont douces, saines, parfumes, ni grosses ni petites, et les meilleures du Maghreb. Les arbres plants Merdj Kertha, situ au dehors de la porte Beni Messafar, produisent deux fois par an, et fournissent en toute saison la ville une grande quantit de fruits. Du ct de Bab el-Cherky, de lAdoua elKairaouyn, on moissonne quarante jours aprs les semailles ; lauteur de ce livre atteste avoir vas semer en cet endroit le 15 avril et rcolter la n du mois de mai, cest--dire quarante cinq jours aprs, dexcellentes moissons, et cela en 690 (1291 J. C.), anne de vent dest continuel, et durant laquelle il ne tomba pas une goutte de pluie, si ce nest le 12 avril.

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HISTOIRE DES SOUVERAINS DU MAGHREB

Ce qui distingue encore Fs des autres villes du Maghreb, cest que les eaux de ses fontaines sont fraches en t et chaudes en hiver, tandis que celles de la rivire et des ruisseaux, qui sont froides en hiver, sont chaudes en t, de sorte quen toutes saisons on a de leau froide et de leau chaude volont, pour boire, faire les ablutions et prendre des bains. On nest pas daccord sur ltymologie du mot Fs. On raconte que, lors ds premiers travaux, limam, par humilit et pour mriter les rcompenses de Dieu, se mit lui-mme louvrage avec les maons et les artisans, et que ceux-ci, voyant cela, lui offrirent un fs(1) (pioche) dor et dargent. Edriss laccepta, et sen servit pour creuser les fondements ; de l le mot fs fut souvent prononc ; les travailleurs disaient tout instant, donne le fs, creuse avec le fs, et cest ainsi que le nom de Fs est rest la ville. Lauteur du livre intitul El-Istibsr Adjeb el-Amar(2) rapporte quen creusant les premiers fondements du ct du midi, on trouva un grand fs pesant soixante livres et ayant quatre palmes de long sur une palme de large, et que cest l ce qui t donner la ville le, nom de Fs. Selon un autre rcit, on commenait, dj construire, lorsque le secrtaire dEdriss demanda quel serait le nom de la nouvelle ville. Celui du premier homme qui se prsentera nous, lui rpondit limam. Un individu passa et rpondit la question qui lui en fut faite. Je me nomme Fars; mais, comme il blsait, il pronona Fs pour Fars, et Edriss dit : Que la ville soit appele Fs. On raconte encore quune troupe de gens du Fers (Persans) qui accompagnaient Edriss tandis quil traait les murs denceinte furent presque tous ensevelis par un boulement, et quen leur mmoire on donna au lieu de laccident le nom de Fers, dont plus tard on t Fs. Enn on rapporte que lorsque les constructions furent acheves, limam Edriss dit : Il faut donner cette ville le nom de lancienne cit qui exista ici pendant dixhuit cents ans et qui fuit dtruite avant que lIslam ne resplendt sur la terre. Cette ville se nommait Sf et en renversant le mot on en lit Fs. Cette version dernire est la plus probable de toutes ; mais Dieu seul connat la vrit. Lorsque la ville et les murs denceinte furent achevs et que les portes furent mises en place, les tribus sy rendirent et stablirent chacune sparment dans un quartier ; les Kyssyta occuprent la partie comprise entre Bab Ifrkya et Bab el-Hadid de lAdoua el-Kairaouyn; ct deux se rangrent les Haabyoun et les Agyssya. Lautre partie fut occupe par les Senhadja, les Louata, les Mesmouda et les Chyhan. Edriss leur ordonna de diviser les terres et de les cultiver, ce quils rent, en plantant, en mme temps des arbres sur les bords de la rivire, dans Fhahs Sas, depuis sa source jusqu lendroit o elle se jette dans le euve Sebou. Un an aprs, ces arbres____________________ 1 securis, bipennis. (Kam. Dj.) 2 Considrations sur les merveilles des grandes villes.

ET ANNALES DE LA VILLE DE FS.

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donnrent des fruits, et cest l un prodige d la bndiction et aux vertus dEdriss et de ses anctres. (Que le Dieu trs-haut les agre !) A Fs, la terre est excellente, leau trs-douce, le climat tempr, aussi la population saccrut-elle promptement, et avec elle les biens et labondance, et bientt on vit de tous cts accourir une foule innombrable de gens qui venaient se rallier au descendant de la famille de llu, race gnreuse et pure. (Que Dieu la comble de bndictions !) Un grand nombre de gens de tous pays et quelques fragments de tribus vinrent bientt, de lAndalousie chercher Fs le repos et la sret ; en mme temps une foule de juifs sy rfugirent, et il leur fut permis de stablir depuis Aghlen jusqu la porte de Hisn Sadoun, moyennant un tribut annuel (djezi) quEdriss xa 30,000 dinars. Les grands et les kads choisirent leurs habitations dans lAdoua el-Andalous, et Edriss, aprs avoir laiss la garde de gens de conance ses chevaux, ses chameaux, ses vaches et ses troupeaux, xa sa rsidence dans lAdoua el-Kairaouyn avec sa famille, ses serviteurs et quelques ngociants, marchands ou artisans. Fs demeura ainsi pendant tout le rgne dEdriss et de ses successeurs Jusqu lpoque des Zenta; sous la domination de ceux-ci, elle fut considrablement agrandie ; on construisit, au dehors une innit de maisons qui rejoignirent bientt les jardins de la ville. Du Bab Ifrkya jusqu lAn Aslten slevrent au nord, au sud et lest des fondouks (caravansrails), des bains, des moulins, des mosques et des souks (marchs, places). Tout cet espace fut, rempli par les tribus Zenta, Louata, Maghila, Djyraoua, Ouaraba, Houara, etc. qui stablirent chacune dans un quartier part ; auquel elles donnrent leurs noms. Cest ainsi que prirent naissance le faubourg Louata, le faubourg El-Rabt ou Aghln, le faubourg Aben Aby Yakouka cou Berz