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HISTOIRE DE L’ANGLETERRE

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Du même auteur

La Grande-Bretagne et le monde, de 1815 à nos jours, ArmandColin, 2003.

Ville et violence : tensions et conflit dans la Grande-Bretagne victo-rienne, 1840-1914, Presses de l’Université Paris-Sorbonne,2004.

Les Années 1970 : fin d’un monde et origine de notre modernité,Armand Colin, 2008.

Belle Gunness : la première tueuse en série des États-Unis,Larousse, 2011.

Londres, la ville-monde (avec Marie-Claude Esposito), Vendé-miaire, 2013.

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PHILIPPE CHASSAIGNE

HISTOIREDE L’ANGLETERRE

Édition mise à jour(2015)

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© Aubier, 1996, pour l’édition originale© Flammarion, 2001, 2015, pour cette édition en coll. « Champs »

ISBN : 978-2-0813-8198-8

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À ma mèreÀ la mémoire de mon père

Et à D. C., bien sûr

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Avant-propos

Pour la troisième édition actualisée de cet ouvrage,l’auteur tient tout d’abord à remercier les lecteurs qui,année après année, ont, par leur intérêt soutenu, permiscette aventure éditoriale. Bien sûr, les éditions Flamma-rion arrivent immédiatement après, pour permettre à cesactualisations de suivre un rythme régulier.

La première édition de cet ouvrage date de près devingt ans (1996) : c’est peu à l’échelle de l’histoire d’unpays qui est aussi millénaire que le nôtre. Nous noussommes efforcés de ne pas frustrer le lecteur soucieuxd’aller à l’essentiel sur l’« Angleterre 1 » d’aujourd’hui, pasplus que celui qui rechercherait des vues plus distancées.Bien sûr, les périodes les plus récentes bénéficient d’un

1. « Angleterre » pris ici dans le sens générique qui a cours depuisla fin du XVIIIe siècle, pour désigner l’entité politique administrée parLondres, et non dans son acception géographique, plus restrictive :l’une – la plus étendue sans doute, et la plus peuplée aussi – desquatre « nations » qui composent le Royaume-Uni (Angleterre, pays deGalles, Écosse, Irlande du Nord). Nonobstant les récentes évolutionssémantiques qui incitent à distinguer précisément ce qui est « anglais »de ce qui ne l’est pas, on ne peut nier le rôle moteur du peuple anglaisau sein de cet ensemble, d’où notre perspective, qui prend en ligne decompte la destinée des autres « nations » lorsqu’elle se mêle à celle desAnglais, préférant laisser à d’autres spécialistes les études plus décentra-lisées.

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traitement de faveur relatif mais, globalement, les quatrepériodes canoniques des historiens (ancienne, médiévale,moderne, contemporaine) sont présentées à parts égales.

Peut-être faut-il trouver là la justification première decet ouvrage : fournir des points de repère, placer l’époquecontemporaine dans une perspective à long terme quiprend d’autant plus d’importance en Angleterre que sonhistoire, remarquable de continuité, imprègne sans cessele présent. Précisons-le d’emblée pourtant : par sonvolume, cet ouvrage ne saurait nullement prétendre àl’exhaustivité. Son ambition est de présenter les momentsclefs, les enjeux, de faire ressortir les grandes lignes deforce, et de replacer l’histoire anglaise dans une perspec-tive internationale sans laquelle, bien sûr, elle perd sonintelligibilité.

Les études anglaises ont connu en France une évolu-tion fort contrastée. L’anglophilie, voire l’anglomanie, àla mode dès le XVIIIe siècle – pensons à Voltaire ou àMontesquieu –, fut le terreau qui permit l’éclosion, ausiècle suivant, de tout un ensemble de travaux cherchantà décrire, puis à comprendre et à expliquer, le caractèreet l’histoire de nos voisins d’outre-Manche 1. Suivit unepériode moins faste, où l’histoire académique, davantageférue d’anecdotes que d’analyse, l’emporta sur l’étudeuniversitaire 2 ; jusqu’aux années 1970, les spécialistespouvaient, en dehors de quelques grands noms – telsFrançois Bédarida, François Crouzet, Roland Marx ou

1. Limitons-nous à l’évocation des ouvrages de Léon Faucher(Études sur l’Angleterre, 1845), Alfred Esquiros (L’Angleterre et la vieanglaise, 1869), Hippolyte Taine (Notes sur l’Angleterre, 1872), ouencore Élie Halévy (Histoire du peuple anglais au XIXe siècle, 1913).

2. Cf. l’Histoire de l’Angleterre de l’académicien André Maurois,parue en 1937.

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AVANT-PROPOS 13

Monica Charlot –, se compter sur les doigts des deuxmains.

La recherche s’est maintenant renouvelée 1 ; les maîtresont suscité des vocations, au point de faire renaître uneécole historique française d’études britanniques ; des pers-pectives nouvelles sont venues ébranler nombre de certi-tudes. Qu’il s’agisse des origines de la révolution de 1640,de la nature et de la fonction de l’État en Angleterredu Moyen Âge à nos jours, des causes de la persistanteimperméabilité britannique aux révolutions duXIXe siècle, des mécanismes de l’industrialisation, desstructures sociales du pays qui inventa pratiquement lanotion de « classes moyennes », de son évolution écono-mique récente – la question du « déclin », qui eut sonheure de gloire il y a une vingtaine d’années –, ou encoredu rôle de l’Angleterre dans le monde, tout a été soumisà « révision ». La scientificité historique sert du reste par-fois de paravent au militantisme politique pur et simple,quand il faut évoquer le tournant économique néo-libéralentrepris depuis les années 1980, les relations anglo-américaines ou le bilan du colonialisme britannique.C’est dire que loin d’être figée, l’histoire de l’Angleterreest plus riche en sujets de controverses que le public nele supposait souvent 2. En 1980, Monica Charlot pouvait

1. La publication de l’ouvrage de François Bédarida, FrançoisCrouzet et Douglas Johnson, De Guillaume le Conquérant au Marchécommun : dix siècles d’histoire franco-britannique (Paris, 1979), peutêtre considérée comme marquant le retournement de la tendance.

2. Pour un panorama récent, se reporter à Frédérique Lachaud etalii, Histoires d’outre-Manche. Tendances récentes de l’historiographie bri-tannique, Paris, 2001, ou Jean-Philippe Genet et alii, Les idéestraversent-elles la Manche ?, Paris, 2007. Ces deux ouvrages sont issusde colloques organisés par le GDR CNRS 2136 « France-îles Britan-niques ».

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d’ailleurs consacrer un ouvrage à l’« Angleterre, cetteinconnue 1 ». Plus de trois décennies plus tard, c’est àune approche dépoussiérée, si l’on ose dire, de l’histoireanglaise que nous convions le lecteur, pour dissiper lesméconnaissances, les approximations ou les ignorancesqui persistent encore trop souvent.

1. Monica Charlot, L’Angleterre, cette inconnue. Une société quichange, Paris, 1980.

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PREMIÈRE PARTIE

À LA PÉRIPHÉRIE DE L’EUROPE(Des origines à 1558)

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I

La formation du peuple anglais

L’usage du nom d’« Angleterre » pour désigner la partiecentrale des îles Britanniques s’imposa au VIIIe siècle ; sonétymologie évidente – le « pays des Angles », au demeu-rant une peuplade saxonne – est cependant trompeuse :ces envahisseurs barbares, arrivés de Germanie au Ve sièclede notre ère, n’étaient en fait que l’un des peuples à avoiralors traversé la mer du Nord. De plus, si l’élément anglo-saxon est prédominant dans le « peuple anglais », il n’estque l’une des pièces d’un vaste puzzle. Il n’en est mêmepas la plus ancienne, et, depuis la préhistoire, des vaguesd’envahisseurs se succédèrent les unes aux autres, réalisantainsi un vaste brassage ethnique.

Le poids de l’insularité

Atouts et contraintes du milieu géographique

« Messieurs, l’Angleterre est une île, et je devraism’arrêter là » : la phrase, par laquelle le politologue AndréSiegfried ouvrait en Sorbonne son cours d’histoire des îlesBritanniques, est au fil des décennies entrée dans lalégende. Une île, l’« Angleterre » en est une depuis la

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brutale remontée du niveau des mers, consécutive à unréchauffement climatique qui se produisit il y a environ12 000 ans, connu sous le nom de transgression flandri-enne. Les îles Britanniques se trouvèrent alors séparées ducontinent par un bras de mer de 30 à 150 kilomètres delarge : the Channel, notre « Manche ». Pourtant, l’Angle-terre au sens strict n’est, on le sait, qu’une partie d’unvaste archipel, qui couvre 307 000 km2 et s’étend – desîles Anglo-Normandes aux îles Shetland – sur une lon-gueur de 1 100 km, du 49e au 61e degré de latitude nord.Associée au pays de Galles et à l’Écosse, elle forme laGrande-Bretagne (225 000 km2) ; l’addition de l’Irlande,et des îlots alentour, forme alors les îles Britanniques.

Une histoire géologique tourmentée est responsable dufort contraste des paysages qui frappe l’attention du géo-graphe comme celle du touriste. Au nord et à l’ouest,des massifs anciens remontant à l’ère primaire, riches enressources minérales (houille, étain, fer, plomb argenti-fère) et qui, bien que rabotés par l’érosion, fournissent aupays ses points culminants : le mont Ben Nevis en Écosse(1 343 m), le mont Snowdon au pays de Galles (1 090 m)ou encore le district des Lacs (977 m au Sca Fell). Ausud et à l’est, de vastes bassins sédimentaires de l’èresecondaire, aux riches sols limoneux, tel le bassin deLondres. Ici, l’altitude moyenne ne dépasse pas 200 à250 mètres. Le plissement alpin, à l’ère tertiaire, puis, auquaternaire, les glaciations, remodelèrent encore le relief,comme en témoignent respectivement les Lowlands écos-sais – en fait, un fossé d’effondrement –, et les multiplesvallées glaciaires, ou lochs, qui donnent aux côtes septen-trionales des îles Britanniques leur facture typique.

L’influence de la mer est, de fait, partout sensible. Ladécoupe des côtes fait qu’aucun point du territoire n’en estdistant de plus de 120 km. Les nombreux fleuves et rivières

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qui parsèment le pays accentuent encore cette interpénétra-tion des éléments. Bon nombre de vallées fluviales se trou-vèrent transformées en larges bras de mer à l’occasion de latransgression flandrienne : ainsi naquirent les Firths écos-saises, la Mouth of Severn et l’embouchure de la Tamise. Lavariété des reliefs littoraux est immense, des dunes du Suf-folk et des marais de la Wash aux blanches falaises crayeusesdu Kent, qui valurent à l’île son premier nom, donné par lesmarins de l’Antiquité : Albion, l’île blanche. C’est égalementà la mer que le climat anglais doit son humidité proverbiale :elle tempère les excès thermiques et nourrit les nuagesapportés par les perturbations océaniques qui balaient lepays d’ouest en est de façon quasi permanente. Aussi lesécarts de température sont-ils très réduits : 8 à 9 degrésd’amplitude thermique annuelle sur la côte ouest, 10 à 12pour la côte est, moins arrosée (700 mm de précipitationscontre près de 1 000), et donc au climat un peu plus rude.Douceur, humidité et richesse des sols des plaines seconjuguent pour faire de l’Angleterre le pays où peut pous-ser une flore plus variée que partout ailleurs au monde.

La préhistoire

Grâce aux fouilles archéologiques, et en particuliercelles des tombes, ou barrows, nous pouvons prendre lamesure des va-et-vient des populations au cours de cettelongue période qui ne prit fin qu’en 55 av. J.-C., avec lapremière invasion romaine. Tentons de présenter uncadre chronologique clair : le paléolithique, pendantlequel l’archipel, occupé dès 500 000 ans avant notreère 1, ne fut peuplé que de façon intermittente, en raison

1. Comme l’atteste la découverte d’un fragment de tibia sur le sitede Boxgrove fin 1993 ; il détrône ainsi ceux de Clacton-on-Sea et deSwanscombe, remontant à 350-300 000 av. J.-C.

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des fortes variations climatiques, s’acheva vraisemblable-ment vers 3700-3500 avant notre ère. L’époque néoli-thique couvrit les deux millénaires suivants, puis vinrentl’âge du bronze (vers 1500-500 av. J.-C.) et enfin l’âgedu fer.

Le peuplement s’effectua par vagues successives. Lespremiers agriculteurs, arrivés vers 4500 av. J.-C., semêlèrent aux chasseurs autochtones. Les mouvements depopulation s’accélérèrent au cours des âges du bronze etdu fer, avec, en particulier, les allées et venues des tribusceltes. Les fouilles archéologiques attestent d’une assimi-lation progressive des différents modes de vie, plutôt quede la destruction systématique de l’ordre ancien : chaque« vague » ne comptait que quelques milliers d’individustout au plus. Assimilation, mais pas uniformisation : ausud-est prédominaient les villages ouverts, tandis que lereste de l’Angleterre du Sud, jusqu’aux montagnes gal-loises, était parsemé de gros oppida fortifiés. Les petitshameaux isolés, entourés de palissades, s’imposaient dansle Devon, la Cornouailles et le pays de Galles. Les estima-tions de la population britannique lors de l’âge du fervarient entre 500 000 et 2,5 millions d’habitants. Répar-tis en de multiples tribus, ils constituaient autant de petits« royaumes » indépendants et battant monnaie propre. Ilsétaient, consciemment ou inconsciemment, les déposi-taires d’une culture aux vestiges impressionnants. Le sitemégalithe de Stonehenge en est le meilleur emblème quisoit. Son édification dura de 2800 à 1075 av. J.-C., soitplus de dix-sept siècles, et mobilisa quelque trente mil-lions d’heures de main-d’œuvre. Mais on peut mention-ner aussi le tertre artificiel tout proche de Silbury Hill,haut de 40 m et datant de 2500 av. J.-C. ; ou encore leCheval blanc d’Uffington, taillé à flanc de coteau dans lacraie de l’Oxfordshire par les hommes de l’âge de fer.

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L’île s’intégra progressivement aux circuits commer-ciaux de l’époque. Les Phéniciens, puis les Grecs, avaientfranchi dès le VIIIe siècle av. J.-C. le détroit de Gibraltar,et avaient trouvé à Albion de l’alun, de l’étain et du fer.L’arrivée dans l’île de marchandises romaines, pourl’essentiel des cargaisons de vin, suivit de peu les pre-mières tentatives romaines de pénétration en Gaule. Decommerçants, les Romains se muèrent en envahisseurs en55 et en 54 av. J.-C., à l’occasion des deux expéditionsde Jules César en « Bretagne » (Britannia). Destinées àmater les tribus celtes qui soutenaient la résistance gau-loise, ces expéditions avaient en fait comme objectif prin-cipal de lui donner un surcroît de prestige pour s’assurerle pouvoir suprême à Rome. Les luttes civiles qui sui-virent son assassinat en 44 av. J.-C. expliquent qu’ellesn’aient pas débouché sur une annexion en bonne et dueforme. Toutefois, le récit de ces campagnes fournissant lamatière de deux livres des Commentaires sur la Guerre desGaules, la Bretagne entrait dans l’histoire.

La province romaine

La conquête

Il fallut attendre le règne de Claude (41-54) pour queles légions repartissent, en 43, à l’assaut de la Bretagne.La conquête se fit assez rapidement, la plupart des roite-lets celtes ayant compris que faire acte d’allégeance leurpermettrait de conserver, outre leur titre, une apparencede pouvoir. La première colonie fondée fut Camulodu-num (Colchester) et, en moins de quatre ans, les régionsallant de la Severn à la Trent étaient passées sous la domi-nation romaine. Baptisée Britannia, la province nouvelle

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se révéla quelque peu difficile à tenir. Une premièrerévolte survint dès 47, mais il ne s’agissait que d’une pâlepréfiguration de celle de 61. Menée par la reine Boudicca,elle concerna un nombre beaucoup plus grand de tribus.Veuve du roi des Icènes, un des souverains clients desRomains, elle aurait pris les armes pour empêcherl’annexion de son royaume sans autre forme de procès àla mort de son époux. Les brutalités des Romains avaientsuscité tant de ressentiment que la révolte se répanditcomme une traînée de poudre. Les villes de Camulodu-num, Verulamium (Saint Albans) et Londinium(Londres) furent pillées et incendiées avant que lesRomains ne parviennent à rétablir la situation au prixd’une féroce répression. Si la révolte, qui nous est rappor-tée par l’historien latin Tacite, est certaine 1, le person-nage de Boudicca pourrait appartenir davantage à lalégende qu’à la réalité ; on peut cependant considé-rer qu’en fournissant à l’imaginaire collectif sa premièrelégende « nationale », il est le pendant breton duVercingétorix gaulois.

Après l’écrasement de la révolte, les Romainss’employèrent à renforcer leur contrôle sur l’île. Le paysde Galles et l’île d’Anglesey furent conquis en 78. Cinqans plus tard, le légat Julius Agricola atteignit les Low-lands écossais, mais ne put soumettre les Calédoniensretranchés dans les hautes terres. Son expédition marquala limite septentrionale de la pénétration romaine. Unegénération plus tard (en 122), l’empereur Adrien fitconstruire le gigantesque ensemble fortifié qui porte sonnom, afin de protéger la province des tribus celtes restéesinsoumises. Le Mur d’Adrien était un savant ouvrage

1. Des couches de matériaux calcinés ont été dégagées à Londrespar les archéologues.

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reliant sur 120 km l’embouchure de la Tyne à celle de laSolway. Précédé d’un large fossé, il associait maçonnerieet levées de terre, renforcées de fortins à intervalles régu-liers. Sa construction s’inscrivait dans une vaste politiquede fortification de l’Empire derrière un gigantesqueretranchement, le limes, dont il est la version britannique.Son successeur, Antonin le Pieux, fit édifier plus au nordentre 139 et 142 un rempart similaire entre les estuairesde la Clyde et de la Forth. Mais la position n’était pas sûreface aux Pictes et il dut être abandonné une quarantained’années plus tard.

La civilisation britanno-romaine

La romanisation ne fut entreprise sérieusementqu’après l’écrasement de la révolte des Icènes : c’était, auxyeux des autorités, le meilleur moyen d’éviter que de telsévénements ne se reproduisent. Elle se manifesta d’abordpar l’incorporation de la Bretagne dans les institutionspolitiques et administratives de l’Empire, par la mise enplace d’un double réseau, urbain et routier, et par l’inté-gration de l’île dans les circuits commerciaux du monderomain. Au IVe siècle, ce fut au christianisme de consti-tuer un autre facteur de romanisation.

La Bretagne constituait la province la plus septentrio-nale de l’Empire. En 197, elle fut divisée en deux, le longd’une ligne allant approximativement de la Severn à laHumber. Au nord, la province de Bretagne supérieure,avec pour capitale Deva (Chester) ; c’était une provincemilitaire, qui devait faire barrage aux incursions récur-rentes des Pictes au travers du Mur d’Adrien 1. Au sud,

1. Il fut temporairement abandonné en 155-158, partiellementdétruit en 196-197, et reconstruit en 205-208.

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la Bretagne inférieure, capitale Eburacum (York),jouissant des bienfaits de la paix romaine. Les nombreusestribus celtes avaient été regroupées en une quinzaine decivitates, chacune étant rattachée à un chef-lieu. La civili-sation romaine était en effet une civilisation par essenceurbaine. Dans le processus d’assimilation, les villes étaientautant de pôles à partir desquels se diffusait la romanité.La Bretagne ne compta que quatre colonies militaires– villes où s’étaient établis des citoyens romains, pourla plupart des vétérans arrivés à la fin de leur carrière :Camulodunum, Eburacum, Lindum (Lincoln) et Gle-vum (Gloucester). On remarquera que Londinium nefigure pas parmi la liste : fondée entre 50 et 60 ap. J.-C.comme chef-lieu de civitas 1, elle eut dès l’origine unevocation stratégique et commerciale, et ne devint uncentre politique qu’au IVe siècle. Quel que fût leur statut,toutes les villes étaient construites suivant les principes del’urbanisme romain : un plan géométrique, articuléautour des principaux bâtiments publics (forum, basi-lique, thermes, temples). La plupart étaient établies surdes sites plus anciens, ou à proximité immédiate, afind’établir une nécessaire continuité avec les temps cel-tiques.

La même continuité se manifestait dans le peuplementdes campagnes. En effet, les villes ne représentaient pasplus de 10 % de la population totale, et l’importancedu peuplement rural est attestée par les multiples fouillesauxquelles les archéologues anglais se sont livrés. Il sembleque l’agriculture britanno-romaine était organisée en

1. Le site originel se situait à proximité immédiate d’un gué sur laTamise ; ceinturée de remparts au IIe siècle, la civitas constitua le noyaude l’extension urbaine ultérieure – son nom survit encore de nos jourssous l’appellation de City.

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deux structures types : d’une part, au sud de la Tamise,de grands domaines, propriétés de l’élite locale, indigèneou non, analogues aux villae rencontrées sur le continent.D’autre part, dans le reste de la province, de multiplesvillages, vraisemblablement peu affectés par la conquêteromaine, dans lesquels se perpétuaient des types d’exploi-tation datant de l’âge de fer. Le réseau routier avait unefinalité avant tout stratégique, comme le montre l’orien-tation des trois grands axes qui, menant de Londinium àEburacum, Deva et Legionum Urbs (Cardiff ), permet-taient d’acheminer rapidement des troupes vers desrégions peu sûres. Pour ce qui était des transports de mar-chandises, les routes subissaient la concurrence des coursd’eau et du cabotage, aussi rapides et plus sûrs.

La Bretagne avait rapidement trouvé sa place dans lescircuits commerciaux de l’Empire, en dépit descontraintes du climat, qui interdisaient la culture de lavigne et de l’olivier, les deux plantes fétiches des Romains.Restaient le blé et les autres céréales, l’élevage, mais avanttout l’exportation des métaux : le bronze, le fer, mais aussile plomb nécessaire à la verrerie, le cuivre et l’étain desCassitérides en Cornouaille. Ces produits semi-finisétaient échangés contre du vin, de l’huile et des objets enmétal nécessaires aux légions stationnées en Bretagne.

La religion était l’ultime facteur d’intégration au seindu monde romain. Le culte impérial, instauré dès le règnede Claude à Camulodunum, s’étendit aux autres villes dela province. Les religions orientales, qui se popularisèrentdans l’Empire à partir du IIe siècle après J.-C., essaimèrentégalement en Bretagne, comme le démontrent les restesdu temple de Mithra exhumé à Londres en 1954. Lechristianisme s’imposa ensuite rapidement dès queConstantin, qui s’était fait proclamer empereur à Ebura-cum en 306, en fit la religion d’État. Des évêques bretons

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participèrent aux conciles d’Arles (314), de Nicée (325)et d’Ariminum (349), signe supplémentaire de la placetenue par cette province dans un monde romain qui semuait lentement en Chrétienté.

Le bilan

Le milieu du IVe siècle vit le début des incursionssaxonnes, dont son insularité avait jusqu’alors épargné laprovince. À la même époque, Scots d’Hibernie (Irlande)et Pictes de Calédonie franchissaient le Mur d’Adrien en367 et en 383. Subdivisée en quatre, puis cinq provinces,la Bretagne se révélait de plus en plus difficile à tenir etsa situation périphérique en faisait un enjeu secondairedans un empire qui craquait de toutes parts. En 410, lesderniers légionnaires quittèrent le sol breton.

Le bilan de ces quelque quatre siècles de présenceromaine doit être nuancé. Il serait assurément excessif desoutenir que l’héritage romain se limite… au radis et à laprimevère, qu’ils acclimatèrent en Bretagne ! D’un autrecôté, il est certain que la romanisation n’a pas été totale.Bien qu’intégrée pleinement dans l’Empire romain, laprovince souffrait de sa position excentrée. Elle avait unréseau routier de premier ordre qui peut être, à juste titre,considéré comme l’ancêtre du réseau actuel ; toutefois, ildémarquait, à l’occasion, des chemins empruntés depuisl’âge du fer et son utilité économique fut secondaire. Demême, si de nombreuses villes de l’Angleterre d’aujour-d’hui sont issues de fondations romaines (ajoutons ànotre liste Dorchester, Wroxeter, Exeter ou Douvres),elles ne furent jamais très florissantes et, au IVe siècle, ellesse trouvaient en plein déclin. Ce n’est d’ailleurs qu’à cemoment tardif que Londinium, capitale économique dela province, parvint à supplanter Eburacum comme capi-

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tale politique : la hiérarchie urbaine instaurée par lesRomains ne préfigurait que bien imparfaitement celle quiallait se mettre en place par la suite.

C’est dans la langue que l’influence latine est aujour-d’hui le plus sensible, même si elle est bien sûr loin d’êtredominante. Ceci est au bout du compte assez proche dela réalité des faits : dans une Bretagne qui pouvait fairefigure de région sous-développée par rapport au reste del’empire, la romanisation fut superficielle et concernaavant tout les grands propriétaires fonciers ; la vie du restede la population ne changea guère par rapport à lapériode celtique.

De la Bretagne à l’Angleterre

Les sources

Il convient, pour tenter de dresser le tableau de cettepériode couramment dénommée les « Âges obscurs »(Dark Ages), de commencer par un rapide inventaire dessources sur lesquelles reposent nos (rares) certitudes.L’archéologie, une fois de plus au travers de l’étude dessépultures – on connaît le splendide trésor de SuttonHoo, exhumé en 1939 – nous a permis de prendre lamesure de la richesse de l’art de ces « barbares ». Mais, àla différence de l’époque celtique, des sources écrites sontlà pour compléter notre perspective. Dès 540-547, lemoine Gildas laissa dans La Ruine de la Bretagne, untémoignage apocalyptique de l’arrivée des Saxons (adven-tus saxonum). En 731, un autre moine, Bède le Vénérable,acheva son Histoire ecclésiastique du peuple anglais 1, dont

1. Bede, Historia Ecclesia Gentis Anglorum (trad. fr. Histoire ecclé-siastique du peuple anglais, Paris, 1995).

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le titre même traduit une première émergence d’une« conscience nationale » anglaise. Enfin c’est au IXe siècleque débuta la rédaction de la Chronique anglo-saxonne,relatant les événements survenus chaque année dans lepays 1. Mais, outre ces œuvres de caractère historique,c’est toute la poésie vieille-anglaise qui, à l’instar de lasaga de Beowulf, rédigée probablement au VIIIe siècle,regorge d’indications sur la société et les mœurs desSaxons.

L’adventus saxonum fut-il aussi catastrophique quel’ouvrage de Gildas le décrit ? On peut légitimements’interroger sur le rapport des forces en présence : lesenvahisseurs n’étaient guère plus de 20 000 à 25 000 (enincluant femmes et enfants), et quelle que fût leur ardeurau combat, ils devaient compter avec les murailles desvilles, et une population locale que les estimations les pluspessimistes situent entre 2 et 2,5 millions, soit un rapportde un à cent 2. En fait, l’archéologie démontre qu’Anglo-Saxons et Bretons coexistaient – pacifiquement, on peutle supposer – tant dans les villes que dans les campagnes.Il faut donc plaider à nouveau en faveur de la continuitéplutôt que de la rupture entre les deux périodes, en dépitdes affirmations d’une littérature monastique pétried’arrière-pensées apocalyptiques, de méfiance et d’hosti-lité vis-à-vis de païens. Au cours des six siècles qui vont del’arrivée des Saxons à l’invasion normande, d’importantestransformations virent le jour.

1. Elle nous est connue par des copies ultérieures, telle celle réaliséevers 1140 par Jean de Worcester.

2. D’autres tablent sur une population autochtone de 4 millionsde personnes.

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L’établissement des royaumes saxons

Angles et Saxons s’installèrent le long des côtes du Nor-folk et du Kent vers 450-455, pour ensuite ravager lesMidlands (les régions centrales du pays). En effet, audébut du Ve siècle, les Bretons avaient eu recours à desmercenaires saxons pour les aider à lutter contre les Scotset les Pictes : cela en avait incité d’autres à traverser à leurtour la mer du Nord. Dans un premier temps, les Bretonsparvinrent à résister à ces nouveaux venus, remportantmême vers 495 une grande victoire au mont Badon, prèsde Cirencester. La légende veut que cette bataille ait étégagnée par le roi Arthur, champion de la lutte contre lesSaxons, mais aucun texte d’époque n’atteste son existenceet sa légende est beaucoup plus tardive (XIIe siècle) 1.Toute l’Angleterre passa sous la domination des envahis-seurs, à l’exception du pays de Galles qui réussit à préser-ver la culture gaélique. Sept royaumes (l’« Heptarchie »)se constituèrent progressivement : Kent, Wessex, Essex etSussex au sud, Mercie, East Anglie et Northumbrie aucentre et au nord, chacun exerçant à tour de rôle la supré-matie.

Un événement capital avait eu lieu entre-temps : laconversion des Anglo-Saxons au christianisme. À l’initia-tive du pape Grégoire le Grand, le moine Augustin (plustard élevé à la sainteté sous le nom de saint Augustin deCantorbéry) se rendit en Angleterre et convertit le roiEthelbert de Kent et ses sujets en 596-597. L’entreprisefut cependant ardue et ne put être menée à bien que

1. L’histoire d’Arthur est mentionnée une première fois dans l’His-toire des Bretons de Nennius (vers 830), mais n’apparaît dans son inté-gralité que dans l’Histoire des Rois de Bretagne de Geoffroy deMonmouth (vers 1136).

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grâce à l’action concomitante des moines irlandais 1 quiconcentrèrent leurs efforts sur le nord de l’Angleterre. Audébut du VIIIe siècle, l’organisation de l’Église anglaiseétait fixée dans ses grandes lignes, avec la répartition endouze évêchés et deux archevêchés, sis originellement àLondres et à York. Toutefois, Augustin ayant été faitévêque de Cantorbéry, c’est ce diocèse qui bénéficia fina-lement de la dignité archiépiscopale, au lieu de Londres,ainsi que de la primature.

Une identité saxonne ?

Par-delà les divisions politiques et les luttes pour lasuprématie entre les différents royaumes, il existait uneévidente homogénéité due aux origines géographiquesvoisines des différentes peuplades saxonnes. Si le premierélément en était la communauté de langue, elle se mani-festait aussi dans l’organisation des rapports sociaux. Lasociété saxonne était une communauté très fortement hié-rarchisée, dont les valeurs premières étaient la fidélité etl’honneur. Fidélité avant tout au chef de la tribu, auqueltous devaient une obéissance absolue, comme à la lignéefamiliale, véritable pierre angulaire du monde saxon.Toute atteinte à ses intérêts et à son honneur devait êtrevengée collectivement ; omniprésente, la violence était enquelque sorte institutionnalisée 2. Le roi se trouvait au

1. L’Irlande n’avait jamais cessé d’être chrétienne, et des missionsévangélisatrices avaient été organisées vers l’Écosse, en particulier parsaint Colomba, qui fonda le monastère d’Iona en 563.

2. Par la suite, des arrangements monétaires furent instaurés, quise substituèrent à ces affrontements claniques. Le plus connu étant lewergild, ou « prix de l’homme », réparation financière prévue en casd’homicide ; elle pouvait être acceptée sans perte d’honneur, pourvuque son montant soit proportionnel au rang de la victime.

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sommet de tout l’édifice social. Sa personne était invio-lable et sacrée, ses décisions sans appel. Il était choisi etassisté par un conseil, rassemblant les personnages les plusimportants du royaume. La conversion des Saxons auchristianisme contribua à renforcer l’image sacrée du sou-verain : les serments qui lui étaient faits devaient êtreprononcés sur des reliques et de nombreux dignitairesecclésiastiques peuplaient son conseil. Ces rois saxons nefaisaient nullement figure de parents pauvres dansl’Europe du haut Moyen Âge. Charlemagne entretint unecorrespondance suivie avec Offa de Mercie (757-796) etson conseiller Alcuin, instigateur de la « renaissance caro-lingienne », était originaire de la ville d’York ; les roisAlfred de Wessex – Alfred le Grand (871-899) – et Athel-stan (924-939) pratiquèrent une politique matrimonialeactive avec les principautés franques du continent.

La société saxonne était une société rurale. Au sommetde la hiérarchie, le « comte » (earl), tenant ses terres duroi et résidant dans une demeure fortifiée (burh). Ensuite,les hommes libres (churl), exploitant de plein droit latenure familiale en suivant un système de champs ouverts(le fameux openfield) : les parcelles, non closes, étaientmises en culture par l’ensemble de la communauté villa-geoise, en suivant un rythme d’assolement biennal outriennal. On rencontrait également dans l’ouest del’Angleterre des hameaux et des fermes isolées au lieu devillages groupés. Au plus bas niveau de la société se trou-vaient les esclaves, ennemis capturés au cours d’unebataille, hommes libres contraints par la nécessité àvendre leur liberté, ou encore criminels payant ainsi leurfaute. La conversion au christianisme n’entraîna pas ladisparition de cette pratique d’origine païenne, maiscontribua à adoucir le sort des esclaves et à étendre lespossibilités d’affranchissement.

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Le danger viking renforça cette homogénéité culturelle.Les invasions danoises commencèrent de façon spora-dique à la fin du VIIIe siècle ; en 865, ils hivernèrent enEast Anglie avant d’aller ravager les Midlands. Alfred leGrand, roi de Wessex, parvint à contenir leur avance,traita avec eux en 885 et réussit même l’exploit de conver-tir leur chef Guthrum au christianisme – il devint ainsile premier héros national anglais. La rivière Léa matéria-lisa la frontière entre l’Angleterre saxonne et celle qui était« soumise à la loi danoise » (le Danelaw) – en gros, toutl’est du pays, de l’East Anglie au royaume d’York. Le restede l’Angleterre passa en retour sous l’autorité des souve-rains du Wessex. Une nouvelle invasion, menée à partirde 990, vint jeter à bas cet édifice. Ethelred II l’Indécis(978-1016) dut s’humilier au point de payer un tributaux Danois (le Danegeld) et, en 1016, Cnut le Grand(1016-1035) ajouta l’Angleterre à son empire qui com-prenait déjà le Danemark, la Norvège et la Suède. Ladomination danoise ne lui survécut cependant que peu :dès 1042, la lignée saxonne fut restaurée, en la personned’Édouard le Confesseur, fils d’Ethelred.

La menace constante des Vikings eut d’importantesconséquences sur l’évolution institutionnelle et sociale del’Angleterre saxonne. Tout d’abord, l’institution monar-chique se renforça, comme l’atteste l’aura qui entoure,aujourd’hui encore, le nom d’Alfred le Grand. La luttecontre l’envahisseur nécessita ensuite l’unification des dif-férents royaumes saxons (d’où le titre de « roi de toutel’Angleterre » utilisé à partir du début du Xe siècle), ainsique l’instauration de divisions administratives plus facilesà contrôler, les hundreds et les shires 1, qui étaient appeléesà subsister jusqu’en… 1974 !

1. À compter du Xe siècle, un shire était administré par un représen-tant direct du roi, le shire-reeve (shérif ).

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La crainte des Danois raviva une vie urbaine quelquepeu amoindrie au cours des « Âges obscurs ». Les souve-rains multiplièrent les fondations pour constituer unréseau de places fortifiées contre les incursions deshommes du Nord. Alfred le Grand en parsema le Wessex,de telle sorte qu’aucun point de son royaume n’était éloi-gné de plus d’une trentaine de kilomètres de l’une d’entreelles. Le procédé fut ensuite étendu aux régions recon-quises à la fin du Xe siècle. À l’inverse, la présence danoiseput apporter profit économique et rayonnement poli-tique à certaines villes. Ce fut le cas de York, un momentcapitale d’un royaume danois, de Norwich, ou encore des« Cinq Bourgs » au cœur du Danelaw (Lincoln, Stam-ford, Nottingham, Leicester et Derby).

L’Angleterre connut ses derniers démêlés avec lesVikings en 1066. Le règne d’Édouard le Confesseur(1042-1066) avait été tout entier marqué par la questionde la succession du roi, qui, animé d’une piété telle qu’ilvivait en moine aux côtés de son épouse, était resté sanspostérité. La couronne était revendiquée concurremmentpar un descendant de Cnut, le Norvégien Harold Har-draada, par le comte saxon Godwin de Wessex, puis sonfils Harold, et enfin par le duc de Normandie, Guillaumele Bâtard, lui-même d’ascendance viking 1, neveu du roiEthelred et donc cousin au deuxième degré d’Édouard.Celui-ci l’aurait désigné comme son héritier en 1051 lorsd’un séjour en Normandie. Or, au lendemain de la mortd’Édouard, en janvier 1066, le conseil préféra Harold, filsde Godwin. Le prétendant norvégien se vengea en lan-çant au mois de septembre suivant une série de raidscontre la Northumbrie, mais fut battu et tué à Stamford

1. Le chef viking Rollon avait obtenu de Charles le Simple, autraité de Saint-Clair-sur-Epte en 911, de s’installer en « Normandie ».

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Bridge par les Saxons. Autrement redoutable était le ducde Normandie qui débarqua à Pevensey le 28 septembreet affronta le roi Harold à Hastings le 14 octobre suivant.La tapisserie de Bayeux, brodée par l’épouse deGuillaume, la reine Mathilde, montre comment la mortde Harold – il reçut une flèche dans l’œil au cours ducombat – assura la victoire aux Normands. Guillaume,devenu « le Conquérant », reçut l’allégeance des princi-paux comtes saxons et fut couronné roi d’Angleterre dansl’abbaye de Westminster le jour de Noël : il signait la finde l’Angleterre saxonne.

Les premiers temps de l’Angleterre normande(1066-1154)

Il fallut plusieurs années avant que tout le pays ne sepliât à la domination normande : des soulèvements seproduisirent à Exeter et Hereford en 1067, à Durham en1069, et dans le Yorkshire et l’East Anglie l’année sui-vante. La répression fut brutale (c’est le « harcèlement dunord » dans le Yorkshire) et suivie d’une mise en couperéglée du pays. On multiplia les forteresses, destinées àprévenir tout nouveau soulèvement, ainsi qu’à repousserun éventuel retour des Danois : la Tour de Londres, oules châteaux de Norwich, Durham ou Newcastle-upon-Tyne en témoignent encore de nos jours. Les noblessaxons furent expropriés et leurs terres données auxquelques chevaliers normands qui avaient accompagnéGuillaume : ils constituèrent la nouvelle aristocratie.Églises et cathédrales romanes remplacèrent la plupart desédifices saxons. Les sièges épiscopaux et les bénéfices reli-gieux furent dans leur immense majorité donnés à desNormands méprisant la population autochtone, sescroyances et ses saints. L’Angleterre devint un pays où

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cohabitaient plus que ne se mêlaient deux populationsdistinctes et sourdement hostiles : la masse des Saxons(entre 1,5 et 2 millions d’habitants) et les Normands,dont le nombre n’excédait pas 10 000 personnes.

Le Conquérant mourut en 1087 et ses successeursGuillaume II le Rouge (1087-1100) et Henri Ier (1100-1135) parvinrent tant bien que mal à préserver l’unionde la Normandie et de l’Angleterre. Ce dernier développaune administration centralisée et efficace, en un mot, pro-fessionnelle, en s’appuyant sur les clercs plutôt que surles nobles, d’où le surnom de « Beauclerc » qui lui futdonné. En 1100 apparaît la première mention de l’« Échi-quier » (Exchequer) 1, rouage central de la monarchie nor-mande, qui bénéficie alors d’une gestion bien supérieureà celle du royaume de France. Sa mort en 1135 ouvritune nouvelle période de troubles. Sa fille Mathilde (Mauddans l’historiographie anglaise), veuve de l’empereur alle-mand Henri V, dut disputer la couronne à Étienne deBlois (1135-1154), neveu du défunt roi. La guerre civilequi s’ensuivit ne s’acheva qu’en 1152 à la faveur d’uncompromis : à la mort d’Étienne, la couronne reviendraitau fils de Mathilde et de son second mari, le comted’Anjou Geoffroy Plantagenêt. Deux ans plus tard, HenriPlantagenêt devenait roi sous le nom de Henri II et, pourla première fois depuis plus d’un siècle, la successionn’était pas contestée.

1. Les chiffres romains étant encore utilisés en Angleterre auXIIe siècle, les opérations, même élémentaires, devenaient vite compli-quées. Il était nécessaire d’utiliser un drap à carreaux (chequered) etdes jetons pour faciliter les calculs. La table sur laquelle était placéece drap prit le nom d’« Échiquier », bientôt étendu à l’administrationen elle-même.

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On a pu dire que « l’une des périodes les plus forma-trices » de l’histoire anglaise avait été l’époque saxonne 1.Elle le fut en effet d’un triple point de vue, politique,culturel et « idéologique ». Politique, tout d’abord, car lamonarchie, en tant qu’institution, avait acquis à la veillede la conquête normande des caractéristiques qui allaientse révéler durables – que ce soit la sacralisation de lapersonne du souverain, ou la mise en place d’une admi-nistration uniforme dans toute l’Angleterre. Beaucoup delocalités portent aujourd’hui un nom directement dérivéde leur nom saxon, en règle générale celui de l’hommeou de la femme qui s’y était installé au début des « Âgesobscurs » et y avait édifié son domaine. Du point de vueculturel, on sait que la langue saxonne, qui était parvenueà supplanter presque totalement le latin, est la matriced’où sortit l’anglais, en dépit des emprunts, d’ailleursd’importance limitée, qui furent faits au français entre leXIe et le XIVe siècle. Quant à l’organisation religieuse, Yorket Cantorbéry sont aujourd’hui encore les sièges des deuxarchevêchés anglais, et, quatorze siècles après la mortd’Augustin, l’archevêque de Cantorbéry est toujours pri-mat d’Angleterre.

Enfin – et c’est l’aspect plus proprement idéologique –,l’époque saxonne donna naissance à deux mythes promisà un bel avenir. Le premier est celui de Robin de Lock-sley, ou Robin des Bois (Robin Hood). Mentionné furtive-ment comme hors-la-loi (fugitivus) dans les archives del’Échiquier en 1230, il n’apparaît véritablement que dansdes textes du XVe siècle ; mais sa légende est bien évidem-ment l’écho de l’antagonisme qui existait encore au

1. G. R. J. Jones, « Celts, Saxons and Scandinavians », in R. A.Dodgshon et R. A. Butlin (dir.), An Historical Geography of Englandand Wales, Londres, 1990, p. 45.

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XIIIe siècle entre Saxons et « occupants » normands. Lesecond, fort en vogue, nous le verrons, au XVIIe siècle, aucours des luttes des Parlements contre l’« absolutisme »Stuart, est celui de l’« Anglais né libre » (Free BornEnglishman) 1. Les anciens Anglais auraient joui avant1066 d’une liberté se manifestant entre autres par laconvocation à intervalles réguliers d’assemblées au coursdesquelles tous les sujets pouvaient donner avis et sugges-tions au souverain (le witenagemot). Les Normands, enrevanche, auraient mis fin à cette sorte de démocratieavant la lettre, spolié les hommes libres de leurs droitspolitiques, et instauré une monarchie autoritaire contraireaux traditions des vaincus (c’est la thèse dite du « jougnormand »). Est-il besoin de dire que cette constructionpolitique n’était qu’un travestissement de la réalité histo-rique, d’ailleurs opéré en toute bonne foi, qui prêtait auwitenagemot une finalité et des pouvoirs qu’il n’avaitjamais eus : on lui demandait seulement d’approuver paracclamations les décisions du roi. Mais l’existence mêmede ce mythe, six siècles après la conquête, en dit long surles rancœurs accumulées par les vaincus.

1. Voir chap. VII.

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II

L’empire anglo-angevin

L’accession au trône d’Henri II Plantagenêt ouvrit pourl’Angleterre une période de prépondérance européenneincontestée, que symbolisait au premier chef l’étendue deses possessions, des îles Britanniques aux Pyrénées. À latête de cet « empire » anglo-angevin, un souverain qui,s’adressant à ses sujets comme « Français et Anglais », ten-tait ainsi de concilier les deux identités dans un seulensemble politique. Trois siècles plus tard (1453), laGuyenne était prise par le roi de France Charles VII :c’en était fini de cette entreprise, dont la caractéristiqueprincipale avait été d’engendrer une succession presqueininterrompue de conflits avec le roi de France, et quiavait conduit à un affaiblissement marqué des préroga-tives de la couronne, au moment où dans toute laChrétienté s’affirmaient au contraire les États monar-chiques. Entre-temps, la faillite du « rêve angevin » avaitpermis l’émergence d’une véritable conscience nationaleanglaise.

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Une construction politique originale

La constitution progressive de l’« empire »

Il fallut moins de dix ans à Henri Plantagenêt pourdevenir l’homme le plus puissant de la Chrétienté. Filsde Geoffroy, comte d’Anjou, et de l’impératrice Mathilde,son père lui céda en 1149 le duché de Normandie, qu’ilavait conquis sur Étienne de Blois au cours de la guerrecivile. L’année suivante, la mort de Geoffroy le fit hériterdu Maine, de la Touraine et du berceau de sa famille,l’Anjou. En 1152, il épousa Aliénor d’Aquitaine, récem-ment divorcée du roi de France Louis VII, dont elledéplorait le manque de tempérament ; en dot, elle appor-tait toutes les principautés du quart ouest du royaumede France – Poitou, Aquitaine, Gascogne, Auvergne. Sonaccession au trône d’Angleterre à la mort d’Étienne deBlois, en étendant ses possessions de l’autre côté de laManche, fit de lui un personnage unique dans l’Europedu XIIe siècle. Duc-roi, Henri II avait reçu l’Angleterrepar sa mère, mais il était avant tout un prince français,né dans le royaume de France, parlant le français,et consacrant beaucoup de son temps à ses provincesfrançaises 1.

Toutes ses possessions continentales demeuraient partieintégrante du royaume de France. Bien sûr, Henri Planta-genêt était devenu roi outre-Manche et, en termes de real-politik, un personnage mille fois plus puissant que lesouverain français. Il n’était pourtant en aucune façondélié de ses obligations envers lui : c’était son suzerain– son supérieur dans la hiérarchie féodale –, et Henri luidevait l’hommage, c’est-à-dire reconnaître formellement

1. Henri II régna trente-quatre ans (1154-1189), pendant lesquelsil en passa vingt et un sur le sol de France.

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son autorité. Il s’exécuta dès 1157 pour la Normandie, etdeux ans plus tard, il recommença pour la Guyenne 1. Letexte du serment illustrait la force du lien qui unissaitsuzerain et vassal ainsi que la réciprocité nécessaire desobligations mutuelles : « Moi, roi Henri, j’assurerai au roide France, comme à mon seigneur, sa vie, ses membreset son honneur terrestre, si lui-même m’a assuré, commeà son homme et son fidèle, ma vie, mes membres et mesterres qu’il m’a reconnues et pour lesquelles je suis sonhomme. »

En 1157 également, le roi d’Écosse lui rétrocéda descomtés qu’il s’était appropriés pendant la guerre civile etil lui prêta hommage en 1174, reconnaissant ainsi la suze-raineté d’Henri II sur son royaume (qui n’en restait pasmoins totalement indépendant). Vint ensuite le tour dupays de Galles, conquis au terme de quinze ans de luttes(1157-1172) et de l’Irlande : une expédition menée en1171 obligea les chefs locaux à le reconnaître commesuzerain. Elle n’eut cependant qu’une portée limitée :Henri II ne prit pas le titre de « roi » d’Irlande, et aucours des générations suivantes, l’influence anglaise yresta très superficielle.

Les rouages du pouvoir

Le roi était le personnage clef de cet empire. En réac-tion contre l’affaiblissement de la monarchie qui avait eulieu sous Étienne, son pouvoir fut présenté comme étantsans limites. Une nouvelle fois, l’Église apporta sa contri-bution : lors de son accession, le souverain était à la fois

1. Les rois normands avaient toujours refusé de prêter hommageau roi de France ; en revanche, Richard, fils aîné d’Henri II, s’exécutadès 1188, ainsi que son frère Jean, en 1189 et 1200.

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couronné et sacré, c’est-à-dire qu’il recevait, en plus dessymboles de son autorité temporelle, une onction qui enfaisait l’élu du Seigneur. Il était systématiquement appelé« Roi par la grâce de Dieu » et, à l’instar des rois deFrance, il se targuait du pouvoir de guérir les malades 1.

Les Plantagenêts perfectionnèrent aussi la machineadministrative dont ils avaient hérité. Ils s’entourèrent deconseillers – Flamands, Normands ou Poitevins toutautant qu’Anglais – à qui revenait la charge d’administrerle royaume en raison des perpétuels déplacements du sou-verain. Au sommet de l’État, on peut distinguer la Cour(Curia Regis) et des grands offices aux fonctions définiesavec précision. La Cour rassemblait tout à la fois familiersdu roi, serviteurs, administrateurs, grands vassaux laïqueset ecclésiatiques. Elle était là pour conseiller le roi (c’étaitmême un des devoirs des vassaux) lorsqu’il jugeait oppor-tun de le demander. En revanche, l’assistance pécuniaireau suzerain étant un autre des devoirs féodaux, elle n’avaitpas à se prononcer sur la levée des impôts : le Danegeldfut perçu jusqu’en 1163, en dépit de la disparition de lamenace viking ; en 1188, Henri II leva dans toutes sespossessions la « dîme saladine » pour financer la prépara-tion de la troisième croisade.

Les grands offices – Chancellerie, Échiquier et Trésore-rie, Banc du Roi – étaient originellement des services spé-cialisés de la Maison du Roi. La Chancellerie avait laresponsabilité de la rédaction de tous les diplômes royaux,qui prirent le nom d’Act par lesquels on désigne encoreles lois aujourd’hui. L’Échiquier, devant lequel les shérifsvenaient chaque année déposer leurs comptes, se scinda

1. Étienne de Blois fut le premier souverain anglais à exercer cepouvoir de thaumaturge ; toutefois, il fallut attendre Henri II pourqu’il y soit fait recours de façon systématique.

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sous Henri II en un Bas-Échiquier, ou Trésorerie, chargéde l’administration courante, et un Haut-Échiquier, fai-sant office de Chambre des comptes. Enfin, le Banc duRoi, bientôt assisté de la Cour des Plaids Communs ren-dait la justice au nom du souverain. Le Grand Justicier,véritable « numéro deux » du royaume, qui remplaçait leroi pendant ses absences, était à la tête de cette adminis-tration. Aux XIIe-XIIIe siècles, un droit anglais, unique etcentralisé s’affirma définitivement, sur les coutumeslocales : c’était la « loi commune » (common law), dont lapremière conceptualisation fut l’œuvre de Henri de Brac-ton, auteur, vers 1250, des Lois et coutumes des Anglais.Deux nouveaux offices, la Garde-Robe et l’Office duSceau privé, apparurent au XIVe siècle : alors que lesnobles voulaient placer la couronne sous leur tutelle, laGarde-Robe était chargée de lever les troupes du roi danssa lutte contre les barons, tandis que le Sceau privéauthentifiait les actes du souverain pris en dehors duconseil où dominaient les nobles 1.

Toutefois, l’administration centrale devait compteravec les habitudes de self government prises au niveaulocal. Les affaires des comtés étaient gérées par les nobleslocaux, shérifs ou juges de paix (Justices of the Peace ouJPs, créés en 1361), qui s’affranchirent rapidement detout contrôle royal. Les shérifs collectaient les revenusdu roi, tandis que les JPs rendaient la basse justice 2 et,plus généralement, expédiaient les affaires courantes à

1. Le titre de Garde du Sceau privé (Lord Privy Seal) existe encorede nos jours, et son titulaire est l’un des ministres sans portefeuille(non departmental ministers) du gouvernement.

2. Celle qui ne juge ni les crimes de sang, ni aucune affaire concer-nant la Couronne, qui relèvent de la haute justice.

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l’occasion de réunions trimestrielles au chef-lieu ducomté (quarter sessions).

Le conflit avec le roi de France

Un contentieux de plus en plus lourd

Les tensions entre le duc-roi et le souverain françaisdébutèrent dès le règne de Guillaume le Rouge, lorsque,tirant profit de la nature élective que revêtait encore lamonarchie française, celui-ci envisagea, ainsi que le rap-porte Suger dans sa Vie de Louis VI le Gros, de prétendreau trône de France. Son successeur Henri Ier et le roiLouis VI s’affrontèrent ensuite pour la possession des for-teresses de la vallée inférieure de la Seine. La situationchangea avec les Plantagenêts. À la différence de leursprédécesseurs, ils n’hésitèrent pas, nous l’avons vu, àrendre hommage aux Capétiens pour l’ensemble de leurspossessions continentales 1, de même qu’ils avaient aban-donné toute revendication sur le trône de France en rai-son de l’affirmation du principe de transmissionhéréditaire de la couronne. Toutefois, leur immenseempire était une menace considérable pour des rois qui,comme Louis VII ou Philippe Auguste, avaient décidéde ramener leurs vassaux récalcitrants à l’obéissance. Lesconflits qui s’ensuivirent se prolongèrent jusqu’au milieudu XIIIe siècle, après quoi la paix se maintint jusqu’en1328.

1. Jean sans Terre alla même jusqu’à se reconnaître vassal de Phi-lippe Auguste, roi de France, en 1193, pour le royaume d’Angleterre,dont il n’était que le régent, son frère Richard Cœur de Lion étant encroisade ; il espérait ainsi usurper la couronne.

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À ce moment, la mort sans postérité du roi de FranceCharles IV laissa deux prétendants face à face : Philippede Valois d’une part, cousin germain du roi défunt,d’autre part le jeune roi d’Angleterre Édouard III (1327-1377), tout juste monté sur le trône. D’un strict pointde vue généalogique, ses prétentions étaient les plus fon-dées : n’était-il pas le neveu de Charles IV, par sa mère,Isabelle de France ? On sait que la noblesse française, réu-nie pour choisir le nouveau souverain, préféra le Valois àl’Anglais, inventant pour l’occasion la « loi salique 1 ». Enréalité, elle refusait de voir un prince étranger accéder autrône de France. Cette querelle dynastique ne suffirait pasà expliquer qu’un conflit armé éclatât entre les deux paysen 1337 : le roi d’Angleterre souhaitait surtout obtenir lapossession en pleine souveraineté – c’est-à-dire déliée detout hommage – de l’Aquitaine. Or, Philippe VI, le nou-veau roi de France, ne pouvait l’accepter : ces provincesauraient alors cessé de faire partie du royaume.Édouard III fut aussi poussé à entrer en guerre pour pro-téger les villes drapières flamandes, sur lesquelles les Fran-çais avaient des visées : elles étaient le débouché principaldes exportations de laine anglaises, et les négociants lon-doniens avaient tout intérêt à ce qu’elles demeurassentindépendantes.

1. Cette règle, dite « salique » car remontant prétendument auxFrancs Saliens, c’est-à-dire à Clovis, excluait formellement les femmes,et leur descendance, de l’accession au trône. Il s’agissait en fait d’unemanœuvre de circonstances, dans la mesure où jamais pareille situa-tion ne s’était présentée auparavant. On lui trouva une justificationdivine dans la parabole biblique « Les lys ne tissent ni ne filent » (ces« lys » étant bien sûr assimilés au symbole de la Maison de France),qui fut présentée comme l’interdiction faite à la monarchie françaisede tomber en quenouille. On sait que les Anglais ne reconnaissent pasla loi salique.

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Les conflits franco-anglais aux XIe et XIIe siècles

Il serait erroné d’y voir le choc de deux nations, encoremoins de deux nationalismes : c’étaient plutôt deuxmonarchies féodales qui en venaient à s’affronter. Ainsi,Louis VI et Henri Ier, qui se disputaient au début duXIIe siècle la possession de places fortes aux confins de laNormandie, n’alignaient que quelques centaines debarons et chevaliers, qui les accompagnaient en vertu duservice d’ost que le suzerain était en droit d’exiger de sesvassaux. Féodales, également, les manœuvres de PhilippeAuguste contre Richard Cœur de Lion (1182-1199) etJean sans Terre (1199-1216) : ayant épousé Isambour deDanemark en 1193, il revendiqua l’Angleterre en tantque partie intégrante de l’héritage de Cnut le Grand. En1201, il entamait un conflit contre Jean sans Terre, avecla possession de la Normandie pour enjeu. Au-delà desvictoires militaires, Philippe Auguste usa de toutes les res-sources du droit féodal pour déposséder son ennemi. Larumeur l’accusant d’avoir étranglé son propre neveu,Arthur de Bretagne, il fut cité à comparaître devant unecour de justice présidée par le roi de France, son suzerain.Ayant fait défaut, Jean fut déclaré « félon » et se vitconfisquer toutes les terres qu’il tenait de lui (1202). Endépit d’une vaste alliance antifrançaise conclue avec lecomte de Flandre et l’empereur germanique Otton IV, ilsubit un ultime échec à Bouvines (1214) et la paix deChinon consacra la perte des possessions du duc-roi aunord de la Loire.

Fils et successeur de Jean, Henri III (1216-1272) perditsuccessivement le Poitou, la Saintonge et l’Anjou, et dutreconnaître la suzeraineté du roi de France pour laGuyenne. Le traité de Paris (1259) marqua la fin de cettepremière période de conflits franco-anglais, qui mérite

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bien le surnom de « première guerre de Cent Ans » quilui est parfois donné.

La guerre de Cent Ans (1337-1453)

On distingue habituellement quatre phases dans leconflit, qui se composa en fait de courtes campagnes (des« chevauchées ») entrecoupées de longues périodes detrêve. La guerre débuta en 1337 mais Édouard III atten-dit trois ans avant de prendre le titre de roi de France :c’était donc un prétexte, plus qu’une raison de fond. LesAnglais démontrèrent pour la première fois leur supério-rité maritime en remportant la victoire de l’Écluse en1340, mais la plupart des combats eurent lieu sur terre.Les batailles de Crécy (1346) et de Poitiers (1356), où leroi Jean le Bon fut fait prisonnier, furent de lourdesdéfaites françaises ; la ville de Calais tomba entre lesmains des Anglais en 1347. Par le traité de Brétigny(1360), Édouard III renonçait volontiers à la couronnede France : il recevait le Poitou, la Saintonge, le Quercy,le Rouergue et la Gascogne en pleine souveraineté. Latrêve dura neuf ans, puis les hostilités reprirent. Menéspar le connétable Bertrand Duguesclin, les Français récu-pérèrent les provinces situées entre la Loire et la Gironde.Finalement, Richard II (1377-1399) préféra signer la paixavec la France en 1396. Une nouvelle trêve de vingt-huitans s’ensuivit.

La troisième phase, d’une rapidité foudroyante, mit laFrance à deux doigts de sa ruine. Profitant de la guerrecivile entre Armagnacs et Bourguignons qui affaiblissaitle royaume, Henri V (1413-1422) débarqua en France en1415 et remporta le 25 octobre une grande victoire àAzincourt. Allié aux Bourguignons, il put imposer letraité de Troyes (1420) qui le nommait régent de France

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et futur héritier du roi Charles VI, au détriment du Dau-phin qui dut se réfugier à Bourges (le « roi de Bourges »de l’épopée de Jeanne d’Arc). En pratique, une doublemonarchie s’instaurait, prélude à la fusion des deuxroyaumes. Il n’en fut rien : en moins de vingt-cinq ans(1429-1453), les Anglais furent chassés du sol de France.Les campagnes de Jeanne d’Arc (1429-1431) en consti-tuèrent les prémices, puis la Gascogne fut reprise en1442, suivie par l’Anjou, le Maine, la Basse-Normandieet le Cotentin (1448-1449). En 1453, la Guyenne étaitrattachée au domaine royal français : la ville de Calaisdemeurait, pour un siècle encore, l’ultime tête de pontdes Anglais sur le continent.

Il serait erroné de croire que les conflits avec la Frances’arrêtèrent avec l’entrée de Charles VII dans Bordeaux.Pour reprendre le mot de Peter Lewis, « la guerre de CentAns… a commencé en 1066, et ne s’est pas terminéeen 1453 1 ». Édouard IV (1461-1483) prit les armes en1474-1475, mais le roi de France Louis XI parvint sansmal à acheter son départ par le traité de Picquigny(1475), et les Tudor, nous le verrons, se montrèrentencore tentés par les chimères des chevauchées fran-çaises 2.

1. Peter Lewis, « De Guillaume le Conquérant à Jeanne d’Arc : laformation des États nationaux », in F. Bédarida, F. Crouzet etD. Johnson (dir.), De Guillaume le Conquérant au Marché commun :dix siècles d’histoire franco-britannique, Paris, 1979, p. 35.

2. Voir chap. V.

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Les conséquences du conflit franco-anglais

Une monarchie anglicisée

Le premier effet des guerres entre Plantagenêts etCapétiens fut d’accentuer irréversiblement le caractère« anglais » et insulaire de la monarchie anglo-angevine.La perte de la Normandie et de l’Anjou déplaça géogra-phiquement le centre de gravité de l’empire vers les îlesBritanniques, qu’il fallut dès lors contrôler du mieux pos-sible. La conquête du pays de Galles fut parachevée en1282 1, pour n’être mise en cause que brièvement par larévolte d’Owen Glendower (1400) qui s’allia aux Françaiset aux Écossais, avant d’être défait en 1412.

Soumettre l’Écosse était logiquement l’étape suivante :en 1293, le roi John Balliol (1292-1296) avait dénoncéle serment d’allégeance qu’il avait prêté à Édouard Ier

(1272-1307), et celui-ci s’était en retour arrogé la cou-ronne écossaise. Cependant, après quelques succès ini-tiaux, telle la bataille de Dunbar (1296), le sort des armesavait été contraire aux Anglais, et les Écossais multipli-aient les incursions de l’autre côté de la frontière.Édouard II se mit alors en campagne en 1314, mais futbattu à Bannockburn par Robert Ier Bruce (1306-1329),que cette victoire promut au rang de héros national écos-sais. L’indépendance du pays était sauve, et le jeune roid’Angleterre Édouard III la reconnut par le traité d’Édim-bourg en 1328. Les Écossais cherchèrent alors à seprémunir en s’entendant avec la France – ce furent lesdébuts de la « Vieille Alliance » (Auld Alliance), destinée

1. Le fils aîné d’Édouard Ier, futur Édouard II (1307-1327), futproclamé « prince de Galles » en 1301, afin de bien marquer l’indisso-luble union des deux pays. Ce n’est que la cérémonie d’intronisationqui fut instaurée six siècles plus tard, sous George V (1911).

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à perdurer jusqu’à l’union de l’Angleterre et de l’Écosseen 1707, et qui se traduisit entre autres par l’interventiondes Écossais au côté des Français au cours de la guerre deCent Ans 1. Dès lors, un état de guerre plus ou moinspermanent s’instaura entre les deux pays, jusqu’à ladéfaite de Jacques IV (1488-1513) face aux troupesanglaises à Flodden en 1513 2.

L’Irlande s’avérait également difficile à contrôler. Ellen’avait connu qu’une demi-conquête, et l’autorité des roisd’Angleterre ne s’étendait en réalité guère au-delà de larégion de Dublin (le Pale). Au XIVe siècle, un Lord-lieutenant y représentait le roi, mais, comme il résidait àLondres, un Lord-deputy le remplaçait. Il avait en chargel’administration de la justice suprême, le commandementdes troupes et la direction de l’administration : il pouvaitaussi réunir un Conseil et un Parlement. Le processusd’anglicisation ne concernait en fait que moins de la moi-tié orientale de l’île. Au XVe siècle naquit un mouvementséparatiste anglo-irlandais qui culmina lors de la réuniondu Parlement de 1460 : une résolution fut votée, décla-rant que l’Irlande devait s’administrer elle-même. Lasituation devint de plus en plus confuse, et les tentativesde reprise en main s’avérèrent vaines jusqu’au règned’Henri VII (1485-1509).

Une monarchie affaiblie

Le conflit franco-anglais s’avéra extrêmement préjudi-ciable à la couronne : les expéditions militaires étaientpopulaires, mais, vidant les caisses de l’État, elles

1. C’est ainsi que Jacques Ier Stuart (1406-1437), se rendant enFrance en 1406, fut capturé par les Anglais, qui le retinrent dix-huitans en captivité.

2. Voir chap. V.

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obligeaient le roi à lever de nouveaux impôts, ce que lesbarons ainsi mis à contribution acceptaient très difficile-ment. La voie de la sagesse était donc de parvenir à uneentente durable avec la France, mais ces mêmes baronsreprochaient alors au roi de brader les intérêts duroyaume. Dans tous les cas, la monarchie se trouvait fra-gilisée.

Henri II, puis Richard Cœur de Lion, avaient puimposer l’Angleterre à leur guise pour financer leurs aven-tures extérieures. Jean sans Terre, en revanche, dut faireface à l’opposition des barons, qui refusaient de fournirde nouveaux subsides à un souverain qui venait de perdreses possessions continentales – et les leurs par la mêmeoccasion ! Cette révolte trouva son dénouement lorsqu’ilfut contraint de signer la Grande Charte (Magna Carta)le 15 juin 1215, à Runnymède, près de Windsor. Présen-tée comme un énoncé des « libertés » anglaises tradition-nelles, elle associait pêle-mêle déclarations de principe(proportionnalité des peines à la faute commise, juge-ment des nobles par leurs seuls pairs, unification du sys-tème de poids et mesures dans le royaume, garantie desfranchises urbaines) et revendications de circonstance :Jean se voyait contraint de consulter les nobles réunis enun « conseil commun du royaume » avant de pouvoirlever tout impôt, et un groupe de 25 d’entre eux étaitchargé de veiller au respect de la Charte. Les baronss’arrogeaient en outre le droit de prendre les armes en casde manquement du roi à sa parole. Cela n’empêcha pasJean sans Terre de la renier sans tarder, et il passa lesderniers mois de sa vie à guerroyer contre les barons 1. À

1. Ceux-ci allèrent jusqu’à offrir la couronne d’Angleterre au princeLouis, fils du roi de France Philippe Auguste. Afin de prendre posses-sion de son nouveau royaume, Louis débarqua dans le Kent enmai 1216 et guerroya jusqu’à la conclusion du traité de Kingston-

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sa mort, ils firent allégeance à son fils, Henri III, mais lejeune roi – il avait neuf ans – ne put s’affranchir de leurtutelle avant 1232. Les grands officiers de la couronnel’obligèrent à confirmer la Charte en 1216, 1217 et 1225,et il dut affronter une nouvelle révolte des barons en1256-1259 et 1264-1267 : ceux-ci, en une période delourds revers militaires face au roi de France, s’estimaientindûment écartés des affaires du royaume. Les « Provi-sions d’Oxford » (1258), puis celles de Westminster(1259), plaçaient véritablement la couronne sous lecontrôle des nobles, que dirigeait Simon de Montfort,comte de Leicester. Un conseil de seigneurs secondait leroi dans son gouvernement et un « Parlement » devaitêtre convoqué trois fois par an pour débattre des affairesde l’État. Le premier Parlement de l’histoire anglaise setint en 1265, dans un contexte de guerre civile ouverteentre les barons et le roi 1. Réunissant dans une mêmeassemblée les représentants des comtés et des bourgs, àraison de deux chevaliers par bourg et deux bourgeois parville, Montfort voulait s’assurer du plus large soutien danssa lutte contre un roi qu’il méprisait. En fait, il établitun précédent, à tel point que cette assemblée est parfoisqualifiée de « Parlement modèle » (Model Parliament) 2.

Aucun souverain ne fut plus en mesure de s’en passer ;il lui appartenait de se prononcer sur la levée des impôts,en particulier lorsqu’il fallut financer des entreprises mili-taires qui excédaient les ressources propres du roi. Un

upon-Thames (septembre 1217), par lequel il reconnaissait la légiti-mité du jeune Henri III.

1. Henri III ayant été fait prisonnier à Lewes (1264), c’est son filsaîné, Édouard (le futur Édouard Ier), qui dirigeait les opérations.

2. Cette appellation est aussi donnée au Parlement que réunitÉdouard Ier en 1295.

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statut voté sous Édouard Ier stipulait qu’aucun impôt nepouvait être levé sans son assentiment préalable. On luisoumettait également les pétitions des sujets, qu’il avaitla liberté d’adopter et d’inscrire dans le « recueil des lois »(Statute Book). La répartition, que nous connaissonsaujourd’hui, entre Chambre des lords et Chambre descommunes, était acquise à la fin du XIVe siècle et cettedernière, présidée par le Speaker depuis 1376, jouait unrôle de plus en plus important : c’est ainsi qu’en 1420, letraité de Troyes lui fut soumis pour approbation. Dix ansplus tard, la franchise (condition à remplir pour bénéficierdu droit de vote) fut fixée pour les habitants des comtésà la possession en franc-tenure d’un bien foncier rappor-tant au moins 40 shillings de revenu par an. Les modali-tés pour les bourgs étaient précisées dans leur charte deprivilèges, et variaient donc de l’un à l’autre.

Le fait qu’en moins de trois quarts de siècle (1327-1399), Édouard II et son arrière-petit-fils Richard IIfurent tour à tour déposés et assassinés demeure le sym-bole par excellence de l’affaiblissement de la monarchie.Dès le début du règne du premier, les barons s’étaientlancés dans une lutte implacable contre ses favoris succes-sifs ; au terme de cette nouvelle révolte des barons,Édouard II dut abdiquer avant d’être assassiné dans saprison 1. Richard II devint roi en 1377, à l’âge de dix ans,dans un contexte agité : les défaites se succédaient contrela France et l’année précédente, le « Bon Parlement »(Good Parliament) avait manifesté sa puissance en desti-tuant plusieurs conseillers royaux pour corruption (ce futla première utilisation de la procédure d’impeachment).

1. Une évocation baroque, mais finalement peu éloignée de la réa-lité, est donnée de cette époque dans le Edward II de ChristopherMarlowe, écrit vers 1592-1594.

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En 1381, les paysans de l’Essex et du Kent se soulevèrentcontre la poll tax 1 qui leur était imposée pour ladeuxième fois en quatre ans (Peasants’ Revolt). Richard IIréussit à désamorcer la révolte, ce qui renforça son pres-tige et son pouvoir. Il chercha ensuite à s’émanciper de latutelle des nobles qui dirigeaient le conseil mais perditla partie ; il dut abdiquer en 1399, fut emprisonné etfinalement exécuté l’année suivante.

Les crises du XVe siècle

Richard II, qui n’avait pas d’enfant, avait été remplacépar Henri IV de Lancastre (1399-1413), autre petit-filsd’Édouard III par son père, Jean de Gand. Le sort de lanouvelle dynastie fut plus que jamais lié aux aléas de laguerre contre la France. Monté sur le trône en 1422 (àl’âge de 9 mois) Henri VI, fin lettré, fondateur du colleged’Eton, de tempérament doux et religieux, ne put empê-cher les Français de reprendre une à une ses possessionscontinentales et la perte de la Gascogne en 1453 le plon-gea dans la démence. Richard, duc d’York, se proclamaimmédiatement régent, en dépit de l’opposition de lareine Marguerite d’Anjou. La bataille de St. Albans, en1455, marqua le début de la guerre des Deux-Roses – lesLancastre avaient pour emblème une rose rouge, les York,une rose blanche. En mars 1461, Édouard d’York (sonpère, Richard, avait péri à Wakefield en 1460) entra dansLondres, qu’Henri VI avait fui, et se proclama roi sous lenom d’Édouard IV. Il s’aliéna rapidement les nobles quil’avaient soutenu, dont le puissant comte de Warwick.Par un soudain renversement d’alliances, celui-ci passa du

1. Il s’agissait d’un impôt par tête auquel tous les sujets étaientsoumis ; voir chap. III.

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côté des Lancastre et, au terme d’une nouvelle campagne,remit sur le trône un Henri VI désormais totalement fou(octobre 1470) : Warwick assurait de fait l’essentiel dupouvoir. Ayant fui en Hollande, Édouard IV contre-attaqua rapidement ; en avril-mai 1471, les batailles deBarnet et de Tewkesbury sonnèrent le glas des Lancastre,qui perdirent presque toutes leurs figures de proue, àcommencer par Warwick lui-même, et Édouard de Lan-castre, seul enfant d’Henri VI. Édouard IV remonta alorssur le trône et fit exécuter son rival.

À sa mort (1483), son fils Édouard V avait douze ans :pour la troisième fois en moins d’un siècle, un jeuneenfant montait sur le trône. Richard de Gloucester, sononcle paternel, le fit étrangler ainsi que son frère dans laTour de Londres et se proclama roi sous le nom deRichard III (1483-1485). Une première révolte fut écra-sée dès le mois d’octobre, mais deux ans plus tard, HenriTudor, l’ultime champion des Lancastre 1, débarqua aupays de Galles, leva une armée et affronta Richard III àBosworth. Ce fut la dernière bataille de la guerre desDeux-Roses : Henri Tudor remporta la victoire, tandisque Richard trouva la mort. Devenu roi sous le nomd’Henri VII, il épousa Élisabeth d’York et réalisa ainsil’union des deux familles.

La guerre des Deux-Roses avait pratiqué une formi-dable saignée dans les rangs de l’aristocratie anglaise. Toutau long du XVe siècle, la couronne s’était trouvée en posi-tion de faiblesse face à un groupe restreint de grandesfamilles nobles qui cherchaient à utiliser à leur profitl’institution monarchique. Aucun camp n’étant assez

1. Henri Tudor n’était que lointainement apparenté aux Lancastre :sa famille était issue de l’union illégitime de Catherine de France,veuve d’Henri V, avec Owen Tudor, un officier gallois de sa garde.

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puissant pour écraser définitivement l’autre, le conflit futinterminable, et mit aux prises trois générations succes-sives. Au bout du compte, c’est l’absence de championdans le parti adverse, susceptible de poursuivre la lutte,qui fit de Bosworth l’ultime péripétie de la guerre. Lagrande noblesse décimée, la monarchie pouvait se releverde ses ruines.

La naissance d’une conscience nationale anglaise

On sait que l’hostilité résultant de l’« occupation » parles Anglais de près de la moitié du pays contribua à lanaissance du sentiment national français ; les mentalitésévoluèrent parallèlement en Angleterre. L’accession autrône d’Henri II avait considérablement renforcé la partiecontinentale du royaume ; la cour des premiers Plantage-nêts comprenait même plus de conseillers normands oupoitevins que d’Anglais. Toutefois, à partir du règned’Henri III apparut un « sentiment national » qui prit àl’occasion la forme de manifestations xénophobes : ainsiles barons révoltés en 1258 trouvaient-ils que le roi don-nait trop de pouvoirs à ses conseillers « étrangers » (Poite-vins et Savoyards) et en obtinrent le renvoi. Ce que PierreGalveston, favori tout-puissant d’Édouard II, paya de savie, c’était davantage son origine gasconne que la naturede son intimité avec le roi. Les critiques adressées auxépouses françaises d’Henri III, Édouard II, Richard II etHenri VI, l’expulsion des Juifs en 1290, les haines susci-tées par les marchands hanséates de Londres, comptaientparmi les manifestations de ce même sentiment.

Les arts et les lettres témoignaient également de cenationalisme naissant. Les nobles délaissèrent le françaisau profit de l’anglais qui, entre-temps, était aussi devenula langue officielle des tribunaux. Une littérature

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nationale anglaise prit forme, trouvant ses lettres denoblesse avec Geoffrey Chaucer. Ses Contes de Cantorbéry,publiés en 1387, ont été la première œuvre anglaise à sehisser au rang des créations européennes de son époque.Dans le domaine architectural, on assista à l’éviction dustyle gothique, originaire de l’Île-de-France, au profitd’un style purement national, dit « gothique perpendicu-laire ». Il reposait sur l’emploi intensif de la voûte enéventail, et permettait, grâce au développement des verti-cales, de mettre l’accent sur l’espace et l’ampleur desvolumes – comme en témoignent les cathédrales deGloucester et de Cantorbéry, commencées respectivementen 1351 et 1380. À tous les niveaux de la société s’impo-sait la conscience d’appartenir à une seule et unique« nation ». En conséquence, le clivage qui était encoresensible au XIIIe siècle entre Normands et Saxons s’effaça :le développement du culte du roi saxon Édouard leConfesseur, qui avait été canonisé en 1160, à partir durègne d’Henri III – il en fit le saint patron de l’abbayede Westminster et donna son nom à son fils aîné – enfut le premier signe.

Comment rendre compte de la faillite de l’empireanglo-angevin ? Il est certain que tout l’édifice institu-tionnel reposait sur la personne du roi et était étroitementtributaire de ses capacités personnelles. L’accession autrône, à intervalles réguliers, de souverains trop jeunes,ou trop déséquilibrés, pour pouvoir régner effectivement,fragilisa un équilibre par ailleurs précaire. D’autre part, laposition du duc-roi ne pouvait qu’engendrer un conflitavec le roi de France : au moment où le système féodalconnaissait son apogée, il lui était impossible de se sous-traire à ses obligations de vassal, statut qui lui devenait de

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plus en plus insupportable. Quant au souverain français,engagé dans la reprise en main de son royaume contre lesnobles récalcitrants, la confiscation des fiefs continentauxde son puissant voisin était la condition sine qua nonpour conjurer tout risque d’éclatement du pays. Le conflitfranco-anglais pesa donc d’un poids énorme dans l’évolu-tion intérieure de chacun des deux États, dont les monar-chies étaient beaucoup plus différentes à la fin duXVe siècle qu’à l’accession d’Henri II au trône d’Angle-terre. Il contribua grandement à faire ressortir les particu-larismes anglais dans le domaine politique, de mêmequ’ils étaient visibles dans l’économie et dans la société.

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III

L’économie manorialeet la société anglaise au Moyen Âge

Trois sources principales nous permettent d’avoir unevision d’ensemble de la société anglaise médiévale : leDomesday Book, gigantesque enquête cadastrale ordonnéepar Guillaume le Conquérant en 1086 1, les archives dunouveau recensement de tous les domaines et des revenusde tous les seigneurs du royaume, qui eut lieu en 1279(Hundred Rolls), et, enfin, les listes des contribuables éta-blies lors de la levée de la poll tax de 1377. Elles décriventun pays essentiellement rural et une société de type féo-dal, très hiérarchisée, néanmoins caractérisée par une cer-taine prospérité et manifestant, à partir du « beau MoyenÂge » (XIIe-XIIIe siècles), des signes d’ouverture sur lemonde extérieur.

1. L’exhaustivité à laquelle visait cette enquête faisait songer aurecensement des âmes qui aurait lieu à la fin des temps, d’où son nomde « livre du Jugement dernier ».

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La féodalité à l’anglaise : le manoir

La société féodale

La féodalité ne fut pas introduite en Angleterre par lesNormands. Dès l’époque saxonne, les souverains avaientconcédé de larges domaines aux nobles et leur avaientdélégué une partie de leurs pouvoirs administratifs etjudiciaires ; en retour, ils exigeaient leur obéissance et leuraide en cas de besoin. La conquête normande ne modifiapas fondamentalement cet édifice, la féodalité étant com-mune à toute l’Europe. On assista simplement à la spolia-tion de la noblesse saxonne qui fut remplacée par lesNormands.

La société féodale était caractérisée par une répartitionde ses membres en trois ordres : les clercs, les nobleset les travailleurs. Cela correspondait à une conceptiontripartite des fonctions au sein de la société : aux premiers(en latin : oratores), œuvrer par la prière au salut des âmes,tandis que les seconds versaient leur sang à la guerre (bel-latores). Enfin, les troisièmes, qui représentaient la trèsgrande majorité de la population, travaillaient pour assu-rer la subsistance du corps social (laboratores). Cetteconception se traduisait dans la composition du Parle-ment, où étaient représentés d’un côté clergé et noblesse(Lords spirituels et temporels) dans une Chambre hauteet le reste de la population (Commons : les communs)dans une Chambre basse 1.

Il ne faut cependant pas en exagérer l’homogénéité : letitre de Lord spirituel était réservé au haut clergé, lesprêtres de paroisse formant un bas clergé souvent accusé

1. La traduction de House of Commons par « Chambre des com-munes » est d’ailleurs impropre : il s’agit bien de la Chambre descommuns, c’est-à-dire de ceux qui ne peuvent siéger parmi les Lords.

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de toutes les tares et tourné en dérision. Les mêmescontrastes existaient au sein de la noblesse : au sommetse trouvait le groupe très fermé des grands féodaux (lanobility) – en dépit de quelques ascensions aussi remar-quables qu’exceptionnelles 1 –, qui ne comptait guère plusde 250 familles au XIe siècle. En dessous d’elle venait la« seconde noblesse » ou gentry ; elle rassemblait les sei-gneurs terriens de moindre envergure jusqu’à la multitudedes chevaliers (knights et squires). La mobilité y était trèsgrande : on y trouvait des cadets appauvris de la grandenoblesse, mais aussi des universitaires et des hommes derobe pour qui le service du roi avait été le chemin del’ascension sociale. Enfin, les « communs », qui se résu-maient au départ aux paysans, se diversifièrent progressi-vement : artisans, marchands, négociants y jouèrent unrôle de plus en plus actif, au point de confisquer à leurprofit la représentation des bourgs aux Communes, tan-dis que la gentry avait fait main basse sur celle des comtés.

Les nobles étaient avant tout des propriétaires fonciersqui assuraient ainsi leur domination économique etsociale. Les tenants en chef avaient reçu leurs domaines(ou fiefs) directement du roi, en échange de services pré-cis (conseil, ost et aide financière). Leurs possessionsétaient la plupart du temps dispersées aux quatre coinsde l’Angleterre, afin d’éviter une trop grande concentra-tion de puissance entre les mains de quelques barons. Àl’intérieur de leurs domaines, ils avaient concédé des fiefsplus ou moins étendus à des nobles de moindre rang quidevenaient leurs vassaux. Le processus était reproduit enchaîne jusqu’au niveau du manoir, qui était véritablement

1. Tels les De La Pole, qui durent à leur fortune commerciale, maisaussi à la faveur royale, de devenir comtes (1385), puis ducs (1448),de Suffolk.

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la cellule de base de l’édifice social. Toute terre étaitcependant bien-fonds du roi, qui avait pris soin de semaintenir au sommet de la hiérarchie féodale.

Le manoir

Le terme de « manoir » fit son apparition dans leDomesday Book et, avant de désigner un système socio-économique (la version anglaise de la seigneurie fran-çaise), il s’applique à une réalité concrète : c’est lademeure d’un seigneur ordinaire (du latin manere,demeurer), intermédiaire entre la maison paysanne et lechâteau fort. D’origine normande, le mot fut traduit enlatin (manerium) par les enquêteurs de 1086 et de nou-veau traduit en anglais (manor). Cette demeure se trou-vait au centre d’un domaine foncier où vivaient despaysans qui tenaient leur terre du seigneur, en échangede leur soumission à son autorité et sa juridiction.

Dès la fin du XIe siècle, ce mot fut utilisé comme unterme technique désignant une unité économique etsociale. Autour de la demeure du seigneur, le manoir typecomprenait le domaine, aussi appelé « réserve », qui luiappartenait en propre et dont l’exploitation fournissait cequi était nécessaire à sa subsistance et à celle des siens, etdes parcelles en plus ou moins grand nombre dont il avaitconcédé l’exploitation à des tenanciers, en échange d’unrevenu annuel sous forme de rentes diverses. Ils devaientégalement un certain nombre de journées de travail gra-tuites sur la réserve : c’était la corvée. La propriété de laterre (dite seigneurie foncière) impliquait des droits surles hommes allant bien au-delà de la simple perceptionde rentes. Le seigneur exerçait aussi un droit de justicesur ses tenanciers, qui lui soumettaient leurs litiges et luipayaient leurs amendes (seigneurie domestique). En

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revanche, la dispersion géographique des fiefs faisaitqu’aucun noble ne pouvait s’arroger la seigneurie banale,c’est-à-dire le droit de commander (droit de ban) en lieuet place du souverain. À la différence de ce qui pouvaitse passer en France, les possessions des nobles ne consti-tuèrent jamais des principautés indépendantes suscep-tibles de devenir un État dans l’État.

Il semble que l’institution manoriale la plus typique setrouva dans les riches plaines du sud-est de l’Angleterre.Partout ailleurs, la diversité était la règle. Dans les régionsde collines, la topographie ne favorisait guère l’établisse-ment de grands domaines ; dans les manoirs appartenantaux ordres religieux, la répartition entre réserve et tenurevariait suivant la règle que suivait la communauté. Quantà la très petite noblesse, elle vivait du seul produit de sesterres. Elle était particulièrement sensible aux retourne-ments de la conjoncture, et une pétition présentée auParlement de 1368 exprima les doléances de ces « cheva-liers-cultivateurs », qui « vivent par geynerie de leursterres… et que nont… villeins par eix servir 1 ».

Le clivage fondamental de la société manoriale étaitcelui qui séparait, au sein de la population roturière, leshommes libres des non-libres et qui s’exprimait à traversun vocabulaire complexe, changeant d’une région àl’autre, mais où les termes sont moins importants que laréalité du statut. Les hommes libres (freemen ou sokemen)devaient fidélité à leur seigneur et ne pouvaient la transfé-rer à un autre. C’était à lui qu’ils devaient demander jus-tice 2. Ils devaient lui payer le loyer (cens) de leur terre,

1. Cité par M. M. Postan, The Medieval Economy and Society,Harmondsworth, 1972, p. 103.

2. En anglais : to seek justice. Le mot soke vient de sacu ou sake(jugement) et le sokeman était bien le justiciable de son seigneur.

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TABLE DES MATIÈRES 627

Décolonisation et Commonwealth (1955-1979) ............. 427La décolonisation et ses crises, 427 ; La relève de l’empire : leCommonwealth, 430 ; Un problème insoluble : l’Irlande, 431

XXI. L’édification d’un monde nouveau ? (1945-1979)..... 435

L’instauration de l’État providence................................. 435Une économie dirigée par l’État, 435 ; L’État providence et lesgrandes réformes, 437 ; Les difficultés (1947-1951), 439

L’âge d’or de l’Angleterre (1951-1964) ? ........................ 443Prouesses économiques et « société d’abondance », 443 ; Unconsensus en faux-semblant ?, 445

Mal anglais et société permissive (1964-1979)............... 449De l’« économie régulée » à l’économie déréglée, 449 ; L’impuis-sance gouvernementale, 454 ; Société permissive ou quête d’unart de vivre ?, 459

XXII. Les « années Thatcher » (1979-1997) ...................... 465

Thatchérisme et « majorisme » : une même révolutionconservatrice ? ................................................................ 466

Deux leaders, deux styles, 466 ; Un même ensemble de valeurs,468

La fin du consensus d’après-guerre ................................ 470Le tournant néo-libéral, 470 ; La fin de la concertation avecles syndicats, 476 ; La réforme des collectivités locales, 477 ;Faire des inégalités vertu, 479

Un paysage politique profondément modifié................. 484Le parti conservateur, de l’hégémonie à la division, 484 ; Dutravaillisme ancienne manière au « nouveau parti travailliste »(New Labour), 487 ; Les tiers partis : une existence difficile,490

Une politique extérieure volontariste ............................. 491Le retour sur la scène internationale, 491 ; La question euro-péenne : de la « gaulliste de Grantham » à l’« europhile deBrixton » ?, 495

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XXIII. Réalités et limites de la « Cool Britannia » tra-vailliste (1997-2010) ...................................................... 500

Les années fastes du « blairisme » (1997-2003).............. 501« Blairisme » ?, 501 ; Un cycle de croissance économique inin-terrompue, 502 ; Des réformes tous azimuts, 510 ; Une monar-chie redynamisée, 516 ; Les victoires travaillistes : 1997, 2001,2005, 517 ; Un « trait d’union » entre les États-Unis etl’Europe ?, 520

Un Premier ministre contesté (2003-2007) ................... 523L’imbroglio irakien, 524 ; Une machine électorale moins effi-cace, 526 ; Une succession difficile, 528

Fin de partie (2007-2010) ............................................. 530Le New Labour face à la crise, 530 ; Une autorité régulière-ment contestée, 532

XXIV. Depuis 2010 : vers un renouveau conservateur ...... 536

Une coalition ?............................................................... 537

Réformes politiques et libertés civiles : un pointde convergence initial ?.................................................. 539

Une difficile gestion de la sortie de crise ....................... 543Le choix de l’austérité, 543 ; La Big Society, 546

Une politique étrangère en quête d’un fil conducteur ... 548

La victoire surprise de 2015........................................... 551

Repères chronologiques ......................................................... 557Bibliographie....................................................................... 575Index des noms et des matières ............................................. 591Cartes ................................................................................. 606

N° d’édition : L.01EHQN000856.N001Dépôt légal : septembre 2015