histoire de la police française : des origines à nos...

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  • . APPROCHES • Collection dirigée par Jacques Jourquin

    assisté de Jean-Michel Espitallier

    OUVRAGES PARUS

    1. Qu'est-ce que la féodalité? F.-L. Ganshof. 2.-3. Initiation à l'archéologie de la France, René Joffroy et Andrée Thénot.

    T. 1 : Préhistoire et Protohistoire T. II : Gallo-romain et Mérovingien

    4.-5. Histoire du paysage français, Jean-Robert Pitte. T. 1 : Le sacré : de la préhistoire au XVe siècle T. II : Le profane : du XVe siècle à nos jours

    6. Initiation à l'histoire de la France, Pierre Goubert. 7. De la mer et de sa stratégie, Philippe Masson. 8. Histoire de la Rome antique, Lucien Jerphagnon. 9. Qu'est-ce que la noblesse? Alain Texier. 10.-11.-12. Histoire de la pensée.

    T. 1 : Antiquité et Moyen Âge, Lucien Jerphagnon T. II : Renaissance et siècle des Lumières, Jean-

    Louis Dumas T. III : Temps modernes, Jean-Louis Dumas

    13. La France et les Français outre-mer, Robert et Marianne Cornevin. 14. Une guerre totale, 1939-1945, Philippe Masson. 15. Histoire des élites en France du XVIe au XXe siècle, sous la direction de Guy Chaussinand-Nogaret. 16. La Marine française et la guerre, 1939-1945, Philippe Masson. 17. Le Divin César. Étude sur le pouvoir impérial à Rome, Lucien Jerphagnon. 18. Histoire de la police française, Georges Carrot.

  • HISTOIRE DE LA POLICE FRANÇAISE

  • GEORGES GARROT

    HISTOIRE DE LA POLICE FRANÇAISE

    Tableaux, chronologie, iconographie

    TALLANDIER

  • La loi du 11 mars 1957 n'autorisant aux termes des alinéas 2 et 3 de l'article 41, d'une part, que les «copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective», et d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, «toute représentation ou reproduction intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayant cause est illicite» (alinéa 1er de l'article 40).

    Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal.

    @ L i b r a i r i e J u l e s T a l l a n d i e r , 1 9 9 2 . ISBN : 2 - 235 - 01948 - X

  • Sommaire

    Avant-propos 13 Introduction. Les divers sens du mot police 15

    L'ÉMERGENCE DE LA NOTION DE POLICE 17

    Le besoin de défense à l'intérieur 18 La finalité de la police 20 Le cumul primitif des pouvoirs et des fonctions de

    police 20

    Première partie DU HAUT MOYEN ÂGE À L'ANCIEN RÉGIME

    I. DES CONQUÊTES BARBARES À L'ANARCHIE FÉODALE : LA GRANDE ÉPOQUE DES COMTES (Ve-IXe SIÈCLE) 27

    L'époque mérovingienne 27 Le renouveau carolingien 28 La décadence féodale 30

    II. LA RECONQUÊTE ROYALE DE L'ORDRE PUBLIC (Xe- XIIIE SIÈCLE) : LE TEMPS DES PRÉVÔTS ET DES COM- MUNES 32

    La mise en place d'une administration féodale 32 L'institution d'un prévôt à Paris au début du XIe siècle .. 34 L'apparition de pouvoirs communaux en province 36

    III. L'AFFERMISSEMENT CAPÉTIEN AU XIIIE SIÈCLE : LA VENUE DES BAILLIS ET LA RÉFORME DÉCISIVE DE LA PRÉVÔTÉ PARISIENNE 38

    L'institution des baillis 38 La réforme de la prévôté parisienne par Saint Louis . . . . 40 La réorganisation du Guet de Paris . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42 Le Chevalier du Guet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44

  • IV. LA LENTE CONSOLIDATION DES INSTITUTIONS MONARCHIQUES (XIVe-XVIe SIÈCLE) : LE DÉMANTÈLE- MENT DES POUVOIRS DU PRÉVÔT DE PARIS 46

    Le rôle du Parlement de Paris en matière de police 46 La place importante du commandement militaire 47 L'indépendance des lieutenants du prévôt 48 Origine et évolution des commissaires-examinateurs, ou

    commissaires-enquêteurs au Châtelet de Paris 50 La création du lieutenant criminel de robe courte 52 L'apparition de forces municipales parisiennes 53

    V. L'AFFIRMATION DE L'AUTORITÉ CENTRALE SUR TOUT LE ROYAUME (XVIe-XVIIe SIÈCLE) : SPÉCIALISATION DE LA MARÉCHAUSSÉE ET AUGMENTATION DES FORCES DE POLICE PARISIENNES 55

    Origine et spécialisation de la Maréchaussée 55 Réorganisation empirique des forces de la police pari-

    sienne 58 La police municipale en province à la fin du XVIIE siècle. 61

    VI. LE TRIOMPHE MONARCHIQUE À LA FIN DU XVIIE SIÈCLE : INSTITUTION DES INTENDANTS EN PROVINCE ET DU LIEUTENANT GÉNÉRAL DE POLICE À PARIS 63

    Les intendants de justice, police et finances 64 Le lieutenant général de police 65 L'échec de l'institution du lieutenant général de police

    en province 69

    VII. LA POLICE DANS LE ROYAUME DE FRANCE À LA FIN DE L'ANCIEN RÉGIME 71

    La Police à l'extérieur de Paris La place de la magistrature 72 Le rôle des intendants 74 L'exercice de la police dans les villes 74 Le poids de l'armée 77 La fixation sur le terrain de la Maréchaussée 77

    La Police à Paris Le lieutenant général de police et ses collaborateurs . . . . 80

  • La compagnie du lieutenant criminel de robe courte au Châtelet de Paris 84

    Les compagnies de maréchaussée ayant leur siège à Paris. 85 Les gardes de l'Hôtel-de-Ville 86 Le Guet et la Garde de Paris 86

    Deuxième partie LA POLICE DES TEMPS NOUVEAUX

    I. LA RÉVOLUTION ET LA MISE EN PLACE DES STRUC- TURES NOUVELLES DE POLICE 95

    La Révolution fait place nette à Paris 95 Les solutions provinciales 98 La Maréchaussée devient la Gendarmerie nationale . . . . 99

    II. LA POLICE ET LA TERREUR 101

    Le Comité de sûreté générale 101 Organes locaux de la police révolutionnaire 102 La Force publique révolutionnaire 103

    III. LA POLICE DU DIRECTOIRE 105

    Distinction établie entre police administrative et police judiciaire 105

    La création d'un ministère de la Police générale 106 La régularisation des fonctions de commissaire de police 107 L'institution des gardes-champêtres 107 La consolidation de la Gendarmerie (28 germinal an VI) 108 La police parisienne 109

    IV. LA POLICE DE NAPOLÉON 113

    Le ministère de la Police générale de Fouché et de Savary 113

    La police impériale 114 La préfecture de police et ses agents 117 Les différentes forces publiques utilisables dans l'Empire

    français . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121

  • Troisième partie VERS LA POLICE CONTEMPORAINE

    I. LE PROBLÈME D'UNE POLICE CENTRALISÉE ET UNIFIÉE . 131

    La suppression du ministère de la Police en 1818 131 Une courte renaissance (janvier 1852-juin 1853) 132 De la Direction de la Sûreté générale à la Direction

    générale de la Police nationale 133 Vers un ministère de la Police (1982-1988) 136

    II. LE DÉVELOPPEMENT DE LA POLICE PARISIENNE EN TENUE 138

    La création de cent sergents de ville à Paris en 1829 . . . . 138 Les sergents de ville pendant la monarchie de Jui l le t . . . . 140 La courte suppression des sergents de ville en 1848 et

    l'expérience avortée des gardiens de Paris 142 Le rétablissement des sergents de ville et le glissement

    fâcheux de l'institution 143 La création des gardiens de la paix en septembre 1870 .. 145 L'évolution du corps des gardiens de la paix depuis 1871. 146 La fusion avec la police nationale en 1966 150

    III. L'EXTENSION PROGRESSIVE DE LA POLICE D'ÉTAT . . . 1 52

    L'étatisation de la ville de Lyon en 1851 152 La tentative de généralisation du régime de la police

    d'État au début du Second Empire 153 La loi municipale du 5 avril 1884 maintient l'étatisation

    de la seule agglomération lyonnaise 156 y L'extension du régime de la police d'État à plusieurs

    grandes agglomérations ( 1908-1936) 157 'La police d'État de Seine-et-Oise à partir de 1935 159 L'étatisation générale en 1941 160 La police d'État après 1944 162 Le renouveau des polices municipales 164

    IV. CRÉATION HÉSITANTE DE SERVICES DE POLICE SPÉ- CIALISÉS 167

    Le renseignement politique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 167 La sûreté de l'État . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 172

  • La recherche criminelle 175 La police technique 179 " La surveillance du trafic étranger 181 La sécurité des hautes personnalités 183 L'unité de coordination de lutte antiterroriste 184 L'échec de la police de la circulation 186 La préparation des personnels 187 La déontologie policière 190 ' L'internationale policière 193 ,

    V. L'APPARITION ET LE DÉVELOPPEMENT D'UNE POLICE DE MAINTIEN DE L'ORDRE 196

    Les unités spécialisées de la gendarmerie 196 Le problème d'une force civile de maintien de l 'ordre. . . 197 La création des Compagnies républicaines de sécurité en

    décembre 1944 199 L'évolution des CRS depuis 1945 200

    VI. L'ÉVOLUTION PARALLÈLE DE LA GENDARMERIE 203

    Restauration et monarchie de Juillet 203 Le Second Empire 204 La IIIe République 205 L'évolution contemporaine 207 Les relations gendarmerie-police 209

    VII. DE LA POLICE D'HIER À LA POLICE DE DEMAIN 212

    La marche vers l'unification 212 Les réformes de structure 216 La modernisation nécessaire des moyens 217 Les freins à l'utilisation des fichiers informatisés 219 L'ouverture de la police aux femmes 221 L'avenir du service national dans la police 223 La montée en force du syndicalisme policier . . . . . . . . . . . 225 L'extension incontrôlée de la sécurité privée 228

    Conclusion 232

    REPÈRES CHRONOLOGIQUES ■. : 234

    BIBLIOGRAPHIE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 241

  • PLANCHES ANNEXES 253

    Évolution de la police au cours des âges. Origine et significations du terme «police».

    I. Les délégations de pouvoir au début du Moyen Âge. II. Les délégations de pouvoir à l'époque féodale. III. Premiers et véritables organes de police aux XIIIe et

    XIVe siècles. IV. Le démantèlement des pouvoirs du prévôt de Paris du

    XIVe au XVIe siècle. V. La justice et la police en France au milieu du XVIe siècle. VI. La justice et la police à la fin de l'Ancien Régime. VII. La police à Paris à la fin de l'Ancien Régime. VIII. La justice et la police entre 1789 et 1792. IX. La police de Napoléon. X. La police à Paris à la fin du Ier Empire. XI. La police en France (1818-1848). XII. Organisation actuelle de la police active (1991).

  • Avant-propos

    Que sait-on de l'histoire de la Police? Peu de choses à vrai dire! C'est une science qui n'a jamais été appro- fondie. Le peu de livres ou d'études consacrés à cette question le prouve suffisamment. Sorti de l'anecdote, le sujet n'a manifestement suscité qu'un médiocre intérêt. Alors que l'histoire militaire possède depuis longtemps ses lettres de noblesse, le maintien quotidien de la sécurité semble avoir toujours été comme allant de soi. La plupart des historiens ont plutôt considéré ce devoir moral comme une nécessité dont il serait peu décent de traiter, sinon pour en souligner les excès. Les juristes, quant à eux, ont limité leurs recherches à l'organisation de la Justice, sans trop s'appesantir sur les conditions dans lesquelles œuvrait son bras séculier.

    Est-ce normal, alors que plus de 200 000 personnes consacrent à notre époque une trentaine d'années de leur existence à la défense de la Société? La Gendarmerie, profitant de son statut militaire, s'est déjà employée à mettre en valeur son long passé et ses traditions. Il n'en a pas été de même pour la Police. Combien de fonction- naires servant dans les différents corps qui la composent connaissent l'origine de leur métier, la façon dont il a été pratiqué et a évolué au cours des siècles ? Que leur a-t-on dit jusqu'à présent pour renforcer leur conviction d'avoir fait le choix d'une honorable fonction qui s'est perpétuée à travers les âges et en dépit des régimes? On s'est peu préoccupé d'exalter les actions héroïques du passé. En l'absence de solides traditions et face à la méfiance

  • instinctive de la société française envers toute institution contraignante, les hommes de police ont-ils actuellement les moyens de mesurer les grandeurs de leur mission à l'aune de ses servitudes et de ses dangers? Comment peuvent-ils alors se garder des écueils et stabiliser eux- mêmes leur profession en lui imposant de l'intérieur les liens d'une véritable et solide déontologie?

    Cet ouvrage, qui a été voulu et préparé par l'un des leurs, tend à combler une regrettable lacune. Il ne s'agit évidemment pas d'un livre noir. Il ne s'agit pas non plus d'une composition hagiographique. Son but est de décrire cette institution, non seulement en l'évoquant dans l'exercice de sa mission permanente, mais en analysant aussi l'organisation et les moyens qui lui ont été successi- vement donnés tout au long de l'Histoire de France.

    Il serait à souhaiter qu'un tel travail de défrichage ne reste pas sans lendemains. La Police, comme d'autres grands corps de l'État, mérite d'avoir ses historiens. Rares ont été jusqu'à présent les spécialistes, dans les différentes disciplines concernées par l'action de la Police, qui aient apporté à son histoire, voire à son existence au cours des époques étudiées, un intérêt autre que léger. Si l'on demeure surpris par cette carence, on peut néanmoins espérer que ce sujet sera repris et approfondi dans le cadre d'une œuvre collective à la fois solide, instructive et attrayante.

    G. C.

  • INTRODUCTION

    Les divers sens du mot police

    Il est peu de substantifs qui englobent autant de notions différentes. Son étymologie est pourtant bien établie.

    Police dérive de Politeia. C'est un mot grec dont la racine apparaît déjà dans tous les vocabulaires indo- européens. Il figure dans la plupart des lois positives depuis la plus haute antiquité. Il lie en effet l'idée de «Cité» (en grec Polis), sinon à «l'art de gouverner la Cité» (en grec Politiké), du moins à «l'ordre établi pour le gouvernement d'une Cité » (en grec Politeia). Ainsi que l'a écrit Platon, «la police est la loi excellente qui conserve la Cité». Ce mot est passé dans la langue latine sous la forme de Politia. Le français en a fait successi- vement Pollice au XIIIe siècle, Policie au XIVe siècle, puis enfin Police au début du XVIIe siècle.

    Le sens qui était donné jadis à ce mot était beaucoup plus large qu'actuellement.

    Il visait avant tout les mesures adoptées pour main- tenir la sûreté et le bon ordre dans une ville aussi bien que dans un État. C'est dans cette acception que l'on parle encore de «règlements de Police», ou de «Police administrative». On dit aussi d'une cité ou d'une société qu'elle est «policée», lorsque ces mesures sont efficaces et bien acceptées.

    Il désignait également les magistrats, surtout dans les villes, qui avaient la charge de rédiger les règlements de police et de veiller à leur application. À la suite des

  • spécialisations successives que connurent ces fonctions, on distinguait généralement les «Autorités de police» qui faisaient la règle et les «Juges de police» auxquels était remis le soin d'en sanctionner les manquements. Selon l'étendue géographique de leurs compétences, on parlera plus tard de Police municipale si l'activité est réduite au territoire de la Cité, ou de Police générale lorsqu'elle concerne les intérêts plus généraux de l'État.

    Il se rapportait aussi aux hommes, armés ou non, qui devaient, sous l'autorité ou le contrôle soit des Autorités de police, soit des Juges de police, assurer dans le détail et sur le terrain la tranquillité intérieure de la Cité en veillant à faire respecter les règlements de police. On parle alors d'Agents de police. Si leur activité est plus orientée dans la recherche des délinquants, c'est-à-dire s'ils exercent essentiellement des fonctions de police répressive, on emploiera l'expression d'agents ou d'offi- ciers de police criminelle ou de police judiciaire.

    Ces distinctions traditionnelles n'ont véritablement survécu que dans le langage des juristes. La signification du vocable «Police», dont le sens était originellement très ouvert, mais l'objectif limité pratiquement au terri- toire exigu de la Cité, s'est à la fois restreinte et amplifiée. Quand on pense maintenant «Police», on n'envisage plus le règlement ou le magistrat, mais on considère avant tout l' organisation chargée d'assurer la tranquillité publique. Son champ d'action outrepasse désormais le cadre limité de la population agglomérée, pour englober également la sûreté des campagnes et d'une manière générale la défense intérieure de l'État.

    C'est uniquement l'histoire de cette institution sur le territoire de la France, qui fait l'objet du présent ouvrage.

  • CHAPITRE PRÉLIMINAIRE

    L'émergence de la notion de police

    Cette confusion, déjà notée dans les différentes notions recouvertes par le mot Police, s'explique par l'origine de la fonction assumée. Celle-ci répondait à un besoin essentiel : celui de la sécurité du groupe.

    Par nature l'homme se présente comme un être à la fois social et agressif. Ces deux traits paraissent contra- dictoires. C'est à eux pourtant que l'individu doit sa survie. Le regroupement en société permet d'abord à l'homme isolé de compenser sa très grande infériorité physique. La somme des agressivités individuelles four- nit au groupe social son efficacité, lui donne les moyens de subsister, de se défendre envers les attaques des autres groupes, voire d'agrandir son territoire de chasse, de cueillette, puis d'élevage et de culture, de protéger enfin ses centres d'artisanat et d'industrie.

    L'agressivité individuelle, si utile pour le groupe, risquerait cependant de mettre en péril son existence, si aucun mécanisme interne ne se mettait plus ou moins naturellement en place pour la contrôler. Konrad Lorenz a évoqué ce «principe d'ordre» nécessaire au dévelop- pement de la vie organisée. Après lui, les spécialistes de la science du comportement, ou éthologie, ont récem- ment mis en lumière le rôle des hiérarchies dans les sociétés humaines pour neutraliser les actes de violence à l'intérieur d'une communauté.

    Dans sa forme la plus primitive, la hiérarchie, c'est essentiellement Y 1'« Alpha », le « Leader », le «Chef». C'est celui autour duquel le groupe se rassemble, en qui il se reconnaît et dont tous les membres admettent la supério-

  • rité. Celle-ci est par définition totale. Elle repose aussi bien sur la force physique que sur l'intelligence, l'astuce, la ruse ou la cruauté. Toutes ces qualités sont en effet nécessaires au Chef pour discipliner la force brutale des hommes de son groupe et la diriger contre les adversaires de l'extérieur. Elles lui sont indispensables pour tempérer la violence des individus et faire respecter, à l'intérieur, l'ordre dont il est le symbole et sans lequel le groupe se diluerait immanquablement ou se prêterait aux coups de ses ennemis.

    LE BESOIN DE DÉFENSE À L'INTÉRIEUR

    La nécessité de la défense contre les menaces exté- rieures s'impose avec évidence. Tous les membres du groupe se sentent concernés par celle-ci et la veulent efficace. Il faut d'abord protéger le campement, puis le village, enfin la cité, qui sont les bases mêmes de l'organisation sociale. Leur destruction signifierait le retour à l'isolement primitif, c'est-à-dire à la mort cer- taine, ou mieux à l'esclavage. Il faut ensuite conserver l'intégralité du territoire sur lequel sont prélevés les moyens de subsistance. Il faut aussi que le groupe soit assez fort pour conquérir sur ses voisins l'espace néces- saire à son expansion démographique ou à son besoin de puissance. Ce sont les hommes de la collectivité — on dira bientôt les citoyens — qui assurent sans contrepartie ce service essentiel à la survie — on dira bientôt le service militaire.

    La nécessité de défendre l'ordre intérieur n'est pas perçue avec autant d'intensité. C'est en effet à ses propres membres que le groupe doit cette fois s'en prendre. Si l 'homme ressent généralement le besoin de vivre en société et en apprécie les avantages, il n'en combat pas pour autant les pulsions de son tempérament indivi- dualiste. Il ne veut pas toujours admettre que s'il pourrait jouir théoriquement d'une liberté totale dans l'état de nature — état heureux selon Jean-Jacques Rousseau — la sécurité procurée par la société suppose

  • de la part de l'individu certains sacrifices. Il refuse parfois de mettre spontanément un frein à son agressivité naturelle, de respecter des tabous, de se conformer à des règles. C'est ainsi qu'apparaissent dans les sociétés, primitives ou évoluées, des comportements potentiel- lement dangereux.

    Soit parce qu'ils compromettent la cohésion du groupe social, en contestant ce qui en représente «le principe d'ordre» : la personne du Chef ou sa primauté; le sys- tème hiérarchique qui a été mis en place; les croyances philosophiques ou religieuses communes; les rites, les usages ou le cérémonial acceptés par les autres membres du groupe. On dirait maintenant que leur cas ressort à la police politique ou haute police.

    Soit parce qu'ils mettent en péril la sécurité du groupe social, en refusant de suivre les règles qui doivent permettre à ses membres de vivre et de prospérer. Cela concerne l'exécution en nature de certains travaux d'inté- rêt général; le concours aux dépenses communes, en nature comme en monnaie ; la participation aux besoins de la défense, soit intérieure en tant que milicien, soit extérieure au titre du service militaire ; la soumission aux règles d'hygiène, aussi bien matérielles (enlèvement des ordures, balayage des rues, entretien des habitations, etc.) que morales (observation des obligations religieuses et respect des tabous de comportement). C'est à peu près actuellement le domaine de la Police administrative.

    Soit enfin parce qu'ils exposent la sécurité et les intérêts des autres individus composant le groupe social en exécutant des actes préjudiciables (vols, violences, assassinats, etc.), en adoptant des comportements dan- gereux, en corrompant les jeunes individus, en n'assurant pas l'honnêteté des transactions, en refusant l'arbitrage du chef et en effectuant leur propre police. Ces faits, qualifiés de délictueux ou de criminels, sont traités de nos jours par la Police judiciaire.

  • LA FINALITÉ DE LA POLICE

    Il est évidemment nécessaire de réagir envers ces éléments de dissociation, même si leur culpabilité doit être appréciée relativement aux temps, aux lieux et aux besoins exacts d'un groupe social donné. Les solutions adoptées sont de ce fait très variables.

    Il s'agit toujours de mettre les individus hors d'état de continuer ou de reprendre une action considérée comme dangereuse, soit en les éliminant par la mise à mort, ou par le bannissement, qui dans la société primitive équi- vaut le plus souvent à la mort; soit en les enfermant ou en les amendant, c'est-à-dire en leur ôtant la possibilité ou l'envie de récidiver.

    On découvre ici le caractère éliminatoire ou sim- plement réformateur de la peine.

    Il est nécessaire aussi de les punir fortement et publiquement, de manière à servir d'exemple ; à apaiser le juste courroux des membres lésés du groupe, évitant ainsi le recours à des actes de vengeance anarchiques.

    C'est là l'aspect exemplaire et réparateur de la peine.

    LE CUMUL PRIMITIF DES POUVOIRS

    ET DES FONCTIONS DE POLICE

    De quelle façon la hiérarchie sociale va-t-elle assumer la sauvegarde de l'ordre intérieur?

    Dans les groupes peu structurés et de faible population, la chose est simple. C'est le Chef seul qui justifie son rôle et sa primauté : en établissant lui-même la règle et en s'en faisant le gardien (fonction de magistrature civile) ; en saisissant de ses mains celui qui l'enfreint (fonction de police stricto sensu); en fixant par sa seule décision la peine qui sera infligée (fonction de justice) ; en procédant personnellement à l'exécution (fonction de bourreau).

    C'est ce qui se passe dans les petites bandes. Lorsque le groupe social est devenu plus important

    numériquement, le Chef ne peut plus assumer lui-même

  • toutes ces fonctions. Il n'a pas toujours établi la règle, qui est généralement coutumière, mais il en garantit l'exé- cution; il en surveille l'application, lui-même ou avec l'aide d'un Second; il dispose de quelques hommes solides qui figurent parmi ses fidèles, et il leur com- mande de saisir les coupables ; il prononce seulement la peine et en laisse l'exécution à ceux-là mêmes qui ont procédé à l'arrestation.

    C'est le cas des chefs de villages dans les sociétés primitives, des petits seigneurs féodaux ou des condot- tieres.

    Quand la société s'agrandit encore, la délégation du Chef ne se fait plus seulement au niveau de l'arrestation et de l'exécution, mais aussi au niveau du jugement. Il dédaigne, ou n'a pas le loisir, de s'occuper des affaires courantes et s'en remet à un «Juge». Il n'abandonne pas pour autant sa fonction de justicier suprême et se réserve la décision dans les cas les plus graves, quand ils touchent à sa propre personne, ou quand ils mettent gravement en péril les bases mêmes de la société.

  • Première partie

    DU HAUT MOYEN ÂGE À L'ANCIEN RÉGIME

  • Il faut avoir présent à l'esprit le cumul des fonctions au niveau supérieur de la société, tel qu'il a été exposé ci- dessus, pour bien comprendre l'évolution de la fonction spécifique de Police au cours des âges.

    Certes, les institutions de la démocratie grecque et de la république romaine avaient réussi à confisquer quelque temps ces pouvoirs monarchiques au profit de diverses oligarchies. Celles-ci avaient veillé à démembrer les pouvoirs détenus précédemment par le monarque et à les répartir sur plusieurs têtes de manière à les neutra- liser. Les faiblesses que ces solutions apportaient ne leur permirent pas de perdurer.

    Dès le début du premier millénaire, les empereurs romains avaient récupéré la totalité des fonctions d'auto- rité (puissance tribunicienne, imperium proconsulaire, souverain pontificat). Ils les exercaient directement ou par délégations locales à des légats, des gouverneurs, des vicaires, des praesides, puis enfin des préfets*.

    * Le titre de «Préfet», ou «Praefectus», correspond suivant les époques à plusieurs types de fonctions.

    Le Préfet de Rome ou « Praefectus Urbis », chargé de l'admi- nistration depuis le 1er siècle.

    Les Préfets du Prétoire ou « Praefecti Prêtons », d'abord chefs de la garde prétorienne de l'Empereur. À partir du début du IVe siècle, ils leur fut remis des pouvoirs civils (Justice, Police, Administration, Finances, Approvisionnements) et militaires dans les quatre grandes préfectures divisant l'Empire. D'abord fixée à Trèves, la préfecture des Gaules fut transférée à Arles au début du Ve siècle. Elle était alors divisée en Diocèses, placés sous l'autorité de vice-préfets ou vicaires (Vicarii), ayant eux- mêmes autorité sur les gouverneurs des provinces.

  • Les États barbares qui s'installèrent en Gaule sur les débris de l'Empire romain suivirent tout naturellement cette voie, autant pour se mouler dans une tradition juridique prestigieuse que par droit de conquête et souci d'efficacité. La monarchie capétienne qui devait régner à partir de 987 jusqu'à la Révolution sur le royaume de France en dérivait directement.

    Cette confusion n'était pas seulement propre au per- sonnage occupant le sommet de l'État. Elle se retrouvait aussi dans les échelons délégués. Soit que le monarque se déchargeât d'une partie plus ou moins large de ses pouvoirs sur le titulaire d'une fonction, tel le maire du palais. Soit qu'il les remît globalement à chacun de ses représentants locaux (satrapes, gouverneurs, légats, comtes, ducs). Il a souvent été prouvé que ces solutions n'étaient pas sans danger. Surtout si elles comportaient une délégation de l'autorité royale sur la force militaire utilisée à l'intérieur comme force de police.

  • L'une des préoccupations des policiers était de se réunir dans des syndicats correspondant à leurs propres affinités politiques. D'autres avaient aussi le souci de s'associer au sein d'organisations plus ou moins auto- nomes défendant les intérêts, d'abord de l'un des services où ils étaient affectés, puis du corps ou du grade dans lequel ils servaient. Selon le principe qui consiste à «diviser pour régner», il est probable que la haute administration n'ait pas toujours été étrangère à ce foisonnement anarchique. Il en résultera d'âpres conflits dressant les uns contre les autres jusqu'à vingt-sept syndicats différents. Ce qui ne sera pas sans avoir de fâcheuses incidences, jusque dans le fonctionnement des services.

    Bien entendu des regroupements intervinrent par la suite. D'abord limités, puis de plus en plus étendus. On vit ainsi apparaître la Fédération autonome des syndicats de police (FASP), marquée à gauche, l' Union des syn- dicats catégoriels de la police (USCP) plus à droite, et la Fédération professionnelle et indépendante de la police (FPIP), encore plus à droite. Très récemment, les projets de réorganisation des corps de police ont impliqué des rapprochements en blocs plus strictement professionnels. En acceptant de sortir de son isolement, et de rejoindre en mars 1991, à la Fédération nationale autonome de la police (FNAP), les inspecteurs et les enquêteurs, le Syndicat des commissaires et des hauts fonctionnaires de la Police nationale apportait son poids décisif à la constitution d'un bloc se voulant apolitique et repré- sentant les intérêts des corps «en civil» opposés au bloc des corps «en tenue» regroupés à la FASP. Demeurés en dehors de ces deux blocs très majoritaires, les cadres de la Tenue unis dans l'USCP se trouvent placés en position d'arbitre au sein du Comité technique paritaire. Ce qui risque de bloquer les réformes projetées.

    L'histoire du syndicalisme policier démontre que cette situation ne fait que répondre aux besoins d'un moment. Son évolution est inévitable, soit en fonction des évo- lutions politiques à venir, soit en conséquence de pos- sibles réorganisations des corps et des structures de la Police nationale.

  • L'EXTENSION INCONTRÔLÉE DE LA SÉCURITÉ PRIVÉE

    La sécurité privée n'est pas en soi une chose nouvelle. La féodalité y avait puisé sa légitimité à une époque où le pouvoir central s'était révélé hors d'état de protéger les habitants. Plus tard, les propriétaires terriens sachant ne pas pouvoir compter sur une maréchaussée trop peu nombreuse et trop lointaine, ont toujours eu le souci d'assurer la surveillance de leurs terres et de leurs bois. On trouve des lettres patentes de Charles V, en 1369, faisant déjà mention de l'existence de gardes-champêtres. Une déclaration royale de 1709, qui les assimilait aux gardes des communes, leur avait conféré des obligations et des droits. Le code des délits et peines de 1795 entérinait cette situation qui fut ensuite confirmée par le code d'instruction criminelle de 1810. Chaque proprié- taire avait la possibilité de faire agréer par le maire, puis en 1892 par le préfet, un garde-champêtre particulier, auquel était accordé, après assermentation, les préro- gatives d'officier de police judiciaire.

    Cela n'a jamais posé de problèmes aussi longtemps que ces gardes n'ont eu à faire, dans les campagnes françaises, qu'à de petits délinquants habituels plus ou moins connus, et alors que les propriétaires assez riches pour assumer cette charge n'étaient pas excessivement nom- breux. Il n'en fut plus de même lorsque l'insécurité gagna les villes et que la surveillance privée eut à s'exercer à l'égard d'une large population tout à fait anonyme. C'est ainsi qu'au début des années soixante, des offices d'habi- tation à loyer modéré et des sociétés immobilières demandèrent l'agrément de gardes particuliers. Les pré- fets sollicités refusèrent. Le ministre de l'Intérieur fut saisi. Il estima, en 1963, que l'article 29 du code de procédure pénale visait aussi bien les gardes particuliers des propriétés urbaines que ceux des propriétés rurales. C'est dans cette brêche que s'engouffrèrent, après 1968, les recteurs d'académie. Pour faire face à l'absence de protection de la police, qui était la rançon d'une pré- tendue immunité reconnue depuis le Moyen Âge au territoire des facultés, ils engagèrent, à titre de gardes

    CouverturePage de titreSommaireAvant-proposINTRODUCTION - Les divers sens du mot policeCHAPITRE PRÉLIMINAIRE - L'émergence de la notion de policeLE BESOIN DE DÉFENSE À L'INTÉRIEURLA FINALITÉ DE LA POLICELE CUMUL PRIMITIF DES POUVOIRS ET DES FONCTIONS DE POLICE

    Première partie - DU HAUT MOYEN ÂGE À L'ANCIEN RÉGIME