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VIENT DE PARAÎTRE Au nom de l’art Enquête sur le statut ambigu des appella- tions artistiques de 1945 à nos jours Sous la direction de Katia Schneller et Vanessa Théodoropoulou 8 novembre 2013, 16 x 24, 276 p., 35 € ISBN 978-2-85944-739-7 ISSN 0985-9446 HISTOIRE CONTEMPORAINE Publications de la Sorbonne 212, rue Saint-Jacques 75005 Paris Tél : 01 43 25 80 15 - Fax : 01 43 54 03 24 Courriel : [email protected] « École », « mouvement », « avant-garde » ou autres « ismes » : l’historien d’art contemporain se réfère constamment à des catégories qui, loin d’être neutres, sont porteuses de discours. L’historicisation des « cou- rants », tels que l’expressionnisme abstrait, l’art mini- mal, le Body-Art, le néo-expressionnisme ou encore le néo-dada, peut laisser entendre une forme de recon- duction du projet des avant-gardes historiques. Mais leur statut ambigu – un courant recouvre-t-il un style, une période, un projet esthétique, un label ou une technique de marketing ? – est symptomatique de la mutation profonde, depuis les années 1960, du fonc- tionnement du système artistique (marché, institu- tion, critique), tout comme de la nature des intentions créatrices. Ce phénomène d’historicisation des pratiques sous forme de courants se poursuit sur les deux dernières décennies du xxe siècle (avec Esthétique relationnelle, les Young British Artists, le bio-art…), tandis que de très nombreux groupes, collectifs, coopératives ou entreprises continuent d’apparaître sur la scène artis- tique. À l’inverse des étiquettes mentionnées précé- demment, leurs noms signalent un projet ou une in- tention commune – de l’Internationale situationniste et du groupe ZERO à Présence Panchounette, des Yes Men à Société Réaliste –, sans nécessairement suggérer l’élaboration d’une nouvelle esthétique. Si ces configu- rations, en tant qu’identités collectives arbitraires et autodéterminées, semblent également s’inscrire dans le legs politique des avant-gardes, elles le redéfinissent radicalement. Dépassant le simple constat de ce double héritage, paradoxal, du phénomène avant-gardiste, les études rassemblées dans cet ouvrage proposent de ré- fléchir aux stratégies de dénomination adoptées par les différents acteurs du monde de l’art, aux divers types de coalition définis ou revendiqués par les artistes, enfin aux pratiques artistiques que celles-ci recouvrent. Les auteurs : Alain Bonnet, Cecilia Braschi, Janig Bégoc, Gallien Déjean, Catherine Dossin, Charlotte Gould, Sandrine Hyacinthe, Aram Mekhitarian, James Meyer, Nicolas Nercam, Katia Schneller, Gregory Sholette, Vanessa Théodoropoulou, Tristan Trémeau, Hélène Trespeuch, Maïté Vissault.

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Vient de paraître

Au nom de l’art Enquête sur le statut ambigu des appella-tions artistiques de 1945 à nos joursSous la direction de Katia Schneller et Vanessa Théodoropoulou8 novembre 2013, 16 x 24, 276 p., 35 € ISBN 978-2-85944-739-7 ISSN 0985-9446

histoire contemporaine publications de la sorbonne212, rue saint-Jacques 75005 paristél : 01 43 25 80 15 - Fax : 01 43 54 03 24courriel : [email protected]

« École », « mouvement », « avant-garde » ou autres « ismes » : l’historien d’art contemporain se réfère constamment à des catégories qui, loin d’être neutres, sont porteuses de discours. L’historicisation des « cou-rants », tels que l’expressionnisme abstrait, l’art mini-mal, le Body-Art, le néo-expressionnisme ou encore le néo-dada, peut laisser entendre une forme de recon-duction du projet des avant-gardes historiques. Mais leur statut ambigu – un courant recouvre-t-il un style, une période, un projet esthétique, un label ou une technique de marketing ? – est symptomatique de la mutation profonde, depuis les années 1960, du fonc-tionnement du système artistique (marché, institu-tion, critique), tout comme de la nature des intentions créatrices.Ce phénomène d’historicisation des pratiques sous forme de courants se poursuit sur les deux dernières décennies du xxe siècle (avec Esthétique relationnelle, les Young British Artists, le bio-art…), tandis que de très nombreux groupes, collectifs, coopératives ou entreprises continuent d’apparaître sur la scène artis-tique. À l’inverse des étiquettes mentionnées précé-demment, leurs noms signalent un projet ou une in-tention commune – de l’Internationale situationniste et du groupe ZERO à Présence Panchounette, des Yes Men à Société Réaliste –, sans nécessairement suggérer l’élaboration d’une nouvelle esthétique. Si ces configu-rations, en tant qu’identités collectives arbitraires et autodéterminées, semblent également s’inscrire dans le legs politique des avant-gardes, elles le redéfinissent radicalement. Dépassant le simple constat de ce double héritage, paradoxal, du phénomène avant-gardiste, les études rassemblées dans cet ouvrage proposent de ré-

fléchir aux stratégies de dénomination adoptées par les différents acteurs du monde de l’art, aux divers types de coalition définis ou revendiqués par les artistes, enfin aux pratiques artistiques que celles-ci recouvrent.

Les auteurs :

Alain Bonnet, Cecilia Braschi, Janig Bégoc, Gallien Déjean, Catherine Dossin, Charlotte Gould, Sandrine Hyacinthe, Aram Mekhitarian, James Meyer, Nicolas Nercam, Katia Schneller, Gregory Sholette, Vanessa Théodoropoulou, Tristan Trémeau, Hélène Trespeuch, Maïté Vissault.

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Sommaire

Biographie des auteurs 9

Introduction générale 13

Quand les mouvements deviennent étiquettesKatia Schneller 25

Le complexe de la Nouvelle École de Paris. Mythes et réalités de la création d’après-guerre

Sandrine Hyacinthe 35

Pop Art, Nouveau Réalisme, etc. Comment Paris perdit le pouvoir de nommer les nouvelles tendances

Catherine Dossin 49

A Rash of NamesJames Meyer 63

De l’art corporel à la performance. Chronique sémantique d’une substitution annoncée (1977-1979)

Janig Bégoc 71

Appropriationnisme versus simulationnisme : vraie et fausse avant-gardes ?

Hélène Trespeuch 85

What’s in a name ? Les Young British Artists : du branding à l ’ontologie

Charlotte Gould 97

Appellations artistiques occidentales et vocabulaire pour une histoire de l ’art extra-occidental moderne et contemporain. Le cas spécif ique de l’Inde

Nicolas Nercam 111

Entretien avec Nicolas BourriaudKatia Schneller et Vanessa Théodoropoulou 123

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Nominalisme collectifVanessa Théodoropoulou 135

De l’association à la fragmentation. L’image de la communauté des artistes dans la peinture du xixe siècle

Alain Bonnet 145

ZERO et Nouvelles Tendances. L’enjeu transrégional

Gallien Déjean 157

Resignifier l ’espace de l ’art en Amérique Latine. L’expérience du CADA

Cecilia Braschi 171

Au nom de la plastique sociale…Maïté Vissault 187

Anonymat et collectifs sans objetsAram Mekhitarian 197

Connexions implicites. Les mots magiques des années 1990

Tristan Trémeau 213

From radical solidarity to “whatever” collectivism. Some thoughts on political art and the rise of post-Fordist enterprise culture

Gregory Sholette 223

Entretien avec Vincent BioulèsVanessa Théodoropoulou 235

Entretien avec Borut Vogelnik de IRWINVanessa Théodoropoulou 245

Table des illustrations 259

Index 261

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Introduction générale

K atia Schneller e t Vane SSa théod orop oulou

En baptisant ce colloque Au nom de l’art, notre souhait était de réfléchir à plusieurs sur l’élaboration, le statut et la valeur des appellations employées pour qualifier la création artistique depuis 1945, et de nous demander à nouveau aujourd’hui en quoi celles-ci sont dépositaires de l’héritage des avant-gardes de la première moitié du xxe siècle. Bien que l’intitulé rappelle celui choisi par Thierry de Duve pour son ouvrage de 1989, Au nom de l’art. Pour une archéologie de la modernité1, notre but diffère du sien. Notre questionnement n’est pas d’ordre esthétique et ne propose pas une réinterprétation de l’impératif catégorique kan-tien, comme Thierry de Duve le fit à partir de l’exemple de Marcel Duchamp. Nous souhaitons pour notre part nous pencher sur les phénomènes qui se forgent et s’engagent à travers les noms utilisés pour qualifier l’art. L’archéologie qui nous intéresse a plus à voir avec une déconstruction des pratiques discursives du champ de l’art, dans un esprit proche de l’épistémologie de la constitution du savoir, formulée par Michel Foucault. Comment les pratiques de l’appellation contribuent-elles à l’élaboration de la réalité du champ ainsi qu’à la fabrication du savoir sur celui-ci ? Il ne s’agit pas seulement d’interroger l’élaboration de ces termes, mais également ce qui se passe en leur nom. La présentation de diffé-rents cas particuliers que propose chacune des contributions de ces actes, nous a semblé à même de pouvoir ancrer la réflexion menée à plusieurs, que suppose la situation de colloque, dans des préoccupations à la fois théoriques et socio-poli-tiques, épistémologiques et historiques.

Lorsque l’on esquisse à grands traits un récit du développement de l’activité artistique après 1945, on énumère généralement des appellations. Si l’on prend l’exemple des années 1960, on récite par exemple : néo-dada, Pop Art, Nouveau Réalisme, art minimal, art conceptuel… Couramment employés et souvent pré-sentés comme une succession d’avant-gardes (ou néo-avant-gardes), ces noms apparaissent comme des outils indispensables, qui permettent d’organiser le savoir et de structurer le récit historique, sans lesquels il serait difficile de parler de la production artistique. Indiscutablement nécessaires, ils créent l’illusion de dessiner des ensembles stables, homogènes et distincts dans une réalité que l’on

1 T. de duVe, Au nom de l’art. Pour une archéologie de la modernité, Paris, Éditions de Minuit, 1989.

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Introduction générale

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sait pourtant être complexe et mouvante. Ils donnent l’impression qu’il serait dif-ficile d’établir des recoupements entre des appellations contemporaines comme l’art minimal et l’art conceptuel, qui existent pourtant. Tels des axiomes, ces termes délivreraient une explication objective et peut-être même exclusive de la réalité. Notre ambition vise précisément à aller au-delà de cette apparente évi-dence qui n’appelle pas à discussion et de faire émerger les enjeux idéologiques, esthétiques, philosophiques, sociaux et politiques qui viennent traverser et tra-vailler ces appellations. Il s’agit en somme de partir de ce que Michel Foucault appelle l’a priori historique : « Ce qui, à une époque donnée, découpe dans l’expé-rience un champ de savoir possible, définit le mode d’être des objets qui y appa-raissent, arme le regard quotidien de pouvoirs théoriques, et définit les conditions dans lesquelles on peut tenir sur les choses un discours reconnu pour vrai2. » Ainsi, pour déterminer la manière dont ces appellations acquièrent ce statut et les enjeux idéologiques qui y sont rattachés, le jeu des opinions simultanées et par-fois contradictoires de l’époque étudiée doit être questionné et reconstitué, dans le but de mettre à jour une complexité qui est porteuse de l’historicité du savoir.

Dès que l’on s’attelle à cette tâche, on s’aperçoit rapidement qu’une certaine confusion semble régner parmi une série de termes en apparence équivalents, qui sont employés pour désigner la création du xxe siècle, entre les notions d’avant-garde, de mouvement et de style. Pour n’en donner qu’un exemple, l’appella-tion « surréalisme » fait a priori référence au groupe d’artistes réunis par André Breton autour d’un projet esthétique et politique commun. Mais ce terme peut également évoquer une mouvance plus large, dépassant les seuls compagnons de route, un phénomène culturel marquant une époque. Lorsque l’appellation est présentée comme étant caractéristique d’une génération, elle s’apparente alors à un élément de périodisation. C’est le cas par exemple du substantif « conceptua-lisme » : obtenu par l’apposition du suffixe « isme » à l’expression « art concep-tuel », il tend à en faire à la fois un courant et pour certains auteurs une période, comme dans le cas de l’exposition « Global Conceptualism : Points of Origins, 1950s-1980s », proposée en 1999 au Queens Museum of Art à New York3.

La dérivation propre que propose le suffixe « isme » élève a priori le radical du nom au rang de concept et de doctrine, innervant une période donnée tel un zeitgeist et constituant donc un courant. Il est cependant intéressant de constater que l’adjectif et le substantif peuvent être interchangeables. L’étiquette « Minimal Art » est souvent associée aux cinq artistes américains que sont Carl Andre, Dan Flavin, Donald Judd, Sol LeWitt, Robert Morris, auxquels s’ajoute parfois Tony Smith4. « Minimalisme », dont le suffixe laisse penser qu’il s’agit

2 M. Foucault, L’archéologie du savoir, Paris, Gallimard, 1969, p. 171.

3 Global Conceptualism: Points of Origins, 1950s-1980s, cat. expo., New York, Queens Museum of Art, 1999.

4 Voir par exemple « Art minimal », Artstudio, automne 1987 ; P.-H. parSy, Art minimal, Paris, Centre Georges-Pompidou, 1992.

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Katia Schneller et Vanessa Théodoropoulou

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d’un mouvement, élargirait par conséquent le champ à des peintres comme Robert Mangold, Agnes Martin, Frank Stella ou à d’autres sculpteurs comme Anne Truitt5. Mais à bien y regarder, l’usage des deux terminologies n’est pas aussi défini qu’il peut en avoir l’air : Jean-Louis Froment a présenté un ensemble de peintres et de sculpteurs dans Art Minimal I, De la ligne au parallélépipède (1985) et De la surface au plan : Art minimal II (1986)6 et Ann Goldstein, cher-chant à contextualiser les œuvres canoniques, dans A Minimal Future ? : Art as Object 1958-19687 en 2004, a en plus ajouté celles d’Eva Hesse, Mel Bochner, Robert Smithson, ainsi qu’un ensemble de peintures et de sculptures aux formes géométriques simples et aux surfaces monochromes, qui ont participé au débat des années 1960 autour de l’étiquette8. Au flou des artistes concernés par le terme, correspond celui des bornes chronologiques. Si la plupart des ouvrages limitent la période au début des années 1960, Corinne Robins l’étend à toute la décennie9, et le musicien Edward Strickland10 va jusqu’à faire remonter ses ori-gines à la peinture de Barnett Newman et aux expériences du Black Mountain College, étendant son domaine de compétence à la musique, la danse, la littéra-ture, la publicité et le cinéma. Le « isme » n’est donc plus de rigueur pour énoncer un mouvement. En témoigne par exemple le qualificatif d’« Arte Povera », qui ne connaît pas de forme substantive et qui, en fonction des moments de son histo-riographie, désigne aussi bien un groupe d’artistes italiens restreint, que la géné-ration internationale émergeant sur le devant de la scène artistique au tournant des années 1960 et 197011.

5 Voir l’ajout de Frank Stella dans Blam! The Explosion of Pop, Minimalism, and Performance, 1958-1964, cat. expo., New York, Whitney Museum of Art, 1984 ; de Richard Serra dans Minimalism, cat. expo., Liverpool, Tate Gallery, 1989 ; de Anne Truitt dans J. Meyer, Minimalism: Art and Polemics in the 1960’s, New Haven/Londres, Yale University Press, 2001 et aux peintres Robert Mangold, Agnes Martin, Frank Stella dans Minimalism, Londres, Phaidon Press, 2000 (trad. fr. Minimalisme, Paris, Phaidon, 2005). Pour une lecture associant des artistes européens comme Beuys, Klein, Manzoni, voir K. BaKer, Minimalism. Art of Circumstance, New York, Abbeville Press, 1989.

6 Art Minimal I, de la ligne au parallélépipède, expo., Bordeaux, CAPC-Musée d’art contemporain, 1985 et De la surface au plan : art minimal II, cat. expo., Bordeaux, CAPC-Musée d’art contem-porain, 1986. Voir aussi F. colpitt, Minimal Art. The Critical Perspective, Seattle, University of Washington Press, 1990.

7 A Minimal Future?: Art as Object 1958-1968, cat. expo., Los Angeles, Museum of Contemporary Art, 2004.

8 L’exposition s’appuie en cela sur les recherches présentées dans J. Meyer, Minimalism : Art and Polemics in the 1960’s, op. cit. Zelevansky présente le « minimalisme » dans le contexte inter-national de mouvements artistiques abstraits utilisant un vocabulaire répétitif de formes géomé-triques issues de l’Amérique latine, de l’Europe et du Japon. L. ZeleVanSKy (éd.), Beyond Geometry: Experiments in Form, 1940s-70s, cat. expo., Los Angeles, Los Angeles County Museum of Art, 2004. Voir aussi L. denniSon, N. Spector, S. croSS (éd.), Singular Forms (Sometimes Repeated): Art from 1951 to the Present, cat. expo., New York, Solomon R. Guggenheim Museum, 2004.

9 Voir C. roBinS, The Pluralist Era, American Art, 1968-1981, New York, Harpers & Row, 1984 ; D. MarZona, U. GroSenicK (éd.), Minimal Art, Londres, Taschen, 2004.

10 E. StricKland, Minimalism: Origins, Bloomington/Indianapolis, Indiana University Press, 1993.

11 Voir G. celant, Arte Povera, Milan, Mazzotta, 1969.

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Par ailleurs, un mouvement, si on le définit comme un phénomène culturel, est a priori différent d’un style qui, au sens formaliste du terme, se caractérise-rait essentiellement par un vocabulaire formel récurrent. Bien que cette notion semble avoir été bannie de l’histoire de l’art à partir des années 1950 par l’ico-nologie, puis par les débats sur les approches structuraliste, poststructuraliste, sociale et ces dernières décennies par les gender, visual, postcolonial et cultural studies, son ombre plane sur la discipline. En effet, n’est-il pas courant de dire à propos d’une œuvre qui utilise des formes géométriques simples qu’elle est « minimale » ? Ou encore d’une pièce qui présente du texte et de la documenta-tion qu’elle est « conceptuelle » ? Lors de sa présentation à la Maison rouge en 2011, le film My Winnipeg (2007) de Guy Maddin a pour sa part été qualifié à de nombreuses reprises dans la presse artistique de « surréaliste », pour décrire son esthétique onirique et son attrait pour le spiritisme. Le terme qui dans ce cas de figure est le plus souvent employé sous la forme adjectivale, est convoqué pour établir une parenté entre une œuvre et un ensemble artistique qui sont d’époques différentes. Comme s’il s’agissait de pointer un air de famille, le rap-prochement se fonde sur une ressemblance formelle. Il suggère que l’on pourrait résumer le minimalisme, le conceptualisme ou encore le surréalisme à un voca-bulaire formel spécifique, un style donc – des rémanences de ce dernier pouvant être décelées à tout moment et indépendamment du discours, de la démarche et de la connaissance réelle que l’artiste dont le travail se trouve ainsi qualifié aurait de cet ensemble artistique. Si l’on met de côté le fait que ce type d’ap-proche peut paraître réductrice à bien des égards, ce genre de connaissance est essentiellement intuitive et ne donne jamais lieu à une formulation claire et arti-culée, comme avait cherché à le faire Heinrich Wölfflin à propos du baroque et du classicisme dans Principes fondamentaux de l’ histoire de l’art (1915). Elle a plus à voir avec le champ des représentations communément associées au terme. L’une des conséquences de cette modalité de l’emploi du nom a été la création d’éti-quettes « néo » au cours des années 1980 : néo-expressionnisme, néo-conceptua-lisme, néo-surréalisme…

Un même terme peut donc engager différentes acceptions et occuper différents rôles. Pour autant il a toujours pour origine un ou des mythes fondateurs sou-vent répétés à l’envie, comme l’histoire de la signature du manifeste du Nouveau Réalisme au domicile d’Yves Klein en 1960, ou encore l’exposition « Arte Povera in Spazio » à la galerie Bertesca à Gênes et la publication du texte « Appunti per una guerriglia » par Germano Celant dans Flash Art pour lancer l’Arte Povera en 1967. Il ne suffit cependant pas de créer un terme pour qu’il devienne instan-tanément un repère historique. Les appellations, tout comme les œuvres qu’elles désignent, ont une vie qui dépasse le seul moment de leur apparition, au cours de laquelle elles acquièrent ou non un champ de stabilité qui détermine si elles resteront dans le récit officiel de la période. Leur entrée dans l’histoire s’accom-pagne souvent d’un phénomène de naturalisation, où se joue une autonomisa-tion du terme par rapport au projet artistique, qui lui était initialement associé

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Katia Schneller et Vanessa Théodoropoulou

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et dont la complexité se trouve lissée. Le terme subit une dilatation qui l’amène à désigner un ensemble plus étendu que le groupe d’artistes qui lui était rattaché ou qui en était à l’origine, l’apparentant à un mouvement.

Tous les noms ne subissent cependant pas ce phénomène : certains, supplantés par une appellation concurrente, ne font pas histoire et tombent dans l’oubli comme l’Eccentric Abstraction, lancée par la critique Lucy Lippard en 1966 avec le post-minimalisme, établi par Robert Pincus-Witten, tandis que d’autres ont été pensés comme des dispositifs de résistance à cette dilatation. C’est le cas de ceux créés par les groupes d’artistes, souvent assez restreints en nombre, qui se réunissent et se nomment de manière délibérée. Un collectif comme General Idea par exemple, en mettant en scène leur « ménage à trois » et leur travail en « trouple », ne peut se rapporter qu’à ses trois protagonistes et se préserve ainsi du danger d’élargissement à un mouvement que subit par exemple Supports/Surfaces.

Quel que soit leur statut ou leur réussite dans l’histoire, ces termes fonc-tionnent comme des noms génériques : telle une marque déposée, ils sont uti-lisés pour désigner un type de production et qualifier les artistes qui en seraient à l’origine. On peut de fait s’interroger dans un deuxième temps sur le type de coa-lition dont ces appellations sont porteuses. S’agit-il d’un vivre et créer ensemble concret, ou bien d’une dimension purement conceptuelle ? Comment les artistes se positionnent-ils par rapport à ces noms ? En sont-ils les auteurs ou des simples récepteurs ? Les embrassent-ils ou les rejettent-ils ? Loin d’être uniforme, la rela-tion que les artistes entretiennent à ces appellations est très variable.

Les termes qui proposent un rassemblement à partir des seuls critères formels, aux dépens des artistes, sont l’expression la plus relâchée de cette relation. Pour reprendre l’exemple de l’art minimal, aucun de ses représentants les plus célèbres, comme Donald Judd, Robert Morris, Sol LeWitt, Carl Andre ou Dan Flavin, n’en est l’instigateur et ne s’en est jamais revendiqué. Le nom est ici apposé sur les œuvres par des instances extérieures à la volonté des créateurs. Ce phénomène semble s’affirmer après 1945, en raison notamment de l’autonomie acquise par la machine de validation commerciale et institutionnelle, qui lui permet d’im-poser des appellations totalement déconnectées de l’attachement des artistes. Le nom fonctionne ici comme un « label » ou une marque, que le marché et les ins-titutions muséales s’approprient. Ce premier cas de figure est d’une autre nature que celui des appellations comme l’impressionnisme ou le fauvisme, qui sont à l’origine issues de boutades de critiques d’art et que les artistes récupèrent, ne serait-ce même que pour une courte durée. Dans ce cas, le terme a tendance à désigner plus un style qu’une collectivité. La première partie du colloque inti-tulée « Quand les mouvements deviennent étiquettes » interroge ces aspects de la question.

Les appellations qui sont dépositaires d’un projet à la fois esthétique et politique, s’exprimant à travers un ensemble de dispositifs pensés pour se

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Introduction générale

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(re)présenter en groupe comme le manifeste, la photographie et l’exposition de groupe, sont encore d’un autre ordre. C’est le cas de Cobra, du Lettrisme, de BMPT ou de Supports/Surfaces, dont les stratégies ont directement à voir avec celles des avant-gardes de la première moitié du xxe siècle, comme le futurisme, Dada et le surréalisme. Ce que nous appellerons ensuite les collectifs, dans les-quels l’identité individuelle de chaque participant est dissoute et subordonnée au nom générique choisi, compose encore un autre ensemble, qui semble s’être sur-tout développé depuis les années 1960. L’Internationale situationniste, General Idea, N. E. ThingCo ou encore Art&Language signent leurs textes et œuvres de ces intitulés communs. Ces pratiques ont prospéré au cours des années 1970 et pris un ton activiste au cours des années 1980 avec la création de Group Material ou des Guerrilla Girls. L’importance de ce type de structure ne cesse de se vérifier depuis les années 1990 comme en ont témoigné des expositions telles que « Zac 99 » au musée d’Art moderne de la Ville de Paris qui les ont mises à l’honneur. S’attaquer au nom propre en lui substituant un nom générique, un nom commun, signifierait dans ces cas de figure remettre en cause un quelconque « père » nom-mant, dans sa conception freudienne, et se mettre à l’origine de son identité, dans un cadre collectif qui va à l’encontre de l’idée de génie, d’une singularité supé-rieure aux autres. Celle-ci se trouve substituée par un « singulier multiple » ou un « multiple singulier ». Allant de pair avec l’élaboration d’une action commune, une bonne part de ces collectifs posent également la question de l’identité fictive : ils mettent en scène les rôles sociaux et leur structuration. Nier les noms propres peut être enfin interprété comme une manière de nier l’histoire, au sens de récit unique et total de l’avenir des hommes. Comme l’écrit Giorgio Agamben dans La communauté qui vient, « la singularité quelconque est déterminée uniquement à travers sa relation à une idée, c’est-à-dire à la totalité de ses possibilités12. »

Cette question des noms génériques, qu’ils soient forgés par les artistes ou par d’autres acteurs, dotés d’une intention politique ou purement esthétique, voire commerciale, nous amène automatiquement à une catégorie historique qu’il semble fondamental d’interroger à nouveau aujourd’hui : celle de l’avant-garde. Bien qu’incontournable pour comprendre la création du xxe siècle et très cou-ramment employée, cette notion continue à résister à une définition univoque, constitue le lieu de projection de l’éternelle querelle sur le potentiel politique des formes. En ce qui nous concerne, la notion d’avant-garde, depuis son apparition dans le domaine des arts, charrie l’idée d’une possible collaboration entre les artistes, d’un travail artistique mené à plusieurs, dans une perspective commune. Lorsque les saint-simoniens s’approprient et détournent le terme au nom du bien-être et du progrès de la société, il s’agit déjà d’un premier appel à l’unité et à l’en-gagement politique des artistes, considérés comme une corporation. Dans le célèbre dialogue « L’artiste, le savant et l’industriel », le saint-simonien Olindes

12 G. aGaMBen, La communauté qui vient. Théorie de la singularité quelconque, reproduit dans Multitudes, mise en ligne en mai 1990.

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Rodriguez affirme, au nom des artistes, que ceux-ci devraient « seconder le mou-vement général de l’esprit humain » et être portés par une « impulsion commune et une idée générale ». Leur imagination, moteur de cet élan progressif, devrait être guidée par la raison et par la conscience des besoins actuels de la société, au risque de devenir « imagination rétrograde13 ». Les fouriéristes, et on pense notamment à Gabriel-Désiré Laverdant et son célèbre essai de 1843, De la mission de l’art et du rôle des artistes, également convaincus que l’« harmonie collective » sera l’œuvre des artistes, laissent quant à eux plus d’espace au choix de la stratégie utilisée : l’artiste peut agir soit en prophète, représentant dans son œuvre l’har-monie de la beauté idéale et du bonheur à venir, soit en critique, représentant le désordre qui bouleverse la société actuelle afin de mobiliser le peuple, le solliciter à se révolter et à agir pour l’avènement de la société nouvelle14.

Du moment où la pratique artistique est pensée comme une réaction à un état général des choses, voire comme une action sur la société, il est évident que le besoin de fraterniser devient indispensable. Si ni les membres des différentes fra-ternités ou confréries d’artistes du xixe siècle, des Nazaréens aux Nabis, en pas-sant par les Préraphaélites, ni les représentants des différentes écoles esthétiques ou « ismes » – du réalisme de Courbet ou du néo-traditionnisme de Maurice Denis15, aux différents groupes associés à l’expressionnisme – n’ont adopté ouver-tement l’appellation « avant-garde », leur messianisme assumé ou sous-jacent, leur critique selon le cas, de l’académisation, de la déchéance morale ou de la marchandisation de l’art, résonnent comme des traits typiquement avant-gar-distes. S’ils ne rédigent pas forcément des manifestes16, ces artistes fondent des micro-communautés esthétiques, liant leur art et leur mode de vie et manifes-tant ainsi leur refus idéaliste de se soumettre aux règles de la société existante.

Entre-temps, la naissance du marxisme aura marqué un véritable tournant dans l’histoire de la notion qui nous intéresse ici, notamment auprès desdites « avant-gardes historiques » du début du xxe siècle. Dans ses fameux Manuscrits économi-co-philosophiques de 1844, le jeune Marx, à cette époque encore sous l’influence des idées saint-simoniennes ainsi que de l’idéalisme hégélien, défend la capacité

13 o. rodriGueS, « L’artiste, le savant et l’industriel », dans H. de Saint-SiMon, Opinions litté-raires, philosophiques et industrielles, Paris, Hachette, 1975 [1re éd. Paris, Bossange Père, 1825], p. 341-344.

14 À ce sujet, voir N. McWilliaM, « Une esthétique révolutionnaire ? La politique de l’art social aux alentours de 1820-1850 », intervention de l’auteur au séminaire « Arts et sociétés » (11 octobre 2004), dirigé par Laurence Bertrand Dorléac.

15 M. deniS, « Définition du néo-traditionnisme », Art et critique, 23 et 30 août 1890.

16 La pratique du manifeste commence certes au xixe siècle avec la publication de déclarations

de la part des artistes et poètes dans des journaux et des revues. Néanmoins, il faudra attendre le début du xx

e siècle et le futurisme de Marinetti pour voir ce terme, hautement connoté, imposé par les artistes dans leurs écrits. Pour une histoire du genre, voir M. BurGer, Les manifestes : paroles de combat. De Marx à Breton, Lonay, Delachaux et Nieslé, 2002, p. 19-20 et J. deMerS, L. Mc Murray, L’enjeu du manifeste, le manifeste en jeu, Longueuil, Éditions du Préambule, 1986, p. 49-50.

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de tout homme de créer (de donner forme), « d’après les lois de la beauté17 », et dresse le portrait de l’homme total, que serait l’artiste-producteur qui s’exprime en « façonnant » la nature, produisant ainsi librement son « monde objectif ». Cette idée révolutionnaire que tout homme peut devenir créateur et par consé-quent libre quand il s’exprime (il exprime son essence) dans son travail, et inver-sement, que le travail libre c’est la véritable création, deviendra l’idée générale que défendront dans les décennies qui suivent plusieurs mouvements artistiques. L’économie, et avec elle le « réel », fait son entrée dans le domaine des revendica-tions de l’avant-garde. Avec la fondation de l’Association internationale des tra-vailleurs, en 1864, déclarant qu’elle entend agir « pour l’émancipation définitive de la classe travailleuse », commence aussi le processus d’appropriation progres-sive (durant la période 1885-1915) du concept d’avant-garde par le champ de l’ac-tion politique organisée. Agir pour le progrès et l’émancipation de la société, et ceci au nom de l’« art », de la créativité libre, n’est plus une opération purement idéaliste, ni le privilège des artistes, qui se voient « libérés » de la lourde tâche que leur avait attribuée le socialisme utopique.

Ce n’est qu’à ce moment-là, et notamment durant la deuxième décennie du xxe siècle, qu’apparaît, semble-t-il, et que commence à s’imposer dans le discours de la critique d’art la notion d’« avant-garde artistique », c’est-à-dire l’idée qu’il existe une avant-garde propre au domaine de l’art, des artistes qui « devancent » avec leur œuvre les autres mouvements artistiques de leur époque. Commence alors le long processus de dépolitisation/repolitisation successive du concept, qui se parera de conceptions, progressistes ou conservatrices (esthétiquement ou poli-tiquement) de l’art18. La position de Clement Greenberg est à ce sujet embléma-tique, marquant un nouveau tournant dans l’historiographie du concept, qui se voit attribué un autre projet « progressiste », moins directement politique. La thèse de Greenberg, établissant une analogie entre avant-garde et autonomie de l’art, entre avant-garde et modernisme, institutionnalise la séparation entre artis-tique et politique, et déplace en fait le sens et le contenu du terme « progrès » à l’intérieur de la discipline. Le seul progrès capable de garantir la fonction pro-gressive de l’art vis-à-vis de la société serait selon le modernisme greenbergien la réduction du médium à sa spécificité.

Derrière l’idée d’une lecture historique où les « ismes » s’enchaînent, on peut ainsi voir resurgir l’idéologie moderniste du récit historique auquel est asso-ciée une certaine définition de l’avant-garde plutôt tournée sur les questions de formes. Les « labels », comme on les a appelés plus haut, ces termes détachés de toute implication de la part des artistes, miment ainsi la suite de cette histoire

17 K. Marx, Manuscrits de 1844, Paris, Flammarion, 1996, p. 116.

18 Voir à ce sujet l’étude polémique de N. hadjinicolaou, « Sur l’idéologie de l’avant-gardisme », Histoire et critique des arts, no 6, juillet 1978, p. 48-76. Et aussi les nombreuses études réunies dans l’ouvrage de J. WeiSGerBer (dir.), Les avant-gardes littéraires au xx

e siècle, Bruxelles, Centre d’étude des avant-gardes littéraires de l’université de Bruxelles, 1984.

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et donnent l’illusion que les démarches artistiques qu’ils désignent après 1945 seraient du même ordre que celles des avant-gardes historiques.

Les vifs débats théoriques de l’après-guerre sur la poursuite ou non de l’avant-garde, sur la nature progressiste, révolutionnaire, émancipatrice ou non de la « néo-avant-garde » (force critique ou pure répétition ?) posent ainsi de nouveau la question de la nature de son intention politique. Ils sont symptomatiques et révélateurs de la mutation que subissait le milieu artistique, en concordance avec les changements sociopolitiques et culturels. Afin d’identifier l’avant-garde de l’époque, classer tel ou tel autre artiste ou démarche dans cette catégorie, il fallait redéfinir l’avant-garde historique, lui attribuer des caractéristiques qui se retrou-veraient ou non dans la génération des années 1960. On peut mentionner ainsi le débat au sein du cercle des critiques italiens, polarisé entre deux positions : d’un côté, ceux qui, dans la lignée de Lukács, s’érigent contre l’avant-garde au nom du rationalisme et du réalisme critique (Cesare Brandi, Mario de Micheli), et de l’autre, ceux qui la défendent (Guilio Carlo Argan, Renato Barilli). Ces derniers sont plus proches des positions d’Adorno, qui y voit une contestation possible de la réification. On peut également citer l’ouvrage de Renato Poggioli, Teoria dell’arte d’avanguardia de 1962, (traduit en anglais en 1968), première tentative d’articuler une théorie de l’avant-garde suivie, une décennie plus tard, par le très influent et important ouvrage de Peter Bürger19.

Entre ces deux ouvrages, le changement qui s’opère concernant la définition du concept qui nous intéresse est un véritable changement de paradigme, qu’il nous semble important de rappeler ici. Poggioli adopte une posture critique typi-quement anglo-américaine et assimile, dans son ouvrage, avant-garde et moder-nisme, subsumant les deux sous le label « modernisme » – une tendance qui prolongerait des procédures de prise de conscience critique du langage, déjà pré-sentes dans l’art et la littérature de la deuxième moitié du xixe siècle, comme l’Aestheticism. Dans Theory of the Avant-Garde de 1974, Bürger distingue quant à lui les deux catégories et considère l’avant-garde comme un moment de rup-ture avec les courants qui la précèdent dans le contexte spécifique du début du xxe siècle. L’avant-garde de Bürger est une catégorie « historique », qui désigne en fait exclusivement les mouvements des années 1920 (futurisme, Dada, surréa-lisme, constructivisme), ceux-ci ayant critiqué et attaqué – pour la première fois dans l’histoire de l’art – l’« art comme institution », c’est-à-dire le statut d’au-tonomie de l’art dans la société bourgeoise et tout ce que cela implique20. Une attaque que Bürger situe au niveau des « manifestations » et non pas des œuvres, dans les postures des avant-gardes concernant la fonction de l’art dans la société,

19 R. poGGioli, Teoria dell’arte d’avanguardia, Bologne, Il Mulino, 1962 (traduit en anglais sous le titre The Theory of the Avant-Garde en 1968) ; P. BürGer, Theory of the Avant-Garde, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1974 [rééd. Belknap Press, 2002].

20 P. BürGer, « Introduction », dans id., Theory of the Avant-Garde, op. cit., p. iii.

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ses modes de production et de réception21. Quant à la « néo-avant-garde » des années 1960 et 1970, elle est discréditée comme inauthentique, pure répétition de la force négatrice des avant-gardes historiques, qui se retrouvent « récupérées » par l’art comme institution22. Cette posture va provoquer, comme on le sait, une série de réactions, notamment de la part des auteurs d’October (Hal Foster, Benjamin Buchloh, etc.), qui nient l’échec du projet avant-gardiste annoncé par Bürger et prennent la défense de la génération de l’après-guerre et de la dimen-sion critique de sa production artistique23. Suivront une série de publications et de thèses autour du sujet, de Eric Hobsbawm à Boris Groÿs24, tentatives idéolo-giquement chargées de valoriser, juger, ou simplement condamner et annoncer la fin du phénomène.

Aucun de ces auteurs (à l’exception peut-être de Poggioli, qui inclut un cha-pitre sur le concept de mouvement dans son ouvrage) ne semble attribuer une importance particulière à la dimension collective de ces formations nommées avant-gardes historiques. Ils se rejoignent tous, cependant, implicitement, sur l’absence d’un ou de plusieurs styles d’avant-garde, celle-ci étant remplacée par des pratiques, des procédures et des moyens. Comment qualifier alors les dizaines de « ismes » et autres étiquettes inventées depuis les années 1970 et associées par la critique à la néo-avant-garde ? Devrait-on essayer d’y distinguer celles qui se réfèrent à des pratiques critiques et celles qui seraient du modernisme pur ? La distinction entre ceux qui nomment leur pratique et ceux qui sont arti-ficiellement regroupés derrière une appellation (minimalisme, art conceptuel, Esthétique relationnelle, etc.) permet-elle de penser autrement cette histoire et ces débats théoriques sur la définition de l’avant-garde et de ses mutations après 1945 ? Ou bien la question de l’intentionnalité n’est-elle plus pertinente ? Et si pour Bürger, la négation de la catégorie de la création individuelle25, caractéris-tique de l’avant-garde, n’implique pas pour autant son remplacement par un sujet collectif, comment expliquer cette prolifération de collectifs et autres formations

21 Ibid., p. 50-51.

22 Ibid., p. 53 et 59.

23 Hal Foster, dans Le retour du réel, avance la thèse que la néo-avant-garde a élargi le champ d’action critique de l’avant-garde historique quant à l’institution artistique et même accompli son projet, tandis que pour Benjamin Buchloh, dès la fin des années 1960-début des années 1970, et l’avènement de l’art conceptuel, une série de nouvelles propositions artistiques (Michael Asher, Daniel Buren, Marcel Broodthaers, Hans Haacke) établissent une base critique radicalement nou-velle concernant les conditions de production et de réception de l’art contemporain. Cf. B. Buchloh, Neo-Avant-Garde and Culture Industry. Essays on European and American Art from 1955 to 1975, Cambridge/Londres, MIT Press, 2000 ; H. FoSter, The Return of the Real, Cambridge, MIT Press, 1996 (trad. fr. Le retour du réel. Situation actuelle de l’avant-garde, Bruxelles, La Lettre volée, 2005).

24 E. hoBSBaWM, Behind the Times. The Decline and Fall of the Twentieth-Century Avant-Gardes, New York, Thames and Hudson, 1998 ; B. GroÿS, Staline, œuvre d’art totale, Nîmes, Jacqueline Chambon, 1990. Voir aussi p. SerS, Totalitarismes et avant-gardes, Paris, Les Belles Lettres, 2001 ; c. Grenier, Dépression et subversion. Les racines de l’avant-garde, Paris, Centre Georges-Pompidou, 2004.

25 p. BürGer, Theory of the Avant-Garde, op. cit., p. 51.

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depuis les années 1970, qui revendiquent une posture critique vis-à-vis de l’ins-titution artistique ? Plus encore, dans la période actuelle, depuis les années 1990, qu’est-ce que la question des appellations génériques peut permettre de com-prendre quant à l’actualité de cette notion et à la structuration de l’activité artis-tique dans le monde de l’art ? Est-elle aujourd’hui encore valide ou non ?

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