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HISTOIRE Sur une erreur de Galilée Pierre Lerich Résumé : En lisant le Dialogue sur les deux grands systèmes du Monde, de Galilée, le lecteur sursaute en découvrant qu’un boulet de canon lâché depuis l’orbite de la Lune, tomberait sur la Terre en 3 heures, 22 minutes, 4 secondes (page 363 de l’édition du Seuil). Le lecteur incrédule consulte son manuel de physique, sort sa calculette et refait le calcul de Galilée : il trouve 4 jours 20 heures. Il doit y avoir une erreur quelque part. Chute d'un objet depuis la Lune Il y a deux méthodes pour calculer le temps de chute d’un objet depuis l’orbite de la Lune. La première est celle de Newton (PRINCIPIA, Livre I section VII : mouvements rectilignes). Elle consiste à imaginer que l’objet pourrait avoir gardé une petite vitesse le long de l’orbite lunaire, et tomberait donc sur la Terre selon une ellipse très aplatie. En poussant le raisonnement à l’extrême, cette ellipse pourrait être tellement aplatie qu’elle ressemblerait à s’y méprendre à une ligne droite. Cela ne l’empêcherait pas de respecter la 3 e loi de Kepler, qui parle du grand axe, mais pas du petit. Celui-ci peut donc être nul. Connaissant le temps de révolution de la Lune autour de la Terre, on peut calculer grâce à la 3 e loi de Kepler le temps de révolution correspondant à n’importe quelle ellipse, même aplatie, proportionnelle à la puissance 3/2 du grand axe. Il suffit que ce grand axe soit égal à la distance Terre-Lune pour que l’objet tombe sur la Terre (et s’enfonce jusqu’au centre de la Terre, mais ceci est un détail). C’est ainsi qu’on trouve un temps de chute (la moitié du temps pour ellipse complète) égal à 4 jours 20 heures = 34 fois le temps trouvé par Galilée. La seconde méthode, plus moderne, consiste à écrire une équation exprimant le fait qu’à chaque instant, l’accélération subie par l’objet est inversement proportionnelle au carré de la distance au centre. On retrouve Newton par un chemin différent. Plus l’objet se rapproche, plus il est attiré, donc plus il se rapproche, etc. Comme on établit un rapport entre une distance et la variation de cette distance (entre une variable et sa dérivée), on est donc en présence d’une équation différentielle, dont la résolution a occupé des générations de mathématiciens au XVIII e siècle : certaines équations sont faciles à résoudre, d’autres difficiles, d’autres impossibles. Celle qui concerne le problème posé par Galilée est très classique, et aboutit à une formule qu’il suffit d’appliquer : on trouve de nouveau 4 jours 20 heures. Si l’on appliquait ce même calcul à un objet en chute libre vers le Soleil, abandonné sans vitesse initiale en un point de l’orbite terrestre, on trouverait une durée de 64 jours. 6 CC N°115 automne 2006

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  • HISTOIRE

    Sur une erreur de Galile

    Pierre Lerich Rsum : En lisant le Dialogue sur les deux grands systmes du Monde, de Galile, le lecteur sursaute en dcouvrant quun boulet de canon lch depuis lorbite de la Lune, tomberait sur la Terre en 3 heures, 22 minutes, 4 secondes (page 363 de ldition du Seuil). Le lecteur incrdule consulte son manuel de physique, sort sa calculette et refait le calcul de Galile : il trouve 4 jours 20 heures. Il doit y avoir une erreur quelque part.

    Chute d'un objet depuis la Lune Il y a deux mthodes pour calculer le temps de chute dun objet depuis lorbite de la Lune. La premire est celle de Newton (PRINCIPIA, Livre I section VII : mouvements rectilignes). Elle consiste imaginer que lobjet pourrait avoir gard une petite vitesse le long de lorbite lunaire, et tomberait donc sur la Terre selon une ellipse trs aplatie. En poussant le raisonnement lextrme, cette ellipse pourrait tre tellement aplatie quelle ressemblerait sy mprendre une ligne droite. Cela ne lempcherait pas de respecter la 3e loi de Kepler, qui parle du grand axe, mais pas du petit. Celui-ci peut donc tre nul.

    Connaissant le temps de rvolution de la Lune autour de la Terre, on peut calculer grce la 3e loi de Kepler le temps de rvolution correspondant nimporte quelle ellipse, mme aplatie, proportionnelle la puissance 3/2 du grand axe. Il suffit que ce grand axe soit gal la distance Terre-Lune pour que lobjet tombe sur la Terre (et senfonce jusquau centre de la Terre, mais ceci est un dtail). Cest ainsi quon trouve un temps de chute (la moiti du temps pour ellipse complte) gal 4 jours 20 heures = 34 fois le temps trouv par Galile.

    La seconde mthode, plus moderne, consiste

    crire une quation exprimant le fait qu chaque instant, lacclration subie par lobjet est inversement proportionnelle au carr de la distance au centre. On retrouve Newton par un chemin diffrent. Plus lobjet se rapproche, plus il est attir, donc plus il se rapproche, etc. Comme on tablit un rapport entre une distance et la variation de cette distance (entre une variable et sa drive), on est donc en prsence dune quation diffrentielle, dont la rsolution a occup des gnrations de mathmaticiens au XVIIIe sicle : certaines quations sont faciles rsoudre, dautres difficiles, dautres impossibles. Celle qui concerne le problme pos par Galile est trs classique, et aboutit une formule quil suffit dappliquer : on trouve de nouveau 4 jours 20 heures.

    Si lon appliquait ce mme calcul un objet en

    chute libre vers le Soleil, abandonn sans vitesse initiale en un point de lorbite terrestre, on trouverait une dure de 64 jours.

    6 CC N115 automne 2006

    HISTOIRE

    Sur une erreur de Galile

    Pierre Lerich

    Rsum : En lisant le Dialogue sur les deux grands systmes du Monde, de Galile, le lecteur sursaute en dcouvrant quun boulet de canon lch depuis lorbite de la Lune, tomberait sur la Terre en 3 heures, 22 minutes, 4 secondes (page 363 de ldition du Seuil). Le lecteur incrdule consulte son manuel de physique, sort sa calculette et refait le calcul de Galile: il trouve 4 jours 20 heures. Il doit y avoir une erreur quelque part.

    Chute d'un objet depuis la Lune

    Il y a deux mthodes pour calculer le temps de chute dun objet depuis lorbite de la Lune. La premire est celle de Newton (PRINCIPIA, Livre I section VII: mouvements rectilignes). Elle consiste imaginer que lobjet pourrait avoir gard une petite vitesse le long de lorbite lunaire, et tomberait donc sur la Terre selon une ellipse trs aplatie. En poussant le raisonnement lextrme, cette ellipse pourrait tre tellement aplatie quelle ressemblerait sy mprendre une ligne droite. Cela ne lempcherait pas de respecter la 3e loi de Kepler, qui parle du grand axe, mais pas du petit. Celui-ci peut donc tre nul.

    Connaissant le temps de rvolution de la Lune autour de la Terre, on peut calculer grce la 3e loi de Kepler le temps de rvolution correspondant nimporte quelle ellipse, mme aplatie, proportionnelle la puissance 3/2 du grand axe. Il suffit que ce grand axe soit gal la distance Terre-Lune pour que lobjet tombe sur la Terre (et senfonce jusquau centre de la Terre, mais ceci est un dtail). Cest ainsi quon trouve un temps de chute (la moiti du temps pour ellipse complte) gal 4 jours 20 heures = 34 fois le temps trouv par Galile.

    La seconde mthode, plus moderne, consiste crire une quation exprimant le fait qu chaque instant, lacclration subie par lobjet est inversement proportionnelle au carr de la distance au centre. On retrouve Newton par un chemin diffrent. Plus lobjet se rapproche, plus il est attir, donc plus il se rapproche, etc. Comme on tablit un rapport entre une distance et la variation de cette distance (entre une variable et sa drive), on est donc en prsence dune quation diffrentielle, dont la rsolution a occup des gnrations de mathmaticiens au XVIIIe sicle: certaines quations sont faciles rsoudre, dautres difficiles, dautres impossibles. Celle qui concerne le problme pos par Galile est trs classique, et aboutit une formule quil suffit dappliquer: on trouve de nouveau 4 jours 20 heures.

    Si lon appliquait ce mme calcul un objet en chute libre vers le Soleil, abandonn sans vitesse initiale en un point de lorbite terrestre, on trouverait une dure de 64 jours.

    Galile

    g

    lpoque de Galile, ces deux mthodes taient inconnues. Pour la premire, il a fallu encore attendre 50 ans, pour la seconde un sicle au moins. Galile avanait donc seul, sans carte et sans boussole en territoire inconnu.

    Or, la chose dont il tait le plus fier, cest davoir le premier quantifi le mouvement acclr. Jusqu lui, on en parlait dune manire vague, sans pouvoir rien mesurer. Il a t le premier dmontrer que dans le mouvement acclr, les espaces parcourus sont proportionnels aux carrs des temps. La chute libre tant le plus commun des mouvements acclrs, il tait facile (en principe) de mesurer le temps de chute dun boulet de canon lch dune certaine hauteur: cent coudes en 5 secondes selon Galile. La mesure du temps avait sans doute t mal faite (1 coude = 0,55 m). Ce temps et cet espace fournissent la valeur de

    , qui dtermine la proportionnalit entre les espaces et les temps (levs au carr). A partir de l, rien nempche de calculer le temps de chute dun objet lch 1000 mtres, 10 000 mtres, et pourquoi pas la hauteur de lorbite lunaire. Cest de cette faon (il nous donne le dtail de son calcul) que Galile a trouv le temps de chute de 3 heures 22 minutes 4 secondes.

    O est l'erreur ?

    Lerreur de ce raisonnement apparat clairement si on le compare avec la 2e mthode expose plus haut. Galile a pris la valeur de

    g

    telle quon peut la mesurer la surface de la Terre et la considre comme une valeur universelle et invariable, une constante fondamentale de lunivers, un peu comme la vitesse de la lumire. Pour savoir si ctait vrai ou faux, il aurait fallu faire lexprience en lchant un objet depuis lorbite de la Lune, mais lpoque de Galile, ctait du domaine du rve. Aujourdhui, il suffirait dimmobiliser une fuse la bonne hauteur et dattendre quelle tombe, mais lexprience naurait plus aucun intrt. Il est certain que si Galile avait pu exprimenter, il aurait constat son erreur et aurait supprim ce passage qui ntait pas indispensable, puisquil napportait rien la dfense de Copernic.

    Cinquante ans plus tard, le bruit courait dans le monde savant, en Angleterre, que tous les corps clestes possdaient une force attractive, mais que celle-ci dcroissait rapidement avec la distance. Une dcroissance selon linverse du carr de la distance paraissait plausible, mais on nen tait encore quaux hypothses, comme le constatait une lettre de Hooke Newton de 1679, lettre qui semble avoir t lorigine des PRINCIPIA (1687). Une fois lanc sur ce problme, Newton ralisa le tour de force de dmontrer tout ce qui jusque l tait seulement suppos. Ces dmonstrations sont si magistrales quelles pourraient se passer de vrification, mais ce serait dommage de sen priver si une telle vrification est rapide et facile raliser.

    Trouvez l'erreur qui se cache dans cette image.

    Newton se trouva ainsi devant le mme problme que Galile: la chute des corps sur Terre tant connue, comment ltudier la distance de la Lune? Galile a suppos que cette chute tait la mme partout et aboutissait ainsi un temps de chute peu vraisemblable. Newton partait dune hypothse entirement diffrente et a pu la vrifier non pas en lchant un objet depuis lorbite lunaire, mais en remarquant que si la Lune ne prend pas la tangente en sloignant de la Terre, cest parce quelle tombe vers la Terre en mme temps quelle progresse sur son orbite. Un calcul trs facile permet de dire de combien elle tombe chaque seconde et de comparer ce chiffre la chute des corps sur terre. On peut vrifier ainsi que lacclration subie par les objets qui tombent est inversement proportionnelle au carr de leur distance au centre de la Terre. A la distance de la Lune, la gravit terrestre est divise par 3600, le carr de 60. Ainsi les dmonstrations gomtriques des PRINCIPIA sont dfinitivement confirmes.

    Galile aurait pu procder comme Newton: il avait tudi les boulets de canon qui filent tout droit en mme temps quils tombent vers la terre, dcrivant une parabole allonge. Cest le mme raisonnement que celui de Newton au sujet de la Lune. Mme sil y avait de lincertitude sur la distance Terre-Lune, sur le rayon terrestre, sur lacclration des corps en chute libre, les donnes de lpoque permettaient dliminer immdiatement lhypothse dune acclration unique partout gale elle-mme. Mais Galile navait visiblement aucun doute sur la validit de son calcul, dont le rsultat ne semble pas lavoir tonn le moins du monde. Il navait aucune raison daller chercher plus loin.

    Mouvement naturel

    Comme la physique dAristote tait au programme des universits, Galile la enseigne pendant des annes bon gr mal gr. Cest peut tre l quil faut chercher la source de son erreur. Aristote distinguait deux sortes de mouvement: les mouvements naturels (comme la chute des corps) et les mouvements violents (flche lance par un arc). Les corps pesants tombent parce que cest dans leur nature. Comme leur nature est la mme la surface de la Terre et la proximit de la Lune, il ny a aucune raison de supposer que leur mouvement puisse tre diffrent. Donc leur acclration doit tre la mme, et pour connatre la dure de la chute, il suffit dappliquer cette acclration uniforme la distance Terre-Lune. Galile conserve donc cette notion de mouvement naturel hrite dAristote, alors quil sent fort bien son insuffisance. Par exemple, il reprend avec humour un problme curieux pos par un contemporain: si la Terre se volatilisait dun seul coup, les corps pesants continueraient-ils de tomber de la mme faon? Ou bien cette variante: si plusieurs corps massifs flottaient librement dans lespace, vers quoi pourraient-ils tomber? Il pense que les corps lourds conspirant par nature sunir se rassembleraient, et que leur runion formerait un centre capable ensuite dattirer dautres corps (page 390). On voit que ces rflexions contiennent en germe lide de gravitation. Pourtant, au moment de calculer le temps de chute depuis lorbite lunaire, cest lide simpliste de mouvement naturel qui sest impose, avec pour consquence une acclration toujours gale, et une erreur considrable sur la dure de la chute.

    Aristote es-tu l ?

    Galile na cess toute sa vie de contester Aristote, bien souvent avec une ironie mchante. Aristote tait sa bte noire. Il na pourtant jamais russi se librer totalement de son influence. Il faudra toute la rflexion du XVIIIe sicle (Descartes, Pascal, etc.) pour remettre en question tout lhritage des anciens, qui paraly-sait la science.

    Image Wikimedia libre de droit

    Aristote peint par Raphal

    Image Wikimedia libre de droit

    Portrait de Galile par Sustermans

    PAGE

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    Georges PaturelN03errgalile.doc

  • Galile lpoque de Galile, ces deux mthodes taient inconnues. Pour la premire, il a fallu encore attendre 50 ans, pour la seconde un sicle au moins. Galile avanait donc seul, sans carte et sans boussole en territoire inconnu.

    Or, la chose dont il tait le plus fier, cest

    davoir le premier quantifi le mouvement acclr. Jusqu lui, on en parlait dune manire vague, sans pouvoir rien mesurer. Il a t le premier dmontrer que dans le mouvement acclr, les espaces parcourus sont proportionnels aux carrs des temps. La chute libre tant le plus commun des mouvements acclrs, il tait facile (en principe) de mesurer le temps de chute dun boulet de canon lch dune certaine hauteur : cent coudes en 5 secondes selon Galile. La mesure du temps avait sans doute t mal faite (1 coude = 0,55 m). Ce temps et cet espace fournissent la valeur de , qui dtermine la proportionnalit entre les espaces et les temps (levs au carr). A partir de l, rien nempche de calculer le temps de chute dun objet lch 1000 mtres, 10 000 mtres, et pourquoi pas la hauteur de lorbite lunaire. Cest de cette faon (il nous donne le dtail de son calcul) que Galile a trouv le temps de chute de 3 heures 22 minutes 4 secondes.

    g

    O est l'erreur ? Lerreur de ce raisonnement apparat clairement si on le compare avec la 2e mthode expose plus haut. Galile a pris la valeur de telle quon peut la mesurer la surface de la Terre et la considre comme une valeur universelle et invariable, une constante fondamentale de lunivers, un peu comme la vitesse de la lumire. Pour savoir si ctait vrai ou faux, il aurait fallu faire lexprience en lchant un objet depuis lorbite de la Lune, mais lpoque de Galile, ctait du domaine du rve. Aujourdhui, il suffirait dimmobiliser une fuse la bonne hauteur et dattendre quelle tombe, mais lexprience naurait plus aucun intrt. Il est certain que si Galile avait pu exprimenter, il aurait constat son erreur et aurait supprim ce passage qui ntait pas indispensable, puisquil napportait rien la dfense de Copernic.

    g

    Image Wikimedia libre de droit Portrait de Galile par

    Sustermans

    Cinquante ans plus tard, le bruit courait dans le

    monde savant, en Angleterre, que tous les corps clestes possdaient une force attractive, mais que celle-ci dcroissait rapidement avec la distance. Une dcroissance selon linverse du carr de la distance paraissait plausible, mais on nen tait encore quaux hypothses, comme le constatait une lettre de Hooke Newton de 1679, lettre qui semble avoir t lorigine des PRINCIPIA (1687). Une fois lanc sur ce problme, Newton ralisa le tour de force de dmontrer tout ce qui jusque l tait seulement suppos. Ces dmonstrations sont si magistrales quelles pourraient se passer de vrification, mais ce serait dommage de sen priver si une telle vrification est rapide et facile raliser.

    Trouvez l'erreur qui se cache dans cette image.

    CC N115 automne 2006 7

  • Newton se trouva ainsi devant le mme problme que Galile : la chute des corps sur Terre tant connue, comment ltudier la distance de la Lune ? Galile a suppos que cette chute tait la mme partout et aboutissait ainsi un temps de chute peu vraisemblable. Newton partait dune hypothse entirement diffrente et a pu la vrifier non pas en lchant un objet depuis lorbite lunaire, mais en remarquant que si la Lune ne prend pas la tangente en sloignant de la Terre, cest parce quelle tombe vers la Terre en mme temps quelle progresse sur son orbite. Un calcul trs facile permet de dire de combien elle tombe chaque seconde et de comparer ce chiffre la chute des corps sur terre. On peut vrifier ainsi que lacclration subie par les objets qui tombent est inversement proportionnelle au carr de leur distance au centre de la Terre. A la distance de la Lune, la gravit terrestre est divise par 3600, le carr de 60. Ainsi les dmonstrations gomtriques des PRINCIPIA sont dfinitivement confirmes.

    Galile aurait pu procder comme Newton : il

    avait tudi les boulets de canon qui filent tout droit en mme temps quils tombent vers la terre, dcrivant une parabole allonge. Cest le mme raisonnement que celui de Newton au sujet de la Lune. Mme sil y avait de lincertitude sur la distance Terre-Lune, sur le rayon terrestre, sur lacclration des corps en chute libre, les donnes de lpoque permettaient dliminer immdiatement lhypothse dune acclration unique partout gale elle-mme. Mais Galile navait visiblement aucun doute sur la validit de son calcul, dont le rsultat ne semble pas lavoir tonn le moins du monde. Il navait aucune raison daller chercher plus loin.

    Mouvement naturel Comme la physique dAristote tait au programme des universits, Galile la enseigne pendant des annes bon gr mal gr. Cest peut tre l quil faut chercher la source de son erreur. Aristote distinguait deux sortes de mouvement : les mouvements naturels (comme la chute des corps) et les mouvements violents (flche lance par un arc). Les corps pesants tombent parce que cest dans leur nature. Comme leur nature est la mme la surface de la Terre et la

    proximit de la Lune, il ny a aucune raison de supposer que leur mouvement puisse tre diffrent. Donc leur acclration doit tre la mme, et pour connatre la dure de la chute, il suffit dappliquer cette acclration uniforme la distance Terre-Lune. Galile conserve donc cette notion de mouvement naturel hrite dAristote, alors quil sent fort bien son insuffisance. Par exemple, il reprend avec humour un problme curieux pos par un contemporain : si la Terre se volatilisait dun seul coup, les corps pesants continueraient-ils de tomber de la mme faon ? Ou bien cette variante : si plusieurs corps massifs flottaient librement dans lespace, vers quoi pourraient-ils tomber ? Il pense que les corps lourds conspirant par nature sunir se rassembleraient, et que leur runion formerait un centre capable ensuite dattirer dautres corps (page 390). On voit que ces rflexions contiennent en germe lide de gravitation. Pourtant, au moment de calculer le temps de chute depuis lorbite lunaire, cest lide simpliste de mouvement naturel qui sest impose, avec pour consquence une acclration toujours gale, et une erreur considrable sur la dure de la chute.

    Aristote es-tu l ? Galile na cess toute sa vie de contester Aristote, bien souvent avec une ironie mchante. Aristote tait sa bte noire. Il na pourtant jamais russi se librer totalement de son influence. Il faudra toute la rflexion du XVIIIe sicle (Descartes, Pascal, etc.) pour remettre en question tout lhritage des anciens, qui paraly-sait la science.

    Image Wikimedia libre de droit Aristote peint par Raphal

    8 CC N115 automne 2006