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Henri REGNAULT, LA CRISE N°33, Janvier 2016, «La grande stagnation ». 1 LA CRISE N°33, Janvier 2016 Lettre plus ou moins trimestrielle, gratuite et sans abonnement ! LA GRANDE STAGNATION : entre rêve obscurantiste et parasitisme ploutocratique ! Résumé : Depuis le XVIIIe siècle, le thème de la fin de la croissance économique est récurrent, d’abord sous l’appellation « d’état stationnaire » et aujourd’hui sous le terme de « stagnation séculaire ». L’idée qu’il ne peut y avoir de croissance infinie dans un monde fini peut sembler de pur bon sens. Pourtant, les freins à la croissance ne relèvent pas que d’une relation Homme- Nature qui induirait une limite incontournable au PIB mais beaucoup plus de la relation Homme-Homme à travers des normes de distribution des richesses au sein des sociétés humaines qui débouchent sur un déséquilibre ingérable. Entre l’obscurantisme des écologistes de combat qui la souhaitent et le parasitisme de la ploutocratie qui la provoque… bienvenue dans le monde de la grande stagnation ! Source : Left Wing UK Traduction de la légende « Economie du ruissellement : comment on vous a dit que ça fonctionnait… et ce qui se passe en réalité » 1. De l’état stationnaire à la stagnation séculaire. p.3 2. Principe de précaution et écologistes : la stagnation du côté de l’offre p.6 Encadré : « De l’écologie aux écologistes, ou de la science à l’obscurantisme » p.11 Tableau : « Les écologistes : une typologie impertinente » p.12 3. Inégalités et ploutocratie : la stagnation du côté de la demande p.13 4. Et mes sous dans tout ça : Opération Jivaro… c’est parti ! p.17

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Henri REGNAULT, LA CRISE N°33, Janvier 2016, «La grande stagnation ».

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LA CRISE N°33, Janvier 2016

Lettre plus ou moins trimestrielle, gratuite et sans abonnement !

LA GRANDE STAGNATION : entre rêve obscurantiste et parasitisme ploutocratique !

Résumé : Depuis le XVIIIe siècle, le thème de la fin de la croissance économique est récurrent,

d’abord sous l’appellation « d’état stationnaire » et aujourd’hui sous le terme de « stagnation

séculaire ». L’idée qu’il ne peut y avoir de croissance infinie dans un monde fini peut sembler de pur

bon sens. Pourtant, les freins à la croissance ne relèvent pas que d’une relation Homme- Nature qui induirait une limite incontournable au PIB mais beaucoup plus de la relation Homme-Homme à

travers des normes de distribution des richesses au sein des sociétés humaines qui débouchent sur un

déséquilibre ingérable. Entre l’obscurantisme des écologistes de combat qui la souhaitent et le parasitisme de la ploutocratie qui la provoque… bienvenue dans le monde de la grande stagnation !

Source : Left Wing UK

Traduction de la légende « Economie du ruissellement :

comment on vous a dit que ça fonctionnait… et ce qui se passe en réalité »

1. De l’état stationnaire à la stagnation séculaire. p.3

2. Principe de précaution et écologistes : la stagnation du côté de l’offre p.6

Encadré : « De l’écologie aux écologistes, ou de la science à l’obscurantisme » p.11

Tableau : « Les écologistes : une typologie impertinente » p.12

3. Inégalités et ploutocratie : la stagnation du côté de la demande p.13

4. Et mes sous dans tout ça : Opération Jivaro… c’est parti ! p.17

Henri REGNAULT, LA CRISE N°33, Janvier 2016, «La grande stagnation ».

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Dieu est-il écolo ? D’après mes informations, pas très récentes il est vrai, la réponse est

négative. Les propos musclés de Dieu après le Déluge, tels que rapportés par les journalistes

de l’époque dans La Genèse, sont sans ambigüité quant à la relation Homme-Nature. Dieu y

va d’ailleurs un peu fort et devrait, au minimum, être auditionné par le Tribunal Ecologique

International… et j’espère que la Société Protectrice des Animaux se portera partie civile !

Jugez-en par vous-même : « Soyez féconds, multipliez, emplissez la terre. Soyez la crainte et

l’effroi de tous les animaux de la terre et de tous les oiseaux du ciel, comme de tout ce dont la

terre fourmille et de tous les poissons de la mer : ils sont livrés entre vos mains» (Genèse 9.2).

Le moins que l’on puisse dire est que Dieu a une conception de la relation Homme-Nature

très dominatrice sur cette Nature. Mais Dieu était très imprévoyant en ordonnant aux hommes

de se multiplier… alors qu’Il leur créait un monde fini: ils ont été tellement obéissants aux

injonctions divines qu’ils vont bientôt être une dizaine de milliards. Depuis Malthus (un

pasteur anglais… bien peu confiant en l’œuvre divine !) on commence à craindre la pénurie :

le poisson se fait rare, l’énergie pourrait bien venir à manquer… l’activité humaine risque de

stagner car, dit-on, dans un monde fini il ne saurait y avoir de croissance infinie. Ainsi le

thème des limites à la croissance est-il devenu récurrent, amenant avec lui l’idée d’une

inévitable stagnation (voire déclin) des activités humaines. Cette thématique n’est pas propre

à notre période actuelle. Elle apparaît dès le début du grand mouvement de croissance de la

Révolution industrielle, donc au XVIIIe, sous l’appellation d’état stationnaire. Elle resurgit

dans le dernier quart du XXe siècle à travers le thème des limites naturelles à la croissance et

aujourd’hui sous l’appellation de stagnation séculaire.

Mais soyons indulgents avec Dieu ! Il n’est pas responsable de tout, loin de là. Car l’Homme

n’a pas de pire ennemi que l’Homme, et l’organisation des sociétés humaines est sûrement la

principale limite à la croissance, bien avant les ressources naturelles qui ne peuvent limiter

que la croissance matérielle et non la croissance immatérielle. Or notre indicateur de

croissance, le PIB, recouvre de plus en plus des activités immatérielles. D’où un débat

complexe sur les limites de la croissance. Les écologistes voudraient restreindre ce débat à un

problème de relation Homme-Nature et les plus obscurantistes d’entre eux souhaitent un

Homme soumis à la Nature, ignorant les tensions sociales d’un monde en stagnation et les

guerres civiles d’un monde en décroissance. Les ploutocrates de tous pays voudraient

accumuler une part toujours croissante de la richesse sociale, conduisant à une économie en

crise, incapable d’assurer l’égalisation de l’épargne et de l’investissement faute de demande

solvable justifiant l’investissement et assurant sa rentabilité. Ainsi la lutte contre la tendance à

la stagnation est un double combat, contre l’obscurantisme écologiste d’une part et contre la

ploutocratie accapareuse de la richesse sociale d’autre part, même si ces formulations abruptes

méritent d’être explicitées et nuancées, ce à quoi nous allons nous employer dans cette lettre.

Voilà donc devant nous, pour ce N°33 de LA CRISE, un programme super intello ! Nous

n’aurons donc pas beaucoup de place pour traiter de nos chers petits sous. Néanmoins une

petite piqure de rappel est indispensable : en ce début 2016, avec la mise en place en Europe

d’une étape importante dans la « résolution » des crises bancaires, il faut bien faire attention à

la garantie des avoirs des déposants. L’opération Jivaro des réducteurs de dépôts est en

marche ! Soyez vigilants.

Henri REGNAULT, LA CRISE N°33, Janvier 2016, «La grande stagnation ».

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1. De l’état stationnaire à la stagnation séculaire.

Les inquiétudes pour la croissance et la crainte de la stagnation sont une préoccupation très

récente à l’échelle historique de l’humanité, car pour s’en inquiéter encore faut-il avoir connu

la croissance. Or l’histoire de l’humanité est celle d’une longue stagnation démographique et

économique, au moins jusqu’à la Renaissance européenne. Ci-dessous, le tableau d’Angus

Maddison sur deux millénaires de croissance mondiale et le graphique de James Bradford

DeLong sur le PIB moyen par habitant depuis l’an 1500 témoignent du caractère récent de la

croissance économique, dont le démarrage fut principalement occidental avant de s’étendre au

reste du monde.

Source : Angus Maddison, L’économie mondiale : une perspective millénaire, OCDE 2001, p.28

Source : Wikipedia

Henri REGNAULT, LA CRISE N°33, Janvier 2016, «La grande stagnation ».

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La conscience de la fragilité du processus de croissance économique est quasi simultanée avec

cette croissance elle-même. Ce thème de la fragilité de la croissance est développé dès la

Révolution industrielle (qui va de pair avec une première révolution agricole) comme en

témoigne l’œuvre d’Adam Smith qui introduit la notion d’état stationnaire. Cet état

stationnaire sera repris dans la première moitié du XIXe siècle par les Classiques anglais

(Ricardo, Malthus, Stuart Mill). Marx préfèrera à cette vision statique de l’évolution du

capitalisme (une sorte de fin de l’histoire économique) une vision dynamique de crise

entraînant la chute du capitalisme et son remplacement par le socialisme puis le communisme

(une autre sorte de fin de l’histoire). Mais au-delà des nuances ou divergences entre ces

auteurs, il est intéressant – par rapport aux débats actuels - de constater qu’en arrière plan de

ces visions statiques ou dynamiques il y a des explications en termes de blocages naturels à

croissance ou bien en termes de blocages sociaux, donc invoquant les relations Homme-

Nature ou Homme-Homme.

Pour Adam Smith la division du travail progresse moins vite dans l’agriculture que dans

l’industrie : il en résultera une moindre progression de la productivité agricole par rapport à

la productivité industrielle, entrainant un enchérissement relatif des biens alimentaires,

nécessitant une hausse des salaires nominaux qui viendront diminuer le profit, réduisant le

volume d’épargne disponible pour l’investissement et pouvant ainsi conduire à la fin de la

croissance. Donc, ici, une approche de l’état stationnaire plutôt fondée sur des données

sociales (division du travail, productivité, salaire, taux de profit) que sur des données

naturelles (aucune considération sur la fertilité des terres, contrairement à ce qui va suivre).

Pour Malthus et Ricardo, le maître mot est la fertilité des terres, donc une approche

radicalement naturelle : en effet la notion, plus récente, de fertilité relative à une technique

agricole donnée est totalement étrangère à la vision Classique. Pour cette dernière, la fertilité

est une donnée intangible. Les meilleurs terrains ont été mis en culture en premier. Ensuite, au

fur et à mesure de la croissance démographique, ce sont des terrains de qualités inférieures, de

moins en moins productifs, qui sont mis en culture, donc à rendement décroissant (moins de

produit pour une même quantité de travail). Les prix des biens alimentaires augmentent, les

salaires aussi, le taux de profit baisse et l’incitation à investir diminue, et lorsque que

l’investissement ne dépasse plus le niveau du simple remplacement du capital amorti (usé,

détruit) l’échelle de la production ne peut plus s’accroitre, l’économie est en état stationnaire.

Marx va lui aussi reprendre la notion de baisse du taux de profit - débouchant sur les pires

troubles et le renversement du système capitaliste - mais il l’articule très différemment,

rejetant l’approche naturelle ricardienne au profit d’une approche sociale : un retour à Smith,

même si l’articulation concrète est spécifique à Marx. En effet, la baisse du taux de profit

marxienne résulte d’une augmentation de la composition organique du capital, c'est-à-dire du

rapport du capital technique (capital fixe et intrants consommés) sur le travail. Sachant que

seul le travail est producteur de plus value (la source ultime du profit) l’augmentation de la

composition organique du capital, du fait de la mécanisation, débouche inévitablement sur la

baisse du taux de profit, supposée mettre en marche la machine infernale du renversement du

capitalisme.

Henri REGNAULT, LA CRISE N°33, Janvier 2016, «La grande stagnation ».

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En fait, le XIXe siècle ne verra ni état stationnaire ni renversement du capitalisme. Il sera

globalement un siècle de croissance, même s’il connaitra de nombreuses crises revenant

régulièrement et suggérant la notion de cycles économiques. Finalement, des XVIIIe et XIX

e

siècles reste l’idée d’une dualité de causes possibles à l’arrêt de la croissance : cause naturelle

ou cause sociale.

Au XXe siècle, les marxistes continueront à attendre la fin du capitalisme comme d’autres

attendent le Messie : espoir déçu, même si la crise des années 30 ranime l’espoir ! Mais, pas

de chance pour les chantres de l’effondrement inéluctable, les politiques interventionnistes

des Etats inaugurées par le New Deal américain, les dynamiques de destruction-reconstruction

de la deuxième Guerre mondiale, les baby-booms occidentaux et les politiques salariales

stimulantes du Fordisme vont inaugurer un nouveau et puissant cycle de croissance.

Toutefois, au milieu des doutes inhérents à la crise des années 30, l’économiste américain

Alvin Hansen avait proposé en 1938 un concept de stagnation séculaire, qui venait prendre la

place de l’état stationnaire des Classiques dans la boîte à outils des économistes. Mais cette

stagnation séculaire restera dans le placard des concepts provisoirement inutiles, tant la

croissance des Trente Glorieuses vient lui enlever toute actualité. Il ne ressortira vraiment du

placard que très récemment, pour tenter de rendre compte des réalités actuelles des économies

développées, incapables de sortir de la crise inaugurée en 2008, engluées dans le chômage

effectivement chiffré ou masqué par le découragement des chercheurs d’emploi, la déflation,

les taux d’intérêt zéro et des taux de croissance anémiques. C’est Larry Summers qui le

remettra au goût du jour en 2013, et depuis il ne quitte plus le devant de la scène, se montrant

jusque dans la presse économique ou généraliste (en France : Les Echos, Le Monde). Bref, la

« stagnation séculaire » est aujourd’hui l’expression que toute personne branchée ne peut

ignorer !

Toutefois, pendant la période de mise au placard de la stagnation séculaire, les débats du Club

de Rome avaient alerté sur des limites naturelles à la croissance, perçues comme

incontournables, insistant donc sur la dimension Homme-Nature de la thématique de la

croissance. Le nom de Dennis Meadows reste associé à cette thématique, avec l’ouvrage

publié en 1972, Les limites de la croissance (Donela et Dennis Meadows, William Behrens et

Jorgen Randers). Véritable ouvrage culte du mouvement écologiste, il insiste sur le caractère

insoutenable de l’exploitation qui est faite des ressources naturelles, s’inscrivant en fait , tout

en la renouvelant, dans la lignée des rendements décroissants des Classiques anglais.

C’est ainsi qu’après trois siècles d’interrogations sur la durabilité du processus de croissance

initié par la Révolution industrielle, deux analyses coexistent, l’une prenant provisoirement le

pas sur l’autre avant de céder la place sous les feux de la rampe médiatique : la confrontation

de l’Homme aux limites d’une planète finie, la confrontation de l’Homme à lui-même dans le

cadre de son organisation sociale. Mais cette dichotomie dans l’approche de la stagnation peut

s’expliciter selon une grille de lecture plus économique : la stagnation du côté de l’offre, de la

production, et la stagnation du côté de la demande, de la consommation.

Henri REGNAULT, LA CRISE N°33, Janvier 2016, «La grande stagnation ».

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2. Principe de précaution et écologistes : la stagnation du côté de l’offre

La stagnation du côté de l’offre concerne tout particulièrement la relation Homme/Nature,

même si des éléments sociaux vont nécessairement y interférer car l’Homme n’est pas en

relation avec la Nature en tant qu’être individuel mais en tant qu’être social, inséré dans des

relations de production et de consommation qui s’inscrivent dans un ordre social

géographiquement situé et historiquement daté : la relation Homme/Nature ne sera

nécessairement pas la même dans une communauté Bororo chère à Lévi-Strauss que dans une

ville des pays développés !

L’analyse économique de la production se fait nécessairement avec des outils et concepts

économiques complexes (la productivité, les rendements, la technologie et l’innovation,

l’investissement, le capital humain…) qui peuvent sembler loin de la Nature, mais, in fine, il

n’y a pas de production sans base naturelle (terre, matières premières, énergie). C’est

totalement vrai pour les activités agricoles et industrielles. Les activités de services sont

moins concernées, mais elles nécessitent néanmoins des intrants matériels et énergétiques : les

réseaux informatiques peuvent sembler largement immatériels, le Wifi ou le Bluetooth

peuvent apparaître comme des summums de désincarnation, et pourtant derrière le simple

fonctionnement de ces techniques se profilent des consommations énergétiques massives,

comme en témoignent les déperditions de chaleur dans les data centers (déperditions qui

commencent à être recyclées dans le chauffage urbain par exemple). La disponibilité des

matières premières et des ressources énergétiques reste donc une condition absolue de la

production, déterminant en cela, au moins en partie, l’évolution croissante, stagnante ou

décroissante du PIB. Les processus de recyclage des matières premières, l’accent mis sur les

ressources renouvelables ou les programmes d’économie d’énergie (indépendamment de la

problématique du réchauffement, on y reviendra), sont donc bienvenus pour reculer les

épuisements de stocks. Mais les projections plus ou moins apocalyptiques qui sont avancées

quant à l’épuisement des ressources naturelles sont plus faites pour effrayer le brave citoyen

non spécialiste de ces thématiques que pour donner des prévisions fiables. Le principal

reproche que l’on puisse faire à ces projections est de raisonner toutes choses égales par

ailleurs, à technologie inchangée, en faisant une hypothèse implicite de nullité du progrès

technique, comme le faisaient les Classiques anglais dans leur incompréhension des

dynamiques agricoles de leur époque (première Révolution agricole, abandon de la jachère et

de la vaine pâture, mise en place d’assolements régénérant les terres), affirmant des

rendements décroissants qui étaient une pure vue de l’esprit. Or on ne peut pas raisonner

toutes choses égales par ailleurs, car tout change et la simple menace d’une pénurie éloigne la

réalisation de cette pénurie en incitant (par les prix notamment) à économiser la ressource

concernée ou à la contourner par la mise au point de nouveaux process ou le recours à de

nouveaux produits : la peur de manquer est un puissant motif pour innover.

Mais encore faut-il laisser se déployer les innovations. Et c’est là qu’intervient

l’obscurantisme latent de tout écologiste bien né, c’est là qu’il va pouvoir pleinement

s’épanouir ! Car après avoir alerté très justement sur le risque d’épuisement de la ressource, il

va vous expliquer, en brandissant le principe de précaution, que toute innovation est

dangereuse. Et ses preuves sont irréfutables : par définition toute innovation est nouvelle. La

Henri REGNAULT, LA CRISE N°33, Janvier 2016, «La grande stagnation ».

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nouveauté, c’est l’inconnu. L’inconnu recèle des dangers que nous ne connaissons pas, des

dangers qui peuvent être mortels. Donc interdire l’innovation c’est un peu interdire la mort ,

pense-t-il ! Et s’il ne demande pas que l’interdiction de la mort soit inscrite dans la

Constitution1, par contre il adore que l’innovation y soit de facto interdite à travers

l’interprétation qu’il fait du fameux principe de précaution. Conclusion : sans innovation,

impossible d’échapper à la pénurie et donc à la stagnation du côté de l’offre. La rédemption

de l’Homme face à la Nature, le rachat de ses péchés contre la Nature passe par la stagnation,

ou mieux encore par la décroissance. Et peu importe que l’Homme vive très mal la stagnation,

dans des troubles sociaux, ou la décroissance, dans la guerre, civile2 ou entre nations : les

survivants n’en seront que plus méritants… et encore plus soumis à la Nature.

Le réchauffement climatique est un magnifique cas d’école pour examiner l’ambivalence

profonde des écologistes : utiles dans le diagnostic du problème, néfastes dans les solutions.

Je ne suis pas climato sceptique, même si c’est toujours bien de disposer de regards critiques

sur les thèses dominantes. Le changement climatique est bel et bien là, et il se traduit par un

réchauffement, inégalement répandu sur la planète, visible notamment à travers la fonte des

glaciers ou de la banquise arctique, et à travers la plus grande fréquence de phénomènes

météorologiques extrêmes. Si j’ai une nuance à apporter à la doxa en vogue, c’est qu’il

importe peu de savoir si le changement climatique est uniquement d’origine humaine ou s’il

s’inscrit aussi dans des causalités plus complexes, liées notamment à l’activité solaire. De

toutes manières il faut endiguer ce réchauffement climatique et pour ce faire nous n’avons pas

d’autre levier d’action que de réduire les émissions de Co2 et donc de décarboner nos sociétés.

De ce point de vue on peut se réjouir du succès de la COP 21, même s’il ne faut pas se faire

trop d’illusions sur la mise en œuvre des engagements de papier : le combat pour limiter le

réchauffement reste devant nous, il sera un souci essentiel des sociétés humaines pour les

décennies à venir.

Mais il ne suffit pas de limiter le réchauffement, il faut aussi s’y adapter, car il est là et

bien là, et le limiter ne veut pas dire le faire disparaître comme par enchantement. Et c’est ici

que l’incohérence écologiste se révèle dans toute sa splendeur, mis à part pour les écolos purs

et durs, fanatiques de la décroissance, qui sont eux très cohérents en refusant toute solution

qui permettrait d’éviter des baisses de niveau de vie de populations qu’ils souhaitent voir

revenir à des modes de vie plus frustres. Mais pour les écolos soft qui ne souhaitent ni la

stagnation ni la décroissance comme objectifs sociétaux, qui revendiquent simplement (pour

autant que ce soit simple !) une croissance différente, il y a un vrai problème de

hiérarchisation des objectifs. On ne peut pas vouloir la lutte contre le réchauffement et

simultanément refuser ce qui permet de le limiter et/ou de s’y adapter. Ou bien c’est qu’on

admet implicitement que la lutte contre le réchauffement n’est pas l’objectif principal et qu’il

1 En 2005, la France a introduit le principe de précaution dans sa Constitution,. Aujourd’hui, le gouvernement

voudrait y introduire la déchéance de nationalité française pour les binationaux auteurs d’actes terroristes. Et

demain, quoi encore ? Il ne faudrait pas que la Constitution française devienne le réceptacle de toutes les

angoisses nationales ! 2 Voir cet excellent papier de Michel Rocard, dans La Tribune du 29/05/2015 : La décroissance nous conduirait

tout droit à la guerre civile.

Henri REGNAULT, LA CRISE N°33, Janvier 2016, «La grande stagnation ».

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y a donc d’autres objectifs, un agenda caché, un côté obscur du discours, non destiné au grand

public. De ce point de vue de la cohérence des objectifs et des moyens, je suis en désaccord

avec les écologistes notamment sur deux dossiers emblématiques : le nucléaire et les

biotechnologies.

Le nucléaire, même civil, est dangereux et à ne pas mettre entre n’importe quelles mains (par

exemple des intérimaires pour l’entretien des centrales !). On n’oublie pas Tchernobyl ni

Fukushima (ni Three Mile Island, mais le problème fut plus circonscrit). Le nucléaire peut

tuer, vite ou à petit feu. Il serait insupportable d’avoir un accident nucléaire chaque année : ce

serait la fin immédiate de la filière énergétique nucléaire. Mais faut-il refuser le risque d’un

accident nucléaire tous les 20 ou 30 ans ? Je ne le pense pas… même si je préférerais ne pas

résider à côté au moment où se produira le prochain accident ! Car en face du risque il y a le

bénéfice d’une énergie sans émission de Co2. D’autant plus qu’il est possible sinon probable

que le nucléaire ne soit qu’une énergie de transition entre les énergies carbonées actuelles et la

pleine maitrise de l’énergie solaire, la seule ressource énergétique disponible sans autre limite

que la maîtrise technologique de sa captation. Le nucléaire - dans sa filière uranium ou une

éventuelle filière thorium - est actuellement indispensable si on veut entreprendre un

processus sérieux de lutte contre le réchauffement, sans attendre la pleine maîtrise du solaire

et sans provoquer l’effondrement économique. Il n’est pas sans risques, mais ce sont des

risques localisés, à proximité des lieux d’exploitation ou des lieux de stockage des déchets (un

autre vrai problème du nucléaire, mais qui devrait être atténué par les centrales de Quatrième

Génération) alors que les risques du réchauffement sont, eux, globaux. Qu’un cercle de 20 km

autour de Fukushima soit inhospitalier à l’homme pendant un siècle est un vrai problème. Que

la terre entière soit définitivement inhospitalière à l’homme suite à un réchauffement

incontrôlé et auto entretenu (fonte des permafrosts et libération de méthane induite) ne serait

pas un problème mais une catastrophe apocalyptique. Il faut donc savoir hiérarchiser les

risques et choisir le moindre risque : c’est ça un principe de précaution bien compris ! De ce

point de vue, la décision allemande d’arrêter le nucléaire et de relancer la filière charbon n’est

pas une erreur… c’est un crime contre l’Humanité, inspiré par les écologistes, certes, mais

entériné par les conservateurs allemands … crime pour lequel le Tribunal Pénal International

est sans doute incompétent !

Les biotechnologies et plus particulièrement les PGM (Plantes Génétiquement Modifiées)

constituent un deuxième front sur lequel l’obscurantisme et l’inconséquence écologistes

peuvent exceller. Et là, pas un écologiste sérieux ne pourra vous citer la moindre victime des

PGM, parce qu’il n’en existe pas alors que des produits issus de « l’agriculture PGM » sont

consommés aux Etats-Unis et dans beaucoup de pays par des dizaines de millions de

personnes depuis une bonne vingtaine d’années. Probablement un adepte écolo des théories

du complot vous dirait qu’il y a des milliers de morts aux Etats-Unis3 et que des enfants

3 Ce qui explique donc les appels d’offres de la FEMA (Federal Emergency Management Agency) pour la

fourniture de sacs mortuaires (plein de références sur des sites dont je ne garanti pas la crédibilité ! Interrogez

votre moteur de recherche « FEMA body bags »). Les sacs mortuaires ont fait les choux gras de la blogosphère

complotiste américaine ces dernières années.

Henri REGNAULT, LA CRISE N°33, Janvier 2016, «La grande stagnation ».

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naissent au Québec4 avec des têtes à épluchette de blé d’Inde… mais que c’est bien caché par

les médias, tous aux ordres de Monsanto : répondez lui en chantant du Brassens ! Dois-je

aussi confesser ce que je cache à mes lecteurs depuis 7 ans et 32 numéros : si cette lettre est

diffusée gratuitement (c’est louche, ça aurait déjà dû attirer votre attention !) c’est parce

qu’elle est grassement financée par l’UIGSTG (Union InterGalactique des Semenciers

TransGéniques, pire que le Spectre dans les James Bond !), ce qui me permet de me déplacer

en jet privé pour rejoindre mon yacht personnel ancré dans un paradis fiscal des Caraïbes, sur

lequel j’écris nonchalamment ce N°33 en sirotant de délicieux cocktails, entouré de créatures

de rêve !

Plus sérieusement (mais il faut bien rire de la connerie humaine quand l’occasion s’en

présente… c’est bon pour la santé !), l’intérêt des PGM est de présenter de nombreux

avantages à la fois dans la lutte contre et en termes d’adaptation au réchauffement climatique.

J’illustre ce propos en reprenant quelques lignes du rapport Asterès (Mai 2015, N. Bouzou et

C. Marques) : Les biotechnologies végétales, élément incontournable du nouveau cycle de

croissance (disponible en ligne ici).

Des travaux récents ont… mis en lumière la contribution que pouvaient apporter les

biotechnologies végétales à la lutte contre les effets du réchauffement climatique, voire contre

le réchauffement lui-même. Nous savons que le dérèglement climatique entraîne notamment

des phénomènes de stress hydrique dans certaines régions, la prolifération potentielle

d’insectes nuisibles et l’apparition de nouvelles bactéries. Les biotechnologies végétales sont

les outils les plus performants pour développer des plantes adaptées à ces effets du

changement climatique et favoriser ainsi la stabilisation de la productivité agricole dans un

contexte chahuté.

Mais les biotechnologies peuvent également permettre de lutter de façon offensive contre le

réchauffement climatique, essentiellement de quatre façons :

— Premièrement en développant des plantes qui, utilisant mieux l’azote disponible,

permettront de réduire l’emploi d’engrais azotés (responsables de 45% des émissions de CO2

du secteur de la production végétale).

— Deuxièmement en facilitant les techniques de conservation des sols et leur capacité à

absorber le CO2.

— Troisièmement en permettant de diminuer les passages de tracteurs et ainsi de réaliser des

économies de carburants.

— Enfin, en favorisant la productivité de l’agriculture, elles permettent de réduire les

changements d’affectation des terres et de limiter la déforestation.

Ainsi on peut accuser les écologistes d’inconséquence en ne mettant pas en accord leurs

positions sur le nucléaire et les PGM avec leur prétention à lutter efficacement contre le

réchauffement : à vouloir courir trois lièvres à la fois… on n’en attrape aucun. Il faut bien

identifier le danger principal (en l’occurrence le réchauffement) et ajuster ses positions sur les

autres dossiers pour les mettre au service de la lutte contre le danger principal. Mais, pour

n’éluder aucune question et aller au bout de ce débat, s’il fallait renoncer à une des deux

4 L’info est certaine, parfaitement vérifiée : on la tient d’un ami dont la blonde a une copine qui elle-même a une

copine dont le chum est pédiatre dans un hôpital du Québec dont on ne peut pas rapporter le nom ici, pour des

raisons déontologiques de protection des sources !

Henri REGNAULT, LA CRISE N°33, Janvier 2016, «La grande stagnation ».

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filières de limitation et d’adaptation au changement climatique que sont le nucléaire et les

PGM, je choisirais de sacrifier le nucléaire (à cause de ses risques avérés) et certainement pas

les PGM. C’est exactement l’inverse qu’a fait le gouvernement français dans sa grande

négociation avec les écologistes (connue sous le nom de Grenelle5 de l’Environnement). Le

Président Sarkozy a tenu, en substance… pas vraiment dans les termes que je lui prête, le

discours suivant aux écologistes : « Faites pas chier avec le nucléaire, et en contrepartie je

vous donne à ronger l’os des OGM, faites-en ce que vous voulez » Et ils se sont précipités

pour enterrer l’os au plus vite ! Dans son récent ouvrage Faire, François Fillon (Premier

Ministre à l’époque), décrit la chose en des termes plus châtiés que les miens, mais sur le fond

il ne dit pas autre chose, confirmant au plus haut niveau de l’Etat ce que les milieux des

biotech savent depuis longtemps :

« J’ai exprimé mes interrogations à Nicolas Sarkozy quand il a arbitré pour l’interdiction

totale des OGM et la fin des expérimentations en plein champ. Je lui ai dit que les OGM

représentaient une vraie espérance pour nourrir une humanité dont la croissance risque de

poser très vite une grave question alimentaire, et que par ailleurs leur nocivité n’avait pas été

démontrée. Il me répondit que leur abandon permettait d’obtenir un deal avec les écologistes

qui, si on leur accordait cela, ne feraient pas d’obstruction sur la question du nucléaire.

Outre que cette concession m’est apparue bien faible, on peut se demander au fond – l’avenir

nous le dira – si les OGM ne seront pas un jour beaucoup plus importants que le nucléaire

qui sera probablement dépassé dans un avenir proche par des technologies plus efficaces. Ce

qui importait à Nicolas Sarkozy, c’était de démontrer sa capacité à rassembler des forces

dont les idées – et les intérêts – divergeaient. Le court terme passait avant le long terme »6.

Et ainsi fut acté un retard majeur, scientifique immédiatement et économique à plus long

terme, de la France, et au-delà de l’Europe. Merci Sarko ! Enfin, ce sont surtout les

semenciers américains et du Reste du Monde qui peuvent le remercier !

Après l’effort de lecture d’une dizaine de pages pas toujours faciles et en attendant une partie

non moins aride, un peu de détente maintenant. Rions un peu avec les écolos (enfin… avec ou

sans eux, ça dépend de leur sens de l’humour !), dans l’encadré qui suit puis dans la typologie

impertinente que j’ai essayé d’en dresser : à les fréquenter, on se rend compte qu’ils sont très

divers, ce qui pourrait les rendre insaisissables : il faut donc mettre un peu d’ordre dans tout

ça, bien identifier les plus dangereux, et même se rendre compte qu’ils ne sont pas tous

antipathiques ; certains seraient même attendrissants, de vraies victimes des parasites du

marketing. Parasites, vous avez dit parasites : vite, sortons nos bombes pesticides ! Pesticides

bio, bien sûr.

5 De même que tout plan d’aide à n’importe quoi s’appelle bêtement Plan Marshall pour ceci ou pour cela, en

France toute grande négociation impliquant l’Etat et de grands partenaires institutionnels, s’appelle Grenelle de

ceci ou de cela, en référence à la grande négociation sociale de 1968 qui avait eu lieu dans les locaux du

Ministère du Travail, rue de Grenelle à Paris. Le Grenelle de l’Environnement s’est tenu à l’automne 2007. 6 François Fillon, Faire, Albin Michel 2015, p. 137 .

Henri REGNAULT, LA CRISE N°33, Janvier 2016, «La grande stagnation ».

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De l’écologie aux écologistes…

ou de la science à l’obscurantisme

La chimie ou la biologie sont des sciences : les chimistes ou les biologistes pratiquent et font

progresser ces sciences. L’écologie aussi est une science, qui traite des relations entre les

espèces et leur environnement, mais ce sont les écologues qui pratiquent cette science,

certainement pas les écologistes ! Car les écologistes sont à la science ce que l’alchimie est à

la chimie : beaucoup d’idéologie et de croyance et bien peu de connaissances, et notamment

la croyance que la chimie ou la biologie (et surtout les biotechnologies) sont des sciences

sataniques qu’il importe d’éradiquer ! Il faut rappeler néanmoins que sans la chimie une

bonne proportion des écolos de plus de soixante ans seraient déjà morts, faute de

médicaments pour soigner leurs maladies chroniques (sans parler des épisodes infectieux

qu’ils ont connu plus jeunes). Faut-il rappeler aussi qu’aucun mort n’est imputable aux OGM

alors qu’il a été établi aux Etats-Unis que sur un échantillon de 250 décès dus à une souche

pathogène d’Escherichia coli « un tiers de ces décès étaient dus à la consommation de

produits issus de l’agriculture biologique alors qu’ils ne représentaient que 1% des aliments

consommés aux États-Unis » (Source : blog sciences de Libération, article à lire

impérativement).

Toutefois, les écologistes ne forment pas une catégorie homogène : entre l’écolo bobo des

villes et le zadiste violent de Sivens ou de Notre Dame des Landes il n’y a rien de commun.

D’où l’idée qui m’est venue d’une typologie impertinente des écologistes, mi sérieuse, mi

humoristique. Typologie en page suivante, en quatre catégories : djizadiste7, opportuniste,

piétiste et « green victim ». Je vais encore me faire des tas de copains chez les écolos ! Tant

pis, ce n’est pas trop grave… car les écolos n’ont pas le monopole des vers de terre, ces

bienfaiteurs de nos jardins ! Moi-même j’ai plein de lombrics bien dodus dans mon tas de

compost, dans mes plates bandes et mon potager: j’en aurais bien mis une photo ici, mais je

ne voudrais pas traumatiser ces pauvres petites bêtes avec l’éclair d’un flash, et encore

moins les exposer en plein soleil pour une séance photo!

7 Djizadiste : Néologisme associant les mots « djihadistes » et « zadistes », ces derniers étant des écologistes

violents se consacrant à la préservation de prétendues ZAD (Zone à Défendre) face à des projets

d’infrastructures (barrage, aéroport…). Je pensais être l’inventeur de ce néologisme ; hélas, les moteurs de

recherche sont impitoyables : je ne peux revendiquer aucun droit d’antériorité ! Précisons que ce terme de

« djizadiste », comme les dénominations des autres catégories de la typologie, relève de la caricature (hommage

à Charlie et à mon collègue Bernard Maris !) et pas de l’assimilation des zadistes avec les djihadistes. D’ailleurs,

ces derniers ne relèvent pas de l’obscurantisme mais du pur fanatisme haineux et sanguinaire. Quelle que soit

l’antipathie que m’inspirent des zadistes qui bafouent l’autorité de l’Etat garante de notre démocratie, cette

précision devrait éviter tout malentendu. Et précisons aussi que les écolos n’ont pas non plus le monopole de

l’obscurantisme ! Ils sont en bonne compagnie avec les créationnistes, certains climato-sceptiques inféodés aux

lobbys pétroliers, et de nombreuses autres sectes plus sensibles aux intérêts matériels ou idéologiques de leur

boutique que perméables aux Lumières. Vive Diderot et Voltaire !

Henri REGNAULT, LA CRISE N°33, Janvier 2016, «La grande stagnation ».

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Les écologistes : une typologie impertinente.

Type

Niveau de dangerosité

Où peut-on en voir ?

Ce dont ils rêvent

Ce dont ils devraient se

méfier

Djizadiste

Maximale : ce sont de purs délinquants, d’une violence extrême. Mais que font la police et la justice ?

Dans les champs de maïs OGM, sur les toits des centrales nucléaires, sur les chantiers aéroportuaires…

1. La faillite de Monsanto 2. La faillite d’Areva 3. La fin du transport aérien.

De leur obscurantisme maladif qui les coupe du monde réel, les conduisant à des schizophrénies complotistes.

Opportuniste

Moyenne, car il leur faut gommer les dimensions obscurantistes les plus voyantes, pas rentables électoralement.

Sous les préaux des écoles pendant les campagnes électorales.

Un siège de député ou sénateur puis un poste de ministre (Environnement de préférence, mais tout autre poste fera l’affaire).

D’être démasqués comme de purs carriéristes, qui ont choisi un camp supposé porteur d’avenir (à tort peut-être) comme d’autres ont pu choisir un PS ou un parti libéral

Piétiste

Faible, tant qu’ils ne se radicalisent pas. Doivent cependant être fichés B (Bio), car on a vu des piétistes la semaine se transformer en djizadistes du week end.

Dans leurs jardins bio, contemplant leurs vers de terre, révélateurs de la bonne santé de la terre.

Gagner le concours local de la plus belle courgette bio.

Des surdoses de cuivre (bouillie bordelaise) qui tuent leurs vers de terre adorés : leur phobie des produits de synthèse peut conduire à des aberrations agronomiques.

Green victim

Nulle : ils sont plus à plaindre qu’à craindre !

Dans les rayons bio des grandes surfaces, victimes du marketing bio, à la recherche de produits garantis sans OGM.

Un paquet de quinoa bolivien bio, certifié commerce équitable, orné d’une photo d’Evo Morales.

Des mycotoxines dans leurs aliments bio. Un conseil : si vous êtes addict au bio, n’en acheter qu’en circuit très court et d’extrême proximité, pour consommation immédiate. Bonne chance !

Source : Henri REGNAULT, LA CRISE N°33, Janvier 2016, « La grande stagnation »

Henri REGNAULT, LA CRISE N°33, Janvier 2016, «La grande stagnation ».

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3. Inégalités et ploutocratie : la stagnation du côté de la demande

Laissons de côté maintenant la relation Homme-Nature et passons à la relation Homme-

Homme tout aussi importante, sinon plus, dans les perspectives de stagnation. Mais, pour

commencer sur ce thème, je ne résiste pas au plaisir de remettre sous vos yeux le dessin de

première page, tant il illustre génialement la thématique qui nous occupe ici.

Source : Left Wing UK

Traduction de la légende « Economie du ruissellement :

comment on vous a dit que ça fonctionnait… et ce qui se passe en réalité »

Mémorisez bien ce dessin, je le commenterai un peu plus loin.

L’idée qu’une stagnation pourrait provenir du côté de la demande n’est pas non plus récente,

même si elle ne remonte pas aussi loin que celle d’une stagnation par l’offre. Cette idée

apparaîtrait farfelue à la quasi-totalité des Classiques anglais (à l’exception notable de

Malthus) pour qui l’offre crée automatiquement sa propre demande. Et il n’y a pas à se

préoccuper d’égalité ou d’inégalité dans la répartition de la production, cette répartition

n’affectera en rien l’égalisation de l’offre et de la demande. La production se répartit

harmonieusement entre investissement et consommation. Tout ce qui n’est pas investi est

consommé. Il n’y a pas de désajustement possible.

Le doute va commencer à germer dans l’esprit de Malthus qui va introduire l’idée qu’une

demande préalable est nécessaire à toute nouvelle production et donc à tout nouvel

investissement. Mais c’est Marx, au milieu du XIXe siècle, qui va être le grand théoricien du

désajustement possible entre épargne et investissement, ouvrant la porte à la compréhension

des surproductions et donc des crises économiques. Les Keynésiens, à partir des années 1930,

vont approfondir la thématique, notamment à travers la notion de propension à consommer,

décroissante avec le revenu : plus votre revenu est faible, plus on est certain que vous allez

tout consommer. Plus il est élevé et plus vous allez avoir tendance à épargner une fraction

Henri REGNAULT, LA CRISE N°33, Janvier 2016, «La grande stagnation ».

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croissante de ce revenu. Cette épargne ne trouvera à s’investir que pour autant que la

production que cet investissement générera pourra être écoulée, c'est-à-dire pour autant qu’en

face de la production il y aura une demande. Si vous raisonnez sur un seul pays, vous pouvez

toujours espérer qu’en face d’une production supplémentaire il y aura une demande à

l’étranger (donc des exportations possibles), et que par conséquent il n’est pas nécessaire se

stimuler la demande interne par une répartition des revenus plus favorable aux couches

sociales à forte propension à consommer. Mais si vous raisonnez à une échelle plus globale,

vous êtes confronté sans échappatoire à cette nécessité d’ajuster l’offre à la demande, et si la

demande globale ne croit pas, la production ne peut que stagner.

La problématique de la stagnation par la demande suppose donc de se pencher sur le thème de

la répartition des revenus et des inégalités, ce qui explique notamment le succès des thèses de

l’économiste français aujourd’hui le plus célèbre dans le monde, Thomas Piketty.

Le thème des inégalités est un sujet très prégnant en économie. Les Classiques hier, et les

libéraux purs et durs aujourd’hui, vous expliquent qu’il ne faut pas intervenir dans la

répartition des revenus, qu’il faut laisser jouer les lois naturelles de l’économie et que toute

tentative pour les contourner ne peut déboucher que sur des catastrophes. David Hume (un

contemporain et ami d’Adam Smith) écrit ainsi : « Qu’on mette dans les possessions le plus

d’égalité que l’on pourra, les différents degrés entre les arts, les sciences et l’industrie ne

tarderont pas à les détruire ; si vous arrêtez ces vertus (voir note) dans leurs opérations, vous

réduisez bientôt la société à la dernière indigence et pour empêcher un petit nombre

d’hommes de sombrer dans la misère, vous y plongerez la société entière »8. Les libéraux

vous expliqueront que l’inégalité dans la répartition des revenus, outre son effet incitatif sur le

travail et l’épargne, ne peut pas avoir de conséquences négatives sur la demande… grâce aux

effets de ruissellement.

Les effets de ruissellement relèvent du génial dessin de la page précédente. Que voyez-vous

sur ce dessin ? Une pyramide de verres et une bouteille au contenu rouge, supposé représenter

le revenu national. La bouteille se déverse dans le verre du haut de la pyramide, suggérant que

les revenus vont d’abord aux plus riches. Mais, dans la partie supérieure du dessin, une fois le

verre du haut plein, le liquide déborde et ruisselle dans les verres d’en dessous, puis d’en

dessous encore, illustrant la manière dont les revenus des couches les plus riches se déversent

sur les couches inférieures de la pyramide sociale, alimentant donc la consommation des

couches moyennes, puis populaires, par les demandes de biens et services adressées à ces

catégories sociales qui, elles mêmes, seront demandeuses de biens et services, sur la base des

revenus ainsi engrangés.

Mais, la partie inférieure du dessin illustre la tendance à une concentration de plus en plus

forte de la richesse sociale en haut de la pyramide, avec aucun effet de ruissellement mais au

contraire une thésaurisation au sommet d’une richesse qui ne trouve pas à s’investir dans

l’économie réelle faute de demande (faute de revenus des couches inférieures), thésaurisation

illustrée par la taille du verre qui ne fait qu’augmenter. La richesse sociale se stocke en haut

8 Cité par Henri DENIS, Histoire de la pensée économique, PUF, 4e édition 1974, p. 155. Note explicative de

l’auteur : dans la citation comprendre le mot « vertus » comme se référant aux « qualités actives des individus ».

Henri REGNAULT, LA CRISE N°33, Janvier 2016, «La grande stagnation ».

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de la pyramide et le dynamisme de la demande globale s’étiole, d’où la stagnation du côté de

la demande. On ajoutera que faute de pouvoir s’investir dans l’économie réelle, cette richesse

du haut de la pyramide va aller alimenter l’économie spéculative du Casino de la Finance.

Bien sûr, ce dessin est une caricature qui force le trait. La machine à faire circuler la richesse

sociale n’est pas totalement en panne, mais elle est grippée, comme en témoignent les

recherches empiriques – comme celles conduites par Piketty - qui peuvent être faites sur la

répartition des revenus et le développement des inégalités, notamment aux Etats-Unis depuis

la période Reagan. Les évolutions des indicateurs d’inégalités des revenus (coefficients de

Gini) sont sans appel : ces inégalités augmentent dans la plupart des pays, comme le

confirment les études de l’OCDE.

Source : capture d’écran sur « FOCUS – Inégalités et croissance © OCDE décembre 2014 »

Ce graphique de l’OCDE témoigne que dans la plupart des pays membres de l’OCDE, les

inégalités de revenu se sont accrues au cours de 30 dernières années, en fait depuis la fin des

Trente Glorieuses. Dans le même sens, au moment où je boucle cette Lettre, l’ONG Oxfam

publie ce 18 janvier 2016 son étude sur les inégalités dans le monde. Même si la

méthodologie peut être discutée, peu importe ici, le résultat phare est très parlant : le

patrimoine des 1% les plus riches de la population mondiale dépasse celui des autres 99%, et

62 personnes possèdent à elles seules plus que les 3,5 milliards les plus pauvres (Le Monde,

18/01/2016), illustrant bien que la ploutocratie n’est pas un fantasme d’intellectuel gauchiste

mais une réalité bien vivante !

Les causes de cet accroissement des inégalités sont multiples et ne peuvent être analysées

dans ce numéro déjà très chargé, mais elles pourraient bien alimenter un prochain numéro de

cette Lettre. Quant aux effets de ces inégalités, les études conduites montrent qu’ils sont

complexes, jouant sur les perspectives de demande (qui nous occupent ici), mais aussi sur les

perspectives d’offre à travers l’impact sur la productivité de l’affaiblissement du capital

humain résultant de la renonciation à la formation générale et/ou professionnelle faute de

revenus suffisants pour financer de telles périodes de formation.

Henri REGNAULT, LA CRISE N°33, Janvier 2016, «La grande stagnation ».

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Les effets de l’accroissement des inégalités sur la demande ont pu être masqués, pendant les

décennies 80 et 90, par l’accroissement de l’endettement des ménages qui ont essayé de

maintenir les standards de consommation précédents de leur catégorie sociale en vivant à

crédit. De même les Etats ont tenté de compenser la faiblesse des revenus directs de

catégories populaires et moyennes par des transferts sociaux. Ces transferts ont été financés

par un endettement croissant des Etats auprès des catégories sociales supérieures, disposant

d’une épargne gonflée par la distorsion dans la distribution des revenus disponibles après

impôts : diminution des taux d’imposition des tranches supérieures de revenu, évasion fiscale

des firmes profitant de la concurrence fiscale entre Etats pour enrichir leurs actionnaires en

termes de revenus et de patrimoines, réels ou illusoires, fruits de l’accumulation de valeurs

gonflées par les bulles spéculatives.

Aujourd’hui, le système semble au bout du bout. Les Ménages comme les Etats cherchent à se

désendetter : pas vraiment facile. La demande est en panne. Comment la relancer ? Certains

Néo-keynésiens, en perte de repères pour une telle relance, au lieu de remettre en cause les

normes de répartition des revenus, veulent débusquer l’épargne de précaution des ménages

(une épargne de consommation différée le plus souvent) en leur infligeant des taux nominaux

négatifs, une insulte au calcul économique rationnel. Ils souhaitent même interdire la monnaie

papier… au cas où ces salopards de pauvres (les classes moyennes !) auraient la mauvaise

idée de stocker leurs quelques économies sous forme d’espèces plutôt que d’avoir le choix

entre :

- subir des intérêts négatifs sur leurs liquidités,

- ou aller racheter les actifs financiers des ploutocrates qui souhaiteraient se retirer de marchés

surévalués, voués au grand plongeon, dès que les injonctions massives de monnaie Banque

centrale cesseront (les fameux Quantitative Easing, les Q.E., cf. N°32).

Au secours John Maynard ! Tes héritiers sont devenus fous ! Ils ne comprennent pas que la

politique monétaire est arrivée au bout de ses possibilités avec des taux nominaux nuls. Au

lieu de s’attaquer à l’hyper concentration de la richesse sociale ils plongent dans le délire de la

prohibition du cash et des taux négatifs. Au lieu de combattre les paradis fiscaux qui abritent

les profits des firmes apatrides refusant l’impôt, ils culpabilisent les peuples victimes des

ploutocraties. L’Histoire de la Pensée Economique aura à se demander comment le

keynésianisme, qui a inspiré le New Deal et la Sécurité Sociale (et toutes sortes de transferts

sociaux garants d’une limitation des inégalités) a pu dégénérer en une gestion de facto des

intérêts ploutocratiques, à travers les politiques de taux zéro et les Q.E. Décidemment, tout

fout le camp ! Mais rassurez-vous, ou inquiétez-vous, ce vers quoi nous allons n’est peut-être

ni la stagnation par l’offre, ni la stagnation par la demande, mais bien plutôt le chaos ! Et pas

un chaos salvateur et plein d’avenir, comme celui qu’imaginait Marx, mais un chaos

destructeur, sans perspective immédiate. Après, il faudra reconstruire, en tirant les leçons du

passé, donc sans spéculation et avec des normes d’inégalité encadrées (un retour à Platon! Cf.

Lois) tout en valorisant socialement l’innovation et les innovateurs, sous l’égide de l’idéologie

des Lumières. Platon et les Lumières : vaste programme de contournement de la stagnation,

du côté de la demande (Platon) et du côté de l’offre (Les Lumières) !

Henri REGNAULT, LA CRISE N°33, Janvier 2016, «La grande stagnation ».

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4. Et mes sous dans tout ça : Opération Jivaro… c’est parti !

Avertissement :

Inutile de m’écrire pour me demander des conseils de placements, je ne répondrai pas ! Ce

n'est pas mon job, je ne suis pas conseiller patrimonial. De plus, le conseil patrimonial

suppose de bien connaître la situation de la personne à qui on prodigue un conseil ou une

recommandation. Ceux qui ont la solution miracle pour tout le monde, sans tenir compte de

l'âge, de la situation professionnelle, des contraintes et des projets de chacun... sont

forcément des charlatans ou trop intéressés à vendre un produit précis... qui leur rapporte

une commission! La rubrique "Et mes sous dans tout ça" vise plus à interpeler et à faire

réfléchir qu'à conseiller. Ensuite, à chacun de prendre ses responsabilités.

En septembre 2013, dans le N°24 de cette Lettre (Opération Jivaro), j’avais alerté mes

lecteurs sur le projet européen de mise en place d’un mécanisme de résolution des crises

bancaires qui ne fasse plus appel aux Etats (et donc aux contribuables) mais aux apporteurs

de capitaux à la banque en difficulté : les actionnaires, les détenteurs d’obligations, et en

dernier recours les déposants considérés comme des créanciers de la banque. Cette solution

avait été, en toute urgence, appliquée pour la résolution de la crise bancaire à Chypre où les

dépôts bancaires dans les deux banques en faillite avaient fini par subir une décote de 50% (de

mémoire) sur la tranche supérieure à 100.000 €. Depuis ce 1er janvier 2016, ce mode de

résolution des défauts bancaire est opérationnel (et obligatoire) dans tous les pays de l’Union

Européenne, dans le cadre de l’Union Bancaire9.

Sur le fond, cette manière de faire payer les déposants, sur la base de la fiction qu’ils seraient

des apporteurs de capitaux, est proprement scandaleuse : elle consiste à faire payer aux classes

moyennes et aisées et aux entreprises de l’économie réelle non impliquées dans la spéculation

les frasques spéculatives du Casino de la Finance auxquelles s’adonnent les drogués aux

produits dérivés du monde bancaire et financier. Mais, en dépit de ce scandale, le

rétrécissement programmé éventuel de vos comptes bancaires doit être considéré sous le

9 L’Union Bancaire (que je préfère appeler l’Union des Turpitudes Bancaires) est un processus triplement

Unique : les trois U sont ceux du MSU, du MRU et du FRU.

- le MSU, Mécanisme de Surveillance Unique est en fonctionnement depuis 2013 : il confie à un seul organisme

la surveillance des 130 plus grosses banques de l’Union Européenne. - le MRU, Mécanisme de Résolution Unique, qui nous occupe ici, est mis en œuvre de façon obligatoire depuis

le 1er janvier 2016. Il vise à ce que tous les pays, afin d’éviter toute distorsion de concurrence, adoptent les

mêmes procédures de résolution des faillites bancaires.

- le FRU, Fonds de Résolution Unique, est loin d’être abouti. Pour le moment n’existent que des fonds nationaux

(trop petits pour pouvoir traiter une grosse faillite), qui devraient à terme se fédérer. Sauf que certains pays,

Allemagne en tête, ne sont pas chauds pour payer pour les turpitudes bancaires des autres pays. Tant que le FRU

ne sera pas abouti, l’Union Bancaire restera une douce illusion pour Européistes borgnes !

Henri REGNAULT, LA CRISE N°33, Janvier 2016, «La grande stagnation ».

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même angle que le réchauffement climatique ! Il faut à la fois le combattre (pour qu’il ne

prenne pas trop d’ampleur) et simultanément s’y adapter.

Combattre le phénomène, c’est dénoncer sans relâche le système de la Banque universelle et

réclamer au minimum une séparation effective entre banques de dépôts et de crédits, d’une

part, et banque d’investissement, d’autre part, (donc militer pour le retour au système Glass

Stegall), ou mieux encore l’interdiction des paris financiers sur les fluctuations de prix (cf.

Paul Jorion) et donc s’attaquer au cœur même de la spéculation. Mais ne nous faisons pas

d’illusion : tant qu’il n’y aura pas eu un effondrement total du système financier mondial

(avec des dégâts collatéraux énormes qui font qu’on ne peut pas vraiment le souhaiter) les

dirigeants politiques n’oseront jamais s’attaquer aux lobbys financiers dont ils ont trop peur

et/ou qui financent leurs campagnes électorales. Il suffit de voir la façon dont le projet Barnier

de régulation bancaire européenne a été vidé de toute substance pour comprendre qui sont

actuellement les véritables Maîtres du Monde ! En attendant, on peut toujours rêver, qu’on

enlève enfin aux banquiers privés le privilège d’émission monétaire pour le réserver aux

seules Banques centrales : je me réjouis qu’après l’Islande, la Suisse se penche sur cette idée

et qu’un référendum d’initiative populaire y soit en gestation (voir La Tribune du

30/12/2015).

S’adapter au phénomène c’est d’abord le connaître en détail et ensuite tirer de cette

connaissance quelques règles de conduite simples et de bon sens, à la portée de tous, sans

formation particulière en gestion patrimoniale. Connaître le phénomène : je ne peux pas

décrire ici en détail les systèmes de garantie bancaire en vigueur dans tous les pays des

lecteurs répertoriés de cette lettre (France, Canada plus une bonne douzaine d’autres pays). A

chacun de faire son enquête. Pour mes lecteurs détenant leurs avoirs dans une banque installée

en France, reportez vous au site internet du Fonds de Garantie des Dépôts et de Résolution.

Pour certains points spécifiques à approfondir, vous reporter à l’Arrêté du 16 novembre 2015

« relatif à la mise en œuvre de la garantie des dépôts, au plafond d’indemnisation et aux

modalités d’application de l’article L. 312-4-1 du code monétaire et financier ».

Vous découvrirez dans ces textes la réalité du système qui est mis en place, ce qui vous

permettra d’avoir quelques bonnes… et mauvaises surprises. Exemple de bonne surprise : le

montant garanti standard (tous soldes créditeurs confondus dans un même établissement

bancaire) est de 100.000 € (doublé pour compte joint), mais ce montant est porté à 500.000 €

pour des dépôts exceptionnels et temporaires résultant d’évènements divers (vente

immobilière, succession, indemnités diverses, se reporter à l’article 9 de l’arrêté référencé ci-

dessus). Mais, après la bonne surprise voici la mauvaise : cette augmentation de plafond ne

dure que trois mois après le crédit exceptionnel de votre compte. Vous avez donc intérêt à

vous bouger vite fait pour faire disparaitre ce dépassement de plafond ! Sachez aussi que ce

plafond de 100.000 € est spécifique aux dépôts, et ne concerne pas les titres financiers ou

l’assurance-vie qui font l’objet d’autres mécanismes de couverture (voir sur le site du Fonds

de Garantie). Soyez conscient enfin que si ce plafond peut sembler relativement généreux

pour des particuliers (dont très peu disposent durablement de plus 100.000 € de liquidités), il

est très faible pour une entreprise, fût-elle de petite taille : donc sachez que si, très

Henri REGNAULT, LA CRISE N°33, Janvier 2016, «La grande stagnation ».

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probablement pour l’énorme majorité d’entre vous, vous ne serez pas touché sur vos dépôts,

vous pourriez l’être sur votre prochain salaire, actuellement en trésorerie sur le compte de

votre employeur !

A partir de la connaissance de ce régime de garantie vous devez être conscient de quelques

vérités élémentaires :

1. Le problème n’est pas de savoir si ce mécanisme de résolution sera mis en œuvre mais de

savoir où (dans quel pays) et quand : je doute fort que l’année 2016 puisse s’achever sans que

ce mécanisme de résolution soit mis en œuvre. Le battement d’aile d’une banque chinoise (et

actuellement, elles battent tellement de l’aile que la tempête pourrait souffler très fort), par un

jeu de dominos et via de nombreuses institutions bancaires et financières impliquées dans des

produits toxiques, peut déstabiliser une banque européenne. Et si ce n’est pas la Chine, ce

peut être le Brésil, ou bien le marché automobile américain avec ses crédits subprimes, ou

bien l’immobilier britannique. La fin de l’année 2015 a été riche en faillites bancaires au

Portugal et en Italie : si les autorités ont pu venir au secours des déposants (pas des porteurs

d’obligations, fussent-ils des gens modestes trompés par leurs chargés de clientèle), ça

n’aurait plus été le cas quelques semaines plus tard avec la mise en œuvre du MRU.

2. Ne pensez pas que « ça n’arrive qu’aux autres » ! N’imaginez pas que votre banque est hors

de tout soupçon parce que votre chargé(e) de clientèle est sympathique : en fait, il (elle) est

votre anesthésiant bancaire, chargé(e) de susurrer des propos apaisants si vous avez des soldes

fortement créditeurs (bien sûr, la nature et le ton des propos changent si vous êtes dans le

rouge !) La veille de la faillite de votre banque vous ne saurez rien et le jour où elle sera dans

la tourmente, il sera trop tard, vous ne pourrez que subir, comptes bloqués en attente de la

mise en place du processus de résolution. Relisez les conseils de Tante Europythie sur ce

thème des troubles bancaires, dans le N° 31.

3. Ne pensez pas non plus que votre banque en ligne (donc sans que vous soyez en contact

direct avec un anesthésiste bancaire) échappe à cette problématique mortifère. En fait, ces

banques en ligne sont en général des filiales de groupes bancaires classiques, susceptibles de

plonger en même temps que la maison mère (Pour mémoire, en France : Boursorama =

Société Générale ; Hello Banque = BNP Paribas ; Fortuneo = Crédit Mutuel Arkéa… les

Bretons ; Monabanq = Crédit Mutuel CIC… hors Bretagne).

4/ N’imaginez pas que ce que vous devez à votre banque (encours de vos emprunts) vient en

déduction de vos dépôts. Seuls sont pris en compte les soldes créditeurs de vos comptes. Et si

par malheur votre banque devait faire faillite, vous devriez toujours à l’organisme chargé de la

liquidation de l’établissement les montants à rembourser sur vos emprunts. La faillite de la

banque annule ce qu’elle vous doit, pas ce que vous lui devez : l’asymétrie relationnelle est

totale. Si vous avez simultanément des liquidités et encore des emprunts, réfléchissez à un

remboursement anticipé.

5/ N’ayez pas une foi absolue dans le montant du plafond de garantie. Les promesses

n’engagent que ceux qui veulent bien y croire. En l’absence de mécanisme de solidarité

européenne (3ème

volet de l’Union Bancaire, pas opérationnel et bloqué par l’Allemagne, cf.

Henri REGNAULT, LA CRISE N°33, Janvier 2016, «La grande stagnation ».

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La Tribune 11/09/2015) les fonds de garantie nationaux ne seraient pas à la hauteur d’une

faillite d’un établissement important. Conclusion : n’hésitez pas à répartir le risque entre

plusieurs établissements bancaires. C’est en particulier indispensable pour ceux d’entre vous

qui vendraient un bien immobilier ou bénéficieraient d’un apport de fonds important et ne

seraient pas en état de le replacer dans les trois mois en dehors de la sphère monétaire (donc

ailleurs que sur des comptes d’épargne).

6/ Ne soyez pas obnubilé par le taux de rémunération d’un placement monétaire que vous

envisageriez : pensez sécurité avant de penser rendement, d’autant plus qu’il s’agit de

comparer des rendements quasi nuls à des rendements de misère. Par exemple, en France

actuellement un dépôt sur un Livret A ou sur un LDD (Livret Développement Durable) vous

rapportera 0,75%, tandis que le PEL (Plan d’Epargne Logement) vous rapportera 1,5% (PEL

souscrit à partir du 1er février 2016, 2% avant). Mais, les livrets A et LDD sont directement

garantis par l’Etat et ne concourent pas au plafond de garantie (les 100.000 € promis !). Donc,

si vous avez des liquidités abondantes, remplissez d’abord votre livret A et votre LDD avant

de gonfler votre PEL. A moins que vous pensiez que l’Etat fera faillite avant votre banque !

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Pour conclure, en cette fin janvier, il ne me reste plus qu’à vous souhaiter une bonne année

2016. Bonne santé grâce aux médicaments que nous fournit la chimie (évitez quand même le

Mediator… et les essais cliniques sur patients sains !) et aux traitements de plus en plus

prometteurs des thérapies géniques (vive l’ingénierie génétique en médecine… comme en

agriculture pour adapter les variétés végétales au réchauffement climatique!). Pour votre santé

et votre portefeuille, surveillez vos aliments, n’abusez pas des mycotoxines vendues très cher

dans les rayons bio et consommez sans souci les produits de l’agriculture conventionnelle

raisonnée, de proximité autant que possible. Il faut savoir aussi penser aux autres, même s’ils

ne vous sont pas spontanément sympathiques : je souhaite donc une bonne santé financière à

votre banquier… ça vous évitera les affres de la spoliation de vos dépôts bancaires ! Et pour

finir, j’ose émettre le vœu insensé que soit trouvé en 2016 un dispositif qui protège à la fois de

l’obscurantisme et de la ploutocratie : d’après l’éminent Professeur Abronsius, l’ail protège

déjà des vampires (allégorie évidente de la ploutocratie qui suce les fruits du travail du

peuple !) ; il faudrait donc voir si par des mutations génétiques bien ciblées on ne pourrait pas

élargir le champ d’action de l’ail… de façon à tétaniser d’effroi les obscurantistes hostiles a

priori et par principe à toute nouvelle technologie au nom du sacro-saint principe de

précaution et/ou de la lutte contre les méchants capitalistes qui vont faire du profit avec cette

innovation ! En attendant, vous pouvez déjà consommer de l’ail sans modération… sauf si

vous envisagez un french kiss imminent. L’ail est excellent contre l’hypertension… à laquelle

la période ne se prête que trop bien ! Keep cool et portez-vous bien.

Henri REGNAULT, le 18 janvier 2016

[email protected]