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Heidegger, l’attente de la parousie et l’être pour la mort Cristian CIOCAN (Université de Bucarest) Abstract: At the beginning of his philosophical career (between 1918 and 1921), the young Heidegger analyzed various texts belonging to the field of the religious tradition: the Pauline Epistles, Augustinian writings and texts of the medieval mystics. rough these analyses, Heidegger formalized certain phenomena that we can find, a few years later, in Being and Time, illustrating the “warm” line of the existential analytic, the pathetic level of the ontology of Dasein: anxiety, death, consciousness, and guilt. My paper focuses on this process of ontologi- zation of phenomena belonging to religious life, namely on the await- ing of Parousia which is used to elaborate the futural structure of being towards death. I finally argue that the keyword for the understanding of the phenomenological transfer from the religious life to the ontology of Dasein is the methodological idea of “formal indication”, whose mean- ing and role must be clarified. Keywords: phenomenology of religious life, Parousia, being towards death, formal indication. C’est un fait connu qu’au début de sa carrière philosophique, le jeune Heidegger, encore sous le patronage éminent de Husserl, a analysé phé- noménologiquement plusieurs sources de nature religieuse: des épitres néotestamentaires, des textes de la mystique médiévale, des écrits augus- tiniens et luthériens 1 . Husserl croyait même que le but de son disciple 1 Nous citons les ouvrages de Heidegger dans l’édition des Œuvres Complètes ( Gesamtausgabe), publiée depuis 1975 chez Vittorio Klostermann (Frankfurt am Main), Delivered by http://zetabooks.metapress.com Universite Laval (989-90-309) Thursday, June 12, 2014 10:21:51 AM

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Page 1: Heidegger, l’attente de la parousie et l’être pour la mort

Heidegger, l’attente de la parousie et l’être pour la mort

Cristian CIOCAN(Université de Bucarest)

Abstract: At the beginning of his philosophical career (between 1918 and 1921), the young Heidegger analyzed various texts belonging to the field of the religious tradition: the Pauline Epistles, Augustinian writings and texts of the medieval mystics. Through these analyses, Heidegger formalized certain phenomena that we can find, a few years later, in Being and Time, illustrating the “warm” line of the existential analytic, the pathetic level of the ontology of Dasein: anxiety, death, consciousness, and guilt. My paper focuses on this process of ontologi-zation of phenomena belonging to religious life, namely on the await-ing of Parousia which is used to elaborate the futural structure of being towards death. I finally argue that the keyword for the understanding of the phenomenological transfer from the religious life to the ontology of Dasein is the methodological idea of “formal indication”, whose mean-ing and role must be clarified. Keywords: phenomenology of religious life, Parousia, being towards death, formal indication.

C’est un fait connu qu’au début de sa carrière philosophique, le jeune Heidegger, encore sous le patronage éminent de Husserl, a analysé phé-noménologiquement plusieurs sources de nature religieuse: des épitres néotestamentaires, des textes de la mystique médiévale, des écrits augus-tiniens et luthériens1. Husserl croyait même que le but de son disciple

1 Nous citons les ouvrages de Heidegger dans l’édition des Œuvres Complètes (Gesamtausgabe), publiée depuis 1975 chez Vittorio Klostermann (Frankfurt am Main),

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consistait dans un projet phénoménologique sur l’expérience ou la vie religieuse, projet subordonné à la perspective générale de la phénoméno-logie husserlienne. Car, si le maître (Husserl) a tracé la carte générale de la phénoménologie (ses méthodes, ses principes et ses couches constitutives de sens), la tâche incombait à son disciple favori (Heidegger) de clarifier une région déterminée de cette carte, notamment la vie religieuse. Il est aussi connu que Heidegger n’a pas assumé comme sienne cette tâche ; et nous savons qu’il s’est lancé dans un projet phénoménologique propre, original et novateur. Il s’agissait, comme nous le savons très bien, d’une refondation ontologique, existentiale et herméneutique de la phénomé-nologie, ce qui nous parviendra finalement sous la forme de l’analytique existentiale du Dasein.

Dans ce contexte, nous pouvons nous demander : quels sont les rai-sons pour lesquelles Heidegger a fait appel dans son parcours aux écrits de nature religieuse ? Pourquoi donc la phénoménologie de la vie religieuse a-t-elle croisé le cheminement de la pensée heideggérienne ? La réponse se trouve dans le fait que Heidegger, au début des années vingt, était en

utilisant les sigles suivants » : GA 9 — Wegmarken, herausgegeben von Friedrich-Wilhelm von Herrmann, Frankfurt am Main, Vittorio Klostermann, 1976; GA 56/57 — Zur Bestimmung der Philosophie: 1. Die Idee der Philosophie und das Weltanschauungsproblem (Kriegsnotsemester 1919); 2. Phänomenologie und transzendentale Wertphilosophie (Sommersemester 1919); 3. Anhang: Über das Wesen der Universität und des akademischen Studiums (Sommersemester 1919), herausgegeben von Bernd Heimbüchel, Frankfurt am Main, Vittorio Klostermann, 1987; GA 58 — Grundprobleme der Phänomenologie (1919-1920), herausgegeben von Hans-Helmuth Gander, Vittorio Klostermann, Frankfurt am Main, 1992; GA 59 — Phänomenologie der Anschauung und des Ausdrucks . Theorie der philosophischen Begriffsbildung, herausgegeben von Claudius Strube, Frankfurt am Main, Vittorio Klostermann, 1993; GA 60 — Phänomenologie des religiösen Lebens: 1. Einleitung in die Phänomenologie der Religion (Wintersemester 1920/21), herausgege-ben von Matthias Jung und Thomas Regehly; 2. Augustinus und der Neuplatonismus (Sommersemester 1921); 3. Die philosophischen Grundlagen der mittelalterlichen Mystik (Ausarbeitung und Einleitung zu einer nicht gehaltenen Vorlesung 1918/19), heraus-gegeben von Claudius Strube, Frankfurt am Main, Vittorio Klostermann, 1995; GA 61 — Phänomenologische Interpretationen zu Aristoteles . Einführung in die phänomeno-logische Forschung, herausgegeben von Walter Bröcker und Käte Bröcker-Oltmanns, Frankfurt am Main, Vittorio Klostermann, 1985; GA 63 — Ontologie . Hermeneutik der Faktizität, herausgegeben von Käte Bröcker-Oltmanns, Frankfurt am Main, Vittorio Klostermann, 1988.

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quête d’une compréhension originaire et d’une interprétation phénomé-nologique de la vie comme telle : la vie de l’homme, notre vie, ma vie. Qu’est-ce que ma vie ? Mais, encore, pourquoi une telle question ? Parce que « la vie » est, selon Heidegger, l’objet primordial et la tâche ultime de la recherche philosophique. Par conséquent, il faut que le philosophe sur-prenne phénoménologiquement et élabore conceptuellement les structu-res essentielles de cette vie. Et nous savons que Heidegger a analysé la vie facticielle dans trois directions fondamentales : dans le monde ambiant (Umwelt), dans le monde partagé avec les autres (Mitwelt) et dans le monde du soi (Selbstwelt). Son analyse montre aussi que, dans cette triade du monde de la vie (Lebenswelt), le soi a une certaine primauté : la vie comme telle se centre sur le monde du soi, sur la Selbstwelt. Il s’agit, com-me le dit Heidegger lui-même dans un cours de 1919–1920, d’aiguiller la vie facticielle dans la direction du monde du soi (Zugespitzheit des fak-tischen Lebens auf die Selbstwelt)2. Ainsi, la vie est fondamentalement vie propre, vie du soi, une vie qui se déploie vers et dans le monde du soi.

C’est précisément sur cet aspect que la vie religieuse, et notamment celle chrétienne, devient très importante pour le jeune Heidegger. Car le christianisme, dit Heidegger dès 1919, met un accent tout particulier sur le monde du soi3. La vie religieuse est une concrétisation exceptionnelle du monde du soi — en tant que recherche et découverte de soi-même. C’est pour cette raison précise qu’elle pourrait être prise comme illustra-tion prééminente pour la clarification de la vie facticielle en tant que telle. Voilà donc la justification de la nécessité d’une phénoménologie de la vie religieuse, que Heidegger entreprendra dès 1920.

La vie religieuse sera ainsi le terrain privilégié pour l’approfondis-sement du monde du soi, de l’être-soi de la vie facticielle, car elle rend possible un accès authentique au niveau originaire de l’existence humaine.

2 GA 58, p. 59–64.3 GA 58, p. 61: « Das tiefste historische Paradigma für den merkwürdigen Prozeβ

der Verlegung des Schwerpunktes des faktishes Lebens und der Lebenswelt in die Selbstwelt und die Welt der inneren Erfahrungen gibt sich uns in der Entstehung des Christentums. Die Selbstwelt als solche tritt ins Leben und wird als solche gelebt.  » Anticipant ses recherches ultérieures, Heidegger invoque ici plusieurs noms: Augustin, Bernard de Clairvaux, Bonaventure, Maître Eckhart, Tauler, Luther et Kierkegaard. voir aussi Ergänzung 4, dans le même volume, p. 205–206.

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Mais comment se fait-il que la vie religieuse possède un tel privilège  ? Afin de répondre, il faudrait d’abord signaler un autre aspect fondamen-tal de la dynamique de la vie facticielle : la vie a la tendance de se couvrir elle-même, elle se falsifie elle-même. Comment ? Principalement, par une prédisposition réifiante qui institue l’attitude théorique de la conscience4. La tâche du phénoménologue est donc de surprendre la vie facticielle authentique dans sa dimension préthéorique, comme région originaire du sens d’où dérive l’attitude théorique. Par conséquent, le phénoménolo-gue doit trouver précisément la brèche qui lui permettrait d’accéder au-delà de cette couche théorisante qui couvre et falsifie la vie, pour accéder donc à la couche originaire.

C’est précisément ici que la vie religieuse joue un rôle décisif : car ce qui caractérise la vie religieuse est le fait qu’elle est réfractaire à la théorisa-tion, qu’elle s’oppose à l’objectivation d’ordre théorique. Ainsi, l’investiga-tion phénoménologique de la vie religieuse peut offrir au philosophe une inestimable porte d’accès pour arriver à ce qui est le plus fondamental et essentiel dans la vie facticielle générique, dans l’existence humaine en tant que telle.

Une telle phénoménologie de la vie religieuse semble entrer automa-tiquement « en concurrence » ou « en compétition » avec la démarche de l’histoire des religions et avec l’approche de la théologie. Je laisse de côté la question du rapport avec l’histoire des religions, qui est hors de mon propos5. Mais il faut remarquer que Heidegger, à la lumière de l’immé-

4 Dans 1920, Heidegger affirme que cette falsification est due en fait au langage: GA 60, p. 88: durch die Sprache verfällt jeder Ausdruck sofort in ein Einstellungmäßiges . D’autres contextes suggèrent que c’est l’accent unilatéral sur le contenu (sur le Was) au détriment du « comment » (Wie) du sens de la relation (Bezugssinn) et du sens de l’ac-complissement (Vollzugssinn) qui est responsable de cette tombée dans l’attitude théo-rique. Dans Sein und Zeit Heidegger montrera que la déchéance du Dasein provient du fait qu’il se comprend lui-même à partir du monde ambiant et à partir de l’étant rencontre à l’intérieur du monde.

5 GA 60, p. 78. Selon Heidegger, l’historien de la religion est guidé par toute une série de concepts préalables (Vorgriffe) dont il n’est pas conscient et qui lui peuvent altérer l’objet d’étude. L’histoire de la religion n’est utile pour la phénoménologie qu’après une destruction phénoménologique préalable de ces leitende Vorgriffe qui demeurent à la base de la recherche historique. Heidegger dit que ces Vorgriffe sont précisément les tendances qui motivent déjà comment la question est posée.

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diateté qu’exige l’accès à la vie facticielle, mettra en discussion la théologie précisément à cause de son caractère théorique. Déjà dès 1918, Heidegger croit que la théologie «  n’a pas trouvé jusqu’ici une prise de position théorique fondamentale originaire [originäre theoretische Grundhaltung] qui correspondrait à l’originarité de son objet [Ursprünglichkeit ihres Gegenstandes] »6. Heidegger se réfère ici aussi bien à la théologie catholi-que que protestante, même si dans d’autres endroits il indiquera que la « nouvelle » (à cette date) théologie protestante faisait quelques progrès dans la direction de la compréhension originaire de la vie religieuse7.

6 GA 60, 310. Voir aussi le commentaire de Sylvain Camilleri, Phénoménologie de la religion et herméneutique théologique dans la pensée du jeune Heidegger, Dordrecht, Springer, 2008. L’audace de Heidegger consiste précisément dans l’affirmation que l’ap-proche phénoménologique pourrait comprendre la vie religieuse d’une manière plus aiguë et plus authentique que le fait la théologie elle-même. Si cette affirmation est justifiée ou non, c’est peut-être la tâche des théologiens d’y répondre.

7 On connaît la prééminence constante que Heidegger accorde à la theologia crucis luthérienne par rapport à la theologia gloriae catholique, celle-ci étant prise, selon le philosophe, dans une stricte systématicité conceptuelle et dogmatique qui contraint l’expérience religieuse. Voir aussi, pour le contraste, la remarque de Kierkegaard que Heidegger reprend dans un séminaire de Rudolf Bultmann de 1924  : Das Problem der Sünde bei Luther [exposé dans le séminaire de Rudolf Bultmann, Die Ethik des Paulus (WS 1923/24), 14 et 21 février 1924, in Bernd Jaspert, Sachgemässe Exegese . Die Protokolle aus Rudolf Bultmanns Neutestamentlichen Seminaren 1921-1951, Elwert, Marburg, 1996, p. 28–33. Traduction française par C. Sommer: Le problème du péché chez Luther, in Alter . Revue de phénoménologie, 12/2004, p. 249–288, ici p. 254 : « Le protestantisme n’est que le correctif du catholicisme et ne saurait subsister seul comme régulatif, de même que Luther n’est Luther qu’en vertu du contexte spirituel fondamen-tal du catholicisme. Lorsque le catholicisme dégénère [entartet], il devient “hypocrisie” et “pseudo-sainteté” [Scheinheiligkeit], si c’est le protestantisme qui dégénère, il devient “mondanité sans esprit” [geistlose Weltlichkeit]. Le protestantisme est censé faire preuve d’un raffinement qui ne saurait émerger dans le catholicisme. Car si dans celui-ci, un représentant de son principe dégénère en mondanité, il prend sur lui l’odium de la mon-danité, mais si un représentant du protestantisme dégénère en mondanité, il profite de l’éloge de la piété et de la sincérité. Et ce parce que dans le catholicisme subsiste la présupposition générale selon laquelle “nous autres les hommes nous sommes finale-ment un peu canaille” ; et parce que le principe du protestantisme a une présupposition particulière  : “un homme, assis là dans l’angoisse de la mort — dans la crainte et le tremblement et de nombreuses tentations”. »

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C’est pourquoi il faudrait, selon Heidegger, séparer strictement le problème de la théologie et celui de la vie religieuse. Pourquoi ? D’abord, parce que la vie religieuse est pré-théorique ou a-théorique, tandis que la théologie est un démarche qui tient du domaine du théorique. Heidegger voit par exemple dans la mystique médiévale un contre-mouvement par rapport à la théologie, une tendance de l’expérience religieuse qui s’oppo-se à la dimension théorique de la théologie scolastique8. Ensuite, un autre motif est constitué par la dépendance (Abhängigkeit) de la théologie par rapport à la philosophie et par rapport à la conscience théorique9. Enfin, la phénoménologie comme science originaire préthéorique (vortheore-tische Urwissenschaft)10, comme science de l’origine dont l’objet est la vie en soi (Ursprungswissen schaft vom Leben an sich)11 est appelée à révéler le couche préthéorique de sens que la vie religieuse déploie d’une manière authentique. Nous aurions donc trois types de démarcations:

1. entre théologie et vie religieuse (théorique et préthéorique) ;2. entre théologie et philosophie (le problème de leur enchevêtre-

ment dans l’histoire de la métaphysique, problématique qui conduira, vingt ans plus tard, à l’idée d’une constitution onto-théologique de la métaphysique) ;

3. entre phénoménologie et théologie (les cours de GA 60, mais aussi la conférence homonyme de 192712).

***

En tout cas, l’investigation phénoménologique de la vie religieuse a constitué pour Heidegger un chemin décisif — mais pas unique — dans l’articulation de son projet ontologique. Voyons comment.

Remarquons d’abord qu’au cœur de l’analytique du Dasein se re-trouvent plusieurs motifs qui tiennent de la phénoménologie de la vie religieuse. Mentionnons au moins cinq: la déchéance (Verfallen) et l’être-

8 GA 60, p. 314.9 GA 60, p. 310.10 GA 56/57, p. 63.11 GA 58, p. 1, 65.12 Martin Heidegger, « Phänomenologie und Theologie », GA 9, p. 45–78.

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en-dette (Schuldigsein), l’angoisse (Angst) et la mort (Tod), la voix de la conscience (Stimme des Gewissens). Dans tous ces contextes, Heidegger est soucieux de démarquer son approche ontologique de toute probléma-tique théologique. Cependant, c’est précisément ce souci de démarcation qui doit nous avertir du fait que tels phénomènes ontologiques sont en réalité des formalisations de phénomènes qui appartiennent à l’origine à l’expérience religieuse, que Heidegger reprend les motifs puisés de la vie religieuse et les investit d’une dimension ontologique. Prenons d’abord trois illustrations.

Nous pouvons avancer l’idée que le phénomène de l’angoisse consti-tue l’ontologisation de la « crainte de Dieu », à la suite de la problémati-que kierkegaardienne homonyme et de la distinction augustinienne entre timor castus et timor servilis13. Car, tout comme l’angoisse, la crainte de Dieu n’est pas une simple peur  : elle n’est pas une fuite devant Dieu, comme devant quelque chose d’intramondain, appartenant au monde ambiant (Umwelt) ou au monde partagé (Mitwelt)14  ; elle n’est pas une fuite devant quelque chose qui s’approche en menaçant et qui, en tant que tel, est ressenti comme malignité de l’avenir, en tant que malum fu-turum. Tout au contraire  : la crainte de Dieu est «  le commencement de la sagesse », donc c’est la source de tout bien. Si la crainte de Dieu ne signifie pas une fuite devant Dieu, sa dynamique interne n’implique pas un éloignement de Lui, mais tout au contraire : elle est un rapproche-ment, un désir de proximité ; car ici, perdre Dieu c’est se perdre soi-même. Ainsi, la crainte de Dieu regarde non pas le monde partagé avec les autres (Mitwelt), ni le monde ambiant des choses mondaines (Umwelt), mais le monde du soi, le «  lieu » où le soi vit et se risque soi-même, où il se gagne ou se perd15. De même, l’angoisse constitue l’origine existentiale de l’authenticité du Dasein, son appropriation à soi, ayant donc une positivité ontologique indiscutable.

13 SZ, p. 190, n. 1; GA 60, p. 293–297.14 GA 60, p. 297: « Die erste Furcht (timor servilis), die “Weltflucht” (von der Umwelt

und Mitwelt her), ist die Ängstlichkeit, von der man gefaßt wird, die einen überfällt. » 15 Ibid.: «  [...] der timor castus ist die “selbstliche Furcht”, die in der eingentliche

Hoffnung motiviert ist, in dem aus sich selbst lebendig gemachten Vertrauen. Diese Furcht bilded sich in mir aus einem Bezug, in dem ich die Welt erfahre, im Zusammenhang mit der Bekümmerung des Lebens um die eigentliche Selbsterfahrung. »

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De la même manière, on peut argumenter que l’idée de l’être-en-dette (Schuldigsein) a son point de départ dans la formalisation de l’idée chré-tienne du péché originel, car il s’agit d’une dette d’avant toute action ac-complie qui pourrait être considérée comme coupable16. Pour approfondir cette idée, nous pouvons faire référence à un exposé que Heidegger a fait en 1924 dans le cadre du séminaire de Rudolf Bultmann, portant précisément sur le problème du péché chez Luther17. D’autre part, l’idée de déchéance (Verfallen) est formalisée à partir des investigations heideggériennes sur la tentatio dans les Confessions augustiniennes18, comme manière de se perdre soi-même, ce qui est aussi lié à l’idée du péché. Une place à part dans ce contexte est occupée par la concupiscentia occulorum, que l’on retrouve dans la curiosité (Neugir) au paragraphe 36 de Sein und Zeit19.

Nous allons désormais concentrer notre analyse sur le phénomène de la mort. Dans l’analyse phénoménologique de la vie religieuse que Heidegger entreprend en 1920 à partir des épîtres de saint Paul, un aspect singulier nous frappe : l’attente de la parousie spécifique au christianisme originaire correspond formellement, en plusieurs points, au devancement de la mort, tel qu’il est décrit dans Sein und Zeit. Nous pouvons ainsi supposer que l’attente de la parousie, comme mouvement facticiel de la vie spécifique au christianisme primaire, constitue l’inspiration première à partir de laquelle Heidegger élabore, par des formalisations et ontologisations successives, la structure de l’être pour la mort.

16 SZ, p. 282 sq. 17 Das Problem der Sünde bei Luther, op . cit .: « Luther ne voit pas ici le péché comme

une accumulation de fautes [Fehler], mais il attire le regard sur l’affectus, c’est-à-dire sur la manière de l’être-disposé de l’homme par rapport aux choses, sur l’être-effrayé [Entsetztsein] devant les choses procédant de l’attachement à celles-ci. […] L’être de l’homme comme tel est péché. […] Chez Luther, le péché est un concept d’existence [Existenzbegriff ], ce qu’indique déjà l’emphase portée sur l’affectus . »

18 L’idée de la tentation (Versuchung) est retrouvable elle-aussi dans le lexique de l’inauthenticité. Concupiscentia carnis, concupiscentia occulorum, ambitio saeculi. Pour le cours Augustinus und der Neuplatonismus, cf. Fr.-W. von Herrmann, « Gottsuche und Selbstauslegung. Das X. Buch der Confessiones des Heiliges Augustinus im Horizont von Heideggers hermeneutischer Phänomenologie des faktisches Lebens  », in Studia Phænomenologica 2001 (3-4), p. 201–219; Jeffrey Andrew Barash, « Le temps de la mé-moire. A propos de la lecture heideggérienne de saint Augustin », Transversalités, Revue de l’Institut Catho lique de Paris, oct.-déc. 1996, p. 103–112.

19 SZ, § 36, cf. GA 60, p. 283–284.

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En effet, le parallélisme structurel  entre l’attente de la parousie (avname,nein th/j parousi,aj) et l’être pour la mort (Sein zum Tode), peut être illustré sur plusieurs niveaux.

D’abord, l’attente de la parousie est une attente tout à fait spéciale, qui diffère de toute attente mondaine des choses disponibles et connaissables : car ce qui est attendu est, par principe, in-disponible, imprévisible, impos-sible à anticiper et à maîtriser. Heidegger souligne les mots de saint Paul, selon lequel on n’a pas besoin de savoir quelque chose sur « les temps et les moments » (peri. de. tw/n cro,nwn kai. tw/n kairw/n) du second avènement du Christ (1 Thessaloniciens 5,1)20. Autrement dit, dans l’attente de la pa-rousie, il ne faut pas s’interroger sur le « quand » de celle-ci. De la même manière, Être et temps parlera, à propos de la mort, de « l’indétermination de son quand »21. L’attente de la parousie ne se déploie pas dans le temps linéaire, ni dans la chronologie régulière de l’horloge et dans la succession mathématique des moments homogènes, absolument identiques l’un à l’autre, ni non plus dans la connaissance et l’anticipation claire de ce qui viendra. Elle tient, au contraire, du temps kaïrologique originaire : nous ne pouvons savoir « quand » aura lieu le second avènement du Christ, tout comme nous ne pouvons savoir «  quand  » surviendra la mort propre22. Dans les deux cas, l’indétermination du « quand » est conjointe avec la cer-titude du « que » : Unbestimmtheit seines Wann et Gewissheit seines Daß ne font qu’un. Accentuer seulement un moment de cette unité au détriment de l’autre ne fait que falsifier le phénomène. Car si l’on détermine l’indé-terminé, disant que l’avènement du Christ aura lieu aujourd’hui, demain ou plus tard, on falsifie le rapport à cet événement inanticipable et non-maîtrisable, on met cette attente dans l’horizon du calcul et de la disponi-bilité. De même, pour la mort propre, si l’explicitation du On (das Man) est que l’« on meurt, mais pour le moment pas encore », nous assistons à

20 GA 60, p. 102.21 SZ, p. 258.22 GA 60, p. 104: «  [...] die Frage nach dem “Wann” leitet sich zurück auf den

Vollzug des Lebens selbst. Der Sinn des “Wann”, der Zeit, in der der Christ lebt, hat einen ganz besonderen Charakter. Wir charakteriseieren früher formal: “die christliche Religiosität lebt die Zeitlichkeit”. Es ist eine Zeit ohne Ordnung und feste Stellen etc. Von irgendeinem objektiven Begriff der Zeit her kann man unmöglich diese Zeitlichkeit treffen. Das Wann ist auf keine Weise objektiv faβbar. » Cf. aussi, sur l’Augenblick et kairo ,j, ibid., Anhang, p. 150.

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une falsification du même type, précisément par ce « pour le moment pas encore » qui détermine le « quand » absolument indéterminé de la mort. En tant qu’absolument certaine, la mort est absolument indéterminée dans son quand. En tant qu’absolument indéterminée dans son quand, la mort est absolument certaine.

Tout comme la mort propre, la parousie est décrite en termes d’immi-nence, comme ce qui se dresse devant nous : das unmittelbare Bevorstehen der Parousie23. La parousie « viendra comme un voleur dans la nuit [wj kle,pthj evn nukti,] » (1 Thessaloniciens 5,2), elle arrive d’une manière soudaine, tout comme « les douleurs de l’enfantement surprennent la femme enceinte » (1 Thessaloniciens 5,3). Ce caractère d’événement, de surprise non-anticipable, d’avenir indéterminé dont nous ne pouvons pas nous rendre maîtres par la connaissance, par l’anticipation ou par l’attente calculatrice, correspond aussi bien au second avènement tel qu’il est décrit dans les épîtres pauli-niens, qu’au devancement de la mort propre dans Être et temps.

Ensuite, la parousie n’a pas le sens de la présence ou du présent qui est simplement là-devant24. Tout au contraire, la parousie indique l’avenir originaire qui, à son tour, ouvre la temporalité originaire de l’existence hu-maine25. De la même manière, la mort propre (et le comportement authen-tique vers celle-ci) ouvre dans Être et temps l’avenir authentique du Dasein, c’est-à-dire l’ekstase fondamentale de la temporalité originaire.

En plus, comme devant la mort propre, il y a face à la parousie deux types opposés de comportement: l’un « authentique » et l’autre « inauthen-tique » : ici, il s’agit de l’opposition entre ceux qui appartiennent au monde, n’attendant pas la parousie, et ceux qui vivent dans cette attente du « Jour du Seigneur [hme,ra kuri,ou] » (1 Thessaloniciens 5,2). Les oppositions pau-liniennes entre nuit (nu,x) et jour (hme,ra), entre ténèbres (sko,toj) et lumière (fw/j), entre dormir (kaqeu,dw) et veiller (grhgore,w), entre ivresse (me,qusij) et sobriété (nhfalio,thj), sont implicitement reprises dans le lexique de

23 GA 60, p. 108.24 GA 60, p. 102. La parousie ne doit pas être comprise comme présent, comme

dans l’histoire de la métaphysique, fait qui l’aurait placée sur les coordonnées de la temporalité intramondaine, dans l’aire de la Vorhandenheit.

25 Le vivre eschatologique comme attente de la parousie est une expérience de la temporalité comme telle. L’attente eschatologique de la parousie est ainsi le centre de la vie chrétienne (Zentrum des christlichen Lebens). Cf. GA 60, p. 104.

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l’authenticité que Heidegger propose dans Sein und Zeit. Le sommeil et l’ivresse (comme corrélats subjectifs de la nuit et des ténèbres) sont ainsi synonymes d’un l’oubli du soi propre, tandis que la sortie de cet oubli, l’en-trée dans la qualité nouvelle de la vigilance et du réveil signifie la retrouvée de ce soi, sa réappropriation.

Enfin, une autre idée mérite d’être remarquée dans ce contexte: le souci de sécurité de la vie quotidienne, qui est spécifique à ceux qui ne vivent pas l’attente de la parousie. Avec le mots de saint Paul, ils diront : il est « paix et sureté » (eivrh,nh kai. avsfa,leia) (1 Thessaloniciens 5,3); Friede und Sicherheit, traduit Heidegger. Cette tendance motivationnelle de l’homme de chercher constamment sa sécurité et de trouver son repos (Ruhe) ne fait que couvrir la perturbation, le trouble (Unruhe) et l’insécurité (Unsicherheit) originaire de la vie facticielle, dimension qui correspondra dans Sein und Zeit au topos de l’étrangeté (Unheimlichkeit). De même, le rapport inauthentique à la mort sera caractérisé par une tranquillisation (Beruhigung), qui est à la fois une occultation et une aliénation de l’être pour la mort toujours propre. À l’autre pôle, la situation facticielle du croyant qui vit l’attente de la parousie ne se passe pas dans la sérénité du détachement et de la contemplation, mais dans l’affliction et l’inquiétude (Bekümmerung, Bedrängnis, Not). Ces notions qui traduisent le qli/yij paulien demeurent, tout comme la cura augustinienne, à la base des concepts ultérieurs de souci (Sorge) et angoisse (Angst).

***

Cette illustration, qui pourrait être encore plus détaillée, est peut-être convaincante, mais elle n’explique encore pas le transfert de sens de l’uni-vers religieux du christianisme primordial à l’univers transcendantal et ontologique de l’analytique du Dasein. La question que je veux me poser, à la fin de cet article, regarde précisément cet aspect: comment s’opère donc ce transfert d’un horizon de sens (celui de la vie religieuse) à l’autre (celui formel-ontologique)  ? En quoi consiste exactement ce processus d’ontologisation des structures de la vie religieuse ? Quels sont les moyens conceptuels pour une telle entreprise ?

Je voudrais suggérer, seulement en esquisse, que la réponse à ces questions se trouve dans une idée qui demeure fondamentale pour la

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compréhension de la pensée du premier Heidegger : il s’agit de l’indica-tion formelle (formale Anzeige). En moyennant ce procédé technique de l’indication formelle, Heidegger trouve la légitimité phénoménologique pour une telle « extraction » des significations originaires d’une expérien-ce déterminée et individuelle (celle du christianisme primordial), pour les articuler dans un contexte générique (celle de la constitution générique de l’être du Dasein).

Qu’est-ce que c’est donc l’indication formelle  26? C’est d’abord un concept de méthode qui indique un procédé spécial d’investigation. Dit simplement, l’indication formelle fait que la recherche phénoménologi-que soit authentique, qu’elle arrive aux phénomènes authentiques en tant que tels et qu’elle dévoile leurs structures originaires.

Chacun des deux atomes de l’expression « indication formelle » est très important: d’un part, il s’agit d’une indication (et non pas d’une description concrète) et d’autre part sa démarche est formelle (et non pas matérielle). Je dirai seulement quelques mots sur chacun.

D’abord, l’idée de l’indication. La première note distinctive de l’in-dication formelle est que, dans l’approche concrète des phénomènes, elle laisse ouvert (offenhalten) le sens des phénomènes abordés27. Ainsi, l’indi-cation formelle ne porte pas préjudice au sens des phénomènes. En quoi consiste cette approche non-préjudicielle ? Réponse : l’indication formel-le empêche que la déterminité formelle-ontologique porte préjudice au sens relationnel (Bezugssinn) et le sens d’accomplissement (Vollzugssinn), par l’orientation unilatérale vers le contenu (Gehalt). 28 Ainsi, l’indica-

26 GA 60, p. 65–65. GA 61, p. 19–20. GA 63, p. 80; cf. Theodore Kisiel, « L’indication formelle de la facticité: sa genèse et sa transformation », in Jean-François Courtine (éd.), Heidegger 1919–1929 : De l’ herméneutique de la facticité à la métaphysique du Dasein, Vrin, Paris, 1996, p. 205–219.

27 Martin Heidegger, « Anmerkung zu Karl Jaspers », GA 9, p. 9: « Die Sinnfixierung von “Methode” ist in formal anzeigender Bedeutung (z. B. “Weg”) offenzuhalten für eigentliche konkrete Bestimmungen. »

28 Cf. GA 59, p. 85: « Die formale Anzeige hat innerhalb der Philosophie eine unu-mgängliche Bedeutung, die verständlich gemacht werden kann, allerdings nur dann, wenn die formale Anzeige nicht hypostasiert und zum Ziel und Gegenstand philoso-phischer Betrachtung gemacht wird, sondern in einer fest bestimmten Weise im Dienste der Aufgabe der Philosophie steht: des aufmerksam machenden Ursprungsverstehen, d.

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tion formelle indique de manière négative, comme un avertissement, comme une mise en garde (Warnung)29. Elle est une défense (Abwehr), une assurance préalable ou préliminaire (vorhergehende Sicherung)30 que le caractère d’accomplissement (Vollzugscharackter) du phénomène de-meure libre. L’indication formelle est donc une mesure de précaution (Vorsichtmaßregel), elle a un caractère « prophylactique ».

L’indication formelle est toujours mal comprise quand elle est prise comme une proposition fixe et générale [als fester, allgemeiner Satz] et est utilisée pour déduire quelque chose d’elle ou pour fantaser avec elle dans une manière constructive-dialectique [und mit ihr konstruktiv di-alektisch deduziert und fantaziert wird]. Tout depend du fait que notre compréhension est ramenée du contenu de l’indication, qui est indé-terminé mais inteligible [vom unbestimmten, aber inrgendwie verstän-dlichen Anzeigegehalt], à la direction correcte du regard [richtige Blick-bahn]. L’obtention de cette direction du regard [das Gewinnen dieser Blickbahn] peut et doit être soutenue prophylactiquement par le re-jet [Abweisung] de certaines positions du regard [Blickstellungen] qui sont apparemment apparentées [scheinbar verwandter] et qui semblent s’imposer de soi [von selbst andrängender], comme si elles étaient domi-nantes dans la situation particulière de la recherche.31

La nécessité de l’indication formelle est donc justifiée par la tendance de toute approche à se fixer unilatéralement sur le contenu. Heidegger dit que cette mesure de précaution est due à la tendance déchue (abfallende Tendenz) de l’expérience facticielle de la vie, qui menace constamment de glisser et de tomber dans ce qui est d’ordre objectif (ins Objektmäßige abzugleiten). Mais c’est notamment de cette expérience que le phénomé-nologue doit extraire (herausheben) les phénomènes. La phénoménologie doit réorienter cette orientation « naturelle » du Was (qu’est-ce que c’est) vers le Wie (comment est-il, comment le phénomène est-il accompli ou réalisé ou effectué, comment on est lié au phénomène). C’est donc un pas

H. Zugleich aus dem Konkreten und Faktischen echt motiviert ist, nicht als das dem Faktischen Gemeinsame, sondern als nicht präjudizierende, aber auch nicht entschei-dend leistende, vorzeichnende Antastung des Faktischen. »

29 GA 60, p. 63. 30 GA 60, p. 64.31 GA 63, p. 80.

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en arrière, un « se tenir en réserve », afin de ne pas fixer le sens authenti-que du phénomène dans une particularisation déterminée. (Sur cet aspect de l’« indication », il semble que l’indication formelle constitue l’alterna-tive heideggérienne à la réduction husserlienne. Il s’agit aussi d’un schritt zurück, d’un pas en arrière, mais le phénomène n’est pas suspendu, le sol phénoménal n’est pas mutilé par l’intervention excessivement théorisante de la réduction.)

Enfin, la formalité. Heidegger insiste sur le fait que la formalisation de l’indication formelle doit être comprise à partir des procédés techni-ques husserliens de généralisation et formalisation. L’indication formelle serait ainsi une radicalisation de la formalisation husserlienne. Arrivant aux phénomènes authentiques, l’indication formelle découvre leurs struc-tures et les formalise. (Sur cet aspect de la « formalisation », il semble que l’indication formelle constitue une alternative à la variation eidétique et à l’intuition eidétique husserlienne [Wesensschau], car la «  forme  » des phénomènes que l’indication formelle découvre, leur « sens formel » ou « formalisé » sont intimement liés à l’idée de l’eidos). Dans notre exem-ple : l’attente de la parousie (un cas particulier d’attente) est formalisée, afin d’obtenir la structure formelle de l’être-avenant (zukünftig sein) de l’être pour la mort, en tant qu’attente générique de son propre avenir. Heidegger souligne plusieurs fois la signification universelle, le caractère indispensable (Unentbehrlichkeit) et le caractère incontournable (unum-gänglich) de l’indication formelle pour la philosophie véritable.32 Ce qui est indiqué d’une manière formelle (et non pas simplement décrit d’une manière concrète matérielle) c’est la structure qui précède toute concré-tisation, toute matérialisation. C’est seulement par l’indication formelle que le philosophe peut mettre en évidence l’apriori phénoménologique.

En conclusion, c’est précisément l’optique de l’indication formelle, appliquée aux phénomènes originaires découverts par les écrits pauliniens, qui a permis à Heidegger de surprendre phénoménologiquement toute une série des structures de la vie facticielle, structures qui — ontologisées

32 Cf. GA 59, p. 62: « Zugleich machen wir damit an einem konkreten Fall deutlich, wie sich mit der universalen Bedeutung und Unentbehrlichkeit der formalen Anzeige eine ständige Gefahr des Abgleitens in falsche Betrachungsrichtungen verknüpft, des weiterne bestimmt sich die Bedeutung von Genuinität näher. »

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et formalisés — seront ensuite reprises dans le cadre de l’analytique du Dasein. La tension entre l’inquiétude et la tranquillisation, le conflit exis-tential entre l’insécurité originaire de la vie facticielle et la tendance de sécurisation, la scission entre le comportement authentique et inauthen-tique, entre l’oubli du soi et sa retrouvaille sont des exemples éloquents à ce sujet. En ce qui concerne notre sujet, l’attente de la parousie est dévoilée comme un mode prééminent de temporalisation qui, par l’indé-termination de son « quand » dans son imminence spécifique, constitue la source de la thématisation ontologique de l’être pour la mort.

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