handout t. tolérance

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Parce que [votre] religion est divine doit-elle régner par la haine, par les fureurs, par les exils, par l’enlèvement des biens, les prisons, les tortures, les meurtres, et par les actions de grâces rendues à Dieu pour ces meurtres ? La philosophie, la seule philosophie, cette sœur de la religion, a désarmé des mains que la superstition avait si longtemps ensanglantées ; et l’esprit humain, au réveil de son ivresse, s’est étonné des excès où l’avait emporté le fanatisme. (31) Le grand moyen de diminuer le nombre des maniaques, s’il en reste, est d’abandonner cette maladie de l’esprit au régime de la raison, qui éclaire lentement, mais infailliblement, les hommes. Cette raison est douce, elle est humaine, elle inspire l’indulgence, elle étouffe la discorde, elle affermit la vertu, elle rend aimable l’obéissance aux lois, plus encore que la force ne les maintient. (37) Donc il y a un Dieu qui, après cette vie passagère, dans laquelle nous l’avons tant méconnu, et tant commis des crimes en son nom, daignera nous consoler de tant d’horribles malheurs : car, à considérer les guerres de religion, les quatre schismes des papes, qui ont presque tous été funestes : les haines irréconciliables allumées par les différents opinions ; à voir tous les maux qu’à produits le faux zèle, les hommes ont eu longtemps leur enfer dans cette vie. (65) Si la persécution contre ceux avec qui nous disputons était une action sainte, il faut avouer que celui qui aurait fait tuer le plus d’hérétiques serait le plus grand saint du paradis. Quelle figure y ferait un homme qui se serait contenté de dépouiller ses frères ? (69) Nos histoires, nos discours, nos sermons, nos ouvrages de morale, nos catéchismes respirent tous, enseignent tous aujourd’hui ce devoir sacré de l’indulgence. Par quelle fatalité, par quelle inconséquence démentirions-nous dans la pratique une théorie que nous annonçons tous les jours ? (90)

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Page 1: Handout t. Tolérance

Parce que [votre] religion est divine doit-elle régner par la haine, par les fureurs, par les exils, par l’enlèvement des biens, les prisons, les tortures, les meurtres, et par les actions de grâces rendues à Dieu pour ces meurtres ?

La philosophie, la seule philosophie, cette sœur de la religion, a désarmé des mains que la superstition avait si longtemps ensanglantées ; et l’esprit humain, au réveil de son ivresse, s’est étonné des excès où l’avait emporté le fanatisme. (31)

Le grand moyen de diminuer le nombre des maniaques, s’il en reste, est d’abandonner cette maladie de l’esprit au régime de la raison, qui éclaire lentement, mais infailliblement, les hommes. Cette raison est douce, elle est humaine, elle inspire l’indulgence, elle étouffe la discorde, elle affermit la vertu, elle rend aimable l’obéissance aux lois, plus encore que la force ne les maintient. (37)

Donc il y a un Dieu qui, après cette vie passagère, dans laquelle nous l’avons tant méconnu, et tant commis des crimes en son nom, daignera nous consoler de tant d’horribles malheurs : car, à considérer les guerres de religion, les quatre schismes des papes, qui ont presque tous été funestes : les haines irréconciliables allumées par les différents opinions ; à voir tous les maux qu’à produits le faux zèle, les hommes ont eu longtemps leur enfer dans cette vie. (65)

Si la persécution contre ceux avec qui nous disputons était une action sainte, il faut avouer que celui qui aurait fait tuer le plus d’hérétiques serait le plus grand saint du paradis. Quelle figure y ferait un homme qui se serait contenté de dépouiller ses frères ? (69)

Nos histoires, nos discours, nos sermons, nos ouvrages de morale, nos catéchismes respirent tous, enseignent tous aujourd’hui ce devoir sacré de l’indulgence. Par quelle fatalité, par quelle inconséquence démentirions-nous dans la pratique une théorie que nous annonçons tous les jours ? (90)

Partout où il y a une société établie, une religion est nécessaire ; les lois veillent sur les crimes connus, et la religion sur les crimes secrets. (104)

Mais de toutes les superstitions, la plus dangereuse, n’est-ce pas celle de haïr son prochain pour ses opinions ? Et n’est-il pas évident qu’il serait encore plus raisonnable d’adorer le saint nombril, le saint prépuce, le lait et la robe de la vierge Marie, que de détester et de persécuter son frère ? (105)

Cet écrit sur la tolérance est une requête que l’humanité présente très humblement au pouvoir et à la prudence. Je sème un grain qui pourra un jour produire une moisson. Attendons tout du temps, de la bonté du roi, de la sagesse de ses ministres, et de l’esprit de la raison qui commence à répandre partout sa lumière. (125)

VOLTAIRE. 2012 [1763]. Traité sur la tolérance. Barcelone : Folio [Gallimard]