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GUSTAVE DORÉ : TOUT LE SPORT AVEC UN TRAIT DE GÉNIE rares sont ceux qui savent à quel point Doré fut également un Gustave Doré. dessinateur doué et prolifique, qui s’intéressa au sport en Angleterre. Le Derby d’Epsom, comme on peut en juger avec cette Le nom de l’artiste français Gustave Doré évoque en premier chef reproduction d’une gravure et l’illustrateur génial d’une bible in-folio comme il s’en trouvait au siècle passé dans le salon chez un grand nombre de familles. Mais couverture, fut l’un des grands thèmes du sport anglais de C hargé d’un carton rempli de dessins, était né en 1832, pour Paris. II soumit ses largement influencés par le dessinateur oeuvres de jeunesse à l’éditeur Charles Suisse Rodolphe Toepffer, à l’âge de quinze Philipon qui publia plusieurs dessins humo- ans, Gustave Doré quitta Strasbourg, où il ristiques; en outre, Philipon conclut aussitôt Par F. K. Mathys 283 283

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GUSTAVE DORÉ :TOUT LE SPORT AVECUN TRAIT DE GÉNIE

rares sont ceux qui savent à quel point Doré fut également un Gustave Doré.

dessinateur doué et proli f ique, qui s’ intéressa au sport enAngleterre.

Le Derby d’Epsom, comme onpeut en juger avec cette

Le nom de l’artiste français Gustave Doré évoque en premier chef reproduction d’une gravure etl’illustrateur génial d’une bible in-folio comme il s’en trouvait ausiècle passé dans le salon chez un grand nombre de familles. Mais

couverture, fut l’un des grandsthèmes du sport anglais de

C hargé d’un carton rempli de dessins, était né en 1832, pour Paris. II soumit seslargement influencés par le dessinateur oeuvres de jeunesse à l’éditeur Charles

Suisse Rodolphe Toepffer, à l’âge de quinze Philipon qui publia plusieurs dessins humo-ans, Gustave Doré quitta Strasbourg, où il ristiques; en outre, Philipon conclut aussitôt Par F. K. Mathys

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ART ET SPORT

un contrat avec le père du petit artiste. Ilétait stipulé que chaque dessin à la plumeserait rémunéré au prix de 50 francs, tandisque les dessins au crayon seraient payés 20francs au cours de la première année. Ils’agissait de sommes tout à fait apprécia-bles pour l’époque.

PREMIER CONTACTAVEC LE SPORTLe jeune homme se mit aussitôt à dessinerpour son éditeur et devint un artiste célè-bre à Paris en l’espace de quelquesannées. Ses illustrations parurent non seu-lement dans la presse, mais furent égale-ment publiées sous forme d’albums. Sonpremier travail, intitulé « Les travaux d’Her-cule », était composé d’une série de centquatre lithographies. Ce fut le premiercontact entre l’artiste et le sport qui necessa de fasciner Doré par la suite tout au

Séance de tir extraite duGargantua de Rabelais, que Doréillustra avec faconde. long de sa vie. Au bout de six ans, l’illustra-

teur était déjà à tel point submergé decommandes que ses collaborations au«Journal pour rire » et au «Journal amu-sant » se faisaient de plus en plus rares. Lesannées 1854 et 1855 furent entièrementconsacrées aux esquisses de dessins desti-nés à l’illustration de « Gargantua et Panta-gruel » de Rabelais. François Rabelais,médecin français (1494-1553), avait écritson roman satirique sur le géant Gargantuaen 1532 et s’était également montré très

ouvert au sport et au jeu. Son oeuvre com-porte non seulement une énumérationexhaustive des jeux pratiqués à son épo-que, elle décrit également Gargantua sousles traits d’un chasseur, cavalier, nageur,tireur et haltérophile, toutes activités queDoré sut illustrer d’une manière vivante.

Tandis que Daumier utilisa presqueexclusivement la technique lithographique,Doré s’adonna à la gravure sur bois.Certes, il ne grava pas lui-même sur bois,mais se contentait, tout comme l’avait faitHolbein pour sa « Danse des morts », àappliquer le dessin à la plume sur le bois,laissant à d’habiles xylographes le soind’exécuter la taille au plus près des inten-tions de l’artiste. Cette technique convenaitmieux à l’impression de livres que la litho-graphie. En effet, les gravures sur bois pou-vaient aisément être intégrées dans la com-position étant entendu que l’épaisseur desblocs de bois était la même que celle deslettres, ce qui permettait de les reproduireen une seule opération d’impression.

Au cours des trente-cinq années quedura sa carrière artistique, Doré exécutaplus de 40 000 dessins. On prétend qu’ilslui auraient rapporté quelque sept millionsde francs entre 1850 et 1870. En 1856, ilillustra l’« Enfer » de Dante, « La légendedu Juif éternel », les contes de Perrault, le« Baron de Münchhausen » de Bürger(1861); l’année suivante, le « Don Qui-chotte » de Cervantes (1863), les Fables deLa Fontaine et enfin en 1866, les SaintesEcritures. Toutes ses illustrations grand for-mat dénotent une prédilection pour ce quiest tant apprécié aujourd’hui, à savoir lemarginal, le mystérieux, le grotesque et,aussi, ce qu’il est convenu d’appeler l’hu-mour noir.

ILLUSTRATION DE LA VIESPORTIVE ANGLAISEEn fait, avec ses badinages presque surréa-listes, Doré était largement en avance surson temps. Mais il était également capablede fixer au crayon des événements tout cequ’il y a de réalistes. Ainsi lui devons-nousdiverses représentations de la vie anglaisede ses années londoniennes aux environs

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de 1870. Des dames et messieurs élégantsse promenant dans Hyde Park constituè-rent la matière de ses impressions anglaisesau même titre que la vue des asiles pourindigents, des bouges, chantiers navals etl’animation des rues. Mais ce qui le fascinatout spécialement en Angleterre, ce fut lesport encore peu répandu en France àl’époque. Initialement, Doré lui-même nese sentait guère attiré par l’exercice physi-que, mais comme il avait une tendance àgrossir, il lui fallait entreprendre quelquechose. Il prit des leçons de gymnastique etse passionna de plus en plus pour ce typede remise en forme. Aussi ne se contenta-t-il pas de suivre en spectateur passif lesrégates opposant les étudiants d’Oxford àceux de Cambridge, mais fixa au crayon lespéripéties essentielles de la compétition.Les courses de chevaux d’Epsom le fasci-nèrent au même titre que « l’escrime avec

Combat de boxe à Londres, unsport qui fascina Gustave Dorédont on voit ci-dessous le portrait.

les poings », la boxe, qui dérivait de l’es-crime et était encore inconnue sur le conti-nent. Autant Doré avait choisi la voie de lafacilité en traitant de nombreux thèmes desa volumineuse production de manièreroutinière, autant il dut, en ce qui concernele sport, affronter un sujet totalement inéditqui nécessitait toute son attention et sessoins. Toujours est-il que la noblesseanglaise se passionna pour l’artiste français,lui obtint une audience de la reine Victoriaet mit à sa disposition une galerie où il putexposer ses oeuvres en permanence.

Même si l’immensité de son oeuvre adonné naissance à des dessins de valeurinégale et à de nombreuses répétitions,chacune des illustrations de l’artiste estnéanmoins animée par une étincelle deson génie.

F.K.M.