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Le Médecin volant L’Amour médecin Molière Livret pédagogique correspondant au livre de l’élève n° 76 établi par Isabelle de Lisle, agrégée de Lettres modernes professeur en collège et en lycée

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Page 1: Guide enseignant Molière Médecin volant, Amour médecin

Le Médecin volant L’Amour médecin

Molière

L i v r e t p é d a g o g i q u e correspondant au livre de l’élève n° 76

établi par Isabelle de Lisle,

agrégée de Lettres modernes professeur en collège et en lycée

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Sommaire – 2

S O M M A I R E

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3

Le Médecin volant, scènes première à III (pp. 13 à 15) ............................................................................................................................ 3

Le Médecin volant, scènes IV à VIII (pp. 24 à 26) ...................................................................................................................................... 6

Le Médecin volant, scènes IX à XVI (pp. 38 à 40) ...................................................................................................................................... 9

L’Amour médecin, acte I (pp. 58 à 61) ................................................................................................................................................. 12

L’Amour médecin, actes II et III (pp. 92 à 94)........................................................................................................................................ 16

Retour sur les œuvres (pp. 95 à 98) ..................................................................................................................................................... 20

P R O P O S I T I O N D E S É Q U E N C E S D I D A C T I Q U E S . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 2

E X P L O I T A T I O N D U G R O U P E M E N T D E T E X T E S . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 3

P I S T E S D E R E C H E R C H E S D O C U M E N T A I R E S . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 4

B I B L I O G R A P H I E C O M P L É M E N T A I R E . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 5

Tous droits de traduction, de représentation et d’adaptation réservés pour tous pays. © Hachette Livre, 2010. 43, quai de Grenelle, 75905 Paris Cedex 15. www.hachette-education.com

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Le Médecin volant – L’Amour médecin – 3

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

L e M é d e c i n v o l a n t , s c è n e s p r e m i è r e à I I I ( p p . 1 3 à 1 5 )

Avez-vous bien lu ? u Les réponses exactes sont : a et c. v Valère et Gorgibus sont deux maîtres, dont les valets respectifs sont Sganarelle et Gorgibus. On pourra signaler, à cette occasion, que Sganarelle est un personnage que l’on retrouve dans d’autres pièces de Molière et qu’il appartient à une classe sociale populaire : il est « faiseur de fagots » dans Le Médecin malgré lui et valet dans Dom Juan. w Villebrequin est le jeune homme choisi par Gorgibus pour épouser sa fille. x Sabine est la nièce de Gorgibus.

Étudier l’ouverture : la scène première y La première réplique de la pièce est caractéristique d’une ouverture in medias res : on a l’impression que le lever de rideau ne fait que dévoiler un dialogue déjà entamé. Les deux personnages qui se tutoient se connaissent déjà, et l’interjection liminaire « Hé bien ! » semble être la réaction à une parole que les spectateurs n’ont pas entendue. De même, les conseils supposent qu’un problème concernant Valère vient d’être exposé. Le spectateur pourrait croire même avoir manqué la scène d’exposition et la présentation du nœud de l’intrigue. Ce début in medias res concourt à donner l’illusion de réel ; le spectateur devient, comme Diderot l’étudiera le siècle suivant, une sorte de voyeur surprenant une scène qui ne lui est pas destinée et qui a commencé sans lui. Séduit par l’effet de réel, il est aussi piqué dans sa curiosité et s’interroge sur le désarroi de Valère. U La première réplique de Sabine est une tirade où se trouvent présentés l’intrigue de la pièce ainsi que trois personnages : Villebrequin, Gorgibus et sa fille. Essentielle dans l’exposition de la situation et des informations nécessaires à la compréhension de l’histoire qui va se dérouler, elle est développée afin que le spectateur ait le temps de bien assimiler les données du problème. On fera remarquer à cette occasion que seul le nom de Villebrequin est donné, les noms de Sganarelle et de Gorgibus ne figurant que dans la scène II pour ne pas trop charger d’informations la scène d’ouverture. V Nous relevons les phrases interrogatives : – « Hé bien ! Sabine, quel conseil me donneras-tu ? » : c’est Valère qui parle ; – « Mais le moyen de trouver sitôt un médecin, à ma poste, et qui voulût tant hasarder pour mon service ? » : c’est Valère qui parle ; – « Je songe une chose : si vous faisiez habiller votre valet en médecin ? » : c’est Sabine qui parle ; – « Où diable trouver ce maroufle à présent ? » : c’est Valère qui parle. La troisième interrogation de notre relevé se distingue des autres pour plusieurs raisons : d’abord, elle est la seule question posée par Sabine ; ensuite, il ne s’agit pas d’une interrogation partielle, mais d’une interrogation totale ne demandant à Valère qu’une adhésion et non une information nouvelle ; enfin, cette question est plus une suggestion soumise à l’approbation de Valère qu’une réelle interrogation. W Les questions, nombreuses dans la scène d’ouverture, ont plusieurs fonctions : – Valère est ici comme un faire-parler : ses questions appellent les réponses de Sabine et permettent ainsi l’exposition des informations. – Valère exprime par ses questions son désarroi face à une situation qui lui échappe : Lucile est sur le point d’épouser Villebrequin. – Le jeu de questions/réponses rend dynamique la scène d’ouverture et on peut même dire qu’il se joue au diapason de la curiosité du spectateur : les interrogations de Valère sont aussi celles du public.

Étudier la progression de l’exposition X À propos des liens entre les personnages :

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Réponses aux questions – 4

Les liens de parenté sont posés. On apprend en effet que Sabine est la cousine de Lucile (son nom ne sera pas prononcé au cours de la pièce) et donc la nièce de Gorgibus. Les liens peuvent aussi être professionnels : Sganarelle est le valet de Valère. Ajoutons ce qui concerne les sentiments : Valère et Lucile s’aiment. Quant à Villebrequin, il n’est pas question de sentiment et on peut supposer que son mariage avec la fille de Gorgibus est une question d’intérêt plus que d’amour. À propos de l’intrigue : Inspirée de la comédie latine autant que de la farce, l’intrigue est centrée sur la question du mariage de Lucile. La jeune fille aime Valère d’un amour réciproque et pourtant son père a décidé de la marier au plus vite avec Villebrequin. Désir et sentiments d’un côté, autorité paternelle de l’autre. C’est le ressort de nombreuses comédies, et il faudra attendre le XVIIIe siècle et Marivaux pour que la question du mariage soit posée différemment. Le conflit des générations et des points de vue sur le mariage (amour contre intérêt, liberté contre autorité) dynamise la pièce et, comme plus tard dans Le Médecin malgré lui, sert de canevas aux scènes comiques. L’urgence de la situation, comme dans L’Amour médecin, oblige la jeune fille à recourir à un stratagème destiné à retarder le mariage fixé, dans l’espoir d’un revirement du père. Lucile (comme Lucinde) est presque séquestrée et il s’agit pour son amant de détourner l’attention du père pour l’approcher malgré l’interdiction. D’où la ruse du médecin, destinée à occuper Gorgibus et à l’amener à placer sa fille dans un lieu (« ce pavillon qui est au bout de notre jardin ») où la rencontre (voire davantage : « vous pourriez l’entretenir à l’insu de notre vieillard, l’épouser ») avec Valère sera possible. at L’exposition consiste également à présenter les personnages au fur et à mesure de leur entrée en scène. Ainsi, lorsque Sganarelle fait son entrée (scène II), il a été présenté à la fin de la scène première comme le valet de Valère que Sabine songe à faire passer pour un médecin. Les derniers mots de la scène commentent son entrée : « Mais le voici tout à propos ». Aucun doute pour le spectateur : le comédien qui entre en scène vêtu d’un costume de valet est au service de Valère et va devoir jouer le rôle d’un médecin. Dans sa tirade de la scène première, Sabine a présenté la feinte maladie de Lucile et le projet de mariage de son père. Elle a aussi expliqué que son oncle l’avait envoyée « quérir un médecin ». Ainsi, lorsque le personnage qui fait son entrée dans la scène III s’exclame : « Allez vitement chercher un médecin ; car ma fille est bien malade, et dépêchez-vous », le public comprend qu’il s’agit de Gorgibus, dont le nom a été prononcé dans la scène II ; il en déduit également que le personnage qui l’accompagne, habillé en valet, est à son service. ak Le mot « médecin », au cœur des trois scènes d’exposition (cf. question précédente), est le premier mot du titre. Le spectateur comprend que l’intrigue va être centrée sur le stratagème du faux médecin destiné à tromper Gorgibus et à faciliter les amours de Valère et de Lucile. al Le titre et son adjectif verbal fantaisiste « volant » continuent de susciter la curiosité des spectateurs car, si l’on a compris que la médecine serait au cœur du stratagème, on ne voit ni comment ni pourquoi Molière va faire voler son faux médecin.

Étudier les personnages am On peut commencer par évoquer le costume de Sganarelle même si aucune indication scénique ne vient le préciser. Le dialogue de la scène II indique clairement la différence de condition sociale des deux personnages présents. Il suffit de considérer les apostrophes : Valère dit familièrement « mon pauvre Sganarelle », alors que ce dernier a recours à plusieurs reprises à un « Monsieur » respectueux. On opposera également le tutoiement de Valère et le vouvoiement de Sganarelle. De plus, Valère se pose dès sa première réplique en homme qui utilise Sganarelle (« j’ai besoin de toi », « il faut s’en servir »)– ce que le valet accepte sans discuter : « Employez-moi ». La présentation qu’il fait de son savoir-faire indique clairement sa condition de domestique : « envoyez-moi voir quelle heure il est à une horloge, voir combien le beurre vaut au marché, abreuver un cheval, c’est alors que vous connaîtrez ce que je sais faire ». Mais ce que désire Valère outrepasse les attributions traditionnelles du domestique : « ce n’est pas cela », dit le maître en réponse aux exemples du savoir-faire de son valet ; « vous vous moquez de moi », dit Sganarelle quand on lui demande de contrefaire le médecin.

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an Le valet au théâtre est un rôle et non une simple imitation de la réalité sociale. Sganarelle, le domestique, ne peut contrefaire le médecin, car ce n’est pas dans ses attributions professionnelles ; mais Sganarelle, le valet de comédie, en est, lui, tout à fait capable comme en témoigne la fin de la scène II. En rapprochant Sganarelle et Gros-René, deux figures du valet de comédie, on peut en déduire quelques caractéristiques du rôle : – Le valet est intéressé. Il suffit en effet à Valère de parler de donner dix pistoles à son valet pour que ce dernier se sente à la hauteur de la mission qu’il avait tout d’abord refusée. Le ressort de l’argent fonctionne de la même manière dans le premier acte du Médecin malgré lui. – Le valet aime profiter de l’existence (valet épicurien) : « je croyais refaire mon ventre d’une bonne carrelure, et m’en voilà sevré », se plaint Gros-René dont le nom même suggère l’appétit. – Le valet peut s’opposer à son maître : « vous vous moquez de moi ! » dit Sganarelle à Valère, qui lui demande d’endosser l’habit de médecin ; « Que diable aussi ! » répond Gros-René à son maître. Et il n’hésite pas à lui montrer ses torts : « Pourquoi vouloir donner votre fille à un vieillard ? » – Le valet peut faire preuve d’autorité (inversion carnavalesque des rôles caractéristique de la culture populaire) : « Laissez-moi faire », « Venez seulement me faire avoir un habit de médecin » (Sganarelle). – Le valet incarne le bon sens populaire ; pour preuve, les remontrances adressées à Gorgibus par Gros-René et les références de Sganarelle aux proverbes : « On dit un proverbe d’ordinaire ». ao Sabine, personnage qui ne réapparaîtra pas dans la suite de la pièce, fait preuve d’ingéniosité car c’est à elle que Valère doit le stratagème du faux médecin. Elle a aussi conseillé à sa cousine de feindre d’être malade pour retarder son mariage avec Villebrequin. Elle est à la fois la confidente de Valère et celle de Lucile – un rôle souvent attribué à la servante dans la comédie. Ici, Sabine fait figure d’entremetteuse – ce qui est aussi un emploi au théâtre. ap Dans la scène première, Gorgibus est présenté comme avare (« l’avarice ») et « crédule » (la crédulité). aq La première réplique de Gorgibus porte toutes les marques de l’insistance : « vitement », « bien », « dépêchez-vous », si bien que l’on pourrait croire le père inquiet de la maladie de sa fille. La seconde réplique de Gorgibus nous montre qu’il n’en est rien. L’inquiétude du « vieillard » ne porte pas sur la santé de Lucile, mais sur l’éventuel retard du mariage fixé. Le père apparaît comme insensible et égoïste, seulement préoccupé de son propre intérêt. Le rapprochement des deux répliques contribue à révéler le caractère du barbon de comédie tout en produisant un effet comique dû à la surprise.

Étudier le genre ar Cette question vise à attirer l’attention des élèves sur la note attachée à la didascalie « galimatias ». Molière ne voit pas la nécessité de développer la réplique de Gros-René et ses considérations sur le mariage ; il compte sur le comédien pour improviser la suite de la réplique. On voit là que le texte est bien destiné à être plus joué que lu et que Molière s’inspire de la commedia dell’arte, le théâtre italien qui accorde une place importante à l’improvisation à partir d’un canevas. as Dans la scène première, le spectateur découvre un Valère désorienté, incapable de résoudre le problème qui le bouleverse. C’est Sabine qui lui conseille le stratagème, le guidant par une interrogation totale (« si vous faisiez habiller votre valet en médecin »). Valère se montre même incapable de trouver son valet (« Où diable trouver ce maroufle à présent ? ») quand Sganarelle fait miraculeusement son entrée. Les scènes première et III montrent également que Gorgibus n’est pas capable de trouver lui-même un médecin pour sa fille. Il confie d’abord cette mission à Sabine (compte-rendu de la scène première), puis à Gros-René (scène III). On pourra approfondir la réflexion sur le repérage des types en insistant sur le fait que le personnage de la comédie ou de la farce est stylisé, caricaturé et qu’en cela il est plus proche d’une marionnette de Guignol que d’un personnage réel. bt On peut relever : – Scène première : « une bonne invention », « contrefait la malade », « qui fût de notre intelligence », « à l’insu de notre vieillard », « si vous faisiez habiller votre valet en médecin », « si facile à duper ». – Scène II : « il faut que tu contrefasses le médecin », « faire le médecin » (2 fois), « se laissera étourdir de ton discours ». bk L’adverbe qui exprime l’autorité de Gorgibus sur sa fille est : « résolument ».

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Réponses aux questions – 6

Les expressions qui insistent sur l’urgence de la situation sont : « tellement avancées », « ils eussent été mariés dès aujourd’hui », « à l’extrémité ». L’adverbe et l’expression de l’urgence créent une tension dramatique qui dynamise l’exposition. Le « dès aujourd’hui » n’est pas sans rappeler la règle de l’unité de temps que Boileau formulera dans son Art poétique en 1674. bl Le registre comique, qui ira en s’intensifiant au cours de la farce, est d’ores et déjà annoncé dans les scènes d’exposition. Plusieurs éléments peuvent être observés : Comique de situation : – l’arrivée opportune, mais peu vraisemblable, de Sganarelle : « Mais le voici tout à propos » ; – les services (l’heure, le prix du beurre…) que Sganarelle propose au regard de ce que le spectateur sait du projet de Valère ; – l’effet inverse que produisent les efforts répétés de Gorgibus pour trouver un médecin : alors qu’il s’agit pour lui de rendre possible le mariage de sa fille avec Villebrequin, il ne fait que faciliter l’amorce du stratagème de Sabine. Le spectateur, au courant de la feinte maladie de Lucile comme de la fourberie prévue, ne peut que rire de l’empressement de Gorgibus dans la scène III. Comique de caractère : – le contraste entre le désarroi de Valère et la maîtrise dont fait preuve Sabine ; – le brusque revirement de Sganarelle dès lors que Valère propose dix pistoles ; – le personnage de Gros-René : son nom associé à son intérêt pour la nourriture.

À vos plumes ! bm On attend des élèves les connaissances et les compétences suivantes : – connaissances : la scène première de la pièce et le stratagème initié par Sabine, la mise en forme (répliques, didascalies) d’une scène de théâtre ; – compétences : insérer un récit dans un dialogue, utiliser à bon escient les didascalies.

L e M é d e c i n v o l a n t , s c è n e s I V à V I I I ( p p . 2 4 à 2 6 )

Avez-vous bien lu ? u C’est Sabine, l’entremetteuse, qui introduit Sganarelle auprès de Gorgibus. v C’est également Sabine qui introduit Lucile. On remarquera que, lorsque Lucile entre en scène, Sabine n’intervient plus. Le stratagème qu’elle a initié est en marche et elle n’a plus sa place dans le mécanisme enclenché. w Suivant le plan de Sabine, Sganarelle propose que Lucile prenne « un peu l’air » et qu’elle se divertisse « à la campagne » (scène V). x L’Avocat se présente comme un ami de la famille de Gorgibus qui a entendu parler de la maladie de Lucile et qui vient prendre des nouvelles.

Étudier la dimension théâtrale y Sabine présente Sganarelle à Gorgibus – ce qui fait que le spectateur n’a aucun doute sur son identité : « Je vous amène le plus habile médecin du monde ». Mais le costume de Sganarelle suffit sans doute à informer le spectateur. En effet, à la fin de la scène II, il en est question lors des préparatifs du stratagème : « Venez seulement me faire avoir un habit de médecin ». Le langage savant de Sganarelle et ses références aux médecins de l’Antiquité, comme Hippocrate ou Galien, sont censés aussi être des signes permettant à Gorgibus de reconnaître en lui un médecin. U La didascalie « Sabine sort et revient » peut être précisée en faisant mention des urines de Lucile que Sabine rapporte selon la demande de Sganarelle. Les répliques elles-mêmes le laissent entendre : « J’ai bien eu de la peine à la faire pisser », « Voilà tout ce qu’on peut avoir ». Dans cette dernière phrase, le présentatif « Voilà » se rapporte explicitement aux urines que Sabine présente au faux médecin. Ainsi, l’on voit que le metteur en scène ne se contente pas de mettre en place les didascalies : sa lecture attentive des répliques lui permet de préciser les mouvements des personnages. De cette façon, il contribue à la création de la pièce. V Dans la scène V, on rencontre différents types de phrases : – phrases déclaratives : « C’est fort bien fait » ;

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– phrases interrogatives : « Y a-t-il quelqu’un qui sache écrire ? » ; – phrases exclamatives : « Tant pis ! » ; – phrases injonctives : « Il faut que je vous fasse une ordonnance ». La diversité des types de phrases contribue à dynamiser le dialogue et à lui donner la souplesse de l’oral. W La diversité des types de phrases est une des marques de l’oral. On y ajoutera : – les interjections : « Hé bien ! », « Ah ! » ; – les apostrophes : « Mademoiselle », « Monsieur » ; – les phrases brèves, voire nominales : « Oui, Monsieur » ; – le présent de l’énonciation : « Sentez-vous de grandes douleurs ? » ; – la construction familière de l’interrogation : « vous êtes malade ? » ; – l’inachèvement marqué par les points de suspension : « J’ai tant d’affaires dans la tête que j’oublie la moitié… ». X Les deux accessoires nécessaires, bien que non mentionnés explicitement, sont un vase contenant les urines de Lucile et une bourse rassemblant l’argent que Gorgibus donne à Sganarelle à la fin de la scène VIII. at Deux passages nous rappellent que Molière s’inspire fortement de la commedia dell’arte et de l’improvisation du théâtre italien : lorsque Gorgibus s’adresse à l’Avocat, au tout début de la scène VII (« Monsieur, votre très humble, etc. »), et, à la fin de la scène VIII, lorsque l’Avocat prend congé de Sganarelle (« Vos heures vous sont précieuses, etc. »). L’auteur confie au comédien le soin de développer lui-même la réplique. ak Les questions précédentes ont permis de mettre en avant la dimension spectaculaire du théâtre. Le texte est destiné à être dit à voix haute, comme le montrent la diversité des types de phrases et la dimension orale des paroles. Il est aussi écrit pour être vu et non lu. On a en effet observé l’importance des déplacements, des costumes et des accessoires. Le comique ne prend sa vraie force que lorsque la pièce est jouée. La part accordée à l’improvisation, dans la tradition de la commedia dell’arte, montre également que le texte n’est pas achevé, mais qu’il trouve son aboutissement dans la représentation, au moment où les comédiens prennent la relève et contribuent à la création de l’œuvre. On pourra montrer aux élèves que, à la différence du roman dont l’auteur est unique, le spectacle de théâtre est le produit d’une création collective : auteur, metteur en scène, comédiens et techniciens. On pourra aussi inviter les élèves à lire la préface de L’Amour médecin.

Étudier le comique de la farce al On rappellera que la farce procède par détournement d’une situation réelle.

Éléments qui appartiennent à une consultation ordinaire Éléments qui appartiennent à une consultation fantaisiste • La progression de la consultation : examen, diagnostic, ordonnance. • L’examen des urines. • Les questions posées à la malade. • Le règlement de la consultation.

• L’examen des urines (Sganarelle les boit). • Les questions posées à la malade n’aboutissent à rien. • Le diagnostic : Lucile est malade. • Le médecin ne sait pas écrire.

am Tout ce qui touche au corps et notamment à ses fonctions sexuelles ou d’élimination est un des ressorts de la farce et, plus généralement, du comique grossier. On retrouve cette dimension scatologique chez Rabelais également et Nicolas Bakhtine (Rabelais et la Culture populaire au Moyen Âge et sous la Renaissance) a bien montré comment cette veine grossière relevait d’un principe d’inversion libérateur : ce que la morale réprime ou dissimule est montré ou accompli. C’est ce qui se passe ici, lorsque Sganarelle boit les urines de Lucile sous prétexte de les examiner : ce qui est rejeté par le corps est ici absorbé. an Lorsque Sabine introduit Sganarelle, elle a largement recours au procédé de l’hyperbole, grâce à différents moyens grammaticaux : – le superlatif relatif : « le plus habile médecin du monde », « les plus beaux secrets » ; – l’accumulation des subordonnées relatives qui viennent apporter des précisions quant aux qualités du médecin : « qui vient des pays étrangers, qui sait les plus beaux secrets, et qui sans doute guérira ma cousine » ; – l’intensif « si » qui permet l’introduction de la consécutive : « il est si savant, que je voudrais de bon cœur être malade afin qu’il me guérît ».

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Réponses aux questions – 8

L’effet produit : ces hyperboles visent à mettre en avant les qualités extraordinaires du prétendu médecin. Il s’agit de persuader Gorgibus de l’accepter pour soigner sa fille. Il s’agit également de faire rire les spectateurs qui connaissent la supercherie : l’hyperbole est une caractéristique de l’éloge, mais aussi de la caricature – et c’est le cas ici. Ces hyperboles sont d’ailleurs reprises par Sganarelle à son compte : plus loin, il se présente comme un médecin hors du commun, pourvu de « talents particuliers ». Bien sûr, on ne peut attendre des élèves de 6e qu’ils identifient eux-mêmes les moyens grammaticaux des hyperboles. Mais une étude en classe à partir du relevé des élèves peut permettre de dégager ces procédés grammaticaux. Cette réplique peut aussi servir de support pour une étude de la caractérisation (adjectifs épithètes et relatives). ao Le comique de la consultation repose également sur le caractère de Gorgibus, personnage « crédule » comme l’avait annoncé Sabine au début de la pièce. Il ne voit pas que Sganarelle est un ignorant, qui ne connaît du latin que ce qu’il a entendu à l’église (« Per omnia sæcula sæculorum ») et qui ne sait même pas écrire (« Y a-t-il quelqu’un qui sache écrire ? »). Parfois – et cela contribue à faire rire le spectateur – Gorgibus semble sur le point de découvrir la supercherie ; mais il se contente de s’étonner sans tirer de ce qu’il constate les conclusions nécessaires : « Hé, quoi ! Monsieur, vous l’avalez ? », à propos des urines ; « Est-ce que vous ne le savez point ? », à propos du fait que le médecin ne sait pas écrire. ap Sganarelle fait rire les spectateurs en se faisant passer pour un médecin, car l’on devine bien qu’il a du mal à combler le fossé qui sépare sa condition de valet de celle d’un médecin. Il énonce des évidences : « une personne ne se porte pas bien quand elle est malade » et donne ainsi l’impression de combler le vide de son ignorance par des paroles qui n’ont pas de signification, soit parce que celles-ci disent ce que tout le monde sait, soit parce qu’elles ne veulent rien dire. Il fait appel, par exemple, au Cid de Corneille ou au latin d’église. Profitant de la naïveté de Gorgibus, il va même dans un jeu de double énonciation (deux sens selon que l’on considère que le père ou le public est le destinataire) jusqu’à révéler la supercherie : « Ne vous imaginez pas que je sois un médecin ordinaire, un médecin du commun » ; « J’ai des talents particuliers ».

Étudier deux images de la médecine aq En incarnant un médecin, Sganarelle donne une image négative de la médecine. On retrouvera les caractéristiques suivantes dans Le Médecin malgré lui, puis dans Le Malade imaginaire : – l’ignorance : les références culturelles de Sganarelle sont incohérentes ; il ne sait pas écrire ; – la prétention : Sganarelle cherche à impressionner son auditoire, quitte à aligner des mots latins qui n’ont rien à voir avec la médecine (le latin d’église) ou qui n’existent pas (« Ficile tantina pota baril cambustibus ») ; – l’incapacité à identifier une quelconque maladie (« Tant pis ! », « C’est fort bien fait ! ») ; les seules vérités qu’il profère sont des évidences d’autant plus amusantes que Lucile n’est pas malade : « votre fille est fort malade » ; – le goût pour l’argent : « Je n’en prendrai pas, je ne suis pas un homme mercenaire. (Il prend l’argent) ». ar Les répliques de l’Avocat sont longues – ce qui témoigne de sa bonne maîtrise de la langue, caractéristique attendue de sa profession. Le vocabulaire qu’il utilise est soutenu, voire technique (« rational ou dogmatique ») ; il maîtrise le latin et se montre capable de citer Hippocrate. as L’Avocat admire les médecins (« cette belle science », « grande louange ») et donne une image positive de la médecine : « tant à cause de son utilité que parce qu’elle contient en elle plusieurs sciences, ce qui rend sa parfaite connaissance fort difficile ». bt L’Avocat maîtrise le langage et se montre capable de tenir de longs discours cultivés et argumentés. Cependant, il n’a pas su déceler l’ignorance de son interlocuteur et tout se passe comme s’il n’écoutait pas ce qu’on lui disait, trop centré sur son propre propos. En effet, lorsque Sganarelle lui répond : « Ficile tantina pota baril cambustinus », il ne s’aperçoit pas que cela ne veut rien dire. Molière fait donc des avocats des hommes savants mais prétentieux et peu soucieux de communiquer, voire peu intéressés par leur entourage et peut-être par les clients qu’ils sont supposés défendre. bk En présentant deux images contradictoires de la médecine, Molière invite le spectateur à s’interroger sur cette profession qu’il met en scène. D’un côté, l’idéal et la théorie formulés par l’Avocat, de l’autre, la réalité de la consultation incarnée par Sganarelle. On peut voir ici une dénonciation soulignée par

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l’écart entre théorie et pratique, ainsi que par le fait que l’Avocat, qui ne s’est pas aperçu de l’ignorance de Sganarelle, ne tient donc aucun compte des faits. On peut aussi penser que Molière a voulu distinguer son médecin de comédie de ce que sont ordinairement les médecins, tels que l’Avocat les présente. C’est l’image que donne Sganarelle qui domine, car l’Avocat s’en va sans s’être aperçu que le médecin auquel il avait tenu son savant discours n’était qu’un valet. bl Les quatre répliques qui suivent le départ de l’Avocat ferment la parenthèse de son intervention savante et déconnectée (de la réalité comme de l’intrigue). Elles ont un effet comique car elles soulignent la naïveté de Gorgibus qui, au lieu de demander à l’Avocat ce qu’il pense du médecin, s’adresse à Sganarelle : « Que vous semble de cet homme-là ? » On retrouve ici le procédé de l’inversion caractéristique de la farce ; c’est en effet Sganarelle qui devient ici le savant : « Il sait quelque petite chose. S’il fût demeuré tant soit peu davantage, je l’allais mettre sur une matière sublime et relevée. »

Lire l’image bm Dans le texte de Molière, rien n’indique que Sganarelle donne à boire à l’Avocat l’urine de Lucile, qu’il a goûtée dans la scène IV. Dario Fo s’autorise cette liberté car Molière envisage le théâtre comme les comédiens italiens et accorde une place à l’improvisation. De plus, le fait de donner à boire de l’urine à l’Avocat relève bien du comique de la farce : répétition de ce qui s’est passé dans la scène III et exagération des contrastes entre le grotesque (l’urine que l’on boit) et le sérieux de l’Avocat. bn L’Avocat est placé au centre de la scène, car c’est son attitude qui est source de comique. Il tient son verre avec délicatesse – ce qui est en opposition avec le contenu. En homme du monde habitué à tenir élégamment un verre, il semble se désintéresser de ce qu’il va boire – ce qui réjouit le spectateur qui guette la réaction du personnage. De chaque côté, les deux personnages, Sganarelle et Gorgibus, adoptent une attitude opposée : Sganarelle semble inviter l’Avocat à boire, tandis que le maître de maison exprime un dégoût mêlé de curiosité. Le geste de ce dernier aurait dû alerter l’Avocat, mais, trop occupé à parler, il ne jette pas un regard à sa gauche.

À vos plumes ! bo Les élèves devront à la fois montrer leur connaissance du dialogue théâtral (forme du texte, oralité, didascalies) et imiter la farce de Molière en transposant le déroulement d’une situation ordinaire (consultation ou leçon) de façon à souligner l’ignorance du spécialiste. On valorisera les copies qui auront su recourir à différents procédés comiques et on pourra proposer aux élèves de mettre en scène ensuite les dialogues qu’ils jugent les plus réussis.

L e M é d e c i n v o l a n t , s c è n e s I X à X V I ( p p . 3 8 à 4 0 )

Avez-vous bien lu ? u Narcisse est le prétendu jumeau de Sganarelle médecin. Il tente de se réconcilier avec son frère. On expliquera aux élèves (voir note) le choix du prénom Narcisse. Sganarelle, valet de Valère, est un ignorant qui ne sait pas écrire (cf. scène V) ; pourtant le prénom qu’il choisit pour son jumeau témoigne d’une certaine culture. On y verra bien sûr un clin d’œil de l’auteur et on pourra montrer que le théâtre n’accorde pas priorité à la vraisemblance. v Gros-René découvre la supercherie de Sganarelle en ramassant la robe de médecin qu’il a laissée tomber à la fin de la scène XV. w Gorgibus, quand il apprend que Sganarelle l’a trompé pour favoriser une rencontre entre Valère et Lucile, menace de pendre Sganarelle : « mais tu seras pendu, fourbe, coquin ! ». x Valère et Lucile viennent demander grâce à Gorgibus, qui leur pardonne la supercherie utilisée pour faciliter leur rencontre et accepte le mariage. y La réplique a est prononcée par Gorgibus, la b par Gros-René et la c par Valère.

Étudier les personnages U Avant Scapin et ses célèbres fourberies, Sganarelle se montre capable de duper Gorgibus pour rendre service à son maître. D’abord, il joue le rôle du médecin prescrivant à Lucile un repos à la campagne ;

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ensuite, quand Gorgibus l’a aperçu sans sa tenue de médecin, il feint d’être Narcisse, son jumeau, pour justifier sa présence et donner à Valère le temps de rencontrer Lucile. V Sganarelle et Gros-René se montrent plus intelligents que leurs maîtres respectifs. Valère se contente de remercier son valet et de louer ses qualités sans faire preuve d’esprit d’initiative, sauf lorsqu’il demande pardon à la toute fin de la pièce. Gorgibus se montre incapable de voir que Narcisse et Sganarelle ne font qu’un. Gros-René est plus fin que son maître car il a très rapidement des doutes quant à l’histoire des jumeaux imaginée par Sganarelle : « il faut que je demeure ici, et que je voie à quoi tout cela aboutira ». Il pousse Gorgibus à mettre Sganarelle en difficulté pour le démasquer : « Ma foi, ils ne sont qu’un ; et pour vous le prouver, dites-lui un peu que vous les voulez voir ensemble. » À la fin, c’est Gros-René qui, ayant ramassé la robe de médecin, révèle la fourberie : « Voilà le coquin qui faisait le médecin ». Mais l’intelligence de Gros-René n’est pas aussi aiguisée que celle de son collègue Sganarelle, puisqu’il se laisse prendre un moment à son jeu habile : « Ah ! par ma foi, il est sorcier ». Sganarelle, quant à lui, fait preuve d’inventivité et de réactivité dans sa fourberie. Il a toujours réponse aux demandes que Gros-René souffle à Gorgibus. W Gorgibus est un personnage plutôt sympathique et on a tendance à oublier son intention de marier sa fille à Villebrequin, car il n’est rapidement plus question de ce dernier. On le voit même tenter de réconcilier Sganarelle et son prétendu jumeau Narcisse : « Je vous cherchais partout pour vous dire que j’ai parlé à votre frère. Il m’a assuré qu’il vous pardonnait. » À la fin de la pièce, après avoir demandé la pendaison de Sganarelle, il finit par accepter sans difficulté le mariage de Valère et de Lucile. Ses dernières paroles – il a le dernier mot – marquent son bon caractère : « Je vous pardonne, et suis heureusement trompé par Sganarelle, ayant un si brave gendre ». La pendaison annoncée est heureusement remplacée par un festin : « Allons tous faire noces et boire à la santé de toute la compagnie ».

Étudier un jeu de scène X Pour jouer le passage du « médecin volant », il est nécessaire de disposer comme décor de la façade d’une maison avec une fenêtre suffisamment haute pour parler de « médecin volant », mais tout de même accessible, car Sganarelle doit pouvoir entrer et sortir de la maison par là. Un personnage doit pouvoir se tenir à cette fenêtre. Une porte est aussi nécessaire car Gorgibus, quant à lui, entre dans sa maison par la porte. at L’histoire des jumeaux est l’occasion d’un enchaînement de jeux de scène : – Sganarelle entre et sort de la maison avec ou sans sa robe de médecin, selon qu’il est le médecin ou son jumeau : scènes XI et XII ; – Sganarelle entre et sort de la maison en passant par la fenêtre. Le mouvement est synchronisé comme dans une sorte de ballet avec les déplacements de Gorgibus : « Gorgibus sort de sa maison par la porte et Sganarelle par la fenêtre » ; – Sganarelle et Narcisse se montrent tous les deux à la fenêtre : « il embrasse son chapeau et sa fraise, qu’il a mis au bout de son coude ». ak Les jeux de scène sont de plus en plus serrés car Sganarelle, surveillé par Gros-René, est sans cesse sur le point d’être démasqué. Pour poursuivre sa fourberie, il doit donc inventer des ruses toujours plus sophistiquées : passer par la fenêtre en même temps que Gorgibus entre dans la maison par la porte, se montrer comme deux personnages distincts en posant un chapeau sur son coude. Parler comme deux personnages distincts ne suffit pas : Sganarelle finit par apparaître comme deux. Les jeux de scène sont donc de plus en plus élaborés et nécessitent une dextérité grandissante de la part du comédien. Cette progression des jeux de scène a un effet comique. al Le comédien qui joue Sganarelle doit avoir des qualités physiques lui permettant de devenir « volant » en passant par la fenêtre ; il doit aussi être habile comme un mime en posant son chapeau sur son coude pour donner l’impression qu’il est double. Par ailleurs, il doit être capable de jouer deux rôles à la fois en modifiant les intonations de sa voix. Ces qualités, et notamment les acrobaties, rappellent l’inspiration italienne de Molière : elles ressemblent en effet aux lazzi des valets de la commedia dell’arte. am Le don d’ubiquité dont fait preuve Sganarelle dans la scène XIV explique le titre de la pièce. Le personnage, tantôt médecin, tantôt Narcisse, passe par la fenêtre et donne l’impression ainsi qu’il a le pouvoir de voler d’un endroit à un autre.

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Étudier le théâtre dans le théâtre an Le comédien qui joue Sganarelle tient trois rôles différents : – le valet de Valère portant une livrée de domestique ; – le médecin en robe de médecin ; – Narcisse, vêtu comme le valet de Valère. ao Le costume permet au spectateur de distinguer les personnages. Lorsque Sganarelle joue son rôle de valet de Valère, il s’adresse à son maître, qui fait une brève apparition sur scène (scène XIII). « Rangés », « rangés », « entrés », « réservé », « arrêtés » sont des participes passés conjugués avec l’auxiliaire être : ils s’accordent avec le sujet. Le jeu du comédien (ton, démarche…) doit faire entendre la différence de personnage, notamment dans les passages où Narcisse et le médecin se partagent une même réplique (« — Monsieur mon frère… — Tais-toi, te dis-je »). ap Gorgibus et Gros-René sont les spectateurs du jeu de théâtre dans le théâtre. Le premier adhère à la supercherie, tandis que le second cherche à trouver les ficelles de la scène qui lui est jouée. Ces deux personnages représentent d’une certaine manière le public et incarnent ses attentes en demandant au comédien des prouesses de plus en plus grandes, proches de la magie, comme en témoigne le substantif « sorcier » dans la bouche de Gros-René. aq La finalité des scènes de théâtre dans le théâtre, centrées sur les prouesses du « médecin volant », est bien entendu de faire rire le spectateur, qui en a presque perdu le fil de l’intrigue – intrigue rapidement dénouée dès lors que Gros-René a ramassé la robe du médecin. Mais la cohérence de la pièce suppose que ce passage, typique de la farce et de la commedia dell’arte, soit malgré tout justifié par l’intrigue. Telle est la fonction des scènes X et XIII, deux scènes faisant intervenir Valère, le personnage au cœur du stratagème. Dans la scène X, Sganarelle, après avoir fait un compte-rendu de la première ruse, aperçoit Gorgibus. Il ne porte pas sa robe de médecin et, n’étant pas connu comme valet de Valère, il doit justifier sa présence dans la maison de Gorgibus. Il s’agit aussi d’occuper le père de Lucile, tandis que Valère parle à la jeune fille. C’est ce qui est repris dans la scène XIII : « Sans une invention que j’ai trouvée, toute la mèche était découverte ».

Étudier le dénouement ar L’événement qui déclenche le dénouement est la découverte de la supercherie de Sganarelle par Gros-René : « Voilà le coquin qui faisait le médecin et qui vous trompe ». Cet événement est préparé par les doutes que le valet de Gorgibus exprime, avant même que Sganarelle ne devienne le « médecin volant ». Sceptique quant à l’histoire des jumeaux, il se pose en observateur et en critique : « comment diable on saute ici par les fenêtres ! Il faut que je demeure ici, et que je voie à quoi tout cela aboutira ». Par la suite, il pousse Gorgibus à demander au faux médecin de se montrer en compagnie de son frère – ce qui alimente le comique et prépare le moment où il ramassera la robe de médecin. as Le coup de théâtre final est le retour de Valère et de Lucile qui demandent pardon à Gorgibus. Cet événement, qui n’était pas prévu dans le stratagème de Sabine, marque un revirement. Le mensonge et la tromperie font place à la transparence et à l’honnêteté. Cet aveu (demander pardon suppose que l’on a commis une faute) entraîne le revirement de Gorgibus : il n’est plus question de marier de force Lucile au vieux Villebrequin ni de pendre Sganarelle le fourbe : « Je vous pardonne, et suis heureusement trompé par Sganarelle, ayant un si brave gendre ». bt Gorgibus change d’avis car il semble convaincu par les arguments de Sganarelle : – « C’est un parti sortable pour elle, tant pour la naissance que pour les biens » ; – « Ne faites pas un vacarme qui tournerait à votre confusion ». Il se montre également sensible au revirement de Valère et de Lucile, qui viennent demander pardon. En réalité, il s’agit pour Molière de terminer la farce rapidement car l’intérêt des spectateurs ne porte pas sur une intrigue, qui n’est que l’armature nécessaire aux scènes comiques : celles de la consultation fantaisiste et du « médecin volant ». Sganarelle ayant été démasqué, le comique n’a plus sa place et la morale reprend ses droits, comme pour sauver les apparences après un temps où primaient fourberie et mensonge. On pourra s’étonner de ce revirement soudain de Gorgibus que l’on a vu au tout début de la pièce peu soucieux du bonheur de sa fille. Après ne s’être inquiété de la santé de sa fille qu’en pensant à son mariage avec Villebrequin, le voilà qui pardonne aux jeunes gens. Crainte de la « confusion » dont parle

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Sganarelle, c’est-à-dire du qu’en-dira-t-on ? Peut-être. Mais ne cherchons pas trop la vraisemblance dans une pièce qui met en scène des personnages-types et ne vise au fond qu’à distraire le spectateur. bk Dans la première phrase, les 1re et 2e personnes sont distinguées : un pronom personnel sujet « je » et « vous », un COS du verbe « pardonner ». Dans la deuxième phrase, les deux personnes sont réunies dans l’impératif « allons », qui marque la réconciliation des personnages. On voit ainsi que Gorgibus (sujet « je ») a le pouvoir de décision qui correspond à son rôle de chef de famille et que les deux jeunes gens (complément d’objet) sont soumis à son autorité. La 1re personne du pluriel qui clôt la pièce, marque la fin du conflit : l’intrigue est dénouée.

Lire l’image bl Les personnages sont nombreux sur scène et ils sont tous en mouvement. Tout l’espace est occupé : à gauche et à droite, au premier et au second plan, au-dessus de la scène (au bout de la corde). Les positions des personnages sont variées et tous bougent. On pourra opposer le personnage replié, à genoux à droite, et celui qui vole. Un personnage apparaît de dos – ce qui manifeste le grand désordre de la scène, tout étant ordinairement fait pour que les spectateurs puissent voir l’expression des visages. Cette désorganisation de l’espace et des mouvements exprime le vent de folie qui souffle sur la pièce à la fin. On retrouve bien là les lazzi de la commedia dell’arte.

À vos plumes ! bm On attend des élèves : – une maîtrise de la forme théâtrale du dialogue, et on valorisera les devoirs qui auront accordé une place importante aux didascalies ; – la mise en place du décor nécessaire au double rôle ; – un jeu de scène ; – la construction d’une intrigue (avec prise en compte de la « bêtise »).

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Avez-vous bien lu ? u Les propositions justes sont : a, d, e, f. v M. Guillaume suggère à Sganarelle d’acheter « une belle tenture de tapisserie de verdure ou à personnages » pour chasser la mélancolie de Lucinde. M. Josse conseille « une belle garniture de diamants, ou de rubis, ou d’émeraudes ». Quant à Aminte, elle propose une troisième solution : « je la marierais fort bien, et le plus tôt que je pourrais, avec cette personne qui vous la fit, dit-on, demander, il y a quelque temps ». Selon Sganarelle, les trois avis, comme celui de Lucrèce qui voudrait hériter de son oncle, sont intéressés. M. Guillaume et M. Josse sont respectivement vendeur de tapisserie et orfèvre. Quant à Aminte, elle aurait des vues sur le jeune homme qui a « quelque inclination » pour Lucinde. w Lucinde est mélancolique, car elle est amoureuse d’un jeune homme qui semble l’aimer aussi, bien qu’il n’ait pu lui avouer sa passion. Mais elle sait que son père est opposé à tout mariage et qu’il ne sert à rien de lui en parler. x Sganarelle ne veut pas que Lucinde épouse le jeune homme qu’elle aime, car il ne veut pas qu’elle se marie avec qui que ce soit. Il tient à garder sa fille pour lui. On apprend, dans la scène première, de la bouche d’Aminte, que Lucinde a déjà été demandée en mariage et l’on devine que Sganarelle a refusé cette demande.

Étudier la préface et le prologue y La pièce, commandée par le roi, est destinée à le divertir comme l’indique d’emblée la préface : « un petit impromptu dont le Roi a voulu se faire un divertissement ». Cette fonction est rappelée dans le prologue : « pour donner du plaisir au plus grand roi du monde ». On notera que la portée satirique n’est pas évoquée, peut-être pour ne pas mettre en avant une critique qui porte sur certains médecins protégés du roi, certainement parce que cette fonction critique est secondaire par rapport à la dimension spectaculaire de la pièce.

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U Molière s’associe au compositeur Lully, comme il le fera, en 1670, pour le célèbre Bourgeois gentilhomme. V Le théâtre est destiné à être représenté et la lecture n’est qu’un pis-aller, comme l’indique clairement la préface. Tout a pour fin le spectacle et l’auteur ne vise pas l’éternité d’une œuvre, mais la réussite ponctuelle d’un spectacle « chez le Roi ». « On sait bien que les comédies ne sont faites que pour être jouées », lit-on également. Et les comédies sont jouées pour divertir : « Il se vient quelquefois délasser parmi nous. »

Étudier l’exposition de la pièce : les scènes première à 3 W On voit dès la première scène que Sganarelle est un personnage important et que les autres ne sont là que pour le mettre en relief : – Sganarelle est, des cinq personnages, celui qui parle le plus. Ses répliques sont beaucoup plus longues que celles des autres personnages. – Sganarelle est le seul à présenter une situation difficile, susceptible de déclencher une intrigue : il a perdu sa femme et s’inquiète de la mélancolie de sa fille. – Les quatre autres personnages occupent un rôle identique : tous les quatre en effet proposent chacun leur tour une solution, qui s’avère être un conseil intéressé. – Sganarelle se montre plus intelligent que les autres personnages car il perce leurs stratagèmes respectifs. X La première scène nous informe de la situation de Sganarelle, qui vient de perdre sa femme et à qui il ne reste plus qu’une fille. Cette dernière est « dans une mélancolie la plus sombre du monde, dans une tristesse épouvantable, dont il n’y a pas moyen de la retirer ». Cette grande tristesse de Lucinde est cause d’un grand désarroi chez son père, Sganarelle, qui cherche une solution : « j’aurais besoin d’un bon conseil sur cette matière ». at Dans la première scène, Sganarelle est présenté comme un personnage malheureux et intelligent. D’une part, il se lamente parce qu’il a perdu sa femme et parce que sa fille est atteinte d’une profonde mélancolie. D’autre part, il comprend sans mal les réelles intentions des quatre personnages qui lui donnent des conseils et il connaît bien les sentiments de son entourage. Ainsi, il sait que sa nièce cherche à hériter de sa fortune et que sa voisine est amoureuse d’un jeune homme qui a « quelque inclination » pour sa fille. Le spectateur ne peut trouver le personnage entièrement positif ou digne de pitié. Faisant mention d’un jeune homme qui a « quelque inclination » pour sa fille, il n’établit pas de lien avec la tristesse de sa fille, lui qui se montre capable de comprendre les sentiments secrets de sa voisine. De plus, lorsqu’il évoque sa femme, il en parle comme s’il s’agissait d’un bien : « Je n’avais qu’une seule femme qui est morte ». Il rappelle également ce qui se passait avant ce décès : « Je n’étais pas fort satisfait de sa conduite » ; « Si elle était en vie, nous nous querellerions ». ak La scène 2 vient compléter et nuancer les informations données dans la première scène : – On apprend la cause de la mélancolie de Lucinde par le signe d’acquiescement qu’elle fait à la fin de la tirade de Sganarelle, quand celui-ci lui demande : « Aimerais-tu quelqu’un et souhaiterais-tu être mariée ? » – On voit Sganarelle afficher son inquiétude pour sa fille et sa sollicitude : « je te promets que je ferai toutes choses pour toi ». Cependant, on devine qu’il ne veut pas comprendre le signe de Lucinde (« Lucinde lui fait signe que c’est cela ») – ce qui est confirmé dans la scène suivante lorsqu’il s’emporte et tente de clore la discussion : « c’est une coquine qui me fait enrager ». al La scène 2 est brève et allusive. Le théâtre ne peut se contenter d’esquisser les informations, car il faut s’assurer que les spectateurs aient tous bien compris les tenants et aboutissants de l’intrigue. La scène 3 a donc pour fonction d’expliciter ce qui était rapidement brossé dans la scène 2. Lisette intervient pour formuler clairement la cause de la mélancolie de Lucinde : « C’est un mari qu’elle veut ». À des fins comiques, mais aussi informatives, le mot « mari » est martelé – ce qui fait davantage ressortir l’obstination d’un Sganarelle enfermé dans son égoïsme : en réponse au mot « mari », Sganarelle ne peut que répéter : « Ne m’en parlez point ».

Étudier la mise en place du stratagème am Lucinde avoue son amour pour l’« inconnu » mentionné par Lisette dans la réplique qui va de « Peut-être n’est-il pas honnête… » (l. 157) à « toute cette tendresse » (l. 166).

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Le champ lexical de l’amour se compose, dans cette réplique, des termes suivants : « passion », « tendrement », « cœur », « sensible », « ardeurs », « tendresse ». L’amour est souligné par des procédés grammaticaux, tel l’intensif si (« si tendrement », « si honnête homme ») qui introduit une subordonnée consécutive (« que mon cœur n’a pu s’empêcher d’être sensible à ses ardeurs »). On ajoutera des procédés stylistiques : l’aveu souligné (« peut-être n’est-il pas honnête à une fille de s’expliquer si librement » ; « mais enfin, je t’avoue »), le doublement des éléments (« aucune conversation » / « sa bouche ne m’a point déclaré la passion », « ses regards et ses actions »), le contraste entre la passion du jeune homme et l’intransigeance du père (« la dureté de mon père » / « toute cette tendresse »). an Les interrogations rhétoriques sont nombreuses dans les répliques de Lucinde ; elles expriment sa détresse face à « la dureté de [s]on père », « inexorable », ainsi que son incapacité à trouver des solutions. Tout se passe en effet comme si les dés étaient lancés et que rien ne pouvait arrêter le cours « inexorable » des choses. En un sens, les héroïnes de comédie sont des avatars de leurs sœurs tragiques : elles ne font pas rire et expriment leur souffrance, leur enfermement dans un destin tracé par les pères et les règles de la société. Les propos de Lucinde pourraient en effet être entendus dans la bouche d’une héroïne tragique : « Crois-tu que je n’aie pas bien prévu tout ce que tu vois maintenant ? » On peut relever les interrogations suivantes : « Hélas, de quoi m’aurait servi de te le découvrir plus tôt ? et n’aurais-je pas autant gagné à le tenir caché toute ma vie ? » La suite de cette réplique contient une troisième interrogation rhétorique. On peut aussi retenir un peu plus loin : « Mais que veux-tu que je fasse contre l’autorité d’un père ? » ao Lucinde est, dans la tradition des jeunes filles amoureuses chez Molière, incapable de se débrouiller seule. Muette lorsqu’il s’agit d’affronter son père, elle se contente de lui répondre par un signe à la fin de la scène 2. Dans la scène 3, ses répliques sont de plus en plus courtes : l’apostrophe « mon père », qui est presque une supplication, fait place à un « mais » proche d’une interjection. Finalement, la jeune fille se tait et laisse parler. Dans la scène 4, elle se lamente auprès de Lisette et l’interjection « Hélas », qu’elle utilise pour accompagner l’interrogation rhétorique « de quoi m’aurait servi de te le découvrir plus tôt ? », exprime sa plainte. Pour elle, aucune solution n’est possible et l’avenir est définitivement fermé : « le tenir caché toute ma vie », « étouffé dans mon âme toute sorte d’espoir », « s’il est inexorable à mes vœux… ». La répétition hyperbolique du « tout » scande les propos de Lucinde, exprimant la violence de son désespoir. ap Le monologue de la scène 5 révèle les raisons pour lesquelles Sganarelle s’oppose au mariage de sa fille avec le jeune homme qu’elle aime. Ce n’est pas, comme dans Le Médecin malgré lui ou Le Malade imaginaire, qu’il a retenu un autre prétendant pour Lucinde. Il s’oppose à la « coutume » du mariage, dans laquelle il voit un assujettissement à une convention sociale qui lui semble ridicule : « A-t-on jamais rien vu de plus tyrannique que cette coutume où l’on veut assujettir les pères ? » Mais si, dans Le Jeu de l’amour et du hasard de Marivaux, Silvia remet en cause l’institution même du mariage, Sganarelle ici ne se situe pas sur ce terrain critique. Par deux fois, il associe sa fille et ses biens : « amasser du bien avec de grands travaux et élever une fille avec beaucoup de soin et de tendresse », « mon bien et ma fille ». La coordination et le parallélisme syntaxique expriment la véritable raison du refus de Sganarelle : il considère que sa fille lui appartient au même titre que la fortune qu’il a amassée. Il ne veut céder ni l’un ni l’autre et on peut comprendre aussi qu’il ne veut pas d’un mariage qui lui ôterait sa fille et une partie de son argent (la dot). aq Au début de la scène 3, Lisette est au service de Sganarelle, puisqu’on la voit qui se propose pour l’aider à connaître la cause de la mélancolie de Lucinde : (« Monsieur, laissez-moi faire, je m’en vais la sonder un peu »). Cependant, dès qu’elle comprend que Sganarelle ne veut pas écouter les sentiments de sa fille, elle se met au service de Lucinde. On le devine, dans la scène 3, lorsqu’elle répète le mot « mari » que Sganarelle refuse d’entendre. La scène 4 explicite ce revirement et montre clairement la position de la servante : « voilà un vilain homme, et je vous avoue que j’aurais un plaisir extrême à lui jouer quelque tour ». Elle devient là pleinement servante de comédie. Elle affirme son autorité (principe de l’inversion de la comédie : « laissez-moi faire » ; « je prends, dès à présent, sur moi tout le soin de ses intérêts ») et elle joue

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auprès de la jeune fille le rôle de la mère absente (« Allez, allez, il ne faut pas se laisser mener comme un oison » ; « on peut se libérer de la tyrannie d’un père »). Mais, si elle va servir les intérêts de sa maîtresse, c’est aussi pour le plaisir de la fourberie, autant dire pour les nécessités théâtrales du comique. ar Scène 6, Lisette met en place la première étape d’un stratagème pour tromper Sganarelle et rendre possible le mariage de Lucinde avec le jeune « inconnu ». Cette fourberie sera dévoilée au fur et à mesure. Dans l’acte I, le stratagème est simplement annoncé, mais le spectateur n’en connaît pas le déroulement et il ne sait pas encore comment Lisette va s’appuyer sur la fausse nouvelle de la maladie de Lucinde. L’effet d’attente maintient l’attention du public. Avec l’accord implicite de Lucinde (la jeune fille n’a pas exprimé d’opposition au projet de Lisette), Lisette joue sur les sentiments que Sganarelle éprouve pour sa fille et lui fait comprendre qu’il pourrait la perdre. Désespérée d’être reniée par son père (il n’est pas question ici de son amour interdit), la jeune fille serait sur le point de mourir. Elle insiste sur l’urgence de la situation : « je crois qu’elle ne passera pas la journée ». La dernière réplique de l’acte I marque l’aboutissement de cette première étape : Sganarelle demande qu’on « aille quérir des médecins, et en quantité ».

Étudier le comique as Entrecoupé par les répétitions (« Lisette ») et les exclamations qui expriment toute l’inquiétude de Sganarelle (« Hé bien ? » ; « Elle s’est jetée ? » ; « Ah, ma fille ! »), le récit de Lisette crée une tension dramatique qui, parce que le spectateur est au courant de l’existence d’un stratagème, a un effet comique. Différents procédés créent l’attente : – l’accumulation des exclamations nominales : « Ah ! malheur ! Ah ! disgrâce ! » ; « Ah ! misérable père ! » ; « Ma pauvre maîtresse ! » ; « Quelle infortune ! » ; « Quel accident ! » ; « Quelle fatalité ! » ; – les répétitions de « Monsieur » ; – le développement du groupe nominal centré sur le substantif « fille » : « Votre fille toute saisie des paroles que vous lui avez dites, et de la colère où elle vous a vu contre elle ». Participe passé accompagné d’un double complément d’agent (« paroles », « colère »), deux subordonnées relatives : tels sont les procédés grammaticaux qui viennent amplifier le nom « fille » et ralentir la progression de l’histoire ; – l’accumulation des hypothèses tragiques : « a ouvert la fenêtre qui regarde sur la rivière » suggère à la fois défenestration et noyade ; – les rebondissements : la jeune fille ne s’est pas jetée par la fenêtre, mais elle n’est pas sauve pour autant puisque « le cœur lui a manqué ». Et si on l’a « fait revenir », elle n’en est pas non plus quitte puisque « cela lui reprend de moment en moment ». bt Plusieurs passages peuvent être évoqués : – Scène première : quatre personnages interviennent successivement pour donner des conseils variés à Sganarelle, qui ensuite démasque les avis intéressés. Le comique repose ici sur l’accumulation, la répétition et le revirement. Il contribue à dédramatiser la situation tragique que présente Sganarelle quand il évoque la mort de sa femme et la mélancolie de sa fille. – Scène 3 : dans le prolongement de la scène 2, le refus de Sganarelle d’entendre la volonté de sa fille est comique tant il est exagéré. Les stichomythies à la fin de la scène ainsi que les répétitions (« Un mari », « Ne m’en parlez point ») participent à ce comique. – Scène 5 : le spectateur rit au récit de Lisette et à l’inquiétude de Sganarelle car, d’une part, il sait que le premier est faux et, d’autre part, que le père de Lucinde, homme égoïste, ne mérite pas sa pitié. Les nombreux rebondissements du récit qui orientent le public sur de fausses pistes (la fenêtre et la rivière) participent également au comique. bk Dans le prolongement de la question précédente, cette question permet d’insister sur le fait que le théâtre est destiné à être représenté. Le travail demandé suppose analyse et imagination. Les élèves pourront s’appuyer sur l’une des trois scènes (première, 3 ou 5) présentées dans la réponse précédente. – Scène première : on peut imaginer une sorte de ballet des quatre personnages s’avançant successivement pour parler à Sganarelle ou l’encerclant. On pourra imaginer des didascalies comme « s’avançant à son tour ». – Scène 3 : Lucinde étant incapable d’affronter son père, on pourra préciser qu’elle se bouche les oreilles pour ne pas entendre les propos de son père en colère. Quant à Lisette, qui répète « un mari » et qui aura le dernier mot, sans doute parle-t-elle de plus en plus fort et tourne-t-elle autour de son maître pour le faire enrager. On peut imaginer même à la fin qu’elle finit par le frapper. L’inversion des

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statuts sociaux est un des ressorts traditionnels de la farce et de la comédie. Autres suggestions : Lisette peut se placer devant Lucinde pour la défendre et parler en son nom ; Sganarelle, entre les deux femmes, tourne la tête à droite et à gauche, selon qu’il parle à l’une ou à l’autre. Les mouvements et les gestes, exagérés ou répétés, sont source de comique. – Scène 5 : on insistera sur le ton des répliques et sur les gestes de désespoir qui peuvent accompagner les paroles de Sganarelle, quand il presse Lisette de lui dire ce qui se passe.

Comparer L’Amour médecin et Le Médecin volant bl Sganarelle correspond à Gorgibus : tous deux s’opposent au mariage de leur fille, sont naïfs et seront trompés par des valets. Lucinde correspond à Lucile : toutes deux sont amoureuses d’un jeune homme que leur père refuse ; toutes deux ne sont pas capables de se débrouiller seules et, suivant les conseils de Sabine ou de Lisette, vont feindres d’être malades. Lisette correspond à Sabine : toutes deux interviennent pour mettre en place un stratagème destiné à rendre possible le mariage de la jeune fille avec le garçon qu’elle aime. Lisette n’est pas non plus sans rappeler Sganarelle, le valet débrouillard de Valère, qui va gagner en autonomie tout au long du Médecin volant, Sabine s’étant effacée, une fois le stratagème lancé. bm Les deux intrigues sont centrées sur la question du mariage d’une jeune fille avec le jeune homme qu’elle aime. L’amour est réciproque et seul le père, égoïste, constitue un obstacle qu’il va falloir surmonter ou contourner. Ce thème du mariage contrarié par l’autorité d’un père (le barbon) est au cœur de la comédie latine dont Molière hérite. Dans les deux pièces, ce sont les valets, Sganarelle et Lisette, qui interviennent pour résoudre le problème. Dans Le Médecin volant, Sganarelle, guidé au départ par Sabine, feint d’être médecin pour permettre à Valère de rencontrer Lucile au bout du jardin. Dans L’Amour médecin, Lucinde doit aussi feindre d’être malade (cf. acte III) et c’est le jeune homme lui-même qui se fera passer pour un médecin. bn Obstinés et autoritaires, les pères des deux pièces s’opposent au mariage désiré par leur fille. Mais leurs raisons diffèrent : Gorgibus a prévu de marier Lucile à Villebrequin, un « vieillard », dont elle ne veut pas ; Sganarelle, lui, considère que sa fille fait partie de ses biens et ne doit pas lui échapper : « je veux garder mon bien et ma fille pour moi ».

À vos plumes ! bo Il s’agit là de composer un récit en jouant sur les registres. L’hyperbole, qui peut être un des moteurs du dramatique comme du pathétique, sera ici poussée à l’extrême de façon à créer un effet comique. On valorisera les récits qui auront su créer, à l’instar de la scène 6, de fausses pistes.bp Ce sujet est un travail de réécriture qui demande de passer du récit à une scène de théâtre dont la fonction sera informative (le récit inséré) et comique. On valorisera les devoirs qui auront su utiliser les didascalies pour imaginer un jeu de scène ou simplement préciser déplacements et ton des personnages.

L ’ A m o u r m é d e c i n , a c t e s I I e t I I I ( p p . 9 2 à 9 4 )

Avez-vous bien lu ? u L’acte II comprend 7 scènes et l’acte III 8 scènes. v Dans l’acte II, Sganarelle apparaît dans 6 scènes et, dans l’acte III, il est présent dans 5 scènes – ce qui fait 11 scènes au total. w La scène 6 de l’acte II est un court monologue de Sganarelle. On veillera à ce que les élèves fassent bien la différence entre une tirade (dans la scène première de l’acte III notamment) et un monologue. x a) Sganarelle ; b) Tomès ; c) Maroton ; d) Clitandre en médecin ; e) M. Filerin. y Clitandre est le jeune homme dont Lucinde est amoureuse. Il se fait passer pour un médecin sur les conseils de Lisette.

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Le Médecin volant – L’Amour médecin – 17

U Clitandre est accompagné d’un notaire qui se fait passer pour un apothicaire. V C’est Lisette qui apprend à Sganarelle qu’il a été trompé.

Étudier les personnages W Dans la géométrie de la comédie, Clitandre est l’équivalent masculin de Lucinde ; il est le jeune homme amoureux dont le mariage est compromis par l’obstination égoïste du père de la jeune fille. Dans Les Fourberies de Scapin, ce jeune homme s’appelle Léandre ou Octave : il est amoureux et incapable de se débrouiller. Dans L’Amour médecin, Valère a plus de caractère ; il endosse même le rôle du médecin pour parvenir à duper le barbon. Même s’il consulte Lisette, la meneuse de jeu (« me trouves-tu bien ainsi ? »), avant de se lancer dans la comédie, il se montre capable d’initiatives et, à la différence de l’amoureux dans Le Médecin volant ou dans Le Médecin malgré lui (se faisant passer pour un apothicaire et non pour un médecin, il n’a pas un grand rôle), il ne regrette rien et ne vient pas demander pardon à la fin. X Dans l’acte III, Lisette, après s’être moquée des médecins dans la scène 2 de l’acte II, joue un rôle moteur dans les scènes qui conduisent au mariage de Lucinde. Elle vérifie que Clitandre est à même de jouer le rôle qu’elle lui a attribué : « Hé bien, Lisette, me trouves-tu bien ainsi ? » demande le jeune homme avant d’entrer en scène déguisé en médecin. Ensuite, c’est Lisette qui vante à Sganarelle les qualités du médecin qu’elle lui amène. Après les avis contradictoires des quatre médecins qui sont intervenus dans l’acte II, Sganarelle est disposé à écouter un avis éclairé : « Je vous amène un médecin : mais un médecin d’importance, qui fait des cures merveilleuses, et qui se moque des autres médecins. » Dans la scène 6, lorsque Sganarelle s’interroge sur l’attitude de Clitandre, elle s’empresse de le rassurer : « Il faut s’éloigner : un médecin a cent choses à demander, qu’il n’est pas honnête qu’un homme entende » ; « C’est qu’il observe sa physionomie et tous les traits de son visage ». Enfin, à la toute fin de la pièce, c’est Lisette qui révèle à Sganarelle la fourberie dont il a été dupe : « Ma foi, Monsieur, la bécasse est bridée, et vous avez cru faire un jeu, qui demeure une vérité. » at Lisette, comme on l’a vu, est débrouillarde et fourbe : c’est elle qui est à l’origine du stratagème joué par Clitandre et c’est elle qui en guide le déroulement jusqu’au dévoilement final. Toinette ne sera pas différente dans Le Malade imaginaire. Lisette a aussi toute l’effronterie de la servante de comédie et elle n’hésite pas à se montrer insolente avec les médecins qui appartiennent pourtant à une couche plus élevée de la société. C’est la fonction de la scène 2 : « Un insolent, qui a eu l’effronterie d’entreprendre sur votre métier et qui, sans votre ordonnance, vient de tuer un homme d’un grand coup d’épée au travers du corps. » Enfin, elle a l’allant de son rôle, comme en témoigne la scène IV, où elle prépare l’arrivée de Clitandre déguisé en médecin. ak Sganarelle se montrait perspicace dans la première scène de la pièce, lorsqu’il mettait au jour les intentions cachées de ceux qui lui donnaient des conseils. Cependant, dans la suite de la pièce, dès lors que Lisette lui raconte la soudaine maladie de sa fille, il redevient le barbon crédule que tous s’appliquent à duper et que Molière a si souvent mis en scène dans ses comédies. Dans l’acte II, il ne remet pas en cause les quatre médecins venus donner leur avis, mais finit par prendre ses distances vis-à-vis d’eux en choisissant un remède populaire : l’orviétan. C’est dans l’acte III que sa naïveté se manifeste avec le plus d’évidence, lorsqu’il prend Clitandre pour un médecin et ne s’interroge pas sur la comédie du mariage destinée à guérir Lucinde. Sa naïveté est soulignée par le fait qu’il participe lui-même à cette comédie destinée – croit-il – à lui garder sa fille. Il insiste même pour que tout soit fait dans les formes et c’est lui qui demande le contrat : « il faut faire un contrat pour ces deux personnes-là. Écrivez. » Ainsi, dans la tradition de la comédie et de la farce, Sganarelle est dupé afin que le mariage des jeunes gens amoureux se fasse. al Sganarelle, qui tient à garder sa fille pour lui, est prêt à la tromper pour parvenir à ses fins. On le voit même se réjouir de cette folie soudaine qui la maintient en vie à ses côtés, comme un de ses biens. En effet, on l’entend s’écrier : « Oh la folle ! Oh la folle ! » Pensant lui jouer une comédie qui sert ses intérêts, il est en réalité le dupe de la pièce que lui ont montée Clitandre et Lisette.

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Réponses aux questions – 18

Étudier la satire des médecins am Molière met en scène cinq médecins dans l’intérêt du spectacle, comme en témoigne le premier entracte. Le nombre permet une chorégraphie divertissante ; il est également source de comique car il rend les personnages peu crédibles et ridicules – ce qui sert la critique de la médecine : – Le spectateur, assistant au ballet des médecins (leur entrée en scène ou leur façon de saluer), a l’impression que seule la forme compte et que le contenu est secondaire – ce que confirme la discussion de la scène 3 de l’acte II lorsque les médecins échangent des banalités et ne confrontent pas leur point de vue sur la malade qu’ils sont venus soigner. – Les médecins émettent un avis différent et ne veulent pas revenir sur leurs positions, si bien que Sganarelle finit par se tourner vers un remède populaire : l’orviétan. La diversité des points de vue est soulignée par le fort contraste entre Macroton, qui parle lentement, et Bahys, qui bredouille (scène 5, de l’acte II) ; elle est dénoncée par M. Filerin au début de l’acte III. an M. Filerin joue un rôle différent des quatre autres venus examiner Lucinde. En effet, il n’intervient qu’à l’acte III et ne rencontre ni Sganarelle ni sa fille. Il est juste là pour montrer que l’incohérence des remèdes prescrits dessert sa profession. Son intervention ne fait qu’alimenter la critique de la médecine puisque ses propos visent à défendre les intérêts de son métier et non celui des malades (« Ne voyez-vous pas bien quel tort ces sottes querelles nous font parmi le monde ? » ; « si nous n’y prenons garde, nous allons nous ruiner nous-mêmes »). ao Le nombre de médecins et le jeu des symétries rendent les personnages des médecins artificiels et ridicules. Si M. Filerin se démarque (voir question précédente), les quatre autres personnages s’organisent en deux paires : deux médecins dominants, Tomès et Des Fonandrès, dont les opinions (scène 4 de l’acte II, scène première de l’acte III) dominent et se répondent : « je conclus à lui donner de l’émétique », dit l’un ; « Je soutiens que l’émétique la tuera », dit l’autre. Macroton et Bahys sont placés au second plan et ils ne parviennent pas à donner leur avis dans la scène 4 ; cependant, le principe de l’opposition les régit également, cette fois-ci sur le plan de l’élocution : « l’un va en tortue, et l’autre en poste », souligne Sganarelle dans un aparté. On pourra demander aux élèves de trouver d’autres paires célèbres au cinéma ou dans la littérature (Laurel et Hardy, Dupont et Dupond…). L’organisation en paires, l’exagération des propos (les positions catégoriques ; la scène où, censés se mettre d’accord, les quatre médecins parlent de tout sauf de la malade), et l’inefficacité de la consultation contribuent à ridiculiser la profession. ap Le mode verbal dominant est l’impératif (« conservons-nous », « soyons », « n’allons point »). Placé ainsi à la fin de la réplique et de la scène, l’impératif souligne l’autorité de Filerin sur les autres médecins et donne du poids à la satire. aq La pièce réunit différents reproches concernant les médecins : – La forme prime sur le contenu : la cérémonie de leur arrivée, le « pompeux galimatias » mentionné par Filerin. – Ils sont incompétents et incapables de soigner leur malade : leurs avis diffèrent radicalement et la mort du cocher, que Lisette évoque, prouve que Tomès n’a pas su guérir son malade (« — Comment se porte son cocher ? — Fort bien, il est mort. ») – Trahissant le serment d’Hippocrate et ne se souciant que de leurs propres intérêts, ils ne se soucient pas de la santé de leurs malades et même profitent de la faiblesse des hommes comme le dit avec beaucoup de cynisme M. Filerin dans la première scène de l’acte III : « le plus grand faible des hommes, c’est l’amour qu’ils ont pour la vie, et nous en profitons nous autres, par notre pompeux galimatias ». – Ce sont des escrocs intéressés par l’argent : les quatre médecins réunis ne discutent pas du cas qui leur est soumis (acte II, scène 3) alors que Sganarelle imagine qu’ils comparent leurs diagnostics respectifs afin d’apporter une solution.

Étudier un genre : la comédie-ballet ar Molière cherche plus le spectaculaire que le vraisemblable. Et les médecins, bien qu’ils interviennent de manière logiquement justifiée dans l’intrigue et qu’ils servent la critique de la médecine, ne sont pas des personnages auxquels les spectateurs croient. Leur nombre, qui permet une chorégraphie, et les

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Le Médecin volant – L’Amour médecin – 19

exagérations (notamment les propos de M. Filerin) ne sont pas crédibles. La comédie, inspirée de la commedia dell’arte, met en scène des types et non des individus dotés d’une épaisseur psychologique. as Les dernières scènes de la pièce constituent une comédie dans la comédie de deux manières. D’une part, Lisette et Clitandre jouent une comédie à Sganarelle : celle du médecin qui simule un mariage pour guérir sa patiente. D’autre part, Sganarelle, qui ne voit pas dans cette intervention une fourberie, pense, quant à lui, jouer une comédie à sa fille en lui faisant croire que son vœu le plus cher est exaucé. Ce procédé de théâtre dans le théâtre, fortement marqué par l’esthétique baroque et la commedia dell’arte, contribue à divertir les spectateurs. bt Les deux entractes font partie intégrante de da pièce et assurent la continuité du spectacle pendant que l’éclairage est renouvelé. Le 1er entracte est le ballet des quatre médecins ; il est introduit par la dernière réplique de Sganarelle : « qu’on m’aille quérir des médecins, et en quantité ». L’expression « quatre médecins » figure, quant à elle, dans la première réplique de l’acte II : « Que voulez-vous donc faire, Monsieur, de quatre médecin ? » Le 2nd entracte prolonge la scène 6, au cours de laquelle l’Opérateur célèbre l’orviétan, remède universel choisi par Sganarelle après que les quatre médecins ont donné des avis différents. Dans la tradition du théâtre des Italiens, l’entracte est un ballet faisant intervenir des personnages de la commedia dell’arte : « plusieurs Trivelins et plusieurs Scaramouches ». Les danses sont de retour dans la dernière scène de l’acte III pour célébrer le mariage de Lucinde et de Clitandre, et la conclusion de la pièce se fait un écho au prologue, chanté et dansé lui aussi. bk Les deux entractes font rire les spectateurs en mettant en scène, dans le premier entracte, les médecins réputés, attachés à la forme de leur art plus qu’au contenu et, dans le second, un médicament populaire, dont l’universalité garantit l’inefficacité. Les deux entractes se répondent : la science puis le savoir populaire – ce qui contribue au comique en ridiculisant ces deux types de médecines. bl Les questions précédentes visent à dégager le caractère artificiel et avant tout spectaculaire du théâtre. Même si Molière propose un certain point de vue sur le réel en dénonçant l’égoïsme des médecins, qui ne pensent qu’à assurer leur fortune, et celui des pères, qui ne pensent pas au bonheur de leurs enfants, il cherche avant tout à divertir les spectateurs en leur proposant un spectacle dont le but n’est pas d’imiter la réalité. Les personnages se réduisent à des types ; ils ne sont pas plus crédibles que l’intrigue. Pour Molière, acteur et metteur en scène, le théâtre est destiné à être représenté et vu et non à être lu ; les jeux de scène et les ballets ont autant d’importance que les répliques des personnages. La préface présentait d’ailleurs clairement cette conception de la comédie : « on sait bien que les comédies ne sont faites que pour être jouées ».

Comparer L’Amour médecin et Le Médecin volant bm Le stratagème pensé par Lisette présente des similitudes avec celui imaginé par Sabine dans Le Médecin volant. Dans les deux cas, le but de la fourberie est de duper le père de la jeune fille afin qu’elle puisse épouser celui qu’elle aime malgré l’interdiction dont est frappé le mariage. Dans les deux cas, les filles sont prétendument malades et un faux médecin intervient – ce qui sert de prétexte à une satire de la médecine ainsi qu’à des scènes comiques de théâtre dans le théâtre. Mais les stratagèmes diffèrent cependant, car, dans Le Médecin volant, c’est un valet qui, dans la tradition des lazzi de la commedia dell’arte, est l’acteur principal de la fourberie, alors que c’est le jeune homme lui-même qui joue le faux médecin dans L’Amour médecin. Le « tour » devient de plus en plus acrobatique dans Le Médecin volant car le valet, surpris, doit alors s’inventer un second rôle imaginaire pour ne pas se faire démasquer. L’issue des deux stratagèmes est par ailleurs différente. Dans la première pièce, le valet est démasqué et la ruse mise au jour, alors que, dans la seconde, le père ne découvre pas le stratagème et le mariage a bien lieu. bn Ressemblances entre les deux dénouements : – les jeunes gens qui s’aiment se marient ; – l’amour a eu raison de l’égoïsme et de l’avarice des pères ; – la vérité éclate.

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Réponses aux questions – 20

Différences entre les deux dénouements : – le stratagème est découvert et Sganarelle menacé de pendaison dans Le Médecin volant ; dans L’Amour médecin, la fourberie se déroule comme prévu et c’est Lisette elle-même qui annonce au père qu’il a été dupé ; – les jeunes gens reviennent demander pardon dans la première pièce, alors qu’ils s’enfuient dans la seconde ; – Gorgibus approuve le mariage de Valère et de Lucile, alors que Sganarelle, dans la seconde pièce, demeure furieux. bo Points communs entre les deux critiques de la médecine : – les médecins sont incompétents et prétentieux ; – les médecins sont intéressés par l’argent ; – la critique de la médecine est prétexte à des scènes comiques et notamment à un jeu de théâtre dans le théâtre. Une critique plus subtile et plus poussée dans L’Amour médecin : – la sévérité de la critique est atténuée dans Le Médecin volant par l’ignorance de Valère, qui n’est pas un vrai médecin. Elle est au contraire accentuée dans la seconde pièce par l’intervention de M. Filerin ; – les médecins ne se soucient pas de leurs malades, mais de leur crédibilité auprès des hommes ; – les médecins profitent de la faiblesse des hommes car ils savent que ceux-ci, très attachés à la vie, sont prêts à croire leur « pompeux galimatias » ; – la critique de la médecine s’inscrit dans une critique plus large : celle de l’égoïsme car, finalement, l’attitude de Sganarelle, qui est attaché à sa fille comme à un bien matériel (à l’image de sa défunte femme), n’est pas sans ressembler à celle des médecins qui ne se soucient pas de guérir, mais d’assurer leur notoriété et leurs revenus. Un an après l’interdiction du Tartuffe et la même année que Dom Juan, c’est une fois encore aussi l’hypocrisie qui est dénoncée.

Lire l’image bp Le médecin se tient debout, alors que l’homme à qui il s’adresse est assis, soumis à son autorité. Les visages expriment la force, voire la menace (les yeux fixés), chez le médecin, et la crainte mêlée d’incompréhension (la bouche entrouverte) chez l’autre. L’attitude du médecin, un poing sur la hanche et un doigt tendu, est d’autant plus menaçante qu’il va presque jusqu’à toucher le front de son interlocuteur. C’est ce dernier aspect de l’attitude du personnage qui exprime l’abus de pouvoir.

À vos plumes ! bq Il s’agit d’imaginer un triangle comique soulignant l’opposition entre deux personnages, le troisième étant là comme spectateur et comme faire-valoir du comique. On valorisera les devoirs qui sauront jouer sur différents ressorts du comique : mots, gestes… Bien entendu, les didascalies, si elles sont judicieuses, seront appréciées.

R e t o u r s u r l e s œ u v r e s ( p p . 9 5 à 9 8 )

Le Médecin volant u Les événements apparaissent dans l’ordre suivant : c, d, a, g, e, f, b. v a) Le valet. b) Un ami. c) Le maître. d) La cousine. e) L’oncle. f) L’amant/l’amoureux. w

L’Amour médecin x a) Exposition. b) Monologue. c) Didascalie. d) Tirade. e) Caractère.

Lucile Valère Gorgibus Sganarelle

Amoureux X X Crédule X Avare X Intéressé par l’argent X Ignorant X X Débrouillard X

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Le Médecin volant – L’Amour médecin – 21

y a) Sganarelle (I, 2). b) Lisette (I, 4). c) Des Fonandrès (II, 3). d) Tomès (II, 3). e) Sganarelle (II, 6). f) Lucinde (III, 6). g) Clitandre (III, 6). h) Sganarelle (III, 7). U

1 D E 2 B A H Y S 3 F I L E R I N O

4 C L I T A N D R E A N D 5 M A C R O T O N E 6 T O M E S

V Le Médecin volant

L’Amour médecin

W

Problème posé Stratagème employé Résultat du stratagème

Lucile pourra-t-elle épouser Valère ? Sganarelle se fait passer pour un médecin afin de duper Gorgibus et de permettre à Lucile et Valère de se rencontrer.

Sganarelle est démasqué, mais Gorgibus accepte finalement le mariage de sa fille et Valère.

Problème posé Stratagème employé Résultat du stratagème

Lucinde pourra-t-elle épouser Clitandre ? Clitandre se fait passer pour un médecin afin de duper Sganarelle. Le mariage qu’il simule pour guérir Lucinde est bien réel.

Clitandre et Lucinde sont mariés, malgré le refus de Sganarelle.

Lucile Valère

Le père ne veut pas que sa fille se marie avec celui qu’elle aime. X X Le père veut garder sa fille pour lui. X Le père pense que sa fille est malade. X X Le père craint que la maladie de sa fille ne retarde le mariage. X Un faux médecin intervient. X X Les jeunes gens qui s’aiment finissent par se marier. X X Le père finit par accepter le mariage de sa fille. X Le stratagème mis en place permet un jeu de théâtre dans le théâtre. X X

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Proposition de séquences didactiques – 22

P R O P O S I T I O N D E S É Q U E N C E S D I D A C T I Q U E S

QUESTIONNAIRES ÉTUDE DE

LA LANGUE TECHNIQUES LITTÉRAIRES EXPRESSION ÉCRITE

Séance n° 1 Le Médecin volant Scènes première à III

• les types de phrases • adjectifs et adverbes • champ lexical de la tromperie

• spécificité du texte de théâtre : découpage, didascalies… • l’exposition • la comédie : personnages et intrigue

• écrire un dialogue théâtral en prenant en compte les informations données dans l’exposition

Séance n° 2 Le Médecin volant Scènes IV à VIII

• les types de phrases • le langage oral • les hyperboles

• le comique grossier de la farce • une pièce destinée à être représentée • la satire de la médecine

• écrire un dialogue théâtral en transposant la scène de la fausse consultation

Séance n° 3 Le Médecin volant Scènes IX à XVI

• les marques des personnes et les fonctions des pronoms

• les personnages de la comédie • les jeux de scène • le théâtre dans le théâtre • le dénouement de la comédie

• écrire une scène de théâtre dans le théâtre

Séance n° 4 L’Amour médecin Acte I

• interrogations rhétoriques • champ lexical de l’amour

• étudier une préface : la conception de Molière du théâtre • l’exposition • la comédie : les personnages, l’intrigue, le comique • comparaison des 2 pièces : intrigue et personnages

• écrire un récit en racontant de manière comique un événement dramatique (imitation du récit de Lisette) • écrire un dialogue théâtral dans lequel se trouve inséré un récit

Séance n° 5 L’Amour médecin Actes II et III

• l’impératif • les personnages de comédie • la satire des médecins • la comédie-ballet • comparaison des 2 pièces : stratagème, dénouement, portée de la satire

• écrire un dialogue théâtral comique en mettant en scène des personnages contrastés

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Le Médecin volant – L’Amour médecin – 23

E X P L O I T A T I O N D U G R O U P E M E N T D E T E X T E S

Les textes réunis ici sont des scènes de comédie qui font rire le spectateur, tout en l’invitant à réfléchir sur les pratiques sociales. Si nous sommes habitués au leitmotiv des médecins chez Molière, on y voit avant tout un ressort du comique, le fond de la critique ne nous touchant plus guère aujourd’hui. Mais la critique des médecins s’inscrit, chez le grand dramaturge du XVIIe siècle, dans une perspective plus large : celle de la dénonciation de toutes les formes de prétention. Le groupement de textes peut être abordé dans différentes perspectives :

◆ Étude de la comédie En 6e, les élèves découvrent un genre et il est intéressant, en confrontant plusieurs pièces, de les amener à identifier les marques génériques de la comédie. On pourra travailler dans plusieurs directions : - l’étude de langue : le choix des vers (et comment le texte en vers parvient-il, malgré tout, à rester souple et proche du langage ordinaire) ou de la prose ; le langage paysan… ; - le dynamisme des échanges et le ressort du contraste ou de l’opposition : étude de la longueur variée des répliques, des modalités… ; - le comique : langue, caractère, geste, situation… ; - les personnages stéréotypés : le père naïf ou la servante insolente.

◆ Représentation critique des médecins Les médecins portent traditionnellement un costume et un chapeau qui les différencient des gens ordinaires ; ils ont appris le latin et utilisent des mots savants. Un autre costume, un autre langage : nous avons là une profession qui s’apparente à celle des comédiens… - La dimension théâtrale : on pourra voir comment les médecins sont mis en scène dans les différentes pièces du Molière réunies ici. - La dimension comique : comment la représentation des médecins prête-t-elle à rire ? - La critique des médecins : quelles critiques récurrentes Molière fait-il des médecins ?

◆ Représentation critique de la société - La représentation des différentes couches de la société : on étudiera la représentation des classes sociales, qu’il s’agisse de la classe populaire (le parler paysan, l’ignorance, le bon sens, la débrouillardise), des bourgeois (maîtres, médecins, pères soucieux de leurs biens) ou de la noblesse (bien qu’elle n’apparaisse que comme une aspiration de M. Jourdain et qu’elle n’occupe qu’une place réduite dans la comédie). La religion (en tant qu’ordre de l’Église) n’est pas représentée dans nos extraits : sujet tabou dans la comédie, elle vaudra à Molière l’interdiction du Tartuffe en 1664. - Dans la société du XVIIe siècle, héritée de la structure médiévale, c’est la naissance qui permet de distinguer les individus. On voit cependant apparaître chez Molière un autre critère de discrimination : les connaissances. Qui est savant et qui ne l’est pas ? Qui fait seulement semblant de l’être ? - Molière dénonce les prétentions des médecins, mais aussi celles des précieuses, du maître de philosophie ou des femmes savantes… On classera les différentes sortes de prétentions : prétentions sociales ou intellectuelles. Et on verra comment elles conduisent au mépris des autres.

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Pistes de recherches documentaires – 24

P I S T E S D E R E C H E R C H E S D O C U M E N T A I R E S

La commedia dell’arte : - les personnages ; - les canevas ; - les lazzi ; - l’histoire : comment ce théâtre italien a été introduit en France ; - les représentations picturales du personnage d’Arlequin. Le théâtre au XVIIe siècle (cf. dossier) : - les conditions de vie des comédiens ; - les grands dramaturges du XVIIe siècle : Corneille et Racine ; - l’histoire de la Comédie-Française. Le théâtre : - les métiers du théâtre ; - la gestion d’un théâtre ; - l’architecture des théâtres (des tréteaux à la salle prestigieuse). Molière : - la satire des médecins : repérer les vrais et les faux médecins dans les pièces de Molière et réfléchir à la mise en scène de ces passages ; - le schéma traditionnel de l’intrigue et les personnages types (en s’appuyant sur Le Médecin malgré lui et Le Malade imaginaire). Les instruments de la satire : - la satire chez Molière ; - La Fontaine ; - la caricature ; - la satire aujourd’hui (presse, télévision).

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Le Médecin volant – L’Amour médecin – 25

B I B L I O G R A P H I E C O M P L É M E N T A I R E

– La Vie de M. de Molière, Mikhaïl Boulgakov, coll. « Bouquins », R. Laffont, 1999. – Commedia dell’arte : le jeu masqué, Michèle Clavilier et Danielle Duchefdelaville, Presses Universitaires de Grenoble, 2005. – Lectures de Molière, Jean-Pierre Collinet, coll. « U2 », Armand Colin, 1974. – Molière ou l’Esthétique du ridicule, Patrick Dandrey, Klincksieck, 2002. – « L’Amour médecin » de Molière ou le Mentir-vrai de Lucinde, Patrick Dandrey, Klincksieck, 2006. – Molière, Georges Forestier, coll. « En toutes lettres », Bordas, 1990. – Molière et « Le Misanthrope », René Jsainski, Nizet, 1983. – La Commedia dell’arte et son Influence en France aux XVIe et XVIIe siècles, Bernard Jolibert, coll. « Univers théâtral », L’Harmattan, 2000. – La Dramaturgie classique en France, Jacques Scherrer, Nizet, 1950. – Molière par lui-même, Alfred Simon, Seuil, 1957. Site Internet :

– www.toutmoliere.net