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Grand-Lieu, espace naturel, espace habité. Association Grand-Lieu, Nokoué. Arnaud de la Cotte 0 Arnaud de la Cotte Grand-Lieu : espace naturel, espace habité… Regard sur le Lac de Grand-Lieu Mars 2011

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Grand-Lieu, espace naturel, espace habité. Association Grand-Lieu, Nokoué. Arnaud de la Cotte

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Arnaud de la Cotte

Grand-Lieu : espace naturel, espace habité…

Regard sur le Lac de Grand-Lieu

Mars 2011

Grand-Lieu, espace naturel, espace habité. Association Grand-Lieu, Nokoué. Arnaud de la Cotte

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« Lac de Grand-Lieu. Ce qui dut être l’abord non aménagé, des marais de l’ancienne Gaule, ce qu’est encore, j’imagine, l’abord des marais africains, se voit toujours aux approches de

cette énorme flaque engorgée, mangée de roselières – lacis d’étroit chenaux, accessible seulement aux plates, avec, par endroits, des clairières aquatiques qui se dégagent plus

larges entre les massifs de joncs, et où on à la surprise de voir un coup de vent parfois rider l’eau lourde, pareille à du plomb fondu qui se mettrait pesamment à bouillir. »

Julien Gracq1

Le lac en hiver et en été,

Images extraites du film « la valse du lac » de Jean-François Naud

1 Julien Gracq, Carnet du grand chemin, édition Librairie José Corti, 1992, page 34

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Grand-Lieu : espace naturel, espace habité…

1 – Grand-Lieu, un espace naturel

11 – Un espace naturel

111- Approche hydraulique - 19 projets d’assèchement

- le cœur d’un système hydraulique complexe - un régime hydraulique sous influence

Quelques pistes pour alimenter la réflexion théorique

Grand-Lieu : lieu de réflexion et espace incertain

112 – le point de vue du naturaliste

- 5 grands milieux - l’intérêt de Grand-Lieu = la diversité - deux menaces pèsent sur Grand-Lieu

- la nature : les enjeux de la conservation

12 – Un espace habité

121 – Les traces de l’implantation humaine autour du lac 122 – Un pays sous forte pression démographique - l’évolution de la population depuis 1962 - l’écart entre le nord et le sud

123 – le puzzle administratif et politique de Grand-Lieu - Présentation de l’organisation administrative et les

intercommunalités

124 – Les usages du lac – l’agriculture

– la chasse – la pêche

– un tourisme de grès ou de force ? – un projet entre culture et tourisme

Quelques pistes pour alimenter la réflexion théorique La notion de protection des paysages

La notion de lieu

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Introduction : L’objectif de cette présentation est de présenter le contexte du territoire de Grand-Lieu, avancer des hypothèses pour analyser les faiblesses et les forces du site. Il est également de déterminer les causes des difficultés d’accessibilité et de visibilité du lieu. La définition de la « nature du lieu » nous permettra de proposer des hypothèses de travail. Cette présentation est le fruit d’une réflexion que je mène sur le lieu depuis 1992. Elle tente de dresser un état du lieu et de proposer des pistes de recherches à développer.

1 – Grand-Lieu, un espace naturel, un espace habité Avant toute chose, il convient de décrire l’espace géographique... Le Lac de Grand-Lieu est situé en Loire Atlantique, à 14 kilomètres au sud-ouest de Nantes, c’est à dire à cheval sur l’agglomération Nantaise et les Pays de Retz. Son origine fait l’objet de plusieurs hypothèses. Pour Loïc Marion2 : il occupe une dépression d’origine tectonique qui s’est formée pendant le plissement alpin. Il fut un véritable lac au quaternaire. La légende d’Herbauges parle d’un raz-de-marée qui submergea une ville païenne… telle la ville d’Ys. M. Chevalier, géologue, propose une autre hypothèse : le lac serait né il y a 4 000 ans lors d’une montée des eaux. C’est un losange de 13 Km sur 7 Km, sa surface et sa profondeur fluctuent selon les saisons, 4 000 ha en étiage (en été), sa profondeur moyenne est alors de 0,70 m. En hiver, il couvre 6 300 ha, son niveau monte de 1,5 m par débordement sur les prairies tourbeuses qui occupent ses rives. Il devient alors le premier lac de plaine français. Ainsi, du fait de sa situation géographique, à l’abord d’une grande agglomération, le site constitue un pôle d’attraction touristique. Nous allons voir ce qui caractérise cette attraction et définir les limites de son potentiel d’accueil.

La Princesse engloutie3

2 Loïc et Pierrick Marion, contribution à l’étude écologique du Lac de Grand-Lieu, Editions de la société des Sciences Naturelles de l’Ouest de la France, 1975. 3 Odile Linard, in Le Pays de Grand-Lieu, éditions Ouest-France, 1993

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Carte du territoire4

11 – Un espace naturel Le site de Grand-Lieu a deux caractéristiques : l’hydraulique et le milieu naturel. Grand-Lieu n’occupe pas un espace fixe, sa physionomie se métamorphose au fil des saisons, ce qui lui donne un caractère abstrait et insaisissable,

111- Approche hydraulique Le Lac est intégré dans un système hydraulique complexe : - Il est alimenté par deux affluents : la Boulogne et son affluent « la Logne » et l’Ognon, ce qui représente un bassin versant de 67 000 ha. - Il se déverse dans la Loire par l’Acheneau et le canal de Buzay. Le lac est en lien avec les marais de l’estuaire de la Loire. Il joue un rôle d’écrêtage des crues en hiver, l’Acheneau ne pouvant seul évacuer les apports des affluents. La superficie du bassin versant total du lac est de 102 500 ha.

- 19 projets d’assèchement C’est une longue histoire qui lie l’homme au lac. 19 projets d’assèchement ont échoué depuis le 12ème siècle. Mais personne n’y parviendra, ni le Duc de Bretagne, François II, en 1459, ni la famille de Juigné propriétaire du lac en 1789, même les riverains s’y opposeront

4 Vu d’ici, Etude paysagère du territoire du Lac de Grand-Lieu – D.D.E de la Loire Atlantique, février, octobre 2002

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toujours farouchement. Le combat s’est achevé en 1960, lorsque Jean-Pierre Guerlain, le parfumeur devient actionnaire majoritaire de la SCI qui possède le lac. - le cœur d’un système hydraulique complexe Il ne faut pas considérer le lac comme un élément géographique isolé, il est en relation avec :

- la vallée du Tenu : Lorsque dans les années 1700 les moines de Buzay décident d’assécher leur marais et construisent des écluses sur le Tenu, les terres bordant les rivières et le lac sont recouverts jusqu’à la fin de l’été. Les riverains qui ont besoins de pâturages se révoltent et organisent une expédition pour détruire les écluses.

- Avec le Canal de Buzay creusé en bordure des marais par les moines pour rejoindre la Loire et permettre l’évacuation de l’eau et la navigation.

- Avec les Marais de Bourgneuf : pour développer l’agriculture dans cette zone, des travaux ont été réalisés pour réguler le régime des eaux. Le lac qui n’a pas pu être utilisé comme réservoir pour irriguer les terres maraîchères va être coupé du système d’irrigation. Les travaux vont être réalisés dans les années 1958, 1959. Aujourd’hui, il devient plus difficile de pomper de l’eau douce dans la Loire, le lac attire de nouveau la convoitise…

Réseau hydrographique5

- un régime hydraulique sous influence Les interventions humaines sur l’hydraulique survenues au 19ème siècle et dans les

années 1950, 1960 sont les suivantes :

5 Vu d’ici, Etude paysagère du territoire du Lac de Grand-Lieu – D.D.E de la Loire Atlantique, février, octobre 2002

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Actions directes : suppression des seuils rocheux garantissant un niveau d’eau minimal, aménagement d’un vannage à la sortie du lac, re-calibrage de l’Acheneau

Actions indirectes : évolution de l’agriculture, urbanisation et industrialisation du secteur situé entre le lac et l’estuaire.

Ainsi, le régime des eaux du lac a été profondément modifié, il dépend de l’arrêté

ministériel de 1996. Le lac n’est plus sous régime hydraulique « naturel » mais répond à des impératifs de

gestion liés aux usages. Pour comprendre la situation, comparons avec l’évolution de l’espace rural français qui aujourd’hui n’existe plus dans la mesure où il est remplacé par un système agro écologique menacé à son tour par les mutations de l’agriculture et l’urbanisation.

Quelques pistes pour alimenter la réflexion théorique

Grand-Lieu : lieu de réflexion et espace incertain

Pouvons-nous poser l’hypothèse qu’à Grand-Lieu, le processus de

rationalisation de l’espace n’est pas allé au bout de sa logique ? Malgré les multiples tentatives, l’espace lac est resté en marge des systèmes économiques ? Il n’a pas pu être absorbé par l’activité humaine. Il reste une sorte une sorte de tiers espace : « A la place de lieux construits d’ordinaire pour l’homme même – l’homme présent et du présent – nous avons affaire ici à des lieux construits contre l’homme, qui ne reviennent à l’homme que par un raisonnement sur sa puissance de destruction et par une conception nouvelle du temps : ces lieux ne sont concevables que par réflexion, ils ne peuvent être donnés. »6 Grand-Lieu n’est-il pas un de ces lieux de réflexion qui peuvent se construire dans ce tiers espace ? En effet, puisque aucune activité humaines n’est possible sur cet espace, il est nécessaire d’imaginer un mode de relation au lieu qui passe par la réflexion, l’imaginaire, la culture.

Grand-Lieu comme nous l’avons vu est également un espace

incertain, (invisible – au seulement par morceau – inaccessible et trouble). Comme le définit Jacques Berthemont « le bord de l’eau peut être défini comme l’espace qui sépare le lit de l’étiage d’un cours d’eau, de son lit en période de… De quoi au fait ? Plein bord ? Crues ordinaires ? Crues exceptionnelles ? L’incertitude propre à cet espace tantôt exondé et tantôt inondé selon des fréquences variables, implique le flou de la définition. »7 Cette incertitude est une difficulté pour la conception d’un

6 Jean Viard, Le tiers espace, essai sur la nature, éditions Méridiens Klincksieck, Paris, 1990 7 Jacques Berthemont, « les espaces incertains des bords de l’eau » http://fig-st-die.education.fr/actes/actes_2003/bethemont/cafebordeau.htm, consulté le 9 mai 2008.

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projet culturel à dimension touristique. C’est une notion fondamentale qui doit être intégrée dans l’approche. Sans quoi, le projet risque de ne plus avoir de sens et devenir néfaste. Nous ne pouvons pas développer cette proposition dans le cadre de ce travail mais nous en tiendrons compte lorsque nous analyserons le travail des artistes en résidence.

112 – le point de vue du naturaliste Grand-Lieu se présente comme un « milieu naturel ». Prenons le point de vue du

naturaliste afin de préciser cette hypothèse qui est au centre des débats sur l’avenir de Grand-Lieu.

- 5 grands milieux

Carte des milieux naturels du Lac.8

Herbier de macrophytes flottants, (nénuphars, châtaigne d'eau...) Roselière à Phragmites et Phalaris (vert clair) avec boisement de saules et aulnes Zone d'eau libre dépourvue de végétation macrophytique Prairies humides exploitées par la fauche et le pacage

En été, le Lac de Grand-Lieu présente 5 grands milieux, du centre vers la périphérie.

Chaque milieu est indispensable au fonctionnement de l’ensemble et l’eau est l’élément commun à tous ces biotopes.

8 Carte : SNPN Géoconcept Expert 5.0

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On y rencontre 555 espèces végétales supérieures, 230 espèces d’oiseaux, 51 espèces de mammifères, 20 espèces de reptiles et de batraciens, 24 espèces de poissons, sans compter les invertébrés. Cela montre l’extraordinaire diversité faunistique et floristique du lac. De plus, cet ensemble ne peut exister sans les marais qui l’entourent directement, les marais de Bourgneuf et de la Loire.9

- l’intérêt de Grand-Lieu = la diversité Pour Loïc Marion, 10 4 raisons indissociables font de Grand-Lieu un site exceptionnel : 1 – son caractère aquatique : les milieux ne présentent plus qu’1% du territoire

national suite aux assèchements. Leur disparition entraîne celle des espèces inféodées, ce qui fait leur rareté.

2 – Grand-Lieu est riche de sa diversité assurée par une mosaïque de milieux. Cette diversité est nécessaire à l’existence de certaines espèces (exemple : la spatule).

3 – De vastes zones alimentaires marécageuses autour de Grand-Lieu sont indispensable à l’alimentation des populations.

4 – Enfin, des sites de nidification où règne une tranquillité absolue, loin des activités humaines, assurée par l’inaccessibilité géographique et législative du milieu. Compte tenu de sa proximité avec l’agglomération Nantaise, seul le maintien de la tranquillité du site permettra la conservation de sa richesse écologique

- deux menaces pèsent sur Grand-Lieu En fonction de ces quatre caractéristiques, deux menaces pèsent sur Grand-Lieu :

l’urbanisation qui entraîne de nouvelles sources de déstabilisation du milieu, pollution et pression humaine sur le milieu et l’envasement favorisé par les modifications du régime des eaux et les pollutions venant du bassin versant… Le lac est en phase accéléré d’eutrophisation qui entraînera à moyen terme la disparition de son caractère lacustre donc sa spécificité...

- la nature : les enjeux de la conservation

Cette approche scientifique a fortement à la mise en place de la Réserve naturelle en 1980 et du site classé en 1982. Le site est également soumis à la Loi littorale. Ainsi, l’usage scientifique légitimé par la loi a-t-il pris le pouvoir sur le lieu contre les usages des riverains ? Cela pose la question du rapport entre l’homme et la nature, que nous ne pouvons pas développer dans ce travail mais qui est au cœur de la problématique culturelle du site confronté à la forte urbanisation des communes riveraines comme nous le verrons dans le chapitre suivant.

9 Loïc et Pierrick Marion, contribution à l’étude écologique du Lac de Grand-Lieu, Editions de la société des Sciences Naturelles de l’Ouest de la France, 1975. 10 Loïc et Pierrick Marion, contribution à l’étude écologique du Lac de Grand-Lieu, Editions de la société des Sciences Naturelles de l’Ouest de la France, 1975.

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12 – Un espace habité

La cuvette de Grandlieu, cadrée par des directions NW-SE (prise depuis le clocher de Saint-Lumine-de-Coutais)11

L’histoire de Grand-Lieu, c’est l’histoire de l’homme confronté à son milieu. Depuis longtemps les hommes sont installés à Grand-Lieu. Si l’espace lac n’est

vraisemblablement pas antérieur à la présence humaine, il n’en a pas moins subi toutes l’évolution liée au développement des activités humaines. Cependant, on observe depuis 40 ans une évolution impressionnante du peuplement de ce site :

- Cela passe par une nouvelle distribution démographique dans l’espace, - Et la modification de la structure socioprofessionnelle de la population. De telles transformations sont-elles susceptibles de modifier le rapport de l’homme à

l’espace qu’il habite.

121 – Les traces de l’implantation humaine autour du lac Voici quelques repères qui permettent de saisir l’implantation humaine autour du lac.12 Le site a toujours été un pôle d’attraction des populations, on trouve les traces les plus

anciennes de la présence humaine au nord : - les monuments mégalithiques dans la presqu’île Dun, aujourd’hui, « bois de Saint-

Aignan » et à Pont-Saint-Martin. - Au sud du lac, sur la commune de Saint-Lumine-de-Coutais, on trouve des traces de

la présence romaine, en particulier, une allée de buis bi-millénaire. - des traces de navigation sont visibles autour du lac, les plus anciennes dates des

romains. Cette activité s’est arrêtée après la deuxième guerre mondiale.13 - Les premières traces d’évangélisation date du Vème siècle. - On trouve les premières références à la vigne autour de Grand-Lieu au VIIème siècle

dans les chroniques de Saint-Hermeland.14 - En 819, l’abbaye bénédictine de Déas est construite (Saint-Philbert-de-Grand-Lieu) - le village de Passay (port des pêcheurs professionnels du lac) est mentionné dès 857. - En 1143, l’abbaye de Buzay est fondée et reçoit un droit de pêche à la senne dans le

lac. A cause du colmatage naturel, la superficie utilisable pour la pêche et la navigation diminue d’année en année. La lutte commence entre deux groupes d’intérêts : partisans ou non de l’assèchement.

- En 1506, on veut faire du lac un bassin pour les vaisseaux de la marine royale.

11 Vu d’ici, Etude paysagère du territoire du Lac de Grand-Lieu – D.D.E de la Loire Atlantique, février, octobre 2002 12 Loïc et Pierrick Marion 13 Guy Perruchas, La batellerie sur l’Acheneau , le Tenu, la Blanche, le Lac de Grand-Lieu, l’Ognon, la Boulogne de la période Gallo-romaine à nos jours, juin 1992. 14 Yves Giraudet, « la vigne » in Le Pays de Grand-Lieu, éditions Ouest-France, 1993

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- À partir du XVIIème, l’histoire du lac est difficile à reconstituer car des informations contradictoires sont diffusées lors des luttes d’influences que l’on retrouve de nos jours…

Carte de localisation des traces et monuments historiques autour de Grand-Lieu15 Toutes ces traces sont une matière première pour la production culturelle sur le

territoire tout comme pour la mise en place de produits touristique. La richesse et l’intérêt du lieu n’est plus à démontrer, encore faut-il veiller à trouver un juste équilibre entre préservation et valorisation.

15 Vu d’ici, Etude paysagère du territoire du Lac de Grand-Lieu – D.D.E de la Loire Atlantique, février, octobre 2002

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122 – Un pays sous forte pression démographique16 Nous prendrons en compte la population des 9 communes riveraines du lac, elles sont

adhérentes à l’Association culturelle du Lac de Grand-Lieu et ont une partie de leur territoire inscrit dans le site classé.

- l’évolution de la population depuis 1962

Augmentation de la population

0

5000

10000

15000

20000

25000

30000

35000

1 2 3 4 5 6

années

Série1

La population est passée de 14 051 habitants en 1962 à 31 843 habitants en 1999 soit

une augmentation de 126,62 %. Cette affluence massive de population sur ce territoire périurbain a entraîné de profond changement dans les communes et en ce qui concerne notre sujet d’étude, une augmentation de la demande des habitants de moyens d’appropriation du lieu. Ainsi, les premiers « touristes » sont ces nouveaux habitants. C’est dans cette dynamique que s’inscrit la démarche de l’association culturelle du Lac de Grand-Lieu.

- l’écart entre le nord et le sud

% d'augmentation par commune

0,00

50,00

100,00

150,00

200,00

250,00

300,00

1 2 3 4 5 6 7 8 9

Série1

16 source INSEE

1 - Saint-Philbert-de-Grand-Lieu 2 - Saint-Lumine-de-Coutais 3 - Saint-Mars-de-Coutais 4 - Port-Saint-Père 5 - Saint-Léger-Les-Vignes 6 - Bouaye 7 - Pont-Saint-Martin 8 - La Chevrolière

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On perçoit très bien les enjeux entre les communes du Nord – Est du lac : Saint-Léger-

les-Vignes, Bouaye, Saint-Aignan-de-Grand-Lieu, Pont-Saint-Martin, La Chevrolière, qui ont connu une augmentation supérieur à 100%, et qui sont prises dans l’agglomération nantaise et se tournent vers elle. Et les communes du Sud – Ouest : Port-Saint-Père, Saint-Mars-de-Coutais, Saint-Lumine-de-Coutais et Saint-Philbert-de-Grand-Lieu ont conservé une population plus stable et garder un caractère rural qui restent attaché au pays de Retz. Pour relativiser, il faut dire qu’elles n’ont pas échappé à une forte pression démographique pour autant.

Nous verrons plus tard, comment cette tension entre le nord et le sud est une des causes de la dissolution de l’association culturelle du Lac de Grand-Lieu et de l’abandon du projet global de valorisation culturel à caractère touristique du site.

Cette pression démographique n’est pas sans conséquence sur la gestion du lac. La demande des populations pour avoir accès au lieu « réservé » se fait de plus en plus pressante, elle doit être prise en compte dans le cadre de la définition d’un projet de développement culturel à caractère touristique. En effet, l’augmentation de la démographie est due à une arrivée massive d’habitants venus d’autres communes qui pour la plus part travaillent en ville. Ils sont porteurs d’une culture urbaine, ils n’ont plus de rapport direct avec l’espace naturel et de ce fait, ils développent une demande de nouveaux usages en terme de découverte et de loisirs, mais aussi des usages en terme symbolique (c’est un des éléments clé de l’action que nous vous proposerons d’analyser dans la dernière partie de ce travail.) Cette nouvelle demande peut entraîner des conflits avec les usagers habituels du lieu (les nés natifs comme ont dit autour du lac), les agriculteurs, les pêcheurs, les chasseurs, les propriétaires terriens… Les collectivités locales doivent alors mettre en place des actions qui permettent de réguler les usages, l’action culturelle à caractère touristique répond à ce type de préoccupations. Un travail sur les représentations est nécessaire.

En effet, les représentations du monde rural et des espaces « naturels » véhiculées par les médias et les ruraux eux-mêmes sous forme caricaturée, reprise par les circuits commerciaux conduisent à créer une image nouvelle de la ruralité. Cette image est le résultat pour Bourdieu « d’un folklorisation, qui met la paysannerie au musée et qui reconvertit les derniers paysans en gardiens d’une nature transformée en paysage pour citadin »17 L’association culturelle a d’ailleurs fait les frais de cette vision puisque comme nous le verrons, l’action qui a entraînée sa chute est « une fête sur l’élevage à Grand-Lieu », nous y reviendrons.

123 – le puzzle administratif et politique de Grand-Lieu

Étudions maintenant la situation du site en termes d’organisation politique. Cette organisation aura un rôle important dans l’analyse de l’évolution du projet. Nous pouvons déjà dire que c’est un des freins au développement du projet.

17 Bernard Kayser, La renaissance rurale, Armand Colin, Paris, 1990, page 43

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- Présentation de l’organisation administrative et les

intercommunalités18

La situation est complexe, elle est le résultat d’une évolution démographique et

politique, mais ne résulte-t-elle pas également d’une stratégie politique entretenue depuis des années qui vise à diviser les acteurs du tour du lac pour réduire le pouvoir de synergie du lieu au profit d’autres centres de décisions comme le Pays de Retz ou l’agglomération Nantaise. Mais nous n’aurons pas le temps d’approfondir cette hypothèse.

Résumons, d’un point de vue opérationnel, les 9 communes sont répartis dans 7 structures intercommunales dont les compétences se chevauchent, ce qui représente 16 structures à réunir pour définir une politique globale de développement culturel à caractère touristique, sans compter les services de l’Etat, du Département (4 cantons concernés) et de la Région… Est-il besoin d’en dire plus pour expliquer la difficulté de la mise en œuvre d’un tel projet. Cela nécessiterait la présence d’un leader politique puissant et incontesté qui parviendrait à réunir les partenaires et à faire taire les guerres de clochers. Leader que Grand-Lieu attend désespérément…

124 – Les usages du lac « Les humains vivent leurs existences dans un lieu et ainsi développent simultanément

un sens d’être dans un lieu et hors d’un lieu… »19. La situation du Lac est spécifique puisque l’accès au lieu (le lac) est réglementé on peut définir deux zones :

18 source, Préfecture de la Loire Atlantique. 19 Augustin Berque, "‘Lieu’ 1.", EspacesTemps.net, Il paraît, 19.03.2003 http://espacestemps.net/document408.html

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- le cœur du lac, classé en réserve naturelle où seuls quelques usagers ont accès (les scientifiques, les pêcheurs, les gardes de la Fédération des chasseurs de Loire Atlantique),

- la périphérie, inscrit en site classé, accessible aux agriculteurs, aux chasseurs, pêcheurs amateurs, naturalistes et promeneurs de toute espèce…

Nous allons nous intéresser à trois activités qui ont une grande influence (écologique et sociologique) sur le lieu (nous avons déjà traité de l’approche scientifique), l’agriculture, la pêche et la chasse. Nous traiterons du tourisme dans la partie 2125. Ces usages se sont souvent affrontés. Les hommes ont toujours tenté de modifier le milieu en fonction des impératifs de production. On pourrait dire que la présence d’intérêts divergents sur le lieu a permis de le conserver. Aucun groupe « d’usagers » en présence n’a pu imposer sa vision, la gestion du lieu a toujours nécessité des négociations et des accords. Ainsi, l’espace lac est-il écartelé entre des usages multiples mais protégé par un intérêt commun. Il me semble primordial de connaître ces données pour en tenir compte dans la conception d’une approche culturelle à dimension touristique car ces acteurs, sont « porteurs d’une connaissance » du lieu et que toute activité touristique peut venir en concurrence avec les leurs.

– l’agriculture 20 La SAU21 : On observe la aussi une différence entre le nord et le sud puisque les 2/3 de la SAU sont regroupés sur les communes du sud. Ce qui renforce leur caractère rural. La population agricole : La disparité entre le nord et le sud est moins forte mais néanmoins marquée avec 63,21% de la population active agricole pour le sud. Globalement, la population agricole représente 4,3% de la population totale et 9,7% de la population active. Ce qui confirme l’observation de l’urbanisation des communes riveraines. Les productions : Nous allons étudier les écarts de répartition des productions entre le nord et le sud. Les productions influent directement sur le paysage et sur le mode de gestion du territoire, c’est ce point qui nous intéresse particulièrement. Les productions Au nord Au sud Productions animales 33,90% 71,39% La vigne 44,90% 19,00% Le maraîchage 14,80% - Divers 5,30% 9,60% Ainsi, on peut dire qu’au sud, nous avons un système traditionnel diversifié adapté au milieu humide (Les surfaces inondables des marais représentent 1575 ha, répartis sur 3 des communes du sud.) Ce système s’inscrit dans une logique de préservation des milieux et des paysages. Au nord, la situation est autre, les productions ne sont pas liées aux zones humides (qui sont moins présentes) et on remarque une prédominance de la culture de la vigne. De plus, l’usage agricole des terres est en concurrence avec l’urbanisation.

20 Source, Chambre d’agriculture 44, 1989. 21 Surface agricole utile

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– la chasse22 La chasse avec la pêche professionnelle, même si elle n’est pas une pratique

majoritaire est déterminante par les enjeux symboliques qu’elle représente, c’est à ce titre que nous nous y intéressons. Intéresserons-nous plus particulièrement à l’activité cynégétique directement liée à la zone humide, caractéristique du lieu.

Les superficies de chasse : jusqu’à il y a une dizaine d’années, on pouvait définir

trois zones distinctes : - la réserve naturelle qui n’est plus ouverte à la chasse depuis la mort de son ancien

propriétaire, Jean-Pierre Guerlain; - La Fondation nationale pour la protection des habitats de la faune Sauvage sur

laquelle la chasse a été admise sur 200 ha pour son ancien propriétaire jusqu’en 1995 ;

- et enfin les 609 ha en périphérie. Cette lisière toujours ouverte à la chasse, concentre 100 % de la pression cynégétique.

Le nombre de chasseurs : 1500 à 2 000 étaient titulaires d’un permis de chasse

spécifique au gibier d’eau en 1991. Les deux types de chasse : Pouvons nous dire que la chasse est une des premières

formes de tourisme et de loisir à Grand-Lieu ? - Une chasse Touristique : pour ce qu’on appelle communément à Grand-Lieu la

Chasse « Guerlain » qui s’est pratiquée sur le centre du lac. Chasse privée, pratiquée par des invités triés sur le volet par le propriétaire (des hommes d’affaires, des politiques, un ancien président de la république également joueur d’accordéon…). Un relais de chasse construit sur la propriété était conçu comme un hôtel pour recevoir les hôtes de marque.

- Une chasse loisir : « chasse à la passée » autour les trous d’eau pratiquée par les notables locaux puisqu’elle nécessite des moyens financiers (achat du foncier, entretien…) et enfin, « chasse populaire », pratiquée sur les marais comme un loisir populaire dominical.

– la pêche Il est important de distinguer la pêche professionnelle de la pêche amateur. La pêche professionnelle : Elle se déroule sur le lac. C’est un cas unique de maintien

d’une activité de pêche sur une Réserve Naturelle . S’il y avait 120 pêcheurs en 1930, il n’y en a plus que 8 aujourd’hui. Cette activité est concentrée sur le village de Passay (commune de La Chevrolière), elle suscite un grand intérêt de la part du public et des médias. La plus importante fête populaire sur le lac est organisée chaque 15 août par la société coopérative des pêcheurs et mérite à elle seule une étude particulière elle réunit environ 3000 personnes. Un musée (en déclin mais en cours de rénovation) est consacré à cette activité.

22 Syndicat d’aménagement hydraulique du sud Loire, lac de Grand-Lieu, étude socio-économique – Enquête inventaire et description des usages et des usagers, octobre 1991.

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La pêche amateur : Elle se déroule autour du lac dans les douves et les canaux des marais lors des crues de novembre et décembre, par des riverains (150 à 180 adhérents à l’ADERP23). La moyenne d’âge est assez élevée, ce sont des personnes qui souhaitent voir maintenir un droit traditionnel. Il est important de les prendre en compte lors la mise en place de projet sur le territoire (randonnée pédestre, utilisation des cours d’eau…)

– un tourisme de grès ou de force ? Nous l’avons vu, le lac est au cœur des actions menées, il reste physiquement et visuellement absent, son accès est confidentiel. Le grand public ne peut le parcourir qu’en des lieux et des moments précis (fête des pêcheurs…) D’ou la question, comment imaginer un projet touristique économiquement viable sur le site ? Nous l’avons vu, compte tenu des multiples contraintes, le lieu ne se prête pas à ce type d’approche. Pour le moment, il est nécessaire de faire face à la demande locale. Nous sommes donc dans une configuration de tourisme de proximité qui s’adresse aux habitants des communes riveraines, du pays de Retz et de l’agglomération Nantaise. Comment pourrions-nous définir le tourisme à Grand-Lieu ? Comme un tourisme de grès ou de force, un tourisme des interstices qui échappe à l’organisation marchande ? Sans qu’aucune structure politique n’accepte de porter une démarche commune comment envisager une évolution positive qui puisse répondre aux attentes des visiteurs. Chaque acteur local développe son propre projet sans concertation avec les autres partenaires, ce qui ne facilite pas la lecture du site par le visiteur : La réserve naturelle développe son travail de vulgarisation (sans moyens), la Maison du pêcheur est en cour de rénovation, à l’abbatiale, un professionnel est chargé de travailler sur le projet scientifique et culturel, mais son principal rôle est de « faire se rencontrer tous les partenaires du site (de l’abbatiale) ».24 – un projet entre culture et tourisme Compte tenu de l’état des lieux, le projet de l’association culturelle du lac de Grand-Lieu était de développer une approche culturelle du site pour échapper aux contraintes liées à l’environnement. Ainsi, le domaine culturel et le domaine touristique se croisent.

- L’objectif d’un point de vue culturel étant de trouver de nouveaux publics et de nouvelles sources de financement.

- L’objectif d’un point de vue touristique étant d’élargir l’offre par des produits ayant des contenus culturels.

Le développement d’un tel projet nécessiterait une collaboration entre des professionnels du tourisme et des professionnels de la culture. Ils sont très peu présents sur le secteur. L’objectif était également de sortir des conflits existants entre les partenaires en déplaçant l’approche du lieu sur le plan culturel, des représentations, du récit.

23 Association départementale des Riverains et des Propriétaires de Plans d’Eau et de Cours d’Eau de Loire-Atlantique. 24 Article paru dans Ouest-France, le 25 mars 2008.

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Les actions menées en partenariats étaient également l’occasion d’initier des habitudes de collaboration et la constitution de nouvelles approches du lieu pouvant à terme produire des projets innovants. L’action culturelle menait un processus de développement local approche basée sur la valorisation touristique et culturelle sur un territoire disloqué entre de multiples structures intercommunales... ce qui ne simplifie pas la démarche et peut même la condamner.

Quelques pistes pour alimenter la réflexion théorique

La notion de protection des paysages25

Née dans le milieu des poètes et des peintres, la notion de paysage a, dès l’origine une dimension esthétique et trouve sa généalogie dans l’art.A« C’est par la création artistique que se constitue la conscience paysagère qui conduit au début du XXe siècle à l’acception du terme de paysage tel que nous le connaissons. »

En 1549, le mot paysage apparaît pour la première fois dans le dictionnaire français-latin de Robert Estienne où il désigne, à cette époque, une toile de peintre représentant une vue champêtre ou un jardin.

En 1861, pour la première fois en France, un espace naturel en forêt de Fontainebleau est protégé pour sa valeur paysagère, à la demande des peintres de Barbizon.

Le 2 mai 1930, le gouvernement français vote la première loi en faveur de la protection des sites.

En 1993, la loi paysage définit pour la première fois une politique globale des paysages français. Elle précise en particulier le rôle de l’État, des collectivités et des associations dans leur protection mais aussi dans leur gestion.

De nos jours, la préservation des paysages, sujet très sensible, s’applique aux sites remarquables, aux milieux naturels protégés, aux régions de montagne, aux zones littorales, à certains espaces urbanisés, donc à l’ensemble du territoire. L’établissement d’une réglementation pour la protection et la gestion du paysage a longtemps été freiné par le caractère subjectif lié à sa définition.26

25 http://crdp.ac-amiens.fr/edd/paysages/paysages_maj_detail.htm 26 http://crdp.ac-amiens.fr/edd/paysages/paysages_maj_detail.htm consulté le 23 août 2007.

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Paysage 27: Aujourd’hui, le concept paysage dépasse les limites du monde de l’aménagement et envahit la sphère médiatique. Définis comme étant le « visage d’un pays », il est le révélateur de sa culture et de son histoire. Cette histoire mouvante, est le résultat de la réalité et du regard de l’observateur.A« Étendue d’un pays s’offrant à l’observateur », le paysage doit être considéré comme un système complexe de relations fait d’aspects objectifs relevant du fonctionnel, du technique et du scientifique et d’aspects subjectifs dépendant de la perception, de la sensibilité, de l’histoire, de la culture et de l’état d’âme de chacun.

L’approche systémique, articule au moins trois composantes interdépendantes :Ale paysage espace-support ; portion d’espace soumise à la vue, remplit d’objets ;Ale paysage espace-visible incluant la notion d’échelle ;Ale paysage-représentation ou paysage spectacle ; espace vécu ou perçu selon la sensibilité, l’histoire, l’état d’âme de chaque individu. Nous rejoignons ici les préoccupations premières de tout projet de recherche culturel et artistique. C’est une piste de travail que nous n’avons pas la place de développer dans la cadre cette étude.

On ne doit cependant pas exclure le rôle de l’homme dans la formation et l’évolution du paysage : les activités économiques, sociales et culturelles qui le modèlent à partir du support géomorphologique et biologique le font constamment évoluer.

Le paysage est également une notion développée par les grandes institutions. La Convention européenne du paysage, dont le programme est rappelé aux pages 25-30 du livre (Maguelonne Dejeant-Pons), donne les définitions suivantes : le paysage est « une partie de territoire telle que perçue par les populations, dont le caractère résulte de l'action de facteurs naturels et/ou humains et de leurs interrelations ». La politique du paysage est « la formulation par les autorités publiques compétentes des principes généraux, des stratégies et des orientations permettant l'adoption de mesures particulières en vue de la protection, la gestion et l'aménagement du paysage ».28

Le paysage culturel : Cette notion nous semble particulièrement pertinente dans le cadre

de notre démarche.

27 http://crdp.ac-amiens.fr/edd/paysages/paysages_maj_detail.htm consulté le 23 août 2007. 28 Gérard Chouquer, Patrimoine et paysages culturels. Actes du colloque international de Saint-Émilion (30 mai-1er juin 2001). Éditions Confluences, Renaissance des cités d'Europe, octobre 2001, 354 p. (« Des lieux et des liens »)., Études rurales, 163-164 - Terre, territoire, appartenances, 2002, http://etudesrurales.revues.o

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Un paysage culturel est défini à l'article 1 de la Convention du patrimoine mondial comme étant une oeuvre conjuguée de l'homme et de la nature. Il peut s'agir soit d'un jardin ou d'un parc, soit d'un paysage relique, soit d'un paysage vivant mais marqué par son histoire, soit enfin d'un « paysage culturel associatif », c'est-à-dire un paysage qui associerait un élément naturel à un fait religieux, artistique ou culturel.29 C’est cet aspect qui sous-tend l’action que nous menons à Grand-Lieu.

La proposition Isabelle Auricoste donne un éclairage plus précis sur

l’approche que nous développons à Grand-Lieu. Pour elle : la question de l'élargissement du concept de paysage est le moyen de poser la question du « comment vivre ensemble ». Le paysage est « une image mentale qui confère son sens à une unité territoriale », selon une conception qui commence à être partagée et diffusée. Elle met en évidence le fait qu'un pays a toujours un paysage, refusant ainsi de se situer dans une opposition entre « pays » et « paysage », qui est fréquente chez les spécialistes. 30

La notion de lieu

Dans cette partie, nous traiterons de notre proposition, nous chercherons à assurer la liaison méthodologique entre la construction du modèle (Grand-Lieu) et l’action (culturelle à dimension touristique). Puisque pour reprendre José Arocéna, « on ne peut pas impulser un processus de développement sans représentation même vague et imprécise de ce que l’on veut construire. »31 Nous le ferons en nous appuyant sur des approches théoriques qui ont alimenté notre réflexion au cours de la mise en œuvre de l’action.

Ce qui frappe l’esprit lorsqu’on arrive sur le site que nous étudions, c’est son nom, Grand-Lieu, le lac de Grand-Lieu.

Comme si ce nom suffisait, comme s’il disait tout, comme si en venant, nous avions déjà le pressentiment qu’il n’y avait rien à voir. C’est cet aspect qui nous intéresse particulièrement et qui est la base du projet culturel à dimension touristique que nous proposons. Le lac dans sa totalité est un espace et un lieu. Il nous semble donc important de préciser ces notions

29 Gérard Chouquer, Patrimoine et paysages culturels. Actes du colloque international de Saint-Émilion (30 mai-1er juin 2001). Éditions Confluences, Renaissance des cités d'Europe, octobre 2001, 354 p. (« Des lieux et des liens »)., Études rurales, 163-164 - Terre, territoire, appartenances, 2002, http://etudesrurales.revues.o 30 ibid, 30 31 José Arocéna, le développement par l’initiative locale, édition l’Harmattan, Paris, 1986, p. 208.

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La dénomination lieu de Grand-Lieu vient probablement de l’évolution du mot « lacus » : Lacus, locus… Ainsi, trouve-t-on la dénomination « Sanctus Phelibertus de Grandi Lacus » en 1258 puis en 1265 « Sanctus Phelibertus de Grandi Loco et enfin, Saint-Philbert-de-Grand-Leu» en 1362.32

Qu’est-ce qu’un espace, qu’est-ce qu’un lieu ? – l’espace, du latin spatium, « champ de course, arène » puis

« espace libre, étendue, distance » et aussi « laps de temps, durée. C’est aussi « espace comme milieu dans lequel ont lieu des phénomènes observés » (1691). La notion d’espace imaginaire est apparue avant 1778.33

– Le lieu, attesté en ancien français sous les formes de loc (fin Xème siècle), leu (1050) puis lieu (vers 1120), est issu du latin locus « lieu, place, endroit ». Locus a également le sens de « situation, rang » et le sens général de – portion déterminée d’espace.34

Une étude sémantique d’Alphonse Dupront nous permettra de préciser le concept35. Elle sera la base de notre réflexion pour le mise en œuvre de l’action culturelle.

Le lieu est millénaire, il est présent dans la langue de tous les jours, il fait partie des mots familiers qui ont un grand nombre d’usages. Phonétiquement, il impose précision, regard, impalpable présence. Le lieu est fait d’un double secret :

1 - « dans l’ordre de la nature, le lieu est fait d’espace »36, il inscrit une présence singulière dans la vastitude. Le lieu s’étale, maître de son espace. Le lieu s’inscrit dans un espace réel fait de terre, d’eau, d’air et de lumière. Cette convergence d’éléments lui donne sa juste place dans l’ordre naturel du monde. Mais dans le lieu, il y a aussi l’extraordinaire. L’homme intervient pour le faire apparaître, pour le rendre manifeste. (La démarche de création artistique rejoint ici le concept de lieu) « Il n’y a pas de lieu seul, il n’y a pas de lieu sans entour »37 Ciel, terre, lumière composent un ensemble inséparable du lieu, les signes de la présence des hommes composent l’entour.

2 – La seconde réalité du lieu est sa socialisation, création collective. « L’intervention de l’homme est d’abord la parole »38 (Nous retrouvons là le fondement de la création littéraire.) La création sociale a ses rites, ses pratiques. Le récit est indispensable pour que le lieu se forme. Pour exister le lieu doit être dit. Tout homme qui passe sur un lieu 32 Jean-Anne Cholet, Les belles heures du comté Nantais, éditions Serge Godin, 33 Alain Rey, Dictionnaire historique de la langue française, Robert 1992, p 722 34 idem, p 1127 35 Alphonse Dupront, « Au commencement, un mot : lieu » in Autrement, hauts Lieux, N° 115, mai 1990, P 58 36 idem, p 59 37 idem p 60 38 idem p 60

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y dépose sa trace et doit lire celle laissée par ses prédécesseurs. Le lieu s’inscrit dans un espace et « réunit en lui la spatialisation du temps ». Se mêlent l’histoire du lieu, vrai ou légendaire et celle des hommes qui l’ont fait et le font.

Un dernier élément est nécessaire pour compléter ce portrait : le génie du lieu qui anthropomorphise le lieu. Interlocuteur silencieux, il possède son langage offert au dialogue avec le visiteur. Dialogue, non discours mais d’imprégnation, d’éveil au cosmique et à la durée » Cette matière impalpable ne peut-être enfermée dans une analyse, ce serait aller contre sa propre réalité, par contre, elle est la matière première de la création artistique et littéraire.

L’homme découvre un lieu d’une manière physique,vue, touché, odorat, l’ouie, l’audition… Mais l’imaginaire intervient aussi sous un double aspect. (Nous touchons à la fois à l’approche culturelle et à l’approche touristique.)

- l’imaginaire préalable, - l’imaginaire d’après, ainsi, le visiteur emporte des éléments et

reconstitue le lieu « selon ce que son besoin profond a marqué en lui du lieu »39 L’imaginaire est le passage qui permet à chacun de toucher le « génie du lieu » sans que jamais cette démarche ne puisse répondre à une norme collective. Par contre, cette approche peut répondre à des impératifs collectifs. Le collectif étant ici le produit des individualités sans être leur perte, le produit des unicités dans leur diversité infinie et non dans la réduction à une unité. La force de la démarche collective est dans la culture de la diversité. Le collectif sans la diversité, c’est la dictature ? Ainsi, le concept de lieu, nous permet de passer de l’espace matériel à l’imaginaire et de l’imaginaire à la création littéraire et artistique qui sera le sujet de notre quatrième partie.

Nous n’avons pas le temps de développer d’autres notions du lieu qui pourraient enrichir notre réflexion comme :

- lieu et géographie :

« Là où quelque chose se trouve ou/et se passe. Termes proches : endroit, place, position, site, emplacement, parages, lieu-dit, localité, coin, scène, théâtre…

Lieu (du latin locus) est un concept fondamental de la géographie, au point que celle-ci a pu être qualifiée de « science des lieux » (Vidal de la Blache). »40

39 idem p 64 40 Augustin Berque, "‘Lieu’ 1.", EspacesTemps.net, Il paraît, 19.03.2003 http://espacestemps.net/document408.html, mercredi 19 mars 2003

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- le haut lieu « Le Haut Lieu pour reprendre la définition de Bernard Poche est un

lieu qui est haut grâce à sa nature physique ou sociale, « il nous permet de dire l’histoire, de construire l’espace. A la jointure entre nature et culture, il est à la fois le repère dans une société vouée à l’errance et le lieu d’interprétation des mythes qui y sont attachés. »41 Dans l’approche développée par cet auteur, rien ne sépare le génie du lieu du génie du langage. « À travers le haut lieu, on vient dire quelque chose, rendre compréhensible un univers spatial »42. Le haut lieu est potentiellement universel.43 A Grand-lieu, nous sommes confrontés à une contradiction puisque pour Bernard Poche : du haut lieu, on voit la plaine… et de Grand-Lieu, on ne voit rien…

Cette approche vient confirmer l’hypothèse qui sera à la base de la mise en œuvre du projet culturel que nous proposons à partir des résidences d’artistes.

- le lieu anthropologique Définition de l’Anthropologie : rapport de l’homme à son milieu. Le lieu anthropologique est à la fois principe de sens et principe

d’intelligibilité pour celui qui l’observe. On ne peut analyser le sens d’un lieu que s’il a été investi de sens. « C’est l’identité des uns et des autres qui faisait le lieu anthropologique, à travers les connivences du langage, les repères du paysage, les règles non formulées du savoir vivre… »44 C’est le lieu du social organique alors qu’à l’opposer le non-lieu vient de la contractualisation solitaire. Pour Marc Auger qui a développé l’idée du non-lieu, définit le lieu anthropologique comme « le lieu du sens inscrit et symbolisé »45

- du Grand-Lieu au Lieu-Grand Ce concept nous permet de faire le lien entre le domaine de la

géographie et de la culture. Reportons-nous à l’analyse de François Terrasson dans son ouvrage « la peur de la nature »46 et plus particulièrement à une interprétation de la fable du petit chaperon rouge : Le loup, déguisé en grand-mère imaginaire est la mère Grand ? Ainsi l’inversion des mots marque le passage d’un état à un autre – l’inversion n’est pas si loin de l’invention ni de l’avertion – le Lieu-Grand du Grand-Lieu est le lieu en perpétuelle reconstruction.

Dans la fable, le petit chaperon rouge effectue un « passage initiatique » : il passe à travers la peur de la nature, par le ventre du fauve pour en acquérir tous les pouvoirs, être digéré et à partir de ce

41 Bernard Poche, « du haut lieu, on voit la plaine » in autrement, haut lieux, N°115, mai 1990, page 67. 42 Idem, page 71 43 idem, page 70 44 idem page 127 45 Marc Auger, Non-lieux, Le Seuil, Paris, avril 1992, page 103 46 François Terrasson, La peur de la nature, éditions sang de la terre, octobre 1991

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moment-là, en être et ne plus pouvoir rien faire contre, sans s’atteindre soi-même.

Si nous ouvrons le livre: "Châteaux Forts Magiques de France" écrit par Roger Facon et Jean-Marie Parent nous y lisons page 35, ces lignes qui vont nous éclairer sur la pensée de Perrault

"Se jeter dans la gueule du loup, c'est avant tout entrer dans la caverne initiatique, se soumettre aux rites, aux épreuves implacables. Car le loup est celui qui dévore. Comme le feu des adeptes, comme la lumière de Lug. Et il n'y a guère que le sage ayant réalisé l'oeuvre au rouge (le Petit Chaperon Rouge) pour triompher du loup, pour maîtriser l'ensemble des lois magiques."47Ces paroles ne renferment-ils pas des symboles que nous ne savons pas décrypter ? Certains lieux ne sont-ils pas chargé de sens symboliques et ne rejoignons-nous pas une des fonctions de l’art et de la littérature.

- Être lieu (être crâne) Une dernière approche pour renforcer notre hypothèse, celle

développée par Georges Didi-Huberman dans son livre « être crâne »48 qu’il a consacré à l’œuvre de l’artiste Giuseppe Penone. Nous reprendrons simplement un passage de la quatrième de couverture : « L’artiste est inventeur de lieu. Il façonne, il donne chair à des espaces improbables, impossibles, impensables ».

De quel lieu parle-t-il ? « c’est d’abord un lieu pour se perdre , un chemin qui ne mène nulle part. C’est un lieu où nous progressons à tâtons, … C’est un rhizome, quelque chose qui évoque les réticulations végétales… »49 ces mots prendront tous leurs sens lorsque nous évoquerons les œuvres qui ont été réalisées par les artistes au cour des résidences.

L’ensemble de ces concepts sont pour nous les fondements de tout projet culturel à dimension touristique. Nous aurions pu également aborder les travaux de Gille Clément, et d’autres… Nous ouvrons là un champs d’étude que nous ne pouvons pas traiter dans ce mémoire. Entre géographie, art, littérature et anthropologie, la mise en forme de ces hypothèses et leur développement nécessiterait une étude plus approfondie.

47 http://www.gallican.org/chaproug.htm consulté le 27 août 2007 48 Georges Didi-Huberman, « être crâne », les éditions de minuit, Paris, 2000 49 idem, page 79.

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Le rapport nature culture :

Nous savons, « le milieu naturel au sens strict d’équilibre climatique sans perturbation d’origine anthropique, n’existe plus sur le territoire Français depuis le haut moyen âge »50.

Ne sommes-nous pas confronté à la protection d’un lieu mythique, vestiges d’une « nature » qui n’existe pas ? Lieu de convoitise et d’inquiétudes, de désirs et de peurs comme l’évoque François Terrasson dans son livre « la peur de la nature »51 : « La nature, n’est-ce pas ce qui existe en dehors de toute action de l’homme…. La nature, c’est ce qui ne dépend pas de notre volonté… Préserver la nature, ce sera donc… Parvenir à maintenir l’impression sensible que nous éprouvons en face de tout ce qui n’est pas d’origine humaine. »

L’opposition entre nature et culture est présente lorsqu’on aborde le thème du paysage qui est un concept central à Grand-Lieu. Au-delà de cette opposition, Il faut situer le débat sur le paysage dans le lien qui s’instaure entre les pratiques professionnelles, les réalités matérielles et le système de représentation culturel que la société se donne à tel ou tel moment.52

C’est un élément primordial à retenir pour la mise en œuvre d’un projet global de valorisation du lac de Grand-Lieu.

50 Georges Duby et Armand Wallons, Histoire de la France Rurale, Tome 1, Des origines à 1340, Points Seuil, 1975, page 48. 51 François Terrasson , La peur de la nature, éditions Sang de la terre, 1991, page 20 et 21 52 Gérard Chouquer, Patrimoine et paysages culturels. Actes du colloque international de Saint-Émilion (30 mai-1er juin 2001). Éditions Confluences, Renaissance des cités d'Europe, octobre 2001, 354 p. (« Des lieux et des liens »)., Études rurales, 163-164 - Terre, territoire, appartenances, 2002, http://etudesrurales.revues.o, consulté le 24 août 2007