grand Âge - des idées pour recruter (6)

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24 Mai 2014 • La Gazette Santé-Social DOSSIER VU D’AILLEURS Le Japon, à la pointe d’une politique incitative globale Confronté au vieillissement accéléré de sa population, le pays mène une politique proactive, axée sur la communication, des hausses de salaire, ainsi que… des «robots de soins». JAPON Population: près de 128 millions d’hab. Espérance de vie, en 2010: 86,3 ans pour les femmes et 79,6 ans pour les hommes. Réglementation: adoptée en 1997, la loi instaurant l’assurance dépendance, ou Long Term Care Insurance Law, est entrée en vigueur en 2000. Elle devrait être réformée en 2015. A u Japon, le temps presse. Alors qu’en 2010, la part des personnes âgées de plus de 80 ans atteignait 6,4 % de la popula- tion (contre près de 5 % en France), elle devrait s’élever à 8 % en 2015 et à 16,5 % en 2050, estime le National Institute of Population and Social Security Research. La réflexion sur la prise en charge des personnes âgées dépendantes y est donc relativement ancienne. Assurance dépendance Dès 2000, le pays a mis en place, pa- rallèlement à l’assurance maladie, un système généralisé d’assurance dépen- dance. Destinée aux personnes âgées de plus de 65 ans, celle-ci couvre 90 % des soins de longue durée, à domicile ou en établissement. La politique japonaise favorise le maintien à domicile. Pilier de ce système, le métier de « soodan-in » (gestionnaire de soins à domicile), en expansion, consiste à coordonner le parcours de santé de la personne âgée. D’autres professions se sont dévelop- pées : les « kaigoshi », ou travailleurs du soin, sont un peu moins qualifiés que les aides-soignants français, et exercent tant à domicile qu’en établis- sement pour personnes âgées. En 2011, le Japon comptait 1,3 mil- lion de ces professionnels, selon le ministère de la santé, du travail et du bien-être ; mais les besoins explosent. « Leur nombre a triplé, entre 2000 et 2012. Et nous aurons besoin d’en- viron un million de professionnels supplémentaires d’ici 2025 », indique Shinsuke Murano, premier secrétaire à l’ambassade du Japon à Paris, déta- ché du ministère de la santé. L’Etat a donc impulsé une série de mesures incitatives. Des campagnes de communication ont été déployées dans les médias. Un « Jour du soin » se tient chaque 11 novembre, depuis 2008, pour valoriser ces métiers : « Les muni- cipalités organisent des séminaires de sensibilisation pour tous les publics et des réunions d’information dans les écoles qui forment aux métiers médi- caux », détaille Shinsuke Murano. Mais le Japon peine, lui aussi, à conserver les salariés. « En 2009, 21 % des personnes quittaient ces professions, contre 16 % dans les autres secteurs d’activité. » Depuis 2012, les subventions attribuées aux établissements et aux services d’aide et de soins à domicile sont donc pro- portionnelles à l’effort fourni pour augmenter les salaires et soulager la pénibilité du travail. En coopération avec des entreprises privées, le gouvernement développe même des « robots de soins », telle une combinaison cybernétique augmen- tant les capacités physiques, et donc l’autonomie de la personne âgée qui la revêt. Dans les établissements, de telles acquisitions sont encouragées. « Une prime de 3 millions de yens environ [soit 21 278 euros, ndlr] peut être attribuée à une structure qui s’en procure », conclut Shinsuke Murano.Héléna Hirata (*), sociologue, directrice de recherche émérite au CNRS «La présence d’hommes peut avoir des conséquences sur l’image de la profession» «Au Japon aussi, les métiers liés aux soins sont très féminins; cependant, dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées, environ 35% des per- sonnes qui occupent ces fonctions sont des hommes. Leur présence peut avoir des conséquences sur l’image de la profession. Tout ce qui est exercé par les hommes est davantage valorisé. Les directeurs d’institution expliquent cette pré- sence masculine par la crise financière de 2008, qui a durement frappé le pays. Le gouvernement a proposé aux chômeurs de suivre des cours gratuits pour devenir “travailleurs du soin”, avec un emploi à la clé. Il a mené une politique fortement incitative et massive pour que les personnes s’investissent dans le secteur. Le rapport positif à ces métiers vient également d’une expérience familiale. Plusieurs personnes m’ont raconté avoir vécu avec leurs grands-parents pendant leur jeu- nesse. Certaines ont dû s’en occuper, cela a eu des conséquences sur leur choix.» (*) Auteure de «Le travail du care pour les personnes âgées au Japon», Informations sociales n°168, 6/2011.

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  • 24 Mai 2014 La Gazette Sant-Social

    DOSSIER

    VU DAILLEURS

    Le Japon, la pointe dune politique incitative globaleConfront au vieillissement acclr de sa population, le pays mne une politique proactive, axe sur la communication, des hausses de salaire, ainsi que des robots de soins.

    JAPON Population: prs de 128 millions dhab. Esprance de vie, en 2010: 86,3 ans

    pour les femmes et 79,6 ans pour les hommes.

    Rglementation: adopte en 1997, la loi instaurant lassurance dpendance, ou Long Term Care Insurance Law, est entre en vigueur en 2000. Elle devrait tre rforme en 2015.

    Au Japon, le temps presse. Alors quen 2010, la part des personnes ges de plus de 80 ans atteignait 6,4 % de la popula-tion (contre prs de 5 % en France), elle devrait slever 8 % en 2015 et 16,5 % en 2050, estime le National Institute of Population and Social Security Research. La rfl exion sur la prise en charge des personnes ges dpendantes y est donc relativement ancienne.

    Assurance dpendanceDs 2000, le pays a mis en place, pa-ralllement lassurance maladie, un systme gnralis dassurance dpen-dance. Destine aux personnes ges de plus de 65 ans, celle-ci couvre 90 % des soins de longue dure, domicile ou en tablissement. La politique japonaise favorise le maintien domicile. Pilier de ce systme, le mtier de soodan-in

    (gestionnaire de soins domicile), en expansion, consiste coordonner le parcours de sant de la personne ge. Dautres professions se sont dvelop-pes : les kaigoshi , ou travailleurs du soin, sont un peu moins qualifi s que les aides-soignants franais, et exercent tant domicile quen tablis-sement pour personnes ges.En 2011, le Japon comptait 1,3 mil-lion de ces professionnels, selon le ministre de la sant, du travail et du bien-tre ; mais les besoins explosent. Leur nombre a tripl, entre 2000 et 2012. Et nous aurons besoin den-viron un million de professionnels supplmentaires dici 2025 , indique Shinsuke Murano, premier secrtaire lambassade du Japon Paris, dta-ch du ministre de la sant.LEtat a donc impuls une srie de mesures incitatives. Des campagnes de communication ont t dployes dans les mdias. Un Jour du soin se tient chaque 11 novembre, depuis 2008, pour valoriser ces mtiers : Les muni-cipalits organisent des sminaires de

    sensibilisation pour tous les publics et des runions dinformation dans les coles qui forment aux mtiers mdi-caux , dtaille Shinsuke Murano.Mais le Japon peine, lui aussi, conserver les salaris. En 2009, 21 % des personnes quittaient ces professions, contre 16 % dans les autres secteurs dactivit. Depuis 2012, les subventions attribues aux tablissements et aux services daide et de soins domicile sont donc pro-portionnelles leffort fourni pour augmenter les salaires et soulager la pnibilit du travail.En coopration avec des entreprises prives, le gouvernement dveloppe mme des robots de soins , telle une combinaison cyberntique augmen-tant les capacits physiques, et donc lautonomie de la personne ge qui la revt. Dans les tablissements, de telles acquisitions sont encourages. Une prime de 3 millions de yens environ [soit 21 278 euros, ndlr] peut tre attribue une structure qui sen procure , conclut Shinsuke Murano.

    Hlna Hirata (*), sociologue, directrice de recherche mrite au CNRS

    La prsence dhommes peut avoir des consquences sur limage de la profession Au Japon aussi, les mtiers lis aux soins sont trs fminins; cependant, dans les tablissements dhbergement pour personnes ges, environ 35% des per-sonnes qui occupent ces fonctions sont des hommes. Leur prsence peut avoir des consquences sur limage de la profession. Tout ce qui est exerc par les hommes est davantage valoris. Les directeurs dinstitution expliquent cette pr-sence masculine par la crise nancire de 2008, qui a durement frapp le pays. Le gouvernement a propos aux chmeurs de suivre des cours gratuits pour devenir travailleurs du soin, avec un emploi la cl. Il a men une politique fortement incitative et massive pour que les personnes sinvestissent dans le secteur. Le rapport positif ces mtiers vient galement dune exprience familiale. Plusieurs personnes mont racont avoir vcu avec leurs grands-parents pendant leur jeu-nesse. Certaines ont d sen occuper, cela a eu des consquences sur leur choix.(*) Auteure de Le travail du care pour les personnes ges au Japon, Informations sociales n168, 6/2011.

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