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COLLECTION « LES LANGUES DU MONDE »! publiée sous la direction de Henri HIERCHE GRAMMAIRE COMPARÉE DES LANGUES SLAVES TOME II MORPHOLOGIE Première Partie : FLEXION NOMINALE PAR ANDRÉ VAILLANT Professeur au Collège de France Directeur d'études à l'École des Hautes-Études IAÇ LYON, RUE VICTOR-LAGRANGE P A R I S , 6 Ws, R U E DE L'ABBAYE (VI«)

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C O L L E C T I O N « L E S L A N G U E S D U M O N D E » !

publiée sous la direction de H e n r i HIERCHE

GRAMMAIRE COMPARÉE DES

LANGUES SLAVES

T O M E I I

MORPHOLOGIE

Première Partie : F L E X I O N N O M I N A L E

P A R

ANDRÉ V A I L L A N T Professeur au Collège de France

Directeur d'études à l'École des Hautes-Études

I A Ç L Y O N , R U E V I C T O R - L A G R A N G E

P A R I S , 6 Ws, R U E D E L ' A B B A Y E (VI«)

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© 1958 by Editions IAC, Lyon. Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous pays.

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GRAMMAIRE COMPARÉE

DES

LANGUES SLAVES

Première partie : FLEXION NOMINALE

Ouvrage publié avec le concours du Centre National de la Recherche Scientifique

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PREMIÈRE ÉDITION : 1958

COLLECTION «LES LANGUES DU MONDE»

F. BI.ATT. — Syntaxe latine. A. DAUZAT. — Grammaire raisonnée de la langue française (Médaille

de l'Académie Française), 3e édition. G . GOUGENHEIM. — Grammaire de la langue française du XVIe siècle. M. GRAMMONT. — Phonétique du gree ancien. A. MARTINET. — Initiation pratique à l'anglais. F . MOSSÉ. — Esquisse d'une histoire de la langue anglaise. L . RENOU. — Grammaire védique. B . 0 . UNBEGAUN. — Grammaire russe. A . VAILLANT. — Grammaire comparée des langues slaves. 3 volumes. R . W . ZANDWOORT. — Grammaire descriptive de l'anglais contemporain. L . RENOU. — Histoire de la langue sanskrite.

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D U M Ê M E A U T E U R

Grammaire de la langue serbo-croate (en collaboration avec Antoine MEILLET). Paris , Champion, 1924.

La langue de Dominko Zlataric, poète ragusaîn de Ur fin du XVI' siècle. Paris, Champion, I. 1928, II . 1931.

Le De Autexusio de Méthode d'Olympe, version slave et texte grec édités et t radui ts en Français. Paris , Firmin-Didot, 1930.

L'Évangéliaire de Kulakia, un parler slavon du Bàs-Vardar ( en c o l l a b o r a -

tion avec André MAZON). Paris , Droz, 1938.

De Virginitate de saint Basile, texte vieux-slave et traduction française. Paris, Inst i tut d 'Études slaves, 1943.

Le trai té contre les Bogomiles de Cozmas le Prêtre (en c o l l a b o r a t i o n

avec Henri-Charles PUECH). Paris , Droz, 1945. •

Manuel du Vieux Slave, I, Grammaire, I I , Textes et glossaire. Par is , Inst i tut d'Études slaves, 1948.

Le Livre des secrets d'Henoch, texte slave et traduction française. Paris, Inst i tut d'Études slaves, 1952.

Discours contre les Ariens de saint Athanase, v e r s i o n s l a v e e t t r a d u c t i o n

française. Sofia, Académie des Sciences de Bulgarie, 1954.

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AVANT-PROPOS

Aux indications bibliographiques sommaires données dans le tome I, p. 7-10, il importe d'ajouter:

J. J . M I K K O L A , Urslavische Grammatik, Heidelberg, I, 1913, II, 1942, III, 1950.

F. T R Â V N Î C E K , Historickd mluvnice ceskoslovenskêho jazyka, Prague, 1935.

E . F . K A R S K I J , Belorusskaja rëc', Saint-Pétersbourg, 1 9 1 8 . '

A . L E S K I E N , Gramqnaiik der serbo-kroalischen Sprache, Heidelberg, 1914.

A . B E L I C , Zamëtki po cakavskim govoram, Saint-Pétersbourg, 1910.

Et pour la morphologie:

O . H U J E R , , Slovànskâ deklinace jmennâ, Prague, 1 9 1 0 .

Ghr. S . S T A N G , Das slavische und baltische Verbum, Oslo, 1942.

H . G R A P P I N , Les noms de nombre en polonais, Cracovîe, 1950.

H . G R A P P I N , Histoire de la flexion du nom en polonais, Wroclaw, 1956.

M. VEY, Morphologie du tchèque parlé, Paris, 1946. Fr. R A M O V S , Morfologija slovenskega jezika, Ljubljana,

1952.

M . André M A Z O N et M . Boris U N B E G A U N ont bien voulu lire chacun un jeu complet d'épreuves de ce tome II ; je leur suis reconnaissant de la peine qu'ils ont prise et de toutes les fau-tes qu'ils m'ont évitées.

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P R E M I È R E P A R T I E

FLEXION NOMINALE

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A

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CHAPITRE PREMIER

LA FLEXION DES NOMS

122. Observations générales. — La flexion est très riche en slave, comme en baltique. Le vieux slave a trois genres et trois nombres ; il a sept cas, presque autant que le sanskrit et l'avestique qui en ont huit, plus que le grec et le latin classiques. Il distingue une flexion nominale et une flexion pronominale, et en outre une flexion composée de l'adjectif, avec superposition de désinences pronominales aux désinences nominales. Il présente des types divers de flexion nominale, avec six désinences différentes de génitif singulier, en -a, en -y, en -g, en -u, en -i et en -e. Les langues slaves modernes conservent une bonne partie de ce système compliqué, avec des simplifications, mais aussi quelques complications nouvelles, et en révélant un jeu supplémentaire d'accent et des oppositions de quantité ou d'intonation.

Par leur flexion casuelle, toutes les langues slaves, à la seule exception du bulgaro-macédonien, diffèrent, avec le lituanien et le lette, des langues romanes et germaniques ou du grec moderne à flexion très réduite ou abolie. Elles se comparent à des états beaucoup plus anciens de ces langues, et elles présentent l'intérêt de montrer vivant un système flexionnel ordinairement disparu. On observe que ce système est parfaitement clair et commode pour la pratique du

^ langage : ce sont plutôt les langues à morphologie pauvre, comme l'anglais, qui sont de maniement subtil et difficile.

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10 LA FLEXION DES N O M S , [ 1 2 7 ]

Toutefois, si l'usage d'une langue à flexion riche est aisé, l'acquisition en est lente : pour un étranger, apprendre une langue slave nécessite au début un gros effort. Que le slave et le baltique aient pu maintenir leur flexion casuelle et la garder jusqu'à l'époque présente est l'indice que les Slaves et les Baltes, s'ils ont assimilé un bon nombre d'allogènes, ne l'ont jamais fait que progressivement, et qu'ils n'ont pas connu les brassages de population qui, dans le monde latin et grec, ont précipité l'évolution des langues. La Macédoine, exemple classique du mélange de peuples, et la Bulgarie, où les éléments romans et grecs ont été puissants, apportent la preuve du fait contraire (§ 128).

Au point de vue de la grammaire comparée, le système flexionnel que présente le slave, et plus encore celui que restitue le balto-slave, apparaissent nettement conservateurs et relativement proches de l 'état indo-européen primitif. Ils n'en portent pas moins la marque de leur âge : le slave est attesté tardivement, et davantage le baltique. Des désinences ont été obscurcies par les altérations phonétiques et les réductions de finales, et plusieurs ont été refaites, Si la flexion reste malgré tout assez stable, les types flexionnels sont en pleine transformation : le vieux slave garde beaucoup des types anciens, mais pour une bonne part à l 'état de vestiges dont la langue est en train de se débarrasser, et en présentant dans ceux qu'il maintient les plus vivants l'opposition nouvelle d'un type dur et d'un type mouillé.

123. Les genres.— H y a trois genres : masculin, féminin et neutre. La valeur des genres est nette avec les pronoms et les adjectifs employés absolument : v. si. tu « celui-là », ta « celle-là », to « cela » ; r. molodôj « le jeune marié », molodâja « la jeune mariée », mâloe « le peu ». Mais avec les substantifs la distinction des genres est en général aussi peu justifiée qu'en allemand ou en français : on ne voit pas, d'après le

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[123] . • LES GÊNÉES- ' - 11

. ' ! sens, pourquoi v. si. xlëbu «pain», r. xleb, -est masculin, voda «eau», r. vodâ, féminin, et vino « vin », r. vinô, neutre/ On observe seulement que les noms désignant des êtres mâles sont ordinairement masculins, ceux qui désignent des êtres femelles ordinairement féminins, et que le neutre ne comprend en principe que des noms de choses ou des abstraits, ou des noms d'êtres jeunes qu'on peut considérer comme asexués. On trouve des séries à trois termes comme v. si. mçzï « homme, mari », masc., zena « femme », fém., otrocç « enfant », neutre, konjî «cheval», kobyla « jument », zrêbç. «poulain». E t ces séries se multiplient avec le développement du suffixe neutre -g (§ 194), ainsi s.-cr. Bus «Russe», fém. Buskinja, neutre Rusce «enfant russe». Mais le nom de T« enfant » est aussi bien v. si. dëtistï, masc., et le russe répond au type neutre v. si. zrëbç par un type masculin zerebënok. Le genre réel ne présente donc rien de général ni de constant : le genre est essentiellement grammatical et fixé par la syntaxe d'accord, qui oblige à dire v. si. pçtï lu «ce chemin», masc., mais nostï ta « cette nuit », fém.

Le genre est un élément hérité. La distinction primitive, d'après le hittite, est celle de deux genres seulement, un genre inanimé (neutre), et un genre animé : le premier avec confusion du cas sujet (nominatif) et du cas objet (accusatif), le second différenciant les deux cas et marquant fortement le cas sujet par une forme spéciale, le plus clairement par une désinence -s de nominatif singulier. La comparaison avec d'autres langues laisse entrevoir l'origine lointaine de ce nominatif animé pourvu d'une désinence: c'est un ancien cas oblique de nom d'agent, un « ergatif », et la distinction des genres animé et inanimé du hittito-indo-européen se ramène à celle de deux constructions verbales avec ou sans nom d'agent, « il est fait une chose », et « il est fait par quelqu'un » (ergatif) devenant « quelqu'un fait » (nominatif).

Pour le genre féminin de l'indo-européen, le développement

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332 LA FLEXION DES N O M S , [ 1 2 7 ]

en est nouveau, puisque le hittite l'ignore, mais on èn voit mal le point de départ. Le type féminin le plus caractéris-tique, en -à-, avec des types parallèles en -ï- et en -â- (§ 150), est nettement suffixal. Mais ce suffixe fournit également un pluriel neutre, et l'on doit supposer qu'il servait primitivement à former des abstraits et des collectifs, d'une façon analogue à celle du suffixe si. -ïsku dans s.-cr. zènsko « du féminin, une femme» (d'où r. zénscina). De quelque origine qu'elle soit, l'opposition est régulière, dans les pronoms et les adjectifs qui fixent la syntaxe d'accord et la notion de genre, entre un thème masculin en -o- et un thème féminin en -â-, en regard du neutre en -o- : masc. *yos« lequel », neutre *yod, fém, *yâ, skr. yah, yad, yâ, gr. ôç, ô, t], si. i-ze, je-ze, ja-ze.. E t l'on voit l'opposition s'étendre dans les langues indo-européennes. Le grec classique a encore largement des noms en -o- féminins, le latin ne les connaît plus que dans un type de noms d'arbres et dans quelques vieux mots, et ils n'apparaissent plus ailleurs: à gr. f) ÏTTTTOS « la jument » en face de ô nnros « le cheval » se substitue lat. equa, skr. âçvâ, v. lit. esva, asvà (§ 48). Le type athématique et les thèmes en -i- et en -a- comprennent des féminins comme des masculins, mais, dans la flexion des participes présents en *-ont-j*-nt-, lat. ferens « portant », masc. et fém., est remplacé par skr. bhâran, masc., fém. bhârantî (thème bhârant-ï-, -t-yâ), gr. cpépcov, fém. çépouaa (thème *<pspovT-yâ-), lit. nesqs, fém. nesanti, v. si. nesy, fém. nesçsti, et dans la flexion des adjectifs en -u- on voit skr, laghûh « léger », masc. et fém,, céder la place à masc. laghùh, fém. laghvï, gr. êAccx S « petit » fém. è'Kâyeia, lit. saldùs « doux », fém. saldi, avec extension d'un suffixe de féminin -?-qui passe à -yâ- (§ 154) du type courant des féminins en -â-.

134. Le genre en slave. — Le balto-slave a continué d'ac-centuer la différenciation morphologique des genres. Il ignore naturellement les thèmes en -o- féminins, et le slave doit

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[ 1 2 4 ] LE GENRE EN SLAVE 13

rendre le féminin grec f| KsSpos « le cèdre » — devenu d'ail-leurs masculin en grec récent — par un masculin, v. si. kedrU, r. kedr. Dans les thèmes en -i-, il y a des masculins et des féminins, mais les masculins vont tendre à s'éliminer (§ 169)?

et le type à devenir proprement féminin. D'autre part, le slave, comme le lituanien, introduit à certains cas une dis-tinction dans la flexion d'après le genre : masc. pgtï « chemin », instr. sing. pgtïmï, nom. plur. pçtïje, acc. pçti, et fém. kosti « os », instr. sing. kostïjç, nom.-acc. plur: kosti. Dans les thèmes en -u-, les féminins sont remaniés, les neutres se fondent avec les masculins (§ 159), et le type devient un type masculin qui en slave va complètement fusionner avec l 'autre type mas-culin des thèmes en -o-. Le type athématique garde les trois genres, mais, perdant beaucoup de son importance, il se segmente en petits groupes de masculins, de neutres et de féminins avec des différences de flexion selon les genres.

Le genre et la flexion, primitivement indépendants, se trouvent ainsi étroitement liés. En slave, dans la flexion des adjectifs, où les thèmes en -z- et en -«-ont été éliminés, et où il ne subsiste plus que quelques vestiges du type athématique, il n 'y a que trois types de flexion répondant aux trois genres : masc. novû « nouveau », neutre novo, fém. nova. Le système de la déclinaison des substantifs reste sensiblement plus complexe : il y a une catégorie importante de masculins en -a- k flexion féminine, et les langues slaves ont développé des masculins en -o, et aussi en -e (§ 208) ; le type féminin en -i-reste vivant et ordinairement bien distinct (non partout, § 167), et les restes de l'ancien type athématique ont été incomplè-tement normalisés. Mais en gros on peut distinguer dans les langues slaves quatre types de flexion : une flexion des mas-culins, une flexion des neutres, une flexion principale des féminins (thèmes en -â-), une flexion secondaire des féminins (thèmes en -i-), c'est-à-dire disposer l'ensemble de la. flexion selon les genres.

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14 „ LA FLEXION DES NOMS [ 124 ]

Il en résulte que le genre, lié à la flexion et à l'aspect même du mot, est ordinairement facile à reconnaître en slave. Lés trois genres du slave ne- constituent en aucune façon une complication et une gêne pour la langue, comme c'est le cas en allemand : ils font office de classificateurs, non, ou très peu, selon le sens réel, mâles, femelles et choses, mais selon les types dominants de substantifs, v. si. domu « maison », masc., mësto «lieu», neutre, strana «région», fém., r. dom, mésto, storonâ. En allemand, la distinction des genres n'est assurée que par des déterminants, das Haus, der Ort, die Gegend: elle est aussi précaire que malcommode, et l'obscurcissement des déterminants suffit à la détruire, ainsi en anglais. En slave, elle est très stable, et tend de plus en plus à s'identifier à la forme du mot. Le russe vulgaire fait passer régionalement le type neutre ïmja « nom » au type des féminins en -'a (§ 207). Dans le groupe bulgaro-macédonien, où le développement d'un article postposé, bulg. dom-ât, mjâsto-to, stranâ-ta, renforce la division tripartite des substantifs, le type féminin bulg. krâv-tâ « le sang » devient dialectalement masculin

168) et il ne reste plus que trois types de substantifs, répondant exactement aux trois genres.

Toutefois, cette stabilité du système à trois genres du slave n'existe qu'au singulier. Au pluriel, dans la flexion prono-minale, la distinction des genres n'apparaissait qu'au nomi-natif et à l'accusatif. Elle s'est perdue complètement pour les pronoms et les adjectifs en russe et ukrainien, en bulgaro-macédonien, et elle est remplacée en slovaque et en tchèque parlé, en polonais et en sorabe par une distinction nouvelle entre genre animé ou personnel et genre inanimé ou non personnel (§ 235). Du même coup, dans plusieurs langues, les substantifs des trois genres ont rapproché leurs flexions de pluriel jusqu'à les confondre presque. On ne peut plus guère parler en russe de différences de genre au pluriel, malgré ce qu'il en subsiste au génitif ou génitif-accusatif, puisque

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[ 1 2 5 ] LE NEUTRE . 15

même la désinence -a, qui était caractéristique des neutres, se rencontre largement en regard de singuliers masculins : type gôrod « ville », plur. gorodâ (mais gén. gorodôv), comme zérkalo « miroir », plur. zerkalâ (gén. zerkâl, mais dial. -ov).

125. Le neutre.— Le système des trois genres, si net en slave, a été un moment menacé, et le neutre a failli disparaître. En effet, dans les thèmes en -o-, les désinences balto-slaves nom. -as, acc. -an des masculins, et nom.-acc. -an des neutres, se réduisaient également à si. -u (§§ 86, 88), ce qui aurait entraîné au singulier une fusion du masculin et du neutre. Mais la flexion pronominale maintenait la distinction de tu, masc., lit. tàs, et de fo, neutre, v. pr. sta, de i.-e. *tod. La dési-nence balto-slave *-a(d), si. -o, devenue caractéristique du neutre, a été étendue; d'abord aux adjectifs, d'après le type lit. géra, neutre de géras « bon », et peut-être dès le balto-slave (§ 135), puis en slave aux substantifs. Le fait est sûrement antérieur à la réduction complète de -as, -an à si. -u, et ii n 'y a pas lieu de penser que le neutre, défendu par l'accord des pronoms et des adjectifs, ait jamais été flottant en slave avec le masculin : que si. daru « don » soit parallèle à gr. Scopov, lat. dônum, n'est pas une raison pour y voir un ancien neutre. Au contraire, les substantifs en -u comme *medu « miel », v. pr. meddo, étaient en regard d'adjectifs en -u, du type lit. grazù de grazùs « beau », et leur finale n'était pas modifiée et donnait si. -u: d'où medu, masc.

Ce sont les langues baltiques, où pourtant nom. sing. -as, -us se maintenait bien distinct de nom.-aec. neutre -an, -u, qui ont éliminé le neutre et réduit à deux genres le système des trois genres. Mais le fait est récent : le vieux prussien conservait le neutre des substantifs au xiv e siècle, et il en gardait encore des traces au xvi e siècle ; le lituanien moderne a toujours des formes neutres d'adjectifs, et le lette en présente des vestiges adverbialisés. La disparition du neutre doit être

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16 LA FLEXION DES N O M S , [ 1 2 7 ]

en liaison avec un trait propre aux langues bal tiques, la confusion complète des 3e s personnes du singulier et du pluriel des verbes, et elle doit être partie du nominatif pluriel. Dans une phrase comme lit. *vartâ at-si-vërë « la porte s'ouvrit » (mod. vaftai atsivërè), il était impossible de recon-naître si *varlâ était un pluriel neutre, v. si. vrata, ou un féminin singulier, et le pluriel des neutres a pris l'aspect d'une sorte de collectif féminin singulier en -â, mais avec flexion de masculin pluriel aux cas obliques. D'où deux normalisa-tions : soit en féminin singulier, v. pr. œarto, acc. wartin; soit en masculin pluriel, lit. vaftai d'après dat. vartams, etc. En dehors des pluralia tàntum comme *vartâ, le pluriel neutre a été normalement refait en pluriel masculin, et le singulier neutre en -an en singulier masculin en -as: v. pr. assaran «lac », si. jezero, et lit. èzeras, lette ezers. Mais non toujours : en regard de si. mgso « chair », à pluriel très usuel, on a v. pr. mensâ, fém., acc. mensan, et lettè miesa, avec un pluriel féminin nouveau v. pr. mensas; à v. pr . slayan «barre de traîneau», plur. (ou fém. sing.} slayo «traîneau», répond lit. slâyos « traîneau », fém. plur. Ceci rappelle l'élimination du neutre dans les langues romanes, lat. folium, plur. folia, donnant v. fr. fueil, collectif la feuille, français moderne feuille, plur. feuilles. — Les parlers lettes de Livonie font disparaître plus ou moins complètement le genre féminin et tendent à n'avoir plus de distinction de genre, comme le live, du groupe finnois, auquel ils se sont superposés.

On peut observer en slave une petite limitation du genre neutre des substantifs, en ce qu'il ne forme plus de mots directement sur la racine : en regard des types masculins et féminins très vivants de v. si. isxodù « sortie » (isxoditi « sortir »), izmëna « changement » (izmëniti « changer »), il n 'y a pas de type neutre correspondant. Mais les adjectifs neutres substantivés et la grande productivité de plusieurs suffixes

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[ 1 2 6 ] . SOUS-GENRE PEBSONNEL ET ANIMÉ 17

de forme neutre, -ïje, -ïslvo, -isle,-(d)lo, compensent largement l'absence de dérivés simples en -o. Pour les emprunts, s'ils ne donnent pas ordinairement de neutres en vieux slave, il n'en est pas de même dans les langues modernes (§ 209).

126, Sous-genre personnel et animé. — Dans le genre masculin, le slave a introduit une distinction entre les noms désignant des personnes, dont l'accusatif singulier est rem-placé par le génitif (génitif-accusatif), et les autres noms, dont l'accusatif singulier reste identique au nominatif : v. si. ostavitu domû svoi « il quittera sa maison », avec domû non personnel, mais ostavitu otïca svojego «il quittera son père », avec otïcï personnel. Cette distinction est nouvelle et inconnue du baltique, mais elle est déjà presque fixée en vieux slave, limitée en principe aux masculins en -o- (génitif-accusatif en -a), mais quelque peu étendue par analogie aux masculins en -i- (génitif-accusatif en -z, § 170), et plus largement aux féminins athématiques en -er- (gén.-acc. -ère, § 197) et en -û- (gén.-acc. -uve, §: 201). E t elle s'élargit : d'une part, pro-gressivement et à des dates diverses, les langues slaves assi-milent les noms d'animaux aux noms de personnes et transforment le sous-genre personnel en sous-genre animé ; d'autre part le génitif-accusatif se développe au pluriel et au duel, d'abord dans la flexion pronominale avec les pronoms et adjectifs employés absolument, puis, pour une partie des langues, dans la flexion des substantifs. A d'autres cas encore, des désinences deviennent caractéristiques du sous-genre personnel ou animé : dat. sing. -ovi en vieux slave et dat.-loc. sing. -ovi en tchèque(§ 142), nom. plur. -owie en polonais ( § 140).

La différence du sous-genre animé et du sous-genre inanimé joue ainsi dans la flexion dès masculins un rôle soit notable, soit considérable, selon les langues. Le russe, avec l'obscur-cissement de la notion de genre au pluriel (§ 124), l'étend au pluriel des féminins et des neutres, distinguant acc. ryb

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18 LA FLEXION DES NOMS, [ 1 2 7 ]

(gén.-acc. plur.), de rtfba «poisson», et vôdy, de vodâ «eau», acc. materéj, de mâteri « mères », et kôsti « os », acc. rebjât, de rebjâta « enfants », et vremenâ « temps ». Au singulier, on a exceptionnellement dans la flexion du pronom de la troisième personne le génitif-accusatif neutre r. egô, s.-cr. ga, et le génitif-accusatif féminin r. eë, s.-cr. je, pour les anciens accusatifs v. r. e, ju, pol. je (couramment go), jq.

Le polonais et le sorabe ont compliqué secondairement la distinction des sous-genres dans la flexion des masculins : ils opposent au singulier, et au duel en sorabe, un sous-genre animé et un sous-genre inanimé, et au pluriel un sous-genre personnel et un sous-genre non personnel. Ainsi pol. dwôr « manoir », acc. sing. dwôr, nom.-acc. plur. dwory (inanimé) ; kot « chat », gén.-acc. sing. kota, nom.-acc. plur. koiy (animé non personnel), et mqz «mari, homme», gén.-acc. sing. mgza, nom. plur. mçzowie, gén.-acc. plur. mçzôw (animé per-sonnel) ; bas-sor. kôn « cheval », gén.-acc. sing. kônja, gén.-acc. duel kônjowu, nom.-acc. plur. kônje, gén. kônjow, et clowjek «homme», gén.-acc. sing. clowjeka, gén.-acc. duel clowjekowu, nom. plur. clowjeki, gén.-acc. clowjekow. Dans la flexion des pronoms et des adjectifs, au pluriel, lé polonais ne garde plus de la distinction des genres que l'opposition d'une forme personnelle masculine, nom. tadni « jolis », gén.-acc. ladnych, et d'une forme unique non personnelle, nom.-acc. ladne, mais cette opposition est forte et génératrice d'inno-vations : de duzy « grand, gros », nom.-acc. duze non personnel et nom. duzi personnel (§ 113).

127. Les nombres. — Le slave a trois nombres : singulier, pluriel et duel. Dans cet état hérité de l'indo-européen, la conservation du duel est notable pour une langue attestée tardivement comme le vieux slave, et son maintien jusqu'à l'époque actuelle dans deux langues, le sorabe et le slovène.

Le pluriel se caractérise par un jeu de désinences différentes

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[127] LES NOMBRES 19 1

de celles du singulier, où dès l'indo-européen on ne reconnaît aucun indice particulier de pluriel. Un certain élément -s sert de marque au nominatif et à l'accusatif pluriels dans des désinences comme nom. sing. fém. *-â, acc. *-ân, nom. plur. *-âs, acc. *-âns, v. pr. genno « femme », gennan, madlas « prières », gennans ; si bien que -s est devenu caractéristique de pluriel dans certaines langues, ainsi en anglais et en français.1

On voit d'autre part le lituanien faire de -s le signe distinctif de son datif et de son instrumental pluriels- en -ms, -m( i)s, par opposition au datif et à l'instrumental duels en -m (§ 133), Ce ne sont là que des utilisations postérieures de finales de désinences qui n'étaient plus analysées, et le fait n'intéresse pas le slave, où l'on a nom.-acc. plur. zeny, dat. zenamiï, etc. Le bulgaro-macédonien, qui a supprimé à peu près complète-ment la flexion des noms, maintient solidement la distinction du singulier et du pluriel : bulg. zenâ, plur. zeni ; d'ailleurs, comme les autres langues slaves, avec des caractéristiques variées du pluriel, masc. -i, -ove, -e, fém. -i, -e, neutres -a, -eta, etc. Dans les autres langues qui conservent la flexion, un élargissement du thème du pluriel du genre du grec moderne vpcona-s « boulanger », plur. coiaccS-sç ou du roumain vin « vin », plur. vinur-i, n'a de l'importance qu'en serbo-croate et en slovène, dans le type s.-cr. grâd « ville », plur. gràdov-i (§ 144) ; le type r. néb-o «ciel», plur. nebes-â, est ancien, mais très limité (§ 192).

Pour le duel, voir § 213. Il se présente avec une flexion réduite à un jeu de trois désinences dans chaque type flexion-nel. Il n'en est pas moins distinct à toutes ses formes du pluriel et de ses six cas, chacune de ses désinences valant pour deux cas : nominatif-accusatif, génitif-locatif, datif-instrumental. U y a là un état spécial, qui remonte à l'indo-européen et aux origines premières, quelles qu'elles soient, du duel. Le nombre duel, qui a également ses désinences propres aux trois personnes de la flexion verbale, n'est complètement

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2 0 LA FLEXION DES N O M S , [127 ]

conservé qu'en slave et en indo-iranien ; de façon déjà plus res-treinte en lituanien et en grec ancien, partiellement en vieux germanique (pronoms personnels et verbes), et sous des formes moins claires en vieil irlandais [(seulement dans les noms). L'existence du duel en hittite est douteuse.

Le duel, nominal et verbal, est d'emploi rigoureux en vieux slave : on dit obligatoirement ucenika idete « les disciples allèrent » quand il s'agit de deux disciples, et non ucenici idç, qui est le pluriel. Dans un tour comme « des disciples allèrent», quand il n'a pas été encore parlé d'eux et de leur nombre, la forme duelle est normalement dûva ucenika «deux disciples» avec le numératif exprimé. C'est naturel, puisque « un disciple » se dit couramment uceniku jeteru (oui nëkyi) « un certain disciple », gr. p>A0R|TF|S TIÇ, et dans les langues modernes r. odin ucenik. Ce n'est d'ailleurs pas absolu, et ne vaut pas pour les mots qui indiquent des couples usuels : oci «des yeux», roditelja «des parents (père et mère) ». Même hors de ce cas, on trouve en vieux slave des exemples comme eda osce mi sini esta Ruth, I, 11 (rédaction croate) « est-ce que j'ai encore des fils », avec le duel parce que le sens est « deux fds ». Le duel a disparu en tant que nombre dans la plupart des langues slaves, et de même en lette et en vieux prussien, mais en laissant des vestiges très importants dans plusieurs langues (§ 214).

Le système des nombres ne se limite pas en slave à l'oppo-sition d'un singulier, d'un pluriel et d'un duel : en concurrence avec le pluriel, le slave a largement développé la catégorie du collectif, et du même coup la catégorie inverse du singulatif. Voir § 211, § 212.

128. Les cas. — Il y a sept cas en balto-slave : nominatif, accusatif, génitif, locatif, datif, instrumental, vocatif. Cet ordre des cas s'impose en slave (mais non en baltique), du

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[ 1 3 1 ] LES DÉSINENCES: SINGULIER 21

fait qu'on a fréquemment à parler de nominatif-accusatif, de génitif-accusatif (§ 126), de génitif-locatif, de locatif-datif, de datif-instrumental, le vocatif étant à part. Les valeurs des cas sont sommairement indiquées par leurs noms tradition-nels; le détail des emplois èst complexe et appelle une étude spéciale. Le vocatif ne possède de forme propre qu'au singu-lier des substantifs masculins et féminins, et ailleurs il est exprimé par le nominatif (sauf des particularités d'accent, § 217) ; dans la flexion des adjectifs, il n'apparaît en vieux slave qu'au masculin singulier, et il est en voie de dispa-rition (§ 270). Il y a donc seulement six cas au pluriel, et trois seulement au duel, où nominatif et accusatif, génitif et locatif, datif et instrumental se confondent. Au total, on a un jeu de seize désinences dans la flexion d'un nom. Quelques désinences présentent la même forme et ne se distinguent que par leur valeur, mais il reste douze finales casuelles distinctes dans la flexion d'un féminin rgka « main » en vieux slave (quatorze en restituant des différences d'accent, § 220), et treize dans la flexion de masculin du démonstratif tu « ce ».

Le système des cas du balto-slave continue celui de l'indo-européen, avec des désinences qu'on n'analyse pas. On a pu supposer que la désinence du génitif pluriel, en slave *-on, ~u (§ 132), représentait le suffixe d'un dérivé possessif, et de même la désinence de génitif singulier -F particulière à l'italo-celtique. On peut imaginer que les désinences casuelles sont ordinairement les débris d'anciens adverbes soudés au nom. Et en effet les prépositions étaient à l'origine des adverbes à place libre et volontiers postposés, comme on le voit en indo-iranien, en grec homérique, en ombrien, et aussi en letto-lituanien, où des postpositions -nfa), -p(i), d'emploi courant en vieux lituanien, ont donné des types adverbiaux, et aussi une désinence et un cas nouveaux. Le lituanien possède dialectalement un huitième cas, l'« illatif », indiquant le lieu où l'on va, ainsi dangun zehgli « aller au ciel », de

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342 LA FLEXION DES N O M S , [127]

dangùs « ciel » ; il est usuel en lituanien oriental, et il résulte de l'addition de -n(a) à l'accusatif. Il semble que les dési-nences en -m- du balto-slave, avec leurs variantes en- *-bh-dans d'autres langues (§ 134), aient une origine lointaine analogue. Mais on n'en sait rien : on n'a plus affaire dès le début qu'à des désinences casuelles.

E t on ne restitue pas exactement l 'état indo-européen initial : il devait y avoir des différences dialectales sensibles, telles que celles qu'on observe actuellement entre les langues slaves, et le hittite donne à penser que le système flexionnél n'était pas partout également développé (§ 133). Le système le plus riche est celui de findo-iranien, avec huit cas, dont un ablatif qui ne présente une désinence distincte, en -d (-t), qu'au singulier des thèmes en -o- et de la flexion pronominale, et qui ailleurs se confond avec le génitif au singulier, avec le datif au pluriel et avec le datif-instrumental au duel. En slave et en baltique, l'ablatif est complètement confondu avec le génitif, qui assume les deux valeurs de génitif et d'ablatif, avec la forme de l'ablatif au singulier .des thèmes nominaux en -o-, *-5d, si. -a, comme skr. -ât, et avec celle du génitif au masculin singulier de la flexion pronominale, *-esa ou *-asa, v. pr. stesse de stas « ce », et si. logo, cf. skr. tâsya (§ 226). Si le letto-lituanien présente dans les pronoms la forme de l'ablatif, lit. tô, lette ta, il faut penser que c'est secondairement et par emprunt à la flexion nominale. Mais le balto-slave a pu conserver longtemps la distinction d'un génitif *-esa et d'un ablatif *-ôd dans la flexion des pronoms. Pour la désinence indo-européenne de génitif singulier des noms en -o-, elle ne se laisse pas restituer (§ 131).

Le système de la déclinaison est stable tant que les traite-ments phonétiques n'obscurcissent pas gravement les finales. Les désinences, n 'étant pas analysables, ne subissent que des réfections morphologiques : extension de formes plus carac-téristiques, emprunts de la flexion nominale à la flexion

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[ 1 2 8 ] . LES CAS 2 3

pronominale, ou d'un type de flexion nominale à 1-autre. L'évolution des constructions analytiques, avec préposition, est toute différente, beaucoup plus libre et plus radicale, sans être d'ailleurs très rapide. Les changements de détail dans la flexion sont fréquents, souvent compliqués, parfois obscurs même à l'époque historique. Mais le système subsiste. Les langues slaves modernes, tout en différant assez entre elles, gardent généralement les sept cas du vieux slave. Les réductions sont très limitées : le russe a perdu le vocatif, mais non l'ukrainien ; le serbo-croate confond à peu près complè-tement le datif et le locatif, mais non ses dialectes cakavien et kajkavien. Il n 'y a d'exception que pour le groupe bulgaro-macédonien.

Confondant en finale inaccentuée a et â, o et u, e et i (§ 94), ce qui brouillait la distinction d'un bon nombre de désinences, le bulgaro-macédonien n'a pas réagi contre cette confusion, mais a accepté un type balkanique de flexion réduite, parallèle à ceux du roumain, du grec et de l'albanais. On peut dégager, dans la ruine progressive de la déclinaison, un type masculin singulier, le plus complet, à nominatif, vocatif, cas oblique et prépositionnel, datif ; mais le datif n'est plus que dialectal et a ordinairement disparu, et le cas oblique et prépositionnel en -a, limité aux noms de personnes, est en train de s'éliminer en bulgare actuel. Dans l'ensemble, le nom n'est plus fléchi, avec seulement une forme de vocatif dans les masculins et les féminins. La désinence en -om d'instrumental singulier a donné un type d'adverbes (§ 321). ,

Le letto-lituanièn garde les sept cas du balto-slave, et l'on a vu que le lituanien a même développé dialectalement un huitième cas, l'« illatif ». Mais en vieux prussien, où la flexion apparaît assez brouillée, le locatif et l'instrumental avaient disparu, en ne laissant que des traces adverbiales, et le datif commençait de se confondre avec l'accusatif.

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24 LA FLEXION DES NOMS [129]

129. Les types de flexion. — Il faut d'abord distinguer une flexion nominale et une flexion pronominale. La flexion pronominale comprend des thèmes en -o-, fém. -à-, et, à l 'état de traces, de rares thèmes en -i-, v. si. ci-to « quoi », sï « celui-ci » ; la flexion des pronoms personnels, anomale, est à part. Cette flexion présente à une partie des cas des désinences qui lui sont propres, et dont certaines peuvent diverger fortement entre les langues indo-européennes : le hittite en a révélé d'inattendues. Presque effacée en grec, limitée en latin, la différence des deux flexions nominale et pronominale est forte en indo-iranien, en balto-slave et en germanique, et là flexion pronominale a pris dans ces deux derniers groupes de langues une grande importance : le germanique l'a étendue aux adjectifs dans sa déclinaison dite « forte », et le balto-s lave^ développé un jeu de formes déterminées de l'adjectif à second élément pronominal. Ceci aboutit dans les langues slaves à une déclinaison pronominale de l'adjectif parallèle ou presque identique à celle des pronoms, et qui, s'opposant à la flexion des substantifs, est devenue la flexion pronominale régulière dont celle des pronoms se distingue par diverses anomalies.

Dans la. flexion nominale, on reconnaît à l'origine un type général, mais déjà fractionné en plusieurs sous-types selon la nature de l'élément final du thème, consonne, sonante ou voyelle. Le jeu de l'accent, avec réduction des voyelles inaccentuées (§ 94), avait obscurci et compliqué les dési-, nences en provoquant des réfections. Des contractions avaient lieu avec les thèmes terminés par voyelle ; le cas de h qui s'amuissait (§ 98) est encore trop obscur pour se laisser préciser, mais doit pourtant être envisagé (§ 150). On distingue ainsi trois types principaux, le type à voyelle thématique -o-, le type à voyelle thématique -â~, et le type sans voyelle thé-matique, dit athématique, sans formes contractes, mais qui se morcelle. Les finales -i- et -u- se fondent avec les désinences ;

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[ 1 2 9 ] LES TYPES DE FLEXION 2 5 j

et il faut alors parler de thèmes en -i- et en -u-. Avec les autres finales, à côté des noms radicaux, il se constitue des groupes représentés par des suffixes, -er-, -en-, -men-, -ont-, etc., qui présentent chacun leurs particularités. On aboutit ainsi à une multiplicité de types nominaux, les uns avec des flexions très différentes, les autres avec une flexion commune dans l'ensemble, mais des divergences de détail : thèmes en -o-, en -â-, en -i-, en -u-, et aussi en -t- et en -u-, et type radical athématique, types athématiques sùffixaux, en -t-, en -es-,

, en -yes-j-is-, en -voes-j-us-, etc. Le balto-slave Gonserve un très grand nombre de ces types :

outre les grands types en -o-, -â-,- i- et -u-, le vieux slave pré-sente les types en *-û-, en -en- et en -(j)an-, en -men-, en -t-, en -es-, en -er-, en *-nt-, en *-wes-, en *-yes-, et il a même déve-loppé deux types athématiques d'aspect nouveau, en -tel- et en

Les langues baltiques gardent de même des traces impor-tantes des types athématiques. Mais, en baltique et en slave, ce ne sont plus que des traces, en voie de disparition : le système des thèmes nominaux, qui était encore très riche à l'époque du balto-slave, est en train de se réduire fortement, à quatre thèmes dans les langues baltiques et dialectalement à trois (décadence du type en -u-, § 160), à trois thèmes dans les langues slaves ; système nouveau que des survivances des types antérieurs ne font que compliquer un peu.

Mais une complication bien plus grave a surgi : l'opposition des thèmes en -o- et en -yo-, des thèmes en -â- et en -yâ-, du fait des traitements phonétiques spéciaux des voyelles précédées de -y- (§ 78). En baltique, on a pour les masculins deux flexions parallèles lit. -as, gén. -o, et -is, gén. -io, cette dernière fusionnant avec les masculins en - t - ; et pour les féminins deux flexions parallèles lit. -a, gén. -os, et -ê, gén. -es. On distingue de même en slave une flexion « dure » des mas-culins, v. si. -û, gén. -a, et une flexion « molle », v. si. .-ï, gén. -ja, une flexion dure (-0) et molle (-je) des neutres, une flexion

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2 6 LA FLEXION DES N O M S , [ 1 2 7 ]

dure (-a, gén. -y) et molle (v. si. -ja, gén.--/g) des féminins, avec des différences nettes entre les deux types de flexions dans une partie des désinences, et qui ne sont pas uniquement d'origine phonétique.

D'autre part, la catégorie du genre tend à dominer la flexion (§124). C'est d'après le genre que se répartissent les types flexionnels les plus importants du slave, et c'est aussi d'après lui que se subdivisent les autres types. Le principe de classi-fication des types de flexion reste double, surtout dans le système encore complexe du vieux slave. On distingue en vieux slave : 1) les masculins anciens thèmes en -o-, à flexion dure e t à flexion molle, avec les anciens thèmes en -u- qui se contaminent avec eux ; 2) les neutres anciens thèmes en -o-, à flexion dure et à flexion molle ; 3) les féminins anciens thèmes en -â-, à flexion dure et à flexion molle ; 4) les anciens thèmes en -i-, féminins et masculins ; 5) les anciens thèmes consonantiques, masculins, neutres et féminins. Ceci se sim-plifie dans les langues slaves modernes, et en fonction du genre. Mais l'étude historique et comparée des types de flexion appelle une disposition qui garde sa priorité au thème sur le genre, et qui restitue au type en -u- l'individualité qu'il conservait encore en slave commun, comme il la conserve en baltique.

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CHAPITRE II

LES THÈMES EN -0-

130. Flexion générale. — Le type comprend r a grande majorité des substantifs masculins, la majorité des substantifs neutres, et la totalité des adjectifs masculins et neutres de flexion nominale, du fait de l'élimination en slave des adjectifs en -u-, conservés en baltique, et des adjectifs en -i-, sauf des vestiges du type athématique dans la flexion du comparatif et des participes actifs,.

Une partie des désinences présente une même finale caractéristique dans tous les types de flexion ou dans plusieurs d'entre eux. Ainsi, au datif pluriel, ,v. si. -mu s 'ajoute à divers éléments thématiques, ce qui rend reconnaissables encore les thèmes flexionnels de l'indo-européen : -omu, -jemu (thèmes en -o- et en -yo-), -amû (thèmes en -â-), -ïmu (thèmes en -i-), -ûmu d'après instr. plur. -umi (thèmes en -u-), et -ëmû dans la flexion pronominale, avec la trace du type athéma-tique -mû sans voyelle de liaison (§ 179) ; le baltique a -m(u)s, lit. -ams, -oms et -êms (thèmes en -â- et en -yâ~), -ims, -ums, -iems. Ce parallélisme des désinences dans les différents types est à la fois un état hérité et une tendance naturelle, et il a commandé certaines innovations, mais il est partiel, et les désinences doivent être étudiées séparément dans chaque type flexionnel.

Voici la flexion d'un substantif masculin du type dur en vieux slave, rabû «serviteur, esclave», comparée d'une part

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2 8 LES THÈMES EN -o- [131.1

avec celle du lituanien, vyras « homme ». de l'autre avec celle d'une langue slave moderne, le russe (rab, dar « don ») :

lituanien vieux slave russe

Sing. N. vyras rab Ci rab '• A. vyrq rabu, raba rabà (dar) G. vyro raba rabâ L. vyre rabë rabé D. vyrui rabu rabu I. vyru rabomï rabôm V. vi/re rabe

Plur. N. vyrai rabi raby .A. vyrus- raby rabôv (dary) G. vyru rabu rabôv L. vyruose rabëxu rabâx D. vyrams rabomu rabâm I. vyrais raby rabâmi

Duel N , -A vyru raba

G---L- rabu D. -I. vyram raboma

Dans le cas où le thème se termine par une gutturale, la flexion se complique en slave d'Un jeu d'alternances (§111) : v. si. mçcenikû «martyr», gén.-acc. mçcenika, etc., mais voc. mçcenice, et d'autre part loc. sing. mçcenicë, loc. plur. mpcem-cëxu, et nom. plur. mçcenici avec la désinence prise au type mouillé reportée sur la forme alternante antérieure (§ 132) ; —-bogu « dieu », gén.-acc. boga, etc., et voc. boze, loc. singl bodzë, loc. plur. bodzëxû, nom. plur. bodzi ; — grëxû « péché », loc. sing. grësë, loc. plur. grësëxu, nom. plur. grësi, et voc. duse de duxu « esprit » ; — Ijudiskû « du peuple », et Ijudïstë f-scë), Ijudisiëxu (-scëxu), Ijudïsti (-sci), Les alternances sont régulières en vieux slave et en slavon, dans la flexion des substantifs et dans celle des adjectifs : Enoxu « Hénoch »,

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[131 ] LES DÉSINENCES: SINGULIER 2 9

voc. Enose, loc. sing. Enosë ; dlûgu « long », suxu «sec», loc. sing. dludzë, susë, etc., et même vlùxvu «magicien», voc. vlusve, nom. plur. vlusvi •(§ 20). Elles l'étaient à date ancienne dans toutes les langues slaves, mais avec des variantes dia-lectales : devant -ë, -i, la forme alternante de x est s dans le groupe septentrional (§ 13), qui se maintient jusqu'au tchèque moderne, ainsi hoch « garçon », nom. plur. hosi. La forme alternante de sk est se dans le groupe septentrional et partiellement en vieux russe (§ 18), et l'on a encore en tchèque nom. plur. zemsti (v. tch. -sci) de zemsky «terrestre», et en polonais ancien la trace remaniée de *-szczy dans nom. plur. polszcy (mod. polscy) de polski « polonais ».

131. Les désinences : singulier. — Le nominatif singulier v. si. -û répond au balto-slave -as, de i.-e. *-os, avec une réduction spéciale delà finale (§ 86), et l'accusatif -u au balto-slave -an, v. pr. -an, lit. -q, lit. dial. et lette -u, de i.-e. *-on, *-om (§ 88). La réduction de -as au nominatif a ses parallèles dans les langues baltiques, v. pr. -as, -is, -s, lit. -as, -s, lette -s, et elle peut résulter du fait que le nominatif singulier n'avait pas grand besoin de cette désinence qui constitue un trait original de l'indo-européen (§ 123), et pouvait admettre une prononciation négligée. Une autre hypothèse est possible : à l'accusatif, l'altération de -are en *-un, si. -u(n), détruisait le parallélisme que présentaient les autres flexions entre nom. -us, -is, si. -û(s), -ï(s), et acc. -un, -in, si. -u(n), -ï(n), et rapprochait les masculins en -o- des masculins en -u- : un nominatif -û(s) pour -as a pu se développer par analogie de -u(n). Ce qui est sûr, c'est que ce -û est nouveau et posté-rieur à la seconde palatalisation des gutturales (§ 19). Mais il a rejoint -u d'origine ancienne, ce qui a eu pour résultat en slave la confusion des types flexionnels en -o- et en -u-.

A l'accusatif singulier, le slave substitue le génitif dans les noms désignant des personnes (§ 126). Un accusatif rabu

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3 0 LES THÈMES EN -o- [131.1

existe encore en vieux slave, mais il est rare, et l'on a ordi-nairement l'opposition acc. daru (nom.-acc.) dans le sous-genre non personnel, puis inanimé, et acc. raba (gén.-acc.) dans le sous-genre personnel, puis animé.

Le génitif -a répond à lit. -o, lette -a; la désinence -as du vieux prussien représente la superposition à *-â de la finale -s du génitif dans les autres types de flexion, fém. -as, -is (lit. -os, -es), etc., sans doute par l'intermédiaire des masculins en -is, gén. -is, qui confondaient les deux types en -yo- (gén. lit. -io) et en -i- (gén. lit. -ies). Le génitif balto-slave continue l'ablatif indo-européen en *-5t, *-ôd, indo-iranien -ai, v. lat. -ôd, avec deux particularités : d'une part la longue est d'into-nation douce, ce qui indiquerait un produit de contraction (§ 98) ; d'autre part le traitement *-â du letto-lituanien n'est pas le traitement normal d'un ancien *ô (§ 49). L'indo-européen ne distinguait l'ablatif et le génitif singuliers que dans la flexion des thèmes en -o- (§ 128). Pour la forme du génitif singulier, elle est mal connue : la désinence skr. -asya, gr. hom. -oio, germ. -is, etc., est prise à la flexion pronominale, et l'italo-eeltique présente -ï, le hittite -as. On voit que l'his-toire d'une désinence balto-slave d'aspect assez clair peut cacher bien des problèmes, et le hittite, avec ses désinences -az (= -ats) d'ablatif et -il, -et d'instrumental, les complique pbur l'indo-européen.

Au locatif, -ê, avec sa forme mouillée ~(j)i (§ 136), d'into-nation douce (§ 99), représente un balto-slave *-ai, de i.-e. *-oi (§ 87). La désinence indo-européenne se laisse analyser en -o-i, avec addition à la voyelle thématique d'une désinence *-i attestée dans le type athématique (§ 178). En baltique, le vieux prussien a perdu le locatif, mais on peut retrouver -ai dans des adverbes comme schai « ici », du démonstratif schis « celui-ci ». En letto-lituanien, le locatif, dont la désinence est importante parce qu'il continue de s'employer sans préposition, a été fortement remanié, en lituanien par géné-

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[131] LES DÉSINENCES: SINGULIER 31 i

ralisation d'une désinence -e, dial. -i, dont l'origine n'est pas • claire (§ 178). Mais la désinence ancienne du type en -o-, -ie de -ai (§ 50), est conservée dans un adverbe comme lit. namië « à la maison », et en vieux lituanien et encore dialec-talement devant la postposition - p ( i ) : Dievië-pi «près de Dieu ». C'est sans doute cette désinence qu'on retrouve dans le type adverbial v. pr. labbai « bien », lit. labaï « beaucoup », v. si. dobrë, ici avec une forme -ai, et non -ie, en lituanien (§318).

Au datif, si. -u répond à lit. -ui, dial. -ou, de *-uoi, i.-e. *-5i (§ 87), d'intonation douce (gr. ôeco sous l'accent), et où l'on peut reconnaître un produit de contraction de la voyelle thématique -o- et de la désinence *-ei du type athématique. La désinence était en balto-slave une triphtongue qui s'est altérée diversement : v. pr. -u, etc.

A l'instrumental, si. -omï; var. -umi (§ 161), est nouveau, pour letto-lit. -u, d'intonation rude et réduit de -uo (§ 86, §89) : lit. gerù, déterm. gerûo~ju, de géras «bon» ; le vieux prussien, qui a perdu l'instrumental, atteste de même -u dans des formes fixées comme -ku « par quoi », lit. kuô, de sënku « afin que», littéralement «avec quoi», ail. damit. La désinence balto-slave était donc *-5, et si elle a été modifiée en slave, c'est qu'elle se confondait avec celle du génitif-ablatif *-ô(d), de même qu'en lette la désinence de datif, lit. -ui, se réduisant à -u, a été remplacée par -am de la flexion pronominale parce qu'elle se confondait avec instr. et acc. -u. La forme indo-européenne était *-ô ou *-ë: en dehors du baltique, elle n'est attestée comme forme casuelle vivante que par le védique et l'avestique -â, qui est ambigu, mais qui continuerait *-ë d'après l'adverbe av. pasca « après », ancien instrumental, en face de paskât, ancien ablatif. Ailleurs, on n'a plus que des formes adverbiales, et le latin présente à la fois les deux types uërô et uërë.

D'une façon générale, les désinences d'instrumental singulier

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3 2 LES THÈMES EN -o- [131.1

ont été remaniées dans les différents types de flexion. La caractéristique ancienne en était un allongement de la voyelle thématique, *-ô (ou *-ë) de -o-, de -u-, *-f de -i-, et *-â dans le type en -à-, comme si la désinence primitive, qu'on ne restitue pas dans le type athématique (§ 178), avait été *-h (§ 98). Le balto-slave a étendu une caractéristique -mi parallèle à celle en -m- de l'instrumental et du datif pluriels et du datif-instrumental duel, et de même l'arménien avec la variante indo-européenne -bh- de -m- (§134). Mais l'exten-sion n'est pas la même en slave et dans les langues baltiques. Si, dans le type en -â-, une désinence *-ôn, sûrement réduite de *-â~mi (§ 150), représente une innovation ancienne du balto-slave, des désinences lit. -umi, si. -urnï, dans le type en -u-, et lit. -imi, si. -ïmï, dans le type en -i- et de là dans le type athématique (seulement pour les masculins et lès neutres en slave), sont en regard .de lit. dial. et lette -u, -i, et il est clair au moins pour les thèmes en -i- que la désinence balto-slave était *-f, même, si -i du lette résulte pour une part de l'élimination de -imi conservé dans les pronoms personnels, manim, etc. (§ 249). Le slave, allant plus loin que le lituanien, a étendu -mi aux thèmes en -o-, ainsi que l'ar-ménien l'a fait pour *-bh- (getov « par le fleuve » comme srtiv ,« par le cœur », thème en -i-), et il présente -mi comme caractéristique générale de l'instrumental singulier masculin et neutre, à côté de -Q pour les féminins. Mais l'innovation ne peut pas être très ancienne, et il est même possible qu'elle ait eu lieu dès le début sous deux formes différentes et concur-rentes, -omï adopté ensuite par . une partie des dialectes du slave commun, et -umï par l'autre : -omï par report de -mï sur l'élément thématique resté clair dans dat. plur. ~omu, dat.-instr. duel -orna et nom.-acc. sing. neutre -o, -ùmï par simple emprunt au type en -u- qui commençait à se conta-miner avec le type en -o-. La désinence antérieure, qui donnait si. *-a, pourrait être conservée dans des adverbes en -a,

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[132] PLURIEL 33 j

comme v. si. v liera «hier», r. vcerâ (§ 322), mais ce n'est plus discernable.

Au vocatif, la désinence est -e en balto-slave, continuant i.-e. *-e, lat. lupe « loup », gr. ÀÛKÊ, skr. vfka. Elle présente le thème nu, avec une forme alternante -e de -o- qui se retrouve avec allongement dans l'instrumental *-ë à côté de *-5. L'alternance ejo à joué un grand rôle en indo-européen ( § 118) ; on la constate sans pouvoir l'expliquer.

? 132. Pluriel. — Au nominatif, la désinence est en slave -i, qui provoque la seconde palatalisation des gutturales comme -é issu de *-ai ; elle est -ai en vieux prussien, et en lituanien -ai d'intonation douce (dievaï «dieux»), mais en regard de -ie d'intonation douce dans la flexion des pronoms (lië «ces»), et de -i, issu de -ie d'intonation rude, dans la flexion des adjec-tifs (geri «*hons », déterm. gerie-ji). La désinence -balto-slaye est -ai, mais les traitements de cette finale n'ont pas été simples. En lituanien, on trouve à la fois le traitement ancien -ie et le traitement nouveau -ai, ce qui appelle une expli-cation (§ 50) ; l'intonation était douce, et l'intonation rude dans la flexion de l'adjectif est nécessairement secondaire (§ 299). En slave, le traitement normal de -ai est -e, et il faut admettre que *-ë a été éliminé par extension de sa forme mouillée -i (§ 87). Les interactions des flexions dure et molle sont fréquentes à l'époque historique, èt elles répondent à un besoin de simplification. On observera que la désinence -é est celle de l'accusatif masculin pluriel et du nominatif-accusatif féminirf pluriel des types mouillés dans une grande partie des langues slaves, c'èst-à-dire qu'à ces cas le slave commun avait deux formes, -ë et -g, entre lesquelles les langues slaves ont fait secondairement un choix (§ 136). Ceci peut aider à comprendre que le slave ait adopté -i comme caractéristique unique du nominatif masculin pluriel ' dés thèmes en -o-, en supprimant l'opposition du type dur et du

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3 4 LES THÈMES EN -o- [ 1 3 1 . 1

type mouillé ; d'ailleurs tardivement, puisque ce -i nouveau garde la seconde palatalisation des gutturales de *-e ancien, et d'une façon qui ressemble à la substitution de loc. sing. otïci à *olïcé 19).

Le balto-slaye -ai répond à i.-e *-oi, qu'on a dans gr. -oi, lat. -f de v. lat. -oe, et ailleurs. Mais cette désinence est prise à la flexion des démonstratifs, skr. té «ces», got. pai; la désinence ancienne est i.-e. *-ôs, produit de contraction de -o-thématique et de la désinence *-es du type- athématique : liitt. -as, indo-iranien *-âs, skr. -ah, got. -os. L'extension de *-oi n'est pas ancienne en italo-celtique, où l'osco-ombrien conserve *-os (-us), et où le vieil irlandais maintient *-ôs comme vocatif pluriel à côté de *-oi comme nominatif. En gotique, -ai est passé à la flexion des adjectifs, mais non à celle des substantifs.

A l'accusatif, si. -y répond à v. pr. -ans et à letto-lit. -us de *-uons, -uos, dans la flexion de l'adjectif lit. gerùs, déterm. gerûos-ius (§ 88). Les autres langues indo-européennes attestent une désinence *-ôns ou *-ons : gr. dial. -ovs, got. -ans, qui n'indiquent pas la quantité de la voyelle, et skr. -ân: On attend *-ons, avec addition à -o- de la désinence *-ns du type athématique. Mais une finale indo-européenne *-Sns s'alté-rait, comme on le voit au nominatif singulier des thèmes en on-, où elle a donné * -on ou *-5'(§ 88). La désinence est donc refaite, et elle a pu l'être par addition de *-ns, conservé dans d'autres types flexionnels, soit à la voyelle thématique -o-, soit à *-ô- de la désinence réduite plus ancienne ou du nomi-natif pluriel *-os. Le letto-lituanien représente *-5ns d'into-nation rude, qui paraît garder la trace d'une flexion masculine nom. *-5s (remplacé par lit. -ai, lette -i), acc. *-ôns, parallèle à la flexion féminine nom. *-âs, acc. *-âns (§ 150). Mais le vieux prussien et le slave peuvent fort bien répondre à la forme -ans refaite sur le thème -a-, et le slave, en effet, n'atteste

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[ 1 3 2 ] PLURIEL i 3 5

pas l'intonation rude. En slave, les pronoms personnels à thèmes na-, va- (§ 250) indiqueraient *-5ns, mais dans une flexion ancienne et isolée, et il n'est pas sûr qu'il ne s'agisse pas de *-â(n)s fém.

Au génitif, qui fait fonction de génitif-ablatif, le slave présente, et dans tous les types fïexionnels, une désinence -û qui ne peut être issue que de i.-e. *-on, *-om (§ 88). Également comme caractéristique générale du génitif pluriel, le lituanien a -ïl, sous l'accent -Q d'intonation douce, et le lette -u, dans là flexion pronominale tùo « de ces » d'intonation douce : ici, la désinence est *-uon, de i.-e. *-ôn, *-ôm, et le vieux prussien -an, -on peut aussi représenter *-ôn dans tous les cas (§ 49). Hors du balto-slave, la désinence est -on, *-5m, pour toutes les flexions, dans skr. -âm, gr. -cov, v. h. a -o, mais le grec présente sous l'accent, comme le lituanien, une même intonation douce, en principe produit de contraction (§ 98), dans le type athématique KUVCOV « des chiens » et dans le type thématique Oscov «des dieux». En italo-celtique, au contraire le vieil irlandais suppose *-om, et sans doute aussi l'ombrien, le latin -um, v. lat. -om, étant ambigu. La divergence entre le slave *-on et le baltique -on est curieuse, mais elle n'est pas plus sur-prenante qu'entre v. h. a. -o et got. -ê à l'intérieur du germa-nique : elle indique que la désinence de génitif pluriel a été remaniée, et elle pose la question, non seulement de la forme primitive de cette désinence, mais de son origine et de celle du cas lui-même. D'après des vestiges dans la flexion prono-minale, comme lat. nostrrim et nostrï « de nous », proprement « du nôtre », skr. asmâkam (asmâkah « nôtre »), la finale *-on, *-om, aurait été initialement une forme fixée d'adjectif dérivé possessif en -o-. En hittite, on trouve un génitif pluriel en -an, et -zan dans la flexion pronominale, mais on le rencontre aussi en valeur de génitif singulier, pour -as, sans qu'on puisse encore préciser l 'interprétation à donner du fait. •Devenue désinence, la finale s'est combinée avec les thèmes

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3 6 LES THÈMES EN -o- [131 .1

vocaliques pour donner des formes contractes, *-on de *-o-on, et ces formés plus pleines ont pu être étendues ensuite aux thèmes consonantiques. Ainsi a fait le baltique., mais non le slave : la désinence *-on était donc encore largement repré-sentée en balto-slave. Dans le type thématique en -o-, le génitif pluriel *-on contracte devait en slave donner *-y et se confondre avec l'accusatif pluriel, et la langue a eu recours à la forme *-on >-u des autres types, plus brève, mais bien caractérisée par l'accent qu'elle portait (§ 217).

Au locatif, si. -ëxu, forme mouillée -(j)ixû, donc avec -ë-issu de *-ai-, est en regard de lit. -uose, v. lit. -uosu et dial. -unsi, lette -uôs. La forme balto-slave était *-aisu, et il est visible qu'en letto-lituanien, outre la généralisation de -su d'autres types flexionnels pour -su (§ 10), elle a été déformée d'après l'« illâftif » ' ( § 128) à postposition -n(a) ajoutée à l'accusatif pluriel, type lit. namuoshà «vers la maison» (namaï) comme namuosè «à v la maison», et qu'ensuite la finale -u est devenue -e, dial. -i, d'après le locatif singulier. La forme indo-européenne était *-oisu, dial. *-oisu : skr.-esu, av. -aësu, et gr. - oicn avec -i du locatif singulier. La carac-téristique générale du locatif pluriel, dans tous les types de flexion, était *-su, dial. *-sa après i, u, r, k. Le slave, à l'inverse du lituanien, a généralisé *-su, balto-slave *-su, sous la forme -xû, en ne gardant qu'une trace de *-su, -su, après consonne dans v. tch. -s .(§ 179), outre gén.-loc. nasu, vasu dans la flexion des pronoms personnels (§ 250). Pour i.-e. -oisu du type en -o-, s'il n'est pas pris à la flexion pronominale avec ses désinences sur thème en *-ot- ('§ 229), il aurait l'aspect d'une superposition de *-su à *-oi du locatif singulier.

Au datif, si. -omû répond à v. lit. -amus, lit. -ams, v. lette et dial. -iems (emprunt à la flexion pronominale), lette -iëm, v. pr. -amans, et c'est si. -mû, lit- -m(u)s, lette -m(s), v. pr. -mans, qui sert de caractéristique du datif pluriel pour tous les types de flexion. Le vieux prussien superpose à -m- la

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[1321 PLURIEL 37 ' I

désinence -ans de l'accusatif pluriel, en raison de la confusion qui s'accuse dans cette langue du datif et de l'accusatif ( § 128). Il conserve dans la flexion des pronoms personnels une dési-nence plus ancienne -mas, qui elle-même doit avoir été substituée à -mus et peut avoir été refaite sur un datif-ins-trumental duel *-ma (§ 133) : de ious «vous» on a un exemple de dat. ioumus, ailleurs ioumas et aussi ioumans. Le lette Lm, qui est datif-instrumental pour -ms, s'explique par une contamination du duel et du pluriel. La désinence baltique était donc probablement -mus, mais il n'est pas sûr qu'elle ait été balto-slave. On ne restitue pas une désinence indo-euro-péenne de datif pluriel : le germanique -m, et got. -am dans le type en -o-, avec conservation d'une forme -mr en vieil islandais, est un datif-instrumental qui doit dérivêr de *-mis. Avec la variante -bh- de -m- (.§ 134), lat. -bus, également datif-instrumental, paraît issu de -bhos, mais les pronoms personnels présentent une autre désinence -bïs, v. lat. -beis, et l'irlandais -ib suppose *~bhis ; en indo-iranien, avec une forme distincte de datif, on a skr. -bhyah, av. -byo.

A l'instrumental, si. -y répond à lit. -ais, sous l'accent -aïs d'intonation douce, vieux lette et dial. -is, de i.-e. *-5is, skr. -aih, av. -Sis, lat. -ïs (dat.-abl.-instr.) pour v. lat. -eis, -oes, osque -ois, et gr. -ois,'sous-l'accent -oïç, qui comme locatif-datif-instrumental s'est confondu avec le locatif -oicn. Le traitement si. -y de *-5is suppose un balto-slave *-uois (§ 87) : le traitement -ais du letto-lituanien n'est donc pas phonétique, non plus que celui de nom. plur. -ai : on doit supposer une substitution de -ais à *-uois par extension de la caractéristique thématique -a-, d'après dat. plur. -am(u)s et le parallélisme du datif et de l'instrumental dans tous les autres types de flexion, ou, plus directement, d'après l'ancien locatif *-aisu. La désinence *-ôis est propre aux thèmes en -o- : avec les autres thèmes, la désinence d'instrumental pluriel est si. -mi, lit. -mis, supposant *-mïs. Elle pose le même problème que

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358 LES THÈMES EN -o- [131.1

celle du datif pluriel, avec laquelle elle se confond dans une partie des langues indo-européennes : avec la variante -bh-, l'indo-iranien a *-bhis, skr. -bhih. Dans *-ôis du type en -o-et *-mîs, *-bhïs des autres types, on reconnaît un même élément -ïs qui doit être la désinence primitive, et en effet l'avestique a -ïs à côté de -bïs dans la flexion athématique. La diphtongue longue de *-ôis résulterait d'une contraction de *-o-ïs, ou bien d'une superposition de *-ïs à *-ô de l'instru-' mental singulier. L'intonation n'est indiquée sûrement ni par le lituanien, où la désinence est remaniée, ni par le grec, où l'intonation douce de -oîç peut être celle du locatif -oïcrt.

133. Duel. — Toute la flexion du duel pose des problèmes spéciaux, et très obscurs (§ 213). Au nominatif-accusatif, si. -a répond à lit. -u, de -ûo d'intonation rude (adj. gerù, déterm. gerûo-ju), lette -u dans des vestiges dialectaux, et à i.-e. *-ô, védique -â, gr. -co (sous l'accent -cb), etc., avec une variante *-5u dans skr. -au. Cette désinence est celle des thèmes masculins en -o-: les neutres en -o- présentent une autre désinence, si. -ë (§ 135), et l'on trouve si. -ë, -y, -i dans les autres types de flexion.

Au génitif-locatif, si. -u est caractéristique du cas dans tous les types, en se joignant diversement aux thèmes : -ov-u, -ï-ju, -oj-u dans les thèmes en -u-,, en -i- et pronominaux. La forme baltique était -au, conservée dans de rares vestiges adverbiaux : lit. pusiaû et pusiâu « par moitié », lette pusu, du féminin lit. pùse « moitié » ; lit. dvîejau « par deux », ancien génitif-locatif de du «deux» (§ 303). On trouve une variante lit. dvlèjaus, mais elle ne prouve rien dans une langue où les adverbes en -aus sont courants, type geriaus «mieux » à côté de geriaû (§ 286), et où l'advérbe tuojaû «aussitôt», de tuo «par cela» et jaû «déjà», passe à tuojaûs. Une désinence balto-slave -au est donc sûre; une autre désinence *-aus, qui indiquerait une distinction du génitif et du locatif duels,

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[ 1 3 3 ] DUEL 3 9 ' I '

n'est que théoriquement possible. La comparaison avec les autres langues indo-européennes est limitée : le sanscrit a gén.-loc. -oh de *-aus; l'avestique distingue gén. -â, d'origine peu claire, et loc. -o, de *-au; le grec a -ouv, -oiv, sous l'accent -oïv, qui sert de génitif-locatif et de datif-instrumental, avec une variante -oiuv, -ouv, en arcadien.

Au datif-instrumental, le slave a -oma dans le type en -o-, et -ma comme caractéristique dans tous les types, s'opposant à dat. plur. -mû et instr.-plur. -mi. En baltique, le lituanien a -am, et -m dans tous les types, avec une différence d'into-nation sous l'accent entre le datif et l'instrumental. Mais cette différence est secondaire : dat. -dm, instr. -am, sont analogiques du pluriel, dat, -âms, instr. -ms (-ôms, -ums, -ims) réduit de -mis (§ 96). Le lette a -m, devenu désinence de datif-instrumental pluriel. La forme -m du letto-lituanien suppose la chute récente d'une voyelle finale. On trouve en vieux lituanien quelques exemples de la forme complète, qui est -mi, mais aussi un exemple de -ma: akima, de akis «œil». Exemple isolé, mais confirmé par les formes mùma, jùma des pronoms personnels, qui se maintiennent comme possessifs (§ 253). En vieux prussien, le datif pluriel -mas, -maris, s'explique bien par une contamination des désinences de pluriel et de duel, comme en lette, et de dat. plur. -mus et dat. duel -ma. C'est l'absence de l'-s du pluriel qui carac-térise le datif-instrumental duel en lituanien, et v, lit. -mi doit avoir été substitué, d'après instr. plur. -mis, à -ma, qui atteste un balto-slave *-mâ. Dans les autres langues [indo-européennes, la comparaison se restreint à l'indo-iranien, où l'on a, avec la variante -bh- de -m-, skr. -bhyâm, et av. -bya, v. perse -b-iyâ, de *-bhyâ.

Le *-â final du balto-slave, sans doute aussi de l'indo-iranien, se retrouve comme caractéristique du duel dans la flexion verbale, à la deuxième personne v. si. -ta, lit. -ia, en regard du grec dorien -T5V (2e-3e pers.), et l'on voit cette caracté-

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4 0 LES THÈMES EN -o- [131 .1

ristique s'étendre, en slave à la 3e pers. -la pour -te, en litua-nien à la l r e pers. -va pour si. -vë. Mais il est difficile d'établir un rapport entre la désinence nominale et la désinence verbale.

134. Remarques sur les désinences. — Dans l'en-semble, les désinences casuelles du slave et du baltique se ramènent sans trop de peine à un système de désinences balto-slaves, et en attestent la forte unité. Mais plusieurs désinences apparaissent très remaniées, et l'histoire s'en trouve être conjecturale dans le détail, avec de sérieuses obscurités qui subsistent. On est renseigné sur ces faits par ce qui s'est passe à l'époque historique, où, partant d'une base commune que le vieux slave restitue ordinairement avec précision, les flexions des langues slaves en sont venues à diverger sensiblement. S'il est curieux que le slave et le bal-tique présentent deux formes différentes de génitif pluriel, si. *-on >-û et lit. *-ôti >%, il ne l'est pas moins qu'on trouve des formes si variées de génitif pluriel dans les langues slaves modernes, r. rabôv, tch. robû (= robu), s.-cr. ràbôvâ, également éloignées de v. si. rabu; et s'il est facile de rendre compte des désinences r. ~ov et tch. -ù, il l'est moins d'expliquer la carac-téristique -â du cas en serbo-croate.

Les désinences du balto-slave se laissent, en une proportion remarquable, comparer avec celles d'autres langues indo-européennes et ramener à un prototype indo-européen'. Mais là, que de problèmes, et comme il est visible que, si l'on croit identifier beaucoup d'éléments flexionnels de l'indo-européen, ce sont surtout des développements parallèles des langues indo-européennes que l'on atteint !

Au datif et à l'instrumental pluriels et au datif-instrumental duel, on ne restitue pas de désinences de l'indo-européen, à l'exception d'instr. plur. *-5is dans les thèmes en -o-, mais on trouve des désinences qui sont semblables sans coïncider entre elles, et sur deux bases différentes, en -bh- ou en -m-

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[ 1 3 4 ] REMARQUES SUR LES DÉSINENCES 4 1

selon les langues. Or le hittite fait penser que la flexion du pluriel, en dehors du nominatif et de l'accusatif, était assez réduite à l'origine : il ne présente qu'une désinence -as en valeur de génitif-locatif-datif, outre une désinence -an de génitif. Les autres langues indo-européennes ont tendu à se constituer une flexion complète de pluriel, mais il ne semble pas qu'elles y aient toutes réussi, pas plus qu'elles n 'y ont réussi au duel. Il y a eu sûrement de grands flottements dia-lectaux en indo-européen. Il ne s'agit pas naturellement de la création de toutes pièces d'un système flexionnel, mais de l'utilisation d'éléments d'un système antérieur moins riche, avec addition d'éléments nouveaux. Une désinence *-su de locatif pluriel est ancienne, même si elle n'était que d'emploi dialectal en hittito-indoeuropéen ; on retrouve également une désinence *-ïs d'instrumental pluriel. Mais une désinence *-on de génitif pluriel paraît empruntée à la dérivation. Pour l'élément -bh- porteur de désinences casuelles en indo-iranien, en itàlo-celtique, en arménien, le grec en indique l'origine.

En grec homérique, -qn sert de variante semi-adverbiale du datif, avec toutes les valeurs du datif en grec, locatif-datif-instrumental, et même avec valeur de génitif-ablatif, et pour le singulier comme pour le pluriel : ôeô<pi au sens de ©sep et dé 0£oïs. Ce n'est donc pas une désinence casuelle, mais une postposition, qui s'ajoute directement au thème. Les autres langues ont utilisé diversement cette particule invariable *-bhi que conserve le grec archaïque, en lui adjoignant des carac-téristiques casuelles : l'arménien comme instrumental sin-gulier -b, -v, avec un instrumental pluriel -bkh, -vkh; l'indo-iranien comme datif pluriel *-bhy-as, instr. *-bhi-s, dat.-instr. duel *-bhy-à(m) ; l'italo-celtique comme datif-instrumental pluriel lat ,-bus (et -bïs), irl. *-bhi-s. On reconnaît, à l'instru-mental pluriel, l'addition à *-bhi de *-ïs plus ancien, de même que dans lat. -bïs celle de l'autre désinence, lat. -ïs, de datif-instrumental.

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4 2 LES THÈMES EN -o- [131 .1

La variante -m- de -bh- a été traitée de la même façon : en germanique dat.-instr. plur. *-mis, en balto-slave instr. sing. -mi, dont on suit l'extension, dat. plur. -mus (en litua-nien), instr. *-mfs, dat. -instr. duel si. -ma. Ceci laisse voir que la forme de datif -mus est secondaire : lit. -mus a pris son -s à l'instrumental *-mïs, et *-mu a dû se différencier de l'instru-mental singulier en empruntant son -u au locatif pluriel *-su. Comment expliquer ce parallélisme étroit des désinences en -bh- et en -m-? S'agirait-il dé deux postpositions différentes qui se seraient concurrencées en indo-européen, ou bien d'une même postposition qui aurait présenté les formes *-bhi et *-mi selon la nature de l'élément précédent, comme on a -b et -v en arménien, et en hittite de mêmes formations en -w- et (après -u-) en -m-, nom verbal en -war et en -mar, etc. ? Il est plus naturel de penser que la différence entre -m-du germanique et du balto-slave et -bh- des autres langues n© remonte pas si haut, et qu'il n 'y a pas là un trait ancien qui indiquerait une parenté spéciale du germanique et du balto-slave, mais un développement semblable dans deux groupes de langues où la flexion pronominale a fortement influencé la flexion nominale. Le balto-slave connaît *-bh-dans la flexion des pronoms personnels, ainsi au datif si. tebë, v. pr. tebbei, comme av. taiby-â, lat. tibï; et l'indo-iranien connaît -m- dans la flexion pronominale, au datif singulier skr. tdsmai comme v. pr. stesmu, si. lomu, got. pamma, au locatif skr. tâsmin comme si. tomï, lit. tamè. Il suffit d'admettre que les formes en -m- du singulier ont été étendues au pluriel, au datif lit. tiems, si. tërnu, got. paim, pour skr. tébhy-ah, et qu'ainsi -m- a été substitué à *-bh- dans la flexion pronomi-nale et de là dans la flexion nominale, parallèlement en balto-slave et en germanique.

135. Flexion des neutres. — La flexion des neutres ne diffère de celle des masculins que par des formes qui lui sont

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[ Ï 3 5 ] FLEXION DES NEUTRES 4 3

propres au nominatif-accusatif des trois nombres. Ainsi, de v. si. mësto « lièu » :

vieux slave

Sing. N.-A. mësto G. mësta

.L. mëstë, etc.

Plur. N.-A. mësta G. mëstu L. mëstëxu, etc.

méste, etc.

russe mésto mésta

mestdx, etc.

mestd mest

Duel N.-A. mëstë G.-L. mëstu D.-l. mëstoma

Les thèmes terminés par gutturale sont rares, sauf dans les formes neutres d'adjectifs, mais l 'alternance des gutturales est régulière devant -ë : • vëko « paupière », nom.-acc. duel vëcë; uxo « oreille », loc."sing. usë (nouveau pour usese, § 193).

Nom.-acc. .sing. -o, en regard de v. pr. -an, i.-e. *-on ou *-om, hitt . -an, gr. -ov, etc. L'opposition du neutre et du masculin (et masculin-féminin) était à l'origine une opposition d'inanimé et d'animé (§ 123), où l'inanimé ne présentait pas de distinction du cas sujet et du cas objet, ni de marque de ces cas dans la flexion nominale, tandis que l'animé avait un nominatif pourvu d'une désinence *-s, et d 'autre par t un accusatif à désinence *-n ou *-m. On a ainsi, le plus clairement dans la flexion des thèmes en -i- et en -u-, nom.-acc. neutre *-i, *-u, en face de nom. masc. (et fém.) *-is, *-us, acc. *-in, *-un. Dans la flexion nominale des thèmes en -o-,"le nominatif-accusatif neutre apparaît muni d'une désinence *-n, *-m. La flexion pronominale présentait les mêmes désinences de nominatif et d'accusatif masculin, mais au nominatif-accu-satif neutre une désinence *-d, donc *-od dans la flexion en -o-, balto-slave -a, si. -o. C'est cette désinence -o du type

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4 4 LES THÈMES EN -o- [131.1

pronominal que le slave a étendue à la flexion nominale (§ 125). Le lituanien atteste également -a dans la flexion des adjectifs, par où l'extension a commencé, et le lette en garde la trace dans des adverbes et des locutions comme (man) sali « (j'ai) froid », qui répond à lit. sâlta, sait. Il ne s'agirait pas d'un fait d'époque balto-slave, mais d'un développement parallèle du letto-lituanien et du slave, d'après le vieux prussien où l'on trouve -an au neutre des adjectifs : labban « bon », à la différence de lit. géra. Mais le témoignage du vieux prussien est ici sans valeur : la désinence pronominale -a y est visiblement en décadence (wissan « tout », une seule fois wissa), comme tout le neutre, et des adverbes la conservent dans l'adjectif, ilga «longuement», salta «froid».

Nom.-acc. plur. -a d'intonation rude (§ 222), répondant à v. pr. -o (plus ou moins confondu avec le nominatif singulier féminin, § 125), i.-e. *-â, véd. -â, got. -a, -5 {po « ces »). Cette désinence est identique à celle du nominatif singulier du type en -â-, et elle laisse reconnaître que le pluriel neutre est un ancien collectif singulier, qui a pris secondairement aux cas obliques la flexion de pluriel du genre animé, comme, les collectifs en -a du slave prennent une flexion de pluriel dans une partie des langues (§ 211). La désinence *-â était liée au type flexionnel en -o-; de même que le type en -â- fournit un féminin au type masculin en -o-. Le slave, ainsi que le germanique, a généralisé -â comme caractéristique du nomi-natif-accusatif pluriel neutre dans tous les types de flexion, mais il conserve les vestiges d'une autre désinence *-ï dans des thèmes en -i- (§ 166) et dans la flexion athématique (§ 179). La comparaison avec les autres langues indique : *-F pour les thèmes neutres en -i-, véd. çûeï « brillants », etc. ; *-û pour les thèmes neutres en -u- (disparus en slave), ,véd. purû « nombreux », av. pourû ; et dans le type athématique véd. -i ou désinence zéro, et désinence zéro en avestique, véd. nâmâni et nâmà « noms », av. nqma, avec généralisation

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[ 1 3 6 ] FLEXION DU TYPE MOUILLÉ 4 5

F de -i (-ni) en sanskrit et avee des remaniements en avestique par extension de -f du type en -i-. En grec, on a -a (bref) qui répond à skr. -i, mais qui a été étendu à tous les types flexionnels ; et de même en latin -â, avec -â conservé excep-tionnellement dans le type trî-gintâ, mais largement dans les dialectes italiques (osque -û de *-â). La~ correspondance de skr. -i, av. zéro, grec et lat. -a, restitue une désinence c'est-à-dire *-h (§ 98), qui explique directement les longues *-î et *-ù des types en -i- et en -u-.' Les problèmes sont les mêmes que pour les formes de féminin singulier (§ 150), auxquelles les formes de pluriel neutre apparaissent identiques.

Nom.-acc. duel -ë, dans le type mouillé ~(j)i. La compa-raison se limite à l'indo-iranien, qui présente une désinence -e, de *-ai. Le baltique a pérdu la forme, et le slave ne fournit pas de renseignements bien valables sur l'intonation de la désinence : on ne peut pas se fier en effet à l'accentuation du slovène, qui présente le type poljê «plaine» ( = r. pôle), duel pôlji comme plur. pôlja (= r. poljâ, § 222), ou à celle de mots isolés d'autres langues comme r. dial. mudé « testi-cules » (§ 214), et en conclure à une intonation rude supposant une désinence *-âi. Mais le duel neutre en -ë est celui du type en -â- qui a fourni le pluriel neutre, et c'est là qu'il faut chercher des données plus complètes sur la forme de la dési-nence (§ 150). Pour les autres types flexionnels, le slave présente -i (secondairement -é d'après le pluriel nouveau en -a) dans le type athématique (§ 180), et dans les deux mots isolés oci, usi qu'il incorpore à son type féminin en -i- (§ 193) : cette désinence *-f relève du type en -i-.

136. Flexion du type mouillé. — Dans les langues bal-tiques, en vieux prussien et en lituanien, la flexion des anciens thèmes en -yo- diffère de celle des thèmes en -o- du fait de la contamination des thèmes en -yo- et des thèmes masculins en -i-, avec emprunt de quelques désinences au type en -i- :

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4 6 LES THÈMES EN -o- [131.1

lit. vyras, acc. vyrq, mais élnis «cerf», acc. élnj., d'ailleurs à côté de élnias, élniq ; de même v. pr. -is. -in, et en outre acc. plur. -ins, mais lit. élnius comme vyrus. C'est là un fait récent, qui a son parallèle dans le développement des langues slaves (§ 172), mais de façon indépendante. Aux autres cas, les désinences sont les mêmes dans les thèmes en consonne dure et les thèmes en consonne mouillée, si ce n'est que 'a flotte dans la prononciation avec 'e (§ 48), et qu'on a ainsi en lituanien nom. sing. élnias et élnes, nom. plur. élniai et élnei, en face de vyras, vyrai. Le baltique n'oppose pas un type masculin dur en -as et un type mouillé en -es aussi nettement qu'il oppose un type féminin dur en *-â et un type mouillé en *-ë (§ 151).

En slave, le traitement des voyelles et diphtongues précé-dées de / (§§ 78-79) a donné à un bon nombre de désinences des formes différentes de celles qu'elles présentent après thème dur. L'adaptation de ces désinences à des thèmes en

^consonne mouillée n'apparaît plus dès le vieux slave comme phonétique, mais comme morphologique, et c'est pourquoi elle a persisté après la perte dialectale des mouillures, en obéissant à des principes nouveaux mais très conservateurs de l 'état ancien, tandis que ce sont justement les langues où les mouillures se conservent qui tendent à effacer les diffé-rences entre la flexion dure ët la flexion mouillée (§ 115).

Le type mouillé comprend des noms en *-yo- après consonne, c'est-à-dire à consonne palatalisée (§ 24), type masc. mçzï « homme », neutre çze « corde » ; des noms en *-yo- après voyelle, et alors le nominatif singulier est v. si. -i (§ 63), type krai « bord », qui passe à kraj et rejoint le type précédent; des noms en *-iyo-, v. si. .-ii, neutre -ije, et le type masculin en -ii a eu dans la suite des traitements spéciaux (§ 146) ; et des noms en -ci, neutre -ce, et en -dzï, avec des semi-occlu-sives sifflantes produites par la seconde palatalisation des gutturales (§ 18). Cette répartition est étymologique, et des

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[ 1 3 6 ] FLEXION DU TYPE MOUILLÉ I 4 7

mots d'autres provenances s'adjoignent librement au type mouillé, emprunts au roman comme krizi « croix », emprunts en -ii au grec -ioç, etc: Les substantifs en -cl, -ce, -dzï, ayant changé leur finale primitivement dure *-k-, *-g- en finale mouil-lée, ont été assimilés au type mouillé, sauf au vocatif-qui reste du type dur, avec l'alternance k: c, g: dz devant -e: otïcï « père », kunçdzï « prince », voc. otïëe, kunçze. On a loc. sing. otïci, loc. plur. otïcixu, par substitution morphologique de -i, -ixu à -é, -ëxu phonétiques (§ 19) ; et l'instrumental pluriel oiïci doit être analogique également, puisque la désinence était *-uois (§ 132) et que la seconde palatalisation n'a pas eu lieu devant u. La flexion pronominale n'a pas été atteinte en vieux slave par cette innovation : sicï « tel (que ceci) », gén.-loc. plur. sicëxu (§ 258) ; sur la flexion des rares adjectifs du type, nicï « tête baissée », gobïdzï « riche », on n'est pas renseigné.

Voici en vieux slavè la flexion du type mouillé de mçzi « homme », avec les variantes des types krai « bord » et ôtïcï « père » :

Sing. Plur. . Duel

N. mçzï, krai mçzi ) . „ v , „ • 5 mçza, -zë

A. mçzi, -za, -ze, krai mçze ) G. mçza, -zë mçzï, krai ) T v ,• „ i mçzfjju L. mçzi mçzixu ) D. mçzfjlu mçzemû ) T „ „. . > mozema 1. mçzemi mçzi ) V. mçz(j)u, otïce

Et la flexion du type neutre de srudïce « cœur » aux formes qui diffèrent de celles de la flexion des masculins :

N.-A. srudïce srùdïca, -cë srudïci

L'opposition est régulière, entre type dur et type mouillé, de -û et -ï (nom.-acc. sing. masc., gén. plur.) ; -o et -e (nom.-

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4 8 LES THÈMES EN -o- [131.1

acc. sing. neutre), -omï et -emï (instr. sing., var. -urnï et -ïrnï, § 161), -omu et -emù (dat. plur.), -orna et -ema (dat.-instr. duel) ; -ë (de *-ai) et -i (loc. sing., nom.-acc. duel neutre), -ëxu (de *-aisu) et -ixu (loc. plur.) ; -y et -i (instr. plur.). Au génitif singulier (et génitif-accusatif), au nominatif-accu-satif duel masculin et au nominatif-accusatif pluriel neutre, des graphies du type mçzë, très rares en vieux slave après chuintante ou c, dz, sont régulières dans la glagolite après les autres consonnes, ainsi korablë de korabljï « bateau », kraë du thème kraj-. L'orthographe cyrillique est normalement ~(j)a, et la plupart des langues slaves ont uniformisé en -a la désinence des deux types dur et mouillé, de même que le baltique en *-â, au génitif singulier lit. élnio comme vyro. Mais non le tchèque, qui oppose à gén. sing. roba du type dur v, tch. muzë, mod. muze du type mouillé (muza dialectalement et en slovaque), à nom.-acc. plur. neutre mësta v. tch. srdcë, mod. srdce, et de même au nominatif-accusatif duel masculin en vieux tchèque.

S'il n'y a pas de différence au nominatif pluriel masculin entre le type dur rabi et le type mouillé mçzi, c'est parce que la forme -i du type mouillé a été généralisée (§ 132). Deux désinçnces appellent des observations particulières. A l'accusatif pluriel, le traitement de la désinence *-yons, passée à *-jens, a été ~(j)ç en vieux slave et dans les langues méridionales, mais -ë en russe et dans le groupe septentrional (§ 88) : s.-cr. mûze (mûzeve}, slov. mo.zê, de -g, et, de v. si. konjï « cheval », v. r. konë, ukr. kôni (devenu nom.-acc.), v. pol. konie, sor. kônje, v. tch. konë, avec -ë. Les traitements diver-gents des finales *-ans et *-jens ont créé une forte différence entre la désinence -y du type dur et la désinence -ç, -ë du type mouillé. Pour le double traitement -g et -ë de la désinence mouillée, qui se retrouve dans la flexion des thèmes en -â-(§ 151), il ne représentait à l'origine qu'une variante assez légère, puisque -ë était la forme dénasalisée de -g (§ 65) :

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[ 1 3 6 ] FLEXION DU TYPE MOUILLÉ 4 9

sûrement un simple flottement de prononciation qui i n'est devenu qu'après coup divergence dialectale.

Au vocatif, ~(j)u du type mouillé n'a pas de rapport avec -e du type dur. La désinence est slave commune : ukr. mûzu, pol. mçzu, tch. muzi (-i de -u), etc. ; mais elle n'apparaît pas dans le type otïcï, voc. otïce, passé secondairement à la flexion mouillée, et dans les adjectifs le vieux slave présente un vocatif buje de bui « fou », isolé, mais qui peut attester que ~(j)u est lié à la flexion des substantifs. Il s'agit en effet d'un emprunt à la flexion des substantifs en -u-, conservant le souvenir d'un type mouillé en *-yu- (§ 159) qui a disparu en slave par fusion avec le type en *-yo~. Le lituanien renseigne sur la contamination des noms en -yo-, -is, et des noms en *-yu-, -ius. A divers substantifs en -is, et particulièrement aux noms d'agents en -tojis, il donne non seulement un vocatif en -iau, mais aussi un génitif singulier en -iaus : mokïntojis « précep-teur», gén. mokintojo et mokiniojaus, voc. mokintojau. Mais pourquoi le slave a-t-il remanié le vocatif des substantifs en *-yo~? On doit supposer qu'il était malcommode, et que la forme balto-slave n'en était pas *-je. En lituanien, elle est -i : élni, sans rapport avec celle du vocatif des thèmes en -i-, qui est -ie de *-es (§ 165); en latin, elle est -ï: fllï; en gotique, elle est -i : laisareis « précepteur », voc. laisari. Ceci paraît indiquer une désinence *-ï, variante ancienne de *-ye, qui créait en slave de graves complications, puisqu'elle opposait à la consonne palâtalisée des autres cas une consonne simple au vocatif : avec cette désinence, le vocatif de v. si. vozdï « guide » serait *vodi. Le lituanien, dans son système d'alternances (•§ 154), s'accommode d'un vocatif svetè de svëcias «hôte», mais le slave a substitué vozd(j)u à *vodi, d'après les noms du type de vozdï qui, issus de thèmes en *-yu-, avaient un vocatif en - ( j ) u avec maintien de la consonne palatalisée.

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5 0 LES THÈMES EN -o- [131.1

137. Évolution de la flexion. — Le système flexionnel à sept cas au singulier et six au pluriel s'est maintenu généra-lement, mais avec élimination du duel dans la plupart des langues. Sauf en bulgaro-macédonien (§ 128), il n'a guère subi de réduction : perte du vocatif en russe et en slovène, tandis que le bulgare a non seulement conservé le vocatif, mais a transmis au roumain son vocatif féminin en -o, peut-être aussi son vocatif masculin en -e; en serbo-croate, confu-sion du locatif et du datif en un cas unique locatif-datif, avec seulement au singulier des différences d'accent entre le cas sans préposition, ancien datif, et le cas avec préposition, ancien locatif (§ 219). Toutefois, si le système général de la flexion nominale subsiste dans l'ensemble, il s'est beaucoup modifié dans le détail, de façon différente selon les langues, et l'écart est assez grand entre les langues slaves, et, à l'inté-rieur dés langues, les variantes nombreuses entre les dialectes. Une flexion complexe ne se maintient pas sans évoluer. Elle doit s'adapter à des changements phonétiques, dont l'action est profonde, bien visible dans certains cas, dans d'autres plus secrète. Il est sûr que les conditions ne sont pas les mêmes dans des langues qui opposent des consonnes dures et des consonnes mouillées (russe, polonais), ou des longues et des brèves (tchèque, serbo-croate), et dans celles qui ont perdu ces oppositions ; dans des langues à accent mobile (russe, slovène, serbo-croate) et des langues à accent fixe. On constate, de façon plus précise, que des modifications phonétiques qui obscurcissent des désinences appellent des remaniements, ou, si ces remaniements n'ont pas lieu, altèrent le système flexionnel : le serbo-croate et le slovène, confondant i et y (§ 53), ont restauré la distinction du nominatif et de l'accusatif pluriels des masculins en généralisant une caracté-ristique -e d'accusatif masculin pluriel, mais le serbo-croate, perdant à date récente h ' (§ 10), a perdu le locatif pluriel. C'est pour n'avoir pas réagi contre la confusion de ses finales

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[138 ] RUSSE 51 J .

inaccentuées que le bulgaro-macédonien a ruiné sa flexion. Mais il y a une autre cause, morphologique, de modification

des désinences. Le slave héritait d'un jeu de flexions très complexe, à thèmes multiples, et la distinction des thèmes avait cessé d'être claire. Les langues slaves ont rassemblé tous leurs masculins en -o-, -yo-, -i-, -u-, athématiques, en une flexion unique à deux formes dure et mouillée ; mais cette flexion unique est une flexion composite qui, basée sur le type dominant en -o-, -yo-, a fait d'abondants emprunts, et de façon variée selon les langues, aux flexions en -u- (§ 161) et en -i- (§ 172), et même au type athématique (§ 206). E t d'autres causes agissent, diversement : l'élimination du duel, non pas simple, mais par fusion dans le pluriel (§ 214) ; l'extension du sous-genre animé ou personnel ( § 126) ; l'obscur-cissement de la distinction des genres au pluriel (§ 124).

L'histoire de la flexion nominale dans les langues slaves est extrêmement compliquée, et elle n'est pas toujours bien éclaircie. Elle ne peut être suivie en détail que dans chaque langue : on doit se contenter ici de donner une caractéristique des systèmes de flexion.

138. Susse.— Le vocatif est perdu, et le duel. L'opposition d'un type dur et ' d'un type mouillé ne reste nette qu'au génitif pluriel : -ov dans le type dur, -ej dans le type mouillé. La désinence -ë, -e, de locatif singulier du type dur a été généralisée. Au nominatif ou nominatif-accusatif : pluriel, on n'a plus qu'une différence d'ordre phonétique entre -y après consonne dure et -i après consonne mouillée, avec perte de l'accusatif v. r. -é du type mouillé ; de même à l'instru-mental singulier, type dur -om = - a m et type mouillé -ém = -'im, formes réduites de -omet -'ôm (écrit -ëm) sous l 'accent; et loc. plur. -ax et -'acc, etc. Le russe retrouve, sauf au génitif pluriel, l 'état primitif balto-slave à flexion unique, la même sur thème à consonne dure et sur thème à consonne mouillée.

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5 2 LES THÈMES EN -o- [131.1

Ainsi vol « bœuf ». gén.-acc. vold, loc. volé, instr. volôm, nom. plur. voly, dat. volâm, etc., et car' « empereur », gén.-acc. carjâ, loc. caré, instr. carëm (= -r'ôm), nom. plur. cari, dat. carjâm, etc., mais gén.-acc. plur. volôv en face de caréj. On a d'ailleurs aussi dans le type mouillé un génitif pluriel -ev, sous l'accent -ëv = -ôv, type kraj «bord, contrée », gén. plur. kraëv : cette désinence, limitée dans la bonne langue aux substantifs en .-/, est d'emploi plus étendu en russe populaire et très large dans les dialectes, et ainsi la différence du type dur et du type mouillé disparaît même au génitif pluriel.

Au singulier, la flexion n'a pas subi de changement, et les emprunts au type en -u- se réduisent à quelques formes de génitif en -u et de locatif en -u, seulement comme variantes de gén. -a et loc. -e dans des cas limités (§ 161). Mais au pluriel la flexion a été complètement transformée. Le nomi-natif et l'accusatif ont été confondus en un nominatif-accu-satif -y (dur), -i (mouillé), puis l'extension au pluriel de la distinction des sous-genres animé et inanimé a différencié nom.-acc. -y, -i des inanimés et nom. -y, -i, gén.-acc. -ov, -ej des animés. Au génitif, la forme sans désinence ne s'est conservée qu'avec quelques mots, comme sapogî « bottes », gén. sapôg, et elle a été normalement remplacée par des formes plus pleines : dans le type dur -ov pris aux thèmes en -u- ; dans le type mouillé -ej pris aux thèmes en -i-, et égale-ment aux thèmes en -iyo- très importants du fait des neutres en -'e (§ 147), et -ev, c'est-à-dire -'ov après consonne mouillée.

Au locatif, au datif et à l'instrumental, -ax (~'ax)y -am (~'am) et -ami (-'ami) ont été substitués aux désinences antérieures -ëx (type mouillé -ix, puis -ex du type en -i- et -ëx), -om (~em), -y (-i). Cette extension des désinences du type féminin en -a ne se laisse pas dater avec précision, parce qu'elle n'a pas eu lieu à là même époque dans tous les parlers : plus précoce en russe septentrional et occidental, elle ne remonte guère qu'au x v n e siècle en russe moscovite, et les

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[138] RUSSE 53

i désinences anciennes se sont longtemps conservées,'particu-lièrement celle de l'instrumental pluriel -y (-i), qu'on penserait être la plus vulnérable. En réalité, ce cas a offert une grande résistance aux réfections, en russe et ailleurs, sans doute parce qu'il est le plus souvent employé avec préposition, ou que, sans préposition, il a un caractère semi-adverbial. Les causes de l'extension sont sûrement, pour les animés du sous-genre personnel, la catégorie importante des masculins en -a, dont le pluriel à flexion féminine s'est fondu avec celui des masculins (§ 208); pour les inanimés, l'influence des neu-tres qui, sur la base de leur nominatif-accusatif pluriel en -a, semblent avoir les premiers développé des formes de pluriel en -a- des cas obliques.

Le russe a fait un autre emprunt à la flexion des neutres, mais à date récente, vers le x v m e siècle : une désinence -d, toujours accentuée, de nominatif-accusatif pluriel inanimé et de nominatif animé, du type gôrod « ville », plur. gorodâ, màster « maître », plur. masterâ, type très productif à l'époque moderne. Le point de départ de l'innovation, propre au russe et étrangère à l'ukrainien, est dans quelques anciens duels comme rog « corne », plur. rogâ, rukâv « manche », plur. rukavâ, comme ukr. rukâva; mais son développement, lié à l'origine à un mouvement d'accent entre l'initiale et la finale, calque le mouvement d'accent des neutres du type zérkalo « miroir », plur. zerkalâ.

Ces faits indiquent une grande confusion des genres au pluriel : au nominatif-accusatif, la désinence -y (-i) est égale-ment masculine et féminine, la désinence -a est devenue également masculine et neutre, et au locatif, au datif et à l'instrumental il n 'y a plus qu'un jeu unique de désinences pour les trois genres. Le génitif pluriel en ~ej des masculins du type mouillé est également le génitif pluriel des neutres du type mouillé môre «mer», pôle «champ», et celui des féminins du type en -i-, avec une certaine pénétration dans

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5 4 LES THÈMES EN -o- [131.1

le type mouillé en -a, si bien qu'il n 'y a plus que le type dur qui présente la désinence -ov comme marque nette du genre masculin, s'opposant à la désinence zéro des neutres et des féminins : dans le type mouillé masc. caréj, neutre moréj, fém. kostéj (kost' « os ») et aussi svecéj à côté de svec (,sveëâ «bougie»), dans le type dur volôv, mais neutre mest (mésto « lieu »), fém. knig (kniga «livre»). E t cette dernière distinction s'abolit dans les dialectes, où -ov (-eu) s'étend largement aux neutres et aux féminins : gén. plur. mestôv, knigov.

Le russe présente un certain nombre de pluriels en -ja, anciens collectifs, type kôlos «épi», plur. kolôs'ja (§ 211). Il a éliminé à peu près complètement les autres types de flexion des masculins ; pour put', gén. putl, voir § 172; pour le type grazdanin, plur. grâzdane, § 207. Pour les alternances, s'il pratique l'alternance consonantique nouvelle de sourde et de sonore (§ 85), comme la plupart des langues slaves, il a perdu les alternances consonantiques anciennes (§ 111) : jazyk « langue », loc. sing. jazyké, nom. plur. jazyki (nom.-acc., par unification en -ky, puis -ki, de nom. -ci et acc. -ky) ; de Bog « Dieu», un vocatif Bôze est slavon. Il a développé l'alternance nouvelle des voyelles « mobiles » (§ 119) : plalôk « mouchoir », gén. platkâ, orël « aigle », gén. orlâ; et il l'a même à l'occasion étendue indûment : rov « fossé », lëd « glace », kâmen « pierre », et zâjac « lièvre » (se confondant avec zâeç), gén. rva, l'da, kâmnja, zâjca, pour de plus anciens rova (dial. rôva, ukr. riv, gén. rôvu), leda, kamenja, zajaca.

139. Ukrainien.— La flexion de l'ukrainien est sensible-ment différente de celle du russe, bien que les deux langues continuent également le vieux russe : on peut y voir l'ampleur que prennent des divergences dialectales qui ne sont pas très anciennes, quand les dialectes, séparés, deviennent langues. Le vocatif est conservé, et l'alternance du type k : c: kozâk

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[140] POLONAIS 55

«cosaque», voc. kozâce. L'alternance du type k: c reste, régulière au locatif singulier, mais la langue tend à l'éviter : béreh « rive », loc. bérezi et berehû. A l'alternance des voyelles «mobiles » s'ajoutent les alternances o: i et e: i (§§ 47-48) : dvir «cour» gén. dvôru, mid «miel»et med, gén. mêdu. L'opposi-tion des désinences de la flexion dure et de la flexion mouillée reste nette, du fait que les consonnes sont prononcées dures devant e et i durci en y (§21) : instr. sing. -om et -em, dat. sing. -ovi et -evi ; et voc. -e et -(j)u, nom.-acc. plur. -y, confon-dant nom. -z et acc. -y, et -z de v. r. -ë (§ 51), accusatif devenu nominatif-accusatif. Ainsi brat « frère », dat. brâtovi, instr. brâtom, voc. brâte, nom. plur. brdty, et ltin' « cheval », dat. konévi, instr. konêm, voc. kônju, nom. (et nom.-acc.) plur. kôni. Mais au locatif singulier -i, de -ë, du type dur a été généralisé dans le type mouillé comme en russe (brâti et kôni) ; au génitif pluriel v. r. -ov et -ev se sont confondus en -iv,-'iv (brativ et vrozâïv, de vrozâj «moisson»); et au locatif, au datif et à l'instrumental pluriels on a les mêmes désinences nouvelles qu'en russe, -ax, -am, -ami, et -'ax, - am, -ami (bratàx et kônjax, etc.).

L'extension des désinences de l'ancien type en -u- est beaucoup plus importante qu'en russe : le datif singulier est en -ovi (-i de -ë, remaniement de v. r. -ovi), avec un locatif-datif -ovi dans le sous-genre animé ; le génitif singulier est en -u dans une grande partie des inanimés ; le locatif singulier en -u tend à supplanter -i après gutturale, pour éviter l'alter-nance consonanti.que ; le génitif pluriel en -iv est commun à la flexion dure et à la flexion mouillée. De l'ancien type en -i-, la désinence -ej (dial. -yj ) de génitif pluriel n'apparaît que dans quelques mots, comme -'mi à l'instrumental pluriel.

140. Polonais. — La flexion s'est compliquée èn polonais, et un bon nombre de cas présentent plusieurs désinences : on en "trouve quatre au nominatif pluriel, -owie, -i, -y, -ie,

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5 6 LES THÈMES EN -o- [131.1

et même une cinquième, -a, dont l'origine est dans des emprunts au latin. Ce n'est pas que l'opposition des types dur et mouillé se soit bien conservée : elle a en bonne partie disparu comme en russe, et l'on a après consonne dure, durcie ou mouillée de mêmes formes des désinences, instr. sing. -em (de -umï, § 161) et -iem, dat. -owi et -iowi, nom. plur. -owie et -iowie, gén. -ôw et -iôw, dat. -om et -iom, et les désinences nouvelles loc. plur. -ach et -iach, instr .-ami et -iami. Ainsi syn « fils », mqz « homme », uczen « élève », dat. sing. synowi, mçzowi, uczniowi, instr. synem, mçzem, uczniem, nom. plur. synowie, mçzowie, uczniowie, gén. synôœ, mçzôw, uczriiôw, dat. synom, mçzom, uczniom, instr. synami, mçzami, uczniami. L'opposition phonétique de formes dures et de formes mouillées s'est perdue, mais l'opposition de désinences diffé-rentes du type dur et du type mouillé s'est conservée, sous un aspect évolué. Au vocatif singulier, on a -ie dans les thèmes en consonne dure (panie de pan « monsieur ») et ~(i)u dans les thèmes en consonne mouillée ou durcie (uczniu, mqzu), mais avec une large extension de -u après gutturale et après c, dz: kozaku «cosaque», kupcu «marchand», pour kozacze, kupcze. Au nominatif et à l'accusatif pluriels, l'ancienne distinction de nom. -i, acc. -y du type dur et de nom. -i, acc. -ê du type mouillé a été complètement transformée sous l'action de la distinction nouvelle des sous-genres personnel et non personnel. Dans le type dur, nom. -i, qui prend la forme -y dans les mots en -c et dans les mots terminés par gutturale ou r à alternances -k:-cy, -r:-rzy, est la désinence des noms désignant des personnes, mais concurrencée par -owie, l'accusatif étant le génitif-accusatif -ôw ; acc. -y, qui prend la forme -i après k, g, est devenu nominatif-accusatif des noms désignant des animaux ou des inanimés. Dans le type mouillé, acc. -ie, de -ë, se confondant avec nom. -ie, de -e de l'ancien type athématique (§ 206), est devenu nomi-natif-accusatif du sous-genre non personnel et, à Côté de

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[140] POLONAIS 57

I -(i)owie, nominatif du sous-genre personnel à génitif-accusatif en -(ijôw.

Les emprunts au type en -u- sont abondants : nom. plur. -owie dans le sous-genre personnel, concurrençant -i dans le type dur et -ie dans le type mouillé ; dat. sing. -owi, désinence ordinaire des animés et des inanimés, avec conser-vation restreinte de -u, surtout dans les animés ; gén. sing. -u, désinence très développée dans les inanimés, surtout pour les noms abstraits et collectifs, mais sans frontières précises avec la désinence -a ; loc. sing. -u dans le type mouillé et après gutturale, avec une répartition de -ie et de -u qui rejoint celle du vocatif singulier. Il y a aussi des emprunts au type en -i-: largement gén. plur. -i (également désinence du type en -iyo-), à côté de -ôw, après consonne mouillée ou durcie, et dans quelques mots instr. plur. -mi pour l'usuel -ami. E t il y a conservation de désinences anciennes : du génitif pluriel à désinence zéro pour -ôw, -i ordinaires, de façon restreinte dans la langue commune, mais plus large en kachoube et surtout en slovince ; du locatif pluriel en -(i)ech (de -èxu ou de -exù du type en -i-), pour -ach, dans deux ou trois mots seulement, et en kachoube de -ech et de sa forme mouillée -ich ; de l'instrumental pluriel en -y, pour -ami, dans des locutions ; et conservation de particularités de flexion pour certains mots, ainsi gén. sing. wolu de wôt «bœuf», loc. sing. synu de syn « fils ». On ajoutera, dans les dialectes, des vestiges notables du duel (§ 214). Un système flexionnel aussi complexe ne va pas sans nombreux flottements. A la fois conservateur et novateur, et sans recherche spéciale de la symétrie dans les innovations, généralisant dans toutes les flexions loc. plur. -ach, instr. -ami, mais dat. plur. -om, ce système résulte du jeu de tendances qui se contredisent, tendances à l'unification, et tendances à la différenciation des marques des sous-genres.

Pour les alternances, l 'état n'est pas plus simple. L'alter-

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5 8 LES THÈMES EN -o- [131 .1

nanee de la voyelle «mobile» e, du type swiadek «témoin», gén. swiadka, s'accompagne, dans le cas où la consonne précédant e est mouillée (ancien ï), d'une alternance de consonne mouillée et dure, ou de consonne palatalisée et non palatalisée : kupiec « marchand », gén. kupca, kwiecien « avril », gén. kwietnia (§ 45) ; avec une alternance de z et de r (§ 16), orzel « aigle », gén. orla, et des cas plus spéciaux comme v. pol. ociec «père», gén. occa> ojca, pol. mod. ojciec, gén. ojca. E t l'on a toute une série d'alternances vocaliques (§ 119). : 'o; 'e, ainsi aniol « ange », plur. anieli, alternance en voie de dispa-rition, mais qui, avec le 'e mobile qui ne passait pas à 'o (§ 58),' a développé secondairement une variante koziol « bouc » pour koziel, gén. kozla; 'a: 'e, ainsi sqsiad «voisin», voc. et loc. sqsiedzie, nom. plur. sqsiedzi; u: o, type rôg «corne», gén. rogu; g : g, type mqz «homme », gén. mgia. Les alternances k: c, g: z (Bôg «Dieu», voc. Boze), c: c, dz: z (ksiqdz «prêtre», voc. ksi%ze), ne subsistent que de façon limitée, la laiigue préférant dans ce cas le vocatif en -u. Mais les alter-nances k: c, g: dz sont très vivantes ^devant -i caractéristique du nominatif pluriel du sous-genre personnel, non seulement avec les substantifs, mais aussi avec les adjectifs : robotnik « ouvrier », nom. plur. roboinicy, uiysoki « haut », nom. plur. personnel wysocy. E t le polonais présente en outre, au locatif singulier en -ie et au nominatif pluriel en -i, ses alternances s: s, z: z, t: c, d: dz, r: rz, czart « diable », plur. czarci, dwôr « manoir », loc. dworze ; et il a développé au nominatif pluriel personnel une alternance nouvelle ch : s (§ 13), mnich « moine », plur. mnisi, et même, avec les adjectifs et les pronoms, des alternances sz: s, z: z (§ 113).

141. Sorabe. — Le duel est conservé (§ 214) ; le vocatif l'est en haut sorabe, mais seulement dans les masculins en -o-, et dans des vestiges en bas sorabe. L'opposition de la flexion dure et de la flexion mouillée se maintient dans les désinences

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[141] " SORABE 59

j différentes de locatif singulier, -je dur, -u mouillé, et de nominatif-accusatif pluriel, -y dur (et nom. plur. personnel -i), -e mouillé : b. sor. dub « chêne », loc. dubje, nom.-acc. plur. duby, et kôn « cheval », loc. kônju, nom.-acc. plur. kônjë,. Mais aux autres cas on a.dat . sing. kônjoju comme synkoju (synk « fiston »), instr. kènjom comme dubom (de *-umï), gén. plur. kônjow comme dubow, gén. duel kônjowu comme dubowu, loc.-dat.-instr. duel kônjoma comme duboma, et au vocatif h. sor. wôtco « père » comme ducho « esprit ». Toutefois, le haut sorabe garde dialectalement un datif singulier -ewi du typé mouillé en regard du sorabe ancien -owi du type dur, et au nominatif-accusatif duel il a créé une opposition de dubaj dur et de konjej mouillé, qui est analogique de nom.-acc. plur, konje.

La flexion du sorabe est évoluée. Au datif singulier, il présente -u, qui domine dans les inanimés du type dur, et -oju dans les animés et dans le type mouillé : cette désinence nouvelle -oju superpose -u à -oj plus ancien, qui est une réduc-tion de -owi pris au type en -u-. Au vocatif, -o résulte du passage de - e du type dur à -'o (§ 48) et -o après consonne durcie, et d'une substitution de -'o, -o à -'u du type mouillé, -u après consonne durcie. Au nominatif-accusatif duel, le haut-sorabe -aj du type dur, -ej du type mouillé, dubaj, konjej, pour b. sor. duba, kônja, a pris sa finale -/ à la flexion des adjectifs (§ 268), et l'a étendue au locatif-datif-instru-mental -omaj pour b. sor. -oma. Au génitif singulier, on a -a dans les animés et les thèmes mouillés, -a et -u dans: les inanimés du type dur : b. sor. grod « château », gén. grodu et groda. Au locatif singulier, -u du type en -u- est devenu désinence du type mouillé, et a été aussi étendu aux thèmes durs en -k et -ch, mais non en -g, h. sor. -h (§ 11). Au pluriel, l'accusatif en -y du type dur (-i après k et g), -e du type mouillé, est devenu nominatif-accusatif, mais dans le sous-genre personnel le nominatif -i s'est conservé avec quelques mots

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6 0 LES THÈMES EN -o- [131.1

en.bas sorabe (sused « voisin »,plur. susezi), et plus largement en haut sorabe (noms en -nik, plur. -nicy). Le génitif en -ow du type en -u- a été généralisé dans toutes les flexions, non seulement des masculins durs et mouillés, mais aussi des neutres et des féminins, sauf la conservation de.génitifs sans désinence après les noms de nombres et les adverbes indiquant le nombre,, ainsi pjenjezy « argent », gén. wjele pjenjez « beaucoup d'ar-gent ». Au locatif, au datif et à l'instrumental pluriels, on a -ach, -am, -ami dans toutes les flexions, mais avec des vestiges de désinences antérieures : loc. -och du type en -u-, ou -ech du type en -i- (§ 163), ainsi h. sor. konjoch, et b. sor. dial. kônjoch pour kônjach; dat. -om dans des noms de familles en nom. plur. -cy, dat. -com; instr. -y dans des locutions adver-biales, et -ymi par superposition de -mi à -y dans des noms en -c et -z, comme pjenjezymi à côté de pjenjezami.

Pour les alternances consonantiques, elles se sont conservées d'une part au vocatif, type k: c: h. sor. wôcec, wôtc « père », voc. wôtco, knëz «.seigneur, prêtre», voc. knëzo; d'autre part au locatif singulier en -je et au nominatif pluriel personnel en -i, types k: c et t: c : b. sor. bok « côté », loc. boce, gôd « circonstance », loc. gôze ; mais le locatif singulier des noms en -k et en -ch. est normalement en -u. Le jeu des voyelles «mobiles», e, o (§ 58), et dans certains cas a, subsiste : b. sor. nugel «angle» (§ 83), gén. nugla, kôzot «bouc», gén. kôzla, hogen « feu » (§ 77), gén. hognja; et blazan (btazn), gén. blazna, nom du « fou » dans les langues septentrionales, pol. blazen, gén. blazna, qui continue l'abstrait v. si. blaznu «erreur, scandale», comme s:-cr. lûd « fou », adj., continue v. si. blçdû « égarement » (§ 273). Mais l'alternance se perd en sorabe, par extension soit de la forme du nominatif, gén. blazna et blazana, b. sor. wôset « chardon », gén. wôsela pour h. sor. œôsta (pol. oset, gén. ostu et dial. osetu), soit, et fréquemment, de la forme des autres cas (§ 119), h. sor; wôcec et wôtc.

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[142] TCHÈQUE ET SLOVAQUE 61 i

14S. Tchèque et slovaque. — La distinction de la flexion dure et de la flexion molle est très forte en tchèque, en rai-son des traitements spéciaux des voyelles après consonne mouillée : dans le type dur, gén. sing. -a, loc.-dat. -u, voc. -e, acc. et nom.-acc. plur. -y, instr. plur. -y (tchèque parlé -ama) ; dans le type mouillé, gén. sing. -e (v. tch. -ë, forme mouillée de -a, § 78), loc.-dat. et voc. -i (v. tch. -w, § 55), acc. et nom.-acc. plur. -e (v. tch. -ë), instr. plur. -i (tch. parlé -ema) ; mais par contre loc.-dat. sing. -ovi, nom.-plur. -ové,, gén. -û(v), dat. -um, dans la flexion mouillée comme dans la flexion dure, et de même instr. sing. -em (de *-umï) dans les deux types. Ainsi chlap « garçon », gén.-acc. chlapa, loc.-dat. chlapovi et chlapu, instr. chlapem, voc. chlape, nom. plur. chlapové (et chlapi)', acc. chlapy, gén. chlapu, dat. chlapùm, instr. chlapy (parlé chlapama), et orâc « labou-reur », gén.-acc. orâce, loc.-dat. orâcovi et orâci, instr. orâcem, voc. orâci, nom. plur. çrâcové (et orâci), acc. orâce, gén. orâcû, dat. ordëâm, instr. orâci (parlé vorâcema, § 77). Pour loc. plur. -ech (et -t'c/z) du type dur, -ich du type mouillé, chla-pech (chlapich) et orâcich, voir ci-dessous. La division des thèmes en consonne dure et des thèmes en consonne mouil-lée ne répond plus à une réalité phonétique, qu'avec de rares consonnes, comme n et n (§ 22), mais elle reste atta-chée solidement par tradition à des consonnes bien diffé-renciées, -k du type dur, -c, -c du type mouillé, etc. Dans le cas de -Z, -s, -z, cette distinction fait défaut, et, avec les thèmes en -/, la répartition des deux types de flexion pré-sente une complexité assez inextricable, et de nombreux flottements : april « avril », gén. aprila .et aprile.

Par ailleurs, la flexion n'est guère plus simple en tchèque qu'en polonais. Elle est dominée par l'opposition des animés et des inanimés, et une certaine distinction s'esquisse aussi entre les noms de personnes et les noms d'animaux. Le tchèque ignore au pluriel le génitif-accusatif personnel du

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6 2 LES THÈMES EN -o- [131.1

polonais et du sorabe, comme le génitif-accusatif animé du russe, mais il n'en est pas de même du slovaque, ni du tchèque dialectal de Moravie, qui ont un génitif-accusatif pluriel des noms de personnes, et des noms d'animaux quand ils désignent des animaux déterminés. Ceci s'accom-pagne de larges emprunts à la flexion en -u-, comme en polonais : gén. sing. -u, plus fréquent que -a dans les inani-més du type dur, mais non dans le type mouillé où -e est la désinence commune des animés et des inanimés ; loc.-dat. -ovi dans les animés, surtout noms de personnes, et la langue distinguera volontiers, de osel « âne », le datif oslu au sens courant et oslovi quand le terme est appliqué à un homme ; loc. -u dans les inanimés, à côté de -ë, et -u à côté de -ovi dans les animés ; nom. plur. -ové, à côté de -i, dans les animés, surtout noms de personnes ; gén. plur. -â, de -ûv (slovaque -ov), désinence générale du cas dans la flexion des masculins, avec de rares vestiges du génitif sans désinence.

Au nominatif et à l'accusatif pluriels, les inanimés ont un nominatif-accusatif qui est l'ancien accusatif : en -y dans le type dur, en -e dans le type mouillé ; les animés ont un nomi-natif en -i, moins souvent en -ové, et un accusatif : en -y dans le type dur, en -e dans le type mouillé. La distinction de -i et de -y n'est plus en grande partie qu'orthographique, mais elle existe réellement après t,d, n (§ 21), et après les gutturales et r qui prennent devant i des formes alternantes : vojâk «soldat», nom. plur. vojâci, loir « scélérat », nom. plur. lotri. Le tchèque parlé étend le nominatif animé en -i à l'accu-satif : nom.-acc. vojâci, et de même nom.-acc. vorâci dans le type mouillé. Le tchèque littéraire connaît dans quelques mots et dans les noms en -ané une autre désinence de nominatif pluriel animé, -é, que le tchèque parlé remplace par -i: cette désinence -ë, en slovaque -ie, -ia (§ 211), résulte d'une confu-sion de -e du type athématique (§ 179) et de ~ïje du type en -i- (§ 172), et elle' a pris sa longueur à -ïje, v. tch. -ie, et l'a

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[ 1 4 2 ] TCHÈQUE ET SLOVAQUE 6 3

transmise à -ové, slovaque -ovie, -ovia-. Au locatif5 pluriel, -ech est la désinence ordinaire du tchèque dans le type dur, à côté de -îch qui est la désinence régulière du type mouillé : chlapech et chlap ich, et seulement oraclch; dans le type dur, -ich apparaît surtout dans les thèmes en -k, -h, -ch, loc. -cich, -zlch, -sîch avec l'alternance des gutturales. Les désinences anciennes, longues (§ 221), v. tch. -iech du type dur, -ich du type mouillé, se confondaient en -Ich (§ 51), et la différence a été restaurée par emprunt au type en -i- de -ech qui figure couramment après les consonnes caractéristiques du type dur, la distinction des deux types n'étant plus qu'une ques-tion de consonnes. Le tchèque connaît une autre désinence -âch prise à la flexion des féminins en -a, comme en polonais, en sorabe et en russe : vojâkâch pour vojdcich; limitée en tchèque littéraire à des noms à suffixe -ek, et en tchèque parlé correct aux thèmes en gutturale, avec élimination de l'alter-nance consonantiqae, elle s'étend en tchèque vulgaire. En slovaque, et aussi en tchèque dialectal, la désinence est -och (§ 163), dans les deux types dur et mouillé. A l'instrumental pluriel, où le tchèque littéraire -y dur, -i mouillé, est archaï-sant, il y a eu extension, dès le vieux tchèque, d'une part de -mi des thèmes en -i-, d'autre part de -ami des féminins en -a : le slovaque a ordinairement -mi, et le tchèque parlé a -ama dans le type dur, -ema (de v. tch. -ëmi) dans le type mouillé, formes de l'ancien duel (§ 214).

Pour les alternances vocaliques, à l'alternance de l'e « mobile », lev « lion », gén. Iva, et svec « cordonnier », gén. sevce (§ 119), s 'ajoutent des alternances de quantité (§ 224), des. types mrdz «gelée», gén. jnrazu, dûm «maison», gén." domu, vïlr «vent», gén. vëtru; l'alternance Jan «Jean», voc. Jene (v. tch. Jëne) est en tchèque littéraire (tchèque parlé Jane) le vestige d'une alternance perdue (§ 78). Une alternance consonantique est solide dans la flexion des subs-tantifs, celle.de k: c, h: z, ch: s, et en outre r: r, t: t', etc.,

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6 4 LES THÈMES EN -o- [ 1 3 1 . 1

au nominatif pluriel en -i des animés, devenu nominatif-accusatif en tchèque parlé, ainsi cernoch « nègre », nom. plur. cernosi (§ 13) ; dans la flexion des adjectifs, ce n'est plus qu'un archaïsme du tchèque littéraire (§271). Cette alternance se maintient aussi au locatif singulier en -ë des inanimés, mais la désinence est ordinairement -u après gutturale, et les locatifs pluriels en -cich disparaissent également, remplacés par -kdch. Les alternances de la série k: c ne subsistent que dans quelques rares vocatifs, comme Bùh « Dieu », voc. Boèe, là désinence étant normalement -u dans ce cas.

143. Slovène. — Le duel est conservé, le vocatif est perdu. L'opposition est nette, en fonction de la consonne finale du thème, des désinences de l'ancien type dur, instr, sing. -om, gén. plur. -ov, dat. plur. -om, dat.-instr. duel -oma, et de l'an-cien type mouillé, -em, -ev, -em, -ema. Du moins dans la langue littéraire : dans les dialectes, instr. sing. et dat. plur. -em a disparu devant -om, sauf dans les neutres en -je où -jem se maintient ; et -om lui-même est ordinairement rem-placé par -am, innovation qui, partie du datif pluriel neutre, s'est dès la fin du xvi e siècle étendue au datif pluriel masculin et à l'instrumental singulier. D'autre part, à l'accusatif pluriel, -e du type mouillé, de v. si. -g, a été généralisé dans le type dur, comme en serbo-croate, pour restaurer la distinc-tion avec nom. plur. -i, et les accusatifs en -i qui subsistent sont des vestiges du type en -u- et du type masculin en -i-. Au locatif pluriel, -ih du type mouillé a été de même généralisé, avec conservation dialectale de -eh du type dur, et aussi une désinence nouvelle -ah.

Les emprunts au type en -u- sont importants : gén. plur. -ov, -ev ; loc. sing. -u, donnant un locatif-datif singulier; extension notable du génitif singulier en -u, et du nominatif pluriel en -ovi, pour v. si. -ove, avec tendance alors à bâtir toute la flexion de pluriel sur un élargissement -ov-: môst

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[144] SERBO-CROATE 65 • • |

« pont », nom. plur. mostôvi, acc. mostôve, loc. mostôvih, etc. Mais on a aussi, pris au type en -i-, un bon nombre de mas-culins en -je, et des formes d'instrumental pluriel en -mi, à côté de la désinence ordinaire -i. La conservation de l'instru-mental pluriel en -i est remarquable, même s'il est concurrencé par -mi, et aussi dialectalement par -ami.

L'alternance de l'e mobile, 9, en syllabe longue â (§ 58), est régulière, mais avec des formes comme zrebèljc « petit clou » pour zrebljèc, d'après gén. zrebeljcà. Pour l'alternance des gutturales, elle se maintient exceptionnellement : otràk « enfant », nom. plur. otrôci, loc. otrôcih ; mais généralement elle a disparu : ràk « écrevisse », nom. plur. râki, loc. râkih.

144. Serbo-croate. — On a l'opposition régulière de voc. -e, instr. -om, plur. -ov-, après les consonnes de l'ancien type dur, et voc. -u, instr. -erri, plur. -ev-, après les consonnes de l'ancien type mouillé : sîn «fils», voc. sine, instr. sînom, plur. sïnovi, et mûz « mari », voc. mûzu, instr. mûzem, plur. mûzevi. Il y a flottement après r qui confond v. si. r et rj ( § 22), et préférence pour les désinences en -o- après une syllabe contenant un -e : zêc « lièvre », zêcom, zëcovi, Mais l'accusatif pluriel en -e, de -ç, a été généralisé comme en slovène : zâkone de zâkort « loi », lju.de de Ijûdi « hommes ». Comme en slovène aussi, la distinc-tion de l'animé et de l'inanimé n'a pas été étendue au-delà de l'accusatif singulier : si on la retrouve dans l'accentuation du locatif singulier (§ 219), loc.-dat. vûku de vûk « loup », mais dat. grâdu, loc. grâdu de grâd « ville », c'est parce que les locutions traditionnelles du type u grâdu « dans la ville », r. na domû « à domicile », étaient nombreuses avec des noms de choses et ont pu dans ce cas garder leur mouvement d'accent. Un génitif-accusatif pluriel animé n'apparaît qu'en vieux cakavien, et à l'époque actuelle, de façon très limitée, en cakavien d'Istrie.

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6 6 LES THÈMES EN -o- [131.1

A la flexion en -u- sont pris le locatif singulier en -u, devenu la seule désinence de locatif singulier et locatif-datif, et le nominatif pluriel en -ovi, de v. s.-cr. -ove, qui a donné avec le génitif en -ov(â) un élargissement -ov-, -ev- de pluriel. Étendu à tous les cas, cet élargissement -ov- est devenu le pluriel normal des noms à thème monosyllabique et de quel-ques thèmes dissyllabiques : gôlûb « pigeon », nom. plur. gôlubovi, acc. gôlubove, gén. golubôvâ, loc.-dat.-instr. golubdvima. La flexion en -i- avait fourni au serbo-croate un type spécial de pluriel à désinences caractéristiques, acc. plur. -i, gén. -F, instr. -mi, dont il reste des vestiges (§ 172).

Le serbo-croate stokavien, qui est la langue commune, présente des innovations qui lui sont propres. Au génitif pluriel, de façon curieuse, il avait maintenu dans certains cas le jer faible de la désinence v. si. -u (§ 60), et en avait fait une voyelle longue, notée -u en vieux serbe, d'où -â, sur le modèle de -F contracté de v. si. -ii dans le type en -i-. Puis il a géné-ralisé cette désinence nouvelle -â, en la superposant à l'ancien génitif sans désinence, qui lui-même avait généralisé l'allon-gement de la finale du thème (§ 224) : v. si. siaricï « vieillard », s.-cr. stârac, gén. plur. v. si. starïcï, cak. st&râc, s.-cr. stok. stàràcâ. La désinence -â et l'allongement de la syllabe précé-dente sont ainsi devenus les caractéristiques du génitif pluriel, dans tous les types de flexion, sauf dans la flexion du type en -i- qui a -F, et sauf des vestiges du génitif duel -û, -ijû (§ 214).

Au datif et à l 'instrumental pluriels, les désinences dis-tinctes ont été remplacées, dans tous les types, par la carac-téristique -ma du datif-instrumental duel, et dat. -om, instr. -i, par une désinence nouvelle -ima. Gomme d'autre part, au locatif, la désinence -ijeh, -ih, et -ah, -eh des autres types, perdait phonétiquement sa caractéristique -h (§10), les formes nouvelles -ije, -i, etc., ont adopté elles aussi la finale -ma, à date récente (xvm e siècle), et le serbo-croate ne présente plus qu'une désinence de locatif-datif-instrumental pluriel -ima,

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[ 1 4 4 ] SERBO-CROATE 67

-ama dans les féminins en -a, -ijema ou -ima dans le! type pronominal, perdant ainsi au pluriel comme au singulier la distinction du locatif et du datif.

Ces innovations ont complètement transformé la flexion du pluriel en serbo-croate : nom. zâkoni «lois», acc. zâkone, gén. zâkônâ, loc.-dat.-instr. zâkonima. Mais elles sont parti-culières au dialecte stokavien : le kajkavien a des désinences semblables à celles du slovène, gén. plur. -ov, etc. ; le ôakavien conserve le génitif pluriel à désinence zéro, à côté de -ïh pris au type pronominal, et aussi de -ov, le locatif en -ïh, le datif en -om, l 'instrumental en -i, et aussi l'accusatif pluriel en -i et le locatif singulier en -i distinct du datif en -u, et il a éli-miné les nominatifs pluriels en -ove et ne connaît pas l'élar-gissement de pluriel en -ov-. On voit que, si les différences de flexion sont grandes entre les langues slaves, elles peuvent l'être tout autant entre des dialectes d'une même langue.

Pour les alternances, celle de l'a « mobile » est régulière aussi au génitif pluriel, qui a été recouvert secondairement par la désinence -â: kàsac « faucheur », gén. kàsca, etc., et gén. plur. kosâcâ, cak. kôsâc. On a l'alternance nouvelle de l et o'(§ 15), ainsi pëpeo « cendre », gén. pepela, etc., et, par combi-naison avec celle de l'a mobile, tùzilac « plaignant », gén. tùzioca, etc., mais gén. plur. tùzilâcâ. Les alternances des gutturales, des séries k: c (vocatif) et k: c (nominatif pluriel), sont rigoureuses en serbo-croate stokavien dans les subs-tantifs, mais ont disparu dans la flexion des adjectifs. Le serbo-croate avait étendu à l'instrumental pluriel l'alternance du type k : c du nominatif et du locatif pluriels : jèzik « langue », instr. plur. jezici en serbo-croate ancien, pour v. si. jçzyky; aussi apparaît-elle dans la langue moderne devant la désinence nouvelle -ima : jèzicima. Par contre, la désinence -e d'accu-satif pluriel de l'ancien type mouillé a été étendue au type dur, sans provoquer l'alternance de la gutturale : jèzike, avec maintien du -k- de v. si. jçzyky. On a ainsi le jeu régulier

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68 LES THÈMES EN -o- [131.1

vàjnïk « soldat », voc. vôjriïëe, nom. plur. vojnici, acc. vojnike, gén. vojnikâ, loc.-dat.-instr. vojnicima, et ôkrûzi «districts», acc. ôkrûge, orasi «noix», acc. orahe, etc. Mais à l'ouest, en cakavien et en kajkavien, les alternances du type k : c, que le slovène fait disparaître, se sont très mal conservées.

145. Bulgare. — La flexion a presque complètement disparu (§ 128) : il n'en subsiste que le vocatif, pour les mas-culins et les féminins ; et, seulement pour les masculins sin-guliers désignant des personnes, un cas oblique en -a servant d'accusatif et de cas construit avec préposition, qui est l'ancien génitif-accusatif, et qui est en voie de disparition. Il reste surtout l'opposition du singulier et du pluriel, et il s'est développé une autre opposition, au singulier et au pluriel, entre formes avec ou sans article postposé (§ 245), comme en roumain et en albanais.

: La distinction de l'ancien type dur et de l'ancien type mouillé subsiste au vocatif, avec une répartition en partie nouvelle de -e et de -u ; la forme -u, étant toujours inaccentuée, s'est confondue avec -o des féminins ( § 47) et est écrite ordi-nairement -o. La distinction a à peu près disparu au nominatif pluriel en -ove, où -eve ne se rencontre, et avec une variante -jove, que dans les mots à thème terminé par j. Elle s'accuse surtout, mais de façon limitée, dans la forme à article postposé du singulier, où des consonnes mouillées n, /', r', t', durcies à la finale, ont gardé leur mouillure devant l'article, et où à -al du type dur répond -jal du type mouillé : grad et gradât « la ville », krai et krâljat « le roi ».

Le pluriel est en -Ï, mais ordinairement en -ove dans les thèmes monosyllabiques ; quelques mots présentent un plu-riel en -é qui continue v. si. -Ije du type en -i-. D'autres caractéristiques de pluriel se sont, développées, en -ista, en -ovci; pour les «pluriels seconds» en -a, voir § 214. L'alter-nance des deux voyelles «mobiles», â et e, joue selon des règles

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[146] LES MASCULINS EN -iyo- 69 |

en partie nouvelles. Les alternances des gutturales, i celle du type k': c devant -e du vocatif, celle du type k: c devant -i du pluriel, sont régulières, ce qui maintient au pluriel une différence entre les masculins et les féminins, également en -i, mais sans alternance des gutturales : uëenik « élève », plur. ucenici, mais rekâ « rivière », plur. reki.

146. Les masculins en -iyo-. — Le vieux slave présente une série de substantifs masculins en -ii représentant des thèmes en -iyo-, de la flexion courante : gén. -ija, etc. Mais -ii se contractait en -ï, ou passait à -ij en russe (§ 62), tandis que -ija passait à -ïja, puis -ja, et une flexion -ï, r. -ij, gén. -ja, devenait anomale.

On trouve en vieux slave nom. sing. -ii, -i, et -ei, c'est-à-dire -ej, forme analogique à e «mobile » refaite sur gén. -ïja, que le bulgare conserve. Le russe offre généralement une flexion nom. -ej, gén. -'ja ou secondairement -eja, avec la forme -ej de nominatif qu'il a" de bonne heure substituée à -ij. Dans les autres langues, le nom. -I est assez bien conservé en vieux tchèque, et paraît s'être maintenu quelque peu en vieux serbe, mais la désinence disparaît, par normalisation sur gén. -ja, par passage au type en -yo- ou au type en -i-, ou par élargisse-ment en -ie, -ïk ou substitution d'autres suffixes. Les traite-ments sont divers, et il faut suivre l'histoire de chaque mot.

Slavon ulii « ruche » : bulg. ulej « arbre creux, servant de ruche ou de conduite d'eau », r. ulej, gén. ûl'ja et ulej a ; — v. tch. ûli, tch. ûl (gén. ùle), pol. ul, slov. ûlj ; s.-cr. ûljevi, plur., ancien ulj, plur. v. s. ul(i)je avec passage au type masculin en -i-.

V. si. inii «givre » : bulg. inej, masc., et inja, fém., doublet qui restitue la flexion nom. inej, cas oblique inja avec préposi-tion ; r. inej, gén. ineja. Le mot est devenu neutre dans slov. înje, mais dial. in, s.-cr. Inje, mais ancien inj, tch. jini de v. tch. jinie, peut-être parce que, comme beaucoup de mots

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70 LES THÈMES EN -o- [131.1

désignant une matière, du type v. si. pëny « écume », il avait un pluriel usuel, et qui était passé au type en -i- à nominatif pluriel -ïje.

V. si. gvozdii « clou » : bulg. gvôzdej, et aussi gvozd. Avec ce mot le passage au type en -i- s'accuse dès le vieux slave : nom. plur. gvozdije pour gvozdii ; d'où r. gvozd', pol. gwôzdz, s.-cr. ancien gvozd.

V. si. zrëbii «sort» : bulg. zrébij (pour -6e/, mot semi-savant) ; r. zérebej, gén. zéreb'ja, mais dial. zéreb ; v. pol. zrzeb', s.-cr. zdrïjeb ; et v. tch. hrëbi « sort » et « clou » — les sorts se tiraient avec des chevilles de bois — et hrëb de flexion dure, hrëbik avec élargissement, tch. mod. hreb et hrebik. Pour tch. hf-, voir § 32.

V. si. crëvii « soulier » : v. tch. trëvi, mod. (s)lrevîc; v. pol. trzewic, mod. trzewik, mais polabe sriw (— eriv, de *crevï) ; r. cerevîk ; bulg. crévik, mais plur. crévi et crève, de *crëvïje du type en - i - ; s.-cr. crëvlja, fém., refait sur plur. crëv(ï)je. Le mot est sûrement un dérivé de v. si. ërëvo « ventre » (§ 191) ; le vieux russe a un adjectif cerevii « de cuir » et un pluriel neutre cerevïja « cuirs » et « chaussures ».

Y. si. rëpii « chardon » : r. repéj « bouton de bardane », gén. repéja; v. tch. rëpi, mod. repik ; pol. rzep, gén. rzepia, et rzepik.

Slavon slavii « rossignol » : bulg. slâvéj, r. solovéj, gén. •>v'jâ; s.-cr. ancien slavic, mais gén. slavja; tch. slavik, pol. siowik.

V. si. vrabii, vrabei « moineau » : bulg. vrâbej, mais usuelle-ment vrâbec; r. vorobéj, gén. -b'jâ; s.-cr. vrâbac, tch. vrabec ; mais pol. wrôbel, ancien wrôbl, polabe wôrble (plur.), h. sor. vrobl, dont le groupe *-blj- appelle une explication. La conser-vation sporadique en polonais des groupes du type v. si. plj (§ 28) apparaît sous la forme de flottements tels que grable (cf. lit. gréblys) et grabie « râteau », selon que le l a été senti ou non comme faisant partie du suffixe. Ici, c'est

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[146] LES MASCULINS EN -igo- 71 j

secondairement que l a été introduit dans bj-, de -bïj-, des cas obliques, gén. *vrobja, etc. Il n 'y a pas lieu de comparer directement pol. wrôb(e)l à lit. zvirblis, mais il y a eu, et parallèlement dans slov. vrâbelj à côté de vrâbec, modification de la finale et substitution de suffixe.

Slavon nelii « neveu » : v. s. neti (si ce n'est pas un slavo-nisme), gén. netja, s.-cr. mod. nëljâk (nëcâk); v. pol. niec.

On mettra à part, comme mot trop court pour que le suffixe ne fasse pas corps avec le radical, v. si. zmii « dragon », bulg. zmej, r. zmej, gén. zméja, et ukr. zmyj, s.-cr. zmâj, gén. zmâja, mais slov. zmîj, et tch. zmek, gén. zemka, qui a pris la finale de ses synonymes smok, drak. D'autres mots du type, dont on n'a pas la forme vieux-slave ou slavonne, sont supposés par les formes des langues slaves, ainsi :

*cirïjï « abcès, furoncle» : r. cirej, gén. cir'ja; slov. cîr, cirâj, • cirjdk, s.-cr. cîr; pol. czyrak, ancien czyrek, gén. czyrka.

*pyrïjï « chiendent »" : r. pyréj; gén. pyr'jâ, bulg. plrej, pir, slov. pîrje, pirika, s.-cr. plrèvina, tch. pyr, pol. perz de pyrz. Le mot est un dérivé du nom de l'« épeautre », slavon pyro, slov. pîr, pira, s.-cr. pir, lit. pûraï « blé d'automne », gr. irûpôç « blé », avec lequel il se confond quelque peu dans les langues slaves.

*rebrïjï «échelle, ridelle» : v. tch. rebri, tch. mod, febrik, mais dial. zebf. Dérivé de tch. rebro (zebro) «côte».

*surïjï «frère de la femme» : bulg. sûrej, et sùrak, sûrek; v. pol. szurzy ; v. s. surja et s.-cr. sûra, sùrâk, sùrjâk, mais aussi plur. sûrevi, et avec des traces en vieux serbe d'une flexion de thème en - i - ; r. surin, plur. sur'jâ, formes anciennes en russe, mais sur'jâ, dont sûrin est le singulatif, fait groupe avec zjal'jâ, pluriel de zjal' « gendre, mari de la sœur », ancien thème en -i- (§ 169).

*rodïjï «parent» : v. s. rodi (faiblement attesté), s.-cr.

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7 2 LES THÈMES EN -o- [131.1

mod. rôd, qui ne se distingue plus de rôd « parenté », et rddjâk, rôdâk ; v. r. rodinû et rodicï ; v. tch. rodic, pol. rodzic.

Mais le remaniement des finales rend les restitutions conjec-turales : il faut admettre pour v. tch. rodic une substitution à -Te, élargissement de -F, du suffixe à voyelle brève -ic, de *-ityo-, des diminutifs et des patronymiques. Si les masculins en *-ïjï tendent à passer au type en -ï, nom. plur. -ïje, v. si. gvozdii à gvozdï, on trouve le passage inverse de v. si. cruvï «ver» au moyen-bulgare crûvii, bulg. cérvej (§ 169). D'autre part, il y avait deux suffixes masculins en v. si. -ii, l'un de flexion masculine, l 'autre thème en -iyâ- de flexion fémi-nine ( § 155), et ils devaient se mêler plus ou moins. On en est averti par le flottement de genre dans le slavon mravii « fourmi », qui a donné des formes masculines, bulg. mrâvej, r. muravéj altéré de *morov- d'après muravâ « gazon », s.-cr. mrâv, etc., et des formes féminines, bulg. mrâva, sor. mrovja, pol. mrôwka, etc.

Le type était largement représenté, et il a accueilli les mots étrangers comme v. si. Vasilii « Basile », r. Vasilej, gén. Vasil'ja, v. tch. Juri « Georges », gén. Jufie (mod. Jiri, gén. Jiri et Jiriho, § 273) ; ou v. si. skorïpii, masc., de gr. orcopirios, mais qui est traité plus ordinairement comme féminin en -ii. Les substantifs en *-iyo- du slave doivent être en principe des adjectifs substantivés : ainsi netii « neveu », dérivé de *nepôt-, *nept- (§ 35) ; en regard de v. si. zrnii « dragon », il y a le féminin zmija « serpent » (§ 31).

Pour les adjectifs, très nombreux et dont le type est resté productif, la flexion v. si. bozii « divin », bozi, bozei, gén. bozija, bozïja, s'est maintenue, en passant généralement à. la flexion déterminée (§ 272), avec un nominatif singulier en -ej en russe, -yj, -ij en ukrainien, -ï dans les autres langues ( § 62) : r. sam-tretéj « lui troisième », gén. pol-tret'jâ « deux et demi ». Dans les langues qui ont perdu la mouillure, l'opposition de nom. masc. -I et de gén. -ja, nom.-acc. neutre

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[147], ÉVOLUTION DES NEUTRES 73

i -je, etc., se transformait en opposition de thème du type dur et de thème du type mouillé : tretï, neutre tretje. Il y a 'eu normalisation en slov. trçtji d'après trétje, s.-cr. trêcï comme trêcë, mais à l'inverse en cak. trëtï, trëtô, bulg. iréti, tréio ; de v. si. velii « grand », on a s.-cr. dial. vêljt, vêljë, mais cak. vëlî, vëlô.

Pour le traitement d'un thème en -uyo- dans stryi « oncle paternel », voir § 62.

En baltique, le lituanien présente des formes en -ijas, comme medijas « chasseur » ; mais elles sont refaites, et les thèmes en -iyo- doivent être cherchés dans le type en -y s, avec une flexion qui ne diffère de celle des thèmes en -yo- du type en -is (§ 136) qu'au vocatif singulier en -y et par le fait qu'elle est oxytonée et par conséquent d'accent mobile (§ 216) : zuklys « pêcheur », gén. zûklio. L'allongement est lié à l'accent, et il se retrouve sous l'accent dans la forme déterminée des adjectifs en -is : didis^a grand», déterm. didysis. Mais il doit avoir son origine dans le type en -iyo-, et dans une contraction, ou plutôt dans une diphtongaison donnant une intonation montante en lituanien (§ 105).

147. Évolution de la flexion des neutres. — La flexion des neutres ne diffère en vieux slave de celles des masculins qu'au nominatif-accusatif singulier, pluriel et duel. Une autre différence s'établit dans la plupart des langues slaves au génitif pluriel, du fait que les neutres gardent la désinence zéro comme les féminins en -a et n'adoptent pas la désinence nouvelle -ov des thèmes en -u-, qui par son origine était essentiellement masculine. On a ainsi dans le type dur : r. méslo, gén. plur. mesl, comme fém. ryba « poisson », gén. plur. ryb, et s'opposant à masc. rab, gén. plur. rabôv ; et ukr. misto («ville»), mist, pol. miasto, miast, tch. mësto, mëst et slovaque mesto, miest (§ 224), slov. mësto, mëst. Il en résulte

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7 4 LES THÈMES EN -o- [131.1

un développement de l'alternance des voyelles « mobiles » au génitif pluriel, ainsi r. oknô «fenêtre», gén. plur. ôkon, pis'mô «lettre», gén. plur. pisern, comme dans les féminins en -a.

Mais la distinction des genres n'existe plus guère au pluriel en russe, et -ov s'introduit dans les dialectes au génitif pluriel des neutres, comme des féminins : r. dial. meslôv. Dans la langue commune, on a exceptionnellement ôblako « nuage », gén. plur. oblakôv, mais ce mot est un ancien masculin, ukr. ôblak, et son pluriel oblakâ est un pluriel en -â de masculin ( voir ci-dessous). Le polonais a connu aussi à date ancienne l'extension de -ow au génitif pluriel neutre, et on la trouve dans la langue vulgaire actuelle, ainsi kopyto « sabot » (et dial. kopyt, masc.), gén. plur. kopytôw pour kopyt. En sorabe, -ow est devenu la désinence de génitif pluriel de tous les types de flexion : mësto, gén. plur. mëslow. En serbo-croate, où il n'y a pas de désinence -ov de génitif pluriel masculin, la carac-téristique du génitif pluriel neutre est -â, la même que celle des masculins et des féminins en -a: mjësto, mjêslâ, cak. mësto, mêst. •

Les faits sont plus complexes dans la flexion mouillée, où il y avait deux types différents, en -yo- et en -iyo-, qui se sont contaminés : le génitif pluriel du type en -yo- était v. si. (-j)ï, morjï de morje «mer», et celui du type en -iyo- était v. si. -ii, znamenii de znamenije « signe », d'où -F et r. -ij, -ej. En russe, les neutres en -e ne se distinguent plus du type dur, et sous l'accent on écrit licô « visage », pour v. si. lice : le génitif pluriel est donc lie. Avec les neutres en -'e (slavon -ie), thèmes en -'/-, et le jeu de Ye mobile, le génitif pluriel est -ej, ruz'ë « fusil », rûzej, ordinairement écrit -ij avec graphie slavonne hors de l'accent : kop'ë « lance », cténie « lecture », gén. plur. kôpij, clénij. La désinence -ej a été étendue, sous l'accent, à moréj de more, poléj de pôle « champ »•; et d'autre part la substitution dialectale de -ev {-'ov) à -ej a été acceptée

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[147] ÉVOLUTION DES NEUTRES 75 1

pour certains mots, comme plât'ev de pldt'e « vêtement ». En ukrainien, où la distinction est réelle des deux types neutres -o et -e, le génitif pluriel du type mouillé est ordinairement sans désinence : misce « lieu », mise' ; dans le type en -iyo-, il y a eu extension de la désinence zéro, ou de la désinence -iv, de -eu, des masculins en -/ (§ 139) : pytânnja «question» (§ 148), gén. plur. pytân' et pytânniv. En polonais, on a le type courant pôle, gén. plur. pol, mais deux types dans les anciens thèmes en -iyo- : kazanie « sermon », gén. plur. kazan, zaklçcie « conjuration », gén. plur. zaklçc, avec les substantifs verbaux, et podziemie « souterrain », gén. plur. podziemi, avec les dérivés de noms. En sorabe, le génitif pluriel est en -ow comme dans le type dur : môrjo, gén. plur. môrjow ; au nomi-natif singulier, -e du type en -yo- est passé à -'o, mais le type en -iyo- a maintenu -e : dawanje « fait de donner », et h. sor. dace, b. sor. daée « don », de *datïje, avec une particularité de flexion, instr. sing. -im en bas sorabe (§ 148). En tchèque, la forme en -i de génitif pluriel a été généralisée dans tous les neutres du type mouillé : more, gén. plur. mori, comme znamenî (v. tch. et slovaque -nie), gén. plur. znameni; le génitif pluriel sans désinence du type en -yo- ne subsiste que dans les noms en -istë, gén. plur. -ist' à côté de -isti, et dans l'isolé vejce «œuf», de vajce (§ 77, § 79), gén. plur. vajee, en slovaque dans tous les noms en -ce comme en -isle. Le slovène a la désinence zéro : pol je (pôlje), gén. plur. pôlj ; mais -ij dans des noms en -je comme kopjê (kôpje), gén. plur. kôpij, qui sont du type à voyelle mobile de pismoA écriture, lettre », gén. plur. pisem, et où -ij peut présenter un timbre spécial de la voyelle mobile d (§ 58) devant / plutôt qu'être remanié d'une désinence en'-i. En serbo-croate, on a -â comme dans le type dur : p'ôlje, gén. plur. pôljâ, et râskrïzje « carre-four », gén. plur. râskrïzjâ; très rarement avec insertion d'un a mobile : kàplje, gén. plur. kopâljâ et kôpljâ, de s.-cr. ancien kopje, gén. plur. kopaj.

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76 LES THÈMES EN -o- [131.1

Les désinences du locatif, du datif et de l'instrumental pluriels sont comme dans les masculins, et c'est sûrement du neutre, en raison de son nominatif-accusatif pluriel en -a, que sont parties les innovations du russe et d'autres langues : en russe loc. -ax, dat. -am, instr. -ami, dans le type dur et dans le type mouillé.

Le russe, avec sa confusion des genres au pluriel, présente d'une part des nominatifs pluriels masculins en -â (§ 138), de l'autre des nominatifs pluriels de neutres en -y, -i, du type des masculins et des féminins : derevcô « arbuste », plur. derevcy pQur derevcâ; surtout dans des augmentatifs en -isce comme domîsce « grande maison », plur. domisci, et dans des noms en -ko comme jâbloko « pomme », plur. jdbloki. Mais ôblako « nuage », plur. oblakâ, est traité au pluriel comme masculin. Dans koléno « genou », pleëô « épaule », plur. koléni, pléci, il s'agit d'une survivance du duel (§ 214).

148. Les neutres en - i y o — L'importance du type est grande, en raison de la productivité du suffixe -ïje. On a vu l'histoire de son génitif pluriel en v. si. -ii, mais l'évolution du type présente d'autres particularités.

Dans les langues septentrionales, des groupes comme -ïje ont donné des diphtongues longues (§ 62) : on a ainsi v. tch. znamenie, gén. -nie, dat. -niû, etc., tch. mod. znameni à ces trois cas, en regard de v. tch. more, gén. morë, dat. moru, etc., tch. mod. more, gén. more, dat. mori, etc. Le slovaque a znamenie, gén. -nia, en face de more, gén. mora; au nominatif-accusatif pluriel, la longue de znamenia a été généralisée dans tous les neutres avec adaptation en -â aux thèmes durs : moria ou mord, et delà de delo « œuvre ». Le vieux polonais avait de même des longues, qui ont donné des voyelles fermées, nom.-acc. -é, gén. -'â, dat. -'û, etc., et ces voyelles fermées se sont maintenues longtemps et sont conservées dialectalement :

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[148] LES NEUTRES EN -igo- 77

kachoube zycé, zyci « vie », gén. zyco, distinct de pôle, gén. pola, mais pol. mod. zycie, zycia, comme pôle, pola.

Un traitement analogue se retrouve, dans le domaine méridional, en cakavien : zeli et zéljl «chou», gén. zelâ et zéljâ, dat. zelû, instr. zelln, en face de s.-cr. zêlje, zêlja, zêlju, zêljem. Il est clair que -ïje a donné en cakavien une diphtongue longue d'intonation montante nouvelle (§105) , qui s'est confondue avec ë long en passant à f (§ 51), mais qu'il n'en a pas été de même pour -ïja, -ïju, .où l'accent, qui portait sur le jer, a donné un accent de recul sur la syllabe précédente (§ 102), et il faut restituer une flexion zeli, gén. zélja, avec des normalisations comme dans le cas de trëiï, fém. trëtjâ (§ 146). Le flottement des deux suffixes v. si. -ïstvo et -ïstvije, tch. -stvo et -stvi, a donné en cakavien -stvô avec la longue de -stvï: bogàstvô «richesse» et bogàstvï, instr. bogàstvïn. Du collectif kameni, le pluriel secondaire kamenâ est devenu le pluriel de kàmën « pierre », et il y a eu extension du nomi-natif-accusatif pluriel 'en -à, comme en slovaque, mais seule-ment dans les types analogues au type kamenâ: ïme, plur. imenâ, nëbo, plur. nebesâ.

A l'instrumental singulier, en regard de -omï et -umï du type dur, -(j)emï et -(j)ïml du type en -yo- (§ 161), la désinence du type en -iyo- était -ïjemï et *-ïjïmï. En vieux slave, la désinence -iimï, d'où -imï, à côté de -ïjemï, doit s'expliquer par une assimilation de timbre (§ 81). Mais dans les langues du groupe septentrional on avait *-ïjïmï, qui se contractait en -ïm: v. tch. znamenim, et de même tch. mod. et slovaque ; v. pol. -im, mais remplacé de bonne heure par -iem de la langue mo-derne. En sorabê, le bas sorabe conserve -im : dawanje, daée, instr. sing. dawanim, dasim, mais h. sor. -njom, dacom.

A l'instrumental pluriel, la désinence était v. si. -ii: zna-menii; mais on trouve une forme nouvelle znameniimi, -nimi, par addition à -ii de la finale casuelle -mi des autres types de flexion ; et plus tard, en moyen bulgare et en slavon russe,

5

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78 LES THÈMES EN -o- [131.1

une forme znamenmi. Cette dernière forme a été celle du vieux polonais : pokolenmi de pokolenie « génération », en liaison avec l'innovation gén. plur. kazaii de kazanie; mais elle a disparu devant pokoleniami, r. pokolén'jami.

En regard de r. -'e, instr. sing. -'em, l'ukrainien présente -ja, instr. -jam, avec gémination de la consonne précédente ( § 24) : zylljà « vie », instr. zyttjâm. Cette désinence -ja est prise aux types en -çt- et en -mç, teljâ « veau », instr. ieljâm (§ 207).

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CHAPITRE III

LES THÈMES EN -A-

149. Flexion générale. — Le type comprend en slave la ma-jorité des substantifs féminins, avec une catégorie importante de masculins (§208), et la totalité des adjectifs féminins. Voici les flexions comparées d'un substantif du type dur en litua-nien, en vieux slave et en russe, lit. galvà «tête », v. si. glava, r. golovà:

lituanien vieux slave russe.

Sing. N. galvà y - glava golovà A. gâlvq glavç gôlovu G. galvôs glavy golovy L. galvojè glavë golové D. gdlvai glavë golové I. gâlvq glavojg golovôj Y. galvà glavo

Plur. N. gâlvos glavy golovy ' A. gâlvas glavy golovy

G. galvy. glavù golôv L. galvosè glavaxu golovâx D. galvôms glavamu golovâm I. galvomis (-ôms) glavami golovàmi

Duel N.-A. G.-L. D. I.

gâlvi

galvôm galvôm

glavë glavu

glavama

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8 0 LES THÈMES EN -o- [131.1

La désinence -ë du locatif-datif singulier et celle du nomi-natif-accusatif duel entraînent l'alternance des, gutturales précédentes (§ 18) : v. si. mçka «tourment», mgcë, sluga « serviteur », sludzë, adj. suxa « sèche », susë; duska « planche », dustë, drçzga « bois », drçzdë.

150. Les désinences. — Le type en -â- représente un type suffixal qui a servi à caractériser le féminin en face des thèmes en -o-, et qui fournit d'autre part le nominatif-accusatif pluriel des neutres en -o-; mais le hittite, qui ignore le genre féminin (§ 123), ne l'atteste pas, et on n'en reconstitue pas la forme primitive. On voit seulement que le type en -â-a ses parallèles dans d'autres types à voyelle longue, -û- en regard.des thèmes en -«-.(§ 159), et -ï- qui a été sûrement en regard des thèmes en -i- (§ 154). Gomme il y a de même des nominatifs-accusatifs pluriels neutres en -&, en -û et en -ï, et en skr. -i dans la flexion athématique (§ 135), on est amené à imaginer à l'origine un type suffixal en *-h et une ancienne flexion athématique de thèmes en *-h-, *-ah-, *-uh-, *-ih-, dont le hittite fournit en effet un exemple : (i)skaruh «vase à vin », dat. (i)skaruhi.

Singulier. — Nominatif : si. -a d'intonation rude (§ 99), lit. -a de -o (gerà «bonne», déterm. gerô-ji), v. pr. -â, -o, de i.-e. *-â, gr. -5, -rj, skr. -â, etc.

Accusatif : si. -ç, lit. -q, lette -u, v. pr. -an, de i.-e. *-àm, *-ân, gr. -5v, -r|v, skr. -âm, etc. La caractéristique *-m, *-n du genre animé (§ 135) a été ajoutée au thème, mais l'into-nation du grec -écv, -r)V diffère de l'intonation douce qu'indique le balto-slave (§ 99). Il est vrai que le mouvement d'accent qui suppose cette intonation douce pourrait être d'autre origine (§ 216); sous l'accent, une forme lit. « celle-là », s'opposant à instr. tq d'intonation rude, peut être à l'imitation du masculin acc. tq, instr. tûo. ' :

Génitif : si. -y, en regard de lit. -os, sous l'accent -ôs d'into-

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[150] LES DÉSINENCES 81 }

nation douce, lette et v. pr. -as, qui représente i.-e. *-âs, gr. -as, -fis sous l'accent, got. -os, etc., et l'intonation douce du lituanien et du grec indique une contraction du thème en -â- et de la désinence *-es de génitif. Mais si. -y ne peut pas répondre au baltique *-âs, qui aurait donné *-a, et il faut admettre, d'après la forme v. si. ~(j)ç de la flexion mouillée (§ 151), que la substitution au nominatif pluriel *-âs de *-âns, -y de l'accusatif pluriel a été étendue à *-âs du génitif singulier, avec l'analogie des thèmes féminins en -i- à génitif singulier et nominatif-accusatif pluriel en -i (§ 86).

Locatif : si. -é, forme mouillée ~(j)i, représentant *-âi d'intonation rude, d'après le mouvement d'accent du serbo-croate (§ 99), mais ce mouvement d'accent peut être-analo-gique de celui des locatifs des thèmes en -u- et en -i-. En bal-tique, le lituanien a -ai-, de *-âi ou *-ai, devant la postposition -p fi), v. lit. mergai-p « chez la jeune fille »; et -oj- dans -oje, avec addition de la caractéristique générale -e (§ 178), puis des réductions de -oje à -oj, -o, lette -â. Mais -oje peut être analogique de loc. plur. -ose, et il ne garantit pas sûrement un baltique *-âi. Dans les autres langues, v. lat. -ai (Romai « à Rome », puis Bomae) ne renseigne pas davantage sur la quantité de la diphtongue ; en grec, les vestiges du locatif en -ai, -a, ne se distinguent plus du datif, et le problème des adverbes en -ai est obscur ; en indo-iranien, on a des formes élargies, av. -ây-â, skr. -ây-âm, 'mais à côté du datif av. -ai. Il n'est donc pas sûr que la désinence indo-européenne ait été *-âi plutôt que *-ai. Dans l'hypothèse d'un thème en *-ah-, elle aurait dû être *ai-, de *-ahi, avec la caractéristique *-i du locatif, mais' pouvant passer ensuite à *-âi par géné-ralisation du thème nouveau -â-. La même incertitude sur la quantité de la diphtongue se retrouve avec la désinence de duel'*-ai des féminins en -â-, du même coup des neutres (§ 135).

Datif : si. -ë, avec forme mouillée ~(j)i, d'intonation douce ;

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8 2 LES THÈMES EN -â- [ 1 5 4 ] :

lit. -ai, sur l'accent lal « à celle-là » lette -ài restauré, pour -i, d'après la flexion pronominale ; v. pr. -ai. De i.-e. *-ài, gr. -ai, -rii, sous l'accent -a:, -rj, skr. -ai, etc. L'intonation douce indique une contraction du thème et de la caractéris-tique *-ei du datif.

Instrumental : si. -ojç, désinence prise à la flexion prono-minale (§ 228), et substituée à -Q qui est conservé dans la flexion déterminée de l'adjectif (novç-jç, § 265), et dans la désinence -ïjç des thèmes féminins en -i- (§ 165), peut-être aussi en vieux slave dans la flexion des thèmes en -iyâ-( § 153). En baltique, on a lit. -q, sous l'accent -q, gerq-jq « par la bonne », distinct de l'accusatif par son intonation rude ; lette -u, et v. pr. -an qui n'est plus discernable de l'accusatif. La désinence indo-européenne était *-â: véd. -â et skr. -yâ dans le type en -yâ-, gr. -â, -ri dans des adverbes (-ri sous l'accent, ainsi Kpucprj « en cachette », mais par confusion avec le datif en -rj) ; le sanskrit et l'iranien lui ont substitué -ayâ de la flexion pronominale, comme le slave -ojç à -ç. La dési-nence *-ân du balto-slave doit être réduite de *-âmi (§ 89), avec superposition à *-â ou addition au thème en -â- de la caractéristique -mi de l'instrumental singulier, comme en italique de -d de l'ablatif singulier du type en -o- (v. lat. -âd, ablatif-instrumental).

Vocatif : si. -o ; lit. -a, qui se distingue de nom. -a en ce qu'il peut tomber : môtyna « mère », voc. môtyn, et qui tombe en lette : siëva « femme », voc. siev ; gr. -a, s'opposant, dans quelques cas seulement, à nom. -5c, -ri; ombrien -a, en regard de nom. -u de *-â. La distinction, nette en slave, de nom. *-â et de voc. *-a, est brouillée en grec, et perdue en latin ; l'indo-iranien a, sauf une trace douteuse en sanskrit, éliminé le vocatif féminin en *-a, qui se confondait avec le vocatif masculin en -a de *-e, et il lui a substitué le vocatif en -e, de *-ei, des thèmes en -i-. Le développement du vocatif est nouveau dans le type en -â-, qui formait des abstraits et des

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[150] LES DÉSINENCES 83 i

collectifs. On observe que l'abrègement de la voyelle au vocatif a son parallèle dans la flexion athématique, gr. nriTrçp « mère », voc. urj-rsp (mais si. mati, § 178), et qu'il se retrouve en sanskrit dans les thèmes féminins en -yâ- à nominatif -ï, voc. -i (mais non en slave, § 154), et dans les thèmes féminins en *-u-, voc. -u (mais non en slave, § 200).

Pluriel. — Nominatif : si. -y, en regard de lit. -os, sous l'accent iôs « celles-là », lette -as, v. pr. -as, -os ; de i.-e. *-âs, osco-ombrien -as, skr. -âh, got. -os, produit de contraction du thème en -â- et de la caractéristique *-es de nominatif pluriel. La désinence du slave est celle de l'accusatif pluriel, comme on le voit par la forme du type mouillé, v. si. ~(j)ç.

Accusatif : si. -y, en regard de lit. -as d'intonation rude, sous l'accent -às, gerâs-ias « les bonnes », lette -as, v. pr. -ans. La forme slave dérive de *-âns.(§ 88), mais le letto-lituanien suppose *-âns et *-âs : *-âns, ainsi dans la flexion de l'adjectif déterminé v. lit. -ans-es, lit. -âs-ias, -âs-es, de -qs, et non -os- ; *-âs, ainsi v. lit. rankos-na « dans les mains », lette -as. Dans les autres langues, en trouve skr. -âh, av. -â, got. -os, de *-âs, mais gr. -avç, -cas, -as, de *-âns, et l'italique a lat. -âs, mais osque -ass, ombrien -af, de *-âns. On voit donc un grand flottement entre *-âns et *-âs. La forme primitive était *-âns, avec addition au thème en -â- de la caractéristique *-ns de l'accusatif pluriel, mais le groupe s'altérait en indo-européen de même que *-ons dans le type en -o- (§ 132), et il a été restauré par l'analogie. Le balto-slave a connu le flottement de *-âs et de *-âns, et c'est ce flottement qui permet de comprendre en slave l'extension de *-âns, -y, au nominatif pluriel et au génitif singulier en *-âs ; la différence des intonations, rude à l'accusatif pluriel, douce aux autres cas en lituanien (§ 216), apparaît abolie en slave, où la dési-nence d'accusatif pluriel n'attire pas l'accent (§ 220). La

- confusion du nominatif et de l'accusatif pluriels est devenue

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8 4 LES THÈMES EN -â- [154] :

complète en slave dans les thèmes en -â-, cdmme en lette : nom.-acc. -as, et à la différence du lituanien : nom. -os, acc. -as, sous l'accent tôs, acc. tâs, tàs, mais aussi dial. tôs. Elle a été généralisée par le slave dans tous les types de flexion des féminins, en -i- (§165) et athématiques (§ 179). Au contraire, dans les masculins, l 'emprunt balto-slave à la flexion prono-minale de la désinence *-ai de nominatif pluriel rendait solide la distinction du nominatif et de l'accusatif.

Génitif : si. -û, en face de lit. -il, sous l'accent d'intona-tion douce, lette -u. Ce sont les désinences communes à tous les types de flexion en slave d'une part, en baltique de l'autre, et le problème de la divergence entre si. -û, de *-on, et lit. -q, de *-5n, est général (§ 132). Il est d 'autant plus accusé, ici qu'un génitif pluriel v. si. glavu a l'aspect d'une forme dérivée en -o-, du genre de triglavu « à trois têtes », r. triglâvyj, bâtie sur le radical et indépendante du thème en -â-. Ailleurs, on trouve go t. -5, qui confirme l'intonation douce du lituanien et la contraction en i.-e. *-ôn, *-5m du thème en -â- et d'une désinence *-§n, *-Ôm ; et surtout des désinences refaites qui restaurent le thème, lat. -ârum et gr. -àcov, skr. -ânâm et v. h. a. -ôno.

Locatif : si. -axu, répondant à v. lit. et dial. -osu, lit. -ose, lette -âs, skr. -âsu, avec la caractéristique *-su du locatif ajoutée au thème en -â-. La forme -xu du slave est analogique (§10, § 132), pour *-su.

Datif : si. -amu, lit. -orn(u)s, vieux-lette -âms, et v. pr. -amans avecla finale -ans de l'accusatif pluriel. C'est la carac-téristique générale du datif pluriel, si. -mû, etc., jointe au thème.

Instrumental : si. -ami, lit. -omis, vieux-lette -âms, égale-ment avec la caractéristique générale du cas, si. -mi, etc.

Duel. -— Nominatif-accusatif : si. -ë. dans le type mouillé ~(j)i; lit. -i, traité comme finale d'intonation rude, et abrégé

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[151] FLEXION DU TYPE MOUILLÉ 85

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de -ie d'après les formes des adjectifs, geri, déterm. gerie-ji. L'intonation rude n'est pas assurée en slave par le mouvement d'accent du slovène dans le type gôra « montagne » ( = r. gorâ), plur. gorê ( = r. gàry), duel gôri de *gorï, non plus que par l'accentuation d'anciens duels comme bulg. racé « mains » (§ 220). On ne peut pas faire davantage état, dans le sens opposé, du féminin r. ôbe «les deux», s. -cr. ôbje (§ 303), avec un masculin r. ôba, s.-cr. ôba, contraire à la loi de Saussure. En lituanien, -i d'intonation rude pourrait être pris au type en -i- et au type athématique, où la désinence représente i.-e. *-F (§ 165). On restitue une désinence balto-slave *-âi, mais la diphtongue longue n'est pas garantie, et c'est une diph-tongue brève qu'on trouve dans les seules autres langues qui attestent la désinence, le sanskrit et l'iranien : -e, de *-ai. Il est d'ailleurs plausible qu'une désinence *-ai soit devenue secondairement *-âi souS l'action du thème en -â-. Le pro-blème est le même pour le nominatif-accusatif duel des neutres en -o- (§ 135).

Génitif-locatif : si. -u, voir § 133. Datif-instrumental : si. -ama, lit. -om, avec la caractéristique

générale du cas, si. -ma, lit. -m, et la distinction en lituanien, peut-être plus théorique que réelle dans cette flexion, d'un datif -om et d'un instrumental -ôm d'après le pluriel, dat. -ôms, instr. -ôms.

151. Flexion du type mouillé. — En baltique, le groupe jâ passait régulièrement à ë après consonne (§ 78). Il y a eu ainsi constitution d'un type en -ë-, lit. -ê, gén. -e's, lette -e, gén. -es, v. pr. -e, -i, gén. -is, parallèle au type en -â-, et qui en représente la forme mouillée. IL répond au type en -(j)â- du slave, ainsi dans les emprunts : r. nedélja « dimanche », lit. nedëlê (et -lia), v. pr. nadele (lette nedëja). Ce type est vivant et productif, mais la flexion sur thème -jâ- se maintenait après voyelle, type lit. gijà « fil », gén. gijôs, du radical

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8 6 LES THÈMES EN -â- [154 ] :

balto-slave *gï-, s.-cr. zlca, et elle a été restaurée après consonne en raison de son parallélisme avec la flexion mascu-line lit. -is (et -ias, §136), gén. -io: lit. galià pour gale « puissance », de galëli « pouvoir » près, galià.

Les faits ont été les mêmes en slave, où ja passait à ë après consonne, et le vieux slave glagolitique, qui n'a qu'un signe pour ë et pour ja, conserve l'opposition du type dur en -a-et du type mouillé en -ë-. Mais il la conserve sous une forme déjà très remaniée. En baltique, ë est une voyelle mouillée qui n'altère pas la consonne précédente, et c'est un principe général dans le jeu des alternances consonantiques que l'alternance n'apparaît pas devant e ( § 154) ; il n'y a alternance de la consonne qu'au génitif pluriel, où l'élément / de l'ancien thème -jâ- se maintenait dans la désinence *-jôn: lit. sventè « fête », gén. plur. svenci%. En slave, l'alternance de la consonne a été généralisée à toutes les formes, et c'est elle qui est devenue caractéristique du type mouillé : lit. zëmè « terre », mais v. si. zemljë, avec un seul reste de la forme non palata-lisée dans le locatif-datif zemi à côté de zemlji (§ 28). La voyelle ë ne représente plus qu'une variante de prononciation de a après consonne mouillée, et qui disparaît dans le cas des durcissements de consonne (§ 22). Le vieux slave et les langues slaves généralisent a dans le type mouillé, et v. si. zemljë passe à zem(l)ja, r. zemlja, etc., sauf en tchèque.

On comparera la flexion d'un mot lituanien, zëmè (lette zeme, v. pr. semmë, same), et d'un mot slave en vieux slave sous deux formes, dusë et dusa « âme », en vieux tchèque, dusë, et en russe moderne, dusâ:

Lit. v. si.

Sing. N. zëmè dusë, dusa

v. tch. russe

dusë dusâ dusu dusu dusë dusi dusi dusé

A, zëmç dusç G. zèmès dusç L. zèmèje dusi

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[ 1 5 1 ] FLEXION DU TYPE MOUILLÉ 8 7

Lit. v. si. v. tch. russe

D. zëmei dusi dusi dusé I. zemç dusejç dusu dusôj(u) V. zëmè duse , duse

N. zëmès dus g dusë dusi A. zemès dus g dusë dusi G. zëmiy. dusï dus dus L. zëmëse dusëxù, dusaxu dusiech dusàx D. zêmêms dusëmû, dusamiï dusiem dusdm I. zëmêmis dusëmi, dusami dusëmi dusâmi

N. -A. zemi dusi dusi G.--L. dusu dusu D. -I. zëmëm dusëma, dusama

En vieux slave, l'alternance de -a- du type dur et de -é-du type mouillé, au nominatif singulier, au locatif, au datif et à l'instrumental" pluriels et au datif-instrumental duel, ne se conserve que partiellement, et comme fait devenu plus orthographique que phonétique. La glagolite écrit régu-lièrement -é- après voyelle, type vyë «cou», mais vyja dans la cyrillique ; après. chuintante ou c, une graphie dusë est rare, et la glagolite a dusa comme la cyrillique. Les alternances sont régulières entre voc. -o, instr. sing. -ojç, loc.-dat. sing. et nom.-acc. duel -é, gén. plur. -û du type dur, et -e, -ejç, -i, -ï du type mouillé. A l'accusatif singulier,~(j)ç est analogique de -ç du type dur (§ 79), en regard de *-ën du baltique, lit. -g, lette -i (de -ie), v. pr. -in. Au génitif singulier et au nominatif-accusatif pluriel, en face de -y du type dur, il y a désaccord entre les langues méridionales, qui présentent une désinence -g, et les langues du groupe russe et du groupe septentrional, qui attestent -ë: v. si. dusç, en serbo-croate nom.-acc. plur. dûse (gén. sing. dûsë de -o}g, § 152),.en slovène dûse et sous l'accent nom.-acc. plur. gorê « montagnes » avec -g.non nasal,

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8 8 LES THÈMES EN -â- [154] :

mais issu de -g (§ 66) ; — et v. r. dusë, ukr. dusi (gén.), dûsi (nom.-acc. plur.), pol. dusze (nom.-acc. plur.), polabe -e (plur. witzé « brebis », pol. oœce), sorabe duse. Cette divergence est celle du traitement d'une finale *-yâns d'accusatif plu-riel (§ 88), et elle est la même à l'accusatif pluriel des masculins en -yo- (§ 136).

Les noms en -ca et -dza, à semi-occlusives mouillées issues de la seconde palatalisation des gutturales (§ 18), ont été entièrement assimilées au type mouillé, comme les masculins en -cl et -dzi : ainsi v. si. polïdza « profit », gén. sing. polïdzç, loc.-dat. polïdzi; mais secondairement, comme le montre la forme fixée lïdzë « (il est) permis » (§ 19).

152. Évolution de la flexion. — Bien moins exposée que celle des masculins en -o- à des contaminations avec d'autres types flexionnels, la flexion des thèmes en -â- s'est généra-lement bien conservée, sauf à la désinence lourde d'instru-mental singulier en -ojç, qui devait se contracter dans toutes les langues en dehors du russe ( § J81). -En vieux slave, faute de données sur la quantité des voyelles, les derniers vestiges dé la désinence antérieure -Q (§ 150) ne sont plus discernables de la forme nouvelle en -Q long contractée de -ojç.

En russe, la substitution est récente de -oj à -oju, que la langue littéraire s'est efforcée de conserver, et elle se retrouve dans la flexion pronominale (§ 234), où elle prend l'aspect d'une confusion des cas obliques du féminin singulier. Il n'y a plus d'opposition réelle entre flexion dure et flexion mouillée, mais une même flexion sur thème dur ou mouillé : gén. sing. et nom.-acc. plur. -y, -i, avec prononciation -y après consonne dure (dus$, dûsy, écrit dusi, dûsi), et -i après une consonne mouillée (pûli de pulja « balle », sobâki de sobdka «chien», § 23) ; instr. sing. -oj, -ej (pûlej), avec prononciation -a/' après consonne dure, -ïj après consonne mouillée, et sous

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[152] ÉVOLUTION DE LA FLEXION 89

(

l 'accent même prononciation -ôj, -ëj (zemlëj=zeml'ôj). Le système vieux-russe gén. sing. et nom.-acc. plur. -y, loc.-dat. sing. -ë, dans le type dur, et gén. sing. et nom.-acc. plur. -ë, loc.-dat. sing. -i, dans le type mouillé, a été unifié en gén. sing. et nom.-acc. plur. -y, -i, loc.-dat. sing. -ë, -e, non sans variantes dialectales, et un bon nombre de parlers présentent un génitif-locatif-datif singulier en -ë, -e, d'autres en -y, -i. Le génitif pluriel a régulièrement la désinence zéro, sauf quelques rares formes en -ej, comme masc. djâdja « oncle », gén. plur. djâdej, avec la désinence des thèmes en -i-, ou celle du type en -iyâ- (§ 153). Dans les dialectes, la désinence -ov des masculins s'est étendue aux féminins comme, aux neutres (§147) : knlga «livre », gén. plur. knig, dial. knigov ; et il y a aussi extension de la désinence -ej : dusâ, gén. plur. dus, dial. duséj. Une autre influence, plus curieuse, d'un type flexionnel voisin apparaît avec les mots à finale -nja précédée de consonne, dont le génitif pluriel est en -en du type dur, s'il est inaccentué : pêsnja «chant», gén. plur. pésen; le fait est ancien, du xvi e siècle pour le moins, et à l'imitation des génitifs pluriels en consonne dure de la flexion des thèmes consonantiques, sâzen' «toise», gén. plur. sâzen (§ 183). La distinction du sous-genre animé et du sous-genre inanimé a été introduite au pluriel (§126) : sobâka « chien », nom. plur. sobâki, gén.-acc. sobâk. L'alternance des gutturales est perdue: loc.-dat. sing. sobâke. Celle des voyelles « mobiles » joue au génitif pluriel : skâzka « conte », tjur'mâ « prison », gén. plur. skâzok, tjûrem.

En ukrainien, l'opposition du type dur, instr. -oju, voc. -o, et de l'ancien type mouillé, instr. -eju, voc. -e, reste nette. Le locatif-datif en -i, de v. r. -ë, a été étendu au type mouillé, mais au génitif singulier et au nominatif-accusatif pluriel la distinction est conservée entre -y du type dur et -ï, de v. r. -ë, du type mouillé' :- duëâ, gén. et loc.-dat. dtisi, instr. dusêju, nom.-acc. plur. dusl, en regard de holovâ, gén. holovy, loc.-

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90 LES THÈMES EN -â- [154]:

dat. holovi, instr. holovôju, nom.-acc. plur. hôlovy. On observe au génitif pluriel une certaine extension de -iv, comme de -ov en russe dialectal : ordinairement dusâ, gén. plur. dus, mais xâta «maison», gén. plur. xativ. L'alternance des gutturales est maintenue au locatif-datif singulier : knijzkq « livre », knyzci, en face de r. knizka, knizke.

En polonais, l'instrumental singulier est en -q, indiquant une ancienne longue de contraction, et s'opposant à l'accu-satif singulier en -g. Au locatif, au datif et à l'instrumental pluriels, il y a eu unification entre la flexion des féminins et celle des masculins et des neutres, sous les formes loc. -ach, instr. -ami, mais dat. -om. Le type mouillé se caractérise par loc.-dat. sing. -i, nom.-acc. plur. -e, en face de loc.-dat. sing. -e, nom.-acc. plur. -y du type dur. Il présente d'autre part au génitif pluriel, dans un bon nombre de mots, une désinence -i, tandis que le type dur a toujours la désinence zéro ; cette désinence -i est semblable à celle des féminins en -i-, mais elle est prise plus directement à la flexion des féminins en -iyâ-et résulte d'une confusion entre les deux types en -yâ- et -iyâ- (§ 153). Aux autres cas, la flexion dure et la flexion mouillée ne se distinguent pas : voc. -o et -io, etc. ; le génitif singulier en -y du type dur a été généralisé, en prenant la forme -i après consonne mouillée. Ainsi glowa « tête », thème glow-: acc. glowe, gén. glowy, loc.-dat. ylowie, instr. glowq, voc. gtowo, nom.-acc. plur. glowy, gén. glôw, loc. glowach, dat. glowom, instr. glowami; et glçbia «profondeur», thème glçb'- : acc. glçbiç, gén. glçbi et loc.-dat. glçbi, instr. glçbiq, voc. glçbio, nom.-acc. plur. glçbi, gén. glçbi, loc. glçbiach, dat. glçbiom, instr. glqbiami.

Pour le type spéciaLnom, sing. bogini « déesse », voir § 156. On trouve, comme en russe, et également depuis le xvi e s. au moins, des génitifs pluriels en -en à finale dure de subs-tantifs en -nia : kuchnia « cuisine », gén. plur, kuchni et kuchen. Pour la flexion de pluriel des masculins en -a, voir § 208.

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[152] ÉVOLUTION DE LA FLEXION 91

L'alternance des gutturales se maintient au locatif-datif singulier : ksiqzka «livre», ksiqzce, liga « ligue », lidze, mucha «mouche», musze; et le polonais ajoute ses alternances propres : woda « eau », wodzie, gra « jeu », grze, etc. Au génitif pluriel, on a l'alternance de l'e «mobile» : Iza «larme», lez; et les alternances polonaises o: ô, ç: q: noga «pied», nôg, rqka «main», rqk. Au locatif-datif singulier, il subsiste des restes de l'alternance 'a: 'e (§ 51) : wiara «foi», uiierze.

En sorabe, l'instrumental singulier est en - u ; le vocatif est perdu, en haut sorabe comme en bas sorabe. Le génitif pluriel en -ow a été généralisé dans les féminins comme dans les neutres ; et de même le génitif duel nouveau b. sor. -owu, et le locatif-datif-instrumental b. sor. -oma, h. sor. -omaj (§ 141), qui s'est écarté du pluriel, loc. -ach, dat. -am, instr. -ami. La flexion mouillée oppose ses désinences gén. sing. et nom.-acc. plur. -e, loc.-dat. sing. et nom.-acc.-duel -i, à celles ^de la flexion dure, gén. sing. et nom.-acc. plur. -y, loc.-datif sing. et nom.-acc. duel -je. Les alternances consonantiques subsistent au locatif-datif singulier et au nominatif-accusatif duel du type dur : ruka, ruce, pëta « talon », b. sor. pëse.

En tchèque, l'instrumental singulier est en -ou, v. tch. -û, en regard de l'accusatif en -u ; le slovaque -ou, analogue au vieux serbo-croate -ovï (voir ci-dessous), est pris à la flexion pronominale (§ 235). Pour la flexion des masculins en -a, voir § 208. On a l'alternance des gutturales et l'alternance r : r au locatif-datif singulier : synagoga «synagogue», syna-goze, moucha «mouche», mouse, vira «foi», vire ; celle de l'e « mobile » au génitif pluriel, et des alternances de quantité, et de là de timbre, a: â, ë: i, o: â, u: ou, dans le cours de la flexion d'une partie des mots ( § 224) : vira, instr. sing. vërou, gén. plur. vër, etc. Mais le trait le plus notable du tchèque est l'écart qu'il a développé entre le type dur et le type mouillé : au singulier hlava « tête », voc. hlavo, gén. hlavy, loc.-dat.

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9 2 LES THÈMES EN -â- [154 ] :

hlavë, instr. hlavou, et duse « âme », voc. et gén. duse, acc. et loc.-dat. dusi, instr. dusi ; au pluriel nom.-acc. hlavy, gén. hlav., loc.. hlavâch, dàt. hlavâm, instr. hlavâmi, et nom.-acc. duse, gén. dusi, loc. dusich, dat. dusim, instr. dusemi. C'est la conservation de l 'état vieux-tchèque (§151), mais aggravée par le passage de -'u (acc.),- 'à (instr.), à -i, -i (§ 55). Au génitif pluriel, la désinence courte se maintient en partie, ainsi ulice «rue», gén. plur. ulic; mais plus ordinairement elle est remplacée par -i du type en -i- et de l'ancien type en -iyâ. Il en résulte que le type mouillé en tchèque n'a plus de rapport avec le type dur en -a, et il est tout proche au contraire du type flexionnel en -i-, nom.-acc. kost « os », gén.-Ioc.-dat. kosli, instr. kosti. Il en subit l'influence, et nom. et voc. zemë « terre », acc. zemi, passe à nom.-acc. zem, voc. zemi (langue parlée zem) d'après nom.-acc. kost, voc. kosti (langue parlée kost'). On aboutit à trois types parallèles de flexion mouillée des féminins, nom. zemë, acc. zemi, gén. zemë, nom.-acc. zem, gén. zemë, et nom.-acc. kost (langue parlée kost', § 21), gén. kosti, et à un grand flottement entre les trois types. Le slovaque, qui conserve acc. -u et instr. -ou dans la flexion, mouillée, a maintenu le contact avec la flexion dure et res-tauré -a- dans nom. dusa, loc. plur. dusiach, dat. dusiam, instr. dusami, mais il n'en connaît pas moins le flottement avec la flexion en -i- et le type mixte nom.-acc. zem, gén. zeme.

En serbo-croate, l'instrumental est en -om dans la langue commune ; dialectalement, ainsi en cakavien, on a -û, secon-dairement -un (de -û-m), en regard de -u à l'accusatif. La désinence -dm, analogique de -om des thèmes en -o-, succède à v. s.-cr; -ovï, représentant -5v, qui ne peut pas répondre directement à v. si. -ojç, et qui est sûrement pris à la flexion contracte de certains pronoms et des adjectifs (§ 236). Comme dans tous les types de flexion, il n 'y a plus qu'une forme de locatif-datif-instrumental pluriel, qui est en -ama, mais le caka-vien et d'autres dialectes continuent de distinguer loc. -ah,

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[ 1 5 2 ] ÉVOLUTION DE LA FLEXION J 9 3

dat. -am (-ân) et instr. -ami. Le génitif pluriel est en -â, mais non en cakavien et en kajkavien, où il garde sa forme sans désinence. L'opposition des flexions dure et molle est supprimée : dans les deux types, le vocatif est en -o, sauf avec les mots en -ica à vocatif -ice; le locatif-datif est en -i; le nominatif-accusatif pluriel est en -e, et le génitif singulier en -ë est emprunté à la flexion pronominale avec une contrac-tion qui confond v. si. -ojç et -(j)ejq.

L'alternance de la voyelle « mobile » a se maintient au génitif pluriel, avec allongement (§ 224) et superposition de la désinence généralisée -â : ôvca « brebis », gén. plur. ovâcâ pour cak. ovâc. Mais elle est évitée dans de nombreux cas par emprunt de la désinence -F du type en -t-, peut-être aussi du type en -iyâ- (§ 153) : bânka « banque », gén. plur. bànâkâ et usuellement bânkï. L'alternance des guttu-rales au locatif-datif singulier, perdue en cakavien, est main-tenue dans la langue commune, mais de façon incomplète : on la supprime en particulier dans le cas de groupes de consonnes gênants, comme dans pâtka «canard», loc.-dat. pâtki; dans les mots étrangers, et dans des hypocoristiques en -ka comme séka «sœurette» (de sèstra «sœur»), loc.-dat. séki. Ceci est notable dans une langue qui conserve si bien et a développé les alternances du type k: c (§ 111). Mais l'amuissement de h (§ 10) détruisait l'alternance h: s, et mùha «mouche», loc.-dat. mùsi, n'est plus que dialectal ; ou, si le bon usage restaure l'alternance, c'est en corrigeant la prononciation populaire mù(v)a, loc.-dat. mù(v)i. Pour les hypocoristiques en -ka, il doit s'agir d'une imitation du langage enfantin, qui reste longtemps rebelle aux alternances. On observe le même fait en roumain, langue dont le système d'alternances prête à comparaison avec celui des langues slaves (§ 110), avec'les noms de parenté en -câ, qui ne pré-sentent plus régulièrement l'alternance du, type maica, «mère», gén.-dat. maicei.

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'94 LES THÈMES EN -â- [153] \

En slovène, l'instrumental singulier est en -o, sous l'accent -â produit de contraction et différent d'acc. -o, sous l'accent -g. Les flexions dure et molle sont unifiées comme en serbo-croate : le locatif-datif singulier est en -i, le nominatif-accusatif pluriel en -e, sous l'accent -ê, et le génitif singulier en -e, sous l'accent -ç, donc contracté de v. si. -ojç, -(j)ejç, comme en serbo-croate. L'alternance des gutturales est perdue : rôka « main », loc.-dat. rôki. Au génitif pluriel, on trouve l'alternance de l'e mobile, â sous l'accent. Le génitif pluriel sans désinence est concurrencé par une désinence -â, dialectalement -i : séstra « sœur », gén. plur. sesiâr et usuelle-ment sestrâ; gôra «montagne», gén. plur. gôr et gorâ. La désinence -â ressemble à s.-cr. -â, mais le développement paraît en avoir été différent, et on en chercherait le point de départ dans le type à voyelle mobile â et dans une métathèse de sestâr en sestrâ, avec unification sur le thème seslr- de toute la flexion du pluriel, nom.-acc. sestrç, gén. sestrâ, loc. sestràh, dat. sestràm, instr. sestrâmi.

En bulgare, la distinction des types dur et mouillé a à peu près disparu. Le vocatif en -o a été généralisé, sauf dans les mots en -ica qui gardent leur vocatif en -ice, comme en serbo-croate, et du. coup les mots en -ka flottent entre voc. -ko et -ke. Le pluriel en -i a été généralisé également, avec conser-vation de rares formes en -e: ovcâ « brebis », plur. ovcé, mais aussi ôvci, comme dus i «âmes», etc.

153. Le type en -iyâ- Il y avait en vieux slave deux types en -iyâ-, l'un à nominatif singulier -ija, -ïja, voc. -ije, -ïje, l 'autre à nominatif et vocatif en -ii, le reste de la flexion

•étant identique. Le type en -ii appelle une étude spéciale, mais son histoire dans les langues slaves se mêle à celle du type en -ïja et ordinairement se confond avec elle. Le type en -ïja était courant au féminin des adjectifs en -ii (§ 146), et il était en outre représenté par quelques substantifs : zmïja

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[153] LE TYPE &N -iyâ- 95 i

« serpent » qui est un adjectif substantivé (§ 31) ; brat(r)ïja «frères», collectif de brat(r)u (§ 211); svinïja «porc», v. tch. svinie, qui, bien qu'usuel au pluriel, a l'aspect d'un collectif tiré de l'adjectif svinu «de porc», lat. suïnus, et substitué à l'ancien nom du porc, lat. sus, etc. (§ 202). A ces substantifs se joignaient des mots d'emprunt, comme Ilija « Élie », v. r. Ilïja, mod. Il'jâ; mais la finale de ces mots, qui a donné un suffixe productif, s'est ordinairement fixée sous la forme -ija d'après le grec savant -ioc, et plus tard le roman -la, fr. -ie, m. h. a. -Te.

La flexion en -iyâ- différait peut-être de la flexion en -yâ-à l'instrumental singulier, où le vieux-slave bral(rjijç pourrait indiquer la conservation de l'ancienne désinence -jg comme dans -ijç du type en -i- (§ 150), mais est à côté de la forme normale brat(r)ijejç et s'explique aussi bien par une réduction de cette forme longue. La forme où une différence s'est accusée est le génitif pluriel : zemlja, gén. plur. zemljï, mais svinïja, gén. plur. svinii, avec -n donnant - i j , -ej en russe, et ailleurs -ï. En russe, on a svin'jâ, gén. plur. svinéj, avec l'alter-nance de l'e mobile. En slovène, les féminins en -ja ont un génitif pluriel en -ij, comme les neutres en -je, sans distinction des types anciens, en -ja et -ïja•: zârja « rougeur (de l'aurore) », de v. si. zarja, gén. plur. zârij. En serbo-croate, la finale -â abolit également toute distinction des deux types : svinja gén. plur. svinjâ; mais lââa «bateau» (v. si. ladii) présente un génitif pluriel lâdï, lââï, à côté de l'usuel lâdâ, et ce doit être le vestige de la désinence ancienne -ï, et peut-être un point de départ de l'extension de -ï dans la flexion des fémi-nins en -a. Dans le domaine septentrional, où des groupes comme ïja donnaient des diphtongues longues, l'histoire du type en -iyâ- offre plus d'intérêt.

Le polonais ancien opposait une flexion ziemia « terre », acc. ziemiç, gén. plur. ziem, et une flexion à finales fermées issues de longues, braciâ «frères» , acc. braciq, dont le génitif pluriel

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9 6 LES THÈMES EN -â- [154 ] :

était en -i (mod. brada, gén.-acc. plur. braci, § 211). Mais les deux types se mêlaient, avec une forte extension de la flexion en -iâ : d'où celle du génitif pluriel en -i dans la langue moderne. L'accusatif singulier en -iq n'a disparu qu'à date récente, par généralisation de -iq; il subsiste isolément dans la flexion de parti « madame », acc. paniq.

Le vieux tchèque opposait de même une flexion zemë, acc. zemiu, gén. plur. zem, et une flexion bratrie, acc. bratrû, d'où nom.-acc. bratri en tchèque moderne, avec un génitif pluriel en -i. Dans la langue moderne, le type en -ie, puis -î se confon-dant avec -i de v. si. -ii, s'est considérablement restreint, au point de n'être plus représenté en tchèque parlé que par l'unique parti (parti), et l'on a rôle « champ » pour v. tch. roli et rolie, svinë «truie », de la flexion de zemë; mais le génitif pluriel en -i, zemi pour v. tch. zem, est devenu la désinence la plus courante de tout le type mouillé.

154. Le type en ~(j)i, -ïji. —- On trouve en vieux slave dans des cas spéciaux, au lieu de ~(j)a, un nominatif singulier en ~(j)i, le reste de la flexion étant identique à celle du type mouillé ordinaire, à la réserve du vocatif : ainsi rabynji «servante», mais acc. rabynjç, gén. rabynjç, etc. On a de même, au lieu de -ïja, un nominatif (et vocatif) singulier en - ï j i : sçdii « juge », mais acc. sçdijç, sçdïjç, gén. sçdijç, etc.

En baltique, le letto-lituanien présente un type -i dans les mêmes conditions : lit. pati « épouse », mais acc. pâciq, gén. paciôs, etc. ; lette pati, gén. pasas, etc. Le -i représente *-f d'in-tonation rude : lit. saldi « douce », déterm. saldy-ji.

Le germanique atteste comme le balto-slave, dans la flexion des thèmes en -yâ-, à côté du nominatif en got. -ja des fémi-nins à radical monosyllabique et bref, un nominatif en got. -i qui est régulier en gotique avec tous les substantifs féminins dont le radical est long ou polysyllabique : bandi « lien », mais acc. bandja, gén. bandjôs, etc.

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[ 1 5 4 ] LE TYPE EN -(j)i, -ïji 9 7

Ce nominatif singulier en *-F est le vestige d'un ancien, thème en -F- dont la flexion est largement conservée en indo-iranien, mais non complète, et avec des formes empruntées au thème en -yâ-: skr. devi «déesse», acc. devim, mais gén. devyâh, etc. ; nom. plur. devydh de i.-e. *-(i)yes, ace. devîh, loc. devtsu, etc., et nom.-acc. duel devi en védique. Le type représente une formation courante de féminins, en regard des thèmes en -o- (devâh « dieu »), des adjectifs en -u- (gurûh «lourd », fém. gurvi), des adjectifs de la flexion athématique, participes, comparatifs, etc. (bhâran «portant», fém. bhârantï). Le grec répond par un type en -10C : TTÔTVIOC

« maîtresse », skr. pâtriï, çépouaoc de *-ovrya, avec flexion de thème en -yâ, mais avec oc bref au nominatif et à l'accusatif singulier. On doit voir dans gr. -ia, acc. -ictv, une variante de skr. -F, -îm, avec a représentant la voyelle réduite (§ 98). Mais il paraît arbitraire de considérer le thème en -F- comme une forme réduite du thème en -yâ-. L'explication doit être morphologique, et l'on ne peut pas séparer ces féminins en -ï-des autres thèmes en -F-, ordinairement féminins, du type de skr. naplth «petite-fille» (et naplt), acc. naptim et naptiyam, lat. neplis, acc. neplim (de *-?m).

Le genre féminin est nouveau en indo-européen, et récent dans la flexion athématique (§ 123) : il y a eu développement de suffixes divers pour le caractériser, en -â-, en -F-, en -û-, les deux derniers en regard des thèmes en -i- et en -u-. On observe une large extension de -F- dans la flexion athématique, et l'on doit admettre sa contamination secondaire par le suffixe -â- en une flexion mixte -F- j-yâ-, qui se normalise ensuite en flexion en -yâ en ne gardant de -ï- en balto-slave et en germanique que des vestiges appelés à disparaître. C'est de façon analogue qu'au nominatif-accusatif pluriel neutre la caractéristique -â généralisée a pris la place de -F et d'autres désinences (§ 135).

Au vocatif, le slave atteste une désinence *-F identique à

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9.8: LES THÈMES EN -â- [154]:

celle du nominatif, et qui répond à gr. -ia (TTOTVIOC). Pour le type en ~(j)i, le vieux slave n'offre pas d'exemple, et dans pol. bogini il y a eu passage secondaire au type en -ïji (§ 156) ; mais le vocatif en -i est garanti indirectement par mali, dûsti (§197). Dans le type en -ïji, on a v. si. sgdii, v. tch. sudi, et cette forme de nominatif-vocatif a pu être étendue au type en -ïja: voc. bral(r)ïja « frères » fréquemment en vieux slave et en slavon, pour la forme correcte brat(r)ïje. Eh sanskrit, la désinence est en -i bref : nom. devî, voc. dévi; le rapport est le même que celui de nom. i.-e. *-â, voc. *-a ( § 150), et cet abrègement au vocatif doit être secondaire et ana-logique.

Au nominatif, si. -ïji s'explique par le transfert de -i sur le thème -ïj- des autres cas : sçdïji de *sçdi, d'après acc. sçdïjç, etc. Une réfection analogue apparaît en vieux slave dans le type cruk(u)vi pour crûky « église », par extension de la finale -i de nonainatif au thème cfùk(ù)v- (§ 201). Cette seconde réfection est récente, et celle de sçdi en sçdïji pourrait l'être aussi ; mais on ne peut pas faire état des graphies fréquentes comme v. si. sçdi, qu'on doit, en l'absence de données sur la quantité en vieux slave, considérer comme notant une contraction de sçdii; et les autres langues, v. tch. sudi, kachoube -i (-i fermé), attestent la contraction. On a -i conservé dans le pronom v. si. si « celle-ci », acc. sïjç, mais avec une flexion remaniée et anomale (§ 232).

Dans le type en ~(j)i, le slave a étendu au nominatif en -i la consonne palatalisée des formes du type en -yâ- des autres cas : rabynji de *-ni d'après acc. -njg, etc. ; part. prés, fém. nesçsti «portant», comme acc. nesgstg, etc., en regard de lit. nesantl, acc. nêsanciq, etc., et de même que le nomi-natif masculin pluriel est nesgste en face de lit. nesant- dans la forme déterminée nêsùntiejie (§ 278).

On remarquera qu'en lituanien une alternance nesantl, gén. nesanciôs, etc. est normale. La palatalisation dans les

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[ 1 5 5 ] EXTENSION DU TYPE 9 9

groupes de consonne plus j- se confond avec la mquillure simple dans la plupart des cas : -si est -si comme -sios est -sos ; et avec les dentales elle ne donne pas de chuintante devant i, ni devant e, è, ie, mais seulement devant les voyelles postpalatales : cf. § 151, et voc. svetè de svëcias, § 136. Le nominatif-accusatif duel féminin lit. nesanti est donc du type mouillé ordinaire de zemi, sans qu'il y ait lieu d'y retrouver la vieille désinence védique -ï. Le slave a connu un état semblable à celui du lituanien moderne (§ 63), mais il a géné-ralisé dans la flexion les formes pàlatalisées.

155. Extension du type. — En baltique, le lituanien pré-sente -i dans quelques substantifs, termes de la vie de famille : marti «fiancée, jeune femme», acc. mârciq, etc.; — pati, acc. pâciq, etc., féminin de pàts « époux »; la forme est rema-niée, d'après le masculin, d'un plus ancien -patni conservé dans v. lit. viespatni «maîtresse de maison » (masc. viëspats, § 170), et qui répond a skr. pâtnï «maîtresse, épouse», gr. TTOTVIOC ; — dial. viesni, féminin du masculin lette vièsis «hôte (qu'on reçoit) », et évidemment analogique de -palni « hôtesse (qui reçoit) » ; la forme courante est viesnià, norma-lisée sur acc. viësniq, etc. Il n 'y a pas de productivité en bal-tique, non plus qu'en slave où le suffixe -ynji ne saurait s'expliquer par *-û-nï et par une superposition de *-riï à *-u-, du suffixe indo-européen *-m qui n'est d'ailleurs que la forme féminine en -F d'un thème en -en-: skr. râjâ «roi», gén. râjnak, fém. râjiïï, et balto-slave *ëlriï «biche». Le lette alraïlne « veuve » n'est pas un féminin en *-nî de alraïlis (et atraïtnis) « veuf », mais il présente le suffixe -frus, -tne, déve-loppé par le lette.

On a d'autre part en lituanien, comme en sanskrit, -i a.u féminin des adjectifs en -u-: saldùs n doux », fém. saldi (de *sald-wî, § 275) ; des participes actifs, participe présent nesqs «portant», fém. nesanti, participe passé nèses, fém.

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100 LES THÈMES EN -â- [154] :

nësusi, participe futur darysiqs « qui fera » de daryti « faire », fém. darysianli; et en outre des pronoms jls «lui», fém. ji (acc. jq, etc.), avec tout le type des adjectifs déterminés, gerô-ji « la bonne », et kuris (kurs) « qui », fém. kuri, v. lit. kokis « quel », fém. kokl-g (mod. kôks, fém. kokià), sïs « celui-ci », fém. si (acc. siq, etc.).

La tendance est à éliminer la désinence -i, en lui substi-tuant -ia, plus anciennement -é, par normalisation sur les cas obliques : ainsi v. lit. neptè « petite-fille », pour skr. napti (naplth), av. naptï-, mot qui d'ailleurs rejoignait les noms de parenté en -er-, lit. môfé « épouse » (§ 198). Le lette conserve pati (gén. pasas, etc.), mais à côté de pale et de pasa, et iLn'a plus que màrsa et viesna; il garde -usi au participe passé, mais à côté de -use, et au participe présent -uoti à côté de -uote et -uosa. Il garde le pronom si, mais pour le relatif i.-e. *yo- il atteste comme le slave un féminin *yâ : kura, et v. lette -aja dans la flexion de l'adjectif déterminé. En vieux prussien, le type en *-F devait être passé au type en -ë, d'après nom. aulausë «étant morte » au participe passé, acc. mârtin, waispattin dans les substantifs. ,

Le baltique n'indique pas de différence entre un type en *-t/*-yâ et un type en *-ïj*-iyâ~: si la différence a existé, elle devait disparaître, -yâ- et -iyâ- se confondant en -ë-, sous l'accent lit. -ë- (§105*). On ne peut pas faire état de lit. aldijà « barque » en face de v. si. aldii : l'accent, sûrement nouveau (§ 102), fait supposer qué la finale est prise à celle de r. lod'jâ. En slave, il faut distinguer les types en ~(j)i et en -ïji.

Le type en ~(j)i, dans les substantifs, n 'apparaît plus que lié au suffixe -ynji, plus un mot isolé, le nom de nombre tysçsti, tysçsti «mille». Dans la flexion des adjectifs, ~(j)i est la forme régulière du nominatif féminin singulier des par-ticipes actifs présent et passé, nesçsti « portant », nesûsi « ayant porté », et du comparatif, novëisi « plus nouvelle ». On retrouve la désinence -i dans le pronom si « celle-ci ».

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[ 1 5 5 ] EXTENSION DU TYPE 101

Dans les substantifs, le type en ~(j)i n'a plus que la produc-tivité du suffixe -ynji, qui forme des abstraits, v. si. grudynji « arrogance » de grudû « fier », et des féminins, Samarjanynji « Samaritaine », de Samarjaninû, plur. ,-rjane. E t ce suffixe n'est sûrement pas slave d'origine : c'est une adaptation du suffixe germanique *-uni, -ini, got. Saurini « Syrienne », gén. -njôs. De même tysçsti, tysçsti « mille » est un emprunt au germanique, got. pusundi, gén. -djôs, avec assimilation au type des participes présents en fém. -gsti, -cjli. Mais on a des témoignages sur l'existence et l'importance à date plus ancienne du type en *-f de substantifs féminins en slave, et sans la palatalisation nouvelle de la consonne précédente : dans des noms de parenté, par la substitution de -i à *-ë dans mati «mère», dûsti «fille» (§ 197) ; comme type normal de formation de féminins, par le développement du suffixe -ica. Ce suffixe est la forme féminine du suffixe masculin -zci, neutre -ïce, et il représente l'addition de *-kâ à *-? du nomi-natif singulier, comme -yku du type kamyku « pierre » l'addi-tion de -kix à nom. sing. -y (§ 185), comme \-yka dans vladyka « maître » celle de -ka à -y du participe présent nom. sing. vlady « qui est maître ». La formation est secondaire et propre au slave : le baltique, qui connaît aussi une grande extension du. suffixe masculin lit. -ikas, présente comme forme féminine lit. -ikë; en sanskrit, le diminutif d'un thème féminin en -â- comme ajâ « chèvre » est ajakâ, fait sur le masculin ajâh, ou ajikâ du type des dérivés de thèmes en -i-. Sans doute si. -ica peut représenter aussi *-jïca (§ 63), dérivé de thème en -yâ-; mais on ne comprendrait pas pourquoi *-jïca aurait été généralisé, et pourquoi -ica des thèmes en -i-ne se serait pas maintenu en regard des thèmes en -â-, parallè-lement à -ici, -ïce en regard des thèmes en -o-, si la langue n 'avait pas gardé le souvenir d'une relation du type masc. *vïlku «loup », r. volk (gén. vôlka), fém. *vïlkï, r. volcica, celle de skr. vfkah, fém. vrkî. De mati « mère »,> gén. matere, on a clairement le dérivé matica « chose mère, source, etc. ».

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1 0 2 LES THÈMES EN -â- [154 ] :

Sur -i dans le vieux-slave récent crûkvi pour crûky, voir § 201. Pour le type en -ïji, il reste productif en vieux slave, où il

sert à l 'adaptation de noms étrangers en -i, mots grecs en -f|, -f|S, mots turcs en -ci : ainsi fém. parask'evg'ii, de -rrapacrKsufi «vendredi», masc. Levïg'ii, de Asuî (prononcé Aeuyî) « Lévi ». Il apparaît en outre dans quelques substantifs, féminins ou masculins, dont il convient de dresser la liste en indi-quant les formes prises dans les autres langues slaves, pour suivre l'élimination du type. Sont féminins :

Slavon alnii, lani(ja) «biche» (§ 70), en regard de lit. élnê (§ 69), v. pr. aine; —• v. tch. lani, et aussi lanie (de *-ïja), tch. mod. et slovaque lan; pol. ancien lani, mod. lania et dial. lan; — v. r. lanïja (r. mod. lan « daim » est savant). Ce mot est le féminin de v. si. jelenï, thème en -en- de la flexion athématique (§ 183), lit. élnis, et l'on restitue un féminin balto-slave *ëlriï auquel répond, en celtique, le gallois elain(t) de *elanï (§ 97).

V. si. aldii, ladii « barque », lit. aldijà, eldijà ;—: v. tch. lodi, et aussi lodie, tch. mod. et slovaque lod'; sorabe lôdz, pol. lôdz et ancien lodzia, polabe lùdia ; — r. lod'jâ ; bulg. lâdija de dial. lâdja, par extension du suffixe -ija; slov. Iddja; s.-cr. lâda, mais cak. lâdva supposant un plus ancien *ladi (§ 205). Pour l'accentuation du mot, voir § 102. Il peut s'agir d'un emprunt au germanique, danois olde « grande auge creusée dans un tronc d'arbre », féminin du type en -yâ- à flexion got. -i, acc. -ja, d'où v. isl. -e.

V. si. krabii «corbeille», et lit. karbija, v. pr. *carbio; — r. korob'jâ « couffin », pol. krobia, et v. tch. krablce, diminutif supposant *krabi. Le mot est un emprunt à lat. corbis par un intermédiaire germanique, cf. v. h. a. churpa de *korb-ja-, ' répondant au type gotique en- i . Le slave conserve une forme ancienne de l'emprunt, qui a été fait à diverses époques : v. h. a. chorp, et r. kôrob, etc.

V. si. mlûnii «éclair»; — polabe mauna de *molna,

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[155] EXTENSION DU TYPE 103

kachoube mco/noo ; — r. môlnija, forme savante pour dial. molon'jâ, d'où molodnjâ; la forme molon'jâ est ancienne en russe, du xv e siècle au moins, et elle doit s'expliquer par une conservation assez tardive du nominatif v. r. molnij, avec introduction aux autres cas, acc. molon'ju, etc., de l'alternance de l'o mobile du type de v. r. cerky «église», instr. cerkov'ju; — bulg. mâlnija, mais dial. mânja; s.-cr. mûnja, sans doute avec mouvement d'accent secondaire d'après plur. mûnje, car l'accent attendu est celui de lââa. On compare le mot à v. pr.-mealde « éclair », de *meldë, mais le rapprochement ne saurait satisfaire. En fait, *mulnïji est isolé en slave, et il ressemble trop à got. lauhmuni « éclair », qui peut expliquer sa flexion en même temps que sa forme, pour qu'on ne pense pas à un emprunt au germanique. Le mot gotique est un dérivé féminin en -i, gén. -jos, d'une forme à suffixe -men-, -mn-t de la racine i.-e. *leuk- «briller» sous son degré vocalique *luk- ; le -u-est une voyelle intercalaire, et une finale *-mn-ï apparaît ailleurs en gotique sous les formes - (u)bni et -(u)fni. Il s'agirait donc d'une simple métathèse de germ. *luhmnï en si. *mûlnï, avec chute devant consonne (§ 39) de h, d'ailleurs débile en gotique.

Pour le slavon mravii « fourmi », de flexion masculine en -ii ou de flexion féminine, et pour v. si. skorïpii « scorpion », masculin et féminin, avec une forme plus populaire *skrapii, skrapija en slavon (§ 71), voir § 146. Il y a eu pour ces mots en -ii flottement de genre et de flexion, mais si. ^rriarvï doit être un ancien féminin en *-I, qu'on retrouve, avec les défor-mations fréquentes dans les noms de petits animaux, dans skr. vamrî, et cf. lat. formî-ca, en regard du masculin skr. vamràh, av. maoiris (de *mauri~).

Avec les mots féminins, la forme -ïji apparaît comme une variante de ~(j)i après certains groupes de consonnes : il semble qu'on ait fléchi *-ï, acc. *-jân, après consonne simple ou précédée de nasale (iysçsii, acc. iysQstQ), et, pour des

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104 LES THÈMES EN -â- [ 1 5 4 ] :

raisons de commodité, *-?, acc. *-ijân, après consonne précédée de l ou r. Ce principe a sûrement joué, mais il ne se retrouve pas dans les masculins.

V. si. sçdii « juge », en regard de sçdili « juger », sçdu « jugement » ; — v. tch. sudi ; et tch. mod. sudî, mais livresque, et avec confusion des deux types en - ï j i , v. tch. -i, de flexion masculine et de flexion féminine, et du type en -ïja, v. tch. -ie; — pol. sçdzia, mais gén. sedziego (§ 273), et cette flexion d'adjectif, qui est ancienne (xve siècle), a son point de départ dans un nominatif *sedzi; — r. sud'jâ, et sudijâ slavon; bulg. sâdijâ, sudijâ, est un russime ou serbisme ; s.-cr. sàdija, forme slavonne pour dial. sûda; slov. sçdja.

V. si. vëtii « orateur », sur le thème vët- de vëstati « parler ». Seulement vieux-slave : r. vilija est pris au slavon, avec défor-mation en slavon d'après viti, izviti slovesa « dérouler des discours ».

V. si. balii « médecin » ; le vieux-slovène bali peut être un slavonisme, comme l'est r. bâlija.

Ce dernier mot est le dérivé d'une forme nominale bal-, donc avec suffixe -lii, du verbe bàjati, prés, baje-, « raconter des histoires », d'où r. pop. bâjat' « parler », et « prononcer des formules magiques », s.-cr. bàjali «faire des incantations », sur la racine i.-e. *bhâ- de gr. «prinî, etc. Il s'agit d/une forma-tion populaire : l'emploi de formes féminines pour désigner des hommes présente généralement un caractère familier. Le slave, qui a des masculins en -a (§ 208), a tiré aussi parti du suffixe *-f en lui conférant une valeur expressive, et en l'isolant du type en *-ï de féminins dont il gardait des ves-tiges. Le vieux-slave vëtii traduit le grec pr|Tcop et est devenu mot noble, mais il signifiait « beau parleur » ; et si sçdii a perdu cette nuance familière, on observera qu'il est en concur-rence avec un dérivé en -ïca du type expressif de v. si. jadïca «gros mangeur» : v. r. sudïca, tch. soudce.

La forme en -ïji a été généralisée dans les masculins. Elle

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[155] EXTENSION DU TYPE 105

i

a dû être prise aux deux suffixes importants du type, -lïji, qui apparaissait fréquemment après consonne, et -cïji. Le suffixe -lïji de v. si. balii est bien attesté en vieux tchèque : prëdli, pradli (§ 78) « fileur, fileuse », pradli «blanchisseur, blanchisseuse », svadli « couturier, couturière » ; les mots sont masculins ou féminins, selon qu'ils désignent des hommes ou des femmes. On a -l'ja fém. en russe : dial. svâl'ja, masc. sval' ; -Ija fém. en serbo-croate : svâlja.

On ne peut pas penser, malgré les nombreux emprunts en -lija du bulgare et du serbo-croate, que le suffixe -lïji ait un rapport avec le turc -li, qui est uniquement dénominatif. Mais pour le suffixe -cïji , c'est le turc -ci, qui fournit des noms indiquant des fonctions. Il apparaît dans des emprunts au turc, comme v. si. samûcii, grec byzantin aa^ r i s , « digni-taire, préfet », du turc san, v. si. sanu. « dignité », v. s.-cr. lepïcii, iepïcija « dignitaire, magistrat », du turc ancien tapci « serviteur » en regard de iapmaq « servir » ; et il se joint librement à des mots slaves, ainsi v. si. krûmûcii « pilote », de kruma « gouvernail ». Il a été productif dans toutes les langues slaves : tch. lovci « veneur », pol. lowczy, r. lôvcij. Mais des mots de cette sorte avaient l'aspect d'adjectifs dérivés de noms d'agents en -ïcï, r. lovcij de lovée « chasseur » : ils ont pris de bonne heure une flexion d'adjectifs, comme généralement les substantifs en -i du tchèque, en -i, -y du polonais : gén. tch. lovciho, pol. lowczego comme sçdziego, hrabiegoàe hrabia « comte » (§ 195). Pour r. kaznacéj « caissier », gén. -céja, emprunt au turc, il a été traité comme un mot de la flexion masculine en -ïji (§ 146). En bulgare et en serbo-croate, le suffixe est resté très vivant, mais sous la forme nouvelle -dzija qui est celle du turc osmanli -ci (= -dzi).

On doit penser que le suffixe turc, si bien accueilli par le slave, et assez tôt en slave commun, n'a pas été adapté seulement en -ëïji de flexion féminine, mais a pris aussi une forme plus simple -cï du type mouillé courant des masculins':

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1 0 6 LES THÈMES EN -â- [154 ] :

le mot v. si. sokacii « boucher, cuisinier^», emprunt au turc et à côté de sokalùku « cuisine » (turc -lik), a eu une variante sokacï, slov. sokdc, roumain ancien sokac, hongrois szakâcs. Ce pourrait être une des origines du suffixe slave -cï de r. kovâc « forgeron », gén. kovacâ, très peu représenté en vieux slave, mais qui s'est développé dans les langues slaves, qui est oxyton, qui n'a pas de correspondant en baltique, et qui ne paraît pas ancien.

156. Élimination du type. — Il ne reste qu'à résumer l'his-toire du type dans les langues slaves.

En vieux slave, le nominatif féminin en -ii ést bien distinct du nominatif en -ija du type zmija « serpent ». Mais dès la fin du vieux slave on observe des traces d'un passage de -ii à -ijai de ~(j)i à ~(j)a, et de la fusion du type en *-ï dans le type courant des féminins : parask'evg'ii « vendredi » et déjà parask'evg'ija, boljïsi-ja « la plus grande » et déjà boljïsa-ja. Le vieux tchèque conserve la distinction de nom. -i de -ïji et de nom. -ie de -ïja, mais ave.c des flottements entre les deux désinences. On n'est donc pas sûr que v. tch. roll « labour, champ » (§ 70), et aussi rolie, ait appartenu au type en -ïji: le slavon n'indique que ralïja, qui serait un féminin substan-tivé d'adjectif en -ïjï, ce qui s'accorde bien au sens. Des traces du nominatif en -ïji, d'où -ï et r. -ij, qui s'est sûrement maintenu assez longtemps dans certains mots, se retrouvent dans d'autres langues.

Pour le suffixe v. si. -ynji, il a été normalisé en -ynja dans la plupart des langues slaves : v. si. bogynji «déesse», r., bulg.'et slov. boginja, s.-cr. bôginja. Le vieux tchèque conserve -yni, qui passe ensuite à -ynë (tch. mod. bohynë, avec -në notant -ne) et -yn (§ 152). Le polonais moderne a encore -yni (bogini), avec vocatif -yni, mais dialectalement -ynia, forme qui remonte au moins au xvi e siècle, et le polabe a *-ynja dans tyenantgeinia «dame», de kûnegynji. Cé mot.

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[ 1 5 6 ] ÉLIMINATION DU TYPE

abrégé en v. tch. knieni, pol. ksieni «abbesse», est passé au sorabe sous sa forme tchèque : knéni « dame ». Le russe a gardé knjagini jusqu'au xvi e siècle (mod. knjagînja), et ses parlers septentrionaux connaissent encore sudâryni « madame », bâryni « maîtresse », pour sudârynja, bârynja de la langue commune.

Le polonais atteste que le type en -yni était passé au type à voyelle longue continuant -ïji : nom. -yni (-i fermé) en kachoube, acc. -yniq en polonais ancien (mod. -ym'g, § 153). Comme le vieux tchèque, dont les graphies ne sont pas très claires, a sûrement connu un flottement semblable entre les types en -i et en -i, on peut expliquer v. tch. (h)pani «dame», tch, mod. pani (tch. parlé pani), h. sor. pani (pris au tchèque), pol. pani {-i fermé en kachoube), acc. panig., comme féminin créé sur le modèle de v. tch. knieni, pol, ksieni en regard du masculin v. tch. (h)pan, pol. pan, vieux-croate span, mot abrégé dont on ne restitue pas la forme originelle.

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CHAPITRE IV

LES THÈMES EN -U-

157. Flexion. — La flexion du type en -u-, bien conservée en lituanien, apparaît dès. le vieux slave mêlée à celle du type en -o-, mais encore parfaitement reconnaissable. Voici celle de synu « fils », lit. sûnùs, en ne retenant en slave que les formes propres au type :

lit. ,v. si. lit. v. si. Sing. Plur.

N. sûnùs synu sûnùs synove A. sûnq. synû sunus syny G. sunaûs synu sûnfy synovu L. sûnujè synu sunuosè synuxû, -oxu D. sûnui synovi sunùms synomu I. sunumi synumï, -omi sûnumis, -ums synumi V. sunaù synu

lit.

Duel N.-A. G.-L. D. I.

sunu

sunum sunum

v. si. syny synovu

synûma

En fait, en vieux, slave, on trouve ordinairement gén.-acc. syna, loc. synë, dat. synu, voc. syne, par passage au type

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[158] LES DÉSINENCES 109 j

en -o-. Il n'y a plus de flexion complète du type en -u-, mais une flexion assez étendue et assez stable reste régulière pour quelques substantifs. Toutes les désinences du type sont attestées en vieux slave, du moins au sens large du mot, vieux slave méridional, vieux morave et vieux russe, sauf celle du datif pluriel ; plusieurs ont été adoptées ou sont en voie de l'être par le type en -o-.

158. Les désinences. — Singulier.. — Nominatif : si. -u, letto-lituanien et v. pr. -us, gr. -us, got. -us, etc. Le lituanien -us, pour *-us, av. -us, est analogique .(§ 82).

Accusatif : si. -û, v. pr. -un, lit. -q, lette -u, gr. -uv, skr. -um, etc.

Génitif : si. -u, lit. -aus d'intonation douce, lette -us, de i.-e. *-ous, got. -aus, lat. -us (osque -ous), skr. -oh.

Locatif : si. -u, d'intonation rude d'après les mouvements d'accent (§ 99), dont la cause pourrait d'ailleurs être différente (•§ 219). En letto-lituanien, les formes de locatif sont remaniées par généralisation d'une désinence -e (§ 178), et lit. -uje, lette -û (dial. -ui), est analogue à lit. -yje, lette -ï dans le type en -i-, lit. -oje, lette -â, dans le type en -â-. La forme ancienne était sûrement *-uo, conservée avec élargissement dans lit. dial. -uoje, lette -HO. On restitue donc une désinence balto-slave *-5u, plutôt que *-ou; elle répond à skr. -au, av. -au, de *-ôu ou *-ëu, mais le vieux perse -auw indiquerait une diphtongue à voyelle brève, et les autres langues, comme got. -au, datif, ne renseignent pas, n 'ayant plus le locatif comme cas distinct. Cette désinence est parallèle à *-éi, plutôt que *-ei, du type en -i-. La caractéristique générale du locatif en indo-européen était -i, avec degré fort de l'élé-ment prédésinentiel : skr. pitâr- « père », dat. pilré, loc. pitdri, dans le type athématique. Après sonante, le -i a connu en indo-européen des traitements spéciaux, qui ne sont plus clairs. Il tombait en védique : mûrdhân- « tête », loc. murdhdn ;

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110 LES THÈMES EN -â- [154] :

mais il a été généralement restauré dans les thèmes eh -n-et en -r- : mûrdhâni. Dans les thèmes en -u- et en -i-, l'amuis-sement de -i s'accompagne d'un allongement de la syllabe précédente : loc. *-5u, *-ëi ; et comme les diphtongues longues pouvaient perdre en indo-européen leur élément final, on trouve en védique -â et -au dans le type en -i-, avec disparition complète de la forme répondant à i.-e. *-ëi, ce qui prouve que *-êi et *-ôu, se réduisant à *-ë et *-ô, s'étaient confondus en -â en védique. Ces faits rappellent le traitement du nominatif singulier des thèmes en -er- et en -en-, -on-, *-ër, *-5n et *-ë, *-5.

Datif : si. -ovi, sans correspondant dans les langues bal-tiques, où lit. -ui est la désinence des thèmes en -o-, mais en regard de skr. et av. -ave. Il doit rester en baltique un vestige remanié de la désinence ancienne dans les noms ver-baux en -avâ et -uvë du lette dialectal (§ 205), et le flottement de -av- et -uv- indique comment la désinence s'est perdue : -av- a été remplacé par -uv-, et de même au nominatif pluriel, par généralisation de -u- du thème, comme de -i- dans le nominatif pluriel si. -ïje des thèmes en -i- (§ 165), et la substitution a été aisée de -ui à *-uvie ou *-uvi. La caracté-ristique du datif était i.-e. *-ei, qui donnait *-ew-ei ou *-ow-ei en s'ajoutant au thème en -u- sous sa forme pleine, c'est-à-dire accentuée (§ 94) : skr. sunâve de sûnuh « fils ». Le slave ne permet plus de distinguer eiïtre *-ew- et *-ow- : la répartition de -ov- et de -ev- est brouillée (§ 48), et -ov- a été généralisé dans la flexion, avec opposition nouvelle du type dur en -u-de synu, dat. -ovi, nom. plur. -ove, etc., et d'un type mouillé en *-yu- (§ 159), dat. -evi, nom. plur. -eve, etc.

Instrumental : si. -umï, mais complètement confondu avec -omï du type en -o-, et il ne s'agit plus dès l'époque du vieux slave que d'une division dialectale des langues slaves, les unes ayant généralisé -omï, les autres -umï (§ 161). En bal-tique, le lituanien a -umi, mais aussi -u, ainsi vaïsius « fruit »,

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[158] LES DÉSINENCES 111

. . . ! instr. vaîsiumi et vaisiù, et le lette a -u. La désinence -u peut être empruntée en letto-lituanien à -u, de *-uo, du type en -o-, mais la désinence lit. -umi, si. -umï, n'est pas primitive, non plus que lit. -imi, si. -ïmï, dans le type en -i- (§ 131) : elle remplace i.-e. *-û, av. -û, lat. -û, désinence qui se prêtait à des remaniements, skr. -va et -unâ, mais que le balto-slave devait avoir conservée.

Vocatif : si. -u, lit. -au d'intonation douce, et got. -au (sunau), skr. -o, av. -ô, mais aussi got. -u (sunu), gr. -u. La forme à vocalisme plein du balto-slave est parallèle à celle du type en -i-, lit. -ie, si. -i, de *-ei. On peut admettre deux formes indo-européennes différentes, l'une en *-ou ou *-eu de la flexion en *-us, gén. *-ous ou *-eus, l 'autre en *-u de la flexion en *-us, gén. *-uès (§ 159). Pour *-ou, *-eu, le balto-slave ne présente plus qu'une opposition entre le type dur lit. -au, si. -u, et le type mouillé lit. -iau, si. -(j)u.\

Pluriel. — Nominatif : si. -ove, cf. skr. -avah, gr. s(F)e$, got. -jus, de i.-e. *-eu-es ou *-ou-es, avec la désinence *-es ajoutée à la forme pleine (accentuée, skr. sûnâvah) du thème en -u-, le slave -ov- pouvant représenter *-ew- aussi bien que *-ow~. En baltique, lit. -us, lette -us, est remanié, comme lat. -us, avec même relation entre acc. -us et nom. -us que dans les thèmes en -i-, lit. acc. -is, nom. -ys, et en -â-, lit. acc. -as, nom. -os ; le point de départ de l'innovation est sûrement dans une substitution de *-uves à *-aves, comme au datif singulier.

Accusatif : si. -y, lit. -ùs, de *-uns (§ 88), cf. got. -uns, gr. dial. -uvs (lat. -ûs, skr. -un, av. -us). La désinence se confond en slave avec celle des thèmes en -o-, et l'intonation rude du lituanien, -ùs sous l'accent et avec avancée de l'accent (§ 215), n'est pas primitive et est celle des thèmes en -o-.

Génitif : si. -ovu, avec la caractéristique générale du génitif pluriel, si. -u de *-on, ajoutée à -ov-, comme gr. -Z(F)CÙV

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1 1 2 LES THÈMES EN -â- [154 ] :

avec la caractéristique ordinaire *-ôn, et got. -iwë (suniwë) avec la caractéristique -ë du gotique. La forme letto-litua-nienne, lit. -â, lette -u, est réduite à la désinence *-uon, de *-5h, des autres types flexionnels, mais par fusion de l'élément thématique -u- dans la désinence, comme le montre le paral-lélisme de lit. -iq dans le type en -i-. On peut supposer *-uôn, *-uuon, d'après av. -vqm; mais plutôt *-uuôn, d'après nom.-acc. plur. -uvas (et -avas) du lette dialectal dans les vestiges du type en -û- (§ 202). Le latin -uum se prête aux deux explications.

Locatif : si. -uxu, qui n'est attesté qu'en vieux russe, avant le passage de u à o (§ 58) ; ailleurs, en vieux slave et dans la plupart des langues slaves à date ancienne (§ 163), la désinence est remplacée par -oxû, analogique, comme dat. plur. -omû pour *-ûmu, de nom. plur. -ove, gén. -ovu. La dési-nence si. -uxu répond exactement à skr. -usu, av. -«M, et cf. gr. -UCTI, loc.-dat.-instr. En letto-lituanien, lit. -uose et lette -ûs sont remaniés : lit. -uose est identique à la désinence du type en -o-, mais lette -ûs indique une influence du locatif singulier, -ù de lit. dial. -uo-je.

Datif : si. -omû, et *-umu a complètement disparu. Le cas est celui de loc. plur. -oxu, mais ici -omû, désinence du type en -o-, s'est entièrement imposé, pour lit. -um(u)s, et cf. got. -um (dat.-instr.) d'une part, de l'autre skr. -ubhyah, lat. -ubus (dat.-instr.).

Instrumental : si. -ûmi, lit. -umis, cf. skr. -ubhik.

Duel. — Nominatif-accusatif : si. -y ; et lit. -u, de *-û d'into-nation rude, mais qui ne se distingue plus de -u, représentant *-uo, du type en -o-; cf. skr. -û, av. -u. La désinence -sa du grec homérique, -si des inscriptions attiques, est propre au grec, et nouvelle : c'est parallèle à nom. plur. -s(F)es, comme -s du typé athématique est parallèle à nom. plur. -ES (§180). .

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[159] HISTOIRE DU TYPE EN -u- 113 j

Génitif-locatif : si. -ovu, avec la caractéristique -u du cas ajoutée à l'élément thématique -ov-. La désinence est liée à gén. plur. -ovu et nom. plur. -ove: en sorabe, où le génitif pluriel -ow est généralisé dans tous les types de flexion, le bas sorabe généralise de même le génitif duel -owu; au contraire, en vieux polonais, où le nominatif pluriel wolowie « bœufs » commence d'être concurrencé par nom.-acc. woly, le génitif duel wolowu est presque complètement remplacé par wolu. Le lituanien a perdu la désinence, comme généra-lement au génitif-locatif duel. L'indo-iranien présente une forme un peu différente de celle du slave, véd. -(u)voh, qui répond au génitif pluriel av. -vqm en regard de si. -ovu.

Datif-instrumental : si. -uma, avec la caractéristique -ma du cas ; et lit. -am, avec la distinction secondaire de dat. -ùm comme dat. plur. -ùms et instr. -um comme instr. plur. -ums de -umis. Cf. skr. -ubhyâm, av. -ubya.

159. Histoire du type en -u-. — L'indo-européen présen-tait des thèmes en -u- masculins,, féminins et neutres, et -u-pouvait figurer après voyelle. Le hittite a un type en -us et un type en -aus; un type en *-ëu- n'est attesté qu'en grec, (îacriÀsûs « roi », mais il y joue un rôle important. Plus isolément, on trouve des thèmes en *-âu-, gr. vaus « navire », et en *-ôu-/*-ou-, skr. gâuh « bœuf, vache », dat. gàve, gr. |3oC?s, gén. $o(F)ôs. Ce mot en *-ou- est conservé en balto-slave, lette gùovs « vache », avec la trace de son alternance vocalique dans si. govçdo, et il faut lui joindre si. zeravï « grue » (§ 175). L'indo-européen avait en outre un type en -û-, plus spécia-lement féminin, mais comprenant aussi des masculins. Mal conservé en baltique, il Constitue en slave un type féminin de flexion athématique (§ 202), tout à fait à part du type masculin en -u-.

Pour le type en -u-, il est uniquement masculin en slave, et ses désinences sont devenues caractéristiques d'une flexion

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114 LES THÈMES EN -â- [154]:

de masculins. Le vieux prussien présente encore des neutres : alu « hydromel », pecku « bétail », panno, panu- « feu », meddo « miel ». Le letto-lituanien, qui a perdu le neutre dans les substantifs, en fait des masculins : lit. alùs « bière », medùs, v. lit. pekus ; mais le lituanien conserve le neutre en -u des adjectifs en emploi absolu, dans les tours comme taï grazù « cela (est) beau », et sûrement le lette dans une partie de ses adverbes en -u. En slave, les adjectifs en -u- ont disparu, mais des vestiges de formes neutres doivent subsister dans des adverbes en -u (§ 275). Les substantifs neutres en -u- sont devenus masculins, medu, v. r. olu, à la différence des neutres en -o- dont la désinence de nominatif-accusatif singulier a subi une réfection qui a sauvé le genre (§ 125), mais abluko « pomme », à la faveur de l'élargissement -ko, en garde le souvenir (§174).

Pour les féminins en -u- de l'indo-européen, ils avaient été éliminés dans les adjectifs (§ 123) : le féminin des adjectifs en -u- était en balto-slave, au témoignage du lituanien, différent du masculin-neutre et de type sufïixal en -ïj-yâ-, lit. grazi, gén. graziôs, de grazùs « beau » (§ 155). Les substan-tifs féminins en -u- sont perdus en baltique et en slave, mais il faut chercher s'ils n'auraient pas laissé des traces.

Il y avait en indo-européen deux flexions des thèmes en -u-, l'une en nom. *-us, gén. *-ous : skr. sûnûh, gén. sùnôh ; l 'autre en nom, *-us, gén. *-wes, *-wos : véd. paçàh « troupeau » (masc.), gén. paçvâh, av. pasû-, acc. plur. pasvô, et au neutre gr. hom. yôvu « genou », gén. youvôç de *yovFôs. Les deux flexions n'ont pas manqué de se mêler, l'une du type spécial en -u-, l 'autre du type consonantique général, et en latin, de senaius «sénat», le génitif senatus, de *-ous, a connu les variantes senatuos (v. lat.) et senatuis. En germanique, des noms en -us précédés de consonne géminée gardent la trace du type en gén. *-wes, *-wos, got. kinnus (fém.) « mâchoire »

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[159] HISTOIRE DU TYPE EN -u- 115

représentant une réfection de *kinus, gr. yêwç, sur *kinw-, d'où kinn-, des cas obliques. La flexion anomale de got. manna « homme », gén. mans, dat. manni, en regard de skr. mânuh, suppose également un thème *manw-, d'où marin-. Ceci paraît fournir l'explication du slave mçzï « homme, mari », en admettant un traitement slave du groupe *nw en *ng (§ 40) : une forme athématique *manw-, donnant *mang-, passait régulièrement en slave au type en -i- (§ 175), d'où acc. *manzï, qui avec chuintante s'absorbait dans le type en -yo- (,§ 170). Le nominatif singulier doit être conservé dans le slavon malûzena « mari et femme » (pol. malzonek « mari », etc.), composé par juxtaposition parallèle à bratusestra « frère et sœur », avec le premier terme malu- altéré de *manu-. Les alternances de- quantité dans la flexion athématique, qui étaient restées vivantes en balto-slave (§ 175), justifient le nominatif *mânu- d'un thème *manw- ; le baltique paraît le garder de son côté sous la forme remaniée zmân- (§ 182). Des alternances vocaliques de la syllabe radicale étaient appelées par le type athématique, et elles sont connues dans les neutres en -u-: en face de gr. yôvu, gén. *yov/r6ç, Sôpu « bois, lance », gén. *Sop/os, Soupos, on a skr. jânu, en compo-sition jnu-, gr. yvû-TTETos, skr. dâru, gén. drôh, en composition. dru-, et si. drûva qui en est le pluriel. Cf., avec un thème en -n-, les formes *nômn-, *nomn- et *nmn- du mot « nom » (§186):

Un exemple plus simple de flexion ancienne du type à géni-tif en *-wes est fourni en slave parle dérivé medvïnu «de miel», r. medvjânyj, de medu : il suppose un thème *medw- des cas obliques, comme dans véd. mâdhu, gén. mâdhvah, antérieur à la flexion de l'époque historique, si. medu, gén. medu, lit. medùs, gén. medaûs, qui entraîne d'autres dérivés sur thème mëd- ou medov-, slavon serbe medovïnï, pol. miodny, r. medôvyj. De même, en baltique, v. pr. pecku, v. lit. pekus, indique par la conservation de -k- en regard de skr. paçu-, av. pasu-,

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116 LES THÈMES EN -â- [154] :

une flexion sur thème *pekw-, d'où *pekw- et pek- (§ 12), avec généralisation de la forme pek- des cas obliques.

Il convient alors de se demander si le slave et le baltique n'ont pas gardé d'autres vestiges du type athématique à génitif en *-wes qui devait donner lit. -vi-, si. -vï par passage au type en -i-. Le slave présente dans certains mots une finale -vï où constater un suffixe *-vis n'est pas l'expliquer : dans des masculins, Helervï « coq de bruyère », *panarvï « ver blanc », et *siïrvï « charogne » qui pourrait être un ancien neutre (§ 171); dans des féminins, v. si. vëtvï «branche», vruvï « corde », et ce serait la trace des féminins en -u- disparus en slave. Le mot *vïrvï, lit. virvë, doit continuer *viru-, thème en -u- sur la racine verbale balto-slave *ver- dont les sens sont divers, mais cf. lette virkne «corde»; pour vëlvï, voir § 160. Les mots en -DIS du baltique, comme lit. kâlvis «for-geron » en regard de kâlvé « forge » et de kâlti « forger », appelleraient un même examen. Le plus curieux est ûosvis « beau-père », fém. ûosvè : il est isolé, mais il a l'aspect d'un mot ancien. Conserverait-il le vieux mot indo-européen gr. CÔKÛÇ

« rapide », skr. âçûh, lat. ôcior (comparatif), sur la base de son féminin *ôsvï, et antérieurement à l'altération de *-vï en lit. -i dans les féminins d'adjectifs en -u- ? Ce serait une épi-thëte élogieuse, « la diligente », appliquée à la mère du mari, ou bien ironique à l'adresse de la mère de la femme, comme le serbo-croate pûnica (§ 203) qui paraît avoir été à l'origine une moquerie des gendres agacés par leur belle-famille.

L'élément thématique -u- pouvait être précédé de -i- : skr. manyûh « colère ». Un type en -yu- est en effet largement représenté en lituanien, dans des mots d'emprunt comme karâlius «roi» de r. korôl', et dans des noms d'action ou d'agent comme vaïsius «fruit», de velsli «se propager» (en parlant des plantes), factitif vaisyli «propager, faire fructifier». Le type a disparu en lette, où tout le type en -u- est en déca-

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[160] LES SUBSTANTIFS DU TYPE EN -u- 117 ! .

dence. En slave, il s'est complètement fondu avec le type en -yo- et n'est plus reconnaissable, mais il a laissé des traces attestant que son élimination est récente : il a donné au type en -yo- son vocatif en ~(j)u, et les désinences mouillées dat. sing.-(j)evi, nom. p lu r . - ( j ) eue, gén. p lu r . - ( j ) evu, qui s'étendent parallèlement aux désinences dures -ovi, -ove, -ovu dans la flexion des masculins en -o-. Il est vraisemblable qu'on a un thème ancien en -yu- dans v. si. dùzdï « pluie », à pluriel duzdeve et à dérivé dùzdevïnu, de *dus-dyu- « mauvais temps », avec la forme *dyu- du nom du «jour» à côté de *din-, si. dinï (§ 182).

160. Les substantifs du type en -u-. — Le type des mas-culins en -u- est bien conservé en lituanien jusqu'à l'époque moderne, seulement dans une dizaine de substantifs en -us après thème dur, mais dans un nombre considérable de substantifs en -ius. Toutefois, comme il a perdu quelques-unes de ses désinences ôaractéristiques, avec dat. sing. -ui pour si. -ovi, gén. plur. -il pour si. -ovu, il accuse des signes de faiblesse. Dans une bonne partie des dialectes lituaniens, le pluriel a complètement disparu par passage au type en -o-: sûnùs, nom. plur. sûnaï pour sunûs, etc. ; et les désinences du singulier sont également menacées. Pour la flexion des nombreux adjectifs en -u-, elle ne garde que quelques dési-nences du type dans les formes indéterminées, presque rien dans les formes déterminées (§ 275). En lette, la flexion en -u- ne subsiste au singulier que dans peu de mots, avec flexion de pluriel en -o- ; dialectalement, le type est entièrement éliminé. Quant au vieux prussien, il était en train de faire passer ses noms en -u- au type en -o-: acc. sunun « fils», mais plus souvent soùnan, et nom. soûns, gén. soûnas.

En vieux slave, on reconnaît encore des masculins en -u-, mais la flexion n'en est plus que mêlée (§ 157) : de synù « fils », un accusatif synu est encore assez fréquent, mais un génitif

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118 LES THÈMES EN -u- [,163]

synu est devenu très rare, et la forme courante est le génitif-accusatif syna. Le cas de synu, mot du sous-genre personnel qui développait un génitif-accusatif nécessairement en -a (§ 126), est un peu spécial, comme celui de gospodï «sei-gneur» dans le type masculin en -i- (§ 170). D'autres mots conservent mieux leurs désinences propres, et on peut ainsi les distinguer encore en vieux slave des substantifs du type en -o-. Ils sont peu nombreux :

synu, lit. sûnùs. Ce mot balto-slave n'a son correspondant exact qu'en indo-iranien, skr. sûnûh. Le germanique a got. sunus, mais avec su- h voyelle brève, et le grec uîûs,, uiôç, montre que -nu- est un suffixe. C'est une formation ancienne de l'indo-européen, qui garde en sanskrit Un lien avec la racine verbale sû-, suv-, au sens d'« enfanter », dont la brève devant voyelle (§ 98) a pu être généralisée en germanique.

domu « maison », gén. domu régulièrement, et la flexion est confirmée par le datif domovi « à la maison » (avec mou-vement) fixé en valeur d'adverbe (§ 321). La latin a domus, fém., gén. domus, mais aussi thème en -o- (féminin), gén. domî, comme gr. Sonos, masc., skr. dâmah. Il paraît difficile de séparer du mot slave le mot baltique, lit. nâmas, usuellement plur. namal, et de ne pas admettre une altération de l'initiale en baltique, avec n- pour d- comme inversement d- pour n- dans lit. debesis «nuage»'(§ 190). Ce nom de la « demeure de famille », du « home », plus stable que les noms concrets de la « maison », v. pr. buttan et lit. butas, v. si. xramû, etc., a l'aspect d'un dérivé nominal de la racine verbale de gr. Séiico «je bâtis », succédant à un vieux thème consonantique *dem-, gr. hom. Sco de *6cop. Il ,n'est pas sur-prenant que le balto-slave ait connu, de même que le latin, deux dérivés parallèles en -o- et en -u-. L'adverbe si. doma «à la maison » (sans mouvement) n'a pas de rapport avec la flexion en -u- et pourrait être un vestige de la flexion en -à- (§322).

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[160] LES SUBSTANTIFS DU TYPE EN -u- 119 S

volu «bœuf», gén. volu, flexion confirmée par le dérivé v. si. volui « de bœuf», dé type ancien (§ 28). Le mot a rem-placé en slave le terme indo-européen et balto-slave qui se conserve dans gov-çdo (§ 159). On doit penser à la substitution au nom de l'animal d'un nom de l'attelage, comme dans lat. iûmentum «bête d'attelage», cheval, etc., et dans lit. jâulis « bœuf », de la racine du lette jûtis, plur., « jointures », et de skr. jaumi « j'attelle ». La forme du mot est identique à celle de got. walus « bâton », et ce nom du « rouleau », du « rondin », si. valiti « rouler », désigne le « palonnier » dans v. pr. walis et dans r. valëk. C'est une pièce de l'attelage, qui a pu désigner l'attelage lui-même.

V. si. vruxu « sommet », gén. vrûxu, mais aussi vruxa. La flexion en -u- est confirmée par lit. virsùs, et en slave par des dérivés, dont l'adjectif vrûxûnjii (§ 83).

polu «moitié », gén. polu régulièrement. Le mot est propre au slave. Il a sûrement signifié le « milieu », et v. si. polu dîne « midi » est le « milieu du jour », lat. merïdiës, v. h. a. miltitag. Le sens de « milieu », dans lequel polu succédait à v. si. mezda devenu «limite», r. mezâ, et a été remplacé par v. si. srëda « le cœur », doit dériver de celui de « plein ». Polu serait ainsi un adjectif neutre en -u- substantivé, de la racine de lit. pilti «emplir», pilnas «plein», si. *pïlnu, répondant exacte-ment à gr. TTOÀÙÇ « abondant », et avec un vocalisme radical différent de celui de lit. (par-)pilu « en quantité », skr. puruh, mais sans doute plus ancien et non refait sur la racine verbale.

medû «miel», gén. medu, mais aussi meda: ancien neutre, gr. piéôu, etc.

On ajoutera v. r. olu, gén. olu, ancien neutre et thème en -u-, d'après v. pr. alu et le dérivé r. olovîna. Mais il ne sert de rien d'allonger la liste. Les désinences du type en -a- ont été éten-dues au type en -o-, et elles ne prouvent plus rien, non plus que les dérivés en -ov-. Le lette ledus « glace », mais lit. lëdas,

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120 LES THÈMES EN -u- [,163]

et le lituanien lufgus « marché », qui peut être un emprunt au slave, ne sauraient garantir que v. si. ledu, trugû aient été des thèmes en -u-. Si l'existence d'un suffixe *-nu- est sûre, ce n'est pas à cause de la flexion de quelques mots a finale -nu, comme cinu « ordre », gén. cinu et cina, mais parce qu'on a un élargissement -nukû dans des mots vieux-slaves, oslanùku « reste », oprësnuci « azymes » ; et il faut écarter des mots plus tardivement attestés, où, comme dans r. cesnôk « ail », en regard de s.-cr. cèsan, on n'a plus affaire qu'à la substitution courante de *-ukû à -ici, r. gorodôk «petite ville» pour v. si. gradïcï, comme de -ka à -ïca (§ 111). De même un suffixe *-tu- est établi par sa forme élargie -tuku dans une série de mots, nacçlùku «commencement», etc.; le supin, si. -tu, lit. -tq, est une forme fixée de ce suffixe. On doit le retrouver dans lista « feuille », en face de lit. laïskas, à cause de son collectif lislvïje. Le mot est parallèle à vëtvï « branche », collectif vëtvïje, qui doit représenter *œai-tu-, de la racine *wei- de viti «tordre, tresser», vëja «branche» (§ 42), et il n'en diffère que parce que *vaitu-, féminin, a été adapté en -vï (§ 159). Comme vëtvï «branche» a signifié « ce qui se tresse », branche d'osier, etc., listu « feuille » a pu signifier « ce qui s'amincit », feuille de pâte, de bois, etc., de la racine de lit. lîjsli, lette liëst « maigrir ». Pour un suffixe *-yu-, on le retrouve en slave dans ses contaminations avec la flexion en -yo-.

Il est donc sûr que le type en -u-, en train de disparaître dès le vieux slave, avait tenu une place importante dans la langue. Il a dû servir à l'adaptation de nombreux mots d'emprunt (§ 162, § 209). Il a donné des dérivés en *-ujï, en -ovïnu, etc. ; des dérivés anciens se sont isolés de lui, et ils ont leur productivité propre : adjectifs possessifs en -ovu (§ 295), verbes en -ovati. Les désinences les plus caracté-ristiques et les plus pleines, dat. sing. -ovi, etc., se maintien-nent en slave, tandis que le baltique les efface ; le type en -u-

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[161] EXTENSION DES DÉSINENCES AU SINGULIER 121

i se perd dans le type en -o-, mais ses désinences subsistent et s'étendent dans la flexion des masculins, à des époques différentes et avec un succès varié selon les langues.

161. Extension des désinences au singulier. — Au vocatif, l'adoption de ~(j)u par la flexion mouillée en -yo- est générale, sûrement pour une cause particulière (§ 136). Dans le type dur, l'extension de -u a été tardive et limitée : on la trouve en polonais, en tchèque et slovaque, en ukrainien, seulement dans le cas où le thème est terminé par une gutturale, et pour en éviter l'alternance : pol. duchu « esprit », et czloœieku « homme » substitué à czlowiecze. Le haut sorabe, seul à maintenir le vocatif en sorabe (§ 141), atteste un même état : ducho, mais avec confusion secondaire en ~(j)o de ~(j)u du type mouillé et de -jo du type dur, issu de -'e (§ 48), v. si. -e. En serbo-croate, la distinction de -e et ~(j)u est régulière dans la langue commune, et ce n'est que dialectalement que -u est généralisé. Pour le vocatif synu, il s'est maintenu jus-qu'au polonais et jusqu'au tchèque et au slovaque modernes, mais une variante pol. synie apparaît de très bonne heure ; le vieux slave méridional a déjà syne plus fréquent que synu.

A l'instrumental, les deux formes -omï du type en -o- et -umï du type en -u- se sont confondues complètement, et -omï a été généralisé dans le domaine méridional, -umï en russe et dans le groupe septentrional : v. si. synomï comme rabomï, et s.-cr. et slov. sînom (secondairement slov. -am, § 143) ; — v. r. -umï, passant bientôt à -om, et ukr. -om de -umï à la différence de gén. plur. -iv de -ovu (§ 106) ; pol. -em; v. sor. -em, secondairement sor. -om d'après -jom, de -'em issu de -ïmï du type mouillé ; tch. -em, secondairement slo-vaque -om. La forme mouillée de -umï se confondait avec la désinence -ïmï du type en -i-, qui, après avoir connu une petite extension en vieux slave, a disparu devant -(j)emï du

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122 LES THÈMES EN -u- [,163]

type en -yo- dans le groupe méridional (§ 172) ; ailleurs, le groupe russe, v. r. -ïmï, puis -em (-om), ukr. -em, atteste la généralisation de -ïmï dans le type en -yo-. Comme la désinence d'instrumental en -mï, dans la flexion en -o-, a été substituée à *-o du balto-slave, on peut penser que -omï et -umï repré-sentent deux formes différentes de l'innovation en slave commun (§ 131).

Au génitif, l'extension de -u à la place de -a est très limitée en vieux slave. La désinence -u a complètement disparu en serbo-croate, tandis qu'en slovène elle a été généralisée dans les masculins monosyllabiques anciens paroxytons à longue d'intonation douce, avec déplacement de l'accent sur la finale (§ 93) : type grâd « ville », gén. gradû, mais grâda avec accent normalisé. En russe, la désinence -u s'est large-ment étendue, à date ancienne, dans les noms désignant des inanimés, et il en est encore ainsi en russe dialectal et en ukrainien. Mais dans le russe littéraire moderne -u n'apparaît que dans des locutions adverbialisées, comme bez srôku « sans terme », et avec des noms désignant une matière ou une masse, comme (câska) cdju ' « (une tasse) de thé» ; il donne un génitif de valeur partitive qui s'oppose au génitif en -a, câja, en emploi libre. La désinence -u est admise par quelques polysyllabes et peut porter l'accent, ainsi tabàk « tabac », gén. tabakâ et (net) tabaku « (il n'y a pas) de tabac » ; mais le type primitif, et qui reste dominant, est celui des mono-syllabes à flexion de paroxytons, celui de mëd « miel », gén. mëda «du miel » et mëdu «de miel», et le génitif en -u est le plus souvent inaccentué. En sorabe (seulement dans la flexion dure), en polonais et surtout en tchèque, -u l'emporte sur -a dans le sous-genre inanimé, mais plus particulièrement avec les noms de matière, les collectifs et les abstraits, et avec des nuances d'emploi délicates et des flottements nom-breux. Dans l'ensemble, le type personnèl ou animé v. si. synù, gén. synu, ne s'est pas conservé, parce que synu a été

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[161,] EXTENSION DES DÉSINENCES AU SINGULIER 123

. 1 évincé par le génitif-accusatif syna ; mais le type inanimé medu, gén. rnédu, a connu un grand développement.

Au locatif, l'extension de -u à la place de -é est aussi limitée en vieux slave qu'au génitif. Elle l'est restée en moyen bulgare, et les rares vestiges du locatif en bulgare moderne, comme dial. na ùme « dans l'esprit », n'attestent que -ë. Mais la désinence-avait l'appui d'un mouvement d'accent (§ 99) : medu, loc. * medu, s.-cr. mêd, gén. mëda, loc. mèdu, r. mëd, loc. v medu. En serbo-croate, -u a été complètement généralisé, et la distinction du locatif et du datif remplacée par celle d'un locatif-datif non prépositionnel, ancien datif, et d'un locatif-datif prépositionnel, ancien locatif, avec une diffé-rence d'accent, mais seulement dans une partie des cas (§219) : dâru « au don », et u dâru « dans le don ». Cet état n'est d'ail-leurs pas très ancien en serbo-croate, de la fin du xv e siècle à peu près : il paraît résulter d'une extension progressive de -u après préposition sur le modèle de la préposition po qui se construisait avec le datif. Et il n'est pas commun à tous les dialectes : le cakavien continue de distinguer dat. dâru et loc. dâri. Le slovène a généralisé -u comme le serbo-croate, avec conservation partielle du mouvement d'accent : môst « pont », gén. mostâ, mostû, loc. na môstu, répondant à s.-cr. môst, môsta, na mosiu ; dans les dialectes, on trouve soit -e, -ie, de -ë du type dur, soit -i du type mouillé ancien.

En russe, l'extension de -u a été assez importante, mais en principe en fonction du mouvement d'accent entre le thème et la forme du locatif, -u étant toujours accentué. Il en reste un groupe de locutions à demi fixées, seulement avec les pré-positions v et na, du type les « forêt », gén. lésa, loc. v lesù, mais en emploi libre o lèse, etc. ; ces locutions sont plus nom-breuses dans les dialectes que dans la langue littéraire. Il y avait aussi tendance en russe ancien à employer -u après gutturale, poûr éviter l'alternance consonantique : cette tendance reste accusée en ukrainien, ainsi; v strâsi et v straxû

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124 LES THEMES EN -u- [ 1 6 2 ]

« dans la peur ». En polonais, la désinence -u, bien conservée dans quelques formes anciennes comme synu, domu, a été substituée dans le type mouillé à -i presque complètement disparu dès le vieux polonais, avec opposition de mqz « homme », loc. mçzu, à zqb « dent », loc. zebie du type dur. Elle a été également étendue de bonne heure aux thèmes ter-minés par gutturale, jçzyk « langue », loc. jqzyku-pour v. pol. jçzyce. Il en a été de même en sorabe. Et à peu près de même en tchèque, où la désinence -i du type mouillé, klic « clé », loc.-dat. klici, dérive de v. tch. -'u, mais en plus avec exten-sion dans le type dur de -u à côté de -ë, et d'un datif-locatif inanimé -u (animé -ovi) qui concurrence le locatif : hrad « château », dat. hradu, loc. hradë, mais aussi loc.-dat. hradu, avec gutturale loc.-dat. jazyku et loc. jazyce.

Avec l'extension de -u au locatif, de -u au génitif et de -ovi au datif, le système de flexion des masculins s'est grandement compliqué en tchèque et en polonais.

162. Le datil en -ovi. — C'est surtout la désinence -ovi, avec sa forme mouillée -(j)evi, qui"a joué un rôle important au singulier : elle apparaît comme caractéristique du sous-genre personnel, au même titre que le génitif-accusatif en -a.' Elle présente une grande extension en vieux slave, avec les noms de personnes, surtout avec les noms propres étrangers. Si elle se rencontre avec quelques noms inanimés, comme mirovi « au. monde », et même avec des neutres, comme morjevi « à la mer », c'est qu'ils sont personnifiés et traités comme être agissants, et exactement dans les conditions où l'on peut avoir le génitif-accusatif. Dans la flexion des anciens thèmes en -u, de ceux qui gardent le mieux les désinences du type, le datif est toujours en -u s'ils sont inanimés : domu, et un datif domovi est personnifié et signifie « aux gens de la maison». Cette valeur de la désinence -ovi est nouvelle : domovi s'est conservé au sens non personnel, mais seulement

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[162] LE DATIF EN -oui 125

comme-adverbe figé (§ 160). Bien que fréquente, la forme en -ovi l'est pourtant beaucoup moins en vieux, slave que la forme en -u avecies noms du sous-genre personnel. On ne trouve pas de règle nette de répartition des deux formes, mais des oppositions comme Luc, V, 10 bëste obïsiïnika Simonovi, i rece kiî Simonu «(les deux) étaient associés de Simon, et il dit à Simon », quoique n'étant pas systématiques, font voir que la forme en -ovi était sentie comme forme pleine du datif d'attribution sans préposition et sans déterminant.

Le datif en -ovi du vieux slave et du moyen bulgare s'est conservé dans quelques parlers macédoniens avec des noms de parenté. En serbo-croate, il a complètement disparu, et le slovène l'a également éliminé, sauf certains dialectes qui gardent -ovi ou secondairement -ovu; ce sont des langues qui font grand emploi des formes en -ov- au pluriel, et ont dé-veloppé une opposition du singulier sans -ou- et du pluriel en -ov- (§163). Le'russe a lui aussi perdu le datif en -ovi, mais on le trouve jusqu'au xiv e siècle dans des noms de personnes, et il s'est maintenu à l'époque actuelle dans une partie des parlers blanc-russes, et surtout en ukrainien. L'ukrai-nien (§ 139), où -ovi représente -ov-ë, forme remaniée, a généralisé la désinence -ovi, et -evi dans le type anciennement mouillé, au datif des masculins animés et inanimés; il l'a même étendue aux neutres : mlsto «ville», dat. mistu et aussi mlslovi, et au locatif des masculins animés : bral «.frère», dat. brâtovi, loc. brdti, et loc.-dat. brâtovi.

En polonais, -owi est devenu la désinence ordinaire de. datif pour les inanimés comme pour les animés, avec substitution de -iowi à la forme ancienne -ewi dans le type mouillé. Le datif en -u ne s'est conservé qu'avec un certain nombre de substantifs à génitif en -a, et qui sont pour la plupart des animés : ceci s'explique par la grande extension du génitif en -u dans les inanimés et par le souci de différencier gén. -u et dat. -owi, mais c'est tout à fait contraire à la répartition

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1 2 6 LES THÈMES EN -u- [,163]

primitive des deux désinences de datif. En sorabe, on a ordi-nairement -oj(u), pour v. sor. -owi (§ 141), dans les animés du type dur, et -(j)oj(u), pour dial. -(j)ewi, dans tout le type mouillé, en regard de -u dans les inanimés du type dur. En tchèque, le datif en -ovi reste propre aux animés, et surtout aux noms de personnes (§ 142), dans le type mouillé, pour v. tch. -evi, comme dans le type dur, et il s'oppose à -u régulier dans les inanimés; ce datif en -ovi est devenu locatif-datif, et l'on a un système de flexion qui dégage deux types, chlap «garçon», loc.-dat. chlapovi (animé personnel), et hrad «châ-teau », dat. hradu, loc. hradë et hradu (inanimé), mais qui est plus compliqué.

Si divers dans le détail que soient les développements des langues slaves, ils se ramènent à l'état vieux-slave : extension de la désinence -ovi, -(j)evi, comme caractéristique du sous-genre personnel. Or il n'est pas vraisemblable que cette extension soit partie du seul masculin synu « fils » : il y avait sûrement beaucoup d'autres masculins en -u- et -yu- du sous-genre personnel, qui échappent parce qu'ils se sont perdus dans les thèmes en -o- et en -yo-. On doit supposer tout un type de noms de personnes, surtout noms d'em-prunt (§ 209), peut-être aussi hypocoristiques, que le baltique conserve, lit. Kristus «Christ», lette Mikus «Nicolas», et tous les mots lituaniens en -ius (§ 159), et que l'on retrouve abondamment en gotique, Xrislus, aggilus « ange », etc. C'est de ce type que relèvent les adjectifs possessifs en -ovu, comme Xrïsiovu « du Christ », dérivés de thèmes en -u-, qui sont dès lé début usuels en slave avec des noms propres étran-gers (§295). x •

163. Extension des désinences au pluriel. — Au locatif, l'extension de la désinence -oxu, substituée à -ûxu (§ 158), est faible en vieux slave, mais on la retrouve en moyen bulgare, en vieux serbe, en vieux polonais ; le sorabe ancien a de même

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[163] EXTENSION DES DÉSINENCES AU PLURIEL 127 !

-och (§ 141), mais -och ne se distingue plus en sorabe de -(j)och issu de -ech, et -och du slovaque et du tchèque dialectal doit être également secondaire de tch. -ech. Car l'extension de la forme mouillée -exu. a été plus importante que celle de -oxu du type dur, mais elle se rattache plutôt à l'histoire du type en -i- (§ 165).

A l'instrumental, l'extension de -umi pour -y, et de même au datif-instrumental duel de -uma pour -oma, ne se sépare pas non plus de celle de -ïmi, -ïma de la flexion en -i-. La dési-nence, qui était réduite à -mi, a pu s'ajouter indifféremment à un thème dur, v. si. (rarement) grëxumi pour grëxy « par les péchés », ou à un thème mouillé, slavon mozïmi pour mçzi « par les hommes », c'est-à-dire grëxmi, mçzmi. En vieux serbo-croate, on trouve aussi bien jezicmi pour jezici « par les langues », avec ' une alternance consonantique nouvelle (§ 144).

Les désinences qui ont joué un grand rôle sont celles du nominatif, -ove, -(jjeve pour -i, et du génitif, -ovu, -(j)evû pour -û. Elles commencent de s'étendre en vieux slave, mais uniquement dans les substantifs à radical monosyllabique, à la différence du datif singulier en -ovi qui apparaît fréquem-ment avec des polysyllabes. Le point de départ est .évidem-ment dans le génitif pluriel : on voit dans toutes les langues slaves des remaniements du génitif pluriel des masculins, parce que sa désinence -û, qui devenait désinence zéro, constituait une caractéristique insuffisante du cas et qui ne le différenciait pas du nominatif-accusatif singulier. On peut supposer que la substitution de -ovu à -u a eu lieu d'abord dans les mots dont le génitif pluriel ne se distinguait pas du nominatif-accusatif singulier par la place de l'accent, puis par l'intonation liée au recul de l'accent. C'était le cas avec les oxytons du type *grëxu « péché », à recul sur intonation douce (§102), cak. grih, gén. grîhà, gén. plur. grih-Ih, et avec les anciens oxytons du type * daru. « don » à recul sur intonation

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1 2 8 LES THÈMES EN -u- [,163]

rude.(§ 103), cak. dâr. Et en effet des génitifs pluriels grëxovu, darovu, sont fréquents en vieux slave, entraînant aux autres cas la flexion en -u-, nom. plur. darove, loc. daroxu, instr, darumi. Mais le développement de gén. plur. -ovu, bien que restreint encore, n'est plus limité en vieux slave par des règles d'accent : on trouve également des formes comme gradovu, du paroxyton gradu « ville », cak. grâd à intonation différente de celle de gén. plur. grâd-ïh ; et d'ailleurs l'accentuation du type paroxyton cak. grâd, gén. grâda, et celle de l'ancien type oxyton cak. dâr, gén. dâra, s'étaient confondues.

En moyen bulgare, l'élément -ov- est senti comme élargisse-ment de pluriel, auquel s'ajoutent les désinences, et ainsi, d'après nom. synove, gén. synovu, on a acc. synovy pour v. si. syny, loc. synovoxù, pour v. si. synoxu, dat. synovomu pour v. si. synomu, instr. synovy pour v. si. synumi, avec grande exten-sion de ce type en -ov- dans les mots à radical monosyllabique. En bulgaro-macédonien moderne, le pluriel en -ove est le pluriel ordinaire des masculins monosyllabiques.

Le vieux serbe a suivi la même évolution que le moyen bulgare, et le serbo-croate moderne oppose un singulier yrâd, gén. grâda, etc., et un pluriel à élargissement en -ov-, grâdovi, &cc. gràdove, gén. gradôvâ, loc.-dat.-instr. gràdovima, gradovima ; pour l'accentuation, voir § 219. L'élargissement -ov-, -ev-, est régulier avec les thèmes masculins monosylla-biques, et il s'est étendu à une partie des thèmes à voyelle mobile, type àvan « bélier », plur. ovnovi, et aussi à des thèmes dissyllabiques, type kàmën « pierre », plur. kàmenovi. Les thèmès monosyllabiques sans élargissement, peu nombreux, sont en principe, comme en bulgare, les vestiges des autres types de flexion des masculins, surtout du type des masculins en -i- qui a eu une petite extension (§172), et ils en conservent des particularités de flexion : kônj «cheval», plur. kànji, loc.-dat.-instr. k'ônjma, de konjmi, à côté dè kànjima. Mais cet état du serbo-croate moderne n'est celui que d'une partie des

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[163] EXTENSWN DES DÉSINENCES AU PLURIEL 129 i

dialectes : dans les parlers occidentaux, la tendance a été au contraire à restreindre les formes en -ou-, jusqu'à les faire complètement disparaître ; d'où des flottements dans la langue commune, où des formes comme plur. grâdi se main-tiennent en tant que régionales, ou archaïques et poétiques. Le dialecte cakavien, du moins sous son aspect le plus typique, ignore les formes en -ov-; le cakavien ancien avait très peu développé le nominatif pluriel en -ove, mais il avait connu une extension du génitif pluriel en -ou.

Le slovène a généralisé -ou, -eu, comme désinence de génitif pluriel, en ne gardant que quelques vestiges du génitif sans désinence. D'autre part, comme le serbo-croate, il a étendu l'élargissement -ou- à toute la flexion du pluriel, et aussi du duel, mais seulement avec les thèmes monosyllabiques portant l'accent long descendant : dûh «esprit», plur. duhôvi, acc. duhôve, etc., duel duhôva.

En russe, -ov est la désinence normale de génitif pluriel des masculins du type dur, en regard de -ej dans le type mouillé, et les dialectes étendent -ov aux neutres et aux féminins. Il y a eu en russe ancien un certain développement du nominatif pluriel en -ove, passé ensuite à -ovja; il n'en subsiste que deux formes, et remaniées d'après le type en -'/V (§ 211) : syh «fils», kum «compère», plur. synov'jâ, kumov'jâ. L'ukrainien a généralisé la désinence -iv de génitif pluriel non seulement dans le type dur, mais aussi dans le type mouillé. '

En polonais, -ôw est la désinence ordinaire de génitif pluriel des masculins du type dur, et -owie la désinence de nominatif pluriel d'une partie des noms du sous-genre personnel, surtout des noms de parenté, de famille, de dignités. Ainsi -owie est devenu, avec -i, la caractéristique du sous-genre personnel au pluriel, par opposition à -y du sous-genre non personnel. Ceci est nouveau : -owie s'était étendu en vieux polonais égalemènt à des inanimés, mais ensuite, avec le développe-

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1 3 0 LES THÈMES EN -u- [,163]

ment au pluriel du sous-genre animé, puis personnel, l'accu-satif pluriel -y a donné le nominatif-accusatif pluriel inanimé, se distinguant de nom. -i et -owie des noms de personnes à génitif-accusatif -ôw.

En tchèque, -uv, devenu -û (= -û), est la désinence normale de génitif pluriel des masculins des deux types dur et mouillé, et le nominatif pluriel -ové, slovaque -ovie, -ovia (§ 142), s'em-ploie, de même que -owie en polonais, comme caractéristique du sous-genre animé et surtout des noms de personnes, à côté de -i et non sans flottement entre les deux désinences, comme en polonais également.

En sorabe, -ow a été généralisé au génitif pluriel, et -owu au génitif duel, dans toutes les flexions, des masculins, des neutres et des féminins.

On voit combien grande a été généralement l'extension des désinences du type en -u- dans la flexion en -o-, mais aussi combien diverse elle a été selon les langues. Il en est résulté des différences importantes entre Jes langues slaves dans la flexion des masculins, et il n'en est pas résulté partout, tant s'en faut, plus de clarté dans la flexion. Le type en -u- appor-tait bien quelques désinences plus pleines, mais il apportait aussi de la confusion dans le type en -o- avec lequel il se contaminait : confusion liée, dès le vieux slave et son datif singulier en -ovi, à la complication des sous-genres, et qui dure et s'est accrue en polonais et en tchèque. Le serbo-croate s'en est sorti par de fortes normalisations, le russe en se débarrassant presque complètement des désinences du type en -u- et en n'en retenant que la désinence vraiment utile, celle du génitif pluriel en -ov.

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CHAPITRE Y

LES THÈMES EN -I-

164. Flexion. — Le type comprend, outre des traces du neutre (§ 166), des masculins et des féminins, mais avec deux flexions un peu différentes, à l'instrumental singulier l'oppo-sition d'une désinence masculine en -ml et d'une désinence féminine en -jç, au pluriel la substitution d'un nominatif-accusatif féminin au nominatif et à l'accusatif conservés dis-tincts dans les masculins. Et avec une vitalité très inégale selon le genre : le type des masculins est encore bien repré-senté en vieux slave, mais il n'est plus productif, et il va bientôt disparaître plus ou moins complètement, comme en baltique, absorbé par le type courant des masculins, en -yo- ou en -o- selon les langues slaves et l'importance qu'elles attribuent aux faits de mouillure ; le type des féminins se maintient généralement très stable, même si dans les langues modernes sa productivité n'est plus guère liée qu'à celle du suffixe -osïï.

Le type en -i- ne possède plus que des substantifs, et en outre un numératif, trïje u trois », qui a les trois genres (§ 304). Il a disparu dans la flexion des adjectifs, en ne laissant que quelques traces (§ 276) ; dans la flexion des pronoms, on peut le reconnaître dans des formes sï (§ 232), cî-io (§ 237), mais non dans i'anaptaorique *i- qui s'est confondu avec le relatif

(§ 243). Comme pour les. thèmes en -u- (§ 159), l'indo-européen

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132 LES THÈMES EN -u- [,163]

connaissait deux flexions des thèmes en -i-, l'une en gén. *-yes, *-yos, véd. dvih «mouton», gén. âvydh, gr. (hom.) ôiç, gén. oiôç, et l'autre en gén. *-eis, skr. mâtih « pensée », gén. màteh; ces deux flexions n'étaient distinctes qu'à une partie des cas. C'est la seconde, ordinaire en sanskrit et régulière en avestique et en germanique, que présente le balto-slave : lit. avis, gén. aviës. L'indo-européen avait aussi des thèmes longs en -ï-, comme en -û- : on doit en retrouver la trace dans le type féminin en *-f: -yâ- (§ 154).

Voici la flexion comparée d'un féminin en lituanien, naktis « nuit », en vieux slave, nostï, et en russe, noc', et celle d'un masculin en vieux slave, pçtï « chemin »' :

lit. v. si. v. si. russe Sing. N. naktis nostï pçtï Vf noc A. nàktj. nostï pçtï noc G. naktiës nosti pçti nôëi L. naktyjè nosti PQti nôëi (v noci) D. nàkciai nosti pçti nôci I. naktimi nostijç pçlïmï, -emï nôc'ju V. naktië nosti pçti Plur. N. nàktys nosti pçti je nôci A. naktis nosti pçti nôci G. nakëiîi nostii pçtii nocéj L. naktysè nostïxu, -exu. pçtïxû, -exu nocâx D. naktims nostïmu, -emu pçtïmû, -emu nocâm I. naktimis, -ims nostïmi pçtïmi nocdmi Duel N.-A. nakti nosti pçti

G.-L. nostiju pçtiju D. naktim ) ) I.

... „ nostima ? naktim ) pçtïma

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[165] LES DÉSINENCES. 133

165. Les désinences. — Singulier. — Nominatif : sl.l-ï, lit. et v. pr. -is, lette -s, hitt. -is, lat. -is, etc. Le lituanien a -is, comme -us (§ 158), en regard de av. -is.

Accusatif : si. -ï, v. pr. -ïn, lit. -{, lette -i, hitt. -in, skr. -im, etc.

Génitif : si. -i ; lit. -ies, sous l'accent -iës d'intonation douce ; lette -is de -ies, mais usuellement -s de -es, par extension de la désinence des thèmes consonantiques (§ 174) ; le vieux-prussien -is, -ies, qui n'est attesté que dans des masculins, est la désinence du type en -yo- répondant à la désinence nouvelle v. pr. -as du type en -o-. Les formes des autres langues indo-européennes sont : skr. -eh, av. -ois, d'un indo-iranien *-ais ; osque -eis (lat. -is de *-es du type athématique) ; got. -ais, mais v. h. a. -i. La désinence du germanique est propre aux: féminins, et celle du gotique ne prouve rien pour le vocalisme : elle est analogique du datif féminin -ai, lui-même pris à la flexion en" -â-; les formes du germanique occidental répondent "-à gén. *-eis confondu phonétiquement avec loc.-dat. *-ëi. On restitue donc une désinence i.-e. *-eis, en regard de *-ous du type en -u-.

Locatif : si. -i, d'intonation rude d'après le mouvement d'accent (§ 99, § 218); lit. -yje, lette -ï, de *-ïje, est une désinence remaniée par addition au thème en -i- de la carac-téristique nouvelle -e de locatif. D'après le parallélisme de la flexion en -u-, on doit supposer en balto-slave une désinence *-ëi : elle passait en baltique à *-ie, qui paraît conservé dans le lituanien dialectal -ieje et le lette dialectal -te. Hors du balto-slave,von retrouve *-et dans lat. -ï, v. lat. mânï «au matin », locatif de mâne, ombrien -e; en germanique, v. h. a. -i, et en grec -El, attique -T|i, -13, doivent représenter la fusion d'un datif *-ei et d'un locatif -*êi. La désinence *-ëi qu'on restitue en indo-européen pose le même -problème que *-ou dans le type en -u- (§ 158).

Datif : si. -i, d'intonation douce. Le lituanien oppose "iai

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134 LES THÈMES EN -u- [,163]

dans la flexion des féminins à -iui dans celle des masculins : vagis « voleur », dat. vâgiui, et il en est de même dans le type athématique (§ 178) ; ces deux désinences sont prises, l'une à la flexion des thèmes mouillés féminins en -â-, l'autre à celle des thèmes masculins en -yo-. Mais on a -ei en bas lituanien (nâktei), -i en lette dialectal, qui doivent garder la désinence letto-lituanienne ancienne *-ie, balto-slave *-ei; le vieux-prussien -ei est ambigu. On a de même lat. -F, loc.-dat., de v. lat. et osque -ei, et v. h. a. -i, loc.-dat. ; le gotique -ai est pris à la flexion des féminins en -â-. La désinence de datif *-ei des thèmes en -i- ne se différencie pas en italique et en balto-slave de celle de la flexion athématique ; le grec a un locatif-datif -si des thèmes en -i-, son locatif-datif -i des athématiques étant l'ancien locatif. En indo-iranien, les thèmes en -i- présentent un datif skr. -aye, av. -dyôi, parallèle au datif skr. -ave, si. -ovi, des thèmes en -u-. Les formes attendues de la désinence, par addition de la caractéristique générale *-ei de datif au thème en -i-, sont *-eyei avec le degré fort prédésinentiel, et *-yei avec le degré réduit : le sanskrit a -ye dans la flexion à génitif en *-yes, et -aye dans celle à génitif en *-eis, sous l'accent (agnih « feu », gén. agnéh, dat. agnâye) et hors de l'accent. Mais la désinence *-ei de la majorité des langues indo-européennes peut s'expliquer par une forme unique *-yei dans les deux types de flexion, et par sa confusion avec *-ei de la flexion athématique.

Instrumental : si. -ïjç, v. si. -ijç, pour les féminins, c'est-à-dire -ï-jç avec addition au thème en -i- de la désinence -jç de la flexion féminine en -yâ-; -ïmï pour les masculins, avec addition de la caractéristique -mï de l'instrumental singulier masculin et neutre. On a les mêmes désinences, et la même distinction d'après le genre, dans le type athématique (§ 178) ; le vieux slave remplace couramment -ïmï par -emï d'après -(j)emï du type masculin et neutre en -yo-. En baltique, le lituanien a -imi, masc. et fém., mais v. lit. et dial. -i, d'into-

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[165] LES DÉSINENCES ' 135

! nation rude, accent nakti, lette -i, bien qu'en partie substitué à -imi (lette manim, etc., § 131, § 249), restitue sûrement une désinence balto-slave -ï, ce qui s'accorde bien avec le fait que le slave a pu la remanier de deux façons différentes en fonction du genre,. On retrouve la désinence *-ï en indo-iranien : av. -ï, véd. -F, usuellement remplacé par -yâ, et skr. -inâ; et en italique sous une forme *-îd remaniée en ablatif-instrumental : v. lat. et osque -id, lat. -F. On la retrouve également-dans une forme fixée de-thème pronominal en -i-: lat. quï K en quoi, comment», quïcum «avec qui», ancien instrumental de quis, quid; et en slave même : v. r. ci « est-ce que, si», pol. czy, etc., qui indique que l'instrumental v. si. cimï de cï-to «quoi» (§ 237) représente ci-mï, cf. lit., tûo et luomi de tàs, et fait supposer la même origine à simï, de si « celui-ci » (§ 232). 1

Vocatif : si. -i, lit. -ie, sous l'accent -ië d'intonation douce, de i.-e. *-ei, skr. -e, £iv. -ë; mais le grec a -t, et cf. *-ou et *-u dans le type en -u-, § 158.

Entre la flexion en -u- et la flexion en -i-, une opposition indo-européenne des vocalismes o et e, sans être absolument sûre, apparaît très probable entre gén. *-ous, loc. *-5u, voc. *-ou d'une part, et gén. '*-eis, loc. *-ëi, voc. *-ei de l'autre. Ce peut être une donnée utile dans le problème de l'origine de l'alternance e : o, aussi ancienne et plus énigmatique que l'alternance du degré fort et du degré réduit (§ 117) ; mais donnée bien insuffisante, même admis le rôle des mouillures en indo-européen (§ 16), pour orienter vers l'hypothèse d'une action sur la voyelle de la consonne suivante, et pour autoriser quelque comparaison entre le cas de gr. çépsiv et çopôç c t celui de pol. mieéc «jeter» et miot «jet» (§ 48).

Pluriel. — Nominatif : si. -ïje, v. si. -ije, dans la flexion des masculins, remplacé dans celle des féminins par acc. -i en fonction de nominatif-accusatif ; en regard de skr. -ayah,

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136 LES THÈMES EN -u- [,163]

gr. -ses, -sis, lat. -ës contracté de *-eyes, got. -eis (=- ïs ) contracté de germ. *-iyiz. La désinence est i.-e. *-ey-es, avec addition de la caractéristique *-es de nominatif pluriel à la forme pleine du thème, cf. *-ew-es dans le type en -u-, et dans les athématiques ?-en-es, gr. -rroinévss, lit. àkmen(e)s, *-er-es, gr. Trorrépss, lit. dùkter(e)s, etc. La désinence slave, remaniée, répond à *-iyes (§ 48), gr. dial. -IEÇ, par généralisation du thème -i-. En baltique, la désinence est plus remaniée encore : lit. -ys, lette et v. pr. -ÏS; sous l'accent lit. trys «trois», lette irîs, cas exceptionnel puisque le nominatif pluriel n'est jamais oxyton dans ce type à accent mobile (§ 215). La finale est la même que celle du nominatif singulier masculin lit. -ys de *-ijas (§ 146), et on doit avoir affaire au traitement d'un groupe -ije- en diphtongue (§ 105), mais avec une altération analogique comme dans lit. -ûs du type en -u- (§ 158). La forme *-ijes de la désinence apparaît: donc balto-slave, à la différence de *-uwes dans le type en -u- que suppose le letto-lituanien, mais non le slave qui garde *-ewes, -ove.

Accusatif : si. -i, lit. -is, sous l'accent -is, lette -is, de -ins du vieux prussien (§ 88) : cf.-got.-ms, gr. dial. -îvs, lat. -Is. L'intonation rude du lituanien indiquerait *-ïns, mais elle n'est" pas confirmée par le slave, et il doit s'agir, comme pour -ûs des thèmes en -u-, d'une généralisation de l'accent de l'accusatif pluriel, -ûs des thèmes en .-o- et -às des thèmes en -â-. D'ailleurs le traitement d'une finale *-ins, avec superpo-sition au thème en -i- de la caractéristique *-ns de l'accusatif pluriel, n'est pas clair en indo-européen, et la désinence a été sûrement refaite : le sanskrit présente -In (masc.) et -ïh (fém.), l'avestique -Is.

Génitif : si. *-ïjï, v. si. -ii, représentant *-iy-on, avec addi-tion au thème de la caractéristique *-on de génitif pluriel générale en slave ; lit. -iq, c'est-à-dire -'q avec mouillure de la consonne finale du thème et palatalisation en c', dz dans le cas de i, d (§ 24), et lette -ju, de *-y-ën ou *-iy-ôn. Du thème

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[165] LES DÉSINENCES 137

S exceptionnellement court tr- «trois», on a lit. trijîl, lette triju (v. si. trii), mais la forme, refaite sur le nominatif, lit. irys, ne prouve pas pliis que s.-cr. triju (à désinence de duel, § 304), refait sur tri. Les autres langues présentent des formes av. -yqm (et Qrayqm de Brâyô «trois»), lat. -ium, v. h. a. -eo, -io, et gr. -ecov, mais Tpiœv et dial. -icov. La forme attendue est i.-e. *-ySn, dont *-iySn n'est qu'une variante ; une forme gr. *-eyôn est analogique de nom. plur. *-eyes. En slave, nom. plur. -ïje a été accordé avec gén. plur. *-ïjï, comme inversement, dans la flexion en -u-, gén. plur. -ovû avec nom. plur. -ove. Les désinences balto-slaves devaient être -(i)yôn, -(u)wôn.

Locatif : si. -ïxu, remplacé ordinairement par v. si. -exu. d'après le type en -yo- ; lit. -yse, lette -îs, dont le -ï- est pris au locatif -singulier, lit. -yje, lette -ï, mais on trouve aussi lit. -ise, et dial. -isu qui est la forme ancienne. Cf. skr. -isu, av. -isu, gr. dial. -un.

Datif : si. -ïmû, usuellement v. si. -emu d'après le type en -yo-; lit. -im(u)s, v. pr. -imans. Instrumental : si. -ïmi, lit. -imis. Cf. got. -im (dat.-instr.), et lat. -ibus (dat.-instr.), skr. -ibhyah (dat.), -ibhih (instr.), av. -ibyô (dat.).

Duel. •— Nominatif-accusatif : si. -i, lit. -i, d'intonation rude, de i.-e. *-?, skr. -F, av. -i.

Génitif-locatif : si. -ïju, v. si. -iju, parallèle à gén. plur, *-ïjï, v. si, -ii, avec addition à la forme -ïj- du thème de la caractéristique générale -u du cas ; en regard de skr. -yoh, parallèle à gén. plur. *-yôn, av. -yqm.

Datif-instrumental si. -ïma, lit. -im, sous l'accent -im, dat., -im, instr., parallèle au datif pluriel, si. -ïmu, lit. -ims. et à l'instrumental pluriel, si. -ïmi, lit. -imis, -ims. Cf. skr. -ibhyâm, av. -ibyâ. Pour les formes anomales si. ocima. usima, des duels oci «yeux », Usi « oreilles », anciens neutres, voir § 193.

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138 LES THÈMES EN -u- [,163]

166. Le neutre. — La flexion des neutres en -i- s'est perdue dans les substantifs en slave et en baltique, mais elle a laissé des traces dans les adjectifs et les pronoms.

Nominatif-accusatif singulier : si. -ï, de *-z, skr. -i, gr. -i, etc., dans les adverbes de la série de koll « combien », anciens adjectifs en -i- à flexion partiellement conservée (§ 276), et dans tout le type des adverbes en -ï (§ 320). Le vieux prussien connaît encore le neutre en -z dans la flexion des adjectifs : arwis a vrai », neutre et adverbe arwi.

Nominatif-accusatif pluriel : si. -i dans si « ces choses-ci » et tri « trois » ; de *-ï (comme fém. sing. *-z, si. si « celle-ci »), véd. -z, av. ôrz « trois », lat. trï-ginlâ « trente », en face de lat. -ia plus récent, tria, got. prija, gr. -ioe'(§ 135).

Nominatif-accusatif duel : si. -i dans le slavon si « ces deux choses», peu attesté, et dans les anomaux oci, usi, devenus féminins ; de *-f dans véd. akst « yeux », av. asi, usi « oreilles », qui d'ailleurs doivent être d'anciens athématiques (§ 193). La désinence *-F est surtout connue par la flexion athématique, qui l'a prise au type en -i- (§ 180).

Puisque les neutres en -i- ont disparu en slave et en bal-tique, il convient de rechercher comment ils ont été éliminés. Pour les adjectifs, voir § 276. Dans les substantifs, le suffixe si. -ïce représente à l'origine l'élargissement en *-ko- d'un thème neutre en -i-; il n'est plus lié aux thèmes en -i-, mais un mot comme v. si. srudïce « cœur » doit continuer une forme balto-slave *sirdi-, lit. sirdis, substituée à la forme athéma-tique *sird- (§174).

Un neutre en -i- d'époque indo-européenne est bien attesté : lat. mare « mer », germ. *mari, v. h. a. meri, got. mari-saiws ; il a la forme si. morje, neutre, lit. mârê, fém., et usuellement plur. màrês, mârios, v. pr. mary sans doute de mare, fém. Le baltique remanie en féminins, singuliers ou pluriels, les pluriels neutres en *-â (§ 125) : il faut donc restituer une

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[ 1 6 6 ] LE NEUTRE 139

' ' i

flexion balto-slave *mari, plur. *marjâ, du type nouveau de lat. maria avec généralisation de *-â au nominatif-accusatif pluriel de tous les substantifs neutres, c'est-à-dire balt. *marê, et si. more, morja. C'est sur ce pluriel que le slave a fait son singulier morje. Le pluriel du mot, qui désignait la « mer » et les « eaux de la mer », n'est plus d'emploi courant en slave, mais le lituanien atteste qu'il l'a été en balto-slave, comme celui des noms indiquant une matière.

L'autre mot baltique qui désigne la « mer » est lit. jurés, jûrios, fém. plur., lette jùr'a, fém. sing. ; v. pr. iurin, acc. sing., sans doute de *jûrë, fém. Il peut aussi continuer, avec rema-niement du radical, le neutre en -i- attesté par skr. vâri « eau » et cf. av. vairi «mer», v. angl. wser. En sanskrit, vâri pré-sente le vocalisme long de l'athématique vdr ; en baltique, la racine a le degré réduit *ur-, conservé dans v. pr. wurs «étang », et élargi en jur- d'après la forme à vocalisme plein *êur- de lit. jdura « marécage » ( § 55). Il s'agit d'une racine d'intonation rude qui a été productive en balto-slave avec les deux for-mes *wër- et *ëur- de son degré fort (§ 117), et qui a donné lit. virli, si. vïrêli « sourdre », au sens de la forme à préverbe lit. isvirii, s.-cr. izàvreti, d'où «bouillonner» et «bouillir».

En slave, un autre neutre en ~(j)e pourrait continuer un neutre en -i-. Le mot *pletje « omoplate, épaule », v. si. pleste, r. pleëô, n'est pas séparable de lit. pelis, masculin en -i-(gén. petiës), v. pr. pettis et peîte (fém. en -ë) : le flottement de l'initiale a dû répondre à celui des deux racines i.-e. pet- de gr. TTSTâvvûpi «j'étends» et *plet- de lit. is-plësti «étendre», prés, is-pleciu. Pour les dérivés russes comme beloplëkij « à épaules blanches », ils n'attestent que le jeu de l'alternance k : c en russe.

On a ainsi la trace en slave et en baltique d'une désinence *-jâ, substituée à *-f, de nominatif-accusatif pluriel neutre des thèmes en -i-. Sur la désinence plus ancienne *-ï de pluriel et de duel neutre, comme sur la désinence -ï de nominatif-

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140 LES THÈMES EN -u- [,163]

accusatif singulier, c'est un masculin ou un féminin en -is qui devait être refait : lit. peiis, masc., et lit. sirdis, fém., si. kostï « os », lit. akis, ausis et duels si. oci, usi, qui relèvent de la flexion athématique comme de celle des thèmes en -i-(§.175).

- 167. Les féminins. — Le type est productif en vieux slave. Outre des mots isolés, dont plusieurs sont d'anciens athéma-tiques, il fournit des abstraits postverbaux de même que les féminins en -â- et les masculins en -o-, ainsi zapovëdï « ordre », r. zâpoved', de zapovëdëti « ordonner » ; et des abstraits tirés d'adjectifs, ainsi ivrudï « solidité, firmament », r. tverd', de tvrùdu « solide », r. tvërdyj, et les noms de nombres comme pçtï «cinq» en regard de pqtu «cinquième» (§ 305). Il est attaché à plusieurs suffixes : -tï : vlastï « pouvoir », de vladç «je règne»; -(j)adï: celjadï «gens de la maison»; -lï, -ëlï: gybëlï « perte », de gybnçli « périr » ; -nî, -znï, -snl : ziznï « vie », de ziti « vivre » ; et -ostï, le plus vivant. Il reçoit des féminins étrangers en -i-, comme varï de gr. (3apiç « tour », olokav(u)tosï de ôÀoKcarroocris, et plus généralement des substantifs étran-gers en -i-, comme kadï « cuve » du neutre grec KOCSI(OV). Il sert à l'adaptation des féminins indéclinables terminés par consonne : Jelisavetï, gén. -veii,- de 'EXic-agé-r. Cette produc-tivité se continue au début dans les langues slaves, et le type en -i- attire et absorbe en partie les féminins athéma-tiques en -er- (§ 197) et en *-u- (§ 200). •

Elle se restreint dans la suite, mais sans cesser coinplète-ment, et le type reste important.

Le russe n'y accepte plus les noms propres étrangers, et il transpose « Elisabeth » en Elisavéla, mais il garde les emprunts comme ères' «hérésie» (gr. aïpscnç), kad', tetrâd' « quaternion, cahier » (gr. TSTpàSiov). Il a développé la caté-gorie des postverbaux : svjaz' «lien» de svjazdt' «lier»; celle des dérivés d'adjectifs : glus « profondeur (des bois) » de gluxôj

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[ 1 6 7 ] LES FÉMININS ' 1 4 1

« sourd, (bois) épais » ; des dérivés de locutions : ôzim' « blé d'hiver », de o zimé «vers l'hiver» ; le suffixe -(j)adï: plôscad' « place » de plôskij « plat », en transformant en lôsad' « cheval » un emprunt au turc (§ 195). Toutefois, à l'époque moderne, la productivité du type n'est plus que celle du suffixe -ost', sauf des cas spéciaux comme celui de cel' « but, cible », fém., pris à l'allemand Ziel par l'intermédiaire du polonais cel, masc.

Il en est de même dans les autres langues slaves. Le serbo-croate a connu un développement important du type féminin en -i- et de ses postverbaux, surtout dans le domaine occi-dental : d'un verbe nâdati se « espérer », il tirait librement des postverbaux des trois types, masc. nad « espoir », gén. nada, fém. nada et nad, gén. nadi. Il ne subsiste plus que ndda, et dial. nâd, masculin : le type en -i- s'est sensiblement réduit. C'est exceptionnellement, et surtout avec des finales -s et -z, qu'il peut encore s'étendre à date récente, comme dans kurâz « courage », fém., pris à l'allemand die Courage. Mais le serbo-croate possède deux suffixes productifs du type, en -ôsl, et aussi en -âd, suffixe de collectif affecté à un emploi morphologique régulier (§211).

En tchèque et en slovaque, le type en -i- affirme sa vitalité sous une forme évoluée : celle, du développement d'une flexion mixte zem, gén. zemë (§ 152).

Comme il n'y avait pas de thèmes en *-yi-, c'est en principe une caractéristique du type en -i- (§ 170) de ne pas appa-raître après un ancien groupe palatalisé, non plus qu'après /'. Mais il y a déjà une exception en slave commun, dans le cas spécial des mots comme v. si. nostï, lit. naktis (§ 26), et le principe étymologique n'a plus de raison d'être dans les langues slaves. Toutefois, la productivité limitée du type fait qu'il a été peu dérangé : une forme comme s.-cr. zêd «soif», gén. iêdi, est secondaire de zêda, v. si. zçzda; tch. zbroj «armure», gén. zbroje, est pour v. tch. zbrojë, pol. zbroj a, et

10

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142 LES THÈMES EN -u- [,163]

de la flexion nouvelle de zem, gén. zemë, et s.-cr. dial. ôbicâj «coutume», gén. -ji, est pour le masculin, gén. -ja.

Dans les langues baltiques, le type féminin en -i- reste important, du moins en lituanien, mais plus menacé qu'en slave : il flotte assez largement avec le type féminin en -ë-, et dialectalement, ainsi dans une partie des parlers du lette, il est passé plus ou moins complètement à la flexion en -ë-. On a lit. kandis et kandè « mite », lit. angis et lette ùodze «vipère», et ainsi fréquemment. Il ne s'agit pas seulement de la concurrence de deux procédés de dérivation, lit. kandis et -ë de kându « je mords, je ronge » comme si. kapï et kaplja « goutte » de kapati « goutter » ; mais de la proximité générale des deux flexions mouillées de féminins, en lituanien acc. - j et -ç, gén. -ies et -és, etc., qui provoque des contaminations, et le triomphe de la flexion la plus vivante, en baltique la flexion en -ë-. L'opposition des deux flexions est beaucoup plus nette en slave : au singulier, r. kost', kôsti, kôst'ju, et zemljâ, zémlju, zemli, zemlé, zemlëj; sauf en tchèque, où elles se contaminent fortement, et d'autre part, sur la base du pluriel, une altéra-tion qui s'esquisse en polonais aboutit en haut sorabe au passage presque complet de la flexion en -i- à celle en -yâ-.

168. Évolution de la flexion. — Le russe et l'ukrainien présentent -ej au génitif pluriel (§ 62), et l'extension générale de loc. -(j)ax, dat. -(j)am, instr. -(j)ami. Il en résulte que la , distinction dû type en -i- et du type mouillé en -â-, forte au singulier, n'est plus assurée au pluriel que par le génitif : r. nôci, gén. nocêj, et dûsi, gén. dus. L'extension de -ej au type en -â- se rencontre dans les dialectes russes, mais est très limitée en russe littéraire : vozzâ «rêne», gén. plur. vozzéj, et nozdrjâ « narine », gén. plur. nozdréj, qui est d'ailleurs un ancien féminin en -i-, plur. nozdri en vieux slave, et qui a été incorporé à l'ancien type duel de ôëi, gén. océj. L'instrumental

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[168] ÉVOLUTION DE LA FLEXION 143

pluriel en -mi s'est conservé dans quelques mots : r. • dver « porte », instr. plur. dver'mi (et dverjâmi) ; davantage dans les dialectes russes : noëmi, et usmi de l'ancien duel usima (§ 214). Le vocatif se maintient en ukrainien, mais sous la forme -e, au lieu de -i, du type" mouillé en -â- : nie, voc. nôce„ comme dusâ, voc. dusë. Les alternances sont celles des voyelles mobiles, et rares : r. roz « seigle », gén. rzi, etc., mais instr. rôz'ju, et exceptionnellement, avec e mobile, vôsem «huit», gén. vos'mi, etc., instr. vosem'jû. En ukrainien, on a en outre les alternances o: i et e: i (§ 106),et celle de consonne simple et de consonne longue à l'instrumental singulier (§ 24) : nie, gén. nôcy, instr. niccju; pic «four», gén. pécy.

En polonais, le vocatif est en -i, l'instrumental singulier en -iq, ancienne diphtongue longue issue de -ïjç (§ 62). Le génitif pluriel est en -i, avec extension dans le type mouillé en -â. Les autres cas du pluriel présentent les formes géné-ralisées dans toutes les flexions, loc. -iach, dat. -iom, instr. -iami, avec conservation de l'instrumental pluriel -mi dans quelques mots, comme kosc «os», koéemi, et aussi koéciami. Au nominatif-accusatif pluriel, la désinence -i est largement concurrencée par -ie du type mouillé en -â- : baên « fable », plur. basni et bdénie. On trouve l'alternance de e mobile : wesz « pou », gén. wszy, wies « village », gén. wsi (et instr. wsiq) ; et les alternances de o et é (§ 47), g et q (§ 66) : soi « sel », gén. soli, glqb « profondeur » (avec durcissement de la labiale, § 22), gén. glçbi.

En sorabe, le vocatif est perdu ; l'instrumental singulier est en -'u (kôseu) ; le génitif ^pluriel en -oui, avec conservation limitée de -i (kôscow et aussi kôsci) ; le locatif, le datif et l'instrumental pluriels en -'ach, -am, -'ami; le génitif duel en - owu, le locatif-datif-instrumental duel en -oma, h. sor. -omaj. La flexion est proche en bas sorabe de celle des fémi-nins du type mouillé en -a-; gén. plur. kôscow comme dusow. En haut sorabe il y a eu passage général à ce type, sauf au

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144 LES THÈMES EN -u- [,163]

nominatif-accusatif singulier : kôsc, gén. sing. et nom.-acc. plur. kôsce pour b. sor. kôsci, etc. L'alternance de Te mobile joue sans régularité, comme à l'ordinaire en sorabe (§ 119); pësen et pësn « chant », gén. pësni.

En tchèque, où le vocatif -i n'est plus que littéraire, l'instrumental singulier est en -i- (§ 55), pour v: tch. -'û, (§ 62), en slovaque -'ou (§ 152). Le génitif pluriel est en -/, avec extension dans le type mouillé en -â-, Les désinences anciennes loc. plur. -ech, dat. -em, instr. -mi subsistent dans la langue écrite, mais sont remplacées dans la langue parlée par -ich, -im, -ima, et en slovaque par -iach, -iam, -'ami, comme dans les féminins mouillés en -â-.' Le fait important du tchèque et du slovaque est la contamination des flexions féminines en -i- et en -yâ- et le développement d'une flexion mixte du type zem, gén. zemë (§ 152). On a l'alternance de l'e mobile : ves, gén. vsi.

En slovène, l'instrumental singulier est en -/o, sous l'accent -jy- comme -Q du type en -â-, qui est produit de contraction ; le génitif pluriel est en -i, sous l'accent -i, produit de con-traction ; le locatif pluriel est -eh ou -ih, le datif pluriel -em ou -im, l'instrumental pluriel -mi. Dans l'alternance de la " voyelle mobile, le timbre est e, sous l'accent â (§ 58) : pêsem « chant », gén. pêsmi, ravân « plaine », gén. ravnî.

En serbo-croate, le vocatif en -i est conservé ; l'instrumen-tal singulier est en -/«, et aussi en -i, désinence nouvelle de locatif-datif-instrumental singulier, outre d'autres remanie-ments dans les dialectes (-jôm, etc.). Le génitif pluriel est en -ï, avec une extension aux féminins en -â- dans le cas de thèmes à groupe de consonnes, tùzba « plainte », gén. plur. tùzbï; le locatif-datif-instrumental pluriel est en -ima, avec quelques vestiges d'une désinence -ma qui continue l'ancien instrumental en -mi: stvâr «chose», stvârma, mais usuelle-ment stuârima. On a l'alternance de l'a mobile, et celle de / et-ô (§ 15) : mîsao «pensée »', gén. mîsli; et des alternances

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[169] LES MASCULINS 145 j

consonantiques à l'instrumental singulier en -ju, particuliè-rement avec les dentales et les labiales, et par suite du développement assez récent de groupes tj, pj en c, plj : srnï-t « mort », smrcu de dial. smrlju, zôb « avoine », zôblju de dial. zôbju.

En bulgare, la flexion, avec perte du vocatif, est réduite à l'opposition du singulier et du pluriel : nost, plur. nôsti, avec des formes à article postposé nostlâ, plur. nôstite. Cette flexion ne diffère de celle des masculins comme mésec « mois », plur. méseci, avec l'article mésecât, mésecite, que par la forme de l'article au singulier. Il en résulte une grande confusion entre le type féminin de nost et le type masculin, qui étend à des masculins l'article -ta et le genre féminin : pépelât et pepeltâ « la cendre », prahât et prahtâ «la poussière, etc.; et qui, inversement, aboutit dans certains dialectes bulgaro-macé-doniens à une absorption plus ou moins complète du type nost dans les masculins : macéd. krv «sang» fém. ou masc.,

'déterm. krvia et dial. kârfot (§ Ï24).

169. Les masculins. — Le type subsiste en lituanien, mais de façon très limitée : ainsi vagis « voleur », gén. vagiès, gentis « parent », etc. Il flotte avec la flexion des masculins en -yo-, et il a presque complètement disparu en lette. Des masculins en -is sont devenus féminins : lit. ugnis « feu », mais le lette uguns, de *ugns, est resté dialectalement masculin. Beaucoup d'autres se sont fondus dans les masculins en -yo-, et on ne les reconnaît plus. Le nom baltique du « cygne » est v. pr. gulbis, lit. gulbis, masc. (gén. -bio) et fém. et usuellement gulbë, lette gulbis, masc. (gén. -bja), et on doit le considérer comme balto-slave, sans en pouvoir restituer exactement la forme : le slave a h. sor. kolp',masc. (gén. -p/a), kachoube kelp «cygne», r. kôlpik « héron spatule » et dial. kolp', fém., qui doit être le mot antérieur en slave à l'emprunt *âlbandï (§ 69). Il s'agit sûrement d'un ancien thème en -i-, acceptant les deux genres

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146 LES THÈMES EN -u- [,163]

comme nom d'animal, et qui, comme masculin, a passé à la flexion en -yo-, et comme féminin a tendu à passer en baltique à la flexion en -ë- (§ 167).

En slave, les masculins en -i- sont encore bien représentés à l'époque du vieux slave, et ils constituent un type net, qui attire les masculins de flexion'athématique (§ 177), mais qui se maintient encore à part des types dominants de masculins en -yo- et en -o- avec lesquels il va bientôt se contaminer et fusionner. Voici les exemples sûrs de ces masculins en vieux slave, y compris le slavon d'origine vieux-slave, avec leur évolution ultérieure dans les langues slaves, qui renseigne sur le mode de disparition du type. Il importe, on le verra (§ 170), de disposer les mots d'après la consonne finale du thème, dentale, labiale, etc. :

pçtï « chemin », gén. pçti: r. put', gén. puti, dernier vestige du type en russe littéraire, mais aussi gén. putjâ, blanc-russe pue', gén. pucjâ; ukr. put' est féminin; pol. dial. pqc, gén. pacia, et sor. pué ; tch. pout, fém., mais dialectalement mas-culin (gén. poutu) ; slov. pçt, masc., gén. pçta, et fém., gén. potî; s.-cr. pût, gén. pûta; bulg. pat, déterm. pâtjat. Ce mot, représenté en baltique par v. pr. pintis, est un ancien athématique (§ 175).

gostï «hôte» : r. gost', gén. gôstja; pol. gosé, gén. goscia, et sor. gôse; tch. host, gén. hosta, mais dial. hosV, gén. hosië, slovaque host', gén. host'a, et le vieux tchèque conserve le génitif hosti; slov. gôst, gén. gôsta, s.-cr. gôst, gén. gôsta; bulg. gost, déterm. gôstjat. Le mot slave, répondant à got. gasts, masc! en -i-, lat. hostis, doit être un emprunt au ger-manique (§ 12), de même que gospodï (§ 170), et substitué à un mot balto-slave comme lette vïesis, v. pr. wais-, l'hôte étant rétranger qu'on héberge (lit. vâisinli) dans la communauté familiale qu'est la *vis-, si. vïsï « village ».

zetï « gendre » et « mari de la sœur » : r. zjat', gén. zjdtja, pol. ziçc, gén. ziçcia; v. tch. zët, gén. zëti, tch. mod. zet', gén.

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[169 ] LES MASCULINS 1 4 7

zelê, et dial. zet, gén. zeta; slov. zèt, gén. z'çta, s.-crJzët, gén. zêta ; bulg. zet, déterm. zétjat, gén. zeië en moyen bulgare. Cf. skr. jnatih « parent », avec un autre vocalisme radical. Les formes baltiques sont lit. zéntas et lette znuôts, mais une forme plus ancienne de masculin en -i- pourrait être attes-tée par le lette dialectal znuôtis, passé à la flexion en -yo-. Le mot est un dérivé de la racine verbale i.-e. *genh- « connaître » et « naître » (§ 98), qui apparaît en balto-slave, seulement au sens de « connaître », sous les formes *zën-, *zïn-, lit. zén-, zin-, et *znô-, si. zna-. Il a été refait sur cette racine, et c'est pourquoi il y a divergence même entre lituanien et Jette, la forme znuo- du lette conservant le traitement régulier uo de *ô qui a été éliminé dans le verbe zinât (§ 49).

tïstï «père de la femme» : r. test', gén. téstja; pol. tesc, gén. teêeia, pour pol. ancien et dial. ciesc, gén. ccia; v. tch. test, gén. cti, puis ctë, testé et testa; slov. iâst, gén. tâsta, s.-cr. tâst, gén. tâsta; bulg. iâst, déterm. tâstât, mais gén. teste en moyen bulgare. Le mot est parallèle au féminin svïsti « sœur de la femme », qui a l'aspect d'une déformation hypoco-ristique du nom de la « sœur », ancien *swesr- (§ 37) : ce peut être une déformation analogue d'un nom de parenté, par exemple le nom de l'oncle par alliance sur la base du nom de la «tante», teta, r. tëtka (§ 203).

tatï «voleur» : r. lat', gén. tâtia; slov. tôt, gén. tâta, s.-cr. tât, gén. tàta. ,

gospodï, voir § 170. Ijudïje « peuple, gens » : pol. ludzie, r. Ijûdi, etc. Cf. lette

l'àudis, masc. plur. C'est sûrement un emprunt à un thème masculin en -i- du germanique (§ 55). Un singulier r. Ijud «peuple», pol. tud, tch. lid, est postérieur au vieux slave : il remplace Ijudïje passé au sens d'« hommes » et à la fonction de pluriel supplétif de clovëku, et doit être le postverbal d'un verbe *ljuditi « peupler » plus ancien que pol. (za)tudnic. De même lit. liâudis, fém. sing., est une création nouvelle

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148 LES THÈMES EN -u- [,163]

avec changement de l'intonation, qui est douce en lette et en slave (S.-cr. Ijûdi).

medvëdï «ours» : r. medvéd', gén. -dja, pol. niedzwiedé, gén. -dzia, et sor. mjedzviedz ; tch. medvëd, nedvëd, gén. -da, slov. médved, gén. medvéda, s.-cr. mèdvjed, gén. -da, moyen-bulg. medvëdu, gén. -da. Le mot, proprement « mange-miel », est composé de la forme medv- de medu «miel» (§ 159), et d'une forme dérivée de la racine verbale jad- « manger », après consonne -ëd- (§ 75).

V. si. usidï « fugitif », gén. -di, de u-iti « s'enfuir », part, passé usïdu.

golçbï «pigeon» : r. gôlub', gén. -bja, et dial. gôlub, ukr. hôlub, gén. -ba, en raison du durcissement de -b' (§ 22) ; pol. golqb, gén. golçbia, et sor. golub' ; tch. holub, slov. golçb, s.-cr. gôlub, gén. -ba, bulg. galâb (pour gô-), déterm. -bât. Le mot ressemble fort à lat. colombus, -ba, et il peut être un emprunt, comme nom de l'oiseau domestique. Il est en effet ignoré du baltique, le vieux-prussien golimban « bleu » étant pris à pol. golçbi «de pigeon» et anciennement « couleur de pigeon», ,r. golubôj, et les termes des langues baltiques étant autres, v. pr. poalis, etc.

*cïrvï «ver», v. si. cruvï : r. cerv', gén. cérvja, pol. czerw, gén. -wia, et sor, cér'w' ; tch. cerv, slov. crv, s.-cr. crv, gén. -va; le bulgare cérvej, moyen-bulgare cruvii, est passé au type masculin en -ii (§ 146) par réfection sur le pluriel v. si. cruvije. Cf. lit. kirmis, masc. et fém., skr. kfmih, masc. Le mot slave est sûrement déformé de *cïrmï conservé dans l'adjectif v. si. crûmïnu « rouge »,• par incorporation à un groupe de masculins en -vï qui devait être assez représenté, et dont l'un, *panarvï, ponravï « ver blanc », est de sens tout voisin (§ 171).

zvërï «bête fauve» : r. zver', gén. zvérja, pol. zwierz, gén. -rza; v. tch. zvër, masc. et fém., gén. zvëri et zvërë, tch. mod. zvër, féminin de sens collectif, gén. zvëre, du type à flexion

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[169] LES MASCULINS 149

i mixte zem, gén. zemë; slov. zvêr, fém. ; s.-cr. zvïjer, fém. (et collectif, § 211), mais avec un pluriel masculin usuel zvjërovi; bulg. zvjar,. déterm. zvjârât, complètement passé au type dur, d'où le -ja- (§51) par jeu d'alternance sur plur. zverové, comme dans le type grjah « péché », plur. grehové, mais moyen-b.ulg. dzvërï, gén, dzvërë, Cf. lit. zvèris, masc. et fém., v. pr. swïrins (acc. plur.). Le mot est un ancien athéima-tique (§ 174) : il a conservé dialectalement en lituanien des traces de la flexion athématique, gén. plur. zvèr% pour zvèriy,, et c'est sûrement pourquoi il est passé en lette au type dur des masculins, zvêrs, gén. zvêra.

bolï « malade » : r. dial. bol', gén. bôlja, à côté de r. bol'., fém. au sens de « douleur ».

çglï «charbon» : r. ûgol', gén. ûglja, pol. wçgiel, gén. wçgla; tch. uhel, gén. uhle (et uhlu), slovaque uhol', gén. uhl'a; slov. §gel, gén. ggla, mais dial. ogelj, comme s.-cr. ùgalj, gén. ùglja. Cf. v. pr. anglis, lit. dial. anglis, masc. (gén. ânglio), mais lit. anglis, fém. (acc. anglj d'intonation douce), d'où lette iiogle avec passage aux féminins en -ë-.

Slavon mozolï « meurtrissure », gén. -Ii : r. mozôl' « cal », fém. et aussi masc. (gén. mozôl ja) ; pol. modzel, ancien mozol, masc., (gén. -lu).

V. si. grutanï «gosier» : r. gortân', fém. ; pol. krtan, fém., mais ancien masculin (gén. -nia) ; tch. hrtan, chrtdn, masc. (gén. -nu). Ce mot, qui présente des variantes nombreuses, bas-sor. g jars de *gurtï, slov. grtânec et dial. grcânjek, s.-cr. grkljan et grtljan, est de formation obscure : on restitue un thème *gurl- d'après le russe et le sorabe, mais en désaccord avec le polonais qui suppose *grul- (§ 74), ce qui fait penser à une contamination ancienne de racines, celle de *glûlati « ava-ler », r. glolât', et celle de *gurdlo « gorge », r. gôrlo.

Slavon bëgunï « fuyard », gén. -ni : r. begûn «coureur», pol. biegun; tch. bëhoun, mais aussi v. tch. bëhûn. Le suffixe

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150 LES THÈMES EN -u- [,163]

slave -uni et -unu est sûrement emprunté" au roman -on-, avec deux adaptations différentes.

ognï «feu» et v. si. ognjï, gén. ogn(j)i (et ognja, voir § 170) : r. ogôn', gén. ognjâ, pol. ogien, gén. ognia, s.-cr. àganj, gén. àgnja, etc. Cf. lit. ugnls (§ 39), skr. agnlh, et lat. ignis avec une déformation de l'initiale qui, comme en letto-lituanien, doit être en relation avec le groupe gn et sa gutturale . nasa-lisée.

stënï « ombre » et v. si. stënjï, gén. slëni en slavon : v. r. stënï, masc. (gén. stënja) et fém., r. steri et ten, fém. ; pol. cien, masc. et fém., avec trace d'un plus ancien écien dans le verbe v. pol. zascienic «ombrager», mod. zacienic; v. tch. stien, masc., gén. -në et -nu, et fém., gén. -ni, tch. mod. sUn, masc., gén. -nu, et dial. Un, slovaque stien ; slov. ténja, féminin qui peut être secondaire d'un ancien pluriel masculin *(s)tenje. La forme ancienne est stënï, masc., qui s'altère en tënï (§31), et le mot est bien distinct en vieux slave de l'autre nom de l'« ombre », sënï, fém., avec lequel il s'est naturellement plus ou moins contaminé dans la suite. Le mot sënï a dû signifier le « reflet » et est en rapport avec le verbe sïjati « luire », cf. skr. châyâ « reflet, ombre », got. skeinan « luire », gr. OKIOC

«ombre» : le traitement si. s- de i.-e. *sk'- doit avoir été le traitement à l'initiale, par simplification d'un groupe chuin-tant (skr. ch-), en regard de -sk- (skr. -cch-) à l'intérieur du mot (§ 12). Le mot stënï, qui semble avoir désigné plutôt l'« ombre d'un corps», pourrait être, comme stëna « paroi », un dérivé de la racine balto-slave *stip-, *stib-, de lit. stipti « se raidir », staipyti « étendre », sliebas « pilier », si. stïblo « tige », r. slëbeV.

On ajoutera v. si. ozemï « banni » d'après acc. plur. ozemi posulavû IÇopÎCTas Supr. 467i, d'où ozemïstvo « bannissement ». Le mot peut s'expliquer par *ot-zemljq « (chassé) du pays » (§ 34), mais plutôt par une locution o zemlji, o zemi (§ 28) indiquant la nature de la peine comme o xlëbë « (condamné)

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[170] ÉLIMINATION DU TYPE 151

au pain (sec) », si bien que l'existence du substantif en dehors de la locution fixée n'est que probable.

170. Élimination du type. — En s'en tenant à ces mots, déjà assez nombreux, dont la flexion est bien attestée par les textes vieux-slaves ou d'origine vieux-slave, on voit que le type a été important et productif : il formait des noms d'agents dérivés de racines verbales, medvëdï, usidï, il accueil-lait d'anciens athématiques et des mots d'emprunt. L'adap-tation des athématiques se poursuit à l'époque du vieux slave ; pour celle des mots d'emprunt, elle a cessé, et les mas-culins latins ou grecs en -ius, -ios, ou terminés par consonne, sont traités de façons diverses : en vieux slave gén. Antona et Antonija d'« Antoine, 'AVTCOVIOS », gén. Avela et Avelja d'« Abel, "AgsÀ », mais non plus comme masculins en -i- ( § 209). Pour les noms de personnes, le développement du génitif-accusatif exigeait un accusatif en -a, donc le rattachement à une flexion masculine à génitif en -a : la langue n'a pas déve-loppé de génitif-accusatif en -i, si ce n'est de façon limitée et secondairement, tati, zçti en vieux slave tardif, Husi en vieux tchèque (§ 171). L'action, du génitif-accusatif et du sous-genre personnel se voit clairement dans la flexion d'un nom de personne qui devient nom propre, gospodï « seigneur », usuellement Gospodï « lé Seigneur » :

V. si. gospodï, gén. gospodi, mais ordinairement gospoda ou gospodja (écrit gospodë, § 78), génitif et accusatif; datif gospo-di, rare, ordinairement gospodu, gospodju ou gospodevi, autre marque du sous-genre personnel (§ 162). Les formes nouvelles du type dur indiquent un durcissement de la consonne finale de gospodï, fait dialectal en vieux slave (•§ 21). L'instrumental en -emï et le locatif en -i restent du type mouillé ; le vocatif gospodi se maintient, et tout le pluriel, nom. gospodije, etc., garde sa flexion en -i-, parce qu'il n'est pas nom propre, et que son singulier est le singulatif gospodinu (§ 212). Évincé

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152 LES THÈMES EN -u- [,163]

par: gospodinu, r. gospodin, etc., ou par d'autres mots, pol. pan, etc., gospodï ne subsiste que comme terme religieux, en serbo-croate, en î>ulgare-et en russe ; si le slovène a gospôd, gén. -da, c'est par perte du singulatif (§ 212). Le vieux tchèque ne connaît .plus que le vocatif Hospodi ; le serbo-croate fléchit Gospôd, gén.-acc. Gôspoda, et voc. Gôspode. Le russe, avec le souvenir d'une prononciation d'Église Hospod- (§ 11), présente les formes du type dur qu'avait adoptées le slavon : Gospôd', gén.-acc. Gôspoda, dat. -du, et il les a étendues à loc. -de, instr. -dom, en gardant le vocatif purement slavon Gôspodi ; mais l'ukrainien Hospôd' oppose à gén.-acc. Hô-spoda un datif Hospodévi du type mouillé. Pour le mouve-ment d'accent, voir § 218.

Le mot gospodï, dont l'histoire est compliquée comme généralement celle des mots q-ui désignent le «maître», le « seigneur », est parallèle à lit. viespatis (mod. viëspats), thème en -i-, qui est lui-même en regard de skr. viçpatih « chef (pâtih) de la communauté familiale (vie-) ». Il s'agit d'un vieux composé indo-européen, plus ou moins remanié, et lit. vies-, v. pr. wais- dans waispatiin, fém. (acc. sing.), paraît être le nom de l'« hôte », lette viesis. Le slave, qui a sûrement pris gostï au gotique (§ 169), a dû lui emprunter aussi un com-posé *gast-fadi- répondant au composé baltique.

La distinction des deux types masculins mouillés en -yo-et en -i- était liée au système des alternances consonantiques : le type en -yo-, de vozdï «guide» en regard de voditi « conduire », de vûpljï « clameur » en regard de vupiti « clamer », était celui des thèmes terminés par groupe palatalisé (§ 24) ; le type en -t-, de medvëdï « ours », fém. sunëdï « nourriture »,. en regard de siïn-ëdati «manger », était celui du thème terminé par consonne simple. Cette distinction n'est plus qu'étymo-logique, mais elle reste nette, dans le cas des thèmes terminés par dentale ou labiale, et un génitif Gospodja f-dë) est dû à

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[170] ÉLIMINATION DU TYPE 153

une cause spéciale. Au contraire, avec les chuintantes, formes mouillées des gutturales, la distinction n'existe plus, et il est impossible de reconnaître si strazï « gardien », vracl « médecin », sont d'anciens thèmes en -yo- ou en -i-. Il sont fléchis en vieux slave comme thèmes en -yo-, flexion qui pour mçzï au moins doit être secondaire (§ 159), et les quelques désinences du type en -i- qu'ils peuvent présenter, ainsi nom. plur. strazije, instr. plur. strazïmi, n'attestent plus que l'extension nouvelle de ces désinences dans le type en -yo- (§ 172), et indiquent une raison de cette extension. Il y avait un cas où des thèmes en -i- pouvaient offrir un thème en -st- et non en -t- : c'est dans le type féminin de nostï « nuit » ( § 167), et c'est sans doute pourquoi malomostï « infirme », composé de malu « petit » et mostï « puissance », est traité comme féminin en vieux slave, bien que de sens masculin.

Avec l, r, n, la distinction de V, r', n mouillés et de Ij, rj, nj chuintants existait encore en vieux slave (§ 25), mais bien moins stable que celle des séries t', p et st', plj. De zvërï « bête fauve », on trouve déjà en vieux slave le génitif zvërë, pour zvëri, qui est génitif-accusatif et sera la forme du moyen bulgare. Le nom du « feu », ognï, présente la forme ognjï comme s.-cr. àganj, slov. ôgenj, et le passage à la flexion en -yo- : gén. ogn(j)i, mais ordinairement ognja. On pensèrait à une prononciation chuintante du groupe mouillé gn (§ 39), si l'on n'avait pas aussi v. si. stënjï « ombre » pour stënï, gén. stëni. C'est sûrement du nominatif pluriel, stënï je, zvërïje, passant à stënje, zvërje, qu'ont été tirés les thèmes nouveaux stënj-, zvërj-, comme plus tard dans le serbo-croate dialectal tjûdi pour Ijûdi « hommes », de tjudïje, tjudje.

Les consonnes mouillées se durcissaient dans une partie des dialectes vieux-slaves (§ 21), et pçtï «chemin» ( = pçt') passait à pçtu (= pçt). Dans ce domaine dialectal, qui est également celui du serbo-croate et du slovène, les masculins en -i- devenaient thèmes durs et devaient être attirés, non

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154 LES THÈMES EN -u- [,163]

par le type mouillé en -yo-, mais par le type dur en -o-. On trouve un exemple isolé du fait, dat. pçtu pour pçti, en vieux slave occidental, outre gén.-acc. Gospoda, dat. Gospodu, qui l'a emporté sur Gospodja, -dju, et s'est imposé en slavon.

Le vieux slave fait connaître le début de l'élimination des masculins en -i-. Cette élimination a été progressive, et le vieux russe et le vieux tchèque conservent encore en partie la flexion ancienne. Elle a été plus ou moins rapide selon la nature de la consonne finale du thème, et elle a donné des résultats différents selon les langues : avec passage normal au type en -yo- dans les langues qui conservent les mouillures) russe, polonais et sorabe, et du type en -o- dans les langues qui les ont perdues.de bonne heure, serbo-croate et slovène, et avec des flottements entre les deux types dans les langues qui les ont perdues de façon moins complète et plus tardi-vement, tchéco-slovaque et bulgare.

171. Vestiges des mots du type. — Pour l'extension-ancienne du type des masculins en -i-, les données du vieux slave, déjà abondantes, peuvent être complétées par celles du slavon et des autres langues slaves. On est guidé par l'aspect des mots : des masculins dé flexion mouillée comme r. medvéd', à thème terminé par consonne simple et ne remon-tant pas à "un. groupe palatalisé, sont en principe d'anciens masculins en -i-. Voici une liste complémentaire présentant des identifications assez sûres, ou soulignant les problèmes qui se posent.

Slavon mogçtï « un puissant » : c'est évidemment le participe présent mogy, mogost-, de mosti « pouvoir », employé comme substantif et passé du type athématique au type en -i- avec conservation du thème primitif mogçt- (§ 279).

Vieux-russe et vieux-serbe kumetï « notable paysan, chef d'un district », d'où des sens divers, « paysan » (pol., slov.), «vieillard» (tch.) : pol. kmiec, gén. -cia, gén. plur. kmiëci, et

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[171] VESTIGES DES MOTS DU TYPE 155 ) '

aussi kmiot, du type athématique, en vieux polonais (§206); tch. kmet, gén. kmeti en vieux tchèque, puis kmetë et kmeta ; s.-cr. kmèt, gén. -ta. L'emprunt baltique v. pr. kumetis, lit. kùmetis, garantit la forme ancienne du mot. C'est le latin cornes, gén. comitis, avec un vocalisme roman cornet- (§ 47), et le roumain cumei n'est pas un emprunt au slave, mais le mot roman d'origine devenu romano-slave.

Slavon zelçdï «gland», gén. -dja, r. zôlud', gén. -dja; pol. zolqdz, fém. mais ancien masculin, gén. zolçdzia; s.-cr. dial. zèlûd, gén. -da. Le baltique présente une autre formation, lit. gilê, etc., mais qui peut être abrégée, la finale -andis étant un suffixe dans d'autres mots : cf. lit. iilés « plancher de la barque », fém. plur., et lette tilandi, masc. plur. En effet, la finale du slave, qui peut être d'un ancien athématique (§ 175), concorde avec celle de lat. gldns, gén. glandis, fém., et le grec pâÀocvos fait supposer que la forme indo-européenne du mot était complexe et comportait au moins un -n-. La racine gil- du baltique a dû être abstraite d'un mot plus long pour permettre la formation de dérivés comme lette zïluôt « porter des glands » et « faire la glandée ».

*labçdï « cygne », pol. labçdz, gén. -dzia, s.-cr. lâbûd, gén. -da, etc., sans doute adaptation d'un mot germanique, avec le suffixe -andi- (§ 69).

Slavon rysï «lynx», gén. rysi: r. rys', fém. mais dialecta-lement masc., gén. -s/a; pol. rys, gén. -sia; tch. rys, slov. rîs, s.-cr. rîs, gén. -sa, bulg.' ris, détêrm. risât. Cf. lit. lûsis, masc. (gén. -sio) et fém. (gén.. -sies), lette lûsis, masc.; le vieux-prussien luysis paraît refait sur le mot slave, avec la diph-tongue ui qui rend si. y (§ 53). On retrouve le mot en germani-que, v. h. a. luhs, et en grec, AùyÇ, gén. ÀuyKÔs, mais sous des formes un peu différentes. La forme balto-slave doit avoir été Hûksis; il serait hardi d'expliquer l'initiale r- du slave par l'iranien et par un commerce ancien de peaux de lynx avec les Sarmates.

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156 LES THÈMES EN -u- [,163]

Slavon et v. r. navï «le mort», v. tch. nav «séjour des morts», avec des traces d'une flexion de masculin en -i-. Cf. v. pr. nowis « corps (mort ?) ». Dérivé de la racine de v. si. u-nyti « être abattu », r. nyt' « faire mal », factitif v. tch. u-naviti « tuer », lit. nôviti « tuer, tourmenter », lette nâve a la mort ».

*teterv ï «coq de bruyère», slavon letrëvï : russe ancien teterevï, gén. teterevi (jusqu'à la fin du xve siècle) et -vja, r. mod. lélerev, gén. -va; l'adjectif teterevinu, r. mod. teterevinyj, est du type gostinu « d'hôte, de marchand, gostï », mod. gostinyj, des dérivés de thèmes masculins en -i-; —• pol. cietrzew, gén. -wia; s.-cr. tëtrijeb, gén. -ba, avec le -b de jàrëb « perdrix », etc. Cf. v. pr. tatarœis, et lette teteris, gén. -rja, avec réduction à -rj- du groupe -rvj-.

*panarvï, ponravï, v. r. ponorovû «sorte de gros ver» : pol. pandrôw «chrysalide, asticot», gén. -owia, avec des variantes, collectif neutre pandrowie, plur. pandry, qui s'expliquent par un pluriel pandrowie; tch. ponrava « ver blanc», et pondrav, etc. ; s.-cr. pùndrâv «ver des animaux», pàndrâv «charançon». Ce mot, à déformations nombreuses, est un dérivé de *pa-nerti, ponrëti « s'enfoncer ».

Les masculins Hetervï et *panarvï attestent l'existence d'un petit groupe de masculins en -vï, auquel est venu se joindre *cïrvï « ver » pour *cïrmï, qui peuvent continuer des thèmes en -u- (§ 159). Le cas du mot suivant est plus compliqué :

Slavon russe stïrvï « charogne », r. stérvo et fém. slérva,, mais pol. écierw, masc., gén. -wa, à côté de scierwo, s.-cr. strv, masc. Le flottement de genre s'expliquerait bien par une flexion *stïrvï, masc., plur. *stïrva, neutre, c'est-à-dire par un ancien neutre *sliru-, qui pourrait être un dérivé en -u- de la racine *ster- de v. si. -strëti « étendre », prés. -stïre-, désignant une chose allongée sur le sol. Et cf. *ceroo « ventre », § 191. ' Pour zeravï « grue », voir § 175.

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[171] VESTIGES DES MOTS DU TYPE 157

Slavon dëverï « frère du mari » : r. déver , pol. dial. dzièwierz, tch. dever; slov. dev^r, gén. -rja, et dçver, gén. -ra; s.-cr. djëvêr, bulg. déver, déterm. -rai Cf. lit. dieveris, avec des traces de flexion athématique : c'est un ancien athématique en -er- (§ 198).

V. si. veprï <c verrat », sans flexion attestée à date ancienne : r. vepr', avec un adjectif veprinyj, qui doit indiquer un thème en -i-; pol. wieprz ; s.-cr. vëpar. Cf. le lette vepris.

Le vieux serbe a synovï « fils du frère », gén. -vi, mot qui a disparu devant son élargissement en -ici, s.-cr. sinovac, r. ancien synôvéc, etc. En slovène, sinçvec signifie «petit-fils» et « neveu » : le sens premier est « fils d'un des fils », neveu par rapport à celui qui n'est pas son père. Le mot synu a eu sûre-ment un adjectif *synovu, qui a été remplacé par v. si. synovïnjï, r. synôvnij, du type des adjectifs possessifs en-m/7 des noms de. parenté (§295), et s.-cr. sînov est nouveau, comme pol. synôw, pour l'ancien sinovnji passé à sinovljï. C'est de cet adjectif qu'a été- tiré synovï, thème en -i-, d'après le groupe de zçtï, etc.

Il y a présomption que v. r. upirï « revenant » est un thème masculin en -i- d'une formation parallèle à celle de v. si. usidï « fugitif », sur la racine *per- de v. si. perçtù « ils s'envolent », et qui désignait le mort qui s'échappe de sa tombe. Le mot est déformé dans les langues modernes : r. upyr , mais dial. upîr', pol. upiôr, et s.-cr. và(m)pïr, avec substitution à u- de va- slavon (§ 60), qui a donné au xvnre siècle le nom européen du « vampire ». Plus déformé encore est le nom de la « chauve-souris », r. nélopyr, etc. : on doit aussi supposer ici un ancien *notopirï «qui vole de nuit» (§ 36). On ajoutera encore :

*alsï «élan» (§ 69) : r. los', gén. lôsja, avec un génitif pluriel losii et un duel losi, du type en -i-, en vieux russe, et un adjectif dérivé losinyj ; pol. los, gén. losia; tch. los, gén. losa.

R. lôsôs' « saumon », gén. -sja, pol. losos, gén. -sia; tch. losos, gén. -sa.

i i

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158 LES THÈMES EN -u- [,163]

Pol. sledz « hareng », gén. -dzia; le mot est féminin en russe, sel'd', selëdka, mais le diminutif seledéc en russe dialectal, en ukrainien et en blanc-russe, montre qu'il était antérieurement masculin. C'est un emprunt ancien au Scandinave sild, adapté en *sïlïdï.

*rçpï : pol. rzqp «croupion», gén. -pia, et sor. r'ap' « échine » ; s.-cr. rêp « queue ».

Mais cette identification d'anciens masculins en -i- par interprétation des formes modernes n'est pas absolument sûre. Le slavon jarçbï « perdrix », peu attesté, et éliminé dans une partie des langues slaves par un autre mot, r. kuropâtka, etc. (§ 203), est confirmé par le polonais ancien et dialectal jarzqb, gén. jarzçbia, en regard de tch. jefâb («grue», par confusion avec zerâv), slov. jerçb, s.-cr. jàrëb, gén. -ba. En baltique, le lette a irbe, fém., qui doit s'expliquer, comme lit. gulbè « cygne », par un ancien masculin en -i- (§ 169), et par un suffixe -bis. Le mot slave et le mot baltique ont sûre-ment une origine commune, et il faut alors partir de la racine i.-e. *iër-, *iôr-, de si. jar- «saison chaude», tch. jaro «prin-temps », r. jarovôe « blé de printemps », etc., et v. si. jarû «violent», r. jâryj, etc., avec le degré réduit *Ir- qu'on a supposé dans lat. Ira « colère » : ce nom de la « perdrix » doit avoir été celui du perdreau de la couvée de printemps, avec l'addition directe du suffixe -bis en lette, et en slave sa super-position au suffixe *-en- des noms d'êtres jeunes (§ 183). Le serbo-croate gàlëb « mouette », bien qu'isolé, peut être ancien — si toutefois il ne s'agit pas d'un emprunt —, et il accepterait une explication semblable en partant de la racine slave *gal- de v. si. glagolu « parole », glasu « voix », forme longue *gâl-, qui a pu servir à désigner divers oiseaux criards, r. gâlka « choucas », etc. Mais pour pol. jastrzqb « autour », gén. jastrzçbia, et sor. jatrëb', la flexion mouillée est secondaire et imite celle de jarçbï et de golçbï « pigeon » (§ 22) : le vieux

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[1.72] VESTIGES DE LA FLEXION 159 | .

polonais a gén. jastrzqba, et le vieux russe atteste jastrjabu, mod. jdstreb, avec un. adjectif possessif jastrjablï qui n'est pas du type en -inû des dérivés de thèmes en -i- (r. golubînyj). Il est donc impossible de reconnaître dans ce mot le suffixe balto-slave --bis, sL.-ç-bï, et de dégager un thème (j)astr- qui rappellerait lat. accipiter « épervier ». On peut supposer un composé slave obscurci, comme dans le cas de v. pol. jabrzqd, v. tch. jabradek « sarment », qui est en regard du kachoube brzôd « fruit » (de *brëdu) et de la famille de lit. brésli « former son fruit, mûrir », et qui pourrait avoir désigné la pousse inutile, le «gourmand» qui mange le fruit, *jad-bredû. Pour ces composés à premier terme verbal, dont l'identification est devenue très hypothétique, cf. jçcïmy, § 185.

Il faut aussi tenir compte des flottements de genre, qui sont fréquents. Le russe a gus' «oie», gén. gusja, mais le mot est féminin en vieux russe, et dans les autres langues, ukr. hus', pol. gçs, v. tch. hus, comme en baltique, lit. zqsis, et le mot germanique auquel si. gçsï doit son initiale g- (§ 12), v. h. a. gans, thème en -i-, est également féminin. Cet ancien athé-matique (§ 174) était, comme les noms d'animaux, masculin ou féminin selon qu'il désignait le mâle ou la femelle : gr. ôx^v et f) xr|v. Le vieux-tchèque hus devient masculin comme nom d'homme : Hus, gén.-acc. Husi (§ 170). Mais un genre s'était fixé pour indiquer l'espèce animale, en balto-slave le féminin, et le masculin du russe, qui ne désigne pas le « jars », gusâk, est secondaire. Secondaire aussi le masculin chot' « époux » du tchèque, gén. v. tch, choti, cholë: v. si. xotï est féminin au sens d'« amant » comme à celui d'« amante ». Le mot talï « otage » du slavon et du vieux russe est masculin, mais fémi-nin comme collectif : c'est sûrement un abstrait féminin tiré d etoliti «apaiser» comme tvarï «création» de tvoriti i créer ».

172. Vestiges de la flexion. — Le type des masculins en -i- était important à l'époque du vieux slave ; il n'était

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160 LES THÈMES EN -u- [,163]

plus productif en général, mais il semble qu'il ait pu encore accueillir quelques formations nouvelles. Le moyen bulgare atteste olrovï « poison » à flexion de masculin en -i-, au moins partiellement : c'est une des nombreuses formes de postver-baux du verbe otruti «empoisonner», prés, otrove-,^ en serbo-croate àtrov, masc., gén. -va, ôtrôv, fém., gén. ôtrovi, et ôtrova (§ 167), une forme plus ancienne étant r. otrâva. A côté de v. si. gladu « faim », r. gôlod, etc., on trouve, remontant au vieux slave, le masculin gladï de flexion en -i- : on le suit en moyen bulgare et jusqu'au bulgare dialectal ot glâdja « de faim », on en a la trace en moyen serbo-croate dans instr. sing. glademï, et il semble réapparaître à date récente dans la flexion féminine s.-cr. glâd, gén. glâdi. Il est vraisemblable que le point de départ de cette flexion est l'adverbe en -ï v. si. gladï «de faim» (§ 320), tiré du substantif gladû.

Mais le type avait commencé de se contaminer avec les autres types de masculins. Par fusion avec eux, il était appelé à s'éliminer, mais il n'a pas disparu tout d'un coup, ni tout entier. Plusieurs de ses désinences ont été productives et se sont étendues dans le type mouillé en -yo-, comme les désinences du type en -u- dans le type en -o-. Il en est résulté un type nouveau de masculins, à flexion mixte et flottante, type instable, mais qui a joué un rôle important dans l'évolu-tion de la flexion des masculins, et qui a laissé des traces nombreuses ; pour l'accentuation, voir § 221. Les désinences qui s'étendent sont :

nom. plur. -ïje, puis -je : v. si. vozdije pour vozdi « guides », mais inversement pçti pour pgtije « chemins » ;

gén. plur. *-ïjï, -ii, -ei, puis -F ou -ej : v. si. vracei pour vracï «des médecins»;

instr. plur. -ïmi, parallèle à -ûmi du type en -u- dont il est la forme mouillée, et les deux désinences se confondent en -mi: v. si. zûlodëimi pour zûlodëi « par les malfaiteurs »;.

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[172] VESTIGES DE LA FLEXION 161

•. I

instr. sing. -ïmï, parallèle à -umï : v. si. nozïmï pour riozemï «par le couteau»; mais ici c'est -emï du type en -yo- qui se substitue à-ïmï en vieux slave et en slave méridional (§ 161).

Ce flottement des désinences des types en -yo- et en -i-, bien qu'ancien dans les thèmes en chuintante dont le nomi-natif-accusatif singulier pouvait appartenir aux deux types, est très rare dans les textes vieux-slaves. Il se multiplie en slavon et dans les langues slaves, et de mçzï « homme » on a nom. plur. mçzije, gén. mçzii, instr. mozïmi, pour v. si. mçzi, mçzï, mçzi, et à coté de ces formes.

En russe, la flexion masculine en -i- s'est maintenue-assez longtemps, et elle reste reconnaissable dans put' « chemin », gén.-loc.-dat. puti (mais aussi gén. dial. putjd, dat. puljû), instr. putëm, nom.-acc. plur. puti, gén. putéj. Au singulier, on trouve encore dialectalement ogôn «feu», gén. ogni, et den «jour», gén. dni, pour ognjâ, drija de la langue commune. La conser-vation de ces formes a été surtout tenace avec des mots de l'ancien type athématique passés à la flexion en -i-, ainsi kâmen' « pierre », gén. kameni jusqu'au début du xvin e siècle (mod. kâmnja). Un vocatif Gospodi de Gospôd' « Seigneur » est slavon. Au pluriel, une flexion nom. gosti « hôtes », gén.-acc. gostej, instr. gostmi, était encore courante au xvie siècle, et avec des mots comme knjaz' « prince », ko ri' « cheval », qui n'appartenaient pas originellement au type, mais lui ont été de bonne heure incorporés, et elle subsiste dans Ijudi « hommes », gén.-acc. tjudéj, instr. Ijud'mi (mais putjâmi de put'). Le génitif pluriel -e/ a été généralisé dans la flexion du type mouillé, parallèlement & -ov dans le type dur : noz « couteau », nozéj. Mais le nominatif pluriel v. r. -ïje avait disparu, remplacé par nom.-acc. - i : Ijudi, puti. Les formes en -ja des mots comme muz « mari », plur. muzjâ, sont donc d'autre origine : ils continuent des collectifs en -ïja et -ïje ( § 2 1 1 ) .

En ukrainien, le génitif pluriel en -ej, et dial, -yj, n'apparaît

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162 LES THÈMES EN -u- [,163]

que dans quelques mots, hostéj, kônej, etc., et la désinence du type mouillé est normalement -iv. comme dans le type dur. Les mots de cette sorte gardent un instrumental pluriel en -my : hisl'my, kin'my (et kônjamy).

En polonais, le nominatif-accusatif pluriel en -ie confond le nominatif en -ïje du type en -i-, en -e du type athématique) et l'accusatif en -ë du type en -yo-. Il a été généralisé dans la flexion mouillée, ainsi que le génitif pluriel en -i, en la mesure où ils ne sont pas concurrencés par le nominatif pluriel personnel en -owie et le génitif pluriel en -ôw : golqb « pigeon », nom.-acc. plur. golqbie, gén. golebi. On observe une conser-vation restreinte de -mi pour -iami usuel : ludzmi, goécmi, et par extension bracmi de brada « frères ».

Le sorabe a un nominatif-accusatif pluriel en -je dans les mêmes conditions que pol. -ie. L'instrumental pluriel en -ymi pour -ami qu'il présente dans quelques mots en -c et -z, comme pjenjezymi de plur. pjenjezy « argent », doit s'expliquer par une réfection de -mi (pol. pieniçdzmi) sur le nominatif-accusatif pluriel en -y.

En tchèque, où la flexion masculine en -i- s'est maintenue longtemps comme en russe, quelques pluriels animés en -é, comme hosté, lidé, conservent sous une forme remaniée la désinence de nominatif pluriel -ïje, qui donnait une diph-tongue -ie, v. tch. hostie, Vudie. Ils disparaissent en tchèque parlé : lidi. Le tchèque littéraire garde une flexion nom. plur. lidé, acc. lidi, gén. lidi, loc. lidech, dat. lidem, instr. lidmi. Mais cette flexion est archaïsante, et hosté, acc. hosti et hosly, gén. hosti, dat. hostem, représentent en fait nom.-acc. hosti de la langue parlée, gén. hostû, dat. hostûm (prononcé -um bref). Le slovaque a nom. plur. Vudia de -ie (§142, § 211).

En slovène, le nominatif pluriel -je des mots comme Ijudjç a été étendu à un grand nombre de substantifs, ainsi fànt « garçon », plur. fânlje, dans un emprunt à ital. faute, du lombard fanihjo. Une flexion de pluriel Ijudjê, acc. Ijadî,

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[ 1 7 2 ] VESTIGES DE LA FLEXION 163

| gén. Ijudi, loc. tjudêh, dat. Ijudêm, instr. Ijudmi, légèrement remaniée, avec loc. -éh de -ëxu du type en -o- pour -éh, s'est maintenue avec quelques substantifs, soit anciens thèmes en -i-, crv « ver », tât « voleur », soit nouveau-venus dans le type. mçz «mari», zgb «dent», lâs «cheveu» de v. si. vlasu. De pçt « chemin », féminin et masculin (§ 169), l'instrumental singulier est pçtem.

En serbo-croate, quelques masculins présentent une forme de génitif pluriel en -f, ou en -iju; forme secondaire de duel (§ 214) : Ijûdi, crv, gén. plur. Ijudï, crvï, gôst, gén. plur. gôsti et gostiju ; et aussi prst « doigt », ancien thème dur (v. si. prusiû, r. perst), gén. plur. prsiï et prstiju. Le génitif pluriel en -F connaît une petite extension à des substantifs complé-ments de noms de nombre, ainsi pêt sâtî « cinq heures », de sât, sâhat, emprunt au turc, d'après quelques masculins, comme pût « chemin, fois », qui se construisent usuellement avec nom de nombre. Un locatif-datif-instrumental pluriel en -ma, continuant l'instrumental -mi, se conserve régionale-ment dans Ijûdma, zùbma, kônjma. De pût, outre le génitif pluriel pûtï au sens de « fois » et après nom de nombre, on a l'instrumental pûtem et le pluriel putevi à côté de putom, pûtovi. On trouve aussi dialectalement des accusatifs pluriels Ijûdi, gôsti pour tjûde, gôste de la langue commune, et une flexion Ijûdi, acc. Ijûde, qui dérive de nom. tjudje, acc. Ijudi, et garde le souvenir altéré de la désinence de nominatif pluriel -ije que le serbo-croate a complètement éliminée comme le russe. Ce sont là des débris épars d'un type flexionnel de masculins, continuant avec une flexion mêlée le type en -i-, qui a eu son importance en serbo-croate comme dans les autres langues slaves, et qui, les formes de génitif pluriel en -iju le prouvent, s'est contaminé avec les vestiges du duel. C'est la résistance de ce type à l'extension du pluriel en -ove, -ovi (§ 163) qui explique les pluriels courts du serbo-croate, gôsti, zûbi, vtâsi, etc.

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164 LES THEMES EN -u- [162]

En bulgare, quelques pluriels en -e comme mâzé « maris » continuent la désinence -ïje, mais confondue avec la désinence -e du type athématique qui a eu aussi son extension (.§ 206) : moyen bulg. strazije et straze de strazï « gardien ». Pour Ijude «gens», le macédonien lûg'e atteste qu'il représente bien Ijudje, v. si. Ijudije. De la flexion de pat, déterm. pâtjat, il est resté l'adverbe pâtem « en chemin, en passant ».

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CHAPITRE VI

LA FLEXION ATHÉMATIQUE

173. Caractéristique du type. — C'était à l'origine la flexion générale des noms en indo-européen, le type unique de flexion nominale (§129), à part la flexion de quelques pronoms dont les désinences particulières ont servi à constituer le type, devenu très important en slave, de la flexion pronominale (§ 225). Mais les désinences de la flexion nominale s'ajoutaient à des thèmes variés. L'indo-européen ne présente plus une flexion nominale unique, mais plusieurs flexions « théma-tiques », avec leurs désinences propres, en regard de la flexion « athématique » qui est celle où les désinences n'ont pas fusionné avec les thèmes. Les flexions productives sont les flexions thématiques : leur élément thématique,-o-, -i-, etc., offre un support commode aux désinences à initiale consonan-tique, nom. sing. -s, loc. plur. -su, désinences en -bh-j-m-, tandis que dans le type athématique ces désinences créent des groupes de consonnes qui s'altèrent ou donnent des alter-nances compliquées. En dehors du hittite, qui ne connaît pas les désinences en -su et en -bh-J-m- et où le type athématique apparaît vivant et garde son unité, les langues indo-europé-ennes qui conservent le mieux le type le montrent fragmenté, en fonction de la consonne finale du thème, en quantité de groupes grands ou petits, chacun avec quelques particularités de flexion.

L'élimination progressive du type athématique dans la

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1 6 6 LA FLEXION ATHÉMATIQUE [ 1 7 4 ]

flexion nominale est semblable à celle du type des présents athématiques en -mi dans la flexion verbale, comme à celle de divers types de dérivation. La raison en est la même, l'incommodité des désinences ou des suffixes à initiale consonantique. Le passage d'un type vivant à un type qui n'est plus que traditionnel, par fractionnement dû à des causes phonétiques, s'observe en slave dans l'histoire de l'autre grand type verbal, celui des présents en -e-. Il n'y a plus un type de déclinaison nominale athématique, il y a plusieurs types parallèles. Pour éviter les groupes de consonnes qui dans toutes les langues s'altèrent plus ou moins, et à l'extrême en slave (§ 30), le recours était possible à la flexion thématique la plus voisine, celle des thèmes en -i-, et le latin remplace le datif pluriel en -bh-j-m-, skr. -bhyah (padbhyâh « aux pieds ») par -ibus (pedibus), le balto-slave par lit. -ims, si. -ïmu. C'était créer une contamination entre la flexion athématique et la flexion en -i-.

Le baltique et le slave gardent des restes importants de la flexion athématique, et le balto-slave en gardait sûrement beaucoup plus. Mais ce ne sont que des restes, morcelés en plusieurs catégories distinctes, et qui tendent à passer à d'autres flexions, le plus directement à celle des thèmes en -i-. La productivité qu'on observe encore est celle de certaines catégories représentant des types de dérivation, ou celle de certaines désinences.

174. Restes du type en slave et en baltique. — Le bal-tique et le slave conservent, avec dés flexions qui ne sont plus pures, mais où se reconnaissent des désinences propres au type athématique : des substantifs en -men- masculins (§ 185) et neutres (§ 186), des masculins en -en- (§ 183) et isolément en -n- (§ 182) ; en slave des masculins en -i- (§ 189) et des pluriels masculins en -jan- (§ 187), -tel-, -ar- (§ 188) ; des neutres en -es- (§ 190) et en -et- (§ 194) ; des féminins

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[174] JRESTES DU T YPE EN SLAVE ET EN BALTIQUE 167

S ' • '

en *-û- (slave, § 200) et en -er- (§ 197) ; deux noms de nombre, « quatre » ( § 304) et « dix » ( § 306) ; et quelques formes du type dans la flexion du participe présent actif en -nt- (§ 278), du participe passé actif en *-us- (§ 282) et du comparatif en *-is- (§ 286), outre une forme unique dans la flexion en -ï-(§154). ..

Tandis qu'en slave la flexion athématique disparaît après le vieux slave, généralement de bonne heure, plus tardivement en tchèque, et qu'il n'en subsiste que des vestiges dans les langues modernes, elle s'est maintenue quelque peu en litua-nien jusqu'à l'époque actuelle, et les données du baltique, bien que tardives, complètent celles du slave.

Le vieux prussien garde seyr « cœur » de *sër, i.-e. *kër(d), gén. *krd-, hitt. ker, kart-, gr. KÎjp, lat. cor, gén, cordis ; il a refait sur cette forme de nominatif-accusatif neutre une flexion masculine acc. sïran, gén. sïras, acc. plur. sirans. Le letto-lituanien a lit. sirdis, fém.., acc. sird{, et dial. serdis; acc. sérdi, lette sirds, de *sër d'intonation rude et *sird-d'intonation douce (§ 101), avec des traces de flexion athé-matique, gén. sing. sirdès, gén. plur. sirdty, serdy, en lituanien ancien et dialectal. Le slave présente la forme élargie *sïrdïce. Pour v. pr. smunents « homme », voir § 196.

Avec d'autres mots encore, le letto-lituanien conserve, dans la flexion en -i.-, des formes du type athématique, en vieux lituanien et dans les dialectes gén. sing. -es, -s, pour -ies, nom. plur. -es, -s, pour -ys, gén. plur. pour -ify, qui attestent l'origine athématique de ces mots :

si. zvërï «bête fauve» : lit. zvêris, nom. plur. zveres, gén. zvéri£, cf. gr. ôfjp, gén. Qripôs (§ 12) ;

si. dëverï « beau-frère » : lit. dieveris, nom. plur. dievers, cf. gr. 85iip, gén. Sôœpôs (§ 171) ;

si. dvïrï, fém., usuellement plur. dvïri «porte» : lit. dùrys, plur. fém.,, et dial. dùres, gén. dùrity et dùrfy', lette dùrvis, et dial. duris, gén. duru ; v. pr. dauris. Le mot est un ancien

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168 LA FLEXION ATHÉMATIQUE [174]

athématique à vocalisme alternant : skr. dvârah, fém. plur., acc. durdh, avec d- pour dh- ; v. h. a. turi, de *dhur-, fém. en -i- avec trace de flexion athématique ; Iât. foris, de *dhwor-, usuellement plur. forës, avec passage au type en -i-. Le dérivé thématique était *dhworo-,,v. perse d(u)vara- «porte», lat. forum, forus, si. dvoru « cour ». On reconnaît en balto-slave une flexion *dvar- : dur- avec altération de l'alternance (§ 117), création sur dur- d'un degré fort nouveau daur- en vieux prussien, et sur *dvar- d'un degré réduit *dvir- en slave. Le lette dùrvis doit représenter une contamination de *dvar- et dur- en *dvur-, c'est-à-dire *duur-, d'où *duur-, durv- ;

v. si. nostï «nuit» : v. pr. naktin (acc. sing.), lit. naktis, gén. plur..dial. naklty, lette nakts, gén. plur. dial. naktu. Cf. lat. nox, gén. noctis, véd. nàk, duel ndklâ, got. nahts et v. h. a. naht de flexion athématique (gén. got. nahts), gr. vûf, gén. VUKTÔÇ.

II s'agit d'un très ancien dérivé en -i- d'une racine que le hittite présente dans nekuz « le soir » et le verbe nekuzi « là nuit vient » ; v

lit. zqsis « oie », gén. plur. dial. zqsy,, lette ziioss, gén. plur. zùosu, cf. gr. x^v, gén. X'nvôs- Le slave *gçsï a la flexion secondaire en -i- du mot germanique, v. h. a. gans (§12) ;

v. pr. dantis «dent», lit. dantls, masc. et fém., gén. plur. dant%et nom. plur. dantes en lituanien ancien. Le mot était un athématique à vocalisme alternant : skr. dân, acc. ddntam, gén. datâh ; d'où la différence de vocalisme entre gr. ôSoov, gén. ÔSÔVTOÇ, et lat. dëns, gén. dentis, et à l'intérieur du germanique entre v. h. a. zand (masc. en -i-) et got. tunpus (masc. en -u-). Cette différence se retrouve en balto-slave entre le baltique dant- et le slave *dçsna «gencive» : s.-cr. dêsna, usuellement plur. dêsni; tch. dâsnë et dâsen, dial. dâsno, slovaque d'asno; pol. dziqslo, mais ancien et dial. dziqsno et dziqsna, le flottement entre les deux flexions féminines dans ces langues et le "passage au neutre s'explïquant par le duel

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£ 174 ] RE S TES DU T YPE EN SLA VE ET EN BAL TIQ UE 169

S

*dçsnë (§ 214); r. desnâ pour ?djasnâ, plur. dësny avec une alternance e : ë secondaire (§ 121), mais ukr. jâsny. Ce dérivé en -na, de forme -sna avec thème terminé par dentale (cf. § 31), conserve l'ancien nom slave de la « dent », *dçt- remplacé par zçbu, et la trace d'une flexion balto-slave dant-: *dinl- ;

lit. obelis « pommier », fém. gén; sing. obéis à côté de obeliès, nom. plur. ôbeles, gén. obeli-lette âbele avec passage au type en -ë-, mais dial. âbels. Ce mot doit attester l'existence d'un type athématique en -el- en balto-slave, qu'on trouve par ailleurs dans le type -tel- du slave (§ 188). Le vieux-prussien woble «pomme», en regard de wobalne «pommier», si. *âbalni-, slavon ablanï, r. jâblon avec finale altérée, pourrait attester une alternance vocalique. Le nom de la « pomme » est en slave abluko, r. jâbloko, élargissement en -ko d'un neutre *âblu- (§ 159), et c'est également un thème en -u-, sinon un neutre, que suppose le germanique, v. h. a. apful, masc., plur. epfili, où la consonne géminée s'expliquerait bien par une flexion *aplu-, cas obliques *aplw-, d'où *appl-; le lituanien ôbuolas, avec le suffixe -uolas de qzuolas «chêne», etc., est une forme remaniée.

Lit. debesis «nuage», gén. plur. debesy,, continue un thème consonantique en -es- (§ 19Q), et zuvls «poisson», gén. plur. zuv%, un thème consonantique en -û- (§ 200). Le lette gùovs «vache», gén. plur. dial. guovu, représente un vieux thème indo-européen en *-ôu- (§ 159), et le dérivé slave govçdo « bœuf, gros bétail », r. govjâdo, permet de poser en balto-slave une flexion à alternance vocalique *gôv- : *gav-, celle de skr. gâuh, loc. gâvi.

Il y a d'autres cas, assez nombreux en lituanien, de génitifs pluriels en -u et de désinences -es du type athématique dans la flexion de thèmes en -i-. Mais ils ne sont plus probants : ils ne représentent plus en letto-lituanien qu'une contamination des deux flexions et qu'un flottement de désinences, comme en latin le flottement de -e et -ï à l'ablatif singulier, de -um

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170 LA FLEXION ATHÉMATIQUE [ 1 7 4 ]

et -ium au génitif pluriel, et la-confusion après syllabe longue des types de dëns ,(gén. dentis), athématique ancien, et de mens «pensée, esprit» (gén. mentis), pour *mentis, dérivé en -ti-. Lit. pàts «époux», subst., et «lui-même», pronom (§ 256), est pour patis et présente une flexion de pur thème en -i-, gén. patiës, gén. plur. paëi%, comme skr. pâtih, gr. TTÔCTIÇ

lat. potis (« capable de »). Par conséquent le composé viëspats «maître» (§ 170) est pour l'ancien viespatls, cf. skr. viçpàtih (§ 175), et des formes gén. sing. viespatès, gén. plur. viespal%, n'autorisent pas à supposer une flexion athématique par comparaison avec lat. compos « maître de », gén. compotis, qui est un postverbal de v. lat. compotiô, forme à préverbe de polio « rendre maître ». ' Il y a en lituanien extension dialectale de gén. sing. -es dans le type en -ï-, et en lette le génitif -s, de -es, a été complè-tement substitué dans ce type, à -is, de -ies (§ 165), Dans des génitifs pluriels comme lit. krûl% de krûtis «poitrine, sein», et priezastq. de priezaslls «cause », abstrait en -tis sur la racine de -zadëti « parler », prés, -zadù, on reconnaîtra une

• tendance à éliminer la forme -cify et son alternance consonan-tiquei De même dans lit. dial. de ulis « pou », usuellement utê, lette utu de uls et ute, mot auquel répond si. vusï, r. vos, gén. vsi, avec une finale -sï d'hypocoristique (§ 10), et qui doit être une création de la langue familière. Et lit. dial. aus^ de ausis « oreille », lette dial. àusu de àuss, ne saurait être ancien dans une flexion en -i- refaite sur le nominatif-accu-satif duel (§ 193). Il y faut voir, en lette, la perte de l'alter-nance s : s de dus-, gén. plur. àusu, et en lituanien, où les consonnes sont mouillées devant voyelle prépalatale et dures devant voyelle postpalatale (§ 16), et où l'on a aus'- dans ausis comme dans ausiil, une répartition nouvelle de consonne mouillée devant les désinences en -i- et de consonne dure devant la désinence Dans le système des alternances de prononciation dure et molle du lituanien, la distinction de

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[175] ANCIENS ATHÊMATIQUES 171 i

et de -y, peut facilement se brouiller. De façon semblable, dans les langues slaves qui conservent les mouillures, on observe une certaine extension de la finale dure du génitif pluriel à désinence ancienne -û (§ 206).

175. Anciens athématiques. — C'est l'histoire des mots et la comparaison à l'intérieur du balto-slave et entre le balto-slave et les autres langues indo-européennes qui renseignent sur l'origine athématique d'une partie des thèmes en -i-: de si. mogçtï (§ 171) ; de si. mysï «souris», cf. gr. IJIOS, gén. uuôç, skr. muh, lat. mus, gén. mûris ; de lit. ântis « cane » en regard de si. *çty (§ 203), cf. lat. anas, gén. anitis (§ 97), v. isl. çnd de flexion en partie athématique et en partie en -i-(v. h. a. anut, fém. en -i-).

SI. vïsï « village » est l'ancien athématique skr. viç-. Un vocalisme plein est conservé dans l'adverbe gr. (f)oka-8s « vers la maison », et c'est cette forme pleine que le baltique présente au premier terme du composé lit. viëspats, v. pr. waispat-, mais sans doute par remaniement de *vis- et ratta-chement secondaire au dérivé lette viesis «hôte» (§ 170).

SI. solï « sel », de *sali-, et lette sàls, de *sâli-, lit. dial. sôlymas « saumure », répondent à gr. &Aç, gén. ôcÀés, avec l'alternance quantative de lat. sâl, gén. salis.

Lit. nôsis « nez », fém., lette nâsis « narines, naseaux », fém. plur., v. pr. nozy, fém. en -ë-, et lat. nârês, fém. plur., répondent de même à un athématique à alternance quanti-tative, véd. ndsâ, duel, gén. nasôh, instr. sing. nasâ. L'alter-nance s'accuse en balto-slave dans l'opposition entre le thème *nâs- du baltique et le thème *nas- du slave nosu, masculin en -o-, et en vieux prussien entre nozy et le dérivé ponasse « lèvre supérieure », littéralement « ce qui est sous (po-) le nez ». Le germanique atteste *nas-, avec des adaptations diverses, et avec des traces de *nâs~. Il faut sûrement partir du duel, et alors les formes du baltique sont refaites sur le

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172 LA FLEXION ATHÉMATIQUE [ 1 7 4 ]

nominatif-accusatif duel, à désinence *-ï en balto-slave (§ 180), la forme de masculin du type dur du slave l'est sur les cas obliques du duel, gén.-loc. nasôh en védique, *nosu en slave.

V. lit. nepuotis « petits-fils », et nepolis avec un flottement de finale qui rappelle celui des adjectifs en -uotas et -otas, répond à lat. nepôs, gén. nepôtis, skr. nâpât, et, avec alter-nance vocalique, av. napâ, acc. napâtam, gén. naptô, loc. plur. nafsu. Cette alternance vocalique a été sûrement connue du balto-slave, et sa conservation explique le traitement nouveau du groupe pt dans le dérivé si. *netïjï « neveu » (§ 35). Elle a dû être connue aussi du germanique : s'il n'a pas refait la flexion du mot sur un thème nepôt- mais sur le nominatif singulier, v. h. a. nëvo, avec le passage courant au type en -n-, c'est sans doute que la flexion était *nepô(t)s : *nept~. Pour le féminin v. lit. nepté, lat. neptis (si. nestera, §198), il continue une autre flexion, skr. naptih (§ 154).

SI. zelçdï « gland », qui se retrouve presque exactement dans lat. glâns, gén. glandis, plus lointainement dans gr. (3âÀavos et lit. gllé, doit être un vieux mot à finale athématique, et qui pouvait comporter une alternance vocalique dans la syllabe radicale (§ 171).

SI. zeravï (v. r.) « grue », masc., s.-cr. zërâv, pol. zôraw, gén. -wia, etc., avec diverses altérations dans les langues slaves (r. mod. zurâvl'), a comme correspondant baltique lit. gérvé, etc., fém. On doit restituer une flexion balto-slave à nominatif en *-ôus, comme dans le lette gùovs « vache » (§159, § 174), et à génitif en *-ues. La finale du latin grûs peut représenter *-5us : on retrouverait ainsi sur thème. *gerh-, gr. yépoc-vos, lit. gér-v-é, lette dzet--ve d'intonation rude (§ 98), une formation très ancienne de l'indo-européen à vocalisme alternant, *gr(h)-âus, *gérh-w~.

SI. pçtï «chemin» est en regard de v. pr. piniis, qui offre un autre vocalisme radical. Une flexion athématique n'est

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[ 1 7 5 ] ANCIENS A THÊMA TIQ UES 1 7 3

pas indiquée sûrement par lat. pôns, gén. pontis, niais elle l'est par skr. pânthâk, acc. pânthâm (véd.), gén. pathâh, instr. plur. pathîbhih, av. pantâ, acc. pantqm, gén. paQô, instr. plur. paddbis. L'aspect anomal de cette flexion en indo-iranien tient seulement à ce que la racine était *ponth-, *pnth-, avec un groupe *tk de la dentale et de l'aspirée h (§ 98) : ce qui renseigne sur une des origines au moins des sourdes aspirées (§8) et sur la raison pour laquelle elles donnent des sourdes simples en balto-slave (§ 97). On doit supposer acc. *pontehip,, gén. *pnthes, d'après acc. * mater m, gén. *mâtres, gr. !ir|TÉpa, jjLTjTpôç, et c'est sur acc. *-ehrn, donnant -dm en indo-iranien qu'a été refait nom. -as. En balto-slave, tout se ramenait à une flexion à vocalisme alternant *pant-: pinl-.

SI. kostï « os », fém., malgré son initiale k- inexpliquée, et que n'explique pas le parallélisme de koza « chèvre » en regard de skr. ajâ, ne peut pas être séparé du nom indo-européen de l'« os » : skr. àsthi, neutre, gén. asihnâh, av. as-(ca), gén. astô, plur. asti; lat. os (s gén.ossis, qui peut garder la trace d'une prononciation *osst de *ost (§ 30), d'où oss étendu aux cas obliques ; et cf. hitt. hastai, neutre. Sans confronter hitt. hast-et skr. asth-, il paraît clair pour le slave qu'il faut poser un athématique neutre *ost à pluriel *ostï (§ 179), et que le singulier kostï est secondaire de kosti, ancien pluriel neutre devenu féminin. Le baltique a un autre mot, v. pr. caulan, etc., et ne renseigne pas ; c'est dommage, car kostï s'est écarté en slave de la racine *as- de oslru « aigu » qu'il rencontrait pour rejoindre la racine *kas- « racler » de kosnçti « toucher », cesati «peigner», et on entrevoit le jeu d'une étymologie populaire.

Pour les duels oci « yeux », usi « oreilles », voir § 193. Ainsi les traces reconnaissables d'athématiques passés à

la flexion en -i- sont nombreuses en baltique et en slave. La flexion athématique, qui n'apparaît plus que limitée à certains thèmes et attachée à certains suffixes, était encore aussi représentée en balto-slave qu'elle l'est vers la même

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174 LA FLEXION ATHÉMATIQUE [174 ]

époque en latin, dans des noms-racines comme dans des thèmes sufïixaux. Le type des noms verbaux du slave comme masc. usidï «fugitif» (§ 169), fém. rëcï «parole», doit sûre-ment sa voyelle longue en alternance avec la brève du verbe (§ 116) à son origine athématique, la longue du nominatif étant généralisée comme dans lat. uôx, gén. uôcis, en regard de uocô «j'appelle », skr. vak, gén. vâcâh, en regard de vivakti « il parle », pour av. vâxs, gén. vaëô, gr. hom. (F)OTTÔS. Le composé si. medvëdï «ours» répond à l'athématique skr. madhuv-âd- «qui mange le miel», si ce n'est que le balto-slave a généralisé la forme *ëd- de la racine i.-e. *ed- « manger ».

Les alternances vocaliques étaient caractéristiques de la flexion athématique. Elles se sont maintenues longtemps én balto-slave, et l'on en retrouve des vestiges encore importants : *sër : sird-, qui paraît s'être conservé assez tard en baltique ; *dvar- : dur-, avec des remaniements du degré fort en daur-et du degré faible en *dvir- qui montrent que l'alternance restait vivante ; dard-: *dint-, et *pant~: pint-; *gôv~: *gav-, et *gerôv~: gerv-; *nepôt-.: *nept~; *sâl~: *sal-, et *nâs-: *nas~. L'alternance *vais- : *vis- "est moins probante, mais l'on a d'autres exemples encore, comme *sâul- : *sûl-, voir ci-dessous ; *ketûr- (dè *ketwôr-) : ketur- (§ 304).

Une influence de la flexion en -i- sur la flexion athématique est ancienne à certaines désinences, et une contamination des deux flexions, comme en latin, était particulièrement aisée en balto-slave, où à l'accusatif singulier et pluriel i.-e.

et *-im se confondaient en -in, i.-e. -ris et *-ins en -ins. Ceci n'est pas général, et si en latin acc. -em et -im sont assez proches pour flotter entre eux, il n'en est pas de même en grec, où irôS-a de la flexion athématique n'a pas de ressem-blance avec TTÔÀ-IV de la flexion en -i-. Aussi le grec maintient-il le type athématique sans contamination avec le type en -i-, et c'est le type athématique qu'il garde jusqu'à l'époque

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[175] ANCIENS ATHÉMATIQUES 175

actuelle, acc. TÔV Trccxépa, nom. plur. oi îrcrrépss, et dont il étend largement la désinence nom. plur. -es, et -Ssç d'un de ses anciens thèmes consonantiques.

En slave, le passage des athématiques au type en -i- se poursuit à l'époque du vieux slave, et plus tard. Mais les athématiques ont pu être incorporés à d'autres flexions, ainsi nosu ; pour brat(r)u « frère », sestra « sœur » et le traitement des noms de parenté en -er-, voir § 198. Leur élimination s'est opérée par des voies diverses. Ils ont cédé1 la place à des dérivés dans mësçcï « mois, lune », *sulnïce «soleil», comme dans *sïrdïce « cœur ».

Du nom de la « lune » ou du « mois », le thème est mens-dans lat. mënsis, gén. plur. ancien mënsum, et dans gr. pr|V, gén. privés, d'après le lesbien gén. nfjvvos. Mais un groupe i.-e. *ëns devait se réduire : il donne *-ën ou *-ë au nominatif masculin singulier des thèmes en -en-, et il devait donner aussi *-ës d'après le parallélisme de *-ôns, *-âs à l'accusatif pluriel des féminins en -û- (§ 150). Ce n'était pas seulement un trai-tement de finale, car c'est mâs- que l'on trouve en indo-iranien: skr. mâh, gén. mâsah. En baltique, le lituanien présente la flexion mënuo, gén. mënesies, à côté de mënesis, gén. -sio, lette mënes(i)s, et le nominatif anomal -uo est sûrement antérieur à -esis normalisé, et paraît confirmé par v. pr. *menins (altéré en menig). Les finales en -uo du lituanien, -ins probable en vieux prussien, sont des remaniements d'une finale *-en de thème en -en, et il est clair que le letto-lituanien *mënes- résulte d'un passage secondaire de *mëns- au type en -es- (§ 191). On restitue ainsi pour le baltique une flexion *mën, cas obliques *mëns-, avec élargissement de *mën en *mën-ën par une sorte de réduplication de la finale -en, et indépendamment du germanique qui atteste le thème *mën-, mais généralisé, et avec un passage à la déclinaison « faible » en -n-, got. mena « lune », v. h. a. mâno, assez ordinaire chez d'anciens athématiques. Dans le slave mësçcï, la forme -ci de

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176 LA FLEXION ATHÉMATIQUE [174]

l'élargissement garantit une forme de base *mësin- (§ 19), de *mësn-. Il est probable que la finale -qcï, de *-inka-, a été la forme des élargissements en i.-e. *-ko- des thèmes en -en-, en regard de -yku du type en -men- (§ 183). Le slave *mêsn- est trop près du baltique *mëns~ pour ne pas dériver d'une même forme balto-slave, qui devait être *mës- comme en indo-iranien. Ce sont deux réfections parallèles d'une flexion anomale *mën: *mës-, d'après laquelle le baltique restaurait *mëns- comme le latin et le grec, mais où là forme *mën provoquait un passage au type en -en-, et le slave a pu en tirer *mës-en-, tandis que le baltique fixait curieuse-ment en *mën-ën : *mêns-, *mënes-, une flexion qui a dû être un moment flottante (§ 192). 1

Le nom du « soleil », véd. s(û)var, gén. sttrah, got. sauil et dérivé sunnô, dont la flexion était compliquée, a donné deux dérivés différents en baltique et en slave, lit. sàulê, lette saùle, v. pr. saule, et v. si. slunïce, r. sôlnce, sûrement de *sùl-nï-ce, où l'on retrouve le souvenir d'une flexion à alter-nance vocalique *sâul~: *sûl-. La forme baltique *sâul- doit être conservée en slave dans le comparatif v. si. suljii, sulëi (§ 290).

Le nom indo-européen du «pied», que le baltique et le slave remplacent, par d'autres mots, lit. kôja, et v. pr. nage, si. noga, qui est proprement le nom de l'« ongle » et du « sabot d'animal », n'est également conservé en balto-slave que dans des dérivés, lit. pédà « pied, mesure », pesetas « à pied », v. si. pësï (avec le suffixe -sï mutilant le thème, § 10), etc. Il présentait les deux formes *ped- et *pod-, peut-être par opposition de *ped- au simple et de *-pod- dans les composés, avec degré long *pêd-, *pôd- au nominatif : lat. pës, gén. pedis, gr. tto5- ; le balto-slave avait généralisé la forme *pëd-, tandis que le germanique, got. fôtus, a généralisé la forme *pôd~.

Lat. nix «neigé », gén. niuis, gr. viqxx (acc.), qui est à côté

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[175] ANCIENS ATHÉMATIQUES 177

du verbe lat. riïuit, ninguit « il neige », lit. sniëga, sninga, a été remplacé par un postverbal, v. pr. snaygis, lit. sniëgas, lette sniegs, si. snëgû, et de même got. snaiws. Pour lat. iûs « jus, bouillon », neutre, gén. iûris, skr. yûh, on a lit. jûsé « soupe (de poisson) », v. pr. iuse, qui doit continuer l'athé-matique et en conserve le vocalisme, mais si. juxa, r. uxâ (§ 76), qui est un dérivé de la racine. Lit. nàgas « ongle » et nagà «sabot», si. noga «pied», sont en regard de gr. ovvÇ, gén. ôvuxos, et lat. unguis, etc. : on voit mal la forme indo-européenne de cet athématique, mais le thème nag- du balto-slave a son correspondant dans v. h. a. nagal, et le féminin en -â- apparaît comme un dérivé à valeur de collectif.

Il n'est pas sûr que lit. muse, musià (lette musa) et musis «mouche» (dont le -s- est anomal, § 10), en dépit de son génitif pluriel mus-îj,, provienne d'un athématique que n'at-testent pas gr. nuïa, ni indirectement lat. musca. Le slave a muxa, formation nouvelle, mais le diminutif musica « mou-cheron », avec une alternance vocalique tout à fait insolite dans la dérivation (§ 117), suppose une forme qui doit avoir été *musa « comme en baltique — r. môxa (cf. § 10) étant secondaire de môska substitué à v. r. msica (§19) — et qui en tout cas n'était pas un thème en -i- dont le diminutif serait en -ïca. De même la divergence entre si. gora « montagne, forêt», v. pr. garianu arbre », et lit. girià, giré, ne restitue pas un athématique, non plus que celle entre skr. girlh et av. gairis. On ne peut voir dans ces mots que des dérivés divers de racines.

La différence entre si. dïnï « jour », qui conserve sa flexion athématique (§ 182), et lit. dienà, etc. en baltiqué, est sem-blable à celle de « jour » et « journée » en français, et l'on peut expliquer de même la substitution de si. zima « hiver », et lit. ziemà, etc., au vieil athématique conservé dans av. zyâ, gén. zimo, lat. hiems, gén. hiemis. Pour si. zemlja « terre », et lit. zëmè, etc., qui remplace un athématique dans la flexion

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178 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [183]

duquel les alternances vocaliques s'accompagnaient d'alter-nances consonantiques compliquées, véd. ksâh, gén. jmâh (§ 94), ce peut être lé dérivé balto-slave, à côté de l'adjectif lit. zëmas « bas », lette zems, d'un adverbe *zem- « à terre » répondant au locatif véd. ksdmi. Cet adverbe n'est plus reconnaissable, lette zem « sous » (préposition), lit. dial. zèma, v. pr. semmai « en bas », etc., se rattachant à l'adjectif ou au substantif. On a d'autres dérivés sur la forme réduite zm- de la racine : lit. zmuô «homme» (§ 182), si. zmïja « serpent » (§ 31) et *zmïjï « dragon » (§ 146).

Quant au nom de la « femme », si. zena, v. pr. genno, genna-, c'est un thème ancien en -â- sur degré vocalique *gweti-, en regard de *gwn- dans skr. gnd, gr. yuvf|. C'est la racine dont a été tiré ce thème en -â- qui présentait des alternances vocaliques, cf. got. qinô « femme », de *gwenâ (avec passage secondaire aux féminins en -n-), mais qëns «épouse», fém. en -i-, de *gwën-.

Lés dérivés en -â- comme si. juxa qui ne continuent pas des athématiques, mais leur ont été" substitués, ont l'aspect du type régulier et productif des postverbaux, et il a sûrement existé des verbes à côté des noms-racines, même si ces Verbes ne sont plus attestés ou si pol. juszyc « ensanglanter » n'est plus que le dénominatif de jucha passé au sens de « sang (des animaux) ». Mais si. voda « eau » ne saurait s'expliquer comme un postverbal, et le mot pose la question du traite-ment morphologique des substantifs indo-européens en -r : -n-.

176. Traces du type en -r : -n-. — L'indo-européen pos-sédait un type inanimé (neutre) à nominatif-accusatif en -r avec flexion sur thème en -n- aux autres cas : skr. ûdhar « mamelle », gén. Adhnah, gr. o50ocp, gén. oùôa-Tos . Le hittite est venu confirmer la grande importance de ce type, avec ses suffixes productifs en -tar, gén. -(t)nas, -sar, gén. -snas, -war,

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[176] TRACES DU TYPE EN -r: -n- 179 ! '

dat. -uni (secondairement gén. -was). L'origine de cette flexion , anomale très ancienne est inconnue, et parler de suffixe

alternant n'est pas l'expliquer (§ 181). Le nominatif-accusatif est en *-r, gr. -ap, lat. -ur, -or, mais le grec présente quelques formes en -cop. La flexion se conserve mal, et le latin n'en garde que quelques restes en les remaniant : fémur « cuisse », gén. feminis, puis femoris, iecur « foie », gén. iecoris et iecinoris pour *iecinis, iter « chemin », gén. itineris pour *itinis. ' Le nom de l'« eau », hitt. watar, gén. w,etenas, wetnas, skr. udnâh (gén.), gr. ûScop, gén. OSOCTOS, est en germanique v. h. a. wazzar, neutre en -o-, mais got. watô, gén. watins, neutre en -en-, dat. plur. watnam ; en italique ombr. utur, ablatif une, mais lat. unda, fém., où l'on peut voir une forme à infixe nasal prise à un verbe, skr. unâtti « il sourd, il arrose », plur. undâti, mais qui pourrait bien être refait, avec métathèse, sur un pluriel neutre *udnâ. En balto-slave, on a y. pr. wundan, neutre, d'où unds, masc. (§ 125); lit. vanduô, acc. vdndeni, masc., et dial. unduo, lette ûdens (de und-), masc. et fém. ; si. voda. La flexion du mot était complexe en balto-slave, pour avoir donné des aboutissants dialectaux si variés. On ne peut pas la restituer exactement, mais lit. vanduô exclut l'hypothèse de l'infixé nasal, qui veut le degré réduit de la racine. Si l'on pouvait admettre pour ce mot l'existence en balto-slave d'une désinence *-ôr comme en grec' et un nominatif-accusatif i.-e. *wodô(r) à thème *udn- des cas obliques, le slave voda représenterait ce nominatif-accusatif, et, comme dans le cas de sestra et du nominatif -ô(r), lit. sesuô (§ 198), il répondrait à lit. *vaduô passé à vanduô d'après und-, le thème baltique und- étant une métathèse de *udn~. Des dérivés slaves comme povonï « inondation » à côté de povodïnï (r. dial. pôvoden) et povodï, r. dial. izvon , zâvon' à côté de izvod', zàvod!, le verbe navodïniti «inonder», r. navod-niï, conserveraient sous la forme -vo(d)n- et sa réfection en -vodïn- la trace d'un thème^ *vadn- pour *udn- d'après *vadô.

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180 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [183]

Un dérivé indo-européen ancien sur le thème *udr- du nomi-natif-accusatif est gr. ûSpoç, OSpcc « serpent d'eau, hydre », skr. udrâh, qui a servi à désigner la « loutre », lat. lutra avec déformation du mot. Il est représenté en baltique par lit. udra, v. pr. udro, si. vydra (r. vydra), avec l'allongement de la voyelle radicale qu'on observe dans le féminin lit. vârna «corneille» en face du masculin varnas « corbeau» (§ 116). Le mot suppose un^masculin *udra- à voyelle brève, et lit. dial. ùdras, lette ûdrs, ûdris, est secondaire du féminin.

On a la trace d'autres mots en - r : -n-. A gr. (r)éap «prin-temps », gén. Êccpoç, skr. vasan- dans vasanldh (cf. héman «en hiver»-et hemantâh «hiver»), mais av. vanri «au prin-temps », lat. uër, gén. uëris, qui restituent, une flexion *wësr : wesn-, répondent lit. vâsara, lette vasara, mais si. vesna. Ces féminins en -â- doivent être construits parallèlement sur deux formes adverbiales, débris de la flexion primitive. Pour si. jesenï « automne », v. pr. assanis, voir § 181.

A gr. flirocp « foie », gén. rj-rrcrros, av. yâkard, skr. ydkr-l, gén. yakndh, lat. iecur, gén. iecinoris, répondent lit. jeknos, jàknos, fém. plur., lette aknas, v. pr. *iagno, d'un pluriel neutre *jeknâ (§ 125), mais si. jçiro, usuellement jçtra, tch. jdira, etc., pluriel neutre qui peut devenir féminin singulier (s.-cr. dial. jêtra). On rétablit pour le balto-slave une flexion *jekr~: *jekn-, avec contamination des deux thèmes en slave et création, par addition de -r-, d'une forme complexe qu'on ne peut plus préciser, mais dont l'aboutissement est jçtr-(§39).

Le thème du grec oxcop « excrément », gén. O-KCCTÔS, se retrouve sûrement dans l'adjectif v. si. skarëdu « répugnant », slavon russe skarjadu, r. mod. skâred «sordide» au sens de « ladre ». Sans doute faut-il voir dans ce mot un composé skar-ëdu « mangeur d'ordures » parallèle, mais comme adjectif en -o-, à medv-ëdï «ours», substantif en -i-, ce composé conservant un nominatif-accusatif skar- de *skôr- qui

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[176] TRACES DU TYPE EN -r: -n- 181

1

confirme le degré long du grec. Il y avait aussi une forme *skor- de la racine : v. isl. skarn « fumier », skr. ava-skarah « excréments ». Comme le balto-slave avait fait passer *kwo- à ko- (voir koputï, § 189), il possédait une alternance ka- : kve- et pouvait développer secondairement sur *skar- une racine *skver-, v. si. skvruna « souillure », skvara « puanteur », qui se contaminait avec la racine *(s)kver-, toute différente, de v. si. ra-skvrëti « faire fondre », pol. skwàrzyc « faire frire », etc.

De skr. udhar «mamelle», gén. âdhnah, lat. ûber, gén. ûberis, etc., le lituanien garde le dérivé udrûoti « avoir du lait » ; pour le slave, voir vymç « pis », § 186.

Le lette asins « sang », ordinairement plur. asinis, fém., et aussi asini, masc., dont la forme ancienne est le dialectal asnis, avec un flottement de genre qui indique un thème en -i-continuânt un neutre, conserve un vieux mot, hitt. eshar, gén. esnas, eshanas, skr. âsr-k, gén. asnâh, gr. dial. fjap, v. lat. aser.

De hitt. pahur « feu » et pahwar, cas obliques pahun-, gr. TtOp, gén. Tivpôç, v. h. a. fuir, fiur, mais got. fôn, gén. funins, il est difficile de séparer v. pr. panno, panu-, mot baltique emprunté sous la forme panu par le finnois. Il n'en subsiste en slave que des dérivés, tch. pyri « braise », pyriti se « rougir », s.-cr. pûriti « griller ». Une racine dissyllabique contenant l'aspirée h ( § 98) devait donner des formes compliquées. On ne restitue pas la flexion du mot en balto-slave, à moins d'imaginer un nominatif-accusatif *pau de *pahu(r) passant en baltique à panu avec le -n- des cas obliques, tandis que la forme *pahur- se maintenait dans des dérivés avec un degré réduit *puhr-, *pûr-, si. pyr- et pur- d'intonation rude.

Le rapprochement de skr. dâdhi « lait caillé », gén. dadhnâh, et de v. pr. dadan « lait » (cf. wundan « eau ») ne joue qu'entre deux langues, mais la flexion du sanskrit garantit qu'il s'agit d'un vieux mot de l'indo-européen.

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182 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [183]

Flexion générale.

177. — On a vu que la flexion athématique n'était plus une, mais était morcelée en plusieurs types ; et il faut distinguer ces types selon les genres, car le genre appelle des différences à certaines désinences, en slave et également en lituanien, non seulement entre masculin-féminin et neutre, mais aussi entre masculin et féminin. D'autre part, la flexion athéma-tique se présente en vieux slave contaminée avec la flexion en -i-, et ses formes propres ne sont pas toutes attestées dans la flexion d'un même mot, ou ne sont pas les plus courantes. On prendra comme paradigmes, pour les avoir complets ou à peu près en vieux slave, deux représentants du type en -men-, l'un masculin, si. kamy « pierre », lit. akmuô, l'autre neutre, si. imq «nom», r. imja, en remplaçant au pluriel et au duel les formes de kamy rares dans les textes (§ 211) par celles de dïnï «jour», du type en -n-.

lituanien vieux slave vieux slave russe Sing. N. akmuô kamy ime imja A. âkmeni kamenï ime imja G. akmenfè )s kamene imene imeni L. akmenyjè kamene imene imeni D. âkmeniui hameni imeni imeni I. akmenimi kamenïmï, -emï imenïmï, -emï imenem

Plui N. âkmen( e )s dîne imena imenâ A. âkmenis dïni imena imend G. akmeny. dïnu imenû imèn L. akmenysè dïnïxu, -exû imenïxû, -exû imenâx D. akmenims dïnïmu, -emu imenïmû, -emû imenâm I. akmenimis dïny, dïnïmi imeny imenâmi

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[ 1 7 8 ] LES DÉSINENCES 1 8 3

lituanien vieux slave vieux slave Duel N.-A. âkmeniu G.-L.

dïni dïnu

imene, -ni imenu imenïma D.-I. akmenim (dat.) dïnïma

akmenim (instr.)

178. Les désinences. — Singulier. Au nominatif singulier masculin et féminin et au nominatif-accusatif neutre, les formes sont différentes selon les types, mais ont comme carac-téristique générale de présenter un aspect anomal. Elles gardent en partie cet aspect jusqu'aux langues modernes : pol. imie, gén. imienia, ciele « veau », gén. cielecia; lit. duklë « fille », acc. dùkteri, r. doc (nom.-acc.), gén. dôceri, s.-cr. kcl, acc. kcêr; slov. krî «sang» (nom.-acc.), gén. krvî. Mais des normalisations s'opèrent : dans les masculins, le vieux slave n'oppose plus nom. kamy et acc. kamenï, mais il a nom.-acc. kamenï d'après le type" en -i-, à côté de nom.-acc. kamy, et le russe n'a plus que kâmen, nom.-acc. ; le nominatif en -ç du type jelen- « cerf » est en train de disparaître devant nom.-acc. jelenï, et pour l'ancien nominatif athématique de nom.-acc. dïnï, il est complètement perdu. Au contraire, les féminins maintiennent, du moins en vieux slave, la distinc-tion du nominatif et de l'accusatif singulier, solidement appuyée par le grand type en -â- de glava, acc. glavg.

Accusatif masc. et fém. : si. -ï (§ 88), v. pr. -in (smunentin « homme »), lit. -[, lette -i, de i.-e. *-m, *-n, hitt. -an, lat. -em, gr. -ex, se confondant en balto-slave avec -in du type en -i.

Génitif : si. -e, v. pr. -es, lit. -s, de v. lit. et dial. -es (akmenès, mod. akmens), lette -s; de i.-e. *-es, lat. -is (v. lat. -es),-à côté de *-ds, lat. dial. -us, hitt. -as, gr. -o;. Cette désinence ténd dès le vieux slave à être remplacée par -i du type en -i- : gén. kamene et kameni ; mais -e s'est partiellement conservé dans quelques langues slaves (§ 206).

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184 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [ 1 8 3 ]

Locatif : si. -e. Les désinences du letto-lituanien, lit. -yje, lette -ï, avec des variantes dialectales, sont celles du type en -i-(§ 165). La désinence lit. -yje présente la caractéristique géné-rale -e du locatif singulier, qui a été adaptée aux différents thèmes, -ûje dans le type en -u-, -oje, -êje dans les types féminins en -â- et en -ë-, et simplement -e dans le type en -o -où elle a été substituée à un plus ancien -ie (§ 131). Ce -e, qui a été étendu aussi au locatif pluriel en -se pour -su (§ 132), porte l'accent dans les types à accent mobile du lituanien, et il attire l'accent dans les paroxytons d'intonation douce, comme l'instrumental singulier en -u de *-ô d'intonation rude (§ 216). C'est là une particularité curieuse, et cette finale -e, sur laquelle le lituanien est seul à renseigner en baltique, pose un problème difficile. Sa forme originelle même n'est pas claire, -e en finale pouvant représenter -q aussi bien que -e (§ 66). On a supposé ùn ancien -q d'après la forme -i des dialectes où -q en finale passe à -i : ceci ferait reconnaître une postposition -n, qui serait la préposition en « dans » (lit. j, §'73). Mais les correspondances dialectales risquent d'être trompeuses avec une désinence aussi remaniée que celle du locatif singulier : la comparaison des langues slaves, dès le moyen slave, ne restituerait pas v. si. -e, qui a partout disparu (§ 206), remplacé par -i, -ë, -'u ou -u. Le vieux litua-nien, où les voyelles nasales se conservaient partiellement à la finale, et surtout devant enclitique, devrait apporter des preuves nombreuses et indiscutables de ce locatif en *-q, alors que les formes à -jis postposé sont en faveur d'une finale -e (§ 245). Une autre hypothèse est possible, qui s'accorde avec les faits slaves : le locatif sans préposition a duré jusqu'au vieux slave, et le slave présente une désinence de locatif -e qui est nouvelle, et qui ne saurait s'expliquer par une post-position.

La désinence indo-européenne était *-i, skr. -i, et gr. -i qui sert de locatif-datif, lat. -e qui sert de locatif-ablatif-

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{178] LES DÉSINENCES 185

. . ' 1

instrumental. C'est elle qu'on retrouve dans les formes théma-tiques, *-oi du type en -o- (§ 130), *-âi du type en -â- (§ 150) ; pour *-ëi et *-5u des types en -i- et en -u-, voir § 158. La désinence slave -e, et de même la désinence lituanienne -yje à finale -e, ont donc été substituées à -i, que le vieux lituanien doit conserver dans la flexion des pronoms personnels (mani-p, § 249). Comme pour le nominatif-accusatif duel -s du grec (§ 180), on doit penser que si. -e est tiré secondaire-ment d'un autre cas, d'après un parallélisme morphologique : dans la flexion des thèmes en -i- et en -u-, le génitif était en *-eis, *-ous, et le locatif en *-ëi, *-5u, et c'est sur ce modèle que, dans la flexion athématique, a été créé sur le génitif *-es le locatif -e pour *-i. L'innovation doit être balto-slave, et le letto-lituanien, qui connaît une extension du génitif sin-gulier -es du type athématique, a dû étendre également -e, puis le généraliser avec adaptation aux thèmes, et en trans-portant sur -e le mouvement d'accent des locatifs en *-ëi, *-ôu. En slave, la désinence -e, restée limitée au type athéma-tique, disparaît devant les désinences des autres types, bien conservées et productrices ; dès le vieux slave, elle tend fortement à être supplantée par -i du type en -i- : loc. kamene et kameni.

Datif : si. -i d'intonation douce (s.-cr. kcî « fille », dat. kcëri), v. lit. et dial. -i (âkmeni, âkmen), de i.-e. *-ei, v. lat. et osque -ei (lat. -I), skr. -e. Cette désinence ne se distingue pas en balto-slave de celle des thèmes en -i-. Elle a'été comme elle remaniée en letto-lituanien, par emprunt à la flexion mouillée en -o- dans les masculins, lit. âkmeniui, letteakmenim et akmenam, et à la flexion mouillée en -â- dans les féminins, lit. dùktëriai.

Instrumental : si. -ïmï, -emï, pour les masculins et les neutres, -ïjç pour les féminins (v. si. dusti, instr. dusterijç, r. doc , dôcer'ju), lit. -imi pour les masculins et les féminins (duktë, instr. dukterimi), et let te-i , comme dans les thèmes

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1 8 6 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [183]

en -i-. On ne retrouve pas la désinence indo-européenne de l'instrumental singulier du type athématique, qui dans les types thématiques prend la forme d'un allongement de la voyelle du thème (§ 131) ; l'indo-iranien, qui a généralisé -â des types en -o- et en -â-, ne renseigne pas.

Vocatif : n'étant usuel qu'avec des noms d'êtres animés, il est très peu attesté en vieux slave, et les vocatifs des autres langues slaves sont ceux des types qui se sont substitués au type athématique : tch. jelene, s.-cr. jèlene, etc. Il a la forme du nominatif : v. si. dusti, mati « mère », neplody « femme stérile », et de même en lituanien : duktë, sesuô « sœur ». Il était sans désinence en indo-européen : gr. ur|Tr)p, voc. Mrj-rep, et il était appelé à se confondre avec le nominatif, comme il l'a fait également en latin.

179. Pluriel. — Nominatif masculin et féminin :. si. -e (seulement masc.), v. lit. et dial. -es (âkmenes), lit. -s (âkmens), de i.-e. *-es, hitt. -es, gr. -ES, skr. -ah. Pour les féminins, le slave présente, comme généralement (§ 150), une forme de nominatif-accusatif : ici -i, v. si. dusteri, qui est celle de l'accu-satif ; mais non le lituanien : nom. dùkter(e)s, acc. dùkleris. La désinence masc. -e se maintient si bien en vieux slave qu'elle a eu sa productivité ( § 206). Elle est cependant concurrencée, dans la flexion des thèmes en -n-, par -ïje du type en -i- : v. si. dîne et usuellement dïnije ; d'où, avec le flottement entre les types masculins en -i- et en -yo- (§ 170), dïni, T. dni. On trouve de même en lituanien âkmenys et akmeniaï, en vieux lette akmenis et en lette moderne akmeni.

Accusatif masculin et féminin : si. -i, v. pr. -ins, lit. -is et v. lette -is (§ 88) de i.-e. *-ns, skr. -ah, gr. -as, lat. -ës. La désinence balto-slave -ins se confondait avec celle du type en -i-. , _ • .

Nominatif-accusatif neutre : si. -a, mais avec conservation en vieux slave d'une désinence -i dans la flexion du participe

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[179] PLURIEL 187

- !

présent actif (§ 279), dans celle du comparatif (§ 286) et dans cetyri « quatre » (§ 304). Cette désinence est celle des types en -i-, i.-e. *-F, type disparu au neutre en baltique et en slave, mais en laissant quelques traces de *-ï, et d'un remaniement de *-ï en -yâ (§ 166). En slave, et sûrement en balto-slave, la désinence propre du type athématique (§ 135), qui s'amuis-sait phonétiquement, a été supléée par *-ï, comme partielle-ment en avestique (plur. asti « os », si. kosti, § 175) ; puis la désinence *-â du type en -o-, qui, avec la disparition des neutres en -i- et en -u-, devenait la caractéristique du pluriel neutre, a été généralisée comme en d'autres langues.

Génitif : si. -û, de *-on, en regard de lit. -%, lette dial. -u, de *-on (lette akmenu, et lit. akmeniy,, d'après les types en -i-et -yo-) ; voir § 132. Le génitif pluriel athématique est carac-térisé par sa désinence de type dur s'opposant aux autres désinences de type mouillé, et cette caractéristique, entraînant dans certaines langues slaves une alternance vocalique (pol. przyjaciel « ami », gén. plur. -ciôl), l'a fait s'étendre en letto-lituanien ( § 174) et quelque peu en slave (§ 206). Elle se main-tient bien dans les neutres slaves en regard de nom.-acc. -a de type dur ; mais il y a une tendance plus naturelle à la supprimer dans les masculins et les féminins par passage aux types mouillés en -i-, -yo- : lit. -iq, v. si. dïnu et usuellement dïnii, dusteru et dusterii.

Locatif : si. -ïxu et -exu, lit. -yse, du type en -i-. La dési-nence athématique était *-su, skr. patsû de pât « pied », gén. padàh, gr. hom. TToacn de nous, gén. iroSés.

Datif : si. -ïmu et -emu, lit. -ims, du type en -i- : cf. lat. -ibus, dat.-instr., pour skr. -bhyah (padbhyâh), et got. -im (baurgim «aux villes») pour -um (broprum « aux frères» de *-rm~).

Instrumental : y. si. -y, du type en -o-, dans les neutres, confirmé par v. tch. -y, v. pol. -y (imiony, mais aussi imienmi) ; -y, et v. tch. -y, v. pol. -y dans przyjacioly, et -ïmi, du type

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1 8 8 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [183]

en -i-, dans les masculins ; -ïmi dans les féminins (dusterïmi) ; lit. -imis dans les masculins et les féminins (dukterimis), pour une forme athématique parallèle à skr. -bhih (padbhih).

Ce flottement des désinences d'instrumental pluriel en slave, avec répartition nouvelle selon le genre, neutre -y d'après nom.-acc. plur. -a, fém. -ïmi, d'après nom.-acc. plur. -i, et masculin hésitant entre l'influence de gén. plur. -û du type dur et de acc. plur. -i, est la preuve que ces désinences, et celles du locatif et du datif, sont récentes. Les désinences athématiques anciennes sont en effet conservées par plusieurs langues slaves dans le type des pluriels en -(j)ane (§ 187J : en vieux tchèque loc. Dol'as «chez les Doljane » (mod. Dolanech), v Polas «chez les Poljane», etc., et c'est le seul cas de maintien en slave de la forme *-su de locatif pluriel, partout ailleurs remplacée par -xu (§ 10) ; — en vieux russe loc. Poljaxu, instr. Poljami, etc., et cet instrumental était encore si courant dans les noms de peuples que le slavon russe remplace le vieux-slave Kritjany « par les Crétois », etc., par Kritjami, etc. ; — en vieux serbe et vieux croate loc. Dëcaxï « à Decani » à côté de Dëcanexï, dat. Dubrovïëamï « aux Ragusains », instr. Buzami « par les Buzane », etc., et même, du nom commun grâdanin « citadin », loc. gradaxï, dat. graâamï, et de mozdâni « cervelle » (§ 183), cak. môzjani (§ 17), instr. mozjami jusqu'en cakavien du xvn e siècle. Cette flexion se maintient même en slovène moderne dans des noms de lieux : Goricâne, loc. Goricanih et Goricah, dat. Goricanom et Goricam, instr. Goriëami, d'où acc. Goricane et Gorice, gén. Gorican et Goric. Il se développe ainsi un thème court Gorica-à côté de Goriëan-, et ce thème court a ses dérivés : slov. Bléjka «habitante de Bled», adj. blejski, du thème Bleja- de Blejane; — s.-cr. ancien gracka pour gràdânka « citadine », adj. gracski et dial. mod. gràjskï pour grâdanskï ; — v. r. Poloëïsku de Polocane « habitants de Polotïsku, Polock » ; — v. tch. hrazskij de Hrazëne « habitants du Hrad de Prague », mëscka « bour-

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[180] DUEL 189 i

geoise », pour tch." mod. mësïanka, féminin de mëscënin. Les désinences en -(j)a- du type en -(j)ane continuent

régulièrement, au datif et à l'instrumental, des désinences athématiques en *-jën-m-, -jçm-, avec dénasalisation en -jëm-(§ 65), c'est-à-dire -jam-, et seul le locatif en -(j)axu du serbo-croate et du slovène est analogique. La trace de ces désinences athématiques se retrouve ailleurs : les féminins en -û- les ont remplacées au locatif, au datif et à l'instrumental pluriel par des désinences nouvelles -uvaxû, -uvamû, -uvami, mais le vieux russe garde pelumi, instrumental du pluriel v. si. plëvy « balle du blé », r. polôva, sing. (§ 200). Les désinences athématiques créaient des alternances compliquées, dont le slave se débarrasse (§114).

En germanique, le datif athématique en -m- (datif-instru-mental) s'est maintenu régulièrement dans la flexion des thèmes en -n-, avec réduction de *-nm- à -m : got. alta « père », plur. attans, dat. attam dans les masculins, qinô « femme », plur. qinôns, dat. qinôm dans les féminins. Il en résultait un contact avec les thèmes en -o-, dat. plur. -am, et en -â-, dat. plur. -dm, et le fait doit contribuer à expliquer la grande extension de la déclinaison « faible » en -n- en germanique : qinô est un ancien féminin en -â-, si. zena (§ 175). En slave, il est possible que le flottement entre le petit type des neutres en -mo et le type important en -men-, ainsi ramo et ramç « épaule » (§• 186), résulte d'une rencontre de la flexion en -n-et de la flexion en -o- dans les anciennes désinences athéma-tiques : *-men-m- passant à *-mëm- et entraînant loc. *-mëxu, des thèmes *ârmen- et *ârm- se rejoignaient, et loc. plur. ramëxu relevait à la fois de la flexion de ramç et de celle de ramo.

180. Duel. — Nominatif-accusatif : v. si. -i dans les mascu-lins et les féminins (dûsteri), -i et plus souvent -ë dans les neutres (v. tch.-i et -ë, v. pol. -i), la forme -ë étant secondaire

13

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190 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [183]

du nominatif-accusatif pluriel en -a ; lit. -i dans les féminins (•dùkteri), mais c'est la désinence générale des féminins, en râ-, en -ë- et en'-i-, et -iu, du type'en -yo-, dans les masculins. La désinence balto-slave est donc *-ï : c'est celle du type en -i- (§ 166). Dans les autres langues, le sanskrit présente -à (véd.), -au pour les masculins et les féminins, avec la désinence du duel des thèmes masculins en -o-, et pour les neutres -i, qui est en regard de son pluriel neutre en -i ; on a -ï dans av. vîsaiti «vingt», d'un athématique -sat-, skr. -çal- (§ 308), -ï dans lat. uïgintï, mais -i bref dans gr. EÏKOCTI, dial. FÎKcxrti. Pour skr. aksï « yeux », av. asi, usi « oreilles », si. oci, usi, à flexion anomale en slave, dat.-instr. ocima, usima, voir § 193. En grec, la désinence est -s pour les trois genres ; cette dési-nence est nouvelle, comme -5. du type en -â-, et pourrait être analogique de -co du type en -o-. Comme le nominatif-accu-satif duel -ô avait l'aspect de la forme sans -s de l'ancien nominatif pluriel *-ôs, le grec a pu tirer -e du nominatif pluriel -es des masculins et des féminins. C'est ainsi qu'en lituanien le duel s'oppose au pluriel par l'absence de -s (§ 132), dans les thèmes en -i- nom.-acc. duel -i à nom. plur. -ys, acc. -is, dat. duel -im, instr: -im, à dat. plur. -ims, instr. -ims. Ces diver-gences entre les langues indo-européennes montrent que la forme primitive du nominatif-accusatif duel athématique est perdue, comme celle de l'instrumental singulier athématique, qui se caractérise également, dans les types thématiques, par un allongement de la voyelle du thème (§ 131). A cet allonge-ment devait répondre dans le type athématique une dési-nence débile, qui a été refaite diversement, surtout par emprunt de -ï au type en -i-.

Génitif-locatif : si. -u, désinence générale du génitif-locatif duel ; et en sanskrit gén.-loc. -oh, en avestique loc. -ô d'après -vô dans le type en -u-. En vieux slave, -u de type dur est concurrencé par -ïju du type en -i- dans la flexion des mascu-lins et des féminins : dînu et dïniju, dusteriju.

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[ 1 8 1 ] LES TYPES EN -n- 191

Datif-instrumental : si. -ima, et lit. -im (dat.), -im (instr.), désinences du type en -i-, en regard du typé athématique de skr. -bhyâm (padbhyâm), av. -bya.

• /

Les types en -n-.

181. Les thèmes consonantiques en -n- étaient très repré-sentés et variés en indo-européen, et chaque langue les a simplifiés en en dégageant des types productifs, et en gardant des vestiges des formes plus anciennes. En grec, à côté d'un isolé KÙCOV « chien », gén. KUVÔÇ, OÙ le -n- ne se sépare pas de la racine, on a un. type en -cov, gén. -ovos ou -covos, et un type plus rare en -T]v, gén. -svoç ou -TIVOS ; un type masculin en.-pcov, gén. -(JIOVOS, un type plus rare en -[xqv, gén. -nevos, et un type neutre en -ya, gén. -pa-Toç. En latin, un type en -ô, gén. -inis ou -ônis ; des restes d'un type en -en : lien « rate », gén. liënis, pecten «peigne, carde», gén. pectinis ; des restes d'un type masculin en" -mô, gén. -mônis : sermô «discours», et un type neutre en -men, gén. -minis. En slave, on trouve un type masculin en *-ën, -g, gén. -eue, un type masculin en *-mô(n), -my, gén. -mene, et un type neutre en -me, gén. -mene ; le baltique les confond en un type masculin unique lit. -uo, -muo, gén. -en(e)s, -men(e)s, sauf le vieux prussien qui garde un vestige du type neutre en -men- (semen «semence»).

La flexion comportait des alternances vocaliques : skr. râjâ « roi », acc. rdjânam (pour -anam), gén. râjnah, nâma « nom », gén. nâmnah, représentant nom. *-5(n) ou *-ë(n), acc. *-oritri ou *-enip,, neutre *-çt, gén. *-nes ou *-nos. Mais déjà le sans-krit les limite : gén. -manah précédé de consonne ; et elles ont ordinairement disparu ailleurs, en laissant quelques vestiges : gr. (/)aprjv « agneau », gén. (Z')apvôs, lat. carô « chair » (fém.), gén. carnis, got. namô « nom », gén. namins, mais plur. namna. La flexion balto-slave les connaissait encore, et le

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1 9 2 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [ 1 8 3 ]

vieux-prussien kêrmens « corps », acc. kërmenen et kërmnen, emmens «nom»,' acc. emnen (ancien neutre), en garde le souvenir avec un transfert indu du degré réduit à l'accusatif qui prouve que l'alternance se brouillait. En slave et en letto-lituanien, -en- a été généralisé, et une graphie v. si. kamni n'est qu'une faute de copiste pour kameni, une flexion r. kâmen', gén., kâmnja, est récente pour kâmenja avec jeu secondaire de l'e mobile (§ 119), mais on retrouve des traces du degré réduit dans des remaniements de la flexion athéma-tique en -en-.

Le type en -men- ne donnait que des masculins et des neutres, en balto-slave comme dans les autres langues indo-européennes. Pour le type en -en-, à côté des masculins, on trouve aussi des féminins en grec : f) SÎKCÔV « l'image », et en latin : uirgô « vierge », gén. uirginis, et tous les types d'abs-traits en -io- et en -do. Le germanique a un type productif de féminins, got. -ô, gén. -5ns, mais dont l'opposition au type masculin en got. -a, gén. -ins, est nettement secondaire et parallèle à celle des types en -o-, got. -s, gén. -is, et en -â-, got. -a, gén. -ôs (cf. § 179). Si un type féminin a existé en balto-slave, il n'est plus reconnaissable et a dû se perdre dans les féminins en -ni-. C'est sans doute le cas de si. jesenï « automne », v. pr. assanis, dont le correspondant germanique, got. asans « moisson », présente une forme réduite du thème dans le dérivé asneis « journalier » ; mais ici il pourrait s'agir de la continuation, non d'un thème en -en-, mais d'un thème neutre plus ancien en -r : -n-, comme dans le cas de si. ves na « printemps » (§ 176).

Il n'y avait pas en principe de neutres en -en- : des neutres comme lat. inguen « enflure, aine », gén. inguinis, qu'on rapproche de gr. àSr|v « glande », gén. àSévos (masc. ou fém.), sont exceptionnels, et v. lat. sanguen, à côté de sanguïs, masc., gén. sanguinis, doit, comme cruor (§ 202), avoir subi l'influence du vieux mot oser, thème neutre en -r : -n- (§ 176).

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[ 1 8 2 ] MOTS ISOLÉS' 193

' . ' ! Les formes neutres présentant un élément thématique -n-relèvent de types spéciaux de l'indo-européen, et si l'on peut les supposer dans v. pr. agins « œil », ausins « oreille » (§ 193), c'est dans des mots à flexion anomale. Il semble que le type neutre répondant au type masculin en -en- ait été en indo-européen le type en - r : -n-, ce qui indiquerait que la forme *-r au nominatif-accusatif singulier représente un traitement phonétique très ancien de ,*-«, qui aurait été ailleurs restauré par le jeu de l'analogie : au type en de skr. -ma, gr. -|ioc, le hittite répond par un type en -mar, -war. On observera que si le système de l'indo-européen a comporté des sonantes voyelles, l'articulation de ces sons était moins aisée que ne le donneraient à penser les signes conventionnels par lesquels on note le jeu du degré réduit qu'elles représentent théorique-ment plutôt que leur existence réelle (§ 72) : à l'époque moderne, le serbo-croate use librement de r, la plus courante des sonantes voyelles, à l'intérieur du mot, mais non en finale, où un aoriste 2e-3e pers. tr, appuyé sur l r e pers. trh, inf. tï-ti « frotter », n'est qu'une curiosité. Pour le passage de n h r en syllabe finale après consonne, il est bien connu : esp. sangre, fr. ordre, etc.

182. Mots isolés. — Le slave en présente un : dïnï « jour », gén. dîne, auquel répond en baltique un dérivé féminin (§ 175), lit. dienà, lette dlena, v. pr. deinan (acc.). La forme dïnï de nominatif-accusatif est refaite sur les cas obliques : le nominatif devait être de la forme *dyën, et l'on voit pour-quoi il s'est perdu. Il s'agit d'un élargissement en -n- d'une racine *di-, qu'on retrouve dans skr. -dîna-, dinam « jour », lat. nûn-dinum « espace de neuf jours », à côté d'un élargis-sement en -u-, skr. dyaûh « jour, ciel », gén. divdh, cf. peut-être si. duzdï « pluie » (§ 29). L'histoire des formes diverses du mot, de skr. adyâ « aujourd'hui », de lat. diës « jour », diû « pendant le jour » (et « longtemps »), n'est pas très claire. Mais le thème

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194 LA FLEXION ATHÉMATIQUE- [ 1 8 3 ]

consonantique en -n- du slave est nécessairement ancien. En baltique, on a lit. suô « chien », de *swuo (gén. sunès,

suris), et dial. sunis, et aussi svïnis sur la base d'un „degré réduit nouveau de *swô(n), cf. si. dvïrï (§ 117, § 174) ; lette suns-, gén. suna, v. pr. sunis. Cf. gr. KUC£>V, gén. KUVÔÇ, véd. ç(û)vâ, gén. çûnah, et lat. canis avec degré réduit nouveau -a-pour -u- de irl. con (de *kunos). Le slave a remplacé ce vieux mot par pïsu, d'origine inconnue — si ce n'est pas un emprunt déformé à un iranien spa —, le russe par sobâka qui vient de la forme iranienne de skr. çvâ, av. spâ, scythe 01x6x0:, persan sabah. Mais il le conserve sûrement dans le féminin r. sûka «chienne», pol. suka, sula, qui doit être tiré du nominatif *swô et confirmerait le traitement *ou, u, de *wô (§ 54).

Est à part aussi en baltique lit. zmuô « homme », v. pr. smoy, formation parallèle, sur le thème réduit zm- de lit. zèmè «terre» (§ 175), à lat. homô, got. guma, mais à flexion tout à fait anomale : le pluriel est lit. zmônês, avec un singulier usuel zmogùs à finale obscure, dont le thème zmo- se retrouve dans zmonà « femme ». En vieux prussien, le mot courant est smunents, qui n'est pas plus clair (§ 196), et qui est en regard du féminin smuni « personne » et « dignité, honneur ». Dans tin thème fixé et où 0 n'alterne pas avec a, lit. zmon- suppose *zmân- (§ 49), et v. pr. smun- doit répondre aussi à *zmân- : ces formes n'ont donc pas de rapport avec le nominatif *zmô. On peut supposer que le baltique a confondu deux noms de r« homme », got. guma et manna, si. mçzï, et que *zmo répond à guma, tandis que *zmân- serait pour *mân-, de l'ancien nominatif si. *manu- de mçzï (§ 159).

183. Type en -en-. — Le nominatif singulier est en -uo en lituanien, remplacé en lette par -ens et dial. -ins d'après les autres cas, en vieux prussien par -ins ; c'est aussi celui du type en -men- (§184). Confondu avec le type en -men-, le type en -en- est conservé par le lituanien dans peu de mots,

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[183] V TYPE EN -en- 195

mais suffisants pour témoigner de son ancienne productivité. Ainsi, dans des dérivés de verbes, v. lit. geluo « aiguillon » de gélii « piquer », paklaiduo « qui s'égare » de pa-klysli, -klaidyti «s'égarer»; dans des dérivés d'adjectifs, ruduô « automne » en regard de rùdas « rouge foncé », gén. iz mazens « dès l'en-fance » de mâzas « petit ». Il a attiré des mots d'autre origine, mè'nuo « lune » (§ 175), vanduô « eau » (§ 176). Mais sa flexion athématique s'altère, et il est en train de se fondre dans les types normaux, de masculins. En lette, si on le retrouve dans rudens «automne», udens «eau », zibens «éclair» (de zibi « briller »), c'est limité à la conservation d'un génitif singulier en -ens, à côté de -ena, et autrement le passage est complet au type en -yo-. En vieux prussien, on le reconnaît de même dans sasins « lièvre » et *menihs « mois », dont on n'a pas la flexion.

Le slave atteste une désinence de nominatif singulier -g, de *-ën (ou *-ëns, § 88), mais qui disparaît devant nom.-acc. -enï, et dont les restes"sont très réduits. On ne le trouve plus attesté directement que par : korç « racine », avec un seul exemple altéré en vieux slave, mais d'assez nombreux exemples -en slavon, la forme usuelle étant korenï ; en slavon russe sïrsa « guêpe, frelon », de *sïrsç, et stroza « cœur de l'arbre », trans-cription de v. si. *struzç pour *sirïzç, avec un seul exemple de chaque forme, et ailleurs sïrsenï (v. si. srusenï), sirïzenï. Ces trois formes slavonnes sont d'origine vieux-siave, et attestent que le nominatif en -g existait encore en bulgaro-macédonien du Xe siècle, devenu nominatif-accusatif comme l'accusatif -enï, de même que le nominatif en -my qui, lui, s'est-mieux conservé dans les langues slaves.

D'autre part, à v. si. korç, korenï, répond en vieux serbo-croate korënï, s.-cr. mod. korijen, dont le -ë- ne peut s'expliquer que par une dénasalisation de *-gn- en -en- (§ 65). La forme korç du nominatif, et nominatif-accusatif, a été étendue aux autres cas, gén. *korçne, d'où korëne, pour korene, etc., de

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196 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [ 1 8 3 ]

même qu'en russe ancien et dialectal, dans le type neutre en -mg, r. -mja, on a gén. imjani pour imeni, etc., d'après nom.-acc. Imja; et ensuite elle a été refaite en nom.-acc. korënï. Le serbo-croate atteste également jelënï « cerf », *jasënî «frêne», *lipënï «ombre» (poisson), et d'autres formes encore, comme mozdan- « cervelle » pour le slavon mozden-, relèvent de la même explication.

En face de l'élargissement en *-ko- des masculins en -men-, kamyku de kamy «pierre», on doit chercher la forme corres-pondante dans les thèmes en -en-. Pol. grzebyk, de grzebien « peigne », est analogique du type kamyk, mais la forme ancienne se conserve vraisemblablement dans mësçcï (§ 175) : elle suppose *-inka-, de *-ri-ko-, et doit garder la trace du degré réduit dans la flexion primitive des thèmes en -en- à alternances vocaliques *-ën, -en-, -n-. Mais le cas de za/gcï «lièvre » paraît différent. Le mot slave est nouveau : le nom balto-slave du «lièvre» est conservé par v. pr. sasins, qui répond à v. h. a. haso, thème en -n-. Le mot germanique est en regard de l'adjectif v. angl. hasu « gris » : l'animal est désigné par sa couleur, comme dans r. rusâk, serjâk. De la même racine, un adjectif i.-e. *kas-no-, v. h. a. hasan «brillant», lat. cânus «blanc, chenu», a donné en slave un des noms du « pin », sosna, proprement « sapin (jedla) roux », ail. Rottanne. Pour si. zajçcï, le thème *zâjïn- qu'il suppose paraît être d'origine verbale du fait de son préverbe. Ce peut être la substantivation, assez récente, d'un participe *zajg de zaiti : antérieurement à v. si. idy (*jïdy), le participe présent de iti « aller » avait une forme semblable à celle de v. lit. ent-, et qui pouvait être en slave *int-, nom. *in(ts), pour. skr. yant-, etc., par normalisation sur le thème *ei- : *i-du présent. Le lièvre est de mauvais augure quand il croise votre route, et c'est un des sens de zaiti : pol. zajéc w drogç.

Le type en -en- était encore largement représenté à l'époque

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[183] TYPE ÈN -en- 197 i

du vieux slave, et l'on voit comme en lituanien qu'il avait été productif. Mais, se contaminant avec le type masculin en -i-, il suit la même évolution (§ 169), et il s'absorbe dans les types masculins normaux, en -yo- ou en -o- selon les langues. Toutefois, il se maintient assez bien en tchèque, et jusqu'au tchèque moderne, du moins au tchèque littéraire et archaïsant. En dehors des données directes du vieux slave et du tchèque, on a divers moyens, formes en -en- du serbo-croate, traces de génitif pluriels du type dur, opposition de la flexion mouillée du russe, du polonais et du sorabe et de la flexion dure des -langues méridionales, pour identifier les mots qui appartenaient au type. Voici la liste des mots les plus sûrs :

V. si. korç, korenï « racine », gén. korene ; tch. koren, gén. korene (-ne et -na en tchèque parlé), gén. plur. koren en vieux tchèque et locution do koren, mod. dokorân « grand ouvert » ; mais slovaque koren, gén. -na ; v. s.-cr. korenï, mod. kôrijen, gén. -na ; slov. korçn, gén. -na, bulg. koren, déterm. -nât ; r. kôren, gén. kôrnja récent pour kôrenja et un plus ancien koreni ; pol. korzen, gén. -nia, mais on trouve en kachoube une flexion dure korôn, gén. kofona, qui repose sûrement sur un ancien génitif pluriel pol. *korzon ; polabe Igaurîn, de *kuren avec une altération, sor. kor j en. Le mot est en regard de si. *kurjï, r. dial. kor' « racine », gén. krja, pol. kierz « buisson », gén. krza, et de lit. kêras «vieille souche», kerëti «pousser des racines», kirna, v. pr. kirno «buisson», avec degré réduit kir- de ker-, comme si. *kûr- de kor- '(§ 73).

V. si. jelenï « cerf », gén. jelene ; tch. jelen, gén. -na et v. tch. -ne, slovaque jelen gén. -na ; v. s.-cr. jelënï, mod. jèlen et dial. jèljen ; pol. jelen, gén. plur. jelon en vieux polonais. On a en baltique lit. élnis, gén,-nio, lette alnis (« élan »), mais le vieux lituanien paraît conserver une variante elenis. Le féminin est *êlnï, si. *âlnïji (§ 155), lit. élné, âlné (§ 69). Un thème *eln- est attesté dans d'autres langues : gr. 8Àa<poç

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198 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [183]

de *e/#-, eÀÀoç « faon » de *elnos ; l'intonation rude de lit. élnis, masc., doit donc être prise à celle du féminin, avec allongement dans le dérivé (§ 116).

Slavon srusenï « guêpe », et nom. sïrsa, de *sïrsq, en slavon russe ; r. sérsen « frelon », pol. szerszen et dial. sierszen, de v. pol. sirszen. Le mot a son correspondant exact en baltique, lit. sirsuo « guêpe », lette sirsenis, sitsins « frelon ». Il apparaît en slave en regard de la racine *sïrx- du slavon srûxûku « rugueux, hérissé », r. sersâvyj, lit. dial. sersas « frisson, chair de poule ». Mais le frelon et la guêpe sont lisses, et le faux bourdon, qui est velu, porte un autre nom, si. *trçtu, pol. trqd, r. trùten d'après sérsen. Il doit s'agir de la forme prise en balto-slave par un mot plus ancien, v. h. a. hornuz, néerl. horzel, et lat. crâbrô (de *krâsr- ?).

V. si. stepenï « marche, degré », nom. plur. stepene. La forme step-, sûrement la plus ancienne, ne se maintient que comme slavonisme, dans r. stépen', fém., s.-cr. stëpen, gén. -na ; ailleurs on a pol. stopierï, gén. stopnia pour slopienia, etc., d'après stopa « pas, plante du pied », et r. stupén', fém., d'après stupit' « marcher ». Les formes step-, stop-, *stamp- sont propres au slave : elles doivent résulter d'un jeu secondaire d'alternances (§ 117) sur la racine *stip-, au sens de « fouler », de lit. siipli «se raidir», lat. stîpô «je presse», gr. o-nçpos « compact » et crrsigco « fouler » ; cette racine verbale a pris des formes diverses et s'est contaminée avec d'autres.

Slavon sçzenï « brasse », gén. plur. sçzenu ; s.-cr. sèzanj, gén. . sëznja, mais vieux s.-cr. sezan- (gén. plur. sezanii), qui doit représenter *sçzën-, d'où sezan- comme dans le cas de mozdan- ; r. sazén', fém., gén. sazéni, gén. plur. sâzen et sâzen, mais dial. sâzen', masc., gén. sâznja, gén. plur. sazôn ; pol. sqzen, gén. sqznia pour sqzenia, gén. plur. sqzon envieux polonais, sïzôn en slovince. C'est un dérivé de la racine se g- de v. si. prisQsti «toucher», do-sçsti «atteindre», forme à infixe nasal en regard de lit. sègti « attacher, boucler », et indiquant

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[183] TYPE ÈN -en- 199 i

à l'origine ce que l'on peut atteindre des deux bras. Le mot apparaît généralement déformé, mais l'initiale *sçg- est confirmée par s.-cr. sëzanj, slov. sÇzenj (gén. sçznja). Le post-verbal avait la forme *sçgu, d'où pol. sqg « corde de bois » (mais tch. sâh de *sçg~), et de là pol. sqzen pour *siq~. Le bulgare sâzén, plur. sâzni, à variantes stâzen et râzteg qui indiquent une contamination avec la racine *teng- « tendre », remonte au moyen-bulgare o-sçzati « toucher » pour o-sçzati et à une même confusion, devenue peu claire, des deux formes se g- et *sçg- de la racine. Pour le russe, y compris l'ukrainien où la forme sazenï est ancienne, on peut penser à un flottement de sgy- de r. dosjagnût' « toucher » et de sag- de v. si. posagnçti «se marier» (en parlant d'une femme), pol. posag « dot », mais surtout au fait que le nom de la « brasse », de la « sagène », s'emploie couramment après nom de nombre, c'est-à-dire, souvent après -t', et que dans v. r. désjat' sjâzen « dix sagènes » le groupe t'sj était prononcé c', et que c, mouillé comme en ukrainien ou durci comme en russe (§ 22), pouvait s'analyser -t' s-. Le polabe présente une forme originale en -men- : sângs(e)man «corde de bois», de (§ 186).

Slavon grebenï «peigne (de tisserand) », tch. hreben, gén. hrebene (-nu en tchèque parlé) ; pol. grzebien, gén. -nia, mais aussi en kachoube greb'ôn, gén. greb'ona, qui suppose un génitif pluriel *grzebion du type dur. Dérivé de grebg «je racle», comme lat. pecten de peclô «je peigne»..

V. si. remenï « courroie », gén. -ne, thème en -en- qui s'est incorporé aux thèmes en -men-, voir § 185.

V. si. prustenï « bague », tch. prsten, gén. prstene en vieux tchèque. Dérivé de *pïrstu « doigt ».

V. si. prçslenï «anneau de fuseau, fusaïole » (le mot a été retrouvé en vieux bulgare sur une fusaïole), r. prjâslen', tch. preslen. Le serbo-croate prësljen n'atteste pas -en-, mais il s'agit d'une altération de finale qu'on trouve aussi dans bulg. présien. Parallèle à prustenï, le mot est dérivé de *prçslo

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2 0 0 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [ 1 8 3 ]

« fuseau », slov. dial. prçslo, et r. prjâslica « quenouille », etc., de prçdç « je file ».

Slavon strizenï « moelle, cœur "(d'un arbre) », et nom. stroza, de *strùzç pour *strïzç, en slavon russe ; v. r. strezenï et slerzenï, r. mod. stérzen' (gén. -znja) « cœur de l'arbre », et slrézen « cœur, lit d'une rivière » d'après strêmja « courant » ; ukr. stryzen ; pol. rdzen «moelle », ancien zdrzen, drdzen ; slov. strz^n, mais s.-cr. sfz, fém., qui, rapproché de srcika, dérivé de srce « cœur », et pour sa variante strz, pourrait avoir été tiré d'un ancien thème *strzan- (comme sezan-, mozdan-) traité comme adjectif de matière en -(j)an-. Les formes des langues slaves sont en partie altérées, mais la forme primitive est garantie par v. pr. strigeno « cervelle », dérivé féminin. La racine pourrait être *strig- de lette strigt, lit. strigli, prés. stringù « s'enfoncer, s'embourber », avec l'infixé nasal pol. u-strzçgnqc, r. za-strjdnut' pour -strjag- (§ 39), d'où zastrjât' : le mot a désigné la partie molle, la moelle de l'arbre. Il est inséparable du mot suivant :

Slavon mozdeni « cervelle », acc. plur., distinct de l'adjectif mozdanu. « de moelle » ; s.-cr. môzdâni, masc. plur., slov. mozgâni (§ 17). Il s'agit d'un dérivé en -en- de mozgu « moelle », bien attesté en baltique par y. pr. masgeno « cervelle », de *mazgend, fém., et avec altération lit. smâgens « cervelle », masc. plur., et smâgenés, fém. plur., lette smadzenes ; cf. skr. majjdn- « moelle des os » en regard de av. mazga- « moelle, cervelle ». Le pluriel du slave et du baltique est normal avec les noms désignant une matière, du type v. si. pëny « éeume ». Le serbo-croate môzdâni, passant au type des noms en v. si. -(j)ane, s.-cr. -arii, d'où l'instrumental pluriel mozjami en cakavien ancien (§ 179), doit s'expliquer comme korënï par la généralisation de -ën-, -an- après groupe chuintant, pour -en- ; il y a confusion avec l'adjectif dérivé de mozgû, v. si. mozdanû, s.-cr. mozdan et mozden (§ 65), mais on a affaire à un substantif et non à un adjectif. On trouve d'autre

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£183] TYPE EN -en- 201

I part, avec un sens tout différent, v. tch". mozden « cheville », pol. mozdzen, mais il ne paraît pas possible de séparer les deux mots, et cf. s.-cr. mozdànlk : la cheville qu'on enfonce dans un trou a pu être comparée à la moelle de l'os.

SI. asen- « frêne », s,-cr. jâsën, mais dial. jasjen, jasin, de *jasënï ; pol. jesion, jasion, et jasien, v. pol. jesien, avec un flottement entre la flexion dure et molle qui suppose une flexion jasien, gén. plur. *jasion (pour le flottement de ja-et je-, voir § 75) ; v. tch. jasen, jësen, tch. mod. jasan, mais slovaque jasen. Le mot baltique est lit. uosis, v. pr. woasis, mais l'élargissement -n- apparaît en italo-celtique : lat. ornus, de *os(e)n~. Il faut sans doute partir d'un mot-racine à voca-lisme alternant *ôs-:*os-, que le baltique conserve avec passage au type en -i-, et que le slave a élargi en *5s-en-, avec le suffixe -n- qui apparaît dans d'autres noms d'arbres, comme *âbalni- «pommier» de *âbel- «pomme» (§ 174).

Tch. lupen « feuille, pétale » et « bardane », gén. lupene en vieux tchèque ; pol. lopien « bardane », sor. lopjëno « feuille », slov. lépen «feuille», s.-cr. lèpen « nénufar », etc. Les formes et les sens sont variés dans les langues slaves, mais on voit qu'il s'agit d'une feuille de plante on de plantes à grandes feuilles. Le mot est donc apparenté à lit. lapas « feuille », lette lapa, gr. Àémo «je pèle», et cf. lat. lappa «bardane». Le vocalisme du tchèque est pris à une autre racine, tch. loupiti, loupati « peler », r. lupit'.

Pol. lipien « ombre » (poisson), tch. lipen, lipefi ; s.-cr. llpen et dial. lipljen, sûrement de *lipën-, cf. le nom de lieu Lipje-novic. -

Pour des mots plus isolés dans les langues slaves et attestés tardivement, rien ne garantit plus qu'ils continuent des thèmes en -en- : des finales r. -en, pol. -ien, etc., ont constitué des suffixes qui ont eu leur productivité, et qui peuvent n'être que des variantes secondaires d'autres suffixes. C'est le cas, par exemple, pour les mots suivants :

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2 0 2 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [ 1 8 3 ]

R. pécen' « foie », fém., mais ancien masculin, ayec diminutif péëenec. L'accord apparaît remarquable avec lit. këpens, nom. plur., et këpenos, fém., mais le sens de « foie » ne se rencontre qu'en russe et en lituanien, et il dérive de celui de « viande rôtie », de r. peë', lit. kèpti « rôtir » ; c'est ce sens qu'a pol. pieczen, fém., qui flotte avec pieczenia, et qui doit n'être qu'une forme nouvelle prise par le substantif verbal pieczenie. On fera de même toutes réserves pour des mots comme :

R. pletén' « clayonnage », gén. pletnjâ, mais anciennement pletenja, et pol. dial. plecien, de plesti « tresser ».

R. bréden' «traîne» (fdet), gén. brédnja, de bresii «se traîner » et « pêcher à la traîne ».

Pol. wlosien « crin », gén. -nia, et r. vôlosen', masc. et fém., qui désigne la «couronne du paturon du cheval», ainsi nommée à cause de ses crins, cf. s.-cr. klcica : de *vals-« cheveu, poil », r. vôlos, pol. wlos.

Les noms de mois slaves de la petite série de pol. grudzien « décembre », gén. grudnia, russe ancien grûden', gén. -dnja, sont des adjectifs substantivés en -ïnu, v. r. grudenu « novembre », v. tch. hruden, gén. -dna, qui ont pris secondai-rement la mouillure des noms de mois gréco-latins, r. nojâbr : *grudinû est le moment de la boue gelée en mottes, gruda (voir s.-cr. grùmën, § 185), avant les grandes chutes de neige, qui rend le chemin cahoteux et dur pour les traîneaux (v. r. grudenu pull). Pour r. kistén' « boule de fer au bout d'une courroie », gén. kistenjâ, pol. kiécien, c'est un emprunt au turc, comme le nom méridional de cette arme, s.-cr. sàlma, et déjà v. si. sûvalûmu, c'est-à-dire svalm-, déformé par l'éty-mologie populaire d'après sûvaliti « abattre ». Est également pris au turc r. misén « cible », fém., ancien masculin à génitif miseni, qui prouve que le petit type de koren, gén. koreni, est resté longtemps vivace en russe (§ 172).

Mais des formes anciennes présentant un doublet -en- :-ën-

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[183] TYPE EN -en- "203

• " ! attestent la grande productivité qu'avait connue le suffixe -en-dans la formation de dérivés de substantifs et d'adjectifs : v. si.mladenïcï et mladënïcï « jeune enfant ». s. cr. mlâdjenac avec -en-, mais slov. mladçnec, tch. mlàdenec avec -en- ; v. si. pruvënïcï « premier-né », s.-cr. prvijenac et pfvenac ; v. si. pûtenïcï et putënïcï « petit d'oiseau », en regard du slavon puta « oiseau », v. si. putica, lette putns ; slavon bralenïcï et braîënïcï « frère », s.-cr. brâtijenci (plur.), sestrenica et seslrënica «sœur», de bratu et sestra. Des mots comme mladenïcï sont faits sur des dérivés comme *malden- de *maldu, cf. lit. is mazens de mâzas : ces dérivés sont conservés dans des noms de personnes, s.-cr. Mlâden et Mladën (Mladjen, Mladin), M lien et ! Milën de mil- «cher», etc., à côté du type en -e, gén. -eta (§ 195), et, avec les déformations habituelles dans les hypocoristiques (§ 10), Mâles et Malës de mal- «petit». On ne séparera pas de ces hypocoristiques les diminutifs d'adjectifs comme s.-cr. mâlesan-et màljesan. Ce rôle joué en slave, et en balto-slave, par le suffixe -en- comme élargisse-ment de substantifs et d'adjectifs se compare, pour les adjec-tifs, à celui qu'il a joué en germanique, où il a donné la flexion « faible » et déterminée ( § 264), got. blinds « aveugle », déterm. blinda, gén. blindins, avec le parallèle de gr. -cov, lat. -ô. En grec, -cov fournit non seulement des élargissements d'adjectifs, arpàgcov « louche » de crrpagés, mais aussi des hypocoristiques, "ASIJICOV de "ASPR|Tos.

Comme le serbo-croate présente lèmjes à côté de lèmes « soc », on doit penser que le slave lemesï est, comme les noms propres du type s.-cr. Mâles, Maljes, une déformation d'un mot en -en- dérivé de la forme lem- de la racine de si. lomiti « briser », lit. limli. Il apparaît par grebenï, stepenï, et remenï (§185), que, dans les dérivés en -en- de racines verbales, le vocalisme radical était normalement e.

La productivité ancienne de -en- se continue en slave par celle du type en -ënû, r. -jan- (§ 65) des adjectifs indiquant

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2 0 4 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [ 1 8 3 ]

la matière : r.volosjanôj « de cheveux, de crins », de vôlos. La relation du type v. si. kamenï « pierre », r. kâmen', adjectif kamenu, v. r. kamjanu, ukr. kam'janyj, s'est obscurcie et a appelé des remaniements (r. kdmennyj), mais elle a dû rester longtemps assez claire pour que l'on puisse supposer qu'elle a joué en sens inverse, et que r. vôlosen' a été tiré de volosjanôj, pol. wlosien de wlosiany.

184. Type en -men-. — En baltique, le vieux prussien présente encore une forme neutre en-men- dans le Vocabulaire du xive siècle, semen « semence », mais le neutre si. imç « nom » est devenu masculin dans les textes du xvie siècle : emmens, acc. emnen ; les masculins en -en- ont un nominatif singulier en -ins, sasins « lièvre », *menins « mois », et de même les anciens neutres agins « œil », ausins « oreille ». Le lituanien n'a plus que des masculins à nominatif -uo, -muo, gén. -en(e)s, -men(e)s ; en lette, on n'a plus que dès masculins en -ens, -mens, mais dialectalement -ins, -mins. De ces faits tardifs et brouillés se dégage l'existence de deux désinences de nominatif ou nominatif-accusatif : d'une part lit. -uo, -muo, continuant la désinence masculine i.-e. *-5(n), avec une autre forme dans v. pr. smoy « homme » ; d'autre part v. pr. et lette dial. -ins, -mins. La désinence -ens du vieux prussien et du lette est refaite sur les cas obliques : v. pr. kërmens « corps », acc. kërmenen. De -ins, deux origines sont possibles : un développement sur l'ancien degré réduit -n-, transporté à l'accusatif dans v. pr. kërmnen, emnen, avec l'alternance de -n- devant voyelle et -in- devant consonne ; et une exten-sion de la finale neutre de i.-e. balto-slave *-min, avec passage au masculin en baltique. Un autre traitement de *-(m)in neutre est v. pr. -an, par substitution de la finale des neutres en -o-, dans wundan « eau », d'où masc. unds, dadan «lait».(§ 176) Le mot v. pr. kïsman (acc.) «temps» doit être un neutre en -men- parallèle à v. si. vrëmç, et

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[184] TYPE EN -men- 205 i

formé sur le thème *kës- de si. casu «moment» (§ 186). Toutes les désinences de nominatif singulier masculin et

de nominatif-accusatif neutre sont remaniées en baltique et en slave. Le masculin lit. -uo, sous l'accent -uô d'intonation douce, ne répond exactement ni à i.-e. *-5 ni à i.-e. *-dn ; si. -my, qui ne répond sûrement pas à *-mô, peut représenter *-môns aussi bien que *-môn (§ 88). Pour le neutre, v. pr. -men, -mens a pris la place de *-min. En slave, où *-mç, *-min, se serait réduit à *-mï, -mç d'intonation rude (§ 222) suppose une forme nouvelle *-mën, qui a dû prendre sa finale au type neutre en -g, gén. -çte, plutôt qu'au type masculin en -ç, car l'emprunt le plus direct au masculin aurait été en *-my, cf. -y masculin et neutre au nominatif singulier du participe présent actif (§ 279).

Quant au type lit. -muo, qui confond les deux types masculin et neutre, il est encore abondamment représenté en lituanien. Ainsi piemuô «berger», gr. -rroi|ir|v (§ 50) ; asmuô «le tran-chant », de la racine as-, lit. astrùs « tranchant », si. ostru ; augmuô « excroissance », de âugti « croître », cf. v. lat. augmen ; juosmuô « ceinture », de jûosti « ceindre », cf. gr. Çcoiia ; lygmuô « niveau », de lygti « devenir égal » ; mètmens (plur.) « chaîne d'un tissu», et lette mesmens (§ 31), de mèsti «jeter», prés. melù, cf. lette meti (plur.) de même sens ; piûmuô « moisson », de piâuti «couper, moissonner»; pùtmens (plur.) «tumeur», de pùsti «s'enfler», prêt, putaû; sermens (plur.) «repas d'en-terrement », de sérti «donner à manger»; zelmuô «rejeton», de zélti « verdir, pousser » ; etc. Ces mots indiquent assez la productivité qu'a connue le type.

Le baltique présente en outre un suffixe lit. -mena, -mené, qui est tiré de thèmes en -men-. On peut penser que c'est, en partie, l'ancien pluriel neutre en si. -mena, qui, se trouvant isolé avec la perte du neutre, s'est transformé en suffixe féminin singulier (§ 125). Quelques mots en -meno du vieux prussien s'expliquent bien tde cette façon : schumeno « fil de

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2 0 6 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [ 1 8 3 ]

cordonnier, ligneul», de lit. siuti «coudre», cf. skr. syuman-« couture, lien » ; plasmeno « plante des pieds », en regard de lit. dial. plâsnas, si. plesna, cf. dans les parties du corps si. ramç « épaule », plur. ramena ; vimino « orme », de lit. vyti «tresser», cf. lat. uïmen qui s'applique à divers bois pliants.

Mais la productivité a cessé, et le type flexionnel est en train de disparaître. Dès le vieux lituanien, on le voit passant

. au type masculin en -i- ou -yo-, gén. akmenies ou âkménio pour akmen (è)s ; il peut même passer au type dur : dial. âkmenas, gén. -no. En lette, les noms en -(m)en- ne sont plus repré-sentés que par une demi-douzaine de mots, akmens, asmens, udens, rudens, etc., et encore leur flexion ne se distingue-t-elle plus dé celle du type en -yo- que par le nominatif en-ens et par le génitif en -ens à côté de -ena.

185. Masculins en -men-. — Le type est encore net en vieux slave, non sans contaminations avec le type en -i- ; il disparaît généralement dans la suite. Il se caractérise par son nominatif (nom.-acc.) en -my à côté de -menï, qui se maintient en vieux slave, en serbo-croate ancien et dialectal, en kachoube et en polabe ; par sa flexion à génitif singulier en -e, qui dure jusqu'au tchèque littéraire moderne ; par son génitif pluriel de type dur, qui a laissé une trace jusqu'à l'époque actuelle, tch. kamen ; et par ses dérivés en -yku, v. si. kamyku « pierre », et en -ënu de *-ç-nu, v". si. kamènû « de pierre ». Mais les dérivés en -ënu sont aussi bien ceux du type neutre en -men-: ramënu de ramç ; et les dérivés en -yku, construits sur la forme -y du nominatif singulier en -my, ont pu être étendus secondairement aux masculins en -en-à' nominatif ancien en -g : pol. grzebyk. Les mots suivants représentent le type :

V. si. kamy, kamenï «pierre», gén. kamene ; r. kâmen , gén. kameni, puis kamenja, mod. kâmnja, et ukr. kâmin ,

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[185 ] MASCULINS EN -men- . 2 0 7

i

gén. kâmenju ; pol. kamien, gén. -nia, et gén. plur. kamion en vieux polonais ; kachoube kamy, kam (acc. kamien), polabe komôy de kamy ; tch. kdmen, gén. kamene, mais -na en tchèque parlé et dans les dialectes, gén. plur. kamen conservé pour -nu après nom de nombre au sens de « poids de vingt livres » ; slovaque kamen, gén. -na ; slov. kdmen, gén. kâmena et kdmna ; s.-cr. kâmën, gén. kâmena, mais ancien et dial. kàmi, kâm ; bulg. kdmen (kâmâk), plur. kâmâni, gén. sing. kamene et kamenë en moyen bulgare. Cf. lit.- akmuô, skr. dçman-, gr. ccKjicov ' (« enclume ») : c'est un vieux mot indo-européen qui n'est plus analysable, et qui pouvait ne pas appartenir primitivement au type en -men-, ou qui présentait des formes du type neutre très ancien en hitt. -mar (§ 181), d'après les dérivés skr. açmarâ- m de pierre», v. isl. hamarr «pierre, marteau », v. h. a. hamar. La métathèse inexpliquée de lit. ak- en si. *kâ- (§ 39), et de *ak- en *ka- en germanique, pourrait résulter en slave du traitement d'un groupe complexe *akmn- dans l'ancienne forme à degré réduit des cas obliques ; l'allongement vocalique en *kâ- dans un tel groupe, qui devait donner une consonne géminée, est concevable (§ 42).

V. si. plamy, plamenï « flamme » ; v. r. polomja, avec passage au type neutre, r. mod. pôlomja, pôlymja, et plâmen (slavo-nisme), usuellement plâmja ; pol. plomien, kachoube piomy, plom ; tch. plamen, gén. -ne (-nu en tchèque parlé), et slovaque plamen, gén. -na ; s.-cr. plâmén, gén. plàmena, mais vieux s.-cr. plami, et dial. plâm. Le mot est construit sur la racine de v. si. polëti « flamber ».

Pol. promien « rayon, touffe de cheveux, filet d'eau, etc. » ; tch. pramen « source » et « tresse », gén. -ne (-nu en tchèque parlé) ; s. cr. pràmën « touffe, tresse, traînée de nuage », et ancien prami, dial. prâm. Le mot, avec ses sens divers, a l'aspect d'un dérivé de la forme *par- que présente en slave la racine *per- dans v. si. pro-prati «fendre, éventrer», r. porôt' : l'idée commune est de quelque chose qui se fragmente.

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2 0 8 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [183 ]

R. kremén « silex », pol. krzemien, kachoube kremy, krem ; tch. kfemen, gén. -ne (-na en tchèque parlé) ; s.-cr. krëmën, mais slavon serbe kremy, s.-cr. ancien et dial. krem. La forme baltique est lette krems, krams. Il peut y avoir eu en slave substitution de suffixe d'après kamy, kamenï « pierre ». On ne restitue pas la racine ; on soupçonne, sans pouvoir le préciser, un lien avec le verbe kresali « battre le briquet », qui signifie aussi « tailler, dégrossir la pierre » (pol. okrzesac) et « tailler, les arbres, le bois », et qui en ce sens est parallèle à tesati « tailler le bois, charpenter ».

V. r. strumenï « courant », r. mod. strémja d'après stremit'sja « se précipiter » et se confondant avec sïrémja « étrier » ; pol. strumien « ruisseau, torrent », dial. strum ; v. tch. strumen, gén. strumene. Le mot répond à lit. dial. straumuo « torrent », et cf. le nom de la rivière thrace Srpùncov : c'est un dérivé de la racine *sru- de lit. sravëti « couler », si. struja, struga « flot, courant ».

Slavon jçcïmy, jçëïmenï « orge » ; pol. jçezmien, kachoube jqcmy ; tch. jecmen, gén. -ne (-nu et -na en tchèque parlé) ; s.-cr. jëcmên, mais usuellement jècam, gén. jècma, qui suppose *jecmi, et qui paraît garder la trace d'un mouvement d'accent *jçcïmy, acc. * jçëïmenï, du type lit. akmuô, acc. âkmenj (§ 217) ; bulg. ecmén et ec(e)mik. La formation du mot, avec -men- qui semble ajouté à un thème en -i-, est insolite ; les adjectifs v. si. jçcïnû « d'orge», et jçcïnënu, qui est proba-blement une contamination de *jçcîmënû et jecïnu, atteste seulement l'embarras du slave à en tirer un dérivé, et la tendance à en dégager un thème jçcï~. On peut penser que ce mot de l'« orge », qui est propre au slave, est un ancien composé. Le premier terme serait /g-, du type de v. si. nejçvëru « incrédule » de jeti vërç « croire », littéralement « prendre foi » ; le second terme *-cïmen- serait le mot balto-slave qui se conserve dans lit. kiminaï « variété de mousse », kieminà «une herbe des prés», tch. dial. cmâni, collectif neutre, «mau-

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[ 1 8 5 ] MASCULINS EN -men- • 209 '

vaise herbe » et « ramilles ». L'orge serait la céréale qui « prend de la mauvaise herbe », par exemple qui prend de la mauvaise paille, car on est forcé, après battage, de nettoyer l'orge de ses débris de barbes. Le baltique a un autre nom : v. pr-moasis de *maizis, lit. miëziai, qui pourrait être une altération par métathèse d'un dérivé *zaim- de *zeimâ « hiver », lit. ziemà, et une formation plus ancienne que v. pr. seamis « blé d'hiver », de *zeimis ; cf. r. ôzim', s.-cr. ozimac, désignant particulièrement le seigle en russe et l'orge en serbo-croate.

SI. *kumen-, seulement dans tch. kmen « tige, tronc », gén. kmene en vieux tchèque et dans la langue moderne, slovaque kmen, gén. -na, bas-sor. kmjen. L'aspect du mot est d'un dérivé en -men- de la forme kû- conservée dans v. si. kuznï « ruse, machination », r. kôzni (slavonisme), de la racine ver-bale de kovati « forger », dont le sens premier était « battre » ; tandis que *kyjï, r. kij, dérivé en -yo-, désigne différentes formes de « battoir », et de là le « bâton », *kumen- aurait pu désigner la « batture », la tige qui reste quand on. a battu le grain.

S.-cr. grùmën « motte », gén. grûmena, et grûm, grum en moyen serbo-croate et dialectalement, dim. grumicak de *grumyku, bulg. dial. grûmik. Le mot est de la racine verbale de lit. grusti « perler l'orge », prêt, grudau, qui indique la mouture grossière qui donne de gros grains, du gruau (v. h. a. grioz, ail. Griess «gruau, gravier»), et cette racine a donné en slave un dérivé *grâud-men- à côté du postverbal *grâudât

s.-cr. grûda « motte », r. grûda « tas ». V. si .'remenï «courroie, lacet de soulier », gén. -ne; pol.

rzemien et kachoube remy, rem, s.-cr. rëmën, etc., avec un dérivé v. r. remykïi, pol. rzemyk, etc. Il y a eu évidemment des noms en -en- tirés de racines terminées par m, et il est normal qu'ils se soient ensuite confondus avec les noms en -men-. Le nominatif en -my du kachoube, que le serbo-croate ne confirme pas, et le dérivé en -ykû, s.-cr. rèmik, doivent

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2 1 0 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [ 1 8 3 ]

être analogiques du type kamy, kamyku, et l'on peut voir dans remenï un dérivé en -en- de la racine verbale *rem-, i

perdue en slave, mais bien représentée en baltique, lit. remti « appuyer », rimti « ne pas bouger, être tranquille », v. h. a. rama « support, cadre », skr. râmâyali « il retient » : c'est ce qui fixe, une attache.

V. r. strïmenï « étrier », puis stremja avec passage au neutre, | r. mod. strémja ; pol. strzemiç, pour v. pol. et dial. strzemien, fi et dial. strzem ; v. tch. slrmen, gén. plur. slrmen, tch. mod. I trmen et slremen, gén. -ne dans la langue littéraire ; s.-cr. I strmën et strëmën. Le mot fait visiblement couple avec remenï, d'où la substitution de strem- à strïm-. Il s'agit de l'étrier r constitué d'une corde, d'une courroie, cf. v. pr. lingo « étrier » j et nolingo « rênes », lit. lïngè v- corde pour se balancer, lingûoti ». Un rattachement à slrïmu « escarpé, à pic » ne pourrait relever que de l'étymologie populaire. Le nom slave de l'« étrier », sans correspondant en baltique, doit être emprunté, comme celui de la « selle » (§ 38) : en roman, v. fr. estrieu l'est à un germanique *streup-, ét une forme parallèle *strip-, ail. Strippe «corde, sous-pied », peut avoir donné *sirï(p)men-en prenant la finale de remen-. C'est ainsi que le russe dialectal, par croisement de zito «céréale» et de jaëmén, a créé zitmén « orge ». De même sans doute :

Pol. dial. kosmien « garrot du cheval », qui est évidemment le même mot, nommant le garrot par les poils du bas de la j crinière, que pol. kosmyk « touffe », blanc-russe kosmijëce, i collectif, de kosmû « cheveu », r. kosmâ « touffe » : donc élar- t gissement en -en-, -yk-, mais formé d'après pol. promien, ' promyk « mèche de cheveux » et le type en -men-.

Le russe présente un type de dérivés d'adjectifs, avec des formes anciennes : v. r. uzmenï « détroit », de çzukû « étroit », r. ûzkij ; v. r. golomjcl, r. gôlômen', fém., et golômjâ, « espace nu, bois nu, mer ouverte, lame nue », de gôlyj « nu », qui f remonte à un slave commun *gal-men-, et où le flottement de

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[ 1 8 6 ] NEUTRES EN -men-, 211

genre indique un ancien masculin ; suxmén' « terre ' sèche, temps sec », de suxôj « sec », attesté comme féminin depuis lè xive siècle, et dial. susmén , pol. dial. suszmien qui désigne un « brin de paille » ; gluxmén', masc., «temps mort», littéra-lement «sourd», de gluxôj, et blanc-russe hlusmén, masc., « un sourd », dépréciatif ; le contraire est r. sluxménnyj « qui a bonne oreille » (et sluxmjânyj « obéissant »), qui suppose *sluxmen', de même que nizmennyj « bas », de nizkij, suppose *nizmen . Le type, sinon toutes ses formes, doit remonter au slave commun, et il ne se distingue du type général en -men-que par un développement particulier en russe en regard d'adjectifs. Lit. lygmuô « niveau » est aussi bien un dérivé de l'adjectif lijg'us « égal » que du verbe lï/gti.

L'emprunt v. r. limenï «port», masc., du grec Ài|ir|v, Àinévaç, a été incorporé au type ; r. mod. limân, avec son sens spécial d'« estuaire, liman », est pris au turc. Il y a eu une petite productivité du type masculin en -men-, et on a relevé quelques formations nettement secondaires. En serbo-croate, une flexion masculine kàm, gén. kâmena, parallèle à la flexion neutre ïme, gén. Imena, s'est établie dialectalement, et elle a attiré des mots comme grm (et grmën) « buisson », gén. grmena pour grma, de v. si. grumû.

, 186. Neutres en -men-. — Le type se conserve ordinaire-ment dans les langues slaves, en éliminant sa flexion athéma-tique, mais en gardant son nominatif-accusatif singulier anomal, et en présentant dans une partie des langues une opposition entre le singulier de flexion mouillée et le pluriel de flexion dure (§ 207). Les mots du type restent donc aisé-ment reconnaissables.

V. si. img «nom», gén. imene ; r. îmja, gén. îmeni, et ukr. im'jâ, gén. imeny ; pol. imig, gén. imienia, et polabe geimang (instr. ramingam de ramang « épaule ») ; bas-sor. me (§ 63), et mjénjo, mjëno ; tch. ancien jmë, gén. jmene,

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212 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [ 1 8 3 ]

tch. mod. jmeno, gén. jmena; slovaque -jmd dans najmà «nom-mément » (sema « semence », gén. semena, remplacé par semeho, gén. -na) ; slov. im|, gén. imçna, s.-cr. Ime, gén. ïmena, bulg. ime, plur. imenâ. En baltique, le vieux prussien a emmens, emnes, avec passage au masculin, acc. emnen, emnan ; le mot a disparu en letto-lituanien : lit. vardas, lette vàrds, cf. v. pr. wïrds « mot ». La flexion du vieux prussien atteste la conser-vation d'une alternance emen-, emn-, en balto-slave *inmen-, *inmn- (§41). Les formes des autres langues sont : hitt. laman, gén. lamnas ; skr. nâma, gén. nâmnah, et lat. nômen, gén. nôminis, mais irl. ainm n-, de *i}men- ; got. namô, plur. namna ; gr. ôvoua et; dial. ôvunoc, cf. àvcovunos. Elles supposent un très vieux mot indo-européen, inanalysable, dont la flexion pourrait être *nSmn, cas obliques *nmn-, cf. hitt. lekan «terre», gén. taknas et véd. jmâh (§ 94). Le mot est entré dans le type neutre à suffixe -men-, et s'est normalisé sur thème *nS- ou

V. si. sémg « semence », v. pr. semen, v. lit. et dial. sëmenes (plur.), lat. sëmen, v. h. a. sâmo, de v. si. sëti (sëjati) « semer », lit. sëti, lat. se- (prêt, sëuï), v. h. a. sâen.

V. si. brëmç « fardeau » de *bër-men-, s.-cr. brème, r. pop. berémja, cf. skr. bhârïman- «fait de porter » (§ 97) ; le mot conserve le sens ancien « porter » de la racine si. ber-, i.-e. *bher-, de v. si. bïrati, berç, passé au sens de « choisir, cueillir » d'après les formes à préverbe, et r. brat' « prendre ».

V. si. vrëmç « temps », de *ver-men-, v. r. veremja (r. vrëmja, slavonisme). On voit, par le blanc-russe vëreme et le serbo-croate vrijëme, que la racine était d'intonation douce, et cette racine paraît avoir été *ver- plutôt que *vert- ( § 39) : ce serait celle de v. si. vu-vrëti « glisser dans », za-vrëti « fermer » (en glissant le verrou, verëja), lit. veriù « j'enfde », avec le sens de « file » dans r. verenica, lit. votà, pavarë. Le mot vrëmç indique la durée du temps, par opposition à ëasu « moment », qui a dû avoir aussi son dérivé en -men-, v. pr. kïsman (§184).

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[ 1 8 6 ] NEUTRES EN -men- 2 1 3

i

V. si. plemç « raee, descendance», sûrement de la racine *pled- de plodu «fruit» (§ 117).

Slavon slëme « poutre », particulièrement « poutre faîtière », pol. szlemiç de êlemiç, tch. slémë, etc., de *sël-men-, lit. selmuô « faîte de la maison, grande poutre », acc. sêlmeni. Le russe ancien solomja « détroit » est un autre mot : c'est un emprunt du russe septentrional au finnois salmi, acc. salmen. Mais il est douteux que cet emprunt remonte à une époque antérieure au passage de *-al- à r. -olo-, et les parlers septentrionaux modernes ont sâlma. Sa forme doit plutôt résulter d'une contamination avec *solomja « poutre », disparu en russe, mais dont le slavon russe paraît garder la trace dans des graphies altérées s/am/'a (hyperslavonisme, § 70), slomja. Le mot balto-slave, à s- initial, n'a rien à voir avec gr. céÀpioc « pont de navire, banc de rameur », mais il s'accorde entièrement avec lat. columen, culmen «faîte, poutre faîtière» : c'est un dérivé de la racine de lat. -cellô, lit. kétti « élever », d'intonation rude en lituanien (kâlnas « montagne », lat. collis), et il en conserve la forme *sel~, à côté de kel- d'après les formes à préverbe usuelles, lit. uzkélti, iskélti (§ 12).

Slavon tëmq « sommet de la tête », à radical d'intonation rude, s.-cr. tjëme, tch. témë. Ce mot, isolé en slave, est sans doute une création du slave même, et on peut le rattacher à une racine verbale en admettant que tëmen- représente *iïn-men-, avec dénasalisation de *tïn-, *tç- devant nasale (§ 65). Cette racine serait alors celle de lit. lînti « rebattre la faux », si. *tçti, Hïne- « couper, abattre », pol. ciqc, tnç : il s'agirait d'une des nombreuses désignations imagées du « crâne », r. cérep « tesson », etc., ici d'une « bille de bois », cf. tch. ston « souche » de s-Uti, se-tnu « trancher », nâlon « billot » de v. tch. na-tieti.

SI. *vymç «pis», r. vymja, etc., est une réfection du neutre en *-r: *-n- (§ 176) conservé par skr. Adhar «mamelle»,, gén. udhnah, v. h. a. ûtar, etc. : soit par extension du suffixe

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2 1 4 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [183 ]

-men- à un thème *ûd- extrait de ce mot, soit par remanie-ment morphologique sur la base des cas obliques en *ûdn-, des formes *ûdn- et *sëmn-, de si. sémg « semence », ayant dû à un moment présenter en slave le même aspect *ûnn-, *sênn- (§39).

Slavon ramg « épaule », ukr. rdm'ja, gén. râmeny, blanc-russe rame, pol. ramiç, tch. rdmë, mais la forme vieux-slave est ramo. On trouve ailleurs des flottements ou une flexion mixte : slov. rame, gén. ramena, mais usuellement fém. râma, qui est sûrement tiré d'un duel rame ; s.-cr.srame, mais dial. râmo, gén. ramena ; bulg. rdmo, mais plur. ramenâ et ramené (ancien duel). Le russe râmo, gén. râma et râmeni, plur. ramenâ, combine des formes livresques et dialectales, le mot usuel étant plecô. L'ancienneté de ramen- paraît garantie par le dérivé slavon ramënû « puissant », c'est-à-dire « à fortes épaules», y. r. ram/anu (§.65), slov. râmeno «énormément». En baltique, on a v. pr. irmo « bras », fém. sing., qui peut être un ancien pluriel neutre (§ 125) ou un ancien duel, et lit. irm-dans irmliga, irmèdê « arthrite », de ligà « maladie » et -êdê « qui mange » ; l'intonation est rude dans lit. irm-, comme dans si. ram- (§ 69). Ailleurs, on a lat. armus « bras », got. arms, et skr. îrmâh. La racine verbale est celle de gr. âpocpioKco, âpcjaç « ayant ajusté », ccpôpov « articulation », lat. artus, articulus. Elle ne se conserve en balto-slave, et avec intonation rude en lituanien, qu'avec son sens initial « ajuster » fortement modifié par dépréverbation : si. oriti « abattre, détruire », d'après raz-orili, lit. irli « tomber en morceaux », d'après is-irti. Sur cette racine, le balto-slave pouvait créer des noms divers de l'articulation du bras, ou remanier un nom plus ancien. Le baltique *ïrma- diffère du slave, *ârma- et *ârmen~. On ignore d'ailleurs le traitement d'un groupe *fr-devant consonne en slave, comme on sait mal celui d'un groupe *ër- (§ 69) : il est possible que ces groupes, quand ils ont commencé de faire difficulté, aient été remplacés par des

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[ 1 8 6 ] NEUTRES EN -men- 2 1 5

i

formes alternantes plus commodes. Quant au flottement slave des suffixes -mo et -men-, on le retrouve dans pismo et pismen-, pasmo et .pasmen-, et il pourrait avoir une cause morpholo-gique (§ 179).

Y. si. pismq « lettre, caractère d'écriture », et v. pol. et kachoube pismiç, mais v. r. pismo, r. mod. pis'mô « lettre, missive », pol. pismo, de pïsati, pisç, « écrire ». Le russe conserve le pluriel pis'mena « caractères d'écriture », et c'est de là, avec -sm- prononcé -s'm - devant -e-, qu'il a tiré la mouillure secondaire de pis'mô (cf. § 45).

V. si. cismç « nombre, chiffre », à côté de ëislo « nombre », de ëisti, cïtç, «compter» (§ 39).

Slavon *prësmç de bes prësmene « sans cesse », formation très secondaire, à côté de bes prëstani, sur prë-slali «cesser».

SI. *znamç, v. r. znamja « signe (de reconnaissance) », r. mod. zndmja « étendard », pol. znamie « signe », ancien d'après v. si. znamenali « signifier, marquer d'un signe », znamenije « signe » ; le" masculin znamen, zlamen du moyen serbo-croate est refait sur le verbe. La formation est parallèle à gr. yvœjjia « connaissance », lat. co-gnômen, mais en est indé-pendante.

Il y avait sûrement en slave d'autres neutres en -men-. Le polabe, isolé à l'extrémité du domaine slave, présente deux formes qui lui sont propres, mais d'ancienneté douteuse : sângseman « corde de bois », plur. sangsamêna, de *sqzmen-, pour sçzenï (§ 183); et pôsmang « écheveau », de *pasmç, plur. pôsmena, pour pasmo des autres langues, r. pasmo, etc. Mais le slovince a une flexion nom.-acc. pasmo, pasmien- aux cas obliques, et il doit s'agir d'une influence du masculin pol. promien : on dit également pasmo wlosôw et promien wlosôw « touffe de cheveux ».

On a pol. dymiç «aine», dérivé dymienica «inflammation de l'aine, bubon », et h. sor. dymjo, un vieux-tchèque dymë étant douteux. Ailleurs on trouve s.-cr. ancien dimje « aine »,

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2 1 6 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [ 1 8 3 ]

fém. plur., slov. dimlje, et v. tch. dïjm « bubon », mod. d$mëj. C'est un dérivé du thème verbal de na-dymati sç «s'enfler», qui a désigné la tumeur ou la hernie inguinale, cf. ukr. nadymy « hernie » ; s.-cr. dimje doit s'être modelé sur ledje « reins », de v. si. Içdvijç, et pol. dymiç a pu se modeler sur wymiç « pis ».

On doit supposer *timen- « boue », à côté de v. si. tina, r. tina « vase », d'après v. si. timëno, qui doit être un adjectif *iimënû substantivé, et timënije ; et on a le mot dans h. sor. tymjo, gén. tymjenja, bien que l'initiale ty- pour ci- soit irrégulière et demande une explication. L'adjectif rumënû « rouge », r. rumjanyj, restitue un substantif *rumen-, de rudu « rouge », r. rudôj, cf. lit. raumuô « chair des muscles », de raûdas ; mais on ne reconnaît pas s'il s'agit d'un masculin ou d'un neutre en -men-. Il est déjà plus incertain de tirer du serbo-croate dialectal stâmen « stable » et du slavon serbe ustameniti « constituer » un substantif *stâmen- répondant à lit. stuomuô, stomuô ( § 49) « stature », de stôli « se tenir debout », si. stati ; le bulgare slàmen kâmen doit n'être qu'une altéra-tion de s.-cr. stânac kàmën « pierre dressée ».

Des formes comme v. si. pismç, cismç, et surtout bes prësmene, montrent que le type est resté longtemps productif. Bien caractérisé par sa finale de nominatif-accusatif singulier, et se maintenant comme type flexionnel distinct, il a pu attirer des masculins en -men-, ainsi r. strémja, pol. strzemiç « étrier ».

187. Type masculin en -(j)ane. — C'est uniquement un type de pluriel. Le singulier et le duel sont fournis par un singulatif (§ 212) en -(j)aninû : ainsi, de v. si. gradu «ville », r. gôrod, sing. grazdaninu «habitant d'une ville», r. gorozdnin (et grazdaniri «citoyen», slavonisme, § 26, § 70), duel gra-zdaninu, plur. grazdane, r. gorozâne. Voici la flexion en vieux slave, en vieux russe et en russe moderne :

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[ 1 8 7 ] TYPE MASCULIN EN -(j)ane 2 1 7

vieux slave vieux russe N. grazdane gorozane A. grazdany gorozany ) G. grazdanu gorozanu \ L. grazdanexu gorozanexu D. grazdanemu gorozanomu I. grazdany gorozany

gorozdnax gorozdnam gorozdnami

russe mod. gorozane

gorozdn

La flexion du vieux polonais et celle du vieux tchèque sont les mêmes qu'en vieux russe : v. pol. -anie, -any, -an, -aniech (et -anoch, § 163), -anom, -any; v. tch. -ëne (§ 78, mod. -ané), -any, -an, -ënech et -ëniech (mod. -anech), -anom, -any. On voit que dans ce thème consonantique isolé d'un singulier, et à ca-ractéristique -û du type dur au génitif pluriel, la tendance est à faire passer la flexion, non au type mouillé en -i-j-yo-, mais au type dur en -o-. Le vieux slave ne présente pas seulement la forme nouvelle -y d'instrumental pluriel, mais aussi -y à l'accusatif, au lieu de -i du type athématique ; les autres langues ont en outre dat. plur. -omu, pour v. si. -emu. Dans les langues modernes, le passage au type dur est complet, sauf une conservation partielle de la forme -e de nominatif : r. -ane dans la langue littéraire, dans les dialectes -anja ou -ana, et ukr. -any ; pol. -anie, tch. -ané dans le sous-genre animé, -any dans le sous-genre inanimé des noms de lieux.

Cette flexion isolée d'un singulier offrait une autre particu-larité : elle a conservé longtemps les formes athématiques de locatif, datif et instrumental pluriels, loc. -as en vieux tchèque, loc. -axu, dat. -amû, instr. -ami, pour v. si. -anexu, -anemu, -any, en vieux russe, en serbo-croate ancien, et jusqu'en slovène moderne, dans les toponymes, mais aussi en emploi plus libre (§ 179). Si l'on ne rencontre pas ces formes en vieux slave bulgaro-macédonien, c'est que les textes vieux-slaves ne donnent pas de toponymes slaves.

Les noms en -(j)ane sont en effet les noms d'habitants de

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2 1 8 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [ 1 8 3 ]

localités ou de régions, noms de tribus et noms de lieux : v. r. Poljane « habitants de la plaine, polje », Polocane « gens de la région de la rivière Polota », etc. La flexion athématique est attachée à un suffixe et à sa productivité. La forme en est -(j)an-, et -en- dans un cas, celui, évidemment très ancien, du nom des « Slaves » : Slovène, sing. Slovëninu. Cas isolé, d'où la réfection en v. r. Slovjane, pol. Slowianie, avec des formes en Slav-, r. Slavjâne, qui sont savantes et d'après le grec 2xÀocgr|voî et le latin S(c)lavi, transcriptions anciennes du slave Slov- (§ 47), et aussi d'après une étymologie flatteuse par slava « gloire ».

L'origine du suffixe n'est pas très claire. Got. -ja, gén. -jins, dans le type baurgja « citadin » de baurgs « ville », répond mal dans sa forme et ses emplois à si. -(j)an-. Un rapproche-ment avec le grec -icov, dans des patronymiques comme Oùpccvîcov, gén. -îcovos, « fils d'Uranus », forme substantivée de oûpccvioç, est lointain, mais instructif. Il faut d'abord fixer l'état balto-slave. Le suffixe baltique qui répond à si. -(j)ane est lit. -ênas, lette -ëns, du type lit. Tilzënas « habi-tant de Tilsit, Tilzè », kalnënas « habitant de la montagne, kâlnasD, lette Nîtaur§ni «habitants de Nltaure », qui s'emploie surtout au pluriel et fournit de nombreux noms de lieux en lit. -ënai, lette -§ni. C'est en même temps un suffixe de patro-nymiques : lette bràlçns «fils du frère, èrà/is ». Si le letto-lituanien ne présente pas de trace d'une flexion athématique, c'est que, comme les langues slaves modernes, il a fait passer le type à la flexion dure en -o-. Il faut donc, pour le balto-slave, partir de noms en *-ën, formant des patronymiques et des mots indiquant l'origine. Le grec offre dialectalement des hypocoristiques en -r|v, à côté de -cov de la langue courante: AUOTIV pour AÛCKOV, de AûcravSpos ; il a quelques noms anciens de peuples en -T V, et le nom commun des Grecs, "EÀXT|V£S, pose un problème aussi obscur que celui des Slaves, Slovène. La généralisation de la forme longue *-ën- n'apparaît pas

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[188] TYPES EN -tele, -are ' . 219

. . • - ! dans les autres types en -en-, -men-, mais le grec -cov-, -riv-et le latin -on- montrent qu'elle était naturelle, surtout dans des noms de personnes qui sont des appellatifs et où le nomi-natif et le vocatif singulier ont une grande importance. D'autres causes ont pu intervenir, en slave la suffixation de -inû au nominatif singulier *-ên, avec -ëninu comme kamyku de kamy, et l'existence de formes comme *-ëmu, de *-ç-mû, au datif, à l'instrumental et au locatif pluriels.

En slave, le suffixe *-ën a été généralement ajouté à -/-, c'est-à-dire à l'adjectif possessif en *-yo-, comme dans gr. Oûpavicov de oûpâvtps « d'Uranus, OOpavôs » : d'où -jan-, et c'est sous cette forme qu'il a été productif et s'est tiré directement de noms de lieux. Ainsi les noms en -(j)ane sont des substantifs en *-ën dérivés d'adjectifs, comme dans le type s.-cr. Mladen et Mladën, v. si. mladenïcï et mladënïcï.

Pour Slovène, qui garde seul la forme balto-slave en -en, toute hypothèse est arbitraire sur l'origine de ce nom de la plus grande tribu slave. Un rattachement à slovo et à la racine de sluti « être renommé » n'est pas absurde, mais à condition d'y voir un nom de famille comme dans *Xurvat-« Croate » (§ 3), et un hypocoristique en *-ën d'un composé à premier terme analogue à gr. KÀuro-(|xnSr|ç), [germ. Hlud-(rich), celtique Cluio-(rix).

Les autres types masculins.

188. Types en -tele, -are. — Ce sont les pluriels de deux suffixes, -teljï et -arjï. Leurs flexions sont différentes à l'origine, mais elles se sont influencées mutuellement. Le suffixe -teljï est un suffixe de noms d'agents tirés de verbes : dateljï « donneur», de dati « donner » ; -arjï est un suffixe dénominatif indiquant la fonction, la profession : vratarjï « portier», de vrata « (grand') porte ». Mais les deux suffixes se sont concurrencés : slavon russe mukarï « tourmenteur, tyran », de mçka « tourment »,

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2 2 0 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [ 1 8 3 ]

comme v. si. mçciteljï, de mçciti « tourmenter », r. pisar' «scribe» et pisâtel' «écrivain», de pisât' «écrire» (où d'ailleurs pisar' doit être un emprunt à pol. pisarz, substitué à piséc).

Voici en vieux slave la flexion de pluriel de mylarjï « publi-cain », et celle de v. si. prijateljï « ami », v. tch. prietel, le seul nom en -teljï qui garde sa flexion ancienne en vieux tchèque :

v. si. v. si. v. tch. N. mytare, -rji prijatelje prietele A. mylarjç prijatelje pfâtely, prietele G. mylarjï prijatelû, -Ijï prâtel L. mytarjixu prijatelfj)exu, -Ijixu prietelech D. mytarjemu, -rïmu prijateljemu, -lïmû prâtelom I. mytarji, -ry prijately, -Iji pfâtely, -li

La distinction de Ij et l est nette en vieux slave, mais dans deux manuscrits seulement ; celle de rj et r est rarement indiquée (§ 25), et l'on peut lire aussi bien nom. -arje.

Le suffixe -arjï est pris au latin -ârius, dont l'extension a été grande (gr. -âpioç, etc.), et à l'imitation du germanique : v. si. mylarjï et got. môtareis, de si. myto, got. môta « taxe, droit de douane » ( § 54) ; slavon bukarï « lettré » et got. bôkareis, de si. buky «lettre», got. bôka (§ 204). La flexion est donc celle du type en -yo-, mais elle a pris en vieux slave au type athématique de -tel- son nominatif pluriel en -are (usuel), et aussi son instrumental pluriel en -ary (rare). Le russe ancien connaît également un nominatif pluriel -are, mais généralement les mots en -arjï se fléchissent dans les langues slaves comme des masculins du type en -yo-, et pol. -arze, nom. plur., n'est plus une désinence athématique (§ 140). Il ne s'agit donc essentiellement, en vieux slave et ailleurs, que d'une extension de la désinence -e de nominatif pluriel (§ 206 ) . ' .

Pour le pluriel du type -teljï, on a bien affaire aux restes

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[188 ] T YPES EN -tele, -are 221

d'une flexion athématique. Si les désinences du vieux tusse, nom. plur. -tele et -leli, etc., sont peu significatives, on a en vieux polonais gén. pryjaciot et tout un jeu de formes bâties sur le thème dur du génitif pluriel, acc. przyjacioly (et -ciele), dat. przyjaciolom (et -cielom), instr. przyjacioly (et -cielmi), et le polonais moderne conserve le génitif-accusatif przyjaciôl avec un instrumental przyjaciôlmi. Le vieux tchèque souligne le mélange de formes mouillées et de formes dures, typique de la flexion athématique, par son alternance prie- : prâ- (§ 78), qui est ici secondaire, puisque la syllabe initiale n'est pas au contact direct des désinences, et qui imite celle du verbe prieti, prêt, prâl (§ 81). Le tchèque moderne la garde sous l'aspect d'une opposition entre le singulier prltel et le pluriel pràtelé, gén. prâtel.

L'accusatif pluriel athématique en -i a disparu, comme dans le type grazdane, acc. -ny, remplacé soit par v. si. -/g, soit par -y. Le vieux slave montre comment le thème prijatelj-du singulier tend à sè généraliser au pluriel : nom. plur. -telje pour -tele, etc. Au singulier, il n'y a pas trace de flexion athématique. Ceci n'oblige pas à supposer une formation de singulier différente de celle du pluriel (mais voir ci-dessous) : l'influence du type en -arjï, .et la nécessité de créer à des noms d'agents du sous-genre personnel un génitif-accusatif en -ja (cf. § 170), ont pu précipiter le passage à la flexion en -yo- de la flexion athématique et de la flexion en -i- qui devait lui succéder.

Mais l'existence en slave d'une flexion athématique en -l-pose un problème. Il avait existé des thèmes consonantiques en -Z-, ainsi lit. obelis •(§ 174), si. solï (§ 175), mais isolés. La question est celle de l'origine du suffixe -leljï, et elle est obscure. Il est sans correspondant en baltique et ailleurs : le suffixe hitt. -zil, -zel, doit représenter *-til (§ 16), et il forme des abstraits neutres et non pas des noms d'agents. En baltique, des suffixes déverbatifs lit. -lis, -lys de noms

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2 2 2 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [ 1 8 3 ]

d'agents ou d'instruments, ^élis qui est rare et peu clair^ surtout -élis qui, tiré de verbes intransitifs, marque l'état comme les participes parfaits de verbes en -ëti du slave, n'indiquent que la grande productivité des formations en -l-en balto-slave. C'est le germanique qui présente la forme la plus proche de celle du slave, avec son suffixe v. h. a. -il, ainsi biril « porteur » et « corbeille », de bëran « porter », qui comme suffixe de noms d'agents est concurrencé par le suffixe d'em-prunt -âri, -ari : tregil et tragari « porteur », de Iragan « porter », mod. Trdger. Mais ce suffixe *-el, -il, est de flexion en -o-, et une forme élargie *-tel n'apparaît que dans v. sax. friulhil « bien-aimé », v. isl. fridill, qui a donné si. prijaleljï (§ 81). Les suffixes du slave et du germanique ne sont que vaguement parallèles.

Au contraire, une comparaison s'impose de si. -tel- et du grand suffixe de noms d'agents en *-ter- de l'indo-européen : skr. dâtâ «donneur», loc. dâtâri, gr. 5oTf|p, Sorrrip, lat. dator, et si. dateljï. On est amené à penser que le slave -tel- représente une forme de ce suffixe. Une hypothèse est que l'indo-euro-péen aurait connu deux variantes *-ter- et *-tel-, la variante *-tel- n'étant plus attestée que par le slave du fait que l'indo-iranien -r- confond *-l- et *-r-. Cette supposition est mal étayée par la coexistence de deux suffixes, thématiques -taras et -talas en hittite, où le suffixe plus court -alas apparaît productif. Elle l'est mieux par le flottement des noms d'instru-ments en i.-e. *-tlo- et *-tro-, *-dhlo- et*-dhro-, dont les formes balto-slaves étaient *-tla- et *-dla-, lit. ârklas « araire » (§ 38), si. *ârdla-, rafdjlo (§ 69), en regard de *-tro- dans gr. apOTpov, lat. arâtrum. Il est toutefois plus naturel de voir dans *-ter-un élargissement du suffixe *-er-, bien conservé, et en balto-slave, dans les noms de parenté, par addition au suffixe *-f-(§ 189), et avec des dérivés thématiques *-ero-, *-tero-. On peut concevoir une altération en slave de *-ter-, *-tr-, en *-lel-, *-tl-, avec maintien partiel de la flexion athématique,

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[188 ] - TYPES EN -iele, -are 2 2 3

r

par contamination avec l'autre suffixe de nom d'agent *-el-qui est celui du germanique et qu'on doit supposer en balto-slave, suffixe susceptible dè s'élargir en *-tel- comme il l'a fait dans v. sax. friulhil. Ce serait un résultat de la grande extension des formations en -l- en balto-slave, favorisé en outre par la présence du suffixe *-tla- des noms d'instruments en face de *-ter-, *-tr-, puis *-tel-, *-tl- des noms d'agents. Et, comme le suffixe *-el- devait, avoir en balto-slave une flexion en -i- ou en -yo-, la contamination expliquerait la flexion mixte du type en -teljï du slave, avec conservation seulement au pluriel de formes athématiques de l'ancien *-ter-.

Le suffixe -teljï accuse un très grand développement en vieux slave et en slavon, et de même dans les autres langues à date ancienne, vieux tchèque, vieux polonais, etc. Mais cela tient en partie au besoin qu'ont eu les langues écrites de se forger des noms d'agents à l'imitation du grec et du latin, et le développement était sûrement moindre dans l'usage réel. Dans les langues modernes, là où le suffixe subsiste largement, il a un aspect livresque : en russe comme slavo-nisme, en tchèque comme héritage de la tradition du vieux tchèque. Il s'est considérablement restreint en polonais ; en serbo-croate, il n'est plus représenté que par quelques mots, et qui sont à peu près tous des mots semi-savants comme ùcitelj « maître d'école ». On a observé. que le seul mot en -teljï qui soit slave commun est prijateljï, et il n'est pas slave d'origine : c'est que c'est le seul mot qui se soit transmis par voie vraiment populaire, et c'est pourquoi il est le seul à conserver en polonais et en tchèque des particularités ancien-, nés de flexion. Le suffixe -teljï a été de bonne heure en déca-dence en slave : le vieux suffixe indo-européen *-ter- cède la place à des suffixes nouveaux en -ïnikû, en -arjï pris au germano-latin, en -acï pris sans doute au turc (§ 155). Il n'est pas étonnant que les langues baltiques l'aient complè-

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2 2 4 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [ 1 8 3 ]

tement perdu, au profit de v. pr. -(i)nikis, lit. -(i)ninkas, lette -(ijnieks, dont l'origine peut être balto-slave, mais qui est au moins en grande partie un emprunt au slave.

189. Type en -t-. — En vieux slave, une flexion athé-matique est reconnaissable pour quelques masculins à nomi-natif singulier en -tï, lakûtï « coude, coudée », nogutï « ongle », pecatï «sceau» : nom. plur. pecate, acc. pazneguti «sabots», gén. lakûtu, nogutu (et nogutii du type en -i-), instr. lakty, noguty (et nogutïmi). Le seul mot pour lequel on ait une flexion complète est le nom de nombre desçtï « dix » (§ 306). Cette flexion est confirmée par le vieux tchèque, qui l'atteste plus largement que le vieux slave : loket, gén. lokte, dat.-loc. nokti ; duel lokti ou -ty, gén. loktu (instr. loktoma) ; nom.-acc. plur. lokti ou -ty (lokte est un faux archaïsme), gén. loket, instr. lokty ; — par le vieux polonais : lokiec,- gén. plur. lokiet, d'où dat. loklom pour lokciom, gén. duel loktu ; — par le vieux russe : lokotï, gén. sing. lokte, puis lokti, gén. plur. lakot (avec la- slavon), puis lokot'. Par contamination, dès le vieux slave, avec la flexion en -i-, le type se perd dans les flexions de mas-culins en -yo- et en -o-, comme généralement le type athé-matique masculin.

Le nominatif-accusatif singulier étant en -tï, et tous les mots étant du sous-genre inanimé, l'attraction des féminins en -tï a pu de bonne heure provoquer des changements de genre.

Le type comprend deux mots isolés à suffixe ou finale -t-, et tout un groupe de dérivés à suffixe -ut-, sa productivité n'étant plus que celle de ce suffixe. Les mots isolés sont desçtï, et :

V. si. pecatï, masculin, instr. sing. pecatïmu, -temu, puis féminin en slavon; r. pecâl', fém.; pol. pieczçc, fém., avec déformation de la finale ; v. tch. pecet, masc. et fém. (gén. peceti), mod. pecet', fém. ; slov. pecât, masc. et dial. fém. ;

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[189] ' TYPE EN -t- 225 i

s.-cr. pècat, masc., et aussi féminin en vieux serbo-croate, sans doute sous l'influence du slavon ; bulg. pecât, masc., et féminin en moyen bulgare. Ce mot ne s'explique pas par le slave : on ne voit pas comment la racine pek- de v. si. pesti « cuire, rôtir » pourrait indiquer une marque par brûlure (s.-cr. zîg, de zeg- « brûler »), ni quel serait le suffixe. Il s'agit évidemment d'un emprunt, comme l'allemand Peischaft, du moyen-allemand petschat, est pris au slave et sûrement au tchèque, et doit restituer en tchèque la forme alternante *pecat- de pecet-, du type v. tch. -ëne, acc. -any (§ 187), que le tchèque a perdue par passage au féminin. Le dérivé vieux-slave pecatïlëti « sceller », remplacé plus tard par peëaliti, -tati, r. peëâtat', fait supposer une forme *pecat-li, qui est turque. C'est donc vraisemblablement un emprunt ancien au turc, qui, se terminant par -t-, a été plus ou moins incorporé au type slave en -t-.

Un mot en -utï laisse reconnaître que le suffixe -ut- a été dans certains cas substitué à -t- plus ancien :

SI. *palutï et *paltï: slavon russe polotï, r. pôlot' «demi-bête » et « flèche de lard », féminin dans la langue moderne, mais antérieurement masculin, gén. polti, puis poltja, gén. plur. polot' supposant *polotu; ukr. pôlot', masc., gén. pîltja; pol. polec « flanc, flèche de lard », gén. polcia, verbe rozpol-towac « fendre en deux » ; tch. poil, gén. poilu, verbe rozpoltiti ; — mais slavon méridional platï « flanc », masculin à flexion en -ï- et féminin, slov. plat « moitié, côté », masc. et fém. Comme une confusion avec v. si. platu « pièce d'étoffe », r. polotnô « toile », est exclue par la différence de sens et de flexion, il apparaît que de polu «moitié » a été tiré d'abord un dérivé *pal-t-, du type ancien de desçlï, puis qu'il y a eu réfection sur *palu-, thème en -u-, avec passage au type en -ulï. C'est ainsi que l'adverbe v. si. pladïne «à midi», locatif fixé d'un ^composé *pal-dïn-, est remplacé par polu dîne, avec le locatif de polu.

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2 6 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [ 1 8 3 ]

Dans un autre mot, l'ancienneté du suffixe -ut- peut être également suspectée :

Y. si. lakutï « coude » et « coudée » ou « aune » ; tch. loket, gén. lokte en vieux tchèque, puis lokta, loktu, mais slovaque loket', laket', gén. -M'a; pol. lokiec, gén. lokcia, mais dial. lokiet, gén. lokta, sur la base du génitif pluriel v. pol. lokiet; h. sor. lohc et b. sor. loks ; r. lôkot', gén. lôktja; slov. lâket, gén. lâkta, s.-cr. lâkat, gén. lâkta; bulg- làkâl, déterm. lâkâtjat. En regard, on a en baltique, d'une part lit. uolektis, fém., lette uôlekts, v. pr. wo(a)ltis, avec un génitif pluriel uolekt% en lituanien ancien et moderne; d'autre part v. pr. alkunis « coude », lit. alkùné et lette elkuôns « coude » et « courbure », et aussi lette èlks « coude ». Dans les autres langues, on a gr. wÀévri, got. aleina, lat. ulna, skr. aratnlh, etc., représentant *ôl- et *ol- avec des élargissements, ou des adaptations d'un vieux mot à flexion complexe et à alternance vocalique. Le balto-slave *olk~: *alk- offre un élargissement en -k- qui lui est propre — car on ne peut guère faire état de gr. CCÀCCÇ, mot de glossaire —, et qui est inattendu : y aurait-il eu contamina-tion du nom du « coude », au sens de « couder », et de la racine verbale *lenk- « courber » de lit. lenkti, v. si. su-lekg ? Les formes du balto-slave ont l'aspect de dérivés de ce thème *5lk- : *alk- ; pour lit. alkànê, cf. virsûnè « sommet », lette virsuons (virsaûne), qui est bâti sur l'adverbe lette virsû, virsùo « en haut », ancien locatif (§ 158) de lit. virsùs «le haut», si. *vïrxu. Lit. uolektis, dont le génitif pluriel en -kt% ne garantit pas qu'il ait appartenu à la flexion athématique (§ 174), a l'allure d'un abstrait féminin en -tis, et si. *alkut-(§ 69) d'un dérivé en -ut-. Mais il ne s'agit què d'aspects pris par des mots refaits, et l'on ne restitue pas le nom balto-slave du « coude ». Il est possible que la forme en ait été *ôlk-t-, à suffixe -t- de flexion athématique, et que le slave *alk-ut-en soit un remaniement sur l'autre thème *alku- qu'indique le -baltique. L'intonation douce initiale *alk- du slave n'est

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[189] TYPE EN -t- j 227

même pas sûre, puisque les intonations ne «e distinguent que sous l'accent (§ 100), et que l'accent devait porter sur le suffixe, d'après lit. -Mis. Quant aux intonations des langues modernes, s.-cr. lâkat, mais cak. làkat, slov. lâket èt lakât, il est bien difficile de les interpréter.

C'est le suffixe -ut- qui a été productif en slave, comme -utis l'est en lituanien, et que présentent la plupart des mots du type :

V. si. nogutï « ongle », gén. plur. nogutu, tch. nehet, gén. sing. nehte en vieux tchèque, r. nôgot', gén. nôgtja, etc. ; — et v. si. paznogùtï, paznegutï « sabot (d'animal) », v. tch. paznohet, paznehet, gén. sing. -Me, pol. paznogiec (« ongle »), gén. plur. paznogiet en vieux polonais, r. dial. pâznogt' «dernière phalange du doigt», et ukr. pdgnisl'. En baltique, on a v. pr. nagutis « ongle », lit. nâgas « onglé, griffe », dim. nagùtis, lette nags « ongle, sabot », à côté de lit. nagà « sabot », v. pr. nage a pied », si. noga, qui continuent l'ancien nom athématique de l'« ongle », gr. ôvuÇ (§ 175). La forme nèhei du tchèque, et de v. sj. paznegut- dans le Psautier (qui pourrait être un moravisme), est évidemment une altération secondaire, rendue possible par la perte de tout lien entre le nom de l'« ongle » et celui du « pied », noga. Elle a son corres-pondant, à date récente, dans le bulgare oriental nékât pour bulg. nôkât, où elle paraît ! résulter d'une assimilation voca-lique dans le pluriel nekté pour nokté conservé dans cette région à coté de nékti, bulg. nôkti. Pour le composé pazno-gùtï, il ést devenu obscur, ainsi que son rapport avec pol. pazur « griffe », tch. pazour ; on pense à podu « sous » et à pa-préfixe en regard de po (§ 116), mais sans justifier le -z-. Le polonais, au sens d'« ongle », a remplacé nogiec par paznogiec, paznokiec. ,

SI. *degûtï «goudron» : tch. dehei, gén. dehie en vieux tchèque, mod. dehlu; r. dëgot', gén. dëgtja, pol. dziegiec, gén. dziegciu ; cf. lit. degùlas, lette de guis. Ce mot, qui désigne un

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228 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [183 ]

produit de combustion du bouleau, est le seul reste en slave de la forme de g- de lit. dègti, degù « brûler », passée en slave à zeg-, v. si. zegç, pour une raison qui n'est plus claire, mais qui se rattache à un traitement de groupe de consonnes dans les formes à préverbe razdegç, vuzegç (§ 33). A lit. is-dègti, uz-dègti ont pu répondre à un certain moment en slave des formes en *-zd'- palatalisé dont la langue tirait un simple *g'eg- aussi bien que *d'eg-.

V. tch. kropet «goutte», gén. kropte, puis krapet d'après krâpati « goutter », itératif de kropiti, et gén. krapte main-tenu dans la locution do krapte « jusqu'à la dernière goutte ».

Tch. drobei « petit morceau, un peu », gén. drobte en vieux tchèque, mod. drobtu, et slov. drobèt, gén. drobtà, s.-cr. ancien drobtina, de drobiti « réduire en morceaux », r. drobit' ; et tch. drochet par contamination avec trochet en regard' de trocha « un peu ».

V. si. trûxuti « menue monnaie » est isolé, mais cf. tch. trochet. Il paraît présenter, comme slov. tfhel « pourri », le degré réduit de la racine de v. si. trçsiti « dépenser », slavon troxa «miette», pol. trocha «un peu» (§ 310), etc., avec infixe nasal *trçx- dans slov. trohnéti « pourrir » en parlant du bois, c'est-à-dire «s'effriter», s.-cr. tru(h)nuti, slov. trôhel et r. truxljâvyj « pourri, réduit en poussière ».

Slavon krûxutï «grain, petit morceau», r. krôxot' «parcelle », slov. krhèt, gén. krhtà, s.-cr. ancien krhat, gén. krhta, bulg. krât; pol. krzta « brin, grain » doit être tiré du dérivé *krchcina passé à des formes variées, krsztyna, krztyna, etc. De la racine de kruxa « parcelle », r. krochâ, v. si. sû-krusiti «mettre en pièces ».

V. si. golotï «glace», masc., à lire golûti d'après v. tch. holet (gén. holti), et le verbe slavon poglutiti sg « se glacer » (Hamartole) altéré de *pogolutiti se. Le mot devient féminin en slavon, et le russe a gôlot', fém. D'autres formes, comme tch. holot, mais dial. holet, sont prises au russe ou au slavon

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[189 ] TYPE EN -l- - 2 2 9

!

(Psautier). C'est, au sens de r. gololédica, un dérivé de l'adjec-tif golu « nu » indiquant la couche de glace mince, le verglas, sur le sol nu et non sur la neige.

Slavon *kopûtï dans kopûtïnu « fuligineux » ; r. kôpoï «fumée, suie fine», fém. ; pol. kopec «suie », gén. kopcia, sor. kopc, tch. kopet, gén. koptu. De la racine de lit. kvëpti, kvepëti « souffler, exhaler une vapeur », au degré réduit lette kûpêt « fumer »,. si. kypëti « bouillonner », et répondant' à lette kvêpi, masc. plur., «vapeur, fumée suie ». Le slave présente la forme *kwap- passée à *kap-, comme *swa- passe à *sa-( § 37), tandis que le lituanien la restaure dans kvâpas « vapeur », en même temps qu'il développe, en regard du degré réduit ancien de kûpëti « déborder en bouillant », un degré réduit nouveau (§ 117) pa-kvipti « se mettre à exhaler (une odeur) ».

SI. Hapuli qui paraît attesté en vieux slave (lapotï) dans une annotation du Psautier ; r. lâpot' « chaussure de tille », gén. lâptja, proprement «pièce (d'étoffe), lambeau», sens de s.-cr. làpat, gén. làpta. En face de lit. lôpas «pièce (à repriser) » et lôpyti « rapiécer », r. dial. lâp i f .

V. r. vëxulï, r. véxot' « bouchon de foin, de paille», à côté de véxâ « jalon » (rnarqùé par une poignée de paille) ; pol. wiechec, gén. wiechcia, et wiecha, tch. vëchet et vlch, etc. Il n'y a aucune raison de rattacher le mot à la racine de viti « tordre » : d'après le germanique, il s'agirait d'une racine *wis-, *œois-, désignant la « touffe », suédois vese.

Slavon çkutï « crochet », forme en -utï sur le radical de gr. ô y K o s , lat. uncus, lit. anka « boucle ». '

Ce type si bien représenté comportait naturellement d'autres mots encore, mais des formes attestées tardivement peuvent être secondaires :

R. kôgot' « griffe, serre », gén. kôgtja, seulement dans le groupe russe et avec des variantes. On rapproche h. sor. kocht « épine », mais on attendrait -c; et v. sax. hacud « bro-

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230 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [183]

chet », en face de v. angl. haca « croc ». Il s'agit bien plutôt d'un mot déformé d'après nôgot' « ongle », et r. dial. kokotôk « croc de pêcheur » et « phalange » fait penser à une désigna-tion du « croc », de la « griffe », par emploi figuré du nom du « coq », v. si. kokolû, pol. ancien kokol.

Pol. klykiec «phalange, cheville», gén. klykcia, de klyk « tronc, tige » et « jointure du doigt », et pol. kikiec « moignon », « pouce » en vieux polonais, à côté de kikut, ukr. kykit' « doigt rabougri, pouce » et « chicot de bois », de *kyka « souche », doivent être aussi faits d'après le polonais nokiec « ongle ». Pol. (s)plachec, gén. -chcia, masc., et -chci, fém., «morceau, haillon », pourrait avoir été tiré secondairement de plachta «pièce de toile» (§ 36), avec une productivité nouvelle et expressive du suffixe -ec. Pol. pypec « pépie » est emprunté à l'allemand Pips, ancien pfifiz, du bas-latin pippïta (lat. pituïta), et pol. dial. krçpec «homme trapu», de krepy «tra-pu », a une finale -ec qui doit être l'ukrainien -ec', de -ici, pour pol. -iec. Gomme r. -ot', masc., flotte avec -of, fém., forme nouvelle du suffixe -ota, des mots,comme pérxol' « pellicule », fém., de *pïrxnçli «flotter (en poussière)», v. si. praxu. « poussière », ailleurs slov. prhût, s.-cr. prhut, masc. et fém., ou comme r. dial. mérkot' « crépuscule », fém., de mérknut' « s'obscurcir », sont d'origine douteuse.

Au suffixe si.-ûiï répond le sùffixe baltique -utis, rare-ment -utas, qui n'est bien représenté] qu'en lituanien, où il fournit des dérivés de verbes et de noms et des diminutifs : sukùtis « toupie » de sùkli «tordre, faire tourner», meskùtis « jeune ours » de meskà, etc. ; et riesutas, riesutys « noisette », de riesas « noix », si. orëxu, avec des traces peut-être anciennes d'une flexion athématique, plur. riesutes, gén. riesut% en lituanien oriental. On retrouve *-ut-, avec passage à la flexion en -o-, en germanique ancien, v. isl. -upr, à côté de formations parallèles, v. isl. -apr, v. h. a. -id, et l'on a pu comparer,

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[190] TYPE EN -es- 231 j

sûrement à tort d'ailleurs, v. sax. hacucl « brochet » et r. kôgot' « griffe ». Le suffixe *-ut- s'analyse comme élargisse-ment en -t- de thème en -u-. En balto-slave, c'est un suffixe tout fait, qui n'a plus de rapport avec les thèmes en -u- ; mais le rapport ancien se laisse entrevoir en slave dans le cas de *palut- substitué à *palt- et de *alkui- substitué sans doute à *ôlkt- sur la base de thèmes *palu-, *alku~.

Le suffixe -t- avait joué un grand rôle en indo-européen et avait servi abondamment à l'élargissement de thèmes : gr. -TT)S, gén. -TTJTOÇ et lat. -tâs, gén. -tâtis, lat. -tus, gén. -tûtis, ete. Le balto-slave le maintenait dans quelques formes anciennes, *nakt- « nuit » (§174), *desimt- « dix », etc. ; il a continué de le développer sous la forme -ut-, et le slave lui garde sa flexion athématique jusqu'au vieux slave, plus tard encore en tchèque.

Les autres types neutres.

190. Type en -es-, — De ce type, qui disparaît dans la plupart des langues slaves, et qui a complètement disparu en baltique (§ 192), la flexion est bien conservée en vieux slave. Paradigmes nebo « ciel », tëlo « corps » :

singulier pluriel duel N.-A. nebo nebesa tëlesë, -si G. ) , . nebesu } T > nebese, -si , . „ telesu L. S nebesexu D. nebesi nebesemu I. nebesïmï, -semiï nebesy

tëlesïma

Cette flexion athématique de neutre sur thème -es- pré-sentait la particularité que le nominatif-accusatif singulier était en *-os, ce qui s'expliquait sûrement dans le système de l'indo-européen, mais constitue ensuite une anomalie : gr. yévos « naissance, race », gén. yéveos, ysvous, de *-esos,

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232 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [183]

lat. genus (v. lat. -os), gén. generis, de *-eses. L'anomalie n'apparaît pas dans le type animé parallèle en-ës, cas obliques -es-, de gr. âÀr|ôf|s «vrai », masc. et fém., gén. àÀr)0éos, -0oOç, et neutre dÀr|6és. Ellle n'apparaît pas en hittite : nepes « ciel » en regard de gr. vécpoç, comme gén. nepesas, gr. vécpsoç. Elle devait tendre à s'éliminer : lat. corpus « corps », gén. corporis d'après nom.-acc. *-os. Mais tandis que le baltique, perdant le neutre, a refait lit. debesis sur les cas obliques, le slave a maintenu solidement le nominatif-accusatif en -o, de *-os, qui rejoignait son type neutre en -o, de *-od, pris à la flexion pronominale, et ses normalisations se sont opérées dans une autre voie, en dehors de quelques développements spéciaux comme tch. nebe, bulg. nebé. Au locatif, au datif et à l'instru-mental pluriels, et au datif-instrumental duel, les désinences du type en -i- du slave, comme dat.-instr.-abl. -ibus du latin, sont substituées à d'anciennes désinences athématiques, en sanskrit loc. -ahsu, instr. -obhih de *-as-bhih, etc., en grec yévsCTci, yévscri, hom. opsucpi de ôpoç « montagne ».

Le type neutre en -es- était resté productif en balto-slave, comme dans les langues indo-européennes à date ancienne. Cette productivité présente à l'époque du vieux slave l'aspect-d'une extension dans le type des neutres en -o-, c'est-à-dire d'une contamination du type en -es- avec le type normal des neutres, qui prélude à son élimination. L'élimination a été générale dans lés langues slaves, sauf en polabe et en slovène, et les données de ces deux langues, ailleurs quelques données isolées, s'ajoutent à celles du vieux slave.

Deux mots seulement sont sûrement'de vieux thèmes indo-européens en -es- :

Y. si. nebo « ciel » est le seul mot à garder partout des traces de la flexion ancienne (§ 192) : r. nébo, plur. nebesâ; pol. niebo, plur. niebiosa et nieba ; polabe neby (de nebo), gén. sing. nibesgo (de *nebesja) ; sor. njebo et nebjo, plur. njebjesa ; tch. nebe, plur. nebesa ; slov. nebô, plur. nebÇsa ;

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[191 ] EXTENSION DU TYPE 2 3 3 j

s.-cr. nëbo, plur. nebèsa ; bulg. nebé, plur. nebesd. En regard de lit. debesis « nuage », fém. et masc., lette dëbess «ciel», fém., et debesis «nuage», masc., et de gr. vé<pos «nuage», skr. ndbhah, hitt. nepes « ciel ». Il est visible que ce nom du « ciel » était en balto-slave celui de la « nuée », et l'on a pour « ciel » un autre mot dans v. pr. dangus, lit. dangùs, en face de dengti « couvrir », cf. si. dçga « arc-en-ciel », r. dugâ « arc ». Le sens de « ciel », influencé par la langue religieuse, est tiré de locutions comme si. su nebesu; proprement «des nues». Et peut-être la substitution mal expliquée de d- à n- en letto-lituanien aurait-elle son origine dans une dissimilation après des prépositions comme lit. nub « de », ani « sur », | « dans » (avec mouvement) : on a des exemples en lituanien et en lette d'une dissimilation en nd, Id de consonnes longues nn, II. Le mot devait être en regard d'une racine verbale : cf. gr. CTuvvscpco « se couvrir de nuages » avec un parfait csvvvévocpoc, et lat. nimbus à côté de nebula, qui paraît tiré d'une forme verbale à infixe nasal.

V. si. slovo. « parole, mot », gén. sing. slov es e (et s lova). Cf. av. sravah- « mot, réputation », skr. çrâvah « gloire », gr. KÀé(/ :)os, en regard de v. si. sluti, slovç «être réputé», v. r. sluti, tch. slouti « se nommer », lette sluvêt « être renom-mé », gr. KÀéopoci «être appelé, célébré».

Ces deux mots présentent le vocalisme radical -e- qui était caractéristique du type en -es- (slovo de *slew-, § 48) : gr. [3a0ûç « profond » et |3év0os « profondeur ». Il n'en est plus tenu compte dans les formations plus récentes : gr. (3â0os.

191. Extension du type. '— Dans tous les mots suivants, l'ancienneté de la flexion en -es- doit être discutée :

Y. si. oko « œil », uxo « Oreille », gén. ocese, usese, voir § 193.

Slov. o/l «timon», gén. ojçsa, s.-cr. ô/e, tch. oj, ancien et dial. oje. La flexion en -es- n'est attestée que par le slovène,

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2 3 4 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [ 1 8 3 ]

mais il s'agit d'un mot ancien : lit. lena, gr. OÏOCK-, oîrjiov « (timon de)' gouvernail »,; skr. ïsâ, hitt. hisas. On restitue un thème à degré réduit i.-e. *ihs- d'après le sanskrit, en regard de his- du hittite, et un thème à degré fort *oihs- pour le grec. Le slave ojes- s'explique comme oces- en regard de skr. aks-, comme lit. mënes- de *mëns- ( § 175), par passage secon-daire au type en -es-. Le thème i.-e. *oihs- devenait ainsi *oih-es-, et c'est sur ce thème nouveau *oih-, avec maintien de l'intonation rude, balto-slave *âi-, que le lituanien a bâti son dérivé iena, analogue au dérivé postérieur çjnica du slovène.

V. si. celo «front», gén. cela, mais le mot est peu attesté en vieux slave, et seulement au singulier ; polabe ziilî (de celo), passé au sens de « joue », duel zùlisay (de *celesi), mais slov. célo, gén. cela. La forme polabe, bien qu'isolée, doit être prise en considération, car l'adjectif est celesXnu. « prin-cipal », en slavon, et un dérivé celesïn-, ou plutôt celesn-(cf. ci-dessous lozesnà) est attesté ailleurs avec garantie d'an-r cienneté : r. dial. celesnlk « bouche du poêle, pecnôe celo », h. sor. celesno, v. tch. celesen, slov. ëelçshjak (celêsnik, cel'êsnik) « rampe et banquette du poêle », et pol. czelusnik par substi-tution à czolo de czelusc «bouche du poêle» (v. si. celjuslï « mâchoire »). Il semble bien que celo soit un dérivé en -es-de la racine *kel-, *sel-, de lit. kélti « élever », si. *selme «poutre faîtière» (§ 186).

SI. pero « plume », dont le vieux slave ne présente que le dérivé perinalu « garni de plumes », ce qui n'atteste pas du tout un thème en -es- ; mais slov. perd, gén. perÇsa, polabe perise, plur. (de *peresa) et perissây (de *peresi, ancien duel), pourraient conserver la flexion primitive. Il n'est pas impos-sible que le mot, dont la ressemblance avec gr. uTspôv « plume, aile » paraît fortuite, et dont le rapport avec; lit. spafnas « aile » est mal déterminable dans l'état de confusion des racines *per- et *sper- en balto-slave, soit un dérivé assez.

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[191] EXTENSION DU TYPE 235 j

ancien en -es- de la racine de v. si. pere- « il vole », r. parti' « voler, planer ».

Y. si. isto a rein, rognon, testicule », plur. islësa, duel istesë, et aussi istë en slavon ; un vieux-russe ijestesë n'est qu'une faute de copiste. Le mot a disparu dans les langues slaves, remplacé de bonne heure par bubrëgû, emprunt au turc, dans les langues méridionales et en slavon, d'où r. bubrég, ailleurs par d'autres termes. Il n'a laissé que son dérivé obistije «région autour des rognons, reins» dans-slov. obîsl, fém., et ce dérivé n'indique pas un thème en -es-. Le baltique a lit. inkstas, lette îkstis (plur.), v. pr. inxcze, par contamination avec un autre mot, lit. jscios « intestin » (fém. plur.), lette ieksas, qui doit être un dérivé en *-iyo- de la préposition *in-« dans ». Le vieil islandais eista «testicule» présente une initiale *ai- différente de celle du slave, mais peut conserver la flexion ancienne, celle d'un neutre en -o- et non en -es-.

V. si. dëlo « acte », gén. dëlese, mais ordinairement dëla, et v. slov. *delese, gén. (écrit" telese). C'est un dérivé en -lo de la racine de- de dëjati « agir », et ici il est net que les formes en -es-, qui né se sont pas maintenues dans les langues slaves, sont secondaires et dues à l'imitation de slovo, gén. slovese, en raison de l'union des deux mots dans des locutions comme v. si. dëlesy i slovesy « en actes et en paroles ».

V. si. tëlo « corps » et « image, statue », gén. telese, ordinai-rement tëla. Ici, la flexion en -es- est attestée dans plusieurs langues slaves : slov. telô, gén. ielçsa, etc., et par son dérivé v. si-, tëlesïnu « corporel », r. ielésnyj. Mais le mot, à première syllabe d'intonation douce (s.-cr. tïjelo), n'a pas l'aspect d'un substantif ancien en -es-. S'il est d'origine slave, il ressemble plutôt à un dérivé en -lo, comme dëlo, mais le rapport avec la racine të- de r. zatéjat' « susciter » n'est pas évident, non plus que l'ancienneté de cette racine verbale qui n'apparaît que dans le groupe russe.

V. si. drëvo « arbre, bois », gén. drëvese, ordinairement drëva.

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236 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [183]

Ici aussi, la flexion en -es- se retrouve dans d'autres langues slaves. Le lituanien a dervà « bois résineux », féminin singu-lier qui pourrait provenir d'un pluriel neutre. C'est un dérivé *derw-, connu aussi en germanique et en celtique, de la racine du vieux mot anomal *dru-, si. drûva (plur.) «bois » (§ 159), et rien ne fait supposer une flexion en -es- primitive.

Y. si. crëvo «ventre», gén. creva, adj. crëvïnu, mais aussi gén, crëvese en slayon, et slov. crèvô, gén. ërèvqsa. .Le mot ne paraît pas séparable de craur « soulier » (§ 146), e'est-à-dire qu'il a dû désigner une « peau », la peau du ventre des animaux ou le ventre comparé à un sac de peau. Ce serait donc un dérivé de la racine *(s)ker- (§ 31) de kora « écorce » et skora ~ « peau » (r. skord et usuellement skûra, de pol. skôra) : soit avec le suffixe -vo, soit plutôt continuant un ancien neutre en -u-, comme *stïrvo, *stïrvï «charogne» (§ 171).

V. si. cudo « miracle », gén. cudese et cuda. Sûrement de la racine de cuti «sentir», gr. Ko(f)éco «je remarque», mais sans parallèle baltique, et la formation n'est pas claire. On peut supposer un abstrait en -es- sur un élargissement cud-, qui serait le thème d'un présent en -de-, i.-e. *-dhe-, à côté du présent en -je-, cuje-, de eu-. Un rapprochement avec gr. KUSOS « gloire » n'est qu'un trompe-l'œil.

V. si. divo « merveille », plur. divesa, et ukr. dyvo, dyvesd, mais à côté d'un masculin divu, et il s'agit visiblement d'un postverbal de diviti sç « admirer » qui a subi l'influence de cudo. Entre diviti s g, divu, et le nom du « dieu » en balto-slave, lit. diëvas, que le slave a remplacé par bogu emprunté à l'iranien (§ 3), un lien est probable, mais ne peut plus être précisé.

V. si. Ijuto « chose cruelle », gén. Ijutese. Ce ne doit être qu'une flexion secondaire de l'adjectif neutre adverbialisé Ijuto, Ijutë (§ 318) «cruel, malheur à», de même que v. si. gorje « le pis, malheur à », comparatif fixé, a donné le subs-tantif r. gôre « malheur », gén. gôrja.

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[191] EXTENSION DU TYPE 237

I Y. si. kolo « roue » gén. kolejse, avec distinction au pluriel

de kolesa « roues » et de kola « char », plurale tantum ; d'ailleurs à côté du dérivé kolesnica « char », qui doit garder le suffixe -n-remplacé ordinairement par -in-, et être ancien. La flexion en -es- est bien attestée dans les langues slaves : slov. kolô, gén. kolçsa, s.-cr. k'ôlo, plur. kolèsa, et v. r. et dial. kôlo, r. mod. kolesô d'après plur. kolesà, de même h. sor. kolo et koleso, et bulg. kolelô (§ 192). Mais le pluriel kola « char » est attesté tout autant : polabe tgéla, slov. kola, s.-cr. kola, bulg. kolâ ; et v. tch. kola, mais aussi kolesa, forme qui, empruntée par l'allemand comme d'autres termes de civilisation de la Bohême du xive siècle, a donné Kalesche, d'où fr. « calèche ». Le vieux prussien a kelan « roue », confirmé par le lette duceles «voiture à deux roues», fém. plur. (§ 303), et répondant à v. isl. huel, neutre. Il y avait en balto-slave, commè en germa-nique, un autre nom de la « roue », lit. ratas (plur. ratai « char »), lette rats, v. h. a. rad, lat. rota. Le vocalisme radical de si. kolo est remanié : le slave, "qui a celo « front » de la racine *kel-« élever », a réservé à l'idée de « roue », de « cercle », la forme kol- que lui fournissait le verbe dérivé o-koliti « encercler », avec son postverbal okolû « circuit ». Pour la flexion primitive, c'est la forme isolée kola « char » qui la garantit le mieux, et la flexion en -es- doit résulter du souci de distinguer kolesa « roues » de kola.

V. si. igo « joug », plur. izesa en slavon ; slov. igô, gén. iz^sa, et, avec perte de l'alternance consonantique (§ 111), igçsa et son dérivé igçsarica « chaîne reliant le joug et le timon », De *jïgo, lat. iugum (§ 63), lit. jùngas d'après le verbe jùngti « atteler ». Il est inutile de supposer une contamination en slave de deux mots différents, gr. juyôv et jsuyos, lat. iugum et iûgera, plur. : le pluriel izesa doit être simplement analo-gique d'autres pluriels, comme ojesa de oje « timon ».

Slavon tçgo « courroie du joug », gén. tqzese, sur la racine de tçgnçti « tendre ». Ce mot n'est conservé en slave que dans

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238 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [183]

un exemple (instr. sing. tçzesemï), comme, de la racine *ten-, le mot lânas- en védique, qui lui a un correspondant dans lat. tenus «lacet tendu», gén. tenoris. • •

V. si, runo « toison », plur. runesa en slavon, mais non confirmé par slov. rùno, gén. runa. Ce doit être un dérivé de la racine de ruvati « arracher ».

V. si. lice « visage », gén. licese, mais pour l'usuel lica. La flexion en -es-, inconnue dans les autres langues slaves, est net-tement analogique de celle d'autres mots comme celo « front », gén. *celese. Le mot, qui présente un thème *llk- à *-ï- ancien ( § 19), doit être un emprunt au germanique, got. leik « corps », neutre, adj. -leiks « de l'aspect de ». L'accent r. lied, cak. lïce, est celui de r. vinô « vin », cak. vînô. On peut y reconnaître un procédé d'adaptation en oxytons à voyelle radicale longue de monosyllabes germaniques à voyelle longue, got. wein, v. h. a. wïn, le type oxyton cak. kril'ô « aile » étant beaucoup plus représenté que le type paroxyton cak. mêso «viande». Avec un hiasculin, on a de même r. korôl' «roi», gén. koroljâ, cak. krdlj, gén. krâljâ, de germ. Karl (§,3) ; l'accent différent de s.-cr. Vlâh (§ 70) indiquerait que lè mot a été pris au pluriel, v. h. a. Walha « Welches ».

Le polabe et le slovène fournissent d'autres mots encore à flexion en -es- : polabe sweni «jante», de *zveno (§ 202), plur. swenêssa de *zvenesa ; slov. bédro « cuisse », plur. bédra et aussi bedrésa, uljê « abcès », plur. uljÇsa. Mais slov. uljê est le polonais ul « fistule » : c'est proprement le nom de la «ruche», de si. ulii (§ 146), désignant un tronc creusé de trous. Le type en plur. -esa du polabe, gén. sing. et plur. -esa du slovène, se maintenant dans ces langues, s'est étendu. Le polabe en apporte un bel exemple dans la flexion de ramang ( = ramç) « épaule, bras », duel ramenay (— rameni), et plur. ramenêssa, avec superposition de -esa au pluriel ramena. En vieux slave et en slavon, une autre

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[198] L I M I T A T I O N DU TYPE 239 I

preuve de l'extension secondaire du pluriel en -esa est qu'il apparaît en regard de singuliers masculins :

Y. si. sluxu « ouïe », postverbal de slysati « entendre », slusati « écouter », plur. slusesa en slavon : il n'y a pas lieu de poser un singulier *sluxo, mais slusesa est analogique de usesa, pluriel de uxo « oreille ».

Y. si. udu « membre », pluriel udesa en slavon, sûrement d'après des pluriels comme tëlesa «corps». Un neutre udo" n'apparaît pas ancien : le polonais udo «cuisse» succède à masc. ud. En serbo-croate, si ûd a connu un pluriel uda à côté de ûdi, mod. ùdovi, le neutre singulier ûdo « bande de viande qu'on fume », en regard de ùdili « découper la viande », laisse supposer une contamination de si. udu, qui doit être de la racine balto-slave *aud- de lit. dusti « tisser », arm. y-aud « lien, membre », et du factitif *çditi « fumer la viande», pol. wçdzic, tch. uditi, de vç(d)nçti «se faner».

V. si. granu « verset„», plur. granesa en slavon, avec une autre forme masculine granesï qui résulterait d'un croisement exceptionnel du masculin granu et du pluriel granesa. L'his-toire du mot est assez confuse, ce qui indique que de bonne heure il n'était plus que livresque. Mais au singulier la forme slavonne ancienne est granu, et un neutre grano ne peut être que tardif. Le slovène grdno « vers », gén. granesa, est artificiel, les termes réels étant vêrz et stîh. Mais on ne peut pas séparer v. si. granu du neutre sor. grono, hrono « parole, sentence », qui est en regard du verbe b. sor. gronis «parler», polabe kgôrnei, de *garniti (§ 70). Il doit s'agir d'un dérivé de la racine de skr. grnâti « il chante, il loue », av. gar- « (chant de) louange», qui est représentée en balto-slave par lit. gïrli «louer» et v. si. zruti «sacrifier», ce qui s'explique par un emploi religieux de cette racine. Ce doit être un mot ancien qui n'est plus conservé qu'en vieux slave et dans une partie du slave septentrional, mais il a été soumis à l'influence de slovo « parole », et son pluriel granesa doit

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2 4 0 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [ 1 8 3 ]

s'être modelé sur slovesa. Il ne saurait garantir en slave la conservation d'un suffixe -nés-, élargissement de -es-, qui apparaît en indo-iranien et dans lat. uolnus « blessure », gén. uolneris ; pas plus que le slavon runes-, et encore moins le polabe *zvenes-. On a un mot différent dans le slavon granï « chapitre », proprement « arête, limite », r. gran', granîca.

Le pluriel v. si. divesa « merveilles » est en regard d'un singulier divu ou divo, et l'on doit partir de sing. divu, avec divesa d'après cudesa, et aussi divo d'après cudo.

Ainsi l'on n'identifie en slave, comme représentants sûre-ment anciens du type en -es-, que deux mots, nebo et slovo : tous les autres, assez nombreux, sont d'ancienneté plus ou moins discutable, très probable pour quelques-uns, ou sont franchement des nouveau-venus dans le type. C'est ce qu'on peut attendre d'un type resté longtemps productif, mais qu'on n'atteint qu'à date tardive, au moment de sa décadence, quand la productivité n'est plus celle d'une formation suffixale, mais, comme pour les thèmes en -u- et en -i-, de désinences caractéristiques. Ce qui est sur, c'est que le type a été un moment très représenté en slave. On en retrouve d'autres vestiges.

Pol. ancien plo, mod. ploso (dial.) d'après plur. plosa, désignant l'« endroit profond d'une rivière », et r. plëso « endroit large d'une rivière », tch. pleso ; le mot se rencontre ailleurs dans des toponymes. Il suppose *pïlo, gén. *pïlese, forme en -es-, au sens de « plein (d'une rivière) », de la racine *pil- de lit. pilti « emplir », que le slave ne conserve autrement que dans l'adjectif *pïlnu «plein» et ses dérivés (outre polû, § 160).

Y. si. lozesna « matrice », pluriel neutre, en regard de loze « couche, lit », qui désigne aussi la « matrice » ou le « délivre » en vieux tchèque, en slovène et en bulgare, et cf. pol. tozysko « délivre, placenta ». Cette formation en -n-y comme dans

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[192] ÉLIMINATION DU TYPE 2 4 1

kolesnica «char», et non en -ïn-, est ancienne. On peut admettre ici, de la racine verbale de lezati « être couché », loziti «coucher, placer», r. lozit'sja «se coucher», deux dérivés différents, loze à suffixe *-yo-, et un dérivé en -es- répondant à gr. Àéxos, ces deux formations ayant confondu leurs voca-lismes en slave.

192. Élimination du type. — En baltique, on n'en retrouve les vestiges identifiables que dans lit., debesis « nuage », avec passage au type féminin en -i- ou masculin en -yo-, mais avec conservation de la flexion athématique dans gén. plur. debesq, et nom. plur. debeses en vieux lituanien, et de même lette debess «ciel», fém., gén. plur. debesu ; et dans lit. mënesis «lune, mois» (et mënuo), lette mëness, mënesis, qui est un masculin *mëns- passé au type en -es- (§ 175). Mais le type se continue en letto-lituanien sous la forme d'un suffixe -esis, ainsi lit. kaïbesis « parole » de kalbëti « parler ». Ici, il n'est plus possible de reconnaître ce qui est productivité nouvelle du suffixe et ce qui serait conservation de mots anciens en -es-, mais lette puvesi «choses pourries, pus », masc. plur., lit. puvësiai, avec -ësis secondaire de -esis, en regard de lit. pûti, puvù « pourrir », répond bien à gr. TTÙOÇ « pus », lat. pus, gén. pûris. Le nominatif anomal lit. mënuo pourrait indiquer qu'en raison du parallélisme des deux flexions en -es- et en -en-, acc. mënesi comme âkmeni de akmuô « pierre », les langues baltiques ont connu un certain flottement entre les deux flexions, de l'ordre de celui qu'on observe en serbo-croate et en bulgare entre les flexions neutres en -es- et en -çt- (voir ci-dessous).

Dans les langues slaves, le type en -es- se conserve en polabe et en slovène, avec, comme il est normal, passage de la flexion athématique à la flexion en -yo- au singulier en polabe, et à la flexion dure en -o- en slovène :

Polabe neby (= nebo), gén. nibesgo (= *nebesja), loc.

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2 4 2 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [ 1 8 3 ]

nebisgây (= * nebesju), instr.' nebisgoâm (— * nebesjem) ; et plur. witsêssa (= ocesa), waussêsa (= usesa), sliwêssa (= slo-vesa), swenêssa (== *zvenesa), perise et duel perissây (= *peresa, *peresï), duel zûlisay (= *celesi), et le pluriel très secondaire ramenêssa (— *ramenesa pour ramena).

Slov. okô, gén. ocêsa, et de même gén. usésa, slovésa, télçsa, drevçsa, kolçsa, cûdesa (usuellement cuda), crevêsa, izesa (ig%sa), ojësa, perçsa, uljçsa, outré granesa qui est livresque; et nebô, gén. nebâ, plur. nebçsa, bédro, plur. bedrçsa (usuellement bédra). Comme le neutre slovô est passé au sens de « congé, adieu », le slovène, qui garde le verbe v. si. sluti sous la forme slovéti « être renommé », a refait sur le thème sloves- un masculin s loves « renommée ».

Dans les autres langues, la flexion en -es- disparaît complè-tement au singulier, selon une tendance qui s'accuse dès le vieux slave, où la flexion courante est du type tëlo, gén. tëla, etc., plur. lëlesa, etc., et il ne se conserve qu'un très petit nombre de pluriels en -esa, avec normalisation de la flexion selon le type dur. Ce ne sont que quelques pluriels spéciaux à élargissement -es-, et sur lesquels, dans certains cas, a été créé un singulier -eso. Le slave, en dehors du polabe, n'a pas tiré du type en -es- une caractéristique de pluriel, comme l'ont fait des langues à flexion réduite, le germanique occi-dental, v. h. a. lamb « agneau », plur. lémbir, ail. Lamm, Làmmer, et une partie du roman, roumain limp «temps», plur. timpurï, v. ital. fuoco « feu », plur. fuocora. En bulgare, après la ruine de la déclinaison, c'est la formation productive en -eta qui assumera ce rôle (§ 195).

En russe, il ne subsiste du type que deux slavonismes : nébo, gén. néba, etc., plur. nebesâ, gén. nebés, loc. nebesâx, etc., et cûdo, plur. eudesd. Le é de nébo, en face de nèbo « palais (de la bouche) », et celui de gém plur. nebés, indiquent la prononciation d'Église (§ 48). L'ukrainien a en plus dyvo, plur. dyvesâ. Mais la langue populaire connaissait des formes

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[192] ÉLIMINATION DU TYPE 243

en -es-, et elle présente tëlesâ au sens de «chairs», et aussi slovesâ. Pour kôlo, plur. kolesâ, il a été remplacé par kolesô, plur. kolësa (§ 222), et cf. plëso.

En polonais, on ne trouve plus dès le vieux polonais que niebo, plur. niebiosa à côté de nieba, avec un singulier dia-lectal niebioso. Le mot est semi-savant, comme le montre la forme niebie du vieux polonais, prise au tchèque.

Le sorabe a njebo, et nebjo comme, tch. nebe, plur. njebjesa, et koleso à côté d e kolo.

En tchèque, on n'a plus, comme en polonais, que nebe, plur. nebesa. La forme nebe, par unification sur le thème ne-tas-, est déjà celle du vieux tchèque, entraînant une flexion de neutre du type mouillé : gén. sing. nebë, dat. neb'u, mod. nebe, nebi ; mais le slovaque a nebo, gén. neba. De kolo «roue», des formes en -es- s'étaient conservées, amenant le passage de kola «char» à kolesa et la création d'un singulier koleso. En tehèque moderne, koleso est un russisme pour kolo, et tëleso, sloveso «verbe» sont des formes savantes tirées des adjectifs iëlesny, slovesny, pour tëlo, slovo «mot ».

Le serbo-croate a nëbo, cudo, plur. nebèsa, cudèsa et cuda, qui sont semi-slavons comme en russe ; et en outre, régiona-lement, tïjelo, plur. tjelèsa (usuellement iïjela), k'ôlo, plur. &o/èsa. On trouve des singuliers ëudeso, tëleso, koleso en serbo-croate, ancien et dans des parlers modernes. Plus répandu est Mo, plur. usësa à l'ouest, à l'est uvo, plUr. uvèla, dans l'aire de disparition de h (§ 10). La substitution à -ësa de la forme productive -ëta se retrouve, et au singulier, dans la flexion anomale du nom de l'« arbre », drvo, gén. drveta, etc., plur. drvëta, etc. : drvo est pour dial. drïjevo, v. si. drëvo, d'après le plurale tantum drva «bois», v. si. druva, et la forme *drves- pour v. si. drëves-, antérieure à drvet-, est conservée en bulgare. , .

Le bulgare a nebë, plur. nebesd, avec le singulier nouveau nebë substitué à nebo depuis le x v n e siècle ; cudo, plur. cudesd,

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2 4 4 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [183]

et, plus populaire, dârvô, plur. dârvesâ et dârvéta. D'autre part, la forme curieuse kolelô « roue » usuelle pour kôlô, avec un pluriel kolelâ et kolelêta, doit s'expliquer comme une réfection, avec le suffixe -lo des synonymes târkalô et tocilo, sur un thème kole- tiré de koles-, et vraisemblablement comme un remaniement d'une flexion *kole, plur. *kolesa, puis *kolela, comme nebé, nebesâ.

193. Flexion de oko, uxo. — Le slave présente un parallé-lisme rigoureux dans la flexion anomale des noms de l'« œil » et de l'« oreille » : en vieux slave sing. oko, uxo, gén. ocese, usese, plur. ocesa, usesa, et duel oci, usi, gén.-loc. ociju, usiju, dat.-instr. ocima, usima. Les duels oci, usi, anciens neutres, sont traités comme féminins, les neutres en -i- ayant disparu (§ 166), et l'accord, dans des groupes comme oci moi «mes (deux) yeux », indiquant aussi bien un féminin qu'un neutre, et excluant seulement le masculin (moja). Mais ils diffèrent des féminins en -i- en ce que leur datif-instrumental est en -ima, et non en -ima comme dans le type général nostï, nom.-acc. duel nosti, dat.-instr. nostïma (§ 164). Dès le vieux slave, ces duels sont couramment employés à la place des pluriels, et ils deviennent les pluriels de oko, uxo dans toutes les langues slaves, y compris celles, sorabe et slovène, qui ont gardé le duel (§ 214). '

En baltique, il y a également parallélisme dans les deux mots, mais avec d'autres formes : lit. akis, ausls, fém., lette acs, àuss, et v. pr. ackis (nom. plur.), âusins (acc. plur.). Ces formes sont tirées des duels, lit. aki, ausi, mais la norma-lisation de la flexion, complète en letto-lituanien (pour gén. plur. lit. austy, voir § 174), ne l'était pas en vieux prussien, qui opposait aux pluriels aki-, ausi-, des singuliers en nom. agins, ausins. La finale -ins est celle des thèmes en -n- (§ 184), et la forme agins offre un -g- qui ne s'explique que par *akn- (§ 39). Le baltique et le slave, ont donc en commun des

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[193] FLEXION DE oko, uxa 245

! duels *akï, *ausï, mais ils divergent au singulier, *akn-, *ausn- en baltique d'après le vieux prussien, et *akes-, *auses-en slave. L'état dans les langues indo-européennes est plus compliqué encore.

Pour le nom de l'« œil », on a véd. âksi, gén. aksnâh, neutre, duel aksi, et av. asi. Il semble qu'on ne puisse pas séparer de ces formes celles du hittite, sakwa « yeux », et sakwis « source », gén. sakuniyas. La source est souvent appelée « œil » : hébreu 'ain, s.-cr. ôko, lit. akïs « trou d'eau », etc., et une métathèse de s est concevable dans sakun- pour *akusn~. Mais ces formes en -s- et -sn- sont des élargissements d'un mot plus court *oku-, okw- : lat. oculus ; et ce mot était un athématique *8kw- : gr. WIF « vue, visage », gén. ÇOTTÔS. Son duel était *okmï, conservé dans le grec homérique œcrcre, de *okwy- avec superposition de la caractéristique nouvelle -s du duel athé-matique en grec (§ 180), et dans le balto-siave lit, akl, si. oci. Le thème en -s- que le védique étend au duel et que le sanskrit généralise (an-aksàh «aveugle ») se retrouve dans le verbe skr. iksate « il regarde », et paraît être celui d'un verbe à présent en *-se-, hitt. -sa-. C'est sur ce thème élargi qu'a été bâti le neutre singulier en -n- du védique, et la formation doit être très ancienne d'après le hittite. Ceci, avec le duel sur thème plus court, donnait une flexion anomale, et que déjà le védique remanie.

Là où *okw- se maintenait au duel, un thème de singulier *okw-sn- devait se simplifier en *okw-n-. C'est le cas en baltique, v. pr. *àkn~. C'est le cas sans doute aussi en ger-manique, où got. augô, neutre, gén. au gins, de *augn-, peut s'expliquer par *agun-, de gén. *okwnés, etc., donnant-*augn- d'après *ausn- «oreille», got. auso. Mais le slave oces- représente *okws- passé au type en -es- (§ 191), avec *aks- (§ 10) devenant *akes- par le jeu ancien de l'alternance *s : s. Il ne serait pas impossible que le slave ait connu aussi *okwn-, et que le mot okuno «fenêtre», r. oknô, etc., dont

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2 4 6 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [183]

la forme est garantie par l 'emprunt finnois akkuna, conserve de quelque manière le souvenir de ce thème, avec une forme *akun- qui répondrait bien à *okwn- (§ 73). On ne peut que restituer très approximativement pour le balto-slave une flexion flottante *okws-, *aks-, d'où *akes-, et *okwn-, *akn-, sans doute d'un plus ancien *okmsn-, avec duel *okwï, *akï.

Pour le nom de l'« oreille », les correspondances sont av. usi, duel, avec u- initial et non *au~; lat. auris, sûrement refait sur un duel, comme lit. ausis sur ausi; gr. o5ç, gén. hom. ovfcrros, non sans variantes ; got. ausô, gén. ausins. Elles ne permettent pas de retrouver la forme et la flexion primitives, qui étaient sûrement différentes de celles du nom de l'« œil » : c'est plus tard que les deux flexions se sont modelées l'une sur l'autre, en balto-slave et en germanique. On doit penser à un ancien athématique, avec un duel *ausï (*ou-, u-) parallèle à *okmî. Le slave a bâti uxo, usese, sur oko, ocese. L'élargissement en -n- du grec (oùocros de *ousn-) et du germanique se retrouve dans le vieux-prussien ausins, nom. sing., qui indique que, comme pour le nom de l'œil et sans doute à son imitation, le baltique a opposé un singulier *ausn- au duel balto-slave *ausï. Ceci peut expliquer la forme ausis du lituanien, sans le s régulier après u et que présente le slave uxo, si le passage de s à *s n'a pas eu lieu en balto-slave non seulement devant occlusive (§ 10), mais aussi devant n, les exemples contraires comme si. sûxnçti « sécher », secondaire du thème sux-, ne prouvant évidem-ment rien.

Le duel neutre *okwï, véd. aksï, isolé de son singulier, ne relevait plus d'une flexion régulière, et il a servi de modèle à *ausï. Les cas obliques ont été construits sur la base du nominatif-accusatif : le védique a gén.-loc. aksyôh, dat.-instr.-abl. akstbhyâm, et l'avestique asibya, usibya. Le slave a de même dat.-instr. ocima, usima, à part du type en -i-, tandis que les génitifs-locatifs, v. si, ociju, ocïju e t usiju, usïju, ne

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[194] ' TYPE EN -çt- < 247 l

se distinguent pas de nostiju, nostïju. La forme oci sert de premier terme-de composé dans ocivistï (§ 320).

194. Type en -gf-. —- La flexion est en vieux slave (atroce «petit enfant», de otroku «enfant») :

singulier .pluriel duel

N.-A. otroëç otrocqta ( olrocetë,-li) G. otrocçle otrocçtu L. otrocçte, -ti otrocçtexu D. olrocçti otrocçtemù I. olrocqlemï olrocety

( olrocqtu )

otroëçtïma

On n'a pas la flexion complète en vieux slave. Mais au nominatif-accusatif duel la désinence *-çlë est attestée par v. tch. -ëtë, la désinence *-gfi par v. pol. -(i)çci, polabe -angtai, -antei, b. sor. -jesi, le slovène -eli pouvant avoir les deux origines ; au génitif-locatif duel, *-gfu par v. r. -(j)alu, v. tch. -alu. Le datif-instrumental duel -etïma est confirmé par v. tch. - aima et slov. ancien -etma, l 'instrumental pluriel -qly par v. tch. et tch. littéraire -aly (tch. parlé -'atama, § 142), v. pol. -içiy, etc.

Le type en -g£-, qui est un type sufïixal désignant des êtres jeunes, est de productivité illimitée : r. Kitâec « Chinois ». Kitajcâta (plur.) « petits Chinois ». S'il n'apparaît pas très abondant dans les textes vieux-slaves, c'est qu'il appartenait surtout à la langue familière. C'est d'autre part que le suffixe -gt- de diminutif est concurrencé par d'autres suffixes, v. si. -istï, -ïcï, -enïcï (-ënïcï, § 183), pol. -afc.'le vieux slave présente agnïcï « agneau » bien plus souvent que agne, kozïlistï « chevreau » à côté de kozïlç. Le suffixe peut prendre aussi une certaine valeur de singulatif (§ 212) : v. si. ovïcç est «un mouton», en face de ovïca «brebis, mouton», qui s'em-ploie surtout au pluriel. Du pluriel collectif défi « enfants » (§ 211), le singulier est en vieux slave dëtisiï, ou encore

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248 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [183]

otrocç; une forme dëte devient ensuite fréquente en slavon, et est courante dans les langues slaves. Cette concurrence de plusieurs suffixes, des oppositions assez fuyantes de singulatif et de collectif, relèvent du vocabulaire, mais peuvent prendre un aspect morphologique fixe. C'est ainsi que dans plusieurs langues la flexion des noms en -çt- devient flexion supplétive, avec le singulier ou le pluriel fournis par des types suffixaux différents. En vieux slave, le type en -g apparaît plutôt au singulier, et le pluriel est rare : on trouve sing. kozïlç, mais plur. kozïlisti. Ceci est sans rigueur, mais marque une tendance qui aboutira en macédonien moderne et en serbo-croate.

195. Traitement dans les langues slaves. — Le tchèque, et jusqu'au tchèque parlé moderne, (mais voir § 207), conserve remarquablement la flexion athématique au singulier, suppo-sant à une flexion du type dur au pluriel, et avec alternance vocalique (§ 66) : v. tch. îelë «veau», gén. telëte, dat.-loc. telëti, instr. telëtem, et tch. mod. tele (hâdë « serpenteau »)?

telete (hadële), etc., plur. telata (hâd'ata), gén. lelat (hâd'at), dat. telatâm (v. tch. -tôm), etc. Le slovaque oppose "une flexion de type mouillé au singulier et de type dur au pluriel : jahna «agneau», gén. jahnaVa, etc., et plur. jahnatâ (§ 148)f

gén. jahniat (§ 224), etc. Mais le vieux tchèque avait aussi développé le suffixe -enec parallèlement au suffixe -ë : il a mlâ-denec, et mlâdenek avec extension de l'alternance k: c, plur. mlâdenci, à côté de mlâdë « un jeune, un petit », plur. mldd'ata, et mlddenci tend à devenir le pluriel de mlâdë comme demlâdenec. De même, de kurë «poulet», mod. kure, le pluriel est kurala et kurenci. Le fait se retrouve en slovaque : jahna, plur. jahnatâ et jahnence.

La flexion en -ë, gén. -ëte, connaît par ailleurs une extension en tchèque : elle s'est transmise à des neutres du type mouillé en -e, gén. -e, et de vejce « œuf » (§ 77), vole « jabot » (pol. wole, gén. wola), et des mots à suffixe -istë comme ohnislë « foyer »,

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[195] TRAITEMENT DANS LES LANGUES SLAVES 249 i

la flexion est gén. vejce, vole, ohnistë en tchèque littéraire, mais vejceie, volete, ohnistete en tchèque parlé. Le mot doupë «trou, antre», féminin répondant au slavon duplja, s.-cr. dûplja, est passé de bonne heure au genre neutre et à une flexion gén. doupëte. Le masculin v. tch. hrabie « comte », gén. hrabie, à flexion de féminin en -ïja (§ 153) comme em-prunt au vieux-haut-allemand grâvio, — et pol. hrabia (gén. hrabiego, § 155) est pris au tchèque —, devient hrabë, avec un génitif-accusatif hrabëie comme nom de personne, et rejoint v. tch. kniezë «fils de prince», puis « prince » (mod. knize), de knëz « prince ».

En polonais, comme en slovaque, il y a passage au singu-lier à la flexion mouillée en -yo-, et au pluriel une flexion du type dur en -o-: cielç, gén. cielecia, etc., plur. cielçia, loc. cielçtach (v. pol. -iéciech, -içtoch), etc., gén. cielqt. Mais dans la langue moderne le type cielç a ordinairement disparu, remplacé par un type cielak. Le suffixe -ak, -'ak n'indique pas des êtres jeunes, et cielak est proprement « grand veau », dzieciak est « garçonnet » en face de dziecie « enfant », mais la distinction se perd. En polabe, on ne trouve attestées que des formes de nominatif-accusatif : sing. jognang ( — *jagnç), tgaurang (—*kurç), plur. goyenjungîa (—*jagnçta), duel tjàrrangtai ( = *kurçti).

En sorabe, on a le type b. sor. zwërje « bête », gén. zwërjesa, plur. zwërjeta, avec un duel zwërjesi.

Le russe a connu jusqu'à date récente une flexion de sin-gulier teljâ, gén.-loc.-dat. teljâli, avec passage du type athé-matique au type en -i-, comme dans imja, gén.-loc.-dat. imeni, en regard du pluriel de type dur teljdta. Cette flexion est conservée en ukrainien : teljâ, gén. ieljâty, loc.-dat. teljâli (cf. loc.-dat. -ovi, § 139), avec instr. teljâm comme im'jâm (§ 207), plur. teljâla; et en blanc-russe : celjd, gén. celjâci. Mais il y avait en russe ancien, comme en vieux tchèque,

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2 5 0 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [ 1 8 3 ]

deux types de noms d'êtres jeunes, l'un en -jat-, surtout pour les noms d'animaux domestiques, l 'autre en -enk-, surtout pour les noms d'animaux sauvages : volcenok «louveteau», plur. volcenki, de volk. Le suffixe -enok est la forme prise en russe par le vieux-slave et vieux-russe -enïcï, cf. v. tch. -ënec et -enek, et le russe moderne oppose, au sens d'« enfant », mladënec slavon et rebënok d'origine populaire. Dès le xvi e s., le suffixe -ënok l'emporte au singulier sur -ja: il avait l 'avan-tage sur le suffixe neutre de fournir un génitif-accusatif -ënka, avec l'extension nouvelle (§ 126) du génitif-accusatif aux noms d'animaux. Le suffixe -jala se maintient au pluriel, et c'est ainsi que le russe présente une flexion supplétive qui oppose un pluriel et son singulatif : sing. ielënok, gén.-acc. telënka, etc., et plur. leljâla, gén.-acc. leljâl, avec les désinences nouvelles du type dur, loc. teljâtax, etc. Le russe littéraire garde, en regard du pluriel isolé dêti, un singulier ditjâ, gén.-loc.-dat. ditjâti, avec passage ancien de ë à i en dehors de l'accent, comme en d'autres cas, ainsi sidët' « être assis » de v. si. sëdëti; mais le mot populaire est rebënok, et si ditjâ s'est maintenu dans les dialectes, c'est avec une flexion norma-lisée sur le nominatif comme celle du type imja (§ 207), soit en.masculin, gén. ditjâ, dat. diljû, soit en féminin, gén. diti, dat. dité. L'instrumental diijâtej(u) n'est que la transposi-tion savante du populaire ditëj(u).

Le russe a étendu la flexion en -ënok, plur. -jdta, à quelques mots en -ënok qui ne désignent pas des êtres jeunes : ainsi opënok « armillaire » (champignon), plur. opjâta pour opënki (pour les champignons, on observe qu'ils peuvent être traités comme des animés, ainsi en polonais grzyb, gén.-acc. grzyba) ; plur. den'zônki « argent », et vulg. den'zâta. Le flottement qui subsistait entre -ënki et -jata a provoqué des formes mixtes comme cerienjâta de certënok « diablotin ».

Le vieux russe a emprunté au turc le mot (a)lasa « cheval (hongre) » : il en a fait en ukrainien losâ « poulain », gén.

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[195 ] TRAITEMENT DANS LES LANGUES SLAVES 2 5 1

' i losâty. Le grand-russe a le féminin lôsad' «cheval», où il faut voir le suffixe -jad', ~ed' des dérivés comme ëérned' « chose noire, canard noir ». Dans les plus anciens exemples, du début du xixe siècle, losadï paraît avoir un sens de collectif et désigner des chevaux de paysan : il a dû être rattaché par étymologie populaire à r. dial. lôsij « mauvais », dont la dis-parition a permis à lôsad' de perdre sa valeur dépréciative.

Dans le domaine méridional, toute, trace de flexion athé-matique disparaît par normalisation sur le type dur en -o-, sauf la conservation du nominatif-accusatif singulier anomal. Le slovène a la flexion téle, gén. telçta, etc., avec quelques particularités pour les noms de personnes, un accusatif deklÇta à côté de deklè, de deklè « fille », un pluriel ocçti et ocçlje, de ôce « père », gén. oë$ta. La flexion est étendue aux noms propres en -e : Jôze « Joseph », gén. Jôzeta.

En serbo-croate, la flexion est du type tèle, gén. ièleta; du nom de personne dijètê « enfant », un accusatif djèteta se rencontre dialectalement. Le pluriel en -eta n'est plus d'emploi constant que dans certaines régions : ainsi cak. telë, plur. telëta, gén. telêt Dans la langue commune, il ne peut appa-raître qu'avec les noms de choses, qui sont nouveaux dans le type. Avec les noms de personnes et d'animaux, il est obli-gatoirement remplacé par une autre forme : soit celle des suffixes anciens -ac, -ie, v. si. -ïcï, -islî, ainsi tèle, plur. tëoci, gén. tëldcâ, pile « poulet », plur. pilici ; en règle générale par un collectif en -âd, féminin singulier : tëlâd, pïlâd, gén. tëlâdi, pïlâdi. De dijëte, le pluriel est fourni par le collectif féminin singulier djèca, de dëtïca, diminutif de l'ancien collectif dëtï (§ 211).

Il y a èn serbo-croate une grande extension du type en -e : aux nombreux noms en -e, généralement noms de choses, qui sont pris aux langues étrangères, surtout au turc, comme dùgme «bouton», gén. dùgmeta; et à des neutres en -e du

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2 5 2 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [ 1 8 3 ]

type en -yo-, comme jdje « œuf », gén. jâjeta (mais plur. jâja), ogledâlce « petit miroir », gén. -ca et -cela. De psëto « chien » le génitif est psëta et psëteta : ce mot, qui s'est en partie subs-titué à pàs, mais avec maintien du pluriel psï, était le nom du «petit chien», slov. psè, gén. psÇta; pour drvo, gén. drveta, voir § 192. Antérieurement, les hypocoristiques en -e, conti-nuant le type masculin en *-ën ( § 183), comme Mile et Milen, Milëni, de Mllorad ou Mïloslav, étaient entrés dans cette flexion : vieux-serbe André, gén. Andrela, instr. Andretem, -tom, de Àndrëj «André ». Ils la gardent en slovène, tandis que le serbo-croate en a tiré d'une part Mile (Mllo, Mila, § 208), gén. Mila, avec l'accent long des hypocoristiques (§ 42), de l'autre Mïleta, acc. Mllelu, etc. Le type en *-çta adapté de *-ën est ancien dans les langues slaves : ainsi v. r. Vasjala de Vasilij « Basile », v. pol. (dès le x n e siècle) Borzçta de Borzyslaw. Il est à côté d'autres formations d'hypocoristes, en -ota, -juta, et l'origine de ces formations très flottantes n'est pas claire, mais celle de *-çta l'est.

Le bulgare a le type telé, plur. teléta (deté, plur. deçà), qu'il a étendu, et plus largement que le serbo-croate, à d'autres noms en -e : à des neutres en -ne, ainsi imâne « trésor », plur. imâneia; à des «pluriels seconds» (§ 214) de noms en -e, ainsi moré « mer », dvè moréla « deux mers », et de là à plur. moréta pour un plus ancien morjd; aux mots d'emprunt en -e : kafé « café », du turc kahve, plur. kaféta. De là une carac-téristique -ta de pluriel qui s'est étendue à des mots étrangers divers, non seulement en -e, comme gisé « guichet », plur. giséta, mais en -i, -u, -ju: taksi «taxi», bizû « bijou », par-desjû « pardessus », plur. taksita, bizûta, pardesjûta. Dans un dialecte macédonien qui conserve l'élément nasal de g, le parler de Suho (§ 66), on a parallèlement des pluriels en -nia: pismô «lettre», emprunt du bulgaro-macédonien au russe pour le populaire kniga, plur. pismônta. Mais le macé-donien, parallèlement au serbo-croate et d'autre façon que

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[L'96] ORIGINE DU TYPE 253

• i

lui, a généralement remplacé le pluriel en v. si. -çta par d'au-tres formations : pile «oiseau», plur. pilista, avec le suffixe v. si. -istï qui se contamine avec le neutre -iste, et pilina, pilinja, avec la finale du type bulg. ime, plur. imenâ, macéd. imin(j)a, en regard de bulg. pileta.

196. Origine du type. On voit que l'histoire du type, devenu typé flexionnel, est essentiellement celle d'un suffixe, et c'est l'origine du suffixe qu'il faut rechercher.. Sa flexion athématique est une donnée capitale. Une autre donnée est son intonation rude, qu'indique la comparaison entre les langues slaves : dans fe/g, gén. telçte, la quantité de l'élément g n'est plus reconnaissable, ni en finale, ni dans les formes tri-syllabiques (§ 107), mais le groupe russe présente un accent fixe sur -ja-, qui apparaît comme la simplification d'une accentuation cons'ervée par le bulgare, âgne, plur. âgneta, avec initiale d'intonation rude, et télé, plur. teléia, avec initiale d'intonation douce (§ 222). Le slave -gt- représente donc *-ënt- ou *-ïnt-, et l'on a vu que la finale d'intonation rude du nominatif-accusatif singulier du type v. si. urémg, s.-cr. vrijème, gén. vrëmena, a du être empruntée au type en -gt- (§ 184).

Le baltique n'offre qu'une forme qui ressemble au slave -gt-: v. pr. smunents « homme », masc., de flexion athématique d'après acc.- tin, acc. plur. -tins, bâti sur le thème smun- de smûni « personne », et avec un dérivé smunenisk- « humain ». On ne sait comment interpréter une forme aussi isolée : la coexistence des deux thèmes -ent- et adj. -en- fait penser à un emprunt de suffixe au slave, pol. -ig et -igf-, emprunt qui aurait été assez large pour avoir connu une productivité indépendante en vieux prussien, et qui par hasard ne se trou-verait attesté que dans une forme, dont on sait seulement qu'elle est nouvelle pour smôy (§ 182).

On ne peut pas songer à un élargissement en -t- du type

17

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2 5 4 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [ 1 8 3 ]

en -en- : le petit type en -ëns du lette vèrsens « bouvillon », en regard de vèrsis « bœuf », n'est qu'une extension du type des patronymiques de brâlëns, si. -en-, -jan- (§ 187),' et en slave le suffixe -en-, de même origine, de *maldën- est bien distinct du suffixe -çt-, Ou, s'il se contamine avec lui, c'est de façon nettement secondaire. La comparaison n'est pas possible avec l'élargissement -t- dans la flexion des thèmes neutres grecs en -men-, ôvopia, gén. ÔVÔJACCTOS, dont l'explication relève du .grec. Ce qu'on trouve dans les langues indo-euro-péennes, ce sont des thèmes variés en -ni- : suffixe hittite -anz(a) formant des collectifs, suffixes -mant-, -vant- du sanskrit, -(F)zvr- du grec. Le germanique conserve quelques athématiques en -ni-, got. gibands « donneur », frijônds «ami», v. h. a. friunt: ce sont des participes présents subs-tantivés, comme si. mogçtï «potentat» (§ 171), v. pr. dïlanls « travailleur ». Une formation athématiqué en -ni- propre au slave, formation de diminutifs que rien ne dénonce comme ancienne, ne peut être qu'un participe présent fixé en un emploi spécial.

En regard de lacteô « être allaité », le latin a le substantif laclëns « enfant à la mamelle » : le slave *maldçt- « un jeune » est de même en regard de *maldëti « être tendre, jeune ». Le type en -çt- s'est séparé des verbes d'état en -ëli, qui ne sont restés productifs qu'en développant une flexion de présent *maldëje-, part. *maldëjç, r. molodét', prés, molodéju; mais la flexion ancienne était celle du type bolëti « être malade », prés. boli-, part. prés. bolç. L'accentuation est exactement la même dans les participes présents en *-çt-, v. si. -est-, et les suffixes en -çf- : r. videt' «voir», prés, vîdi-, part, vidja, s.-cr. vïdjeti, vîdï-, vîdëci, avec intonation rude radicale, et ordinairement, avec intonation douce, r. bolét', boli-, boljâ, s.-cr. bàljeti, bàlï-, bàlêci.

Une formé verbale séparée du verbe prenait d'autres valeurs : -qt- est devenu dénominatif, et, substantivé, il a

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[ 1 9 7 ] TYPE EN -er- 2 5 5

gardé la flexion athématique que le participe présent perdait. La forme se retrouve dans le suffixe diminutif d'adjectif lit. -intelis : grazintelis de grazùs « beau », en regard de grazëti .« devenir beau ». Le baltique a comme le slave développé une flexion de présent en *-Sje-, lit. yrazëja-, part, grazëjqs, mais en gardant un type de présent en -i-: mylëti « aimer », prés. mijli-, part, mylïs, mylint-. La différence avec le slave est que le présent lituanien offre une brève, et le participe présent est ainsi en -int- d'intonation douce et d'accent mobile.

197. Type en -er-. —r Voici la flexion de v. si. dusti «fille» et de r. doc, comparée à celle de lit. duktë (v. si. si, r. c, de *kl', § 26) :

Les types féminins.

lituanien Sing. N. duktë

A. dùkteri

vieux slave dusti dusterï dustere, -ri dusteri dusteri dusterijç dusti

russe

dot

G. dukter(ë)s L. dukteryjè D. dùkteriai I. dukterimi V. duktë

dôcer'ju

dôceri

Plur. N. dùkter(e)s dôceri

| doceréj A. dùkteris G. dukterû L. D. dukterims I. dukierimis

dûsteru, -rii j dusterexù doëerjâx dûsteremu doëerjdm dùsterïmi doëer'mi,-rjdmi

dusteri dusteriju

Duel N.-A. dùkteri G.-L. D.-I. dukterim (dat.) dusterïma

dukterim (instr.)

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2 5 6 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [ 1 8 3 ]

La flexion des féminins athématiques se caractérise en slave par le maintien de la distinction du nominatif et de l'accusatif singuliers (§ 178), régulier en vieux slave, et assez tenace dans la suite malgré l'action des féminins en -i-; par la confusion, au contraire, du nominatif et de l'accusatif pluriels, le nom.-acc. -i étant la forme de l'accusatif,- comme dans le type féminin en -i-, pour nom. -<?, acc. -i des mas-culins (§ 179) ; et par une désinence féminine d'instrumental singulier en -ïjg, également comme dans le type en -i-, pour -ïmï des masculins et des neutres. De façon analogue, le lituanien distingue dans la flexion athématique dat. sing. -iai (-ei) des féminins et -iui des masculins, et en outre nom.-acc. duel -i des féminins et -iu des masculins.

Le reste de la flexion est du type athématique général, avec tendance au passage à la flexion en -i-. Le locatif singu-lier, très peu attesté en vieux slave, ne présente dans le type en -er- que la désinence nouvelle -i, et de même en vieux tchèque, etc. (§ 206). Mais le génitif en -e reste courant, et on trouve même, en vieux slave et en moyen bulgare, un génitif-accusatif en -e : acc. dustere, matere « mère », à côté de -erï. C'est une extension au féminin des génitifs-accusatifs des noms de parenté, otïcï «père», synu « fds », gén.-acc. otïca-, syna.

Au nominatif singulier, la désinence indo-européenne était *-ë(r), présentant la même chute dialectale de la sonante finale, ou bien sa restauration dialectale, que dans le cas de *~ô(n) (§ 184), ce qui est sûrement la trace de traitements phonétiques très anciens de finales *-èrs, *-8ns (§ 132) : gr. TTccrrip «père », lat. pater de *-ër, mais skr. pila, av. ptà, pila. Le balto-slave atteste une finale *-ë : v. pr. molhe, mûli « mère » (de *-ë), lit. môtè («épouse»), lette mâle. Cette finale, en baltique, rejoignait celle des thèmes en -ë-, et l'intonation douce de lit. duktë ne peut être que secondaire et prise au type zolë (§ 105). En slave, il y a eu substitution (§ 86)

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[198] LIMITATION DU TYPE 257

i

à *-ë de la finale *-f du type en -F: -yâ-, type qui a été produc-tif (§ 155) : le type en *-ë-, que le slave a sûrement connu comme le baltique (§ 151), devenant type en *-jë-, *-jâ- avec altération de la consonne finale du thème, et *pitë «nourriture » passant à *pitja, v. si. pista (§ 78), les rares féminins en *-é du type en -er- se trouvaient isolés et devaient chercher ailleurs une normalisation.

Le vocatif singulier présentait en indo-européen le thème nu en *-er : gr. ncrrsp, skr. pitah, -ar. En lituanien, le vocatif est celui des thèmes en -ê, et en slave celui des thèmes en -i, identique au nominatif : v. si. maii, v. tch. et tch. mod. mâti, ukr. mâty, s.-cr. mâti (rare), et moyen s.-cr. kci, puis kcêri par passage au type en -i-.

La flexion comportait des alternances vocaliques en indo-européen : gr. TTorrrip, acc. Trccrépcc, gén. ucxTpôs. Le lituanien et le slave ont généralisé la forme -er- aux cas obliques, mais la forme réduite -r- est attestée par les remaniements du type et les dérivés.

L'indo-européen présentait un type parallèle en *-o(r), -or- : gr. carcrrcop « sans père », voc. OTÔCTOP, acc. caràTopa. Le baltique le conserve dans lit. sesuô « sœur », lat. soror, gén. sorôris, et le slave sestra en garde sûrement la trace (§ 198). La flexion est en lituanien gén. sesers, etc., du type en *-ë(r) de duktë, et l'on a dialectalement nom. sesë. L'intonation douce de nom. -uô est celle du type en -en- de akmuô, secon-daire elle aussi (§ 88), et le vocatif est identique au nominatif.

198. Limitation du type. — Les thèmes consonantiques en -r- étaient variés en indo-européen : le slave en garde un, isolément, dans le nom de nombre v. si. cetyre «quatre» (§ 304) ; le grand type des noms d'agents en *-ter- doit se continuer en slave par le type en -tel- (§188). Il s'agit ici d'un petit type de noms de parenté en -er-, -or-, masculins et féminins.

Il n'en subsiste en slave que deux féminins, v. si. mati

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LÀ FLEXION ATHÉMATIQUE [198]

« mère », gr. nrrn]p, lat. mater, skr. mata, et pramati « aïeule », r. pramâter, calque religieux de gr. irpoiir|Tcop ; diïsti « fille », gr. 0uy<xrr]p, skr. duhitâ (§ 98), dérivé padusterica« belle-fille, fille d'un premier mariage », r. pâdcerica, r. pop. pddcerka (§ 19), blanc-russe pâdcer'. Quant au tchèque moderne nef « nièce », gén. netere, c'est une forme artificielle du x ix e siècle, par confusion avec si. neiii «neveu» (§ 146) et pour nestera, mais qui est entrée dans l'usage courant.

La liste est plus longue en baltique : v. pr. mothe, lette mâle, et lit. môtè « épouse », gén. môteres en vieux lituanien ; dérivé lit. pâmotè «marâtre», lette pamâte, mais v. pr. pomatre sur la forme à degré réduit *mâtr- en regard de lit. môter- ; — v. pr. duckti, lit. duktë, disparu en lette ; dérivé v. pr. poducre «belle-fille », lit! pôdukré, sur thème *duklr- ; — et en outre v. lit. /enté « femme du frère du mari », gén. jenlers ; lette ietere avec passage au type en *-ë et avec intonation douce ie-(§ 96), mais par assimilation aux nombreux mots à préfixe

. ie- de *en- (§ 73), et pour l'intonation rude de l'hypocoris-tique iëlafa ; en face de gr. dial. evorrp-, gr. hom. sivorrépeç (plur.), et véd. gâta, lat. ianitrïcës (plur.), qui restituent un indo-européen *yenhter-, *yrihter~, à vocalisme radical alter-nant ; — lit. sesuô « sœur », de i.-e. *sweso(r) (§ 37) ; — et le masculin v. pr. broie, brâti « frère », dérivé brairïkai « frères » sur le thème *brâtr-, supplanté en letto-lituanien par l'hypo-coristique lit. brôlis, lette brâlis, avec le dérivé lit. broterëlis sur le thème *brâter-.

Le slave a transformé le masculin *brâtë du baltique en un masculin du type normal en -o- : v. si. bratru. et bratu ; tch. et sor. bratr ; pol. brat, mais aussi v. pol.. bratr qui se maintient dans le dérivé bralèrski «fraternel»; slov. bràt, mais v. slov. bratr- ; r. et bulg. brat, s.-cr: bràt. La simplifica-tion de bratr- en brat- présente l'aspect d'une dissimulation (§ 15), mais il doit s'agir aussi d'un doublet ancien : on peut supposer qu'un nominatif *brâtë, à finale tout à fait insolite

• • • _.

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[198] LIMITATION DU TYPE 259 I

dans les masculins, a été normalisé en bratû, tandis qu'un génitif *bratre cédait la place à un génitif-accusatif braira, comme gén. synu à gén.-acc. syna (§ 160), gén. gospodi à gén.-acc. yospodja, -da (§ 170). L'élimination du nominatif singulier en *-ë, conservé en vieux prussien, et de la flexion athématique ne doit pas être très ancienne.

Le masculin gr. Saqp « frère du mari », skr. devâ, lat. lêuir de laeuir, est passé en letto-lituanien et en slave au type en -i- : lit. dieveris, lette dieveris, si. dëverï (§ 171). Mais le lituanien conserve des traces de la .flexion primitive : gén. dieveriês et dievers, nom. plur. dievers. L'intonation rude du balto-slave répond à un thème *dâiw-, tandis que le sanskrit répond à *daiw- : on peut supposer i.-e. *daiwhë(r), *daiwher-, *daiwhr-, avec h s'amuissant devant voyelle (§ 98).

Pour le nom indo-européen du « père », gr. ircrrrip, etc., le baltique, lit. levas, lette tèvs, v. pr. tâws «père» et thewis « oncle paternel », peut en conserver le nominatif singulier, qui devait avoir en balto-slave la forme *plë (§ 47). Sur cette forme de nominatif-vocatif, il aurait refait une flexion au moyen d'un élargissement -vas ; et comme -vas n'est qu'une variante du suffixe -us (lit. lengvas et lengvùs de *lengus «léger», § 275), on penserait à *të-(v)us analogique de lit. sûnùs « fils », qui, avec un autre nom de parenté, a transmis en lituanien son vocatif -aû à brolaù de brôlis « frère ». Le slave, où *pt donnait sf (§ 35), conserve le dérivé paslorukû « fils d'un premier lit », s.-cr. pâslorak, tch. paslorek, et bulg. pdst(o)rok « beau-père » et « beau-fds » (-ok pour -âk) : il indiquerait une forme -stor- des cas obliques dans un composé du type de gr. ônrcrrcop, si le slave ne connaissait pas un certain flottement de -er- et -or- (§ 80), et cf. slov. paslorek èt pdslerek.

Dans les féminins, le nom de la « sœur » a été normalisé en seslra, qui s'explique par une réfection sur nom. sing. *sesa de *sesô, lit. sesuô, et sur un thème *sesr- des pas obliques,

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260 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [ 1 8 3 ]

parallèle à la réfection en bratu et bratru du nom du « frère ». Le vieux-prussien swestro, à côté de schostro, attesterait la même normalisation, si schostro, qui n'est que pol. siostra, ne rendait pas swestro suspect d'être également un emprunt au slave, contaminé avec ail. Schwester. Le baltique *jënter-est représenté en slave par jçtry «belle-sœur, femme du frère du mari », sur thème *jëntr- et avec passage au type productif en -y de *zuly « sœur du mari », svekry « belle-mère » (§ 203). Mais on doit, à l'inverse, admettre une extension du type des noms de parenté en -er- à nestera « nièce » (§ 35), pour i.-e. *neplï-, skr. naptth, lat. neptis (§ 154) : extension nécessai-rement ancienne, et qui peut avoir été balto-slave, car v. lit. neplé « petite-fille » ( § 155) peut être, comme jentê, gén. jenters et jentés, im nom du type en -er- flottant avec le type en -ë-. On a le parallèle en indo-iranien avec le nom masculin du «neveu», skr. nâptar- de nâpât (§ 175), acc. nâptâram pour nâpâtam.

199. Évolution du type. — Il se maintient en baltique, mais mal : la flexion s'altère, e t les mots disparaissent. Le lituanien moderne garde duktë, gén. dukters, et sesuô, gén. sesers, mais avec des formes dialectales variées, gén. dukteriës et duktës, ou avec dûkrà substitué à duktë; «mère» est môtyna, et môtè, passé au sens d'« épouse », ne subsiste plus que régionalement et en prenant un génitif môles ou un nomi-natif môteris. En lette, la perte du typé est complète : mate, gén. mâles, avec d'autres mots pour « sœur », mâsa, et pour « fille », meîta. En vieux prussien, la seule forme dont on ait la flexion est du type en -ë- : niûti, acc. mutin.

Dans les langues slaves, le tchèque a mâli, acc. mâter, gén. malere, et le vieux tchèque dci, acc. dcer, gén. dcere ; le génitif pluriel est v. tch. mater, dcer, du type dur, d'où une flexion dure de pluriel nom.-acc. matery, dcery, et de là le moderne dcera au singulier. Pour «mère», le mot usuel est malka, et

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[199] ÉVOLUTION DU TYPE 261 !

mâti, qui n'a plus de pluriel, prend en tchèque parlé la flexion gén. mâti du type de pani, tch. parlé parti (§ 156), tandis que net' «nièce», comme mot artificiel, garde la forme livresque gén. netere.

Le polonais n'a plus que matka et côra, côrka, mais le vieux-polonais mac, acc. macierz, gén. macierze (puis -rzy), gén. plur. macior, se maintient dans le kachoube mac, cas obliques macer-. Des mots pol. macierz « pépinière » et maciora « mère d'animaux, truie, reine des abeilles » sont tirés de la flexion ancienne, la forme dure maciora, comme côra, du génitif pluriel donnant nom.-acc. plur. maciory dès le xv e siècle. Le polabe avait gardé le nominatif mati sous la forme motây.

Le sorabe a b. sor. mas (h. sor. mac), acc. mas et maser, gén. masi, forme plus ancienne maserje, etc., voc. mas et dial. masi (h. sor. maci) ; sur gén. maserje a été fait dialectalement un nominatif maser ja. Mais mas disparaît en bas sorabe devant mama, et pour « fille » le sorabe a (d)zowka, qui est r. dévka « jeune fille, servante ».'

En russe, les formes nom. mâti, doci, acc. mater', dôëer , conservées dans certains parlers, ont été remplacées vers le x v n e siècle par nom.-acc. mat', doc (§ 89), avec des variantes dialectales; dôcerja, etc. L'ukrainien, qui n'a plus usuellement que dockâ, maintient mâty, acc. mâtir, avec un génitif pluriel materiv (cf. § 152) qui doit indiquer la persistance d'une forme dure * mater à côté de r. mater éj.

Le slovène mâti, hcî, acc. mâter, hëçr, conserve le génitif mâtere, hcçre, avec une flexion composite, instr. mdterjo du type en -i-, mais plur. mâtere du type en -â-, et non sans flotte-ments : dialectalement nom.-acc. hëçr, gén. hcerî, etc. Le serbo-croate, mais également avec des flottements dialectaux, a mâti, acc. mâtër, gén. mâtere, d'où instr. mâterom du type en -â-, avec une flexion suppléée en partie par l'usuel mâjka; et kci, acc. kcêr, gén. kcëri (ancien kcere), etc., avec flexion du type en -i-. La distinction est secondaire et tient à ce que

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2 6 2 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [ 1 8 3 ]

le pluriel kcêri, d'emploi courant, a dominé la flexion de kci, tandis que le pluriel de mâti était plus rare et a pratiquement disparu en serbo-croate moderne.

Le bulgare dâsterjâ, à côté de mâjka, avec un jer secondaire comme dans r. dôcer- (§ 60), est refait sur le génitif dustere du moyen bulgare, qui était génitif-accusatif comme en vieux slave : le moyen bulgare, qui faisait passer acc. -jç à -g et g à e (§ 66), acc. zem(l)jç et gén. zem(l)jç à zemg, zeme, a vu dans dustere le génitif-accusatif d'un thème en -ja comme zemjâ « terre ». Le macédonien k'érka est le serbo-croate (k)cérka (§ 26), diminutif usuel de kci pour dial. (k)cérca.

Un type en -er- limité à deux mots ne pouvait pas durer dans les langues slaves, mais son isolement même a permis la conservation de formes anciennes, en tant qu'anomales.

200. Type en -û-. — Voici la flexion de v. si. cruky « église » et de r. cérkov' :

G. crûkuve ) L. crûkuve, -vi > cérkvi D. crukûvi ). I. crukuvijç cérkov'ju V. cruky

vieux slave russe Sing. N. cruky

A. crukûvi cérkov'

A. r ^ G. crùkûvu L. crûkïïvaxù D. c rukûvamû I. crukuvami

cérkvi

cerkvéj cerkvàx, -vjâx cerkvâm, -vjâm cerkvâmi, -vjâmi

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[197] TYPE EN -er- 263

Le duel, non attesté dans les manuscrits vieux-slaves, se restitue d'après le vieux tchèque, le vieux polonais, le sorabe et le slovène en : nom.-acc. crùkuvi, gén.-loc. crùkuvu, dat.-instr. crûkuvama. Le vocatif singulier, dont les exemples' anciens sont rares, était identique au nominatif : neplody « femme stérile », svekry « belle-mère ».

La flexion dans les langues indo-européennes était : nom. sing. *-ûs, gr. îxôOs « poisson », lat. sûs « porc », skr. bhâh «terre», vadhûh «femme » ; — acc. *-ûm, *-ûn: gr. îx^uv, ombrien sim de *sûm (lat. suem), skr. vadhum; — gén. *-uwes, *-uwos, de *-uhes, *-uhos, si les thèmes en -û- sont d'anciens thèmes consonantiques en *-uh- (§ 150) : gr. ix^ùos, lat. suis, skr. bhuvâh; —voc. *-û: gr. îx^û ; — nom. plur. *-uwes (*-uhes): gr. îx^ûss, skr. bhûvah; —- acc. plur. *-ûs, de *-uns (*-uhns): gr. ix^S, skr. vadhûh; ou *-uwns (*-uhns) : gr.

lat. sues (nom.-acc.), skr. bhûvah; — cas obliques devant consonne *-û- (*-uh~): dat.-abl. skr. vadhubhyah, bhûbhyâh, lat. sûbus. Mais la flexion des thèmes en -û- à génitif *-uwes s'est mêlée à celle des thèmes en -u- à génitif *-wes (§ 159), et l'on trouve en sanskrit gén. sing. -uvah et -vah (-vâh), en latin dat.-abl. plur. sûbus (et suibus) à côté de sûbus, en grec dat. pltir. jxOûcn à u bref.

En slave, l'accusatif singulier -uvï a été refait sur le thème -ûv- des autres cas, de même que lat. suem sur gén .suis, et le grec dialectal ïx^Oa sur gén. îx§ûos. Mais la désinence plus ancienne -y, de *-un ( § 88), est conservée dans la locution vieux-slave Ijuby, prëljuby dëiali « faire l'amour, l 'adultère». Cette forme a pu être ensuite interprétée comme un accusatif pluriel, d'où le génitif pluriel négatif prëljubu, mais elle continue d'être sentie comme un accusatif singulier dans la traduction d'Hamartole : 27922 Ijuby tvorçsiju Ijuby zluju TTopvajovTa "rropvaocv ttiv xa^£TrùùTàTrlv- Elle doit suffire à indiquer que le slave a conservé longtemps une distinction

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2 6 4 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [183]

entre le type sufflxal à accusatif Ijuby et le type radical kry « sang » à accusatif hruvï, comme en sanskrit entre acc. vadhûm et bhûvam, bhrûvam de bhrûh « sourcil » : d'où le développement précoce en slave de nom.-acc. brùvï, v. si. kruvî. Pour l'instrumental singulier, dont la désinence indo-européenne ne se restitue pas (§ 178), il présente la désinence -ïjç du type féminin en -i-.

Au pluriel, l'accusatif -uvi est devenu nominatif-accusatif comme généralement dans les féminins (§ 179) ; la désinence nom.-acc. -ve du vieux tchèque est secondaire et ne saurait conserver un nominatif en *-uve (§ 201). La flexion des cas obliques est du type dur, mais si le génitif en -ûvu présente la forme attendue, correspondant à celle de lit. dial. zuv% «des poissons», gr. ixôûcov, etc., les désinences en -a- de locatif, datif et instrumental pluriels et de datif-instrumental duel constituent une innovation du slave. Elles sont attestées dans toutes les langues slaves, soit directement, soit par la normalisation de la flexion sur thème -va- qu'elles ont pro-voquée, et il n 'y a pas lieu de douter que la flexion composite de pluriel du vieux slave, et parallèlement du duel, n'ait été celle de la fin du slave commun. Elle n'en est pas moins nouvelle, et les désinences en -a- ont pris la place.de désinences athématiques, comme dans le type en -n- les désinences loc. -nïxu,ete. (§ 179). On a la preuve que ces désinences n'étaient plus sur thème *-û-, comme skr. -ûsu (loc.), lat. subus, mais sur thème comme gr. -ucn, lat. subus. Les diminutifs des substantifs en -y sont régulièrement en -uka : *çtùka, v. si. kotûka, de *çty « cane », *koty « chatte » et « ancre », etc. ; et c'est là l'origine du suffixe féminin -ûka dont la fortune a été si grande dans les langues slaves (§ 19). De v. si. cruky, l'adjectif dérivé crukûvïnû « d'église », r. cerkôvnyj, etc., remplace une forme en -û-nu que conserve le slavon morave cirkunaë (§ 74) : le mot présentait donc un thème *cïrku-, cirku-, à côté du thème *cïrkûv-, cirkuv-. On restitue ainsi

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[200] TYPE EN -u-- . 265

une flexion de pluriel *cïrkuvi, gén. *cïrkûvu, mais loc. *cîrkûxu, etc. avec réfection en loc. cïrkuvaxù, etc. sur la base du génitif du type féminin dur. Cette réfection est relative-ment ancienne, et antérieure à l'extension massive des formes du type en -i- dans le type athématique. On attendrait loc. *-ùvïxu, etc., d'après nom.-acc. -uvi, mais les désinences du type en -i- qui apparaissent dans une partie des langues slaves sont plus récentes que les désinences en -uva-: si le vieux tchèque a loc. -vech, c'est à côté de -vâch, et en regard du génitif nouveau -vi. La restitution de désinences loc. *-uxû, etc. n'est pas hypothétique : une désinence d'instrumental pluriel en -umi s'est conservée dans la flexion d'un mot à part du type général. -

Il s'agit de v. si. plëvy « balle du blé, menue paille », fém. plur., pol. plewa, sing., s.-cr. pljëvà, etc. Le vieux russe a polovy, mais avec un instrumental pelumi en vieux russe septentrional (Novgorod) ; le russe moderne a polôva, sing., et pelëva, peléva, et aussi dial. pély, plur., pelâ, sing. (Nov-gorod), par remaniement dans les parlers septentrionaux de l'ancienne flexion anomale polovy, cas obliques pelû-. Les formes baltiques sont lit. pèlûs, fém. plur., lette pelus et pelavas, et aussi lette pèlvas, v. pr. pelwo : c'est ce qu'on peut attendre d'un thème en -û- en baltique, dans l 'état d'évolu-tion du type (§ 202). Mais les autres langues, véd. palâva-, lat. palea « paille », n'indiquent pas un thème en -û-.

Le slave *pëlvy est en regard du verbe *pëlti « sarcler » et «enlever la balle du grain», prés. *pêlve-, v. si. plëti, plëve-, s.-cr. pljëti, plijèvë- (§100), r. polôt' (prés. pôle-). Il diffère du type *cïrky, plur. *cïrkûvi, et de l'autre plurale tantum qu'est *zïrnuvi « meules du moulin à bras », lette dzirnus. Mais la répartition des formes en *-uw- et en *-w- en regard de *-û-ne présente aucune régularité dans les langues indo-euro-péennes. Elle relève pour une bonne part de commodités phonétiques, comme celle des formes en *-iy- et en *-y- (si.

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266 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [183]

-ji et -ïji, § 155), et à ce point de vue le cas de si. *pëlv- n'est pas le même que celui de *zïrnûv- à groupe -m-. Ailleurs, de *su- « porc », on a les dérivés lette suvëns « porcelet », mais si. svinû «de porc», got. swein, et, de lit. zuvis «poisson», ëvieti « pêcher », zvëjas « pêcheur » (§ 202). Il faut donc ad-mettre que, de la racine *pêl-, lé balto-slave a eu un dérivé *pelu-, et *pelû- en tant que féminin, à pluriel usuel *pëlv-, *pelu-, et que sur gén. plur. *pêlvu du type dur le slave a fait un nominatif-accusatif *pëlvy à l'écart du type ordinaire en -ûvi, en gardant pelu- des cas obliques dans v. r. pelumi. En baltique, v. pr. pelwo, sinon le lette pèlvas dont l'intonation douce surprend, confirme le thème *pelv-, e t la conservation en balto-slave, dans un mot isolé, du type skr. vadhû-, vadhv-, à côté du type en -û-, -uv- que le slave a généralisé.

201. Évolution du type. — Le type a disparu complète-ment dans une grande partie des langues slaves, soit en se fondant dans le type féminin en -i- sur la base de son accu-satif singulier -uvï, soit en se transformant en un type fémi-nin en -va sur la base des cas obliques du pluriel en v. si. -uva-, et l'on a aussi pol. dial. -wia, sor. dial. -wja, par croisement de ces deux actions. Mais il est resté reconnaissab'le, sous des formes rajeunies, en polabe, en tchèque et en slovène. On peut prendre comme exemple l'évolution du nom de l'« église ».

V. si. crûky, gén. crukùve; r. cérkov', gén. cérkvi, mais dial. cérkva, et ukr. cérkva (-va populaire, -ov' en partie slavon) ; pol. cerkiew, gén. cerkwi « église russe » (« église » est kosciôl, de tch. kostel, lat. castellum), et aussi cerkwa et cerkwia; polabe tzardgây (= *cïrky), acc. zartjiiw (= *cïrkûvï) ; b. sor. cerkej (h. sor. cyrkej), de -kew', et aussi cerkwej et dial. cerkwja, gén. cerkwje ; tch. cirkev, gén. cirkve, mais slovaque cirkev, gén. cirkvi ; slov. cÇrkev, gén. cçrkve ; s.-cr. crkva, bulg. cârkva.

En vieux slave, on observe an singulier l'action habituelle de la flexion en -i- sur la flexion athématique : le génitif en

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[201] ÉVOLUTION DU TYPE ' 267

-ûve reste plus usuel que -uvi, mais le locatif en -ûve n'est plus fréquent que dans la locution vu. crukuve « dans l'église ». Au nominatif singulier, on voit apparaître à la fin du vieux slave des formes comme crukvi pour cruky : il s'agit d'une réfection sur le thème crûkuv'- devenu crûkv'-, avec -y reporté sur thème mouillé sous la forme -i, comme -g du nominatif singulier du participe présent a été reporté sur thème dur dans grçdç pour grçdy (§ 66). Ces formes se retrouvent en slavon russe et serbe, mais elles ' ne représentent qu'une innovation éphémère du vieux bulgare, sans rapport avec la désinence de nominatif singulier du type féminin en ~(j)î, qui passait à -ja (§ 156) : le moyen bulgare a nom. crûkovï, et -wia du polonais et du sorabe dialectaux est récent et s'explique autrement.

Le vieux slave présente d'autre part des génitif-accusatifs en -ûve, comme dans le type féminin dûsti, gén.-aqp. dûstere (.§ 197) : ils se sont sûrement développés par analogie dans les noms de parenté, comme svekry « belle-mère », acc. svekruvï, puis gén.-acc. svekruve, mais il est curieux qu'ils se soient étendus en vieux slave tardif à des inanimés, comme gén.-acc. crukuve, smokûve de smoky « figuier ». Il y a un lien avec la substitution de nom. smokvi à smoky, et un même souci de généraliser au singulier un thème smokv'-. Cette tentative d'éliminer la forme alternante acc. smokûvï, smokovï, n'a pas eu de succès, et, si elle a triomphé plus tard, c'est sous la forme nom. smokva, acc. smokvç.

Les substantifs à radical monosyllabique sont à part. Le nom du «sang», kry, conserve en vieux slave son génitif singulier kruve à côté de kruvi, avec des traces d'un génitif pluriel kruvu ; mais son nominatif singulier kry, qui se main-tient en vieux polonais, en kachoube, en polabe et en slovène, a disparu et est remplacé par un nominatif-accusatif krûvl, avec passage à la flexion en -i-, gén. plur. kruvii, etc., comme ordinairement dans les langues slaves : r. krov', gén. krôvi, etc.

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2 6 8 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [183]

Il en était de même de bruvï «sourcil», d'après instr., plur. bruvïmi, et un nominatif singulier *bry n'apparaît plus nulle part.

En russe, les noms en -y donnent des noms en -ov', et plus souvent des noms en -va, ainsi smôkva. Le nominatif singulier en -y s'est conservé exceptionnellement dans le dialectal svekry, passé à svekrôv' dans la langue commune. La norma-lisation sur le type féminin en -i- a été progressive : les formes anciennes sont nom.-acc. cïrkuvï, cerkov', et gén. plur. cerkvej, mais dat. plur. cerkvam, etc., jusqu'au xvi e siècle ; on voit alors apparaître cerkvem, d'où r. mod. cerkvjâm, les formes cerkvâm, etc., ne subsistant que comme slavonismes.

Le polonais a gardé jusqu'au xvi e siècle des nominatifs kry, swiekry, jqtry « belle-sœur », qui deviennent nominatif-accusatif, et l'on a signalé nom. cyrki au x m e siècle. Le génitif singulier était en -wie, de v. si. -uve, le nominatif-accusatif pluriel en -wi, le génitif pluriel en -ew, le nominatif-accusatif duel en -wi. Mais les nopainatifs-accusatifs singuliers en -ew' apparaissent dès le début, puis le génitif en -wi, et le passage à la flexion en -i-, La flexion moderne est du type chorqgiew «étendard» (krew, etc.), gén. chorqywi, nom.-acc. plur. chorqgwie avec l'extension de -ie, v. r. -ë, du type féminin en -ja (§ 168), gén. chorqywi, et loc. chorqywiach, e te., avec -wiach pour -wach par extension du thème mouillé en -w'- : d'où les formes dialectales de singulier en -wia. L'ancien swiekry est devenu svbiekra par réfection sur swiekier « beaU-père ».

Le kachoube conserve le nominatif singulier kry, et le slovince cerki et marchi, pour pol. cerkiew, marchew « carotte ». En polabe, c'est tout un type en nom. *-y, acc. *-ev, qui subsis-ta i t ; kfajrôy (= kry), tzardgây ( = *cïrky), tyelôy «chatte » ( — *koty), plur. tyêtwôy, tgenây (= *kony, pol. konew « pot »), etc., avec une large extension. Il est probable qu'au pluriel

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[201] , ÉVOLUTION DU TYPE : 269

le polabe avait généralisé le thème en -(u)va-, nom.-acc. -woy représentant -wy.

Le sorabe a la flexion b. sor. cerkej e t cerkwej (-ej de -eu/), acc. cerkej et cerkwju, gén. cerkwje, loc.-dat. cerkwi, instr. cerkwju, plur. cerkwje, gén. cerkwjow, loc. -wjach, etc., duel cerkwi.

Le tchèque conserve tout un type de féminins en -ev à génitif en -ve : cirkev, gén. sing. et nom.-acc. plur. cirkve, etc. ; le tchèque parlé ne diffère du tchèque littéraire qu'en ce qu'il élimine beaucoup de mots archaïques. Mais cette flexion ne représente plus en fait qu'une variété du type féminin mixte nom.-acc. zem, gén. sing. et nom.-acc. plur. zemë (§ 152). Les désinences primitives étaient gén. sing. -ve, nom.-acc. plur. -vi, mais le génitif singulier et le nominatif-accusatif pluriel ont normalement même désinence chez les féminins : v. si. -y et -g (§ 150), tch. zemë, kosti, etc. ; le vieux tchèque offre à ces cas un flottement de -ve et de -vi, et en outre -vy et -vë d'après les cas obliques du pluriel en -(û)va- ancien et *-vja-, -vie- nouveau. Le tchèque, conservant solidement le génitif singulier -ve, n'a eu qu'à faire passer ses noms fémi-nins en -ev, -v- au type«postel «lit», gén. sing. et nom.-acc. plur. poslele, avec -e de -e après certaines consonnes (§ 22) : consonnes autres que v, mais dans le type zem, gén. zemë, il n 'y a pas de thème en -v- gardant un génitif en -vë. Aux cas obliques du pluriel, gén. -ev a disparu devant -vi, et le flottement de loc. -âch, -ech (type en -i-), -iech (type secon-daire en -ja-), a abouti à tch. mod. -ich. Le nominatif-accusatif duel était v. tch. -vi. La flexion des noms en -ev comporte des variantes dialectales en tchèque ; en slovaque, ils sont passés au type en -i- : cirkev, gén. cirkvi. En tchèque et en slovaque, on observe un flottement des féminins en -ev et en -va.

Le slovène conserve krî, devenu nom.-acc. (gén. krvî, etc.), et un type de féminins en nom.-acc. -ev, gén. -ve, ainsi cÇrkev,

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270 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [ 1 8 3 ]

gén. cçrkve, accru de tout le type des abstraits én -tev pour v. si. -tva (§ 205), et dont la flexion est composite : au singulier du type en -i- dans instr. cçrkvijo, au pluriel et au duel du type en -a, plur. cçrkve et cerkvê, etc., dat.-instr. duel cerkvâma. Il y a des flottements au singulier entre -ev et -va, et une partie des anciens féminins en -y ont donné des féminins en -va.

En serbo-croate, tous les féminins en -y sont passés au type en -va, avec grande extension secondaire de -va comme suffixe. Les seules exceptions sont krv, gén. kî-vi, et Ijùbav « amour », gén. Ijûbavi, mot d'origine plus slavonne que popu-laire. Un nominatif Ijùbi s'est maintenu, au sens de « bien-aimée », jusqu'à époque récente, en donnant un indéclinable. Le vieux-serbe crïki, crïkvi, peut n'être qu'un slavonisme pour s.-cr. crkva, mais le vieux croate conservait kri comme le slovène, d'où une forme (artificielle) d'instrumental singu-lier kriju au début du xvi e siècle, et aussi baci « tonneau », nominatif du thème bacv- (§ 204). En serbo-croate, où le génitif singulier des féminins en -a est en -ê (§ 152), comme en -e en slovène, un génitif v. si. crukuve s'incorporait directement en crkvë dans une flexion de féminin en -va et faisait triompher ce type de flexion au singulier comme au pluriel.

Le bulgare n'a plus de même que des féminins en -va, sauf krâv.

202. Extension du type. — Le type est assez peu repré-senté en indo-iranien. Il l'est davantage en grec, avec conser-vation en grec homérique de la productivité d'un suffixe d'abstraits -TUS ; comme les cas obliques sont en gén. -uoç, de *-uwos, il y a tendance à abréger nom. -Os et acc. -ûv en -us, -uv. Cette confusion des thèmes en -û- et en -u- est réalisée en latin : socrus « belle-mère », gén. socrûs ; il ne subsiste des thèmes en -û- que des vestiges : sus « porc », gén. suis, et

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[202] EXTENSION DU TYPE 271 i

grûs «grue», gén. gruis, qui est d'ailleurs d'autre origine (§175).

En baltique, le type en -û- a disparu en ne laissant que des traces. La plus nette est un type en -uvis, avec substitution à -û- de -uv- des cas obliques, comme de -ûvï, r. -ov\ etc. à -y dans une partie des langues slaves ; mais il n'est repré-senté que par lit. zuvis «poisson», bruvis «sourcil», liezùvis « langue », et sans doute v. pr. girnoywis « moulin à bras », de *>-nuwis. Le lette présente d'autre part quelques pluralia tanlum féminins en -us, avec variantes -avas et -uvas : dzirnus, pelus «balle du blé», ragus «variété de traîneau », etc., et dzifnavas et dzirnuvas, etc. Il n'est pas douteux qu'il ne s'agisse d'un type en -û- : -uv- contaminé avec le type en -u-(§ 158), et nom.-acc. plur. -uvas, -avas doit indiquer pour le lette la même extension au pluriel d'un thème féminin *-uvâ~ que dans si. -uva-, mais les faits n'apparaissent que très remaniés.

En slave, au contraire, le type en -y est clair en vieux slave et reste reconnaissable sous les formes qu'il a prises dans les langues slaves, et il est abondamment représenté et a été largement productif. Il comprend des substantifs divers, que l'on distinguera en plusieurs catégories autant qu'il est possible de le faire :

1. La trace d'un masculin. Le type en -û-, essentiellement féminin en slave, et normalement féminin en indo-européen comme les types en -â- et en -ï- (§154), comprenait aussi des masculins, de même que ces deux types parallèles : non seule-ment avec les mots qui peuvent désigner des êtres des deux sexes, gr. Ô, RI VSKÔS « le mort, la morte », mais également hors de ce cas. On a ainsi : av. hizû- « langue », masc., v. pr. insuwis, lit. liezùvis, masc., et si. jçzykû avec élargissement en -kil de masculin, d'un balto-slave *inzû-. Les formes du mot sont variées dans les langues indo-européennes : av. hizvâ-, fém.,

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272 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [183]

skr. jihvâ, lat. lingua (ancien dingual), got. tuggô, etc. L'initiale a été remaniée, en lituanien sous l'influence de lieziù « je lèche », si. lizç, et en latin de lingô ; en germanique, elle est la même, *dn.-, que celle de got. tunpus « dent ». Sur un radical qui serait *rig- pour le balto-slave, on restitue un thème masculin en -û-, avec variante féminine en -wâ-.

2. Quelques mots sont des noms radicaux en -û-, -uv- :

SI. kry «sang», gén. kruve ; baltique kruv- dans l'adjectif lit. krùvinas « sanglant », si. kruvïnu ; av. xru-, acc. xrûm, fém., « chair saignante ». On trouve dans les langues baltiques une autre forme : v. pr. krawia, crauyo, fém., et lit. kraùjas, masc., où le désaccord des genres peut indiquer un ancien neutre ( § 125) ; et de même, en sanskrit, kravyam « chair crue », mais l'adjectif est krûrâh comme av. xrura-. Le latin a cruor « sang (répandu) », masc., gén. cruôris, par élargissement de *crû- du celtique, irl. crû ; le grec a le pluriel neutre Kpé(/r)a « viande ». La divergence entre le slave et le baltique, comme entre l'avestique et le sanskrit, s'explique par le fait que *kru- possédait un dérivé en *krew-, d'où a été tiré *krewya~. Quelque raison particulière a amené en baltique l'élimination, qui n'est pas ancienne, de la forme *kru- du balto-slave : en vieux prussien, kruwis signifie « chute », de krut « tomber ». Il y avait d'ailleurs en balto-slave deux noms du «sang», et le lette conserve l'autre nom, asinis, fém. plur., ancien thème en - r ; -n- (§ 176) : *kru- a dû désigner la « chose saignante » (lat. crudus), et on a pu proposer d'y voir un dérivé en -û-de la racine *(s)ker- « séparer » (§31), hitt. kœerzi « il tranche ». Le latin cruor pourrait avoir été remanié par emprunt de sa finale au nom plus ancien du « sang », aser, avec change-ment de genre comme dans sanguen, neutre, et satiguïs, masc. ; pour la productivité du type en -r en latin, cf. ebur « ivoire », de l'égyptien (copte) ebu.

SI. bruv- «sourcil», r. brovgén. brôvi, pol. brew, gén.

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[202] EXTENSION DU TYPE -j 273

brwi, etc. : cf. lit. bruvis, ancien et dialectal, skr. brûh, fém., acc. bhrûvam, gr. cxppûç, -Os, fém., gén. ôçpûos, v. angl. bru, mod. brow. Le mot est passé en slave à la flexion en -i- plus complètement que krûv-, et la flexion ancienne n'est nulle part conservée, ce qui n'est pas étonnant dans un substantif dont les formes usuelles sont le duel et le pluriel bruvi. Un singulier comme s.-cr. ôbrva est refait sur le duel (§ 214), pour v. s.-cr. obrïvï. Un adjectif r.. belobrysyj « aux sourcils blancs » ne saurait conserver un thème *bry de nominatif singulier : ce doit être un croisement de belobrôvyj et de rùsyj «blond» (belorùsyj, svetlorûsyj), qui attesterait l'existence en russe de la variante *rysu des langues voisines, sor. rysy, pol. rysawy. Comme *rysu « roux » et « tacheté » est de quelque façon en rapport avec le nom du «lynx», r. rys', un adjectif *bëlorysyj a pu désigner l'homme que ses sourcils blancs font ressembler au lynx à poils blancs ail. Silberluchs.

On trouve une variante à initiale o- dans plusieurs langues slave§ : slovaque obrva et obrv, slov. obrv et obrva, s.-cr. ôbrva. Cette initiale ne peut pas s'expliquer par comparaison avec les langues à prothèse vocalique, gr. ôtppùs, persan abru, (e)bru, mais av. brvai- à lire bruvat- : le slave ignore les voyelles prothétiques (§ 109). On doit penser soit à un déverbatif d'une forme à préverbe o(b)~, soit à un composé *ok-brû-, cf. ail. Augenbraue, d 'un type sans voyelle de liaison qui est resté productif en baltique, lit. juodbruvas «aux sourcils noirs», et qui a laissé des traces en slave, laskrudï (§ 12), pladïne (§ 114), etc. Ce composé aurait servi à distinguer le nom du « sourcil » de celui de la « passerelle », slov. et s.-cr. brv, mot slave commun qui, malgré les formes diverses qu'il a prises dans les langues slaves, *brïv- (§ 61) et *bïrv-, r. brevnô «poutre» et v. r. bervïno, etc., paraît se ramener à bruv- et être bruv- « sourcil » en emploi métaphorique. De même en germanique et en celtique : v. isl. bru « pont », et gaulois -brïva en face de v. h. a. brama « sourcil » ; et cf. lat. superci-lium au sens de « linteau de porte ».

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274 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [183]

Le slave a éliminé deux autres noms radicaux en -û- : Lit. zuvls «poisson», fém., avec conservation dialectale de

la flexion athématique, nom. plur. zùves, gén. zuv% ; le lette zivs, de zuvs, est masculin, et le vieux prussien a un dérivé suckïs ; cf. gr. îx^ûs, -Os, gén. -Oos, masc. La racine est productive en baltique : lit. dial. zûti « pêcher », prêt, zùvo-, prés, zûsta- par remaniement de *zuve- ; lit. zvëjas « pêcheur » et zvejôti « pêcher », dial. zvieli, prés, zvejù ; zvynë « soupe de poisson ». En slave, elle a disparu, sûrement en raison de son homonymie avec celle de zuvati, zove-, « appeler », que le bal-tique a inversement perdue pour la même cause. Mais elle a dû laisser une trace dans *zuveno, r. zvenô « chaînon, tronçon », pol. dzwono « tronçon de jante » de dial. zwiono, dont le sens premier doit avoir été « tranche de poisson », et qui est du même type que pïseno « grain (battu) », r. psenô « mil », en regard de pïchati « battre ».

Lat. sus « porc », etc. : le baltique en garde le dérivé lette suvëns, sivëns «porcelet», et le slave l'adjectif v. si..svinû « de porc », d'où svinija « porc », r.-svin'jâ, etc. ; cf. en germa-nique got. swein, etc., mais avec conservation de v. h. a. su, fém., mod. Sau.

203. Extension du type (suite). — 3. Noms de femmes. Un nom de parenté est ancien :

.V. si. svekry « belle-mère, mère du mari », en face de svekûru «beau-père » (§ 12) : r. svekrôv' et dial. svekry/, masc. svëkor, gén. svëkra ; pol. ancien swiekry et mod. swiekra refait sur masc. swiekier; v. tch. svekrev, slov. svÇkrva, s.-cr. svëkrva avec l'accent de masc. svëkar, bulg. svekârva. Cf. skr. çvaçrûh, masc. çvâçurah, lat. socrus, masc. socer, et v. h. a. swigar, de *swekrû- avec passage aux thèmes en -u- bref comme en latin, en regard de masc. swëhur, de *swëkuro~. Le baltique ne conserve que le masculin, dans lit. sësuras.

Deux autres noms ont été incorporés au type :

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[203] EXTENSION DU TYPE (suite) 275

I SI. *zuly « sœur du mari » : r. dial. zôlva, tch. zelvd, slov.

zâ(l)va, zûva, s.-cr. zâova, bulg. zâlva, et pol. ancien zelw, zlew, représentant une flexion zlew, gén. zelwi. Le mot n'est attesté que depuis le xv e siècle, et il a disparu en bal-tique. Les correspondances sont gr. yôcÀcoç, yaÀôcos, qui a l'aspect d'un thème féminin en *-dwo-, et lat. glôs, gén. glôris, sans doute d'après sorôris de soror ; elles pourraient indiquer un thème ancien en *-ôu- (§ 159), passé en slave au type en -u-. De ce mot, dont l'aspect indo-européen ne se restitue pas exactement, la forme slave *zûly, *zuluv-, sup-posée par les langues slaves, pourrait être substituée à *zluv-, et, dans un nom de parenté sujet à des déformations plai-santes, un rattachement secondaire à zulu « mauvais » n'est pas exclu. C'est ainsi que le serbo-croate pùnica, « mère de la femme », slov. pôlnica, a l'allure d'un substitut humoris-tique de v. si. tïsta, s.-cr. tâsta, r. tësca, etc., féminin de tïstï (§ 169), comme contre-partie de s.-cr. tàsta «vide », mais non par flatterie et plutôt p'our se moquer des femmes qui regret-tent leur famille où elles avaient tout en abondance, pûno : car dans les usages populaires l 'attitude des hommes à l'égard des femmes de leur belle-famille n'est pas des plus respectueuses.

Slavon jqtry « belle-sœur », r. dial. jâtrov', v. pol. jqtry, puis jqtrew, slov. jçtrva, s.-cr. jêtrva et jètrva, bulg. etârva : le slave a fait passer au type en -y un nom de parenté en -er-, v. lit. jentè (§ 198).

C'est la preuve d'une productivité slave du type en -û-dans la formation des noms de femmes. Elle est confirmée par :

V. si. neplody « femme stérile », en regard de neplodïnû « sans fruit ».

V. si. mçzaky « virago », de mçzaku. Type ancien remplacé par slov. mozâkinja, v. tch. muzicë et muzena, c'est-à-dire muz-zena, juxtaposé.

Slavon pastoruky, faiblement attesté, féminin de paslûrûku.

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276 LA FLEXION ATHÊMÀTIQUE [ 2 0 3 ]

« fils d'un premier lit », à côté de pastorka, pastorkinja du serbo-croate et du slovène.

Slavon serbe sïrozdakva . « parente », en regard de s.-cr. roâaka, roâàkinja, slov. rojâkinja. E t l'on ne séparera pas de ces mots le nom d'animal :

Y. si. tretijaky « (génisse) de trois ans », de tretijaku « de trois ans » (§ 317), en regard de s.-cr. trecàkinja.

Ce type disparaît, remplacé en partie par le type féminin en -ynji (§ 155), qui n'a pas de rapport avec lui. Mais sa pro-ductivité est encore attestée par :

V. pol. wnukiew' « petite-fille », de wnuk « petit-fils » : forme isolée, pour vunuka, r. vnuka, ou pol. mod. wnuczka, ou slov. vriukinja, avec les suffixes courants de formation du féminin.

Et, comme les diminutifs en -ûka sont à l'origine ceux de thèmes féminins en -û- (§ 200), on reconnaît une influence du type dans :

V. si. teliïka « tante », r. tëtka, pol. ciotka, etc., bien que le mot simple soit r. tëta, pol. ciota, etc., lit. tetà.

4. Noms d'animaux. On a la correspondance : Slavon zely, zeluv- « tortue » : r. zëlv', gén. zëlvi, et slavon

russe zelva, d'où r. zelvdk « tumeur »; pol. zolw (masc., gén. -wia), h. sor. zolwja, tch. zelva, slov. zçlva et s.-cr. zëlva, bulg. zëlva, avec diminutif *zelûka, bulg. zélka, s.-cr. dial. zelka ; •— et gr. x^ûs, gén. xsAuoç. La tortue n'est fréquente que dans le sud-est de l'Europe, Macédoine, Thrace, Russie du sud, et la tortue d'eau, la plus septentrionale, dépasse de peu le versant nord des Carpathes. Le mot slave appartenait donc à une aire limitée, s'il n'est pas un emprunt ancien à une langue méridionale, comme le latin tardif gùlaia.

D'autres noms d'animaux en -y sont propres au slave : *çty « cane », dim. *çtuka : v. r. utovï et"jxtka, r. mod. ûtka ;

s.-cr. Mva (vieilli). Le mot présente une extension de -y à l'ancien athématique balto-slave *âni-, lit. ântis (§ 175). Le

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[203] S EXTENSION DU TYPE (suite) 277 j

russe dialectal vûti, plur., ne peut être que le pluriel du dimi-nutif utja « caneton », ukr. utjâ, qui s'est conservé longtemps en russe (mod. utënok), et passait à la flexion de ditjd, gén. diljâ ou dill (§ 195). Le lituanien antuka «bécasse», antukas « traquet » (oiseau), pourrait être, d'après l'intonation, une adaptation du slave *çtuka, et en tout cas ne suppose pas un thème baltique en -u-, puisque le suffixe lit. -uka, -ukas, s'ajoute à tous les thèmes, ainsi jautùkas, diminutif de jâutis « bœuf ».

*koty «chatte», dim. kotuka : polabe tyetôy ( = *koty), et v. r. kotuka, ukr. kilka (r. kôska), pol. kotka, etc. C'est en même temps le nom de l'« ancre » : r. ancien kôtva, pol. kotew et kotwia, v. tch. kotev et kotva, slov. kçtva, bulg. kôtva, et dim. kotuka en vieux slave. Le masculin est kotu « chat », r. kot, etc. Ici, il s'agit d'un emprunt au germano-roman : lat. cattuSi catta, v. h. a. kazza ; le sens d'« ancre » se retrouve en germanique, bas-allemand katt « petite ancre ». Le baltique a fait du mot un féminin des types ordinaires, v. pr. catto, lit. katë. En slave, il y a extension du type féminin en -y, mais, on va le voir, ce type sert particulièrement à l 'adapta-tion de mots d'emprunt au germanique. Ceci fait soupçonner que la substitution de finale dans si. *çty en face de lit. ântis pourrait être due à une influence germanique, comme la substitution de ggsï. « oie » à la forme balto-slave lit. zqsis (§ 12). Le nom de la «cane», 'v . h. a. anut, qui n'est pas attesté en gotique, a pu en tant que féminin recevoir dans une partie du germanique une finale caractéristique des fémi-nins : cf. ail. mod. Ente, de la déclinaison « faible » en -n-, et got. swaihro «belle-mère», thème en -on-, pour v. h. a. swigar.

*pïstry «truite», s.-cr. pàstrva, bulg. pâstarva, slov. postrv et postrva (po- pour pe-). Dérivé slave de l'adjectif pïstru « moucheté », à côté d'autres formations, pol. postrqg, r. pes-trûska, etc.

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2 7 8 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [183]

. Tch. kuroptev « perdrix » et v. tch. kuroptva, kroptva (dial. krofta), pol. kuropatwa et kropatwa, r. kuropâtka et kuropâtva, avec de nombreuses variantes dialectales. Ce mot du slave oriental et septentrional est nouveau, en regard de jarçbï, lette irbe, qui est balto-slave (§ 171). Il est clair qu'il s'agit d'un nom en -y, mais déformé par l'étymologie populaire, qui a voulu retrouver dans son initiale kuru « coq », et dans sa finale puta « oiseau » (le plus nettement dans r. dial. kuroptâxa). Il n'est pas exclu qu'il faille supposer une forme de base *kropaty, qui serait le dérivé d'un adjectif *kropatu « tacheté, à gouttes », de la racine krop-, cf. pol. kropkowaty, dial. kropiasïy, tch. kropenaty, r. krâpcatyj.

5. Dérivés d'adjectifs. À ce *kropaty hypothétique, à *pïstry plus sûr, on ajoutera :

*suxy « raisin sec », de suxu, dans le slavon suxvami, instr. plur., qui remonte sûrement au vieux slave, et s.-cr. ancien suhva, dial. sûvica.

*ostry, de ostru «pointu», dans v. tch. et tch. mod. ostrev « montant d'une échelle », slov. oslrv et ostrva « séchoir pour le foin » (constitué par un pieu traversé de barreaux), s.-cr. ôstrva « séchoir » et « râtelier ».

E t neplody « femme stérile » est le dérivé d'un adjectif *neplodu du type de composés possessifs de nebogu « mal-heureux », bezbogû « sans dieu », plus ancien que le type neplodïnu. On peut expliquer de même, par le type de bez(d)rçku «sans mains» :

*narçky « gantelet » ou « bracelet », slov. nârokva, s.-cr. narukva, nàrukvica.

Slavon nastegny « cnémide, cuissard », instr. plur. naste-gnùvami, de slegno « cuisse ». Mais il faut mettre à part :

Y. si. Ijuby « amour », de Ijubu « aimé, cher », et prëljuby «adultère», s.-cr. Ijûbav èt ancien Ijûbi, Ijubi (l'accent Ijubi est secondaire, s'il n'est pas faux), slov. Ijubâv, r. Ijubôv',

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[204] EXTENSION DU TYPÉ (suite) , 279

gén. Ijubvl. L'extension du mot est limitée, et paraît être celle d'un mot vieux-slave maintenu par la tradition slavonne : il présente en serbo-croate le traitement slavon et non popu-laire de la finale.

V. si. cëly « guérison », de cëlu « bien portant », concurrencé en vieux slave par cëlïba, et inconnu des autres langues slaves.

Ces deux abstraits sont isolés et doivent représenter un type vieux-slave disparu de bonne, heure. Il répondrait au type grec, d'ailleurs exceptionnel, de fôùç « direction » en regard de iôùç « droit », mais on peut douter qu'il soit d'origine slave : cëlu doit être un emprunt ancien au germanique, got. hails (§ 10), et Ijubu, got. liufs, est suspect également de l'être. Bien que des féminins m. h. a. liebe, v. angl. hâl « santé », ne soient pas attestés en gotique, ces abstraits peuvent avoir été pris à des féminins germaniques en *-ô, de i.-e. *-â. Toutefois, on trouve des abstraits en -y d'aspect entièrement slave : -

v. r. doroguvï «cherté», de dorogu;

*polaky, dans la locution potakuvi dëjati «faire preuve de complaisance », en slavon de provenance vieux-slave. Le mot est en regard du verbe r. poiakât' « être complaisant », tch. polakaii « dire oui, approuver », pol. potakiwac et przytakiwac, slov. dial. polakaii « cacher les fautes (d'un enfant) » : c'est « dire tako, oui » (r. tâkâl') en faveur (por) de quelqu'un.

204. Extension du type (suite). — 6. Noms d'objets, de plantes, etc. Un mot est ancien :

V. si. zrunuvi, plur., «meules du moulin à bras », avec un diminutif slavon zrunuka servant de singulatif, « une meule », et un autre singulatif, v. si. zrunovu, masc. Les formes des langues slaves sont variées et en partie altérées : r . zërnov, masc., et dial. zërny, plur. ; pol. zarna, plur., et dial. zarnki; slov. zrmlja de plur. *zrnvje (§172) pour dial. zrnvi; etc.

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280 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [183 ]

Le baltique a le féminin pluriel lit. gIrnos, lette dzifnas et dzirnus, dzirnavas, dzirnuvas, en regard de v. pr. girnoywis, sans doute de *-nuwis. Le germanique, got. -qairnus, v. h. a. quirn, fém., et curn, présente un thème en -u- avec deux vocalismes radicaux différents ; le sanskrit, véd. grâvan-, masc., est plus aberrant, avec finale *-wn- pour *-nw-, *-nû- du germanique et du balto-slave. On restitue un balto-slave *gïrnû-, qu'on peut admettre aussi pour le ger-manique où les thèmes en -û- et en -u- se sont confondus. Le slave *zïrnovu est un dérivé thématique analogue à dvoru « cour » à côté de dvïrï « porte » (§ 174). On peut suppo-ser que le flottement des vocalismes radicaux en germanique résulte d'une confusion entre le vocalisnie du mot simple *gwrhnu- et celui d'un dérivé thématique *gwerhn(u)wo-(*gwreh- en sanskrit, cf. § 117) plus ancien que si. *zïrnovû.

Pour v. si. plëvy «balle du blé», voir § 200. A gr. IÀUÇ

«limon», fém., le slave répond par un masculin ilu, r. il, gén. lia, etc., qui doit avoir été un thème en -u- d'après ses dérivés, r. ilovdtyj, etc. L'ancienneté du mot suivant est douteuse :

V. si. loky « mare «, slov. Igkev et Igkva, s.-cr. l'ôkva, bulg. lôkva: cf. lat. lacus, masc., gén. -us, v. angl. lagu «mer», masc., etc., mais le slave s'explique mieux par un emprunt à v. h. a. lahha, fém., mod. Lâche «mare».

D'autres mots en -y, très nombreux, sont propres au slave, et tous ceux dont l'origine est reconnaissable représentent des emprunts :

V. si. cruky, cir(û)ky « église » (§ 74), du germanique, v. h. a. chirrihha.

V. si. xorçyy « étendard », pol. chorqgiew, etc. (r. xorugv', slavonisme), emprunt au turc, cf. le mongol orongo, de *hor~.

SI. buky «hêtre» et « lettre » : v. si. buky «lettre», plur. bukûvi, r. bukva, et slov. bûkev, bûkva «hêtre», s.-cr. bfokva.

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[204] ! EXTENSION DU TYPE (suite) 281 !

Emprunt au germanique, got. bôka « lettre », plur. bôkôs « livre », v. h. a. buohha « hêtre ». Le double sens de « hêtre » et de « lettre » remonte aux débuts de l'écriture et à l'époque où l'on gravait des signes sur des écorces d'arbre ou des tiges de bois : des calendriers sur bois, reste de cet usage, se sont^ conservés longtemps chez les peuples finnois de Russie. En slave, le sens de « lettre » est ancien : le nom du « livre », got. bôkôs, est déjà remplacé en vieux slave par un autre emprunt, kûnjigy, pris à une langue turque,- et bukarjï « écrivain, scribe», de got. bôkareis (.§ 3), l'est usuellement par kunji-zïniku, et kûnjigucii (§ 155) sans alternance de la gutturale (§ 111). Pour le nom du « hêtre », lat. fâgus, g.r..<priyés («variété de chêne »), ancien féminin en -o- (§123) dont le germanique a fait un féminin en -â-, il désigne un arbre de l'Europe centrale et occidentale, qui se rencontre surtout à moyenne altitude, et qui ne dépasse pas la région de la Vistule et celle des Carpathes, où il est assez notable pour avoir fourni sa dénomination à la Buiovine : que les Slaves l'aient connu par les Germains doit indiquer que leur habitat primitif était un peu plus à l'est. Le féminin buky, tch. ancien bukev, a été remplacé dans les langues septentrionales et en russe par un masculin buk (v. tch. et tch. mod., etc.), qui doit être Un emprunt au germanique occidental, où un féminin *bôkô à voyelle radicale longue perd phonétiquement sa finale (v. sax. bôk, v. h. à. buoh «livre» devenu neutre), s'il ne la restaure pas (v. h. a. buohha «hêtre »). Il y a ainsi en slave deux emprunts superposés, l'un ancien, buky, qui remonte au gotique, l 'autre plus récent, *buku, à l'allemand. Le polonais distingue bukiew « faîne » et buk « Jhêtre » ; en russe, bùkva « lettre » est slavon, et buk « hêtre » vient de l'ouest, comme l'arbre.

V. si. smoky « figuier », « figue », r. et bulg. smôkva, slov. smgkva et smgkev, s.-cr. smôkva, en regard de got. smakka-, thème en -o-, et smakka, masc., thème en -n-. Ce sont

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2 8 2 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [183 ]

vraisemblablement deux emprunts parallèles à une langue méridionale de la zone où pousse le figuier, zone avec laquelle les Slaves ont été en rapport avant les Gots (§ 3). Le mot slave septentrional, tch. ancien pihva, etc., est pris au latin par l'allemand (§ 205).

SI. *tyky « courge », r. lykva, tch. tykev, slov. tlkva et tîkev, etc. Le mot n'est pas sans rappeler gr. CTÎKUS, CTIKOOC,

dial. KÛKUOV, lat. cucurnis « concombre » : sans doute em-prunts divers à des langues méditerranéennes, eh dehors des correspondances phonétiques régulières.

SI. *brosky « chou », pol. broskiew, slov. brôskev, brôskva, s.-cr. brôskva, du roman, lat. brassica, ital. brasca.

SI. *bers(ï)ky «pêche», v. tch. brëskev, pol. brzoskiew, slov. brëskev et brêskva, s.-cr. brëskva, de lat. persica, v. h. a. pfersich avec la forme savante du mot et non celle du roman vulgaire, pessica, ital. pesca. Ce mot s'est contaminé avec le précédent, d'où pol. brzoskiew « chou » et tch. broskev « pêche », et ceci peut expliquer son initiale b-; les variantes s.-cr. braskva, pràskva et prâska, bulg. prâskva, montrent combien les formes ont été flottantes.

SI. *murxy, *mûrky « carotte » : kachoube marchi, pol. marchew, sor. march(w)ej, et tch. mrkev, slov. mrkev et mrkva, s.-cr. mrkva, r. morkôv et dial. môrkva. En regard de v. h. a. morha, et l 'emprunt est sûrement ancien, mais sans qu'on ait besoin de le faire remonter à une forme *murhô du germanique commun : le o germanique, issu de u, était un o fermé dont l'équivalent slave le plus proche était û, comme pour le o fermé du roman (§ 47). Pour le flotte-ment de x et k en slave, il peut être dû à l'influence du mot suivant :

*redïky « radis, raifort », tch. redkev, sor. r'etkej, pol. rzodkiew (gén. -kwi, ancien rzodekwie), slov. rédkev et rédkoa, slavon russe redkovï (r. réd'ka et dial. rëdka). Emprunt à lat. râdïce-, fém., par l'intermédiaire du germanique, v. h. a.

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[203] EXTENSION DU TYPE (suite) 283 I

ratih, relich, masc., avec l'inflexion allemande de a en e qui remonte au milieu du v m e siècle, et en slave avec extension secondaire de la finale -y des noms de légumes de la même série. Le serbo-croate rôtkva, ràdakva, qui restitue une flexion *rodky, gén. *rodïkve, présenterait l'initiale antérieure à l'inflexion, s'il n'avait pas été plutôt refait sur la forme romane radi-, ital. radice.

Y. si. brady « hache », slov. et bulg. brâdva, s.-cr. brâdva, du germanique *bardo, v. h. a. barta.

V. si. *pçgy d'après pçgûv- « gland (d'étoffe) » en rédaction slavonne, pol. ancien et dial. pqgwica « bouton », r. pûgovica, et, avec déformation, slov. pgglica « agrafe » : ce nom ancien du « bouton », constitué par une boule d'étoffe, est le nom de la « bourse », got. pugg, v. h. a . pfune, bas-latin punga, roum. pungâ, gr. byzantin T r o û y y i , mod. Trouyyî.

*pany « poêlon », slavon panuv-, tch. pânev et pânva, pol. panew et panwa, et slov. pônev et pônva : du bas-latin panna de lat. patina, v. h. a. pfanna. La différence des vocalismes dans les langues slaves peut répondre à des emprunts d'époques différentes, et de formes différentes, puisqu'on a aussi *pana dans s.-cr. dial. pànica «plat en terre», bulg. panica, et v. si. panica au sens de « citerne », cf. les sens divers de fr. « bassin ». Le slavon opanica, r. opanica, dial. opânka « jatte (de bois) », paraît supposer une forme verbale *opaniti « mouler en forme de poêlon » ; une variante opanuv- de panuv- dans des manuscrits tardifs ne représente qu'une contamination des deux .mots.

*kony «pot», polabe tgenây (= *kony), tch. konev, pol. konew, du bas-latin canna (v. fr. chane), v. h. a. kanna.

*lagy, pol. tagiew «baril», tch. tdhev « bouteille, carafe », slov. lâgev, lâgva «bouteille», r. dial. lagôvka «récipient pour le lait » : adapté de v. h. a. lâgela « petit baril », de lat. lagëna «cruche».

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2 8 4 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [ 1 8 3 ]

*laiy, slavon laluv-, « marmite », dim. latûka, slov. lâlva «vase à lait plat», bulg. lâtvica, et tch1. lâika «pot», v. pol. latka, r. lâlka « poêlon ». Ce peut être, comme désignant un récipient plat, un emprunt au roman : le latin lâtus, rem-placé par largus au sens de « large », s'était conservé au sens de « plat », roum. lat. .

Slavon dïli, dïluv-, dïlïv- « jarre », moyen bulg. et bulg. mod. délva. Le mot est vieux-slave, mais n'est attesté qu'en slavon, et l'exemple unique de nominatif dïli, en slavon russe, est du xiv e siècle. Il n'en pose pas moins la question de l'existence, à côté du type dur normal en -y, -uv-, d'un type mouillé en -i, -ïv-, c'est-à-dire de l'extension en slave du type en -y à des thèmes terminés par consonne mouillée, en raison du grand développement de la formation. Dans le cas de dïli, qu'il est évidemment impossible de rattacher à lat. dôlium « jarre », mot ancien qui n'a pas subsisté, on pourrait penser à un dérivé slave du thème dïlj- du comparatif dïljii (§ 289) de *dïlgu « long », désignant un vase de forme allongée : ce serait un dérivé d'adjectif (n° 5). Des exemples plus sûrs attestent que le type en -y après consonne mouillée a réellement existé (et voir v. r. oksevï, § 205) :

*buci « cuve, tonneau » : s.-cr. ancien baci en cakavien "du xvi e siècle, gén. plur. bacav, mod. bàcva, slov. bâcva et bâcev, slavon russe bucïvï et dim. bucïka, r. bôcka, pol. beczka, tch. becva et becka. Emprunt au bas-latin battis, bultia, ital. botte (fr. « bouteille »), sur la base d'une forme romane *buc- de *butty-, ital. boccia «bocal».

Slavon nûstïvi «huche», plur., bulg. nôstvi et dial. nâstvi, s . n â c v e , r. nôcvy « auge » (pour mettre les pains, les grains à vanner, etc.), et slov. neckç, dial. necvè, pol. niecki, tch. necky. Le mot est slave commun, mais une forme *nutji, dim. *nutjïka, ne saurait être ancienne, et il doit * s'agir d'un emprunt. Le radical *nutji- n'est pas sans rappeler quelque peu celui du bas-latin hutica, fr. « huche », d'origine sans

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[ 2 0 4 ] EXTENSION DU TYPE (suite) 2 8 5

doute germanique, mais on voit mal comment rapprocher les deux mots, aussi isolés l'un que l'autre.

*gçzi « lien (d'osier) », v. tch. huzev et hùzva, mod. houzev, pol. gqzew et gqzwa, ukr. huzva, s.-cr. gûzva, à côté de *gçza et *gçzï, v. tch. hûzë, r. guz « corde, courroie », slov. gôL Le mot s'est contaminé en slave avec Qze « corde », mais son initiale *gçz indiqué qu'il en est différent (§ 77) : on pourrait penser à un emprunt au mot roman d'origine obscure qui désignait un cordonnet, une boucle, ital. gancio, fr. a ganse ».

Cette liste ne comprend que des mots dont l'ancienneté en slave est sûre ou probable, et elle est incomplète. Elle suffit à faire voir que le slave, maintenant un type féminin en -u-, a incorporé dans ce type une masse de mots d'emprunts et a pu continuer à créer d'après lui des mots slaves nouveaux. L'origine de ces emprunts est germanique, et remonte à la domination gotique : c'est la raison pour laquelle le baltique, resté à l'écart de cette domination et des nombreux emprunts qu'elle apportait (§3), n'a pas développé le type en -û-.

L'adaptation de ces emprunts est plus morphologique que ' phonétique : on le voit par le traitement de buky, de germ. *bôkô- (§ 54), où le 5 germanique est rendu par u en syllabe initiale, mais est assimilé à la finale au type en -û-, parce qu'il en était beaucoup plus près que du type en -â-. Les langues germaniques ont réduit de bonne heure leur finale *-ô, de i.-e. -â, et un nominatif *bôkô n'apparaît plus en gotique que sous la forme bôka, en vieux haut allemand sous la forme buoh, ou buohha par restauration. Mais le début des emprunts du slave au germanique est antérieur à l'époque historique ; d'autre part, le o se maintenait plus longtemps dans la flexion, gén. bôkôs, etc., en gotique, et il y avait un autre type également productif de féminins en got. -ô, celui -des féminins en *-ôn-, dont le slave a pu imiter la désinence

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286 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [183 ]

comme plus caractéristique. De toute façon, la transposition en slave ~y des emprunts au germanique ne se justifiait qu'à époque ancienne. De bonne heure, ce n'est plus qu'un prin-cipe d'adaptation de mots d'emprunt, qui se continue avec des mots allemands ou romans en -a bref, et qui s'étend à des mots comme *redïky de v. h. a. retich, ital. radice, ou, par substitution de suffixe, à *lagy de v. h. a. lâgela.

Le slave recevait des mots en *-5 ou *-u d'autres sources : ainsi xgrogy, du turc. Une partie des nombreux noms de lieux et de rivières en -va de Russie doivent être d'anciens noms d'emprunt en -y : c'est sûr pour Moskvâ, forme fixée depuis le x iv e siècle, mais antérieurement Moskovï, gén. Moskve, et ce nom doit avoir été pris aux allogènes de la région de Muro-m a . I l y a un type vieux-russe de noms propres étrangers en -y qui sont des masculins, comme Tury, éponyme varègue de la ville de Turov, ou Gudy. On n'en connaît pas la flexion, et l'on voit seulement que les adjectifs possessifs sont Turovû, Gudovu, comme le dérivé v. si. zrûnovu de zranuvi. Plus tard, au x m e siècle, le nom de Batou, chef des Mongols, est adapté en Batyj, gén. Batyja.

205. Extension dans les langues slaves. — Le type morpho-logique en -y, devenu type suffixal en pol. -ew, s.-cr. -va, etc., et polabe *-y, a continué d'être productif dans les langues slaves et de servir à l 'adaptation de mots d'emprunt, et aussi à la création de dérivés slaves. Il n'est pas possible de distin-guer nettement les formations anciennes et les formations nouvelles, et certains mots peuvent remonter à l'époque des emprunts du vieux slave, par exemple :

Polabe roatgây (= *raky) « coffre », v. tch. et tch. mod. rakev « cercueil », mais v. si., v. r. et s.-cr. ancien raka (r. râka « châsse », slavonisme), de lat. arca « coffre » et « sarcophage », got. arka,N. h. a. archa (§ 70). Dans les noms de"plantes, on trouve :

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[ 2 0 5 ] EXTENSION DANS LES LANGUES SLAVES 2 8 7

I ' •*• S.-cr. bïtva et blïiva « bette », slov. blîtva, ukr. blijtva, de

lat. bêta contaminé avec blitum dans les langues romanes. S.-cr. mëtva «menthe», èt sor. mjet(w)ej, pour v. si. mçla,

slov. mffa, tch. mâta; et pol. miçtew et miçlkiew à côté de miçta, mielka, où la forme en -kiew au moins est tout à fait secondaire.

V. tch. et tch. mod. vikev « vesce », mais pol. wika, wyka, r. vika, etc., où l'on pourrait voir deux emprunts d'âge diffé-rent, l'un à v. h. a. wiccha, l 'autre à l'allemand moderne Wicke.

Mais pol. brukiew, brukwa « chou-rave », d'où r. brjûkva, dial. brûkva, est pris au bas-allemand wrûke et est sûrement à l'imitation de broskiew « chou » ; et le tchèque ancien pihva « figue », pol. pigwa « coing », d'où r. pigva, de v. h. a. fïga, a l'aspect d'u i assez vieil emprunt, mais a été substitué à smoky du slave commun.

Pour le nom de la _« poire », en regard de v. r. et r. mod. gràsa, pol. grusza, v. tch. hrusë et mod. hruska, etc., et v. s.-cr. krusika, mod. kruska, on trouve s.-cr. dial. krusva, h. sor. krusej (de -ew'), krusva, polabe graussoy (== *grusi) et greiswa ( = *grusva), Si le mot est d'origine slave, et si les formes du baltique, v. pr. crausy, etc., représentent des em-prunts anciens au slave, il pourrait s'agir d'un dérivé en -sa, du type des dérivés familiers en -x-, -s- (§ 10), de gruda « motte », désignant la poire sauvage qui est dure et pierreuse, avec altération en /crus- d'après krusiti «briser», comme en lit. kriâusè d'après kriausyti « piler ».

Dans les noms d'objets, v. tch. studev «cuveau», mod. stoudev, sioudev, stoudva, pol. stqgiew, stqgwia, déformé de v. pol. stqdew sans doute d'après lagiew « baril », est un em^ prunt régional à v. h. a. standa. On a un autre mot dans le polabe stangây (= *stçgy), qui siguifie « courroie » et répond à tch. stouha, pol. wstçga « ruban », slavon vûslçgu et vustQga « courroie de soulier », de la racine *ieg- « tirer ». On noteira

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2 8 8 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [183]

encore : tch. dratev, dralva « ligneul », pol. dratew, dratwa, r. draina, s.-cr. drëtva, de m. h. a. drâl; — tch. mouîev et pol. mqtew « moussoir », v. r. vu mulvi, loc., et r. mutôvka, formés sur si. mçtili «brouiller»; — pol. zagiew «amadou», tch. zâhev (adapté du polonais), de si. zagati «brûler», tch. zâhati, etc. ; — pol. korzkiew, kôrzkiew, korszkiew «cuiller, puisoir», variante de korczak et dérivé de si. korïcï, r. koréc «puisoir»; — et pol. warzqchew « cuiller à pot », secondaire de warzçcha, ancien warzecha, tch. varecka, en regard de si. variti «faire bouillir»; — slov. lâtva, lêtva, lêtev «latte», s.-cr. lëtva, polabe lôtwa, mais pol. iata, r. lâta, lâl(v)ina et polâti « soupente » (sans rapport avec poldta « chambre », v. r. polata), dé bas-lat. et v. hv a. latta ; -— et tch. krokev, krokva « chevron », pol. krokiew, krokwa, r. krôkva, qui doit être un dérivé de si. krokû « pas », pol. kroczyé « marcher à grands pas », par comparaison des che-vrons avec des jambes écartées, cf. ail. Sparren « chevron » et sperren « écarquiller » ; —- v. r. oksevï « hache », mais v. pol. oksza, de v. h. a. ackus, sûrement d'après le plus ancien *bardy «hache », slavon russe bradovï; —-v. tch. plûtev, mod. ploutev « nageoire », pol. pletwa, plytwa, sur la racine de si. pluti « voguer, nager » ; — tch. pldstev « gâteau de miel », en regard de plâst « rayon de miel » ; — r. lyzva « sorte de barque » à côté de lyza « raquette, ski », pol. lyzwa « patin » et « bateau long et plat », d'une racine peu claire en slave, mais cf. lit. sliu-zai « patins » et sliaûzti «glisser».

Il est inutile d'allonger la liste. En serbo-croate, les for-mations en -va sont nombreuses, certaines récentes, comme mêstva «guêtre», du turc mesi, qui imite bjëcva « bas, guêtre », d'origine obscure. Comme le nominatif singulier en -y, d'où -i, s'est maintenu longtemps en serbo-croate, le flottement de -i et de -va s'est étendu à diverses formes en -i, ainsi cak. lâdva « bar-que » (§ 155), particulièrement à des pluralia tantum: ôstve « harpon » de osti, r. os? « aiguillon » ; nozdrve, d'où sing. nôzdrva « narine » à côté de nôzdra, du pluriel ou duel nozdri (pluriel

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[205] EXTENSION DANS LES LANGUES SLAVES j 289

en vieux slave), r. nôzdri, d'où sing. nozdrjâ, et le slovène a de même nozdrv, ngzdrva et ngzdra. Il est possible que s.-cr. plôdva « placenta, matrice » remplace de façon semblable un pluriel plôdi de plôd « fruit », au sens de « fruit des entrailles ».

En polabe, le nominatif singulier en *-y s'était remarque-blement conservé, avec une large extension aux emprunts à l'allemand et au bas-allemand, ainsi gûrlgey (= *gurkyj de Gurke « concombre » ; et des féminins pluriels en *-y apparaissent refaits en *-vy, par contamination des deux types de féminins en -a, plur. -y, et en -y, plur. *-vy de -vi : plauchwoj ( = *blùxvy) de placha, blacha « puce » (= *bluxa), maukwag ( = *muxvy) de muchô « mouche ».

Le flottement du type pol. -ew et -wa devait s'étendre. Du nom de ville lat. et ital. Padua « Padoue », le polonais a fait Padwa et Padew ; du russe Moskvâ « Moscou », forme fixée depuis le x iv e siècle », Moskwa et Moskiew. La catégorie des abstraits verbaux en -iva a été atteinte aussi : pol. klqtew pour l'usuel klqiwa « jurement », v. si. klçtva, etc. ; tch. prâstev pour prâstva « veillée de fileuses », de prisii « filer ». Mais c'est surtout en slovène que le fait s'observe : tout le type des dérivés en -tva est passé dans la langue commune à la flexion en -ev, gén. -ve, et au type molîtev « prière », gén. molîtve, à côté de dial. molîtva. Le vieux cakavien connaît aussi nom.-acc. moiitav, pour s.-cr. molitva, -tvu, mais dans ce mot seu-lement.

Ces formes sont nouvelles, et le suffixe slave commun -tva n'a pas de rapport avec le suffixe -TUS du grec homérique, -tû-t- du latin : c'est la forme féminine du dérivé thématique en i.-e. *-two- du suffixe *-iu- d'abstrait verbal, du type de skr. kârt(u)vas « qui doit être fait », neutre kârtvan « tâche », en regard de kârtum « faire ». En baltique, le suffixe a la forme lit. -tva, -tvé, mais ordinairement lit. -tuvê et lette -lava. Ce sont sûrement des remaniements d'un balto-slave *-twâ, mais

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290 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [183]

il en faut chercher la cause ailleurs que dans une influence du type en -û- du lette dzirnus et dzirnavas, dzirnuvas, qui a eu peu d'importance en baltique. Le lette conserve dialec-talement un type intéressant ëstavâ ou ëstuvë « pour manger », « (bon à manger) », qui peut être, avec des finales nouvelles de locatif adverbial, l'ancien datif à désinence -av- et secon-dairement -uv-, répondant à si. -ovi (§ 158), du substantif verbal en -tu- fixé comme supin, lit. -tq, si. -tu, et comme infinitif, v. pr. -tun et -twei. C'est entre le-suffixe *-ivâ et ce vestige de forme verbale en -tav-, -tuv-, qu'il doit y avoir eu contamination.

Élimination du type athématique.

206. Extension des désinences. — Des types athématiques comme ceux en -çt- et en -û- ont pu connaître un développe-ment important, mais comme types suffixaux ou d'adap-tation de mots étrangers. Pour la flexion athématique, elle s'est fondue dans les autres flexions sans exercer sur elles une action notable et comparable à celle des masculins en -u-et en -i-. Il y a eu tout de même une petite extension de ses désinences de nominatif masculin pluriel et de génitif pluriel. Le génitif singulier en -e, sans être productif, a été résistant, et il s'est maintenu dans quelques types et dans quelques langues en s'identifiant à des désinences -e d'autre provenance. Pour le locatif singulier en -e, il commençait à disparaître dès le vieux slave, et les vestiges qu'il a laissés sont insignifiants : une locution vedne « de jour » en tchèque, des locatifs comme o Spàsovu dnê « à l'Ascension » (le jour du Sauveur) en serbo-croate dans des noms semi-slavons de fêtes religieuses, la finale pol. -nascie des nombres de 11 à 19 ( § 307).

On a vu (§188) que la flexion athématique avait été étendue en vieux slave au pluriel des noms en -arjï, mais qu'il ne s'agit en fait que de l'extension du nominatif pluriel en -e.

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[206] EXTENSION DANS LES DÉSINENCES 291

Cette désinence, caractéristique de quelques types dd mas-culins, et qui représentait la forme courte des désinences en -ove et -ïje des thèmes masculins en -u- et en -i-, a connu un certain succès. Sur le modèle du type grazdaninû, plur. grazdane, elle a fourni le nominatif pluriel des mots à singu-latif en -inu, et elle s'est développée en même temps que ce sufïixè de singulatif : v. si. boljare, sing. boljarinu «magnat, boïar », dans un emprunt au turco-mongol bajar, r. bojârin, que l'étymologie populaire a rattaché à boljii « plus grand » ; en slavon russe Arave, sing. Aravinu « Arabe », gigante, sing. gigantinu « géant », etc. Ces pluriels masculins en -e sont fréquents en moyen bulgare comme en vieux russe. Mais le bulgare a confondu phonétiquement -ïje, -'e des thèmes en -z-et -e des athématiques (§21, § 172), et les quelques pluriels en -ë du bulgare moderne, caré « empereurs », kralé « rois », koné « chevaux », etc., résultent d'une contamination des deux types. Quant à la désinence -ie du polonais, elle confond -e, -ïje et -ë (acc.) du type eû -yo-, et la désinence -é du tchèque est aussi peu identifiable. En serbo-croate, le nominatif pluriel en -e a disparu : -ane, et de même -ove, se maintiennent jusqu'au xvi e siècle, mais concurrencés depuis le x iv e siècle par -ani, -ovi, qui l'emportent. De vlastèlin « noble », mot régional, le pluriel vlastele s'est conservé longtemps, puis s'est transformé en un collectif vlastèla, fém. sing., d'après gospàda «seigneurs, messieurs» (§ 211).

Le bulgaro-macédonien présente une extension curieuse de la désinence -e de nominatif masculin pluriel dans la flexion du participe parfait en -/-, bulg. oriental reklé « (ils ont) dit », macéd. -le. La forme, devenue pluriel des trois genres, "est attestée depuis les x i i e -xm e siècles, et est analogique des pluriels masculins en -ste, -(v)se des participes actifs. La dis-tinction de -le et de -li n'apparaissait plus d'ailleurs que sous l'accent (§48), et la langue commune bulgare l'a perdue : rekli, tandis que le macédonien restaurait -le hors de l'accent (§ 94).

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292 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [183 ]

Le génitif pluriel présentait aussi sa particularité dans le type athématique : sa désinence -u qui s'amuissait en faisait un génitif sans désinence, mais de type dur dans une flexion de pluriel du type mouillé. Cette double caractéristique a eu sa productivité. Le russe, dont les, génitifs masculins pluriels sont en -ov ou -ej, a gardé le génitif pluriel court kresl'jân dans le type kresl'jânin « paysan », plur. krest'jâne, et il l'a étendu à d'autres masculins, car, dans son système, c'est moins une conservation de formes anciennes qu'une extension nouvelle : Turcânin « Turc » (mod. Turok), plur. Turki, gén. Turok pour Turkov qui était antérieurement la forme usuelle ; et gusâry « hussards », gén. gusâr, etc.

Pour la forme de type dur, elle s'est maintenue en russe dialectal : den' « jour », sâZéri « sagène », lôkot' « coude », nôgot' « ongle », làpot' « chaussure de tille », gén. plur. dën, sâzen et sazôn (§ 183), lôkot, nôgot, lâpot (§ 189). De même en polonais ancien, et jusqu'au polonais moderne dans przyjaciel « ami », nom. plur. przyjaciele, gén. przyjaciôl (§ 188) ; d'où quelque extension de ce thème dur : instr. plur. przyjaciôlmi en polonais moderne, et gén. plur. kmiot, de kmiec «paysan», en vieux polonais (§ 171). Allant plus loin, le vieux tchèque a créé une opposition de nom. plur. prielele et gén. prâtel (§188).

C'est l'extension de la finale dure du génitif pluriel athéma-tique qui rend compte de la particularité du russe et du polonais de donner aux féminins en -nja après consonne des génitifs pluriels en -en dur : r. visnja « cerise », gén. plur. visen, pol. suknia « robe », gén. plur. sukien (et sukni) pour un plus ancien sukien. Cette innovation, qui remonte aux xv e-xvi e siècles, s'explique par le parallélisme qui existait alors entre nom. plur. lôkti, gén. lôkot, et vis ni, gén. visen, en russe, entre nom. plur. lokeie, gén. lokiet, et suknie, gén. sukien, en polonais.

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[207] DISPARITION DU TYPE 293

207. Disparition du type. — Cette action du type athéma-tique a été extrêmement limitée : le type était en décadence dès le vieux slave, et il n'en reste dans les langues slaves modernes que des formes anomales qui n'ont pas été corrigées, mais dont certaines, incorporées à des flexions normalisées, continuent de caractériser des types spéciaux.

En russe, les masculins en -en- et en -t- et les féminins en -y sont complètement normalisés. Il reste, pour les féminins, les nominatifs-accusatifs singuliers mat'., doc, en face d'une flexion régulière des autres cas, gén. màteri, dôceri, etc. ; et pour les masculins, dans le type kresl'jânin, le génitif pluriel krest'jân, et le nominatif pluriel krest'jdne de la langue litté-raire, mais qui est pour krest'jânja ou krest'jdna des dialectes russes, xrystyjâny de l'ukrainien. Ce sont les types athéma-tiques neutres qui sé conservent le mieux, opposant une flexion molle de singulier à nominatif-accusatif anomal à une flexion dure de pluriel, imja, gén. imeni, plur. imend ; et non sans remaniements plus graves, telënok, plur. teljâia, et dial. Ime, gén. imja, ou imjanô, gén. imjanâ, témja « sommet de la tête », gén. témja, dat. témju, ou gén. iémi, dat. léme, avec passage au type féminin. En ukrainien, de im'jâ, gén. imeny, plur. imend, teljâ, gén. teljdty, plur. teljâta, l 'instrumental singulier est im'jâm, teljâm, pour r. imenem. L'innovation se retrouve ailleurs : tch. dial. râmëm pour ramenem, de râmë «épaule»; et déjà le vieux slave pouvait bâtir sur plamy «flamme », masc., un instrumental plamymï pour plamenemï, à la faveur du doublet nom.-acc. plamy et plamenï (§ 185).

Le polonais garde le type masculin mieszczanin « bourgeois », nom. plur. mieszczanie, gén. mieszczan, et les types neutres imie, gén. imienia, plur. imiona, ciele, gén. cielçcia, plur. cielçta, avec de bonne heure une tendance à remplacer imiç par imiono. Le domaine méridional n'a plus que des formes spéciales de nominatif-accusatif singulier neutre en regard d'une flexion par ailleurs régulière : bulg. imé, plur. imend,

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294 LA FLEXION A T H É M A T I Q U E - [183]

telé, plur. teléta ; s.-cr. ïme, gén. ïmena, etc., plur. imèna, etc., tèle, gén. tèleta, etc. ; slov. tmg, gén. imèna, etc., téle, gén. teinta, etc., avec conservation du type telô, gén. lelesa (§ 192), et en outre avec un type féminin cérkev, gén. cÇrkve (§ 201).

Seul le tchèque, non le slovaque, paraît attester une conser-vation du type athématique, avec sa désinence caractéris-tique -e de génitif singulier : masc. kâmen, gén. kamene, loket, gén. lokte, gén. plur. loket, neutre ramé, gén. ramene, kure, gén. kurete, fém. cirkev, gén. cirkve. Mais le tchèque littéraire est archaïsant, et les formes réelles du tchèque parlé sont gén. kamena, gén. loktu, gén. plur. loktù, et nom. rameno, gén. ramena, comme jméno qui s'est imposé dans la langue écrite. Pour les génitifs en -e qui subsistent, il faut les interpré-ter dans le système actuel : la flexion cirkev, gén. cirkve, est celle du type féminin mixte posiel, gén. postele (§ 201), et la flexion kure, gén. kurete (dial. kufaie, kuratë, slovaque kurat'a) a de même gardé sa désinence -e parce qu'elle a été identifiée à -e, de v. tch. -ë, du type en -yo- de more « mer », gén. more.

Il n'y a plus de type athématique dans les langues slaves : divers vestiges seulement, et surtout des formes anomales de nominatif-accusatif singulier, comme dans les formes fixées des participes actifs présent (§ 281) et passé (§ 284) et du comparatif (§ 291). Mais une langue comme le tchèque atteste que la disparition du type n'est pas très ancienne. Le slave n'est qu'un peu plus évolué que le lituanien, qui, avec même extension limitée de certaines désinences, gén. sing. et nom. plur. ~(e)s, gén. plur. garde le type flexionnel, mais de façon si restreinte et si précaire qu'il a pratiquement disparu dans une partie des dialectes, comme en lette.

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CHAPITRE YII

FAITS DIVERS DE LA FLEXION DES SUBSTANTIFS

208. Masculins en -a et en -o. — Le slave a réparti dans l'ensemble les flexions selon les genres, ne gardant plus de trace des anciens féminins en -o- du grec et du latin (§ 124), distinguant les masculins (et anciens neutres) en -u- et les c féminins en -u- (§ 159), créant des différences entre la flexion des masculins et des féminins en -i- (§ 164) et éliminant ensuite les masculins, disposant en fonction du genre les restes des types athématiques (§177). Mais il conservait des masculins en -â-, et il les a maintenus jusqu'à l'époque actuelle. Les langues slaves ont en outre développé des masculins en -o et en -e. Comme le type flexionnel et le genre se trouvent en contradiction dans ce cas, il en est résulté des complications.

Le vieux slave présente des masculins en -a comme sluga• « serviteur », particulièrement des composés comme vojevoda « chef d'armée, voïvode », des dérivés en -ïca comme jadïca « (gros) mangeur », et des emprunts comme Ijuda « Judas, Jude ». Il a de même des masculins en *-f, -ii (§ 155), ainsi sçdii « juge», et ce type aussi a été enrichi par des emprunts, au grec -qs, Manasii « Manassès », au turc -ci, kùnjigucii « scribe ». La flexion est régulièrement féminine, sauf une tendance à développer dans les emprunts un instrumental singulier masculin : Isaija « Isaïe », instr. Isaijemï. Pour la syntaxe d'accord, ces masculins en -a sont traités normalement comme féminins au pluriel : sluga moi « mon serviteur », et

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296 FAITS DIVERS DE LA FLEXION DES SUBSTANTIFS [208]

slugy mojç « mes serviteurs ». Le fait ne peut être que récent : il est en liaison avec l'opposition que le slave a créée au pluriel entre les masculins qui distinguent le nominatif et l'accusatif et les féminins qui les confondent, si bien que slugy, nom.-acc., a été senti comme féminin.

De masculins en -o, un exemple Marko « Marc » est isolé en vieux slave, et le -o n'est pas de lecture très sûre. Mais le slavon forme des masculins en -ije pour calquer le grec -îoç, acc. -xov : Makarije « Macaire, Mocrâpios ». Ces formes slavonnes s'étendent en moyen bulgare ; elles pénètrent en russe ancien : Makarie pour r. Makârej, écrit -ri/, et r. pop. Makâr ; et elles sont courantes en serbo-croate : Makarije.

Le serbo-croate traite comme le vieux slave ses masculins en -a, slûga, sùdija de v. si. -ii (§ 156) : ils sont régulièrement masculins au singulier et féminins au pluriel. Le type est pro-ductif, et il s'accroît d'emprunts comme pàsa «pacha », et de nombreux hypocoristiques comme prôla de prolopop « proto-pope » (accent long, § 42). Mais les hypocoristiques présentent une variante -o : prôto ; et il en résulte deux flexions parallèles, l'une féminine, prôla, acc. prôtu, gén. prôlë, l 'autre masculine, prôto, gén.-acc. prôta, avec même vocatif prôto. Les deux flexions se répartissent selon les dialectes, en emmêlant plus ou moins leurs formes; le pluriel, plus rare, est féminin : prôte. Les hypocoristiques, dont l'origine est sûrement très ancienne (§ 42), devaient être primitivement en -a. Les formes en -o, qu'on retrouve dans la plupart des langues slaves, peuvent résulter pour une part, surtout dans les suffixes -ko, -lo, d'un emploi expressif du neutre ; pour une autre d'une extension du vocatif, autre tour expressif. Dans les noms de parenté, une imitation est possible de la langue des enfants, qui confondent nom. tâta «papa » et voc. tâto. Il y a d'autres hypocoristiques en -e : Pâvle, de Pàvao «Paul», gén. Pâvla, Mlloje de Milàs(l)av. Ici, à l'action du vocatif a dû se joindre celle du type ancien Rade, gén. Radeta (§ 195),

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[ 2 0 8 ] MASCULINS EN -a ET EN -o 297

dont le serbo-croate a fait Rade, gén. Râda, à côté de Râdeta, gén. Ràdetë. Ces explications sont naturellement approxima-tives : les formations expressives n'ont pas d'histoire sûre.

En bulgare, les masculins en -a ont le vocatif et le pluriel des féminins : slugâ, voc. slûgo, plur. slugl. De vladika « évêque », un pluriel vladici, du type masculin d'après son alternance consonantique (§ 145), est dû à une cause spéciale, sûrement l'influence de pairik « patriarche », plur. patrici. Il y a des masculins en -o, surtout hypocoristiques : clco « oncle paternel », comme s.-cr. clla où l'on reconnaît une déformation du vocatif strîce de strie (§ 62), cas oblique Uca, plur. ëlcovci ; avec une forme mouillée en -jo, type Miljo. L'article postposé s'assimile, comme à l'ordinaire, à la finale du mot, et n'indique pas le genre : slugâta, cicoto.

En slovène, on a des masculins en -a et en -o, et la conser-vation du type en -e, gén. -eta : sluga, dêcko « garçon », gén. dêcka, oie « père », gén. ocçta, plur. ocçti et ocçlje. Le type en -a flotte entre la flexion féminine et la flexion masculine : sluga, acc. slûgo, gén. sluge, et gén.-acc. slûga (adj. poss. slugov, § 296). Ainsi, de ôëa, variante populaire du slovène littéraire ôce, la flexion de singulier est mixte avec prédominance du type masculin : acc. ôca et ôco, gén. ôêa, loc. ôëu et ôci, dat. ôcu, instr. ôcem et ôco.

Le russe conserve à ses masculins en -a la flexion féminine, le genre ne se distinguant plus au pluriel qu'au génitif (§ 138), qui est devenu génitif-accusatif dans le sous-genre animé : slugâ, acc. slugû etc., gén.-acc. plur. slug. Le type fournit une masse d'hypocoristiques : Sâsa de Aleksândr. Il y a des noms en -lo et en -la, mais qui se confondent en une même flexion féminine, le suffixe n 'étant pas accentué : i ancienne-ment Danilo «Daniel», gén.-acc. Danïla, etc., actuellement Danllo et Danlla, acc. Danilu, gén. Danily, etc. Le russe distinguait de même.des noms propres en -ko et en -ka ; dans la langue moderne, les noms en -ko, qui sont essentiellement

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298 FAITS DIVERS DE LA FLEXION DES SUBSTANTIFS [208]

ukrainiens, et qui en ukrainien sont fléchis comme des mas-culins (bât'ko « père », gén.-acc. bâl'ka, dat. bât'kovi), ont une flexion de féminins en -ka : K or olénko, acc. Korolénku, etc., mais plus ordinairement ils sont invariables (§ 210).

En polonais, les masculins en -a ont une flexion féminine au singulier, et une flexion de masculins au pluriel : starosta « staroste », acc. starostç, etc., et plur. starostowie, gén.-acc. starostôw. Quelques mots gardent au génitif-accusatif pluriel une forme sans désinence, souvenir de leur ancienne flexion de féminins : sluga, plur. slugi et sludzy, gén.-acc. slug. Le polonais a des masculins en -o à flexion masculine : wujcio « petit oncle », gén.-acc. wujcia, nom. plur. wujciowie ; et des masculins en -ko qui, comme en russe, flottent avec les mas-culins en -ka avec tendance à passer au singulier à la flexion féminine : lalko et latka «papa», gén. latka et tatki, ordinai-rement tatko, acc. tatkç, gén. tatki, etc., mais plur. tatkowie. Le neutre ksiqzç « prince » est passé au genre masculin, avec un génitif-accusatif ksiçcia de ksiçzçcia, mais il garde un pluriel ksiqzeta. „ 1

En sorabe, les masculins en -a ont une flexion de féminins, et tendent à prendre un accord de féminins : ten groba «ce comte » et ta groba. Les masculins en -o ont en bas sorabe une flexion masculine : Ruso « le Russe », gén.-acc. Rusa, etc. ; mais le haut sorabe ne connaît que le type en -a, nom. Rusa, et c'est aussi l 'état d'une partie du bas sorabe.

En tchèque, les masculins en -a, -e (v. tch. -ë) après c ou chuintante, présentent au singulier une flexion mixte : stuha, acc. sluhu, gén. sluhy, mais dat.-loc. sluhovi ; soudce i juge», dat.-loc. soudcovi, instr. soudcem ; tch. ancien panose «petit seigneur, page », mod. panos du type zem, dat.-loc. panosovi, instr. -sim et -sem. Au pluriel, la flexion est masculine : sluhové, gén. sluhu, etc., soudcové, panosové (et -si). Le tchèque a des masculins en -i, continuant les deux types v. si. -ii à flexion féminine (§ 154) et à flexion masculine (§146) ; il les

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[208] MASCULINS EN. -a Et EN ~o ^ 299

a fait passer à la flexion des adjectifs mouillés en -t : sudi « juge », gén.-acc. sudiho, dat. sudimu, pour un ancien sudi. Le neutre knize « prince » est devenu masculin, avec géni-tif-accusatif knizele ; on â de même hrabë « comte », gén.-acc. hrabëte, mais la iorme primitive était v. tch. hrabie (§ 195), et elle se conserve dans markrabi « margrave », gén. -biho.

Le type ancien en slave est celui des masculins en -a, et *-?. Il n'est pas impossible que les masculins en -a continuent pour une part des masculins en i.-e. *-ô(n), ce suffixe four-nissant des hypocoristiques et des surnoms, gr. 'Ayâôcov de 'Ayoc0oKÀ%, et TTrrôoov de -rrîôr|Kos « singe », lat. Uarrd de udrus « cagneux », avec une gémination expressive à laquelle peut répondre l'allongement dans les hypocoristiques du serbo-croate (•§ 42). En effet, une finale *-5 donnait -a en slave, et -y du type en -my est remanié (§ 184). Mais alors il y aurait eu fusion complète^ sur la base du nominatif et du vocatif, avec les masculins en -â-, et l'on ne saurait établir entre les types d'hypocoristiques Mila et Milan du serbo-croate le même rapport qu'entre Mile et Milen, Milën (§ 183) : le type en -an, qui est surtout développé en serbo-croate, est sûre-ment emprunté au roman -ânu-, comme l'est à -âne- le type en -un de s.-cr. Mïlun.

Les masculins en -d- sont conservés en baltique comme en slave : lit. gyrà « fanfaron », de girlies « se vanter », lette puïka « garçon », laïza « lécheur, gourmand », de làizît « lécher », si. : lïzaii. E t avec la variante baltique -ë- de -â- : lit. disèrè «menuisier» (de l'allemand), lette bende «bourreau». La flexion est féminine, mais soumise à l'action de celle des masculins, et l'on a au datif singulier, comme -ovi en tchèque, lette puikam pour dial. pulkai, bendcm.

En dehors du balto-slave, le type masculin en -â- est déve-loppé en latin : scrïba, composé agricola. Même s'il appartient en bonne partie à la langue familière, sobriquets latins comme

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300 FAITS DIVERS DE LA FLEXION DES SUBSTANTIFS [208]

nâsïca, hypocoristiques et dérivés en -ïca du slave, il ne saurait se réduire à un emploi expressif du féminin pour dési-gner des hommes. Il remonte à l'indo-européen, et le grec le conserve très vivant, avec seulement quelques remaniements dus à l'influence de la flexion masculine, comme dans les langues slaves et baltiques : nom. sing. vsavîâs «jeune homme », gén. vsaviou, avec -s et -ou, dial. -5o, d'après les masculins. Des formes homériques comme hrrrÔTcx « cavalier » pourraient être des vocatifs employés comme nominatifs, et répondre aux formes secondaires en -o des langues slaves.

Les thèmes en -â- de l'indo-européen sont antérieurs à la distinction du masculin et du féminin (§ 123), et ils ont fourni des masculins et des féminins, de même que les thèmes en -û- (balto-slave *inzû, si. jçzykû, § 202), et que les thèmes en -z-, contaminés avec les thèmes en -yâ- (§ 154), et aussi hors de ce cas : skr. raïhih « conducteur de char ».

209. Traitement des mots étrangers.— Les mots étran-gersi nécessitant une adaptation de leurs finales souvent insolites, jouent dans les langues un rôle qui n'est pas négli-geable, et qui peut être important. Ainsi, pour l'aspect phonétique de la fin du mot, le slave avait éliminé la plupart de ses groupes de consonnes, et les langues slaves ne présentent plus normalement, dans des mots slaves, que des groupes de consonnes -si, -zd, -si, -zd. Les emprunts apportaient d'autres groupes, qui étaient dissociés par l'intercalation facultative d'une voyelle réduite : v. si. p(u.)sal(u)mû a psaume, vyocXués », d'où psalûm(u), psalom(u). Le russe, dans un mot slavon, continue cet usage ancien : psalôm, gén. psalmâ ', mais non toutes les langues slaves : pol. psalm. Les emprunts plus récents sont obligés d'accepter les groupes de .consonnes en finale : r. elemént. E t ce n'est pas la langue savante qui les accepte, mais la langue parlée : en serbô-croate, on a elèmenat dans un mot savant, mais muzlkanl « musicien », de l'allemand,

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[209] TRAITEMENT DES MOTS ÉTRANGERS 301

(h)âps «arrêts, prison», du turc, dans des mots populaires, et les traitements phonétiques considérés comme réguliers, le jeu de l'a « mobile » avec les groupes de consonnes en finale, le passage de -l à -o (§ 15), retardent beaucoup sur l 'état d'une langue où l'on ne peut plus dire que lift « ascenseur », général ou denèrâl « général ». L'adaptat ion au type slave a eu lieu longtemps. Le polonais prend le suffixe allemand -ung sous la forme -unk, puis -unek, & n l'assimilant et en en faisant un suffixe slave : gatunek « espèce », ail.. Gattung, et pocalunek « baiser », de pocalowac « embrasser ». De ail. Schanze « retran-chement », fém., il fait szaniec, masc., comme r. sânec, s.-cr. sânac, mais aussi szanc au sens de « chance », à côté de szansa du polonais moderne qui est refait sur le français. Les groupes de consonnes finales de l'allemand sont acceptés, et ils sont acceptés également dans les mots slaves : sorabe kônc pour pol. koniec (§ 119).

Du point de vue des flexions, les emprunts ne peuvent pas apporter de types nouveaux, si ce n'est de façon artificielle et peu recommandable : fr. « sanatorium », plur. « sanatoria » (qu'on pense à ce que serait «aquaria» de «aquarium»), ail. Thema, plur. Themata. Mais, en s 'adaptant aux types exis-tants, ils peuvent rendre de la vitalité à des types en voie de disparition. C'est ainsi que la grande majorité des féminins en -y sont constitués par des emprunts (§ 204), et que les féminins et masculins en *-ï ont été considérablement accrus par des mots étrangers et par les substantifs à suffixes -ynji, d'origine sûrement germanique, et -cii, d'origine turque (§ 155). L'extension du datif singulier én -ovi dans les noms propres et les noms de personnes (§ 162) est celle d 'un type de noms d 'emprunt en *-us, que le slave a dû prendre au gotique où lat. -us et gr. -os s 'adaptaient également en -us, et qu'il a pu transmettre ensuite au baltique. Le détail des adaptations varie selon les langues et les époques, et selon que

20

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302 FAITS DIVERS DE LA'FLEXION DES SUBSTANTIFS ,[214]

les emprunts sont populaires ou savants. On relèvera surtout ici quelques faits du vieux slave.

Au temps des emprunts anciens au germanique, les neutres en -o-, dont la finale -a est encore attestée en runique, donnaient en slave des neutres en *-a, d'où -o : vino « vin », de got. wein pris à lat. uïnum, sûrement aussi lice « figure », de got. l'eik « corps », et vëno « prix de la fiancée ». Le mot vëno, avec le verbe v. si. vëniti « vendre », ne peut pas être rattaché direc-tement à la racine i.-e. *wes- de skr. vasnâm « prix » : elle suppose un emprunt au latin uënum par un intermédiaire germanique disparu, comme kupiti « acheter », par got. kaupôn « trafiquer », est lat. caupônor, de caupô « débitant, auber-giste », autre mot latin qui n'est pas passé dans les langues romanes, mais que les armées romaines ont dû largement répandre, et que le germanique conserve. L'accentuation de r. licô, vinô, paraît indiquer que ces deux mots ont été emprun-tés à un moment où le -a s 'était amui en gotique (§ 191), mais d'autres emprunts devaient être plus anciens, comme r. vëno, si. *bïrdo (§ 73) « éminence, colline » et « peigne de tisserand », got. -baurd, v. h. a. bort « bordure » (d'où fr. bord), r. bërdo, s.-cr. brdo, et sûrement ëçdo « enfant », v. h. a. kind (§ 19), r. ëâdo (slavonisme), s.-cr. ëëdo, et faits à des formes encore dissyllabiques et accentuées sur l'initiale.

A l'époque du vieux slave, les neutres grecs en -ov sont normalement rendus par des masculins : skan(û)dalu «scan-dale, OKCCVSOCÀOV », idolu « idole, eïScoÀov », etc. ; en dehors de evan(ï)g'elije «évangile» adapté en composé slave en -ije, des neutres comme mvro « chrême, piûpov », r. miro, sont exceptionnels et savants. Ceci doit s'expliquer par le fait que ces emprunts venaient plus directement du roman, scandalu-, etc., dont l'influence sur le vieux slave est moins visible, mais a été plus profonde que celle du grec ; il faut y voir aussi la preuve d'une limitation en slave de la producti-vité du neutre à ses formations sufïixales (§ 125). D'autres

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[210] INDÉCLINABLES . 303

neutres sont adaptés en féminin en -a : stvx'ija « élément », r. slixlja, d'après le pluriel usuel, gr. Tà crroixsïcc.

Les masculins en -ios donnent des formes en - a , gén. -ija, évidemment savantes, comme les formes postérieures en -ije (§ 208), à côté de formes du type dur en -û ou du type mouillé . en -(j)ï : marlii «mars, nàp-nos » et usuellement marlù, r. mari, r. Makârij « Macaire » et pop. Makâr, v. si. Patrik'ii « Patrice, nctTpÎKios » et Palrik'ï. Le flottement est sûrement en relation avec la perte récente de la productivité du type masculin en -i- (§ 170). Les masculins en -Z sont transposés en -lu ou -Ijï, et la forme -Ijï doit de même continuer -Il du type en -i- : v. si. kraljï « roi », s.-cr. krâlj, de v. h. a. Karl (§ 71), acc. Karlan. Un masculin en -r comme gr. Kccïaocp «César» donne v. si. K'esaru et K'esar(j)ï ; pour l 'emprunt plus ancien césarjï «empereur», voir § 295. Les masculins grecs en -as et -ias ont enrichi le type masculin en -a, et ceux en -r\ç et -v les masculins en -ii à flexion féminine. Les féminins en -is prennent place dans le type toujours produc-tif des féminins en -ï (§ 167), et de même les indéclinables féminins terminés par consonne : Iezavelï « Jézabel, 'IsjccgsÀ », gén. -Ii ; et les féminins en -r) donnent des féminins en -ii.

Parmi les traitements variés des autres langues, on rappel-lera en serbo-croate l'incorporation au type neutre en -e, gén. -eia, des nombreux mots en -e venus du turc, et en bulgare l'extension plus libre encore des pluriels en -éta, et aussi -la, dans les emprunts (§ 195). E t on notera en polonais le passage des noms propres en -i, -y, -e à la flexion des adjectifs : Gœthe, gén. Gœtheyo, dat. Gœlhemu.

210. Indéclinables. — Il n 'y a pas en principe de noms indéclinables en slave, en dehors de formes entièrement adverbialisées, d 'un tout peti t groupe d'adjectifs vieux-slaves en -i .(§ 277), et plus tard, dans quelques langues seulement, des noms de nombres (§ 301). Les noms des lettres de

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304 FAITS DIVERS DE LA'FLEXION DES SUBSTANTIFS ,[214]

l 'alphabet vieux-slave, azu « moi » pour a, iêe « qui » pour l 'un des deux i (§ 63), etc., ont reçu rapidement une flexion : gén. aza, instr. izemï.

En vieux slave, les indéclinables du grec et du latin sont normalement fléchis, et si l'on trouve quelques substantifs invariables, comme pasxa «la Pâque », c'est rarement et de façon artificielle : usuellement acc. pasxç, etc. (loc.-dat. pastë, pascë, § 18). Il en est de même dans les langues slaves modernes, si ce n'est que le russe littéraire, tout aussi artificiellement, mais régulièrement, laisse sans flexion ses nombreux emprunts récents en -e,.-o, -i, -u, -d, et aussi ses noms propres en -ovô, -âgo, -yx, et ceux en -ko d'origine ukrainienne, dont la flexion populaire est féminine en -ka (§ 208). Le russe a ainsi bjurô « bureau » indéclinable, en regard d 'adaptations diverses dans les autres langues, pol. biuro, gén. biura, bulg. bjurô, plur. bjurâ, s.-cr. birô, gén. biroa. Les traitements naturels sont autres en russe : burzûj « bourgeois », plur. burzûi. En polo-nais, les noms savants en -um sont indéclinables au singulier, mais fléchis au pluriel- : muzeum « musée », plur. muzea, gén. muzeôw.

211. Collectifs. — Avec un certain nombre de substantifs, le pluriel est usuellement remplacé' par un collectif. En vieux slave, des masculins comme kamenï « pierre », korenï « racine », lislu « feuille », ont des collectifs neutres kamenije, korenije, listvije (§ 160), d'emploi courant, et qui se substituent au pluriel, mais sans le faire disparaître. De brat(r)u «frère», duel brat(r)a, un pluriel brat(r)i est assez rare, et l 'on trouve à sa place le collectif brat(r)ija, à flexion régulière de fémi-nin singulier (voc. -ije et -ija, § 154). Le vieux slave a égale-ment des collectifs féminins en -ï : ëeljadï « gens de la maison », et cçdï «gens» en face de cedo «enfant», les deux formes sûrement empruntées au germanique (§ 19) ; à skçdûlu. « bardeau, échandole », du roman scandula, il donne un collectif

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[211] ' COLLECTIFS 305

j

skçdulï. Mais il a transformé le collectif dëtï « enfants » en pluriel anomal dëti du singulier dëtistï, dëlç en slavon et dans les. autres langues slaves (§ 194), et l'on a de même r. diljd (v. r. dëtja), plur. déli, pol. dzieciç, plur. dzieci, tch. dite, plur. dëti. La forme dëtï se maintenait en slave méridional : elle est attestée en vieux serbo-croate, et elle se retrouve encore, limitée au vocatif et au génitif dîjeti après nom de nombre, en serbo-croate dialectal moderne. Elle est surtout représentée par son diminutif v. s.-cr. dëtïca, slov. dëca, s.-cr. djëca, féminin singulier qui sert régulièrement de pluriel à dijète, et de même en bulgaro-macédonien : bulg. detë, deçà.

Un autre collectif féminin singulier, gospoda en regard de gospodï «seigneur» (§ 170), est sûrement très ancien, bien qu'il ne soit pas attesté en vieux slave. Il apparaît en vieux russe et en vieux serbo-croate, et il se continue en russe dans le pluriel gospodâ de gospodin « monsieur », en serbo-croate dans le féminin singulier gospoda qui fait office de pluriel de gospodin ; le slovène" a également le collectif gospoda « sei-gneurs », plus indépendant de gospôd, plur. gospôdje. Mais l'histoire de la forme n'est pas claire : en vieux tchèque, hospoda « seigneur » est un masculin en -a, féminin au sens de « dame », et il y a le mot gospoda qui signifie « auberge » en vieux slave, en tchèque et en polonais. .

Parmi les langues slaves modernes, c'est le serbo-croate qui a le mieux maintenu la catégorie du collectif — connue des langues romanes, v. fr. doi « doigt», plur. doiz, coll. la doie, ital. dito, diti, le dita — et qui l'a développée. Il conserve à ses collectifs en -a une flexion régulière de féminin singulier, bien qu'ils servent de pluriels et ne soient plus des collectifs : brâca de bràt, djëca de dijète, gospoda de gospodin, auxquels est venu se joindre vlastèla de vlastèlin « noble », par substi-tution à nom. plur. vlastele du serbo-croate ancien (§ 260). Les collectifs neutres en v. si. -ije sont pour beaucoup de mots les substituts usuels du pluriel : kàmënje, lisce, cvïjece de

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306 FAITS DIVERS DE LA'FLEXION DES SUBSTANTIFS ,[214]

cvïjet «fleur», etc., mais comme collectifs, et en laissant au pluriel, kâmenovi (§ 163), etc., son emploi plus limité. Le neutre gàvedo «tête de bétail » présente dialectalement un collectif fém. sing. gdvëd, en regard du pluriel goveda de la langue commune. La forme n'est attestée qu'à époque récente, mais elle se retrouve dans slov. govçd. Le mot zvïjer «bête fauve », ancien masculin en -i- (§ 169), ne se maintient qu'en partie comme masculin, plur. zvjërovi, et tend à être traité comme collectif féminin, avec un singulatif zvjërka. E t tout un type nouveau a été développé de collectifs féminins en -âd en regard des neutres en -e, gén. -eta, désignant des êtres jeunes (§ 195). Dans la catégorie très productive de tèle « veau », le pluriel conservé à l'ouest, cak. telëta, et à l'est à la frontière du bulgare, a complètement disparu dans les parlers centraux et la langue commune, remplacé par tëlad, gén. tèlâdi, avec une flexion des cas obliques qui flotte entre le singulier et le pluriel (loc.-dat.-instr. telâdma). L'innovation paraît assez récente, et consiste en l'extension d'un suffixe -âd qu'on retrouve dans quelques dérivés d'adjectifs comme zïvâd « volaille » à côté de zivina, de zlv « vivant », bujâd « fougère » de bûjan «luxuriant», à date ancienne iïséadï «vanité» en slavon

' croate, de v. si. tûstï « vide, vain ». C'est un suffixe de la lan-gue populaire dont on suit mal l'histoire depuis v. si. celjadï, s.-cr. cëljâd « gens de la maison », et dont les parallèles dans les autres langues, comme r. rûxljad' «nippes, fourrures », ancienne-ment « biens meubles », en regard de rûxnut' « jeter, tomber » (et, lôsad' « cheval », § 195), sont insuffisamment clairs.

Dans les autres langues slaves, des formes de collectifs subsistent, soit en continuant à fournir le substi tut usuel du pluriel, comme dans tch. kâmen, coll. karrieni, soit comme mots à par t et d'emploi libre. Mais la catégorie du collectif appa-raît dans l'ensemble en décadence. Le bulgare conserve un bon nombre de collectifs comme liste « feuilles », mais, depuis le moyen bulgare; il tend à les transformer en pluriels :

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[211] COLLECTIFS 307

l'istâ. Le slovène a perdu, sauf dialectalement, le collectif brâlja de bràt, et il donne au mot un pluriel normal, bràli ou brâtje. En tchèque, le collectif v. tch. bratrie devient un pluriel bralri, et qui se normalise en brairi, gén.-acc. bratru. Le slo-vaque a braiia, et il a étendu cette finale -ia de collectif, qui est également celle des collectifs et pluriels neutres en -ia (§ 148), au nominatif pluriel en -ie, tch. -é, de l'ancien type en -i- (§ 142, § 172), avec son extension à -ovie, tch. -ové, de l'ancien type en -u- (§ 163).

Le polonais maintient bracia, mais avec une flexion de pluriel, gén.-acc. braci, instr. bracmi, etc. Il fléchit de même ksiçza, pluriel, de ksiqdz « prêtre », antérieurement « prince », qui témoigne d'un développement des collectifs en -ïja en polonais. Ce développement est attesté par des formes anciennes : éwiçcia dès le x iv e siècle pour swiçci « saints », biskupia (xve siècle) de biskup « évêque », pour biskupi, et dial. swacia pour sipaiowie, de swat « marieur ». Mais le polonais moderne a perdu le collectif kamienie, et son collectif pierze «plumage» est à par t de piôro «plume», plur. piôra.

Le russe garde brât'ja et gospodà, mais comme pluriels, gén.-acc. brât'ev, gospôd. Il avait développé les collectifs en -ïja et en -a, et il présente tout un petit groupe de pluriels en - ja, qui n 'ont rien à faire avec l'ancien nominatif pluriel en -ïje des thèmes en -i- (,§ 172) : knjaz'jâ et svat'jâ, comme en polonais, muz'jâ «maris», zjat'jâ «gendres», etc. En vieux russe, ces formes avaient, comme brat'ja, une flexion de féminin singulier : instr. krijazïeju, remplacé par knjazïmi, knjaz'mi (mod. knjaz'jdmi). Des collectifs en -a, la producti-vité ancienne a laissé des traces dans les pluriels en -ana ou -anja des noms en -anin dans les dialectes russes, pour -ane du russe littéraire et du vieux russe (§ 207) ; et dans le pluriel anomal xozjâeva, gén. xozjâev, de xozjâin « maître de maison » : cet emprunt au turc xozja, forme dialectale du persan xodza « maître », a reçu une finale de pluriel -eva pour -eue, comme

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308 - FAITS DIVERS DE LA FLEXION DES SUBSTANTIFS [212]

y v celle du russe ancien Zidova Juifs » pour Zidove, mod.

V

Zidy. Par ailleurs, le russe a transformé en pluriels en -ja les anciens collectifs neutres en - e : list, plur. lîst'ja, perô, plur. pér'ja, etc. Comme il a aussi largement développé des pluriels en -a de masculins qui ont d'autres origines (§ 138), l 'état actuel est devenu assez confus.

212. Singulatiîs. — Au collectif s'oppose le singulatif, et le développement d'une catégorie appelle celui de la catégorie inverse. Les singulatifs sont nombreux dans les langues slaves : v. si. kamykû « une pierre » en regard de kamy, kamenï « pierre » ( § 185) ; cvëlïcï « une fleur » de cvëtû « fleur », mot qui, postverbal de cvïtç « je fleuris », signifie proprement « florai-son » ; r. gorôsina « un pois » de yorôx « du pois, des pois », solômina et solôminka « brin de paille, fétu », pol. stomka, s.-cr. slâmka, de r. solôma « paille », pol. sloma, s.-cr. slâma. Mais ces formations n'intéressent que le vocabulaire. Un type de singulatif s'est fixé comme forme grammaticale : le type en -inu.

En vieux slave, le singulatif en -inû est régulier en regard des noms] d 'habitants à plur. -(j)ane, auxquels il fournit leur singulier et leur duel : grazdane, sing. grazdaninu, gén. grazdanina, etc., duel grazdanina. Le suffixe est en plein développement : il donne à Ijùdije « peuple », plurale tantum, un singulier Ijudinu « homme du peuple, laïc », au pluriel gospodije « seigneurs » un singulier gospodinu qui se diffé-rencie de Gospodï « le Seigneur » (§ 170) ; il se superpose au suffixe -teljï dans zitelinu « habitant » pour ziteljï, et il s'accom-pagne de l'extension du nominatif pluriel athématique ' en -e (§ 206).

Le suffixe était fréquent avec les noms de peuples : Ruminu « Romain », plur. Rum- (instr. Rumy). Un des noms du « géant », spolinu, plur. spol- (acc. spoly), dont le russe a fait ispolin (§ 109), plur . ispoliny, doit être celui des Spalaei,

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[212] . SINGULATIFS 309

! :

gr. 2/rrâÀoi, peuple ancien de la région du Don qui a combattu les Gots et dont le souvenir a dû se conserver dans des légendes des Gots et des Slaves relatives à ces luttes. C'est ainsi que le nom des « Avares », v. r. Obri, a donné tch. obr «géant». Le polonais a altéré v. si. spolinû en st(w)olim (ancien et dialectal), comme tch. obr, slovaque obrin, v. r. Obrinù, en v. pol. obrzym, mod. olbrzym; la finale -im, de -in, imite celles des mots religieux, Serafim (et -fin) « Séraphin », et sans doute particulièrement celle du nom des « Philistins » des récits bibliques, v. tch. Filisti(i)m, lat. Philistiim (pol. Filistyn). Pour un autre nom du « géant », v. si. studu et slavon studovinu comme Zidovinu « Juif », voir § 263.

Le développement du suffixe se continue en moyen bulgare, et le bulgare le présente non seulement dans les noms d'habi-tants comme grdzdanin, Bâlgarin « Bulgare », plur. Bâlgari, mais aussi dans des noms d 'emprunt désignant des métiers, kasâpin « boucher », du turc, et même, dans la langue parlée, agéntin pour agént « agent ». Il en est de même en serbo-croate, avec une extension moindre aux noms de métiers. Au contraire, dans d'autres langues, le singulatif en -in se limite et va jusqu'à disparaître ; sa décadence, sans être liée à celle du collectif, présente une analogie avec elle.

Le slovène a éliminé -in : type grajàn, et gospQd. Le tchèque moderne a fait de même : type mëst'an « bourgeois », plur. mësi'ané, pour un plus ancien mëstënin; Hospodin n 'a que le sens de «Seigneur (Dieu)», dès le vieux tchèque, et se maintient comme terme religieux. En polonais, le type en -anin, plur. -anie, est stable, et même productif : wegetarianin « végétarien » ; mais non dans tous les dialectes, et le kachoube substitue le singulier miesëçn, gén. miescana, à pol. mieszcza-nin, gén. -nina. E t -in est rare hors de ce type : Tatarzyn et Tatar « Tatare». Le vieux, polonais Gospodzyn a disparu depuis longtemps : mod. Pan Bôg.

En russe, les singulatifs en -in ont eu un grand développe-

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310 FAITS DIVERS DE LA'FLEXION DES SUBSTANTIFS ,[214]

ment : v. r. Polovcinu « Polovtse », plur. Polovci. Le russe ancien présente un type intéressant en plur. -ici, sing. -ilinu ( § 63) : Pskovici « gens de Pskov », sing. Pskovitinu, et ainsi régulièrement. Mais -in se restreint dans la suite, et n 'appa-raît plus, en dehors du type en -anin, plur. -ane, que dans quelques mots : bojârin « boïar » et sa réduction en bârin « maître », plur. bojâre, bâry, Tatârin et Bolgârin, plur. Tatdry, Bolgâry, gospodîn « maître, monsieur » et l 'emprunt xozjàin « maître de maison », plur. gospodâ et xozjâeva (§211). La forme Zidovln « Juif », plur. Zidova en fusse ancien, cède

y y la place à Zid, plur. Zidy (§ 219), et le type Moskvitin, plur. Moskvici, a complètement disparu devant Moskvic populaire et Moskvitjdnin savant. On notera à ce propos que si le type en -anin appartient bien à la langue réelle et existe en ukrai-nien comme en russe, une partie de ses formes sont littéraires et archaïsantes : c'est le cas pour les noms d'habitants de villes, et cf. en français Mussiponlin «habi tant de Pont-à-Mousson ». En serbo-croate aussi, -anin est concurrencé par des suffixes plus populaires, ainsi, de Bêc «Vienne», Bèclija « Viennois », avec le suffixe turc -li, à côté dé Bécanin.

L'incorporation dans la flexion d'un singulatif en -iniï est . une particularité notable du slave. Le baltique ne connaît rien de tel, mais il n 'a pas non plus de formations de collectifs comparables à celles du slave : ce sont là des développements nouveaux. L'élément -inu. est un suffixe qui a été pourvu secondairement d'une fonction grammaticale. Il n'a naturelle-ment rien de commun, bien que suffixe de singulatif, avec le numératif ino- « un » (§ 257). Le parallélisme est accidentel entre la flexion de jedinu, cas obliques jedïn- ( § 63), et la flexion exceptionnelle du vieux polonais Gospodzyn, gén. Gospodna: le mot doit être pris au tchèque, et son altération, sans doute d'après l'adjectif tch. hospodni, v. si. yospodïnjï, indique que l'élargissement en -in n 'était plus bien compris. En serbo-

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[215] ACCENTUATION DU LITUANIEN '' 311

croate kajkavien, l 'altération pareille de s.-cr. gospàdin, gén. -ina, en gçn. gospodna, d'où gosponna, gospona, et de là nom. gosport, pourrait être aussi la conséquence de la décadence du suffixe -in dans un dialecte contigu au slovène.

Le suffixe -inu répond sûrement à lit. -ynas qu'on trouve dans quelques dérivés comme avynas « oncle maternel », de *aœia-, v. pr. awis, si. *ujï, kaimynas « voisin », de kiëmas, kâimas « village » ; et à lat. -ïnus (uïclnus de ulcus), gr. -îvoç. Ce n'est qu'une forme substantivée de l'adjectif d 'apparte-nance que le slave présente en particulier dans ses adjectifs possessifs dérivés de' thèmes en -i-, comme v. si. zvërinu de zvërï «bête fauve» (§ 294). Il a dû se former à l'origine comme dérivé de collectifs en -ï : v. r. Rusï «la Russie, les Russes », et Rusinu « Russe ». Mais il a eu un large développe-ment, comme on l'observe à l'époque du vieux slave ; le type en -(j)aninu du slave commun, avec sa superposition de suffixes,, présente déjà l'aspect d'une formation secondaire comme v. si. zitelinû.

213. Le duel. — Le duel est lié en slave au singulier, comme on le voit dans les cas où le singulier et le pluriel différent : type grazdaninu, duel grazdanina, et pluriel grazdane ; type roditeljï « parent », duel roditeljà de thème en -yo-, et plur. roditelje semi-athématique. Le fait n'est pas primitif, et les vieux duels oci, usi sont indépendants des singuliers oko, uxo.

Il n 'y a de duel qu'en fonction d'un singulier, et il n'existe pas de dualia tanlum. Les mots qui ne s'emploient pas au singulier sont des pluriels, usta «bouche», vraia «(grand') porte », y compris zrûnuvi « moulin à bras », bien que le mou-lin. soit composé de deux meules, et à plus forte raison dvïri «porte», qui a en regard un singulier plus rare dvïrl, mais qui n'indique pas une porté à deux battants . Le nom des « narines », nozdri, est aussi un pluriel en vieux slave, mais avec des formes de duel en s lavon; le singulier «narine»

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312 FAITS DIVERS DE LA'FLEXION DES SUBSTANTIFS ,[214]

dans les langues slaves, r. nozdrjâ, s.-cr. nôzdrva (§ 205), est nettement secondaire du pluriel ou du duel. On voit même, de ustïna « lèvre », le duel ustïnë concurrencé par une forme de pluriel ustïny dans des emplois comme ustïny tvojç « tes lèvres » où il n 'y a pas de doute qu'il s'agisse de deux lèvres, parce que ce mot à singulier plus rare a été assimilé à un plurale tantum. A l'inverse, des duels comme oci, usi, rçcë « mains », nodzë « pieds », se substituent couramment au pluriel : oci ixu « leurs yeux ». Avec des mots qui désignent des paires, il est assez naturel qu'on dise « leurs deux yeux », comme on dit « leur cœur », srudïce ixû, sans chiffrer les yeux plus que les cœurs. C'est tout de même, affaiblir la valeur de duel de ces formes et les préparer à devenir des pluriels, comme elles l 'ont fait dans l'évolution des langues slaves.

La flexion du duel présente des particularités étranges. D'une part elle est réduite à trois formes en slave, un nomi-natif-accusatif, un génitif-locatif et un datif-instrumental, et de même en sanskrit avec un datif-instrumental-ablatif. L'avestique distingue le génitif et le locatif, mais les rares vestiges de la désinence lit. -au(s) ne permettent pas d'affir-mer qu'il en ait été de même en balto-slave (§ 133). Pour le grec, il n 'a qu'un nominatif-accusatif et un génitif-datif. D'autre par t cette flexion offre un aspect composite. Dans les thèmes en -o- et en -â- et dans les athématiques, le génitif-locatif en *~ou(s), si. -u, est le même pour toutes les flexions : v. si. rab-u de rabû, glav-u de glava, dïn-u de dïn-; il n 'a aucun rapport avec les nominatifs-accusatifs en *-o, si. -a, etc., ni plus généralement avec les thèmes. Il en est de même pour le génitif pluriel slave en -u, mais le fait amène à poser la question de l'origine de la désinence de génitif pluriel (§132). Ici, la question qui se pose est: celle de l'origine de la flexion du duel, et de l'origine même du duel, mal reconnaissable

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[213] LE DUEL 313 |

en hittite, et très inégalement attesté par les langues indo-européennes.

Au génitif-locatif, *-ou(s) a l 'aspect d'une désinence de singulier de thème en -u-. On doit supposer que cette désinence est celle de la flexion du numératif *d(u)wô(u) «deux», couramment associé au duel. Une finale *-5u pouvait s'abré-ger en *-ô en indo-européen (§ 158), mais elle est bien attestée pour ce nombre : skr. dvdu, v. irl. dau, v. isl. tvau; et on la retrouve dans skr. ubhâu «tous les' deux», et dans *oktô(u) «hui t» , skr. astdu, got. ahtau. Ces numératifs représentent donc à l'origine des thèmes en *-5u- (§ 159), à génitif *-ous et locatif *-ou, du type de *gw5us «bœuf», skr. gduh, gén. gôh (loc. gâvi) ; et c'est secondairement que *d(u)wô(u) a pris le génitif-locatif de la flexion pronominale (§229), skr. dvâyoh, si. duvoju.

Le datif-instrumental duel n'est attesté que par l'indo-iranien et le balto-slave, avec des désinences skr. -bhyâm, si. -ma et lit. -m(a), qui paraissent résulter de développements parallèles pour créer une caractéristique différente de celles du datif et de l ' instrumental pluriels. Il est curieux que dans deux vieux duels isolés, les noms des «yeux» et des «oreilles», la désinence soit ajoutée non au thème, consonantique ou en -i-, mais au nominatif-accusatif duel : skr. akstbhyâm, si. ocima, usima (§ 193). E t cf. skr. -âbhyâm dans la flexion pronominale, § 229.

Pour le nominatif-accusatif duel, où -au du sanskrit doit être analogique de dvdu et substitué à véd. -â, les désinences sont *-ô avec les thèmes masculins en -o-, *-u avec les thèmes en -u-, *-ï avec les thèmes en -i-, sans forme qu'on puisse restituer pour le type athématique ; elles se caractérisent donc par un allongement de la voyelle thématique. Font exception les féminins en -â - et les neutres en -o-, qui présentent une même désinence *-âi en indo-iranien et en balto-slave, peut-être prise à la flexion pronominale, où une désinence -oi

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314 FAITS DIVERS DE LA'FLEXION DES SUBSTANTIFS ,[214]

apparaî t au nominatif masculin pluriel, et un- thème. -o i -aux cas obliques du pluriel et du duel (§ 229) : ici, la forme longue -â est la caractéristique du nominatif féminin singu-lier et du'nominatif-accusatif pluriel neutre. Le nominatif-accusatif duel aurait-il été un ancien collectif, comme les féminins en -â-, en -û- et en -F- (§ 123)? Mais on trouve le même allongement de la voyelle thématique à l ' instrumental singulier (§ 131). Le nominatif-accusatif duel tirerait-il son origine d 'un emploi spécial du comitatif, lointainement analogue au tour my s tobôj « nous avec toi, toi et moi » du russe, *d(u)wô(u) wlkw5 «deux loups» aurait-il signifié « deux avec un loup », et le duel « elliptique » du type skr. Mitrd «-les deux Mitra, Mitra et Varuna » aurait-il antérieu-rement voulu dire « l 'autre avec Mitra »?

De toute façon, il semble bien que la flexion du duel nominal soit hétéroclite et se soit constituée secondairement avec un jeu réduit de formes casuelles, parallèlement et de façon inégale dans les dialectes de l'indo-européen. Pour les cas obliques, l'accord est satisfaisant entre l'indo-iranien et le balto-slave, mais le grec est aberrant, même avec les dési-nences -oiuv, -aiuv de l'arcadien (§ 133). Le duel est ancien, avec des formes spéciales comme *wë « nous deux » dans les pronoms personnels (§251), avec un jeu de désinences ver-bales, d'ailleurs assez obscur ; mais la constitution d'un système flexionnel du duel ne l'est pas. Le système du sanskrit et celui du vieux slave sont clairs : c'est qu'ils ont. été créés de fraîche date.

214. Élimination du duel. — En baltique, le duel ne se conserve qu'en lituanien, et avec perte du génitif-locatif. Tout le duel a disparu dans une partie des parlers du lituanien, en lette et en vieux prussien. Mais le lette en garde/ des vestiges importants, en dehors de formes adverbiales fixées : dialectalement des formes en -u et surtout en -z après divi

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[214] x ÉLIMINATION DU DUEL 315

« deux », et de là après les nombres de « trois » à « neuf », ainsi abi kâji « les deux pieds » (lit. kôja « pied », duel kôji) pour le pluriel kâjas , pleci asi « cinq cordes de bois » (lit. asis, duel asi) pour le pluriel asis ; et dans la langue commune les désinences de datif-instrumental pluriel en -m (§ 132), ainsi kâjâm pour v. lette -âms, qui répond à lit. kôjom, dat.-instr. duel, en face de dat. plur. kôjoms, instr. kôjom(i)s. Des parlers lituaniens présentent de même -om en valeur de pluriel. Des faits tout semblables, se retrouvent dans les langues slaves qui ont perdu le duel.

En vieux slave, le duel est d'emploi rigoureux. Dans la plupart des langues slaves, il a disparu, à des dates diverses et qu'il est impossible de préciser, car la disparition a été progressive. La cause n'en est pas dans un changement de mentalité des Slaves au contact des civilisations occidentales : le duel n'est pas un cadre de pensée, c'est une catégorie mor-phologique. Que des langues distinguent « nous deux » et « nous », « mes deux fils » et « mes fils », est naturel : nous le faisons nous-mêmes, sans aucune rigueur, mais assez couram-ment, et puisque « deux » n'est pas « plusieurs », il y a quelque raison de préciser qu'on a affaire à deux et non à plusieurs. La .question est de l'expression morphologique régulière de cette distinction spontanée. Le slave en possédait une, tradition-nelle, et qui était claire. Mais, déjà assez variée avec la mul-tiplicité des types flexionnels et leurs duels en -a, -ë, -u et -i, elle se compliquait avec l'opposition des flexions dure et molle : dans les féminins en -â-, le vieux russe opposait plur. zeny, dusë, et duel zenë, dusi. Le duel ne pouvait subsister qu'en se remaniant et se simplifiant, et si le slovène le conserve, c'est en réduisant ses formes de nominatif-accusatif à deux : -a pour les masculins et -i pour les autres types. Une simpli-fication plus radicale était de le laisser se perdre, puisqu'il n 'étai t que t radi t ionnel 'e t ne servait à rien de précis. Le système des trois genres était solide et trouvait son utilisation

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316 FAITS DIVERS DE LA'FLEXION DES SUBSTANTIFS ,[214]

dans la langue (§ 124) ; il n'en a pas été de même de celui des trois nombres.

Le duel a disparu non par simple élimination, mais par absorption dans le pluriel, et avec conservation en valeur de pluriel de vestiges du duel plus ou moins importants selon les langues. D'autre part, la construction du duel avec le nombre «deux» a pu se maintenir par tradition, en cessant d'être comprise. Pour la flexion de v. si. duva « deux » et oba « les deux », voir § 303.

Le duel se conserve à l'époque actuelle en slovène, en sorabe et dans quelques parlers kachoubes : le slovince et les parlers voisins. Ce sont des dialectes, ou c'est, comme en slovène, un groupe de dialectes qui n 'a été unifié que récem-ment en une langue commune, et où le duel a été accepté comme norme, mais est d'emploi très variable selon les par-lers. Sur de plus vastes domaines, où s'opèrent des mélanges de population, les conditions se sont révélées contraires à une préservation du duel.

En slovène, les désinences sont masc. -a, neutre -i, dat.-instr. -oma, -ema; fém. -i, dat.-instr. -ama, dans le type en -a, et -i, dat.-instr. -ma, -ema ou -ima dans le type kôst. Le , génitif-locatif a disparu, comme en lituanien, sauf dans l'anaphorique, njîju, ju (§ 246), et dans les pronoms per-sonnels, nâju, vâju (§ 252). Il est remplacé par les formes de génitif et de locatif pluriel, même dans la flexion de rôka « main », plur. rok£, gén. rôk, loc. rokàh, et dans celle de ocî « yeux » à côté de oëçsa, qui est entièrement de pluriel : gén. oci, loc. océh, et dat. ocêm, instr. ocmi. De uhô « oreille », le, duel usi a été éliminé par le pluriel usçsa.

En bas sorabe, la flexion est : masc. -a (h. sor. -aj) , type mouillé -ja (h. sor. -jej sur nom. plur. -je) ; neutre -je, type mouillé -i, qui tend à s'étendre dans le type dur ; gén. -owu sur gén. plur. -ow (h. sor. -ow, ancien -owu), qui est génitif-accusatif avec les masculins du sous-genre personnel ; loc.-

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[214] ÉLIMINATION DU DUEL 317

dat.-instr. -oma (h. sor. -omaj) , et -joma dans le type mouillé ; — fém. -je, type mouillé -i ; gén. -owu comme gén. plur. -ow (§152); loc.-dat.-instr. -oma (h. sor. -omaj) depuis le vieux sorabe, et sans aucune trace conservée de *-ama; — dans le type kôéc: kôsci, gén. kôscowu, loc.-dat.-instr. kôscoma (-omaj). Le datif-instrumental duel est devenu un locatif-datif-instru-mental, et le génitif -owu du bas sorabe est perdu en haut sorabe et remplacé par le génitif pluriel -ow. Pour les formes en -/' du haut sorabe, elles sont prises au nominatif-accusatif à la flexion déterminée de l'adjectif (§ 268), et de là elles ont été étendues, comme caractéristiques du duel, à loc.-dat.-instr. --omaj. On voit que le sorabe a remanié assez fortement la flexion des cas obliques, accentuant l 'écart entre le pluriel, loc. -ach, dat. -am, instr. -ami, et le duel, loc.-dat.-instr. -oma. Les mots ruka et noga continuent de distinguer plur. ruki, nagi, et duel ruce, note. A woko, h. sor. wucho et b. sor. hucho (§ 77), le duel sert de pluriel : b. sor. wôcy, gén. wôcowu, loc.-dat.-instr. wôcyma-(c, pour c, § 14), h. sor. woci, wocow, wocimaj ; et de même b. sor. husy, h. sor. wusi, etc.

En slovince, on a les correspondants des désinences du vieux polonais : masc. -a, dat.-instr. -oma, -(i)ema; neutre ~(i)e, dat.-instr. -oma; fém. ~(i)e dans le type dur, -i dans le type mouillé, dat.-instr. -çma de *-âma, et -i dans le type en -i-, dat.-instr. -ma, secondairement -çma. Du génitif-locatif en -u, en plus de oczu, uszu et rçku du polonais moderne, il ne subsiste que nogu.

Le russe a perdu le duel de bonne heure, vers les x i n e et x iv e siècles, et il en garde très peu de traces dans la flexion des substantifs : des pluriels ôci, usi, pléci de plecô « épaule », koléni de koléno « genou », avec une flexion régulière de plu-riels, gén. océj, loc. ocâx, etc. Les dialectes offrent quelques autres formes : mudé «testicules», et mûdi, sing. mûdo, de si. *mçdo, s.-cr. mûdo, etc. ; skulé « pommettes », dans la

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318 FAITS DIVERS DE LA'FLEXION DES SUBSTANTIFS ,[214]

langue commune sing. skulâ, plur. skûly ; brylé « lèvres » («lippe du chien»), et bryli, sing. brylâ, bryl' ; etc.,, avec des vestiges plus ou moins altérés de la flexion de duel, instr. rukâma, et usmi pour l'ancien usima, d'où rukml. Des pluriels masculins comme bokd « flancs », rogâ « cornes », usâ (usuelle-ment usy) et ukr. vûsa « moustaches », sont d'anciens duels, mais perdus dans la masse des pluriels nouveaux en -â, d'autre origine (§ 1.38), du type gôrod, plur. gorodâ. Un plu-riel rukavâ de rukâv « manche » continue toutefois à se dis-tinguer de ce type récent par son jeu d'accent qui n'est pas de l'initiale à la finale. Le vestige le plus important du duel en russe est la construction avec le nombre « deux » : dva brdta « deux frères » ; mais cet ancien duel est compris comme un génitif singulier, et le tour a été étendu, d'une part aux neutres et aux féminins, dva oknâ « deux fenêtres », due sestry « deux sœurs» (de sestrâ, gén. sestry, plur. sëstry), d 'autre part aux nombres « trois » et « quatre » : tri brâta, tri sestry. Aux cas obliques, on a les formes du pluriel : gén.-acc. dvux bràt'ev.

En polonais, le duel s'est maintenu jusqu'au xv e siècle. II subsiste encore, on l'a vu, dans une petite partie du kachoube, et il a laissé des traces dans les dialectes, en particulier un datif pluriel en -éma à côté de -ôm, -om de la langue littéraire. Dans la langue commune, il ne reste du duel que le pluriel plecy « épaules, dos », qui n'est plus en rapport avec le singu-lier ptece, neutre, du polonais ancien, mais avec ptec, masc., et dont la flexion est entièrement de pluriel ; -— le pluriel rece « mains », loc. reku et ordinairement rekach, instr. rekoma et rçkàmi, e t seulement gén. rqk, dat. rçkom, dont le locatif w rçku, maintenu dans des tours fixés, est Si peu compris qu'il est employé aussi comme locatif singulier masculin-neutre à côté de rçce; — et les pluriels oczy, uszy, qui eux également ont perdu presque complètement leur flexion de due l s : gén. oczu, et aussi oczôw ou ôcz, instr. oczy ma e t plus souvent oczami, loc. oczach, dat. oczom. Avec le nombre

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[214], v ÉLIMINATION DU DUEL 319

«deux», le polonais emploie le pluriel : dwaj panowie « deux messieurs ». . '

Le polabe, qui avait perdu le duel, en gardait plus de traces que le polonais : wibbê stornê « les deux côtés », répondant à v. pol. obie stronie, r. ancien obë storonë; ramenay « épaules », de *-m, et d'autres formes en -ay (-isay de *-esi, § 192).

En tchèque, le duel encore vivant en vieux tchèque a laissé peu de vestiges dans la langue littéraire : oci, usi, avec une flexion mixte, instr. ocima, mais dat. ocim, loc. oëich, le génitif oci qui continue v. tch. ociû se confondant avec la forme normale du génitif pluriel ; — de ruka, plur. ruce, gén.-loc. rukou et gén. ruk, loc. rukâch, instr. rukama; de noha, seulement gén.-loc. nohou, et gén. noh, loc. nohâch, instr. nohama;— de prsa «poitrine», gén.-loc. prsou, et prsouch en tchèque vulgaire. De ret « lèvre », un instrumental rtoma n 'est plus qu'un archaïsme pour rty. On a le pluriel avec le nombre « deux ». Mais une trace plus importante du duel se conserve en tchèque parlé et dans une grande partie des dialectes tchèques. L'instrumental pluriel est régulièrement en -ma dans tous les types flexionnels, et de même dans la flexion des pronoms et des adjectifs : hradama, zenama, etc., pour hrady, zenami, etc. du tchèque littéraire, de hrad « château », zena « femme ». Cette substitution de la forme du duel à celle du pluriel est attestée dès le x v e siècle, c'est-à-dire remonte à l'époque où le duel commençait à se perdre dans le pluriel. Au génitif-locatif duel, la désinence v. tch. -û, mod. -ou, ne répond pas à v. si. -u, mais à -oju de la flexion prono-minale, avec contraction (§ 81) : soit qu'il y ait eu réellement extension aux substantifs de la désinence *-oju, soit, plus simplement, généralisation de l'allongement qui caractérise le génitif pluriel en -i et en v. tch. -ov, mod. -à.

Le serbo-croate, qui a perdu le duel avant le xv i e siècle, a conservé quelques génitifs pluriels en -û, avec une petite extension de la désinence : non seulement rùku, nôgïi, mais

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320 FAITS DIVERS DE LA'FLEXION DES SUBSTANTIFS ,[214]

aussi slùgû, de sluga « serviteur » ; non seulement ôcijû, ùsijû, et prsijû de prsi « poitrine » (v. si. prusi est un pluriel, non un duel, § 213), mais aussi nôktiju, gàstijû des masculins nôkat « ongle », gôst « hôte », kdstijû du féminin kôst « os », etc. Ces formes présentent des variantes à désinence de pluriel, rûkâ, ôcï, mais plus régionales et moins usuelles. En emploi de locatifs, (u) rùku, (nà) nogû, (po) ôciju se sont maintenus longtemps, mais ont disparu de la langue commune. Dans la flexion pronominale, sviju à côté de svîh, de sàv « tout », est analogique de triju, de tri «trois», etc. (§ 310) La dési-nence -û est longue comme en tchèque, et l 'abrègement de la syllabe radicale (§ 107) dans rùkû, slùgû, en regard de nom.-acc. plur. rûke, slûge, indiquerait une extension ancienne à la flexion des substantifs de -oju de la flexion pronominale, s'il n 'était pas plutôt pris au datif-instrumental trisyllabique, rùkama, slùgama: ce qui permet de supposer u n transfert de longueur et non de désinence, v. si. toju rçku donnant *lu ruku, puis *tu ruku avec -û comme -I et comme -â (§ 144). Mais l'action la plus forte du duel est dans la généralisation des formes en -ma de datif-instrumental, qui ont été substi-tuées aux désinences du datif et de l ' instrumental pluriel, puis du locatif : zâkon «loi», zèna, kôst, loc.-dat.-instr. plur. zâkonima, zènama, kôstima. La substitution est complète dans la langue commune, mais les désinences de pluriel sont maintenues dans les parlers occidentaux, qui à l'inverse éliminent les formes de duel : en cakavien loc. zenàh, etc., et également rukah, dat. rukân, instr. rukàmi, gén.-loc. ocih, etc. Avec le nombre « deux », la désinence -a de l'ancien nominatif-accusatif duel masculin ne s'est pas maintenue seulement dans le substantif, où elle se confond avec celle du génitif singulier, mais aussi dans ses déterminants, et elle a été éten-due aux neutres et à la construction avec les nombres « trois » et « quatre » : dvâ nova zâkona « deux lois nouvelles », tâ tri sèla «ces trois villages » (le pluriel sëla a un autre accent).

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[214] ÉLIMINATION DU DUEL 321

i • Mais c'est le pluriel qu'on trouve aux cas obliques (d'emploi assez rare, § 303) et avec les féminins : dvïje riôge « deux pieds », le génitif singulier é tant nogë.

L'action du duel a été très forte en serbo-croate sur le pluriel. Un mot comme pièce « omoplate » avait un pluriel pleca et un duel pleci : les deux formes sont restées, en créant un doublet, plèéa « épaules », pluriel neutre, et plëci, pluriel , féminin. On a de même prsa neutre et pfsi fém. « poitrine », etc. La contamination du duel et du pluriel a provoqué des chan-gements de genre, comme, en d'autres langues : ainsi pol. dziqsna et dziqsno, dziqslo «gencive» (§ 174). E t elle s'est étendue, en dehors de toute idée de duel, aux mots à pluriel particulièrement usuel : on trouve par exemple au xv i e siècle kosi à-côté de kose « cheveux »,. et, de suza «larme», instr. plur. suzama pour suzami, comme en russe dialectal slezmi du type de usmi, ancien duel usima. C'est ce qui explique des génitifs pluriels comme kdstijû, gôstijû, etc. dans la langue actuelle.

En bulgare, le duel a donné les pluriels oci, usi, racé, nozé, et rogâ, krakd, de rog « corne », krak « jambe », kolené, krilé, ramené, de koljdno « genou », krilô « aile », râmo « épaule ». E t il a créé une catégorie spéciale de « pluriel second » après nom de nombre, sans distinction des nombres de « deux » à « quatre » et des nombres plus élevés, avec les masculins et avec quelques neutres : : dva stôla « deux chaises », où dva appelle une forme différente de celle du pluriel stolôve, déset léva «dix lévas », de lev, plur. lévove; au neutre dve moréla « deux mers », mais maintenant remplacé par dve morjâ avec le pluriel.

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CHAPITRE VII I

L'ACCENTUATION

215. Accentuation du lituanien. — Comme généralement pour .lés faits d'accentuation qui sont très remaniés dans les langues slaves, il faut avoir recours au lituanien pour restituer l 'état balto-slave que le slave continue. Le lituanien est évolué de son côté et il présente des divergences dialectales., Mais, dans l'ensemble, le système d'accentuation des subs-tantifs qu'il conserve reste assez clair pour se prêter à une interprétation historique par comparaison avec l'accent des langues indo-européennes anciennes^ le védique et le grec. Les innovations du balto-slave sont considérables : extension de la mobilité de l'accent (§ 91), développement d'une mobilité nouvelle du fait de la loi de Saussure (§ 99).

Athématiques. — La mobilité de l 'accent n'apparaissait à l'origine que dans la flexion athématique, sauf au vocatif qui est à part (§ 217). Elle n'intéressait que le jeu des désinences, et se ramenait à une opposition de désinences accentuées et inaccentuées : gr. irarrip «père», acc. -irorrépa de *-ériy., gén. TTon-pôç. Mais le thème, qui portait l 'accent quand la désinence était atone, se trouvait participer au mouvement d'accent, et avec les thèmes monosyllabiques il y avait jeu de l'accent entre l'initiale du mot et la désinence accentuée : gr. 6f|p « bête fauve », acc. ôfjpoc, gén. ôripôs, avec élimination très ancienne des différences dè vocalisme radical que suppose

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[215] ACCENTUATION DU LITUANIEN '' 323

l'accent (pour 9rip, si. zverï, voir § 12). En grec, le déplacement d'accent entre l'initiale et la finale est restreint aux radicaux monosyllabiques : <ppr|V « viscère, cœur », acc. cppéva, gén. «ppsvôç, avec l'alternance vocalique attendue dans Je datif pluriel ancien (ppaoi, mais - n w n v « pâtre », acc. -iroiiaéva,

gén. Troipévos, à accent fixe, cn<[icov «enclume», acc. ch<|iova, gén. ÔKHOVOS, et de même véd. âçman- « pierre ». Au contraire, en lituanien, l 'accent mobile a été étendu aux mots à thème dissyllabique, et des oxytons aux paroxytons, avec un même jeu entre la finale et l'initiale du mot : piemuô, acc. piemeni d'intonation rude (§ 50), gén. piemenès en lituanien ancien, et akmuô, acc. âkmeni d'intonation douce, gén. akmenès, akmens. Comme les athématiques monosyllabiques, qui ont fourni la base de l'innovation, ont été remaniés en baltique ainsi qu'en slave (§ 174), on ne peut plus comparer aux mono-syllabes initiaux que des dissyllabes du lituanien, par exemple lit. sesuô « sœur » à véyd- pdt « pied », gr. iroûç, mais la comparaison atteste la conservation d'une même mobilité de l'accent :

Sing. lit. N. sesuô

A. sëseri G. seser(è)s L. seseryjè D. sëseriai I. seserimi

Duel lit. skr. gr.

N.-A. sëseri pdd.au TT6ÔE D. seserim I • ,,. , , . _ padohiiâm TTOOOIV 1. seserim \

Il y a là, malgré les changements opérés dans beaucoup de désinences, un accord remarquable entre le lituanien et les

skr.

pât pâdam padâh padi ) padé > padd )

gr.

TTOÙÇ

TRÔSA

TTOSOÇ

TTOSÎ

Plur. lit.

sëserf e )s sëseris sesery, seserysè seserims seserimis

skr. pâdah padâh mais paddm patsu ) padbhyâh > padbhih '

gr.

TTÔSSÇ TTÔSas TTOSCOV

irocrî

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324 L'ACCENTUA TION [215]

deux autres langues qui renseignent sur l 'accentuation indo-européenne. La seule divergence notable est au datif singulier, qui est oxyton en védique, et qui présente en lituanien le recul d'accent de l'accusatif. Les désinences de datif du type athématique sont remaniées en lituanien (§ 178), et il faut chercher ailleurs l'explication de cette accentuation initiale, dans le type en -â- où elle est particulièrement nette.

Mais l'extension de la mobilité de l'accent est nouvelle en lituanien, et la répartition des types d'accent l'est aussi. Le lituanien a développé un type oxyton à accent mobile, qui comprend les anciens oxytons comme piemuô, gr. iroipiriv, et les anciens paroxytons d'intonation douce comme akmuô, gr. âK|icov, sesuô, skr. svâsar-, Mais il a gardé, avec accent fixe, les anciens paroxytons d'intonation rude : môlè « épouse », gén. môteres en vieux lituanien, gr. uiyrrip, et l 'anomal mëriuo, gén. mënesis (§ 175), skr. mâh, gén. mâsah. Le'passage des paroxytons d'intonation douce aux oxytons s'explique par le déplacement d'accent au nominatif singulier en vertu de la loi de Saussure : *sésô est passé-à *seso à cause de la finale *-ô d'intonation rude, l ' intonation -uô é tant secondaire (§ 88). Le lituanien s'est ainsi créé trois types d'accent des athéma-tiques : 1° type paroxyton immobile d'intonation r u d e ; 2° type oxyton mobile avec recul sur intonation douce, akmuô, acc. àkmeni ; 3° type oxyton mobile avec recul sur intonation rude, piemuô, acc. piemeni. Les mouvements d'accent sont les mêmes dans les deux types mobiles.

Thèmes en -i- et -u-. — Les thèmes en. -i- et en -u- présen-taient un accent fixe en indo-européen : skr. agnih «feu», sûnûh « fils », acc. agnïm, sunûm, nom. plur. agnâyah, sûndvah, etc. En lituanien, ceux qui étaient oxytons ont reçu la mobi-lité d'accent des athématiques : ugnis, sûnùs, acc. ùgn\, sûnq, gén. ugniës, sunaûs, etc. L'extension aux thèmes en -i- n 'est pas surprenante, puisqu'ils ont accueilli un bon nombre

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[215] ACCENTUATION DU LITUANIEN ; 325

d'anciens athématiques, comme zvêris, acc. ziierf. (§ 175). D'autre part, les types à gén. sing. en *-yes, *-wes, qui exis-taient à côté des types à gén. *-eis, *-ous et ont laissé dés traces en balto-slave (§ 159, § 164), s'assimilaient plus ou moins au type a thémat ique; véd. paçûh, « bétail » et pdçu, gén. paçvdh, gr. hom. 66pu « (bois de) lance », gén. *Sopfôs, Soupôs, gr. *ôFis, oiç « mouton », gén. *àfiôs, oîôç, mais skr. dvih, gén. dvyah. Ici, on reconnaît en lituanien quatre types d'accentuation :

1° Type paroxyton d'intonation rude, immobile : ântis « cane », gén. ânties, etc.

2° Type paroxyton d'intonation douce, à mobilité très limitée : smertis «mort», gén. smerties-, etc., mais instr. sing. smerciù (et smertimi), acc. plur. smerciùs (et smertis), nom.-acc. duel smerciù.

3° Type oxyton à recul sur intonation rude, avec la mobi-lité du type athématique : sirdis «cœur», acc. sirdi, gén., sirdiës, etc., et acc. .plur. sirdis,, nom.-acc. duel sirdi.

4° Type oxyton à recul sur intonation douce, avec un mouvement d'accent un peu différent de celui du type précé-dent : naktis « nuit », acc. nâkti, acc. plur. naktis, nom.-acc. duel nakti.

Le type smertis n 'est représenté que par quelques masculins contaminés avec le type en -yo-, gén. smerties et smercio, et ses désinences oxytonées sont prises à ce type. Dans les deux types oxytons, on voit se superposer à la mobilité empruntée au type athématique une autre mobilité qui résulte de la loi de Saussure : la désinence *-î du nominatif-accusatif duel, d'intonation rude, qui ne portait pas l 'accent et continue de ne pas le porter dans le type sirdi, l 'a attiré dans le type nakti à intonation radicale douce ; de même la désinence -is d'accu-satif pluriel, que le lituanien a traitée comme désinence d'intonation rude (§ 165).

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326 L'ACCENTUA TION [215]

Dans les thèmes en -u-, l 'accentuation des deux types oxytons est identique à celle des oxytons en -i- : sunùs, acc. siinq, gén. sûnaûs, etc., acc. plur. sûnus, nom.-acc. duel sûnu ; et dangùs « ciel », acc. dangq., gén. dangaùs, etc., acc. plur. dangùs, nom.-acc. duel dangù, la désinence acc. plur. -us étant également traitée comme désinence d'intonation rude (§158).

216. Thèmes en -â- et en -o-. — Les thèmes en -â- ne connaissaient pas plus en indo-européen la mobilité d'accent que ceux en -i- et en -u-, et le cas de gr. picc « une », gén. nias, comme masc. aïs, gén. évôs, ne représente qu'une curiosité. En lituanien, ils ont reçu eux aussi la mobilité des athéma-tiques, et l'on y reconnaît les caractéristiques de cet accent mobile : il est lié à l'oxytonaison, et le jeu morphologique de l'accent, d'origine très lointainement phonétique dans les athématiques, se croise avec 'le jeu phonétique de la loi de Saussure, d'où quatre combinaisons comme dans les thèmes en -t-, mais plus nettes. Il vaut la peine de poser en son entier le système complexe de l 'accentuation lituanienne des fémi-nins en -à-, système que Kurschat avait exposé avec précision en le dégageant des flottements dialectaux, mais de façon un peu incomplète, et dont de Saussure a apporté une brillante interprétation : types vârna « corneille », rankà « main », galvà « tête », mergà « jeune fille ».

I II I I I IV Sing.

N. . vârna rankà galvà mergà A. vdrnq ranka gdlvq mergq G. vârnos rahkos galvôs mergôs L. vârnoje rankoje galvojè mergojè D. vârnai rankai gâlvai mergai I. vârnq rankg. gâlvq mergq.

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| 327

IV

mergos mergàs mergîl mergosè mergôms mergomis (-ôms)

mergi mergôm mergôm

Du type paroxyton immobile de vârna, à intonation rude, le type de rankà, à intonation douce, ne diffère que du fait de la loi de Saussure, par transfert de l'accent sur la finale dans le cas des désinences intonées rudes, nom. et instr. sing., acc. plur., nom.-acc. duel. Du type oxyton mobile de galvâ, avec recul sur intonation rude, le type mergà, avec recul sur intonation douce, ne diffère que pour la même raison, à l'instrumental singulier, à l'accusatif pluriel et au nominatif-accusatif duel. Mais on observera que dans le type rankà le jeu de la loi de Saussure est incomplet au pluriel : on n'a pas le déplacement d'accent attendu dans loc. rankose, dat. rankoms, instr. rankomis, ni dans dat.-instr. rankom. Il y a eu remaniement, de l'accentuation des cas obliques du pluriel, avec renforcement de l'opposition d'accent entre les deux typés paroxytons, gén. sing. vârnos, rankos, gén. plur. vâmij., rankq, et les deux types oxytons, gén. sing. galvôs, mergôs, gén. p lu r . galvy,, mergîl.

Dans le type mobile, il y a recul de l'accent au singulier non seulement à l'accusatif, mais aussi au datif et à l 'instru-mental. C'est une innovation contraire à l'accentuation du

[216] THÈMES EN -â- ET

I II III Plur.

N.. vârnos rankos gâlvos A. vârnas rankàs gâlvas

G. vàrnvi • rankïj. galvîj. L. vârnose rankose galvosè D. vârnoms rankoms galvôms I. vârnomis rankomis galvomis

Duel

N.-A. vârni ranki gâlvi D. i

vârnom rankom s galvôm

I- i ( galvôm

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328 L ' A C C E N T U A TION [215]

type athématique telle que l 'atteste le védique. Au datif, le recul apparaît également en slave (§ 220), et c'est donc un fait balto-slave. Il résulte du développement d'une opposition entre le locatif oxyton et le datif paroxyton, et le slave, qui garde les désinences anciennes de locatif, en indique la cause : dans les types en -i- et en -u-, ses désinences -i et -u at t irent l'accent. Le mçuvement d'accent entre le locatif lit. galvojè, s.-cr. *glâvï, et le datif lit. gâlvai, s.-cr. glâvi, est donc analo-gique de celui du locatif s.-cr. *kostî et du datif s.-cr. kosti : l 'accent d'avancée du locatif dans le type paroxyton s'est transformé en accent de recul du datif dans le type oxyton. Le jeu d'accent est celui de la loi de Saussure, et c'est la meilleure preuve que le balto-slave opposait dans les thèmes en -i- une désinence *-ëi de locatif d'intonation rude (et *-ôu dans les thèmes en -u-) à une désinence *-ei de datif d'intona-tion douce (*-ewei dans les thèmes en -u-). A l ' instrumental singulier, où le slave présente une autre forme, r. golovôj(u), le recul d'accent de lit. gâlvq est également analogique, et l 'accentuation est entièrement réglée par la loi de Saussure.

L'accentuation des féminins en -yâ-, lit. -é-, est la même que celle des féminins en -â-, sauf au nominatif singulier où -é apparaît d'intonation douce (§ 105) : type I kârvè « vache » ; type II sventè «jour de fête», instr. sveniçi, acc. plur. sventès, nom.-acc. duel sventi ; type I I I giesmè « chanson », acc. giesmç, etc. ; type IV zolë « herbe », acc. zôlç, instr. zol$, etc.

, Thèmes en -o-. — Dans les thèmes en -o- et en -yo-, lit. -jas et -is, l 'accentuation est assez différente. Au singulier, il n 'y a plus que deux types d'accent, également paroxytons, l 'un

immobile, l 'autre avec la mobilité de la loi de Saussure : d'une part agiras « homme », kélmas « tronc d'arbre », d'into-nation rude ; de l 'autre pônas «seigneur», diëvas «dieu», d'intonation douce, loc. ponè, dievè, instr. ponù, dievù. La désinence instr. -u, de *-ô, était d'intonation rude ; la dési-

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[216] THÈMES EN -â- ET EN -o- 329 (

nence loc. -e, qui est remaniée, est traitée de la même façon (§ 178). Au pluriel et au duel, on retrouve les quatre types d'accent, deux paroxytons et deux oxytons, avec ou sans le jeu de la loi de Saussure :

I II I I I IV

N. vyrai pônai kelmai dieval A. vyrus ponùs kélmus di'evùs G. ponq kelmîj. diev% L. vîjTuose pônuose kelmuosè dievuosè D. vyrams pônams kelmâms dievâms I. vyrais portais kelmals dievaïs

N.-A. vtfru ponù kélmu dievù D. j

vyram pônam { kelmdm dievâm

I- < vyram pônam i

( kelmam dievam

Les désinences d'intonation rude, ou traitées comme telles, sont l'accusatif pluriel et le nominatif-accusatif duel, comme dans les autres types flexionnels. L'accentuation du type oxyton ne diverge autrement de celle des athématiques que par son nominatif pluriel accentué en -al, qui est pris à la flexion pronominale (§ 132). L'opposition d 'un singulier paroxyton et d 'un pluriel oxyton, dans un type qui est d'accent fixe en sanskrit et en grec, est naturellement nouvelle : elle résulte de l'élimination des oxytons au singulier. La désinence nom. sing. -as tendait fortement à se réduire à -s (§ 86), et elle ne porte jamais l'accent, sauf dans l'adjectif déterminé où au contraire -às-is est normal, sûrement pour une autre cause (§ 299). Dans un type qui, le pluriel et le duel l 'a t testent , a reçu comme tous les autres types la mobilité d'accent des athématiques, un nominatif *deivâs, skr. devâh, et un accu-satif *deïvan, pour skr. devâm, unissaient leur accent en dièv(a)s, dièvq, et l 'imposaient à tout le singulier. Les mascu-lins en -ys, de *-ijas (§ 146), qui gardent un nominatif singulier

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330 L'ACCENTUA TION [215]

oxyton, se confondent aux autres cas avec les masculins en -is et ont comme eux un singulier paroxyton : zaltys « serpent », gaidys « coq », acc. zâlfi, galdi, gén. zdlcio, galdzio, mais nom. plur. zalciaï, gaidzial.

Polysyllabes. — On retrouve dans les polysyllabes les mou-vements d'accent des dissyllabes : soit selon la loi de Saussure ainsi lydekà «brochet», gén. lydëkos ; — soit par extension de la mobilité morphologique, et alors le déplacement d'accent, comme dans les athématiques, a lieu entre la finale et l'initiale : fém. asakà « arête », acc. âsakq, gén. asakôs, nom. plur., âsakos, uodegà « queue », acc. ûodegq ; masc. riesutas «noisette» (§ 189), plur. riesutai.

217. Accentuation du slave. — Pour l 'accentuation des différents types flexionnels, l 'état des langues slaves est sensiblement plus évolué que celui du lituanien, et les deux langues qui fournissent les données les plus claires et les plus complètes, le russe et le serbo-croate, divergent assez entre -elles dans le détail. On reconnaît cependant un système tou t semblable à celui du lituanien, avec même jeu de la loi de Saussure et même extension aux oxytons de l'accent mobile des athématiques.

Vocatif. — Le vocatif est à part. En sanskrit et en grec, il attire l'accent sur la première syllabe : skr. pltah de pila « père », dévi de devi « déesse », gr. Trcrrsp de Trcrrf|p, âSsÀcpe de àSeÀtpoç « frère ». Il en est de même en slave : ukr. kiri « cheval », gén. konjd, voc. kônju, sestrd « sœur », voc. séstro ; bulg. zenâ « femme », voc. zéno ; s.-cr. kônj, gén. kônja, voc. kônju, strie « oncle paternel », gén. strica, voc. strîce, côvjek « homme », voc. côvjece, zèna, voc. zëno, odiva « fille mariée », voc. ôdïvo. Le recul d'accent apparaît aussi en serbo-croate au vocatif pluriel : nom. plur. kànji, voc. kônji, jùnâk « gaillard », voc. junâce, nom. plur. junâci, voc. jûndci. On

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[2.17] ACCENTUATION DU SLAVE 331 ' i

le trouve même au singulier, exceptionnellement, avec des neutres désignant des personnes : dijète « enfant ». voc. dïjete, dialectalement krilo « aile, protecteur », voc. krîlo.

En lituanien, au contraire, le vocatif présente ordinaire-ment l'accent sur la désinence dans les types à accent mobile : sûnaû dans les thèmes en -u-, pour skr. su no, sirdië dans les thèmes en -i-, mergà dans les thèmes en -â-, et ponè dans les thèmes en -o-. Est-ce parce que, dans les athématiques, il est confondu avec le nominatif, généralement oxyton ? Est-ce aussi parce que, dans les thèmes en -yo- et en -yâ-, il avait connu une forme *-I (§ 136, ,§ 154) d'intonation rude et qui att irait l'accent, si bien qu 'un vocatif svetè de svëcias « hôte », substitué à *sveti, aurait transmis son accent à ponè du type en -o- ?

Athématiques. — Des athématiques eux-mêmes, il ne subsiste que des vestiges. L'opposition de r. dial. mâti, ukr. mâty, s.-cr. mâti, et r. dial. doëi (s.-cr. kci) resterait celle d'un ancien paroxyton d'intonation rude et d 'un ancien oxyton, si doëi ne présentait pas un jer secondaire (§ 60), et l'accen-tuation est uniformisée en russe dans le reste de la flexion, gén. mâteri et dôceri, gén. plur. materéj et doceréj. Les deux accents s.-cr. jècam et jëcmên «orge» (§ 185) paraissent conserver le souvenir d 'un mouvement d'accent nom. *jçcïmy, acc. *jçcïmenï. C'est le nombre « dix » (§ 306) qui garde le mieux l'accentuation du type : nom.-acc. r. dësjat', s.-cr. dësët, en regard de nom. desimtis du lituanien ancien et dialectal et avec l'accent de acc. dësimti ; gén. r. desjati, lit. desimtiës ; nom.-acc. duel ou pluriel r. dvâdcat', s.-cr. dvâdeset, de *désçti ou *désçte avec recul de l'accent sur dva- ou sans recul en serbo-croate, cf. lit. dësimti, duel, dësimtys, nom. plur. et dësimtis., acc. plur. ; gén. plur. r. pjat'desjât, s.-cr. pedèsêt, de *desetu avec recul et accent de métatonie sur intonation douce, cak. -desét, pol. -dziesiqt (§ 102), cf. lit. desimlfi. -

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332 L ' A C C E N T U A TION [215]

218. Thèmes en -i-. — Pour les thèmes en -i-, on a deux types d'accent :

1° immobile : r. nit' « fil », gén. nlii, gén. plur. nitej, etc., s.-cr. nît, gén. nîti, gén. plur. nïtï ; et slov. nit, gén. nlti avec accent de métatonie sur intonation rude (§ 103) ; ,

2° mobile à partir du génitif pluriel : r. kost' « os », gén. kôsti, nom.-acc. plur. kôsli, gén. kostéj, loc. kostjàx, dat . kostjâm, instr. kost'ml ; s.-cr. kôst, gén. et nom.-acc. plur. kôsti, gén. plur. kôstï et kostiju, loc.-dat.-instr. kôstima, et stvâr « chose », gén. et nom.-acc. plur. stvâri, gén. plur. stvârî, loc.-dat.-instr. stvârima et stvdrma ; slov. kôst, gén. et nom.-acc. plur. kostî de *kôsti (§ 93), gén. plur. kosti.

On reconnaît les trois principaux types d'accent du lituanien, réduits à deux en slave : le type lit. dnlis, immobile comme paroxyton d'intonation rude, et les deux types mobiles oxytons lit. sirdis, acc. sird[, d'intonation rude, et naktis, acc. nâkti, d ' intonation douce, qui se sont confondus parce que le recul sur intonation rude a donné en slave un accent de métatonie identique à l 'intonation douce sur longue (§ 103). Ainsi au nominatif-accusatif s.-cr. zvïjer « bête fauve », slov. zvêr, pour lit. zvèris, acc. zvêrj., s.-cr. mâst « graisse », slov. mâst, en face de s.-cr. màzati « graisser », slov. mâzati, r. mâzat', et de même s.-cr. dial. dïjet « enfants », voc. et gén. dljeti (§ 211), de la racine balto-slave *dê-d'intonation rude, s.-cr. djeva «jeune fille », lette dêt «téter», dêls « fils ».

Au singulier, dans le type mobile, en regard du mouvement d'accent du lituanien, nom. naktis, acc. nâkti, gén. nakliës, dat. nâkciai, instr. naktimi, le slave présente un accent unifié r. noc , gén.-dat. nôci, instr. nôc'ju, s.-cr. nôc, nôci, nôcu. Le locatif singulier est à par t et oxytoné dans le type mobile, normalement en serbo-croate : kôst, stvâr, gén.-dat. kôsti, stvâri, loc. kôsti, stvâri, cak. kosti, stvârî ; — avec extension au

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[218] THÈMES EN -i- 333 !

datif en slovène : kôst, gén. kostï, loc.-dat. kôsli de *kostï ; —• à l 'é tat de vestige en russe, dans des locutions comme v stepî «dans la steppe », na Rusi «en pays russe», avec préposition v ou na, et également vo vséj Rusî « dans toute la Russie ». Le slave ne garantit pas que la désinence ait été d'intonation rude et que le mouvement d'accent soit dû à la loi de Saussure, car il pourrait s'agir d'une oxytonaison d'après le type athématique à accent mobile. Le lituanien, qui a loc. smertyje, dans son type paroxyton d'intonation douce comme ântyje dans le type d'intonation rude, et acc. sirdi, nâkti, loc. sirdyjè, naktijè, dans ses deux types mobiles d'intonation rude et douce, ferait même pencher pour la seconde alternative. Mais sa désinence de loèatif est remaniée et ne prouve rien, et son type smertis est d'importance très secondaire. La désinence balto-slave devait bien être *-êi (§ 165), et attirer l'accent ; et cf. § 216.

Au pluriel, la différence que présente le lituanien entre nom. nâktys et acc. nakïis n 'apparaî t pas en slave et n'est pas N

balto-slave : nom.-acc. r. nôci, s.-cr. n'àci. L'instrumental pluriel en -mi, dans le type mobilé, est régulièrement accentué en russe, comme le génitif en -ej. Le fait est moins constant en ukrainien, en la mesure où -my, remplacé ordinairement par -jamy (§ 168), s'est conservé : dver'my et dvér'my, de dvéry « porte ». En serbo-croate, les vestiges du locatif-datif-instrumental -ma, usuellement -ima, qui continuent l 'instru-mental -mi, confirment l 'oxytonaison ancienne : fi jec « parole », plur. rïjeci, loc.-dat.-instr. rijècma, et rijècima dans la langue commune. Le kachoube a de même yqs « oie », instr. plur. gqsmî, et gqsamî, dans une flexion très remaniée d'après les féminins en -â-.

Au duel, r. oci « yeux », ûsi « oreilles », s.-cr. oci, usi et slov. ocî de *ôci, ont été, comme pluriels, incorporés au type r. kosl', plur. kôsli, et ne présentent pas le mouvement d'accent réclamé par la loi de Saussure, lit. akls, ausis, nom.-acc. duel

22

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334 V ACCENTUAT ION [218]

aki, ausi. L'accent bulg. oci, usi, d'où sing. okô, uhô pour r. oko, uxo, etc., ne peut pas être ancien : il résulte d'une normalisation sur l'accent des cas obliques, r. dial. ocima et ukr. ocyma à l 'instrumental, s.-cr. ocima, loc.-dat.-instr., r. océj (gén.) et dial. ocjû, s.-cr. ocï et ocijû. De même la brève de s,-cr. usi, pour cak. ûsi (gén.-loc. ûsih, § 214), est prise aux cas obliques avec abrègement dans des trisyllabes (§ 107), loc.-dat.-instr, ùsima, gén. ùsijû. En slovène, l 'accent du nominatif-accusatif duel kosti du type kost, identique à celui du nominatif-accusatif pluriel, est remanié.

Dans les polysyllabes, l 'accent mobile est très étendu en lituanien : atmintis «souvenir», acc. âtminti avec intonation douce de l'initiale, gyvastis « vie », acc. gyvasti avec intonation radicale rude. En russe, l 'accent est le plus souvent fixe, mais on trouve aussi un type nôvost' « nouvelle », plur. nôvosti, gén. novostéj, loc. novostjâx, etc. Cette mobilité de l'accent est confirmée par le serbo-croate, bien qu'elle y apparaisse dans des conditions différentes, au locatif singulier et limitée au pluriel au génitif : bôlëst « maladie », gén. bôlesti, loc. bolèsti, gén. plur. bolèstï, mais loc.-dat.-instr. bôlestima ; et aussi, avec un mot plus long, zàpovijest « commandement », loc. zapovijèsti, gén. plur. zapovijèstî.

Les masculins en -i-, avec les anciens athématiques qu'ils ont incorporés, bien que passant au type en -yo- ou en -o-• (•§ 169), ont gardé en partie la mobilité d'accent de leur flexion originelle, différente de celle des masculins ordinaires : r. gost' «hôte, invité», gén. gôstja, nom. plur. gôsli, gén.-acc. gostéj, loc. gostjâx, etc., et s.-cr. gôst, gén. gôsia, nom. plur. gôsti, acc. gôsle, gén. gàstl et gàstijû (§ 214), loc.-dat.-instr. goslima ; r. gôlub' « pigeon », gén. gôlubja, plur. gôlubi, gén.-acc. golubéj, loc. golubjâx, etc., et s.-cr. gôlùi, gén. gUûba, plur. gôlûbi, gén. golûbâ, loc.-dat.-instr. golûbima (usuellement plur. g'ôlubovi, gén. golubôvâ, avec les désinences tirées du type en -u-).

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[218] THÈMES EN -i- 335

! Le masculin pçlï «chemin» est oxyton : r. put', gén.-loc.-

dat. puti, instr. putëm, et nom.-acc. plur. puti, etc. ; de même, avec passage au type en -o-, s.-cr. pût, gén. pûta, cak. pût, gén. pïïtâ, et slov. pçt, gén. pqia (et fém., § 169, gén. pçti et potî), du type de kçl « coin », gén. kgta, qui répond au type oxyton de r. kul, gén. kuiâ. Le tchèque poul « voyage », comme koul, indique également un oxyton, avec longue de métatonie (§ 102). Il faut admettre que cet ancien athématique, dont la flexion a pu rester longtemps anomale, a gardé son génitif singulier oxyton, avec l 'appui du locatif et de locutions usuelles comme r. s puti, naputl. Mais son cas n'est pas isolé : en regard de lit. ugnis « feu », acc. ùgni, c'est aussi un oxyton qu'on trouve dans r. ogôn, gén. ognjâ, s.-cr. àganj, gén. dgnja, slov. ôgenj, gén. ôgnja. Les nombres de « cinq » à « neuf », anciens féminins, présentent le même accent que le masculin poiï : r. pjat', gén.-loc.-dat. pjati, instr. pjat'jû. Ils font groupe avec l'ancien masculin athématique r. désjat', gén.-loc.-dat. desjatî, qui a conservé plus complètement son accent du type balto-slave (§ 217). Ce sont là quelques vestiges d 'un état où dans les thèmes en -i- l 'accent était mobile au singulier comme il l 'est resté au pluriel. Par contre, le petit type russe à oxyto-naison du singulier et mouvement d'accent au pluriel, gvozd' «clou», gén. gvozdjâ, etc., et nom.-acc. plur. gvôzdi, gén. gvozdéj, etc., ne représente qu'un croisement secondaire du type de gosl' et du type oxyton des masculins ordinaires, qui tend à s'étendre : l 'accent cerv' « ver », gén. cervjâ, est d 'un mot qui n'est populaire qu'au pluriel cérvi, et il est contredit par s.-cr. crv, gén. cfva, mais gén. plur. c m comme r. cervêj. L'accent gén. ugljâ, de ûgoV « charbon », est nouveau pour ûglja, et en effet le mot était du type immobile à into-nation rude, lit. dial. dnglis, s.-cr. ugalj, gén. uglja.

L'accentuation anomale du mot religieux r. Gospôd' « Seigneur », ukr. Hospôd' avec dat. Hospodévi, en regard de gén. Gôspoda, etc., pris au slavon, est curieuse et pourrait

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336 L'ACCENTUA TION [215]

conserver une oxvtonaison de polysyllabe. Elle n 'apparaî t pas dans le groupe méridional : bulg. Gôspod, s.-cr. Gospôd, gén. Gôspoda.

219. Thèmes en -u-. — Parmi les anciens mots reconnais-sables de la flexion en -u- (§ 160), on retrouve les deux types mobiles du lituanien, medùs «miel», acc. mëdii, dans r. mëd, gén. mëda, s.-cr. mëd, gén. mëda, slov. med, gén. medû, et sûnàs, acc. sûmi, dans r. syn, gén. sj/na, s.-cr. sîn, gén. sîna, slov. sîn, gén. sinû : ils sont confondus en slave où le recul sur intona-tion rude donne une intonation douce de métatonie. Ces mots sont devenus paroxytons au singulier, et de même r. pol «moitié», gén. pôla, dom «maison», gén. dôma, s.-cr. pô et p'ôla (formes fixées), dôm, gén. dôma. Au contraire, volu « bœuf » a donné un oxyton : r. vol, gén. vola, s.-cr. vô, gén. vola, slov. vol, gén. vola. Pour v. si. vruxù « sommet », lit. virsùs, acc. virsq, on a un paroxyton dans r. verx, gén. vérxa, slov. vrh, gén. vrhâ, mais le serbo-croate présente l 'oxyto-naison : vrh pour cak. vrh, gén. vrha, cak. vrhâ.

Dans la flexion, qui n 'apparaî t plus que mêlée à celle des masculins en -o-, le génitif en -u du russe, de l 'ukrainien et du slovène indique que l 'accentuation avait été normalisée sur le nominatif-accusatif au singulier, sauf au locatif : r. (bôëka) mëdu « (un tonneau) de miel », ukr. kraj « région », gén. krâju, comme dat. krâevi. Mais volu offre une autre normalisation, peut-être d'après l 'oxyton konji «cheval», r. kon', gén. konjâ, et garde la trace de l 'oxytonaison ancienne du génitif. C'est plus douteux pour s.-cr. vrh, qui a pu prendre, son oxytonaison au locatif et aux locutions très usuelles dans lesquelles il figure, r. ancien verxû, mod. vverxu, na verxû.

Au locatif, la désinence -u attire l'accent, comme la dési-nence -i des thèmes en -i-, et sûrement aussi du fait de la loi de Saussure et comme représentant *-du : r. et ukr. v medû « dans le miel », na krajû « au bord ». Cette avancée de

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[219] THÈMES EN -u- 337 j.

l 'accent est limitée en russe à des locutions avec v et na, y compris vvecerû « au soir » avec le polysyllabe vécer, gén. vécera. Elle est courante en serbo-croate, où la désinence -u a été généralisée au locatif des masculins, avec les substantifs qui ne désignent pas des êtres animés : types grâd « ville », gén. grâda, dat. grâdu, loc. grâdu; brôd «gué», dat. brôdu, loc. brôdu; ôblâk « nuage», dat. ôblâku, loc. oblâku; gôvôr «discours», dat. gôvoru, loc. govôru; ôbicâj «coutume», dat. ôbicâju, loc. obicâju ; râzgovôr «entretien», dat. râzgovoru, loc. râzgovoru. On a même, secondairement, dans l'ancien type à intonation rude initiale et à accent immobile, pràg « seuil », dat. prâgu, loc. pràgu. Le slovène a également brôd, (dat. brôdu), loc. brôdu; brêg « colline », dat. bregû, loc. brégu, dans le type à longue d'intonation douce, s.-cr. brijeg, r. béreg ; e t aussi, dans le type à longue d'intonation rude, bràl « frère » (s.-cr. brât), dat. brâtu, loc. brâtu, où l'accent d'avancée, devenu accent de recul en slovène (§ 93), prend la forme d 'un accent de métatonie ; et kônj, dat. kônju, loc. kônju, avec exten-sion de cet accent de recul à un ancien oxyton. En slovène comme en serbo-croate, il ne s'agit plus d'une distinction entre le datif et le locatif, qui se sont confondus au singulier, mais d'une différence entre l 'accent du locatif-datif sans préposi-tion et avec préposition : le slovène a k brâtu « vers le frère » comme pri brâtu « auprès du frère », bien que la construction de k avec le datif et celle de pri avec le locatif restent claires dans la flexion pronominale et au pluriel des substantifs.

Le slovène a étendu le mouvement d'accent aux neutres anciens paroxytons, en même temps que la désinence -u : mesô « chair » (r. mjâso), loc. v mçsu pour un ancien v mesê. Cette extension aux neutres n'est que dialectale en serbo-croate : zlâio « or », loc. zlâlu, mais zlâlu dans la langue commune. Le kachoube présente l'avancée d'accent dans les masculins : wôz « voiture », loc. wozu ; et dans les neutres : ôko « œil », loc. oku.

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338 L'ACCENTUA TION [215]

Au pluriel, le serbo-croate et le bulgare permettent, malgré bien des flottements, de reconnaître trois types d'accentuation :

1° Type s.-cr. prâg, gén. pràga, plur. pràgovi, gén. prâgôvâ, loc.-dat.-instr. prâgovima ; bulg. prag, plur.. prâgove.

2° Type s.-cr. pop « pope », gén. popa, plur. pôpovi, gén. pôpôvâ, loc.-dat.-instr. pàpovima ; bulg. pop, plur. popôve.

3° Type s.-cr. grâd, gén. grâda, plur. gràdovi, acc. gràdove (cak. grâdi, nom.-acc.), gén. gradôvâ, loc.-dat.-instr. gradô-vima ; bulg. grad, plur. gradové ; slov. grâd, gén. gradû, plur. gradôvi, acc. gradî, gén. gradçv.

Le premier type représente un type paroxyton immobile, à initiale d'intonation rude ; rien n'indique qu'il soit ancien, et il doit résulter de l 'addition secondaire des désinences en -ov- au type immobile des masculins en -o- de r. porôg, plur. porôgi, cak. prâg, plur. pràgi (§ 221). Le deuxième type est de même celui des oxytons en -o-, r. pop, gén. popâ, plur. popt/, cak. pop, plur. popî. Le seul type ancien est le troisième, qui répond aux deux types oxytons mobiles du lituanien, à recul sur intonation douce, et sur intonation rude dans le cas de s.-cr. sln, plur. sïnovi, bulg. sinové, slov. sinôvi. Le serbo-croate, avec généralisation de l'élargissement -ov-, indique une opposition entre l'accent paroxyton du nominatif et de l'accu-satif et l 'accent oxyton des autres cas du pluriel. Les désinences sont remaniées, mais loc.-dat.-instr. sinàvima continue des formes oxytonées dat. plur. *sin'àm, puis *sinovôm, instr. *sinrm, puis *sinovmï et *sinovl ; d'où gén. plur. *sinôvâ, sinôvâ, de *sinôv. Pour le bulgare, il est visible que son accent gradové, nouveau pour *grâdove qu 'at testent le serbo-croate et le slovène, résulte d'une généralisation de l 'accentuation oxytonée des cas obliques. On explique de même l'oxytonaison du nominatif pluriel des anciens thèmes en -u- en russe : sgn, gén. syna, plur. synij (langue commune synov'jâ, § 163) et ukr. syny ; pol, plur. poli/, verx, plur. verxl, mais dom, plur.

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[219] THÈMES EN -u- 339 !

domy (mod. domâ). On a poly d ' a p r è s gén. polôv, e tc . , m a i s

l'accent ancien *pôly de pluriel ou de duel est supposé par la locution nâ poly « par moitié ».

Le kachoube a l'oxytonaison aux cas obliques du pluriel des masculins sous l'influence du type en -u-, et aussi des dési-nences féminines qu'il a empruntées au pluriel : woz « voiture », gén . p lu r . wozçw, d a t . wozçm, loc. wozâch, i n s t r . wozamî.

Ceci est un tableau simplifié de l'accentuation des pluriels en -ov-, et dans le détail les complications né manquent pas. Ainsi le serbo-croate, en regard de grâd, gén. grâda, plur. grâdovi, présente ordinairement, dans le type à voyelle brève de brôd, gén. broda, l 'accent brodovi du type des oxytons. Cet accent apparaît également avec les anciens thèmes en -u- : dôm, gén. dôma, plur. domovi. Mais il n'est pas général dans les dialectes, ni dans la langue moyenne : rôg « corne », gén. rôga, e t p lu r . r'ogovi, gén. rogôvâ, loc . -da t . - ins t r . rogovima. Le bulgare offre en ce cas —- mais dans d'autres aussi —- des flottements d ' a c c e n t : p lu r . domovê e t domôve, brôdove, brodové et brodôve. Le russe n'atteste que l'extension de la désinence -ov, mais il montre que cette désinence était accentuée dans tous les types, sauf le type paroxyton d'intonation rude de porôg. Le serbo-croate a donc eu des génitifs pluriels *grâdôv et *brodôv comme *popôv : il a tendu à confondre les types brodovi (dial.), gén. *brodôv, brodôvâ, e t popovi, gén. *popôv, popôvâ ; tandis que le type grâdovi, acc. grâdi (cak.), gén. *grâdôv, avec son alternance dè quantité (§107), restait bien distinct, à quelques flottements près, du type oxyton à voyelle radicale longue de sudovi «jugements ».

Le type oxyton de bulg. popôve, s.-cr. popovi, s'est déve-loppé sur la base de l'accusatif pluriel cak. popl, qui était commun aux deux flexions en -o- et en -u-. Cette accentuation de l'accusatif pluriel n'est pas ancienne dans les thèmes en -u-, mais elle était représentée au moins par volu devenu

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340 L'ACCENTUA TION [215]

oxyton : bulg. volôve, s.-cr. vàlovi, acc. voll (cak.), slov. vôli. Pour l 'emprunt v. si. Zidove «Jui fs» (§ 78), il a l 'accent

bulg. Z idove, s.-cr. Z ïdovi. Sur le pluriel a été refait un singulier bulg. Zid, s.-cr. TAd (usuellement lAdov), slov. Z id, paroxyton, mais le russe a remplacé Z idove (-va) par TLidy comme synove par syny, avec un singulier oxyton Z id, gén. Zidâ, pour l'ancien Zidovîn (§ 212).

220. Thèmes en -â-. —- Ce sont les thèmes en-a - qui four-nissent les données les meilleures sur les mouvements d'accent en slave, et on y retrouve l 'état du lituanien, mais fortement modifié. On distingue :

1° Un type paroxyton immobile : r. méra «mesure », s.-cr. mjëra, slov. méra, qui répond au type à intonation rude du lituanien, vdrna, r. vorôna, s.-cr. vrâna, slov. vrâna.

2° Un type paroxyton immobile d 'autre origine : r. kljdtva « serment », s.-cr. klêtva, cak. kljétva (v. cak. klja-, avec le traitement ja de g, § 66), slov. klqtva (klçtev, § 205). C'est un type nouveau et propre au slave, à accent de métatonie sur intonation douce, r. storôza « garde », s.-cr. strâza, cak. strâza, slov. strâza et strâza (§ 102) ; différent du premier type par l 'intonation, il se confond avec lui pour l'accent.

3° Plusieurs types oxytons. Le russe n'en présente pas moins de quatre :

a) immobile : certd « t rai t », acc. certû, plur. cerly, etc. ; b) à recul d'accent dans tout le pluriel : travâ « herbe »,

acc. travû, etc., et plur. trâvy, loc. trâvax, etc. ; c) à recul d'accent limité au nominatif-accusatif pluriel :

slezâ « larme », acc. slezû, etc., nom.-acc. plur. sl'èzy (et gén. slëz), mais loc. slezâx, etc. ;

d) à recul d'accent à l'accusatif singulier et au nominatif-accusatif pluriel : nogâ «pied», acc. nôgu, gén. nogi, etc., nom.-acc. plur. nôgi (gén. nog), mais loc. nogâx, etc.

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[220] THÈMES EN -â- 341

On retrouve trois de ces types en serbo-croate, sur brève et sur longue, mais pas toujours avec les mêmes mots :

a) zèna « femme », acc. zènu, plur. zène, etc. (mais r. zenû, plur. zëny, type b), sauf voc. sing. zcno, voc. plur. zëne (§ 217) ; • c) sùza, acc. sùzu, etc., nom.-acc. plur. sùze (gén. sûzâ), loc.-dat.-instr. sùzama, et vila «fée», acc. vilu, etc., nom.-acc. plur. vîle (gén. vilâ), loc.-dat.-instr. vilama ;

d) ndga, acc. n'ôgu, nom.-acc. plur. noge (gén. nôgâ et riogu), loc.-dat.-instr. nbgama.

Le type b, le plus productif en russe, est inconnu du serbo-croate : il représente une innovation du russe, qui tend à opposer fortement, dans les féminins en -à- comme dans les masculins en -o- et les neutres, l 'accent du singulier et celui du pluriel. Pour les trois autres types oxytons, ils se ramènent à un seul ; le type initial d dont la conservation n'est plus que partielle et dont la mobilité d'accent a été réduite ou supprimée, avec des "divergences entre le russe et le serbo-croate, et des flottements à l'intérieur de ces deux langues. C'est ce type oxyton qu'il faut poser en slave pour le comparer avec les types lituaniens à accent mobile :

russe serbo-croate cakavien slovène

Sing. N. rukâ rûka rukâ rôka A. ruku rûku rûku rokg G. ruki rùkë rûké rôke L. ruké rûci ruki rôki D. ruké rûci ruki rôki I. rukôjfu) rùkôm rûkûn rokg (rôko)

Plur. N.-A. rûki G. ruk

rûke rûki rokç rukâ. rûk rçk

L. rukâx D. rukâm I. rukâmi

rukàh rôkah rùkama • rukân rôkam

[ rukâmi rokâmi

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342 L'ACCENTUA TION [215]

L'accent du kachoube, qui tend vers l'accent fixe du polonais (§ 93), est évolué. L'oxytonaison, perdue dans nom. sing. rçika, etc., est conservée dans instr. sing. rqkç, loc. plur. rqkâch, dat. rqkçm, instr. rqkami.

Il apparaît que l 'accentuation du slave rçka ne répond pas à celle de lit. rankà, mais à celle des deux types oxytons mobiles galvà et mergà, qui se confondaient en slave où l'accent de recul sur intonation rude a donné une intonation douce : r. gôlovu, cak. glâvu à l'accusatif singulier, r. gôlovy, cak. glâve au nominatif pluriel, pour lit. gâlvq, gâlvos, et comme lit. mergq, mcrgos. Le slave a réuni en un seul type les trois types à accent mobile du lituanien.

Au singulier, le recul d'accent de l'accusatif ést bien conservé dans un certain nombre de mots usuels, mais il a été éliminé dans la grande majorité des cas. Celui du datif n'est maintenu que par le serbo-croate, seulement avec les mots qui présentent le recul à l'accusatif ; il a disparu ailleurs, sauf un vestige dans la locution r. k stôrone, de storonâ « côté », acc. slôronu. Au pluriel, où le slave ne présente pas la distinc-tion lituanienne entre le nominatif paroxyton et l'accusatif oxyton et la différence d'intonation qu'elle suppose (§ 150), le recul d'accent du nominatif-accusatif reste fréquent, et le russe l'a développé dans son type b à pluriel entièrement paroxyton. Au contraire, en bulgare, tout mouvement d'accent entre le singulier et le pluriel des féminins est aboli. Pour le génitif pluriel, il était accentué sur la désinence -û, d'où l'accent rùkâ du serbo-croate et l 'accent de métatonie du cakavien et du slovène. Au locatif et au datif, l'élément thématique -a- d'intonation rude devait porter l'accent, d'après cak. -âh et tch. -âch, -âm. A l 'instrumental, il est probable que l'accent était -ami, kachoube rqkami, comme lit. -omis : l 'accent -âmi du russe et du cakavien (et de s.-cr. -ama) résulterait d'une normalisation, avec métatonie dans slov. -âmi.

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[221] THÈMES MASCULINS EN -o- 343 I

Sur le nominatif-accusatif duel, et sur l 'intonation de la désinence, on,n'a pas de données bien sûres (§ 150). Le slovène paraît indiquer une oxytonaison, comme en lituanien, mais ailleurs bulg. racé et nozé peuvent avoir emprunté leur accent aux cas obliques,-de même que oci et usi (§ 218), et on ne peut pas faire état des quelques autres formes isolées, comme r. dial. brylé « lèvres » qui est à côté de bryly. Au génitif, s.-cr. rùkû présente un accent sûrement plus ancien que celui de nôgû qui doit être pris à nom.-acc. plur. noyé, et il est confir-mé par le kachoube rqkû, nogû. Au locatif-datif-instrumental, s.-cr. rùkama, nogama sont confondus avec le pluriel, et l 'accent -âma du slovène est parallèle à celui de instr. plur. -âmi. ,

Avec les polysyllabes, le russe a développé dans son type b un recul d'accent nouveau, sur la base du génitif pluriel : kolbasd «saucisse», plur. kolbâsy comme gén. plur. kolbâs, pour kolbasij. Il conserve dans son type d quelques mots devenus trisyllabiques par polnoglasie (§ 70) : borodd « barbe », acc. bôrodu, nom.-acc. plur. bôrody, cak. brada, brâdu, brade; et isolément un mot plus long, skovorodâ « la poêle », acc. skôvorodu, nom.-acc. plur. skôvorody. En serbo-croatè, ce mouvement d'accent est largement représenté dans le type planina «montagne» (cak. planinà), acc. plâninu, nom.-acc. plur. plànine, et le recul apparaît aussi au datif singulier, plànini en regard de loc. planïni. On a même dialectalement le type veliclna « grandeur », acc. vëlicinu.

231. Thèmes masculins en -o-. — Ici, comme en lituanien, l 'accentuation est toute différente. En serbo-croate et en slovène, il y a des paroxytons d'intonation rude ou douce, cak; pràg, gén. prâga, brôd, gén. broda, grâd, gén. grdda, et des oxytons à radical bref ou long, pop, gén. popà, grih « péché », gén. grïhâ. L'accent est également fixe dans les

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344 L'ACCENTUA TION [215]

deux types, sauf le recul du vocatif, et sauf l'avancée au locatif en -u pris à la flexion en -u-, Seule l 'accentuation du génitif pluriel est moins simple, du fait de l 'amuissement de -u entraînant des accents de métatonie (§ 224) et de l'extension secondaire de la désinence -â en serbo-croate (§ 144.)

Il n 'y a pas en principe d'opposition d'accent entre le singulier et le pluriel. Si l'on trouve en serbo-croate un type lànac « pot », plur. lônci, c'est parce que l'accent du pluriel a été normalisé sur celui du génitif pluriel *lonïcï où il reculait jusque sur l'initiale, cak. lônâc, s.-cr. Vonâcâ. Le cakavien offre une innovation différente, mais parallèle : lonàc, plur. lôncï et lônca, avec passage du pluriel au type neutre de stakâlcë «peti t verre, flacon», plur. stakâlca (§ 222), gén. stakâlâc, sur la base de gén. plur. lônâc. Ce que montre cet accent du génitif pluriel qui se transmet à tout le pluriel, c'est que l'accent du nominatif-accusatif singulier, cak. lonàc, s.-cr. lànac, est analogique de celui des cas obliques, gén. cak. lôncà, s.-cr. lônca, etc., et de même dans le type r. konéc « fin », gén. koncâ.

Pour le type s.-cr. brôd, gén. broda, plur. brôdovi, plus iso-lément sâd « plantation », gén. sâda, plur. sâdovi avec voyelle radicale longue, il est secondaire (§ 219). Avec les pluriels qui ne prennent pas en serbo-croate l'élargissement -ov-, un mou-vement d'accent comme gôsli, gén. gôstï et gôstiju, loc.-dat.-instr. gostima, est caractéristique de la flexion en - i - (§ 218). Comme ces pluriels courts sont en principe ceux de substantifs qui ont subi l'influence du type masculin en -i- (§ 172), l 'accent mobile a pris une petite extension : zûbi « dents », loc.-dat.-instr. zubima, brci « moustaches », loc.-dat.-instr. brcima et brcima. Avec les mots à radical dissyllabique et accent sur l'initiale du type de gôlûb « pigeon », on trouve une avancée de l'accent au génitif pluriel : cak. vëcër « soir », gén. vëëera, gén. plur. vecér, s.-cr. ââvô « diable » (r. d'jâvol), gén. dàvola, gén. plur. davôlâ, et golubôvâ avec l'élargissement

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[221] THÈMES MASCULINS EN -o- 345

. i -ov-. C'est parce qu'une grande partie des mots de ce type d'accent, comme kàmën, djëvër, et gôlûb lui-même, sont d'anciens athématiques ou thèmes en -i-, et c'est l 'accentua-tion de dësët, gén. plur. sedam-dèsët.

Les faits sont plus compliqués en russe. A côté de deux types immobiles, paroxyton xram « temple », gén. xrdma, plur. xrdmy, gén. xrâmov, etc., et oxyton slol «table», gén. stolâ, plur. stoly, gén. stolôv, etc., il présente un type productif à mouvement d'accent, paroxyton au singulier et oxyton au pluriel : sad « jardin »,* gén. sdda, etc., et plur. sadfi, gén. sadôv, etc. Pour le locatif singulier en -û à avancée de l 'accentj voir § 219. Le type paroxyton immobile xram, rare avec des radicaux monosyllabiques, est le type d'intonation rude de porôg, s.-cr. prâg, rak « écrevisse », s.-cr. ràk. La forme popu-laire du mot religieux xram est xorômy « grande maison », devenu féminin pluriel, ce qui veut dire seulement qu'elle conserve un génitif -pluriel xorôm. Au singulier, on a ukr. xàrôm « vestibule », tch. chrâm « temple », et cak. hrâm «maison», gén. hràma, avec un allongement secondaire devant sonante (§ 106) au nominatif-accusatif, que le serbo-croate a généralisé en hrâm, gén. hràma, au sens religieux et non populaire de « temple ».

Le type paroxyton mobile est le type à intonation douce. L'oxytonaison du pluriel n 'a aucun rapport avec celle du lituanien, elle n 'a pas de correspondant dans les autres langues slaves, et le développement en apparaît récent : au x v n e siècle, d 'un mot comme rjad « rang », gén. rjâda, plur. rjady, l 'accent du nominatif-accusatif pluriel flottait encore entre rjddy et rjady. Mais le point de départ de l'oxytonaison est nécessairement ancien, puisqu'elle est réglée, en principe du moins, par l 'intonation. Il faut le chercher dans le génitif pluriel en -ou, qui s'est étendu de très bonne heure, et dans une opposition entre les types porôgov, s.-cr. prâgôvâ, et

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346 L'ACCENTUA TION [215]

gorodôv, s.-cr. gradôvâ. La généralisation au pluriel de l'oxy-tonaison du génitif en. -ov a été favorisée par les autres types flexionnels, et en particulier par le type neutre (r. mod. gorodâ, § 138) et son mouvement d'accent entre le singulier et le pluriel, r. slôvo, plur. slovâ (§ 222).

Dans les polysyllabes, oxytons et non oxytons, l 'accent est fixe, sauf pour les pluriels en -a qui, à la façon des neutres, opposent un accent initial au singulier et un accent final au pluriel : gôrod, plur. gorodâ, kôlokol « cloche », plur. kolokolâ.

Le russe offre un quatrième type d'accent des masculins, celui de zub «dent», gén. zûba, etc., nom.-acc. plur. zûby, mais gén. zubôv, loc. zubâx, etc. C'est celui des anciens mascu-lins en -i- et des quelques substantifs de la flexion dure qui ont subi leur influence. En effet, le type comprend surtout des mots de la flexion mouillée qui sont d'anciens thèmes en -i- ou des athématiques, comme gus' « oie », gén. gusja, gén. plur. guséj, lébed' « cygne », gén. lébed ja, gén. plur. lebedéj. Avec kâmen « pierre », du fait de son passage de gén. kâmenja à kâmnja (§ 185), l 'accent s'est compliqué : gén. plur. kamnéj et kâmnej, loc. kamjâx et kâmnjax, etc. Pour le petit type paroxyton de gvozd', gén. gvozdjâ, mais nom.-acc. plur. gvôzdi, et kon « cheval », konjâ, kôni, dont la contamina-tion est ancienne avec les thèmes en -i- (§ 172), voir § 218.

Ainsi, dans les thèmes masculins en -o-, les mouvements d'ac-cent qui apparaissent dans les langues slaves ne remontent pas à un état slave commun et sont secondaires, dus à la fusion avec les thèmes en -u- et en -i- ou à une imitation de l'accen-tuation des neutres. L'extension au pluriel de la mobilité d'accent des athématiques ne résulte en lituanien que d'une confusion des deux types oxyton et paroxyton, restés bien distincts en slave. L'accent était fixe en balto-slave, comme en sanskrit et en grec. Pour le jeu de la loi de Saussure, il ne s'exerçait qu'à l ' instrumental singulier, où il s'est maintenu

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[222] THÈMES NEUTRES. ' 347

en lituanien, mais a disparu en slave avec le remaniement de la désinence ; et au nominatif-accusatif duel, où le slave ne garde d'une accentuation restée régulière en lituanien que des vestiges qu'il faut chercher, non dans les accents rema-niés du slovène et du slovince, mais dans des formes isolées comme r. rogâ, pluriel de rog «corne», gén. rôga (§ 214).

La désinence -ëxu de locatif pluriel est longue en serbo-croate, comme étant d'intonation douce : dial. -ije(h), cak. -ïh. Elle est longue aussi en tchèque', -ich, v. tch. -iech, mais secondairement, puisque la flexion pronominale présente -ëch bref : elle est analogique en tchèque de -âch du type en -â-, et de -ych, -ich de la flexion contracte de l 'adjectif. Au datif pluriel, v. tch. -ôm, mod. -ùm, pol. dial. -ôm, mais -om en polonais commun, présente de même une longue analo-gique, prise au génitif pluriel v. tch. -ôv, mod. -ù, pol. -ôw ; de là, au féminin, -âm en vieux polonais, -çm en kachoube.

222. Thèmes neutres. •— Ici la comparaison avec le litua-nien fait défaut. Il y a en slave des oppositions d'accent caractéristiques entre singulier et pluriel, mais dans des conditions sensiblement différentes selon les langues.

Avec les thèmes en -o-, on a en russe un type paroxyton à accent fixe, rare avec des dissyllabes : gôrlo « gorge », plur. gôrla; un type oxyton à accent fixe, bozestvô «divinité», plur. bozeslvâ, sans dissyllabes anciens ; et deux types à accent mobile qui comprennent presque tous les dissyllabes et un certain nombre de polysyllabes : paroxyton slôvo « mot », plur. slovâ, zérkalo « miroir », plur. zerkalâ, et oxyton selô « village », plur. sëla. Dans ce dernier type oxyton, l'accent de recul représente un accent montant de métatonie (§ 102) : r. voloknô «fibre» (s.-cr, vlâkno), plur. volôkna; cet accent a été étendu à d'autres mots, comme resetô «crible», plur. resëla, et dans le type zérkalo à plur. ozëra pour ozerâ, de ôzero « lac ».

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348 L'ACCENTUA TION [ 2 1 5 ]

Le bulgare, avec une accentuation remaniée et des flotte-ments dialectaux, présente l'avancée d'accent au pluriel : mjàsto «lieu», plur. mestâ, ézero, plur. ezerd; mais non le recul : rebrô « côte », plur. rebrd.

En serbo-croate, l 'accent est fixe dans la majorité des paroxytons : slovo, plur. slôva, tîjelo «corps», plur. lïjela. Il est mobile dans certains seulement : brdo « mont », plur. brda, mêso « chair », plur. mésa (« fesses ») ; exceptionnelle-ment avec des polysyllabes : jëzero, plur. jezèra, jëstïvo, plur. jestiva « aliments ». Pour les oxytons, ils ont toujours l 'accent fixe dans le type à voyelle longue : krilo « aile », plur. krila ; et ordinairement dans le type à voyelle brève, cèlo « front », plur. cela, sauf quelques mots qui présentent l'accent de recul : sèlo, plur. sêla.

En cakavien, l'avancée d'accent n 'apparaît pas, semble-t-il, dans les dissyllabes : jâje « œuf », plur. jâja, offre une métato-nie qui suppose au pluriel un accent de recul sur un singulier *jâjë, s.-cr. jâje. Mais l'avancée d'accent avait existé, et jëlîto «boyau, boudin», plur. jelita, est du type de s.-cr. jëstïvo, plur. jestiva de *jestïvà, avec la complication secon-daire d'un recul de métatonie, comme dans r. ôzero, plur. ozëra. Au contraire, le recul de l'accent est régulier au pluriel dans les dissyllabes à voyelle brève : celô, plur. cela; et de même dans les dissyllabes et trisyllabes à voyelle longue, toujours avec l'accent de métatonie sur longue d'intonation douce, le même qu'au génitif pluriel : krïlô, plur. krila comme gén. kril, propêlô «crucifix», plur . propéla.

En slovène, on a l'avancée d'accent dans le type poljç « champ » = r. pôle, plur. pôlja= r. poljâ, et le recul dans le type sèlo= cak. seTô, plur. sçla— cak. sëla. Mais l'accent de plur. pôlja est l 'accent de métatonie de gén. plur• pôlj, et celui de plur. sçla est également celui de gén. plur. sfl. Dans le type léto «année, été», d'intonation rude, s.-cr. Ijëto, le pluriel lêta présente aussi l 'accent de métatonie du génitif pluriel têt.

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[222] THÈMES NEUTRES 349

Avec les: anciens types athématiques, l'accord est plus complet-entre les langues slaves. On trouve partout la même avancée de l 'accent sur la finale du pluriel dans les deux types r. imja « nom », gén. imeni, plur. imenâ, bulg. ime, plur. imenâ, s.-cr. ïme, gén. zmena, plur. imènà (cak. imenâ avec longue secondaire, § 148), slov. séme «semence», gén. sémena, plur. semÇna (usuellement sêmena avec la métatonie sur intonation rude de léto, plur. lêta) ; — et r. nébo, gén. néba, plur. nebesâ, bulg. eûdo, plur. ëudesâ, s.-cr. nêbo,, gén. nëba, plur. nebèsa (cak. nebesâ). Pour r. kolesô, plur. kolësa comme ozëra, et pour bulg. nebé, plur. nebesâ, voir § 192. Le slovène a effacé la différence, qui n 'étai t plus marquée que par des nuances d'intonation, entre le singulier à accent initial qui avançait d'une syllabe et le pluriel oxytoné dont l 'accent reculait d'une syllabe (§ 93) : okô= r. ôko, gén. oeçsa de *ôëese, et plur. ocçsa de *oëesâ. Le kachoube, qui perd l 'accentuation finale, a vâmiq « épaule », plur. ramiôna comme gén. ramiôn.

Dans le premier type, la désinence v. si. -g de nominatifs accusatif était sûrement d' intonation rude (§ 88, § 184), et elle devait attirer l'accent d'une initiale d'intonation douce. On a en effet s.-cr. vrijème «temps», gén. vrëmena (plur. vremèna), et slov. vréme de *vremé, gén. vretnçna de *vrémena, avec dérangement de l ' intonation qui est celle du pluriel, et au pluriel celle du génitif vremçn. Maisoce ;mouvement d'accent n'est qu'une survivance, qui disparaît ailleurs : s.-cr. dial. vrïjeme, cak. vrîme, qui ne conservent plus que l'oppo-sition de quantité entre la forme dissyllabique et les formés trisyllabiquès (§ 107), et r. vrémja, blanc-russe véreme, bulg: vréme. Le slovène atteste aussi pléme « race », gén. plemçna, de *plemé, *plémena, mais ici le serbo-croate a plême, comme r. plémja. Pour ukr . im'jâ « hom », gén. imeny, en face, de r. imja, etc., et de même slov. tmf, il S'agit sûrement d'une accentuation" secondaire, comme le montre le blanc-russe

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350 L'ACCENTUA TION [215]

jmjâ à côté de une : un i- initial inaccentué est prononcé /-après voyelle, ukr. idé «il vient » et ne jdé «il ne vient pas », et le pluriel imenà, jmenâ, a transmis au singulier un flotte-ment imja, jmjd.

Dans le type de v. si. otroce, gén. -cgfe, le -e- était sûrement d'intonation rude (§ 196) et att irait l 'accent d'une syllabe initiale d'intonation douce. On a donc régulièrement, avec accent fixe : bulg. lelé « veau », plur. teléta ; cak. telë, gén. telëta, plur. telëta, s.-cr. lèle, gén. lèlela (coll. tëldd, § 211), et cak. dïtë « enfant », gén. ditèta, s.-cr. dijète, gén. djèleta (coll. djèca) ; slov. téle, gén. telçta; — mais avec intonation rude initiale : bulg. dgne « agneau », jdre « chevreau », plur. dgneta, jdreta; s.-cr. jâgnje, jâre, gén. jâgnjeia, jâreta; slov. jdgnje, gén. jâgnjeia. Le russe, qui dans la flexion des neutres en -o-étend le mouvement d'accent de slôvo, plur. slovâ, à des subs-tantifs à intonation rude primitive, lélo «été», mésto «place», plur. letâ, mestâ, a généralisé l'accent du type à intonation douce : (jagnënok), plur. jagnjâta comme teljâla, et au singu-lier ukr. jahnjâ, gén. jahnjâty. Le kachoube, perdant en partie l 'accentuation finale (§ 93), a confondu les deux types jâgniq et célq de *celç, avec même accent dans la flexion, au singulier gén. célqca, célaca, etc., au pluriel celçta, etc., mais gén. célqt à côté de celg-t.

Tandis que le russe et le kachoube uniformisaient l'accen-tuation, le serbo-croate l'a compliquée en développant un type nouveau à accent initial sur longue, limité à quelques mots : prâse «goret», gén. prâseta, zdrljebe « poulain », gén. zdrebeta, et cak. zdrîbe, gén. zdrïbeta. On trouve de même slov. prasè, prasç, gén. prasçta, zrébë, zrebç, gén. zrébçla; mais le bulgare a prasé, z(d)rebé> plur. praséta, z(d)rebéta. C'est une variété secondaire du type d'intonation douce sur longue (lit. parsas «goret») de s.-cr. jûne «bouvillon», gén. jùneta, avec substitution à l 'accent ancien d'un accent nouveau de dérivation. S.-cr. prâse est en regard de prâsac « porc »,

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[222] THÈMES N E U T R E S . ' 351

zdrïjebe de zdrijèbac « étalon », et ces dérivés oxytons en -ac se tirent de paroxytons, brâvac « verrat » de brâv « petit bétail», le singulatif (§ 212) dial. zvijèrac «une bête fauve» de zvïjer. Le slovène a brdvec et brâv, et sur brâv a fait *brâve, bravé.

Ces mouvements d'accent dans les neutres entre singulier et pluriel pourraient conserver quelque chose de l'indépen-dance ancienne du pluriel neutre en '*-â, qui était un collectif avec son accent propre, ainsi gr. pfjpoc en regard de sing. ixnpôs «cuisse» (§ 99). Mais les très rares exemples qu'on peut alléguer de cette indépendance primitive doivent peut-être s'expliquer autrement, et le fait sûr est que l'accent est fixe entre le singulier et le pluriel en grec et en sanskrit. Les jeux d'accent du slave représentent donc des innovations.

Pour l'avancée d'accent, on retrouve aisément, à travers les divergences des langues slaves, une différence primitive entre le type d'intonation rude v. si. grulo, s.-cr. grlo, slov: grlo, lit. gurklys, acc. gùrkli, à accent fixe, et le type d'into-nation douce v. si. mçso, s. -cr. mêso, slov. mesô, lette miesa, à pluriel oxytoné. Ainsi l 'avancée d'accent au nominatif-accusatif pluriel des dissyllabes en -o- est due à la loi de Saussure. Aux autres cas, c'est le mouvement d'accent pris au type athématique : on a eu, de sing. *plémen-, gén. plur. *plemenu, etc., comme en lituanien, dans les masculins, gén. plur. akmen%, etc. Le nominatif-accusatif pluriel devait être *plémeni comme en lituanien nom. àkmens, acc. âkmenis, et il a été remplacé par plemenâ avec l'extension de la dési-nence -a du type en -o- (§ 179). Car l 'accent plemenâ ne s'ex-plique pas par la loi de Saussure, qui ne joue qu'entre une syllabe et la syllabe immédiatement suivante (§ 99), et il est analogique. C'est ainsi, par cette interaction des athéma-tiques et des thèmes en -o-, q.ue l 'oxytonaison a été généralisée dans tout le pluriel, avec extension à des polysyllabes en -o-,

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352 L'ACCENTUA TION [215]

et aussi aux athématiques à initiale d'intonation rude comme *semg, s.-cr. sjëme, slov. séme, plur. *sëmenâ, qui restaient d'accent fixe d'après lit. mënuo, gén. plur. mënesi%

Pour l'accent de recul, les conditions sont différentes. Il n'est pas général dans les langues slaves, et il donne un accent non sur l'initiale, mais sur la pénultième, qui est l 'accent de métatonie du génitif pluriel. II ne saurait être ancien, puisqu'au nominatif-accusatif pluriel il est contraire à la loi de Saussure. Il faut donc supposer, comme pour le type féminin kolbasâ, plur. kolbâsy, du russe, et tout son type travà, plur. trâvy, une généralisation au pluriel de l 'accent du génitif. La dési-nence courte du génitif pluriel devenait une caractéristique du neutre, par opposition au masculin qui développait des désinences plus pleines, -ov, r. -ej, ordinairement accentuées ; et l'extension de son accent de recul aux autres cas du pluriel rapprochait les neutres des féminins, où le mouvement d'ac-cent entre singulier et pluriel est fréquent.

La comparaison avec le baltique, où les neutres ont donné des masculins ou des féminins (§ 125), est extrêmement réduite. On a dans v. pr. merisâ « viande », avec une longue qui indique que la finale était accentuée (§ 107), le corres-pondant de r. mjasâ, s.-cr. mésa, pluriels de r. mjâso, s.-cr. mêso, avec le mouvement d'accent de la loi de Saussure. Pour la flexion, lit. mèsà, acc. mësq, du type oxyton de mergà, est un emprunt au slave qui ne prouve rien. Au contraire, lit. slâyos « traîneau », pluriel féminin qui continue un pluriel neutre, a l'accent du type paroxyton de rankà, plur. rankos, et c'est variai « porte », pluriel masculin, qui répond à l 'oxyton r. voroiâ (secondairement vorôla), s.-cr. vrâla. Ceci montre que les cas obliques de l'ancien neutre pluriel, v. pr. warto, étaient paroxytons, et permet de restituer pour le lituanien une accentuation *vartà, gén. varl%, etc. Il apparaît ainsi que dans les paroxytons en -o- le baltique ne connaissait l 'avancée

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[223]' RECUL DE L'ACCENT SUR PRÉPOSITION 353

d'accent qu'au nominatif-accusatif pluriel : l 'extensionaux cas obliques de l'oxytonaison des athématiques serait une innova-tion du slave. Pour le recul d'accent, ce n'est sûrement qu'un développement parallèle et tardif de quelques langues slaves.

On voit par le cas des neutres' qu'il serait imprudent de faire remonter au balto-slave tous les mouvements d'accent du slave, même les plus frappants. D'autres mouvements d'accent qui coïncident en lituanien et en slave peuvent n'être que les résultats de tendances communes initiales à développer la mobilité d'une par t des athématiques, de l 'autre de la loi de Saussure. La similitude des systèmes d'accentuation du lituanien et des langues slaves, même en partie nouvelle, n'en suppose pas moins une identité de base ; et les divergences, qui sont nombreuses aussi, laissent reconnaître que cet état originel balto-slave présentait ses traits spéciaux et de fortes innovations, mais était bien moins éloigné de l 'état assez simple de l'indo-européen que ne le sont les accentuations compliquées des lahgues modernes.

223. Recul de l'accent sur préposition. — Le lituanien connaît le recul d'accent sur le préverbe et le préfixe nominal (§92), mais non sur la préposition. Le mot lituanien et lette est très différent du mot russe à accent d'intensité unique, moins du mot tchèque ou serbo-croate où la quantité, autre forme de l'intensité, existe à par t de l'accent. Il connaît, à côté du sommet d'intensité dominante, des sommets d'inten-sité moindre, et un mot comme lit. kùnigas « prêtre » sera noté par un phonéticien 'kùnlgàs, avec des intonations plus ou moins sensibles en dehors de l'accent, et qui le sont nette-ment en lette. Dans le groupe de la préposition et du nom, la préposition porte en lituanien un accent secondaire, mais l'accent principal est sur le nom : prié rankos « par la main ». En lette, où l'accent (initial) est régulier sur le préverbe, la préposition est toujours inaccentuée.

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354 L'ACCENTUA TION [215]

En slave, dans les types à accent mobile, le recul de l'accent de la finale sur l'initiale du mot a été étendu à l'initiale du mot phonétique qu'est le groupe de la préposition et du nom. Le fait n 'apparaît en russe que dans des locutions très usuelles et semi-adverbiales, mais très nombreuses, surtout dans la langue populaire : fém. nâ goru «sur la montagne », de gorâ, acc. goru ; nà golovu « sur la tête » et nâgolovu « à plate couture », de golovd, acc. golovu; •—• zd noc' « durant la nuit », de noc , gén. nôci, loc. v noëi, gén. plur. noëéj ; béz vesti « sans nouvelle, sans laisser de trace », de vest', gén. plur. vestéj ; prl smerti «près de la mort», de smerl', gén. plur. smerléj; — masc. pôd nos, pôd nosom « sous le nez », de nos, gén. nôsa, loc. na nosû, plur. nosy ; ôt rodu, ôtrodu «depuis la naissance», de rod, gén. rôda, loc. na rodu « à la naissance » ; riâvecer, pôdvecer « au soir », de vécer, loc. vveceru; — neutres nâ slovo «sur parole», de slôvo, plur. slovâ; pô nebu, nâ nebe « au ciel », de nébo, plur. nebesâ ; pô uxu « sur l'oreille », pô usi « par-dessus les oreilles », de uxo, plur. usi, gén. usé}. Il est visible que le russe a restreint un mouvement d'accent qui avait été de grande extension.

On retrouve ce mouvement d'accent en bulgare, dans des formes adverbiales : nâdvecer, privecer « vers le soir », nâ dni « à certains jours, tantô t », nâdvor « dehors » ; et en kachoube septentrional : dô wieczora, nâ dwor. Le slovène, avec ses mouvements d'accent compliqués (§ 93), en a tiré une into-nation descendante initiale après préposition : fém.' glâva= cak. glâvâ, acc. glav§= s.-cr. glâvu, et na glâvo = s.-cr. nâ glâvu ; — nôc, gén. nocî = s.-cr. nôci, et do nôci = s.-cr. dô noci ; jesçn « automne » = s.-cr. jësên, et na jçsen — s.-cr. nâ jesën; — masc. vecçr, et na vÇcer; — neutre uhô = cak. ûho, et v ûho « à l'oreille », cf. s.-cr. nâuhç.

Mais c'est surtout en serbo-croate que ce recul de l'accent est développé. Il y est régulier en principe avec les féminins des types glâva, acc. glâvu]|plur. glâve, et masc. slûga «serviteur »

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[223] RECUL DE L'ACCENT SUR PRÉPOSITION 355

(acc. slugu), plur. slûge, noga, acc. nôgu, planina, acc. plâninu: glâvu, zà slûge, nâ noge, nïz planinu « en descendant de la

montagne » ; — avec les féminins des types mâsl « graisse », loc. mâsti, kôst, gén. kôsti, pâmët « mémoire, raison », loc. paméti, râdôst « joie », gén. ràdosti : nà mâst, ôd kosti, bëz pamêti, ôd radosti ; —- avec les masculins des types grâd, loc. grâdu, Bôg, gén. Bôga, mjësêc, loc. .mjesécu, kàmën, loc. kamènu : îz_ grâda, prëd Boga, nâ mjesêc, ôd kamena ; — avec les neutres des types mëso, plur. mësa, brdo, pluriel brda: bëz mësa, uz brdo « en amont ». On observe une extension à des neutres du type à accent fixe, comme Ijëto, plur. Ijëta : nâ Ijeto. Le recul a lieu également sur l'initiale des prépositions qui sont ou deviennent dissyllabiques : mïmo grâd « en longeant la ville », ïspod leda « de sous la glace », prëko Ijeta « dans le cours de l'été », krôza zemlju « à travers la terre », avec la forme kroza de kroz pour la commodité de la prononciation devant z- (§ 59). On peut même le trouver avec des préposi-tions trissyllabiques : ôkolo grâda « autour de la ville », ïzmeâu pûka « d'entre le peuple ».

E t le serbo-croate présente un autre recul d'accent Sur la préposition, celui qui a déplacé tout accent descendant en le transformant en accent montant sur la syllabe précédente (§ 93) : crkva « église » et Iz crkvë « de l'église », kuca « maison » et ôd kucê « de la maison », brât « frère », et isprëd brata « de devant le frère ». Ce recul est également usuel et, en principe, ne se confond pas avec l 'autre : c'est qu'il représente une nécessité phonétique, et iz crkvë n'est que la façon de pro-noncer iz crkvë dans une langue qui n 'a plus d'accent descen-dant à l'intérieur des mots. C'est un fait notable que la coexistence de ces deux types de recul de l'accent sur là préposition, l 'un morphologique et l 'autre phonétique, qui jouent de façon régulière ét avec très peu de flottements dans les régions de bon accent. Il n'en est pas par tout de même, on s'en doute, mais la norme reste claire.

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356 L'ACCENTUAT ION [224]

224. La quantité. — Le slave, comme le baltique, a éliminé dans la flexion des noms les alternances vocaliques de l'indo-européen, dont les vestiges sont encore reconnaissables en balto-slave (§ 175). Ce qu'il en conserve, v. si. nebo, gén. nebese, kamy, gén. kamene, et imç, gén. imene, comme lit. akmuô, acc. âkmeni, etc., n'intéresse que les désinences qui ne sont plus analysables. Mais le slave, à la différence du lituanien, a largement développé des oppositions nouvelles de quantité. Elles résultent d'allongements et d'abrègements et de faits de métatonie, qui sont tous récents, de la fin du slave commun pour les plus anciens, et qui représen-tent surtout des innovations parallèles des langues slaves.

Tchèque. —• Le tchèque, dans la flexion des masculins, offre avec un nombre limité de mots un allongement au nominatif singulier : prâh « seuil », gén. prahu, dvûr « cour », gén. dvora, chléb « pain », gén. chleba, vttr « vent », gén. uëtru, etc. La quantité est tellement remaniée en tchèque que l'origine du fait n'est pas claire. La comparaison avec le serbo-croate indiquerait un allongement en syllabe fermée (§ 106) : Buh, gén. Boha, comme s.-cr. Bôg, gén. Bôga. Mais il n 'apparaî t en serbo-croate qu'avec des paroxytons à voyelle brève ancienne, tandis qu'on le trouve en tchèque aussi bien avec d'anciens oxytons et avec d'anciennes voyelles longues. On voit què des oxytons comme r. kut «coin», gén. kutâ, cak. kût, kûtà, korôl' « roi », gén. koroljâ, cak. krâlj, krdljâ, ont donné au nominatif singulier un accent de métatonie sur longue d'into-nation douce {§ 102), kout, krâl, que le tchèque a généralisé dans toute la flexion : gén. koula (koutu), krâle. Il serait possible que la longue du type Bâh ait son point de départ dans une extension de cette longue de métatonie aux oxytons à voyelle brève comme dvûr, kun (gén. konë), r. dvor, kon', gén. dvorâ, konjâ, cak. dvôr, kônj, gén. dvorâ, konjà.

Au génitif pluriel, les allongements attendus, et conservés

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[224] LA QUANTITÉ • 357

dans les féminins, ont disparu dans les masculins avec la généralisation de la.désinence -ôv, mod. -û, et le vieux tchèque n'en garde que des traces. La plus nette est cas «temps», gén. plur. cas, où la longue du génitif pluriel, comme la brève des autres cas, est exactement contraire à ce qu'on at tendrait dans un ancien paroxyton d'intonation rude, cak. cas, gén. plur. cas. Pour la désinence -ôv, sa longue ne peut s'expliquer, Comme peut-être celle du type nom., sing. dvùr, que par une extension secondaire de la longue de métatonie (§ 104), devenue caractéristique du génitif pluriel. ,. De peniz «pièce de monnaie», v. tch . peniez, plur. penize

« argent », dont l'initiale a été refaite sur l'allemand phenning pour pënçdzï du vieux slave (§ 65), les cas obliques du pluriel ont un -ë- bref : gén. penëz, dat. penëzùm, etc. Ce sont les formes en -i- qui font difficulté, car un mot à accent initial, s.-cr. pjënëz, ne gardait pas phonétiquement sa longue post-tonique, qui s'abrégeait en tchèque comme toutes les longues inaccentuées. On attend -ë- comme dans vilëz «vainqueur», s,-cr. vïtëz « chevalier », mais on trouve aussi -i- dans mësic « mois », s.-cr. mjësëc, zajic « lièvre », r. zâjac. Il y a conser-vation régulière de -ë- dans gén. plur. penëz, etc., et pour les formes en -i- on doit supposer le jeu de l 'alternance snih « neige », gén. snëhu, au nominatif-accusatif singulier, avec généralisation partielle du thème de peniz, complète avec mësic, zajic, comme dans le cas de kout, krâl.

l in abrègement de trisyllabe dans des pluriels en -ov-comme dëdovë peut expliquer la brève du singulier dëd (§ 107), Mais on voit combien hypothétique est l'histoire des faits de quantité en tchèque.

Les alternances de quantité sont plus claires dans les féminins en -â-. Un certain nombre de dissyllabes à voyelle longue présentent une brève d'une par t à l ' instrumental sin-gulier, d 'autre par t aux cas obliques du plûriel : ainsi jâma « fossé », mais instr. jamou, nom.-acc. plur. jâmy, mais gén.

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358 L'ACCENTUA TION [215]

jam, loc. jamâch, dat. jamâm, instr. jamami; sila «force», instr. silou, gén. plur. sil, etc. ; vira « foi » (v. tch. viera), vërou, vër, etc. ; strouha « canal », struhou, struh, etc. De même avec des féminins du type mouillé comme koule « boule », instr. kuli dé -Vu, gén. plur. kuli, loc. kulich, etc. ; kûze « peau », kozi, etc. Avec d'autres mots, l 'abrègement n'a lieu qu'au génitif pluriel : bida « misère », bëd, chvile « moment », chvil. Le tchèque parlé ne le maintient guère qu'au génitif pluriel, et seulement dans le type dur. Il s'agit, pour l ' instrumental singulier et pluriel, d 'un abrègement de trisyllabe ; pour le génitif pluriel, d 'un accent de métatonie sur longue d'into-nation rude {§ 103), donnant une brève qui a été étendue aux autres cas obliques.

Le vieux tchèque offrait inversement un allongement au génitif pluriel de thèmes à voyelle brève : strana « côté », gén. plur. slrân. C'était l 'accent de métatonie sur longue ancienne d'intonation douce, et il a été transporté sur brève ancienne : voda, gén. plur. vôd. Cet allongement se conserve dialectalement en tchèque. En slovaque, il a été généralisé comme caractéristique du génitif pluriel des féminins : ryba « poisson », stopa « trace de pas », mreza « grille », gén. plur. rijb, stôp, mriez ; avec f et l voyelles : s ma « chevrette », slza «larme», gén. plur. srn, slz (§ 74) ; dans les polysyllabes : ulica « rue », kosel'a « chemise », gén. plur. ulic, kosieV ; et sur les diverses voyelles mobiles du slovaque (§ 60) : hudba « musique », jamka « fossette », sestra « sœur », gén. plur. hudieb, jamôk, seslâr.

La distinction des deux types krâva «vache», gén. plur. krav, ancien paroxyton d'intonation rude, r. korôva, cak. krâva, gén. plur. krâv, et strana, gén. plur. slrân, ancien oxyton d'intonation douce, r. storonâ, acc. stôronu, cak. strânà, gén. plur. slrân, est déjà brouillée en vieux tchèque. Dans les dialectes modernes, les flottements de quantité sont nombreux.

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[224] LA QUANTITÉ • 359

Avec les neutres, les alternances anciennes de quantité sont complètement effacées en tchèque parlé. Le tchèque litté-raire conserve quelques abrègements au génitif pluriel, très rares, comme déjà en vieux tchèque : ainsi dilo « oeuvre », gén. plur. dël, dans un ancien paroxyton d'intonation rude, cak. dëlo, gén. plur. dël. Le mot léto « été » présente l'abrège-ment à tous les * cas obliques du pluriel : gén. let, et loc. leteeh, etc. ; la langue courante a leto, avec la brève dans toute la flexion, mais en face de dial. lito. Ceci indique que le tchèque avait connu l'opposition d'accent entre le singulier et le pluriel, sous la forme d'un accent de métatonie au pluriel, comme dans le slovène léto, plur. lêta (§103) . En effet, il distingue dilo « œuvre ,» et dëlo « canon », qui est tiré du pluriel au sens d'« ouvrages (militaires), machines de siège». Le polonais distingue de même dzielo « œuvre » et dzialo « canon », mais par un autre moyen, et ce n'est pas en polonais une question d'intonation : l 'abstrait dzielo a été refait sur le thème dzie- de verbe dziac, dziejac « œuvrer », prés, dziejç (mod. dziac « tisser », dziac sic « avoir lieu »). Le vieux tchèque connaissait aussi, comme dans les féminins, l'allongement au génitif pluriel avec des neutres d'intonation douce : vrata' « grand' porte », gén. vrdt, kolo « roue », gén. plur. kôl, kuol. Cet allongement subsiste dialectalement en tchèque, et il a été généralisé en slovaque : mesto « lieu », srdce «cœur», uciliste « école », sedlo « selle », gén. plur. miesl, srdc, ucillst', sedâl, et jahna «agneau», plur. jahnatd, gén. jahniai (§ 195).

Dans les thèmes en -i-, un allongement au nominatif-accusatif singulier, du type masculin de dvur, gén. dvora, est rare : sûl « sel », gén. soli. Le vieux tchèque atteste dans quelques mots un abrègement aux cas obliques du pluriel : sdni « traîneau », gén. sanl, pied « empan », gén. plur. pëdi. Ces mots sont d'intonation douce dans les autres langues : s.-cr. pêd, gén. pêdi, slov. pêd, gén. pedî, et plur. sanî. Le tchèque doit conserver la trace de la mobilité de l 'accent dans

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360 L'ACCENTUA TION [215]

les thèmes en -i-, avec une métatonie sur longue d'intonation douce au singulier, et au nominatif-accusatif pluriel qui étaient paroxytons, mais sans métatonie aux cas obliques, du pluriel qui étaient oxytons, cf. s.-cr. pédî, pédima. Le tchèque moderne a généralisé la forme longue pid\ slovaque piad', mais le tchèque littéraire garde une alternance de quantité sânë (à côté de sanë), gén. sani, avec passage au type féminin en -ë de koule, gén. plur. kuli.

Dans les anciens athématiques, on trouve des. alternances de quantité par abrègement dans les formes trissyllabiques : masc. kâmen, gén. kamene ; neutre brimé « fardeau », gén. bremene, mais en tchèque parlé bremeno, gén. -na (§ 207) ; fém. mâti, gén. matere, mais en tchèque parlé gén. mâti (§ 199), et lâhev «bouteille», instr. sing. lahvi, et gén. plur. lahvi, etc. aux cas obliques du pluriel, mais le mot a disparu en tchèque parlé.

Polonais. — Le polonais, où les différences de quantité se continuent par des différences de timbre, atteste dans l'en-semble un état semblable à celui du tchèque. Dans les mas-culins, il a les types dwôr « manoir », gén. dworu, zqb « dent », gén. zeba, golqb « pigeon », gén. golçbia, de façon plus étendue et plus régulière qu'en tchèque, mais seulement devant sonore ; un génitif pluriel en -ôw ; un type kqt, gén. kqta, d'anciens oxytons à longue de métatonie généralisée ; un type pieniqdz avec conservation de la brève ancienne dans quelques formes du pluriel : gén. sing. pieniqdza, etc., mais gén. plur. pieniçdzy, instr. pieniçdzmi, et miesiqc, gén. sing. miesiqca, etc., mais gén. plur. rniesieaj. Dans les féminins en -i- : soi, gén. soli, glqb « profondeur », gén. glçbi, galqz « branche », gén. galçzi, et u n doublet piqdz et piçdz répond à l 'alternance du vieux tchèque pied, gén. plur. pëdi. Dans les féminins en -a: glowa « tête », gén. plur. glôw, osoba « personne », gén. plur. osôb, ksiega « livre », gén. plur. ksiqg. Dans les neutres :

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[224] LA QUANTITÉ • 361

kolo, gén. plur. kôi, miçso « viande », gén. plur. miqs, et le type cielç « veau », plur. cielçta, gén. cielqt.

Serbo-croale. — En serbo-croate, l 'allongement est régulier, devant sourde comme devant sonore, au nominatif singulier du type masculin brôd (et cak. brôd), gén. broda, rôk «terme», gén. rôka, et du type féminin kôst, gén. kôsli. On le trouve aussi dans une partie des polysyllabes masculins à accent initial : cèkôt « cep », gén. côkota, mais surtout avec des thèmes terminés par sonante : gôvôr « parole », gén. gôvora ; et dans tous les féminins à suffixe -ôst : blâgost « bonté », gén. blâgosti. Il apparaît également à l ' instrumental singulier des féminins en -i- : kôscu de kôstju, v. si. kostïjç, où la chute du jer a trans-formé comme au nominatif-accusatif la syllabe précédente en syllabe fermée.

Un autre allongement a lieu en serbo-croate devant sonante (§ 106), mais jplus récent puisqu'il donne un autre accent long en cakavien : tânac « danse », gén. lânca, cak. tânca, lÔnac « pot », gén. lônça, cak. lonàc, lôncâ, màgarac « âne », gén. màgârca, cak. magàrac, magârca. Dans les fémi-nins en -a et les neutres, la brève primitive ne réapparaît qu'au génitif pluriel : dôjka «mamelle», gén. plur. dôjâkâ, sûnce «soleil» (cak. sânce), gén. plur. sunâcà.

Les abrègements dans les formes trisyllabiques sont fré-quents : type grdd, plur. grâdovi, lâkal « coude », plur. lâklovi, d'où par extension vllëz « chevalier », gén. vïtëza, mais plur. vïtezovi; type grdna « branche », loc.-dat.-instr. plur. grànama, et rûka «main», sluga «serviteur», gén. plur. rùkû, slùgâ (§ 214), comme loc.-dat.-instr. rùkama, slùgama; types

1 dijèle « enfant », gén. djèleta, cak. dïlë, dilëta, et prose « goret », gén. pràseta ( § 222) ; isolément vrijème « temps », gén. v re-mena, cak. vrîme, vrîmena.

Au génitif pluriel, l 'accent de métatonie sur intonation rude créait une opposition typique de quantité dans plusieurs

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362 L'A CCEN T UA TJON [224]

catégories : cak. càs «moment», gén. plur. cas, s.-cr. câsâ, susëd «voisin», gén. plur. susêd, s.-cr. sûsjêdâ, kràva «vache », gén. plur. krâv, s.-cr. krâvâ, besëda « discours », gén. plur. besêd, dëlo « oeuvre », gén. plur. dêl, s.-cr. djêlâ, korïto « auge », gén. plur. korît, ielë « veau », gén. telëta, gén. plur. telêt. Pour les mots à longue d'intonation douce, paroxytons ou oxytons, ils gardaient leur longue avec une intonation nouvelle de métatonie : cak. vlâs «cheveu», gén. plur. vlâs(îh), brést «orme», gén. brëstà, gén. plur. brést(ïh), brada «barbe», gén. plur. brâd, krïlô « aile », gén. plur. kril. Cette longue du génitif pluriel, prenant dans une partie des cas l'aspect d 'un allongement, a été généralisée en serbo-croate : avec voyelle brève ancienne cak. kozà « chèvre », gén. plur. kôz (s.-cr. kôzâ d'après loc.-dat.-instr. kozama), selô « village », plur. sëla, gén. sêl, s.-cr. sêlâ; avec a mobile olâc « père », gén. ocâ, gén. plur. olâc et olâc (s.-cr. olâcâ), guska «oie», gén. plur. gïisâk, s.-cr. gusâkâ, sedlô « selle », plur. sëdla, gén. sëdâl, s.-cr. sëdâlâ (et sedâlâ) ; avec l'élargissement -ou-, s.-cr. prâg, grâd, plur. prâgovi, grâdovi, gén. prâgôvâ, gradôvâ (§219) ; etc. Le détail de l 'accentuation du génitif pluriel est compliqué et non sans flottements, mais simple pour la quantité : en cakavien, la finale en est toujours longue ; en serbo-croate, les désinences de génitif pluriel sont -ï, rarement -û (§ 214), le plus souvent -â d'extension nouvelle (§ 144), et toutes les formes en -â présentent deux longues finales, celle de la dési-nence et celle de la syllabe antérieure : ainsi upràvitelj « direc-teur » (russisme), gén. plur. upràvitëljâ.

En slovène, où la longueur n 'apparaî t que sous l'accent, et où la syllabe accentuée est le plus souvent longue, les alter-nances de quantité sont commandées par les mouvements d'accent, qui sont complexes. .