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Gilgamesh adaptation de Léo Scheer Livret pédagogique correspondant au livre élève n° 83 établi par Isabelle de Lisle, agrégée de Lettres modernes, professeur en collège et en lycée

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Gilgamesh

adaptation de Léo Scheer

L i v r e t p é d a g o g i q u e correspondant au livre élève n° 83

établi par Isabelle de Lisle,

agrégée de Lettres modernes, professeur en collège et en lycée

Sommaire – 2

S O M M A I R E

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3  Tablettes I et II (pp. 7 à 21) .................................................................................................................................................................... 3  Tablettes III à V (pp. 27 à 39) ................................................................................................................................................................. 7  Tablette VI (pp. 43 à 48) ...................................................................................................................................................................... 11  Tablettes VII et VIII (pp. 52 à 61) ......................................................................................................................................................... 15  Tablettes IX à XI (pp. 66 à 88) .............................................................................................................................................................. 19  Retour sur l’œuvre (pp. 93-94) ............................................................................................................................................................ 23  

P R O P O S I T I O N D E S É Q U E N C E D I D A C T I Q U E . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 5  

E X P L O I T A T I O N D U G R O U P E M E N T D E T E X T E S . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 6  

P I S T E S D E R E C H E R C H E S D O C U M E N T A I R E S . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 7  

B I B L I O G R A P H I E C O M P L É M E N T A I R E . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 8  

Tous droits de traduction, de représentation et d’adaptation réservés pour tous pays. © Hachette Livre, 2012. 43, quai de Grenelle, 75905 Paris Cedex 15. www.hachette-education.com

Gilgamesh – 3

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

T a b l e t t e s I e t I I ( p p . 7 à 2 1 )

Avez-vous bien lu ? u a) Le père des dieux : Anu (dieu). b) La créatrice de l’humanité : Aruru la Sublime (déesse). c) Le père de Gilgamesh : Lugalbanda (homme). d) La mère de Gilgamesh : Ninsuna la Bufflesse (déesse). e) Personnage créé pour rivaliser avec Gilgamesh : Enkidu (homme). f) Courtisane envoyée pour séduire Enkidu : La Joyeuse (femme). g) Roi tyrannique d’Uruk : Gilgamesh (homme). v Ces événements s’enchaînent de la façon suivante : i), b), f), e), a), d), j), c), h), g). w Avant d’entrer dans le monde des hommes, Enkidu vivait avec les animaux et se nourrissait comme eux : « Il vivait à l’état sauvage, en compagnie des gazelles, et broutait les feuillages. » x La courtisane La Joyeuse est le premier être humain que rencontre Enkidu, ce dernier n’ayant pas vu le chasseur qui l’observait. y Les hommes se plaignent de Gilgamesh car il se comporte en maître abusif et dispose à sa guise des fils et des filles des habitants d’Uruk : « Gilgamesh ne laisse pas un fils à son père », « Gilgamesh ne laisse pas une adolescente à sa mère ». Ses abus sont sans limites : « Il est insatiable. » U Le chasseur se plaint du géant Enkidu parce que ce dernier arrache les pièges posés et l’empêche de chasser dans la plaine. À sa manière et comme Gilgamesh, Enkidu exerce un pouvoir abusif.

L’ouverture du récit épique V La phrase où apparaît pour la première fois le nom de Gilgamesh est : « Tel était Gilgamesh, fils de Lugalbanda et de Ninsuna la Bufflesse, être éblouissant à la force supérieure. » Dans cette phrase, on apprend le nom des parents de Gilgamesh et donc son origine semi-divine (un roi et une déesse). Il est également, en accord avec cette généalogie, présenté comme un personnage hors du commun : c’est ce qu’expriment les adjectifs qualificatifs « éblouissant » et « supérieure ». W Gilgamesh est d’abord désigné par huit pronoms : – « celui » : pronom démonstratif ; – « qui » : pronom relatif ; – « il » : pronom personnel (6 fois). À l’exception du démonstratif « celui » qui complète le présentatif « voici », tous ces pronoms sont sujets – ce qui montre la position dominante du personnage désigné. L’accumulation des pronoms en tête du récit, avant même que le personnage ne soit nommé, crée un effet d’attente qui contribue à mettre en valeur le héros de l’histoire. X Les deux adjectifs qualificatifs sont « puissante » et « violent ». Leurs fonctions respectives sont : – « puissante » : épithète du nom « digue » ; – « violent » : épithète du nom « raz-de-marée ». Ces deux adjectifs expriment la force extraordinaire du personnage mais ils diffèrent, le premier évoquant une force positive et le second suggérant, au contraire, la destruction. at Les deux verbes au participe présent sont « gardant » et « détruisant ». Le premier exprime une action positive, puisqu’il s’agit de protéger, alors que le second est négatif. Ces deux participes, comme les deux adjectifs relevés dans la réponse précédente, montrent l’ambivalence du personnage. Sa force est utilisée tantôt dans l’intérêt de sa cité, tantôt à des fins personnelles qui nuisent aux autres. ak Le passé composé domine dans le passage ; c’est un temps qui marque une antériorité par rapport au présent de l’écriture et qui convient tout particulièrement pour une introduction. On retrouve ici la dimension orale qui a dû précéder la forme écrite du texte, car on croit entendre un conteur amener son récit.

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L’élément perturbateur al Le premier verbe au passé simple est « abusa ». Après une succession de verbes au passé composé qui annoncent le personnage et quelques imparfaits qui installent une situation initiale stable, le passé simple inaugure le récit proprement dit en présentant une action définie dans le temps. am Le passé simple du verbe abuser introduit une rupture dans une situation stable. Par ailleurs, le sens du verbe (le préfixe latin) suppose un excès, un désordre. On devine que, par la suite, les péripéties vont tendre à gommer cet excès et cette rupture pour établir un nouvel équilibre.

Des actions héroïques an Deux raisons expliquent le combat qu’Enkidu engage contre Gilgamesh. D’abord, ayant appris l’usage mis en place par le roi d’Uruk, Enkidu veut empêcher ce dernier de profiter de la jeune mariée : « Au moment où le souverain voulut se rendre à la cérémonie de noce, Enkidu s’immobilisa dans la rue et lui barra la route. De toutes ses forces, il […] empêcha le souverain d’entrer. » Gilgamesh expliquera de cette façon l’agression d’Enkidu en disant à Ninsuna la Bufflesse : « Il s’est plaint, avec aigreur, de ma conduite. » La seconde raison est insufflée par La Joyeuse (« allons retrouver Gilgamesh en personne »), la courtisane au service de la stratégie des dieux. Rappelons, en effet, qu’Enkidu a été créé pour affronter Gilgamesh afin de limiter ses abus. C’est ce qui se passe ici. Le projet d’Enkidu en se rendant à Uruk est d’affirmer sa puissance. Il l’exprime en des termes sans ambiguïté : « Je me mesurerai à lui. La lutte sera sans doute sévère, mais je le vaincrai et pourrai proclamer dans tout Uruk : “Le plus puissant, c’est moi !” » Cette affirmation de soi est un écho à la phrase de Gilgamesh au tout début de l’épopée : « Le roi c’est moi. Je suis l’Unique ! » ao Humbaba est le gardien de la forêt de Cèdres, un « lieu mystérieux interdit aux humains ». C’est une créature surhumaine, un « ogre » nous dit le texte ou encore un « monstre ». Enkidu souligne la force du personnage et le danger qu’il représente en recourant à des comparaisons qui ont force de définitions : « Lorsqu’il hurle, c’est le Déluge ! Sa bouche, c’est le feu ! Son souffle, c’est la mort ! » La destruction et la mort sont associées à ce monstre : « féroce », « funeste », « Déluge », « feu », « mort ». ap Humbaba lui-même est la principale difficulté de l’entreprise que Gilgamesh propose à son ami. C’est un monstre qui répand la mort et il est sans doute très difficile de le « ray[er] de la surface de la Terre », comme le souhaiterait le souverain d’Uruk. Mais d’autres difficultés viennent s’ajouter à celle que représente l’ogre. En effet, d’une part, la forêt de Cèdres est un lieu divin « interdit aux hommes » et, d’autre part, son périmètre « s’étend sur près de six cents kilomètres ». aq Gilgamesh veut affronter le géant Humbaba pour redonner de l’énergie à son ami Enkidu : « Gilgamesh tenta de lui redonner des forces en lui proposant de réaliser ensemble un exploit. » Le mot « ensemble » exprime aussi une autre face de ce projet : il s’agit de donner un sens à leur amitié en partageant une expédition commune. Lorsqu’il présente son projet, il lui donne un sens un peu différent : abattre « cet être funeste ». Ce qui est en fait un projet fédérateur prend la forme d’une mission au service des hommes. Mais le récit ne montre pas en quoi Humbaba est « funeste », lui qui ne quitte jamais sa forêt dans laquelle les hommes ne s’aventurent pas. Ce passage présente une réflexion intéressante sur la signification et le dessein des conquêtes : non pas répondre à une attaque ou une menace mais donner un sens à son existence, fédérer un groupe (ici, une amitié simplement).

Le héros épique ar Gilgamesh et Enkidu sont présentés comme deux personnages égaux car ils partagent une même stature et une même force physique. Enkidu, en effet, a été créé pour ressembler à Gilgamesh et l’égaler : « Qu’il soit l’égal de Gilgamesh et se mesure à sa fougue. » Le père du chasseur dira d’ailleurs à son fils d’aller trouver le souverain d’Uruk pour lui annoncer « qu’un autre humain peut rivaliser avec lui ». Les rêves jouent un rôle important ici en avertissant Gilgamesh de l’arrivée d’un compagnon, et l’issue de la bataille entre les deux héros est un « pacte d’amitié » fondé sur une égalité. Juste après ce moment qui scelle l’entente des personnages, le souverain d’Uruk présente Enkidu à sa mère qui l’accueille et l’adoptera ensuite sans hésiter au moment de partir pour la forêt de Cèdres – ce qui

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justifiera les termes de « frère » et de « jumeau » employés à plusieurs reprises au fil du récit et déjà dans ce passage : « celui qu’il considérait désormais comme un frère ». Cependant, Gilgamesh occupe le premier plan. Remarquons d’abord que, présenté dès les premières lignes du récit, Gilgamesh a été créé avant Enkidu et que ce dernier doit son existence à l’intervention des dieux sensibles aux protestations des habitants d’Uruk : « Il faut savoir que l’homme qui est devant toi, Enkidu, n’a eu ni père ni mère », dit le souverain à sa mère quand il lui présente son ami. Ajoutons que Gilgamesh est le roi d’Uruk, alors qu’Enkidu n’est qu’un habitant de la steppe, proche des animaux. La Joyeuse, présentant le roi d’Uruk, dit d’ailleurs : « tu verras comme son corps est parfait » ; « Tout, en lui, sur toi l’emporte ». Alors que le souverain s’incline devant son adversaire en mettant un genou à terre lors du combat, Enkidu, au lieu de souligner sa victoire, reconnaît la supériorité du roi : « Enlil t’a assigné la royauté sur tous les peuples. » Si Enkidu est le double de Gilgamesh, il reste cependant au second plan et disparaîtra au cours du récit – ce qui sera le point de départ d’une nouvelle quête pour Gilgamesh. as Gilgamesh et Enkidu ressemblent aux hommes ordinaires de plusieurs façons. Tous deux sont orgueilleux et affirment être les plus puissants. Sur la première tablette, Gilgamesh s’écrie en effet : « Le roi c’est moi. Je suis l’Unique ! » Et, un peu plus loin, Enkidu se dirige vers Uruk avec l’intention de montrer au souverain sa propre puissance : « Le plus puissant, c’est moi. » Comme des êtres humains ordinaires, ils imposent leur position par la force. Ainsi, Gilgamesh abuse de sa puissance en profitant des jeunes mariées, et c’est en se battant et en triomphant (« Gilgamesh fut immobilisé et mit un genou à terre ») du souverain qu’Enkidu impose sa propre loi et amène son nouvel ami à reconnaître ses erreurs : « Il s’est plaint, avec aigreur, de ma conduite. » Plus simplement, on voit Enkidu accomplir les actions de manger du pain et boire de la bière qui lui permettent de quitter le monde de la steppe pour intégrer la civilisation. De plus, tous deux éprouvent des sentiments bien humains tels que l’amitié, qui se traduit par des gestes affectueux (« leurs mains se rejoignirent et ils s’enlacèrent »), mais aussi le découragement et le chagrin (« état de détresse », « chagrin », « abattu », « larmes »). bt Les deux héros sont des personnages hors du commun en raison d’abord de leur naissance particulière. Gilgamesh est le fils d’une déesse et Enkidu a été façonné par Aruru. La Joyeuse dira d’ailleurs à Enkidu : « tu ressembles à un dieu », rappelant ainsi indirectement son origine divine. Les deux héros sont d’une force et d’une stature peu communes. On remarque le souverain aux « proportions gigantesques » et « à la force supérieure ». Le chasseur qui aperçoit le premier Enkidu est tellement frappé par sa taille et sa force qu’il est « médusé » et parle du « colosse » à son père. La Joyeuse parle aussi de l’intelligence particulièrement développée du souverain d’Uruk : « Anu, Enlil et Ea ont démultiplié son intelligence : c’est un devin. » En effet, Gilgamesh fait des rêves que la déesse Ninsuna interprète et qui lui permettent de prévoir l’avenir. Le projet que Gilgamesh présente à son ami afin de lui redonner courage est, lui aussi, à la mesure des deux héros puisqu’il s’agit de pénétrer dans un lieu sacré pour affronter une créature monstrueuse. Seuls des héros hors du commun peuvent se lancer dans une pareille aventure. Les préparatifs de l’expédition rendent compte de la force de nos deux personnages capables de porter « des haches et des cognées de soixante kilos chacune, des épées et des baudriers du même poids ». Il suffit de lire que « les deux hommes porteraient trois cents kilos d’armes chacun » pour comprendre que l’épopée met en scène des personnages hors du commun, à la mesure des exploits qu’ils doivent accomplir.

La présence des dieux bk Dans la légende sumérienne, les dieux sont fortement présents et l’ordinaire se mêle constamment au sacré. – Ninsuna la Bufflesse : déesse, elle est aussi la mère de Gilgamesh. « Savante et perspicace », elle interprète les rêves de son fils et, plus loin, elle accueille sans hésiter son ami Enkidu. – Aruru la Sublime : « déesse qui créa l’humanité » ; elle participe à la création de Gilgamesh et c’est elle aussi qui donne forme et vie à Enkidu à partir d’un bloc d’argile. Créatrice, elle obéit néanmoins aux instructions d’Anu, un autre dieu plus puissant. – Enki-Ea : « maître des arts » ; il affine le personnage de Gilgamesh et, plus loin, La Joyeuse explique à Enkidu qu’il a « démultiplié [l’]intelligence du souverain ». – « les dieux célestes » : bien que séparés des hommes, ils entendent leurs plaintes et peuvent intervenir pour changer la vie des mortels.

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– Anu : « père des dieux » ; il domine et c’est à lui que les dieux s’adressent quand il s’agit de régler le problème des habitants d’Uruk. – Ishtar : déesse du Ciel. Lorsque La Joyeuse propose à Gilgamesh de se rendre à Uruk, elle désigne la ville en se référant à la déesse protectrice : « Laisse-moi t’emmener à Uruk en la sainte demeure d’Ishtar. » – Samash : « dieu du Soleil » ; il « a pris Gilgamesh en affection ». – Enlil : très puissant dieu des Vents, il a participé, avec Enki-Ea, à la création de Gilgamesh en développant son intelligence. Il a donné au héros un pouvoir étendu, une « royauté sur tous les peuples », comme l’indique Enkidu. Enlil protège aussi la forêt de Cèdres, un territoire interdit aux hommes et qu’il fait garder par Humbaba. – Les Igigi : les dieux infernaux ; ils sont moins puissants que « les dieux des tempêtes », car on apprend qu’ils n’oseraient pas s’aventurer dans la forêt de Cèdres gardée par le terrible Humbaba. À la fin de la première tablette, les rêves de Gilgamesh semblent être aussi une manifestation des dieux, le souverain parlant comme un devin. bl Les dieux ne vivent pas avec les hommes, comme l’indiquent les expressions « dieux célestes » et « dieux infernaux » ; rappelons aussi que la forêt de Cèdres est un domaine réservé aux dieux. Cependant, les dieux savent ce qui se passe à Uruk. En effet, lorsque les habitants sont mécontents de l’arrogance et des abus de pouvoir de leur monarque, ils protestent et les dieux les entendent. Il semblerait même qu’ils ne puissent pas échapper aux hommes et qu’ils soient obligés de les supporter malgré l’infériorité de ces derniers ; c’est ce que laisse entendre la phrase « À force d’entendre les plaintes du peuple d’Uruk, les dieux célestes finirent par se lasser ». bm Les dieux sont différents des hommes car ils ont des pouvoirs que les êtres humains n’ont pas. En effet, certains d’entre eux, comme Anu, Aruru, Enlil ou Ea, sont des créateurs. Ils ont aussi un pouvoir destructeur ou représentent la mort : les dieux des Tempêtes, qui choisissent un « gardien féroce » pour interdire aux hommes la forêt de Cèdres ; les dieux infernaux. Mais, comme les hommes, ils connaissent une hiérarchie. Ainsi, quand les habitants d’Uruk se plaignent de leur roi, les dieux célestes se tournent vers Anu, le père des dieux. Certains dieux doivent obéir, tel Aruru qui, en créant Enkidu, ne fait qu’exécuter l’ordre d’Anu. La société des dieux a des clans, tout comme celle des hommes : les dieux infernaux ne se risqueraient pas à pénétrer dans la forêt de Cèdres, territoire qui appartient aux dieux des Tempêtes. Les dieux sont également nombreux et exercent, comme les hommes, des talents différents : certains créent, d’autres dominent les tempêtes, d’autres surveillent les morts… Ils éprouvent les mêmes sentiments que les hommes : la lassitude (« finirent par se lasser »), l’interrogation (« cherchèrent une solution »), la volonté de se protéger (les dieux des Tempêtes choisissent un « gardien féroce » pour protéger leur forêt de Cèdres).

Le thème de l’amitié bn Enkidu remporte le combat contre Gilgamesh : « Au bout d’un moment, Gilgamesh fut immobilisé et mit un genou à terre. » Curieusement, Enkidu prononce alors des paroles de soumission. Alors qu’il était venu à Uruk pour montrer sa puissance, il reconnaît en son adversaire vaincu « un être d’exception » et il trouve justifiée sa « royauté sur tous les peuples ». Ces paroles d’allégeance, malgré sa victoire, apaisent le conflit et rendent possible l’amitié car elles créent une sorte d’égalité entre les deux personnages. Gilgamesh, en mettant le genou à terre, reconnaît la domination physique d’Enkidu et ce dernier s’incline en exprimant la souveraineté absolue et justifiée du roi d’Uruk. Cette forme d’égalité et de reconnaissance mutuelle constitue le point de départ de l’amitié des deux héros. bo L’amitié des personnages s’exprime par cette soumission mutuelle dont nous venons de parler en réponse à la question précédente mais aussi par des gestes amicaux : « leurs mains se rejoignirent et ils s’enlacèrent » ; c’est une façon de sceller le « pacte d’amitié ». Gilgamesh souhaite présenter son ami à sa mère – ce qui est une manière de l’introduire dans sa famille. Après avoir souligné qu’Enkidu n’a ni père ni mère, le roi demande à Ninsuna de l’accueillir. Plus loin, dans l’épopée, il sera plus explicitement encore question d’une adoption. De plus, le souverain d’Uruk se montre sensible à la souffrance de son ami et il imagine un projet susceptible de redonner un sens à son existence. Au « chagrin » et aux « larmes » d’Enkidu, Gilgamesh répond par l’action : « partons ensemble jusqu’à la forêt de Cèdres » ; « Toi et moi, nous irons là-bas » ; « nous abattrons cet être funeste ».

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Lire l’image bp La gravure illustre la notion de « relativité » chère à Voltaire et essentielle dans son conte en jouant sur les dimensions des personnages. Le bateau donne l’échelle humaine et l’on imagine sans peine la taille des marins (et des savants) qui se trouvent à son bord. La main qui entreprend de le saisir nous donne la taille de Micromégas, le héros du conte, ce géant de trente-deux kilomètres de haut venu de Sirius pour découvrir différentes planètes, dont la Terre. À sa droite se tient un second personnage, plus petit, mais tout de même bien plus grand que les êtres humains du bateau. Il s’agit d’un habitant de Saturne, dont Micromégas a fait la connaissance au cours de son voyage. Ainsi, c’est en plaçant à côté du géant des personnages ou des éléments (montagne, bateau) plus petits que le lecteur parvient à mesurer sa taille. C’est un procédé que l’on retrouve dans les trucages au cinéma.

À vos plumes ! bq Le sujet est un exercice de transposition qui invite l’élève à réfléchir sur ses relations avec ses camarades et sur le fait qu’il vaut mieux se connaître pour pouvoir s’apprécier. On veillera au respect de la consigne (3e personne et dialogue) et cet exercice sera précédé, si nécessaire, d’une révision des caractéristiques (ponctuation, incises, présentation…) du dialogue. On valorisera les copies qui auront su exprimer les sentiments des personnages et proposer une réflexion sur l’amitié.

T a b l e t t e s I I I à V ( p p . 2 7 à 3 9 )

Avez-vous bien lu ? u Les affirmations vraies sont : a), c), d) et f). v Gilgamesh emmène Enkidu au palais de sa mère Ninsuna la Bufflesse pour lui dire adieu avant leur départ pour la forêt de Cèdres et pour lui demander quel est « l’itinéraire le plus prudent ». w Enkidu n’a pas de parents car il a été façonné directement par Aruru ; Ninsuna l’adopte pour qu’il protège Gilgamesh et le ramène vivant à Uruk : « C’est pour cette mission que je t’adopte. » x Samash vient en aide aux deux héros car il déteste le gardien de la forêt de Cèdres. Pour cela, il fait appel aux treize vents qui déstabilisent le géant. y Gilgamesh et Enkidu, sortis victorieux du combat, rapportent à Uruk la tête d’Humbaba et des cèdres magnifiques, notamment « un cèdre extraordinairement élevé dont la cime perçait le Ciel ».

Les péripéties U Cet épisode semble constituer une épopée à lui tout seul dans la mesure où la quête engagée au début est achevée avec la victoire des héros et le retour à Uruk. Gilgamesh a lancé l’idée du combat contre Humbaba juste après avoir scellé un pacte d’amitié avec Enkidu. L’expédition a comporté un certain nombre de péripéties liées aux difficultés rencontrées – ce qui a permis de souligner la force hors du commun des deux héros. V Humbaba est présenté comme un géant féroce, gardien d’une forêt interdite aux hommes. Son aspect est humain et il est mortel comme les hommes ; mais les « fulgurances » qui l’accompagnent font de lui un personnage monstrueux et particulièrement dangereux. On peut penser que Humbaba est la personnification du danger, ce dernier présentant plusieurs facettes : un noyau dur et des « fulgurances ». Pour vaincre le danger, il est nécessaire de le dominer et de faire la part des risques : d’abord abattre l’ogre, puis se débarrasser des fulgurances. Ce qui entoure la difficulté – ici, les fulgurances ou manteaux sacrés – ne doit pas être confondu avec la difficulté elle-même. On peut rapprocher ce moment de l’épisode du cri. Alors que Gilgamesh et son compagnon n’ont pas encore pénétré le domaine interdit, ils entendent crier Humbaba – ce qui terrifie Enkidu. Mais, lorsqu’ils se sont approchés, ils n’ont plus à affronter ce qui leur semblait de prime abord insurmontable : Humbaba ne crie plus. W Fonctionnant comme une micro-épopée, l’épisode du combat contre Humbaba montre nos héros en prise avec une succession d’obstacles. Avant même d’approcher la lisière de la forêt de Cèdres, Gilgamesh et Enkidu rencontrent la peur. En effet, ils entendent le cri effrayant du géant : « le gardien

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de la forêt vociféra », « Puis il hurla de plus belle ». Il leur faudra lutter contre un obstacle intérieur, lié à la terreur éprouvée : « Quand bien même je parviendrais à descendre, à m’introduire dans la forêt pour ouvrir le chemin, mes membres resteront paralysés. » Puis les deux héros doivent traverser « un terrain glissant » avant d’atteindre la lisière. Pour entrer dans la forêt, il leur faut ensuite franchir deux fossés, l’un « large de dix kilomètres » et le second de sept – ce qu’ils font sans difficulté, semble-t-il. On voit bien ici que la difficulté nous donne une mesure de la force exceptionnelle des héros. Face à Humbaba et à ses menaces (« il les menaça de la malédiction d’Enlil »), la peur revient et, cette fois-ci, c’est Gilgamesh qui est « impressionné » et qui même n’est plus certain de reconnaître le géant. Enfin, les deux héros doivent résister aux propos d’Humbaba qui cherche à les inquiéter et à briser leur amitié. Enkidu franchit le dernier obstacle en résistant à la malédiction proférée par le géant : « C’est donc moi qui vais expédier Humbaba. » Sans doute, l’immobilité de Gilgamesh à ce moment-là le préserve-t-elle du sort réservé ensuite à son ami. Après avoir tué le géant, il leur faut encore venir à bout des fulgurances et abattre les cèdres qu’ils comptent rapporter à Uruk. X La phrase qui suit immédiatement l’annonce de la mort d’Humbaba (« Il finit par le tuer à coups de pique ») est : « Aussitôt d’épaisses ténèbres s’abattirent sur la montagne. » On voit que la mort du géant prend une dimension cosmique – ce qui montre, d’une part, qu’il s’agissait d’un être sacré et, d’autre part, que nos deux héros ont accompli un exploit à la mesure de leur puissance. On comprend également que les dieux risquent de vouloir venger leur gardien et punir les deux amis. at La dernière parole d’Humbaba est une malédiction : « Qu’ils ne connaissent jamais la vieillesse, ni l’un ni l’autre ! Qu’Enkidu, comme son ami, ne trouve jamais de salut ! » Ces deux phrases au subjonctif à valeur injonctive sont adressées aux deux amis, mais l’utilisation de la 3e personne laisse deviner un appel aux dieux. On retrouvera une situation similaire dans l’épisode du Cyclope (l’Odyssée), quand le géant frappé par Ulysse appelle la vengeance de Poséidon. Humbaba demande la mort et la punition pour les deux héros. Dans la mesure où le géant rend service aux dieux en gardant la forêt de Cèdres, on peut imaginer qu’il va être entendu et que les deux amis vont être punis. Se prépare ainsi, dès à présent, l’épisode de la mort d’Enkidu. On remarquera que Gilgamesh, au moment de la mise à mort de l’ogre, est immobilisé. Cette immobilité lui permet peut-être d’échapper à la malédiction.

Deux héros épiques ak Gilgamesh est d’une force peu commune ; lorsqu’il se bat contre Humbaba, il ouvre la fosse syrienne. On l’a vu aussi capable de faire des étapes de 200 km quand il marche vers la forêt de Cèdres, puis de franchir les deux fossés de 10 et 7 km qui protègent le monde interdit aux hommes. À la fin du passage, sa force est telle qu’il est capable de porter « une charge de deux cent trente kilos, un filet de trente kilos et une épée de deux cents kilos ». al On relève les verbes qui expriment une action violente : – « affrontant » : participe présent qui a ici une valeur à la fois temporelle et causale ; – « frappa » : indicatif passé simple pour exprimer une action qui est limitée dans le temps, qui se détache. Le sujet est « il », qui désigne Gilgamesh ; – « piétinaient », « martelaient » : indicatif imparfait pour exprimer des actions qui se répètent (imparfait itératif). Le sujet est « ils », qui désigne les deux combattants ; – « disloquant » : participe présent à valeur temporelle (actions concomitantes). am On voit dans ce passage que le combat a des effets hors du commun car, en frappant le sol de leurs pieds, les deux adversaires modifient le paysage en créant « la grande fosse syrienne ». Comme souvent dans les récits mythologiques, les péripéties vécues par les personnages sont des explications du monde. an Le champ lexical de la peur est fortement présent dans le passage : « terreur », « anciennes frayeurs », « désarroi », « paralysés »/« paralysie », « faiblesse », « impressionné », « ne bougeait pas ». Au début, c’est Enkidu qui a peur, puis c’est au tour de Gilgamesh. À aucun moment cette peur n’est présentée comme honteuse et elle n’empêche pas la victoire contre le géant ni ne ternit la gloire de Gilgamesh, immobile au moment de l’assaut final. La peur n’est pas présentée comme un déshonneur pour le

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héros ; constitutive de sa nature humaine, elle est un obstacle à vaincre dont le héros sortira grandi : « Éloigne la paralysie de tes bras, la faiblesse de tes genoux. » Elle pousse aussi les hommes à appeler les dieux à la rescousse. En effet, Gilgamesh en larmes fait appel à Samash qui va l’écouter et lui donner un conseil. La peur, appelée « trouble » (« troublant », « troublé »), est aussi présente dans les rêves de Gilgamesh. On voit que la peur révèle toute l’humanité du personnage et fait de lui un être qui connaît ses limites et tente de les repousser.

L’amitié ao Deux images évoquent la force de l’amitié quand il s’agit d’affronter les difficultés : « Deux lionceaux sont plus forts qu’un seul lion » et « On ne peut rompre une cordelette à trois nœuds », c’est-à-dire formée de plusieurs brins. ap Relevons les marques de la 1re personne du pluriel : – « Nous » : pronom personnel ; – « marchons » : verbe au mode impératif ; – « ensemble » : adverbe ; – « nos » : déterminant possessif. On peut aussi relever des marques de la 1re et de la 2e personne du singulier qui désignent respectivement Gilgamesh et Enkidu, mais la 1re personne du pluriel, notamment soulignée par l’adverbe « ensemble », rassemble les deux personnages dans une action commune. On peut dire que cette 1re personne est la concrétisation grammaticale de l’image de la cordelette à plusieurs brins. Elle montre la force apportée par l’amitié. aq Le mode verbal dominant est l’impératif : « frotte-toi », « fais retentir », « rugis »… Plus que des ordres donnés à Enkidu, il s’agit ici d’exhortations à réagir et à ne pas se laisser envahir par la peur. ar Enkidu a, lui aussi, recours à l’impératif pour inviter son ami à se battre et à ne pas écouter les propos manipulateurs d’Humbaba : « N’écoute pas ses discours, ne réponds pas à ses prières » ; « Achève-le, égorge-le, écrase-le » ; « accomplis » ; « débarrassons-nous » ; « frappe-le ». Cette dernière réplique d’Enkidu est l’écho de celle de Gilgamesh avant d’entrer dans la forêt de Cèdres. Cette reprise des impératifs illustre l’amitié des deux personnages et montre que chacun est là pour soutenir l’autre quand il faiblit. Il ne s’agit pas de dominer l’autre mais de l’inviter à surmonter ses peurs et à se dépasser lui-même. Comme nous l’avons dit plus haut, le mode impératif a ici valeur d’exhortation. À la toute fin de l’épisode, on retrouve le mode impératif dans les propos d’Enkidu : « Fais-en [le grand cèdre] faire un vantail de porte pour le temple d’Enlil […]. Nous le [le grand cèdre] ferons flotter sur l’Euphrate. » C’est Gilgamesh, le souverain d’Uruk, qui a le pouvoir de faire travailler les artisans de la ville. Enkidu reconnaît le pouvoir royal de son ami mais il ne se sent pas inférieur puisqu’il a recours à l’impératif. as Gilgamesh et Enkidu étant soutenus par Samash qui envoie les treize vents pour déstabiliser le géant, Humbaba opte pour la parole rusée : « Il essaya de l’amadouer. » On le voit prendre en compte le caractère et les réactions de ses adversaires : « Voyant qu’Enkidu était le pire de ses ennemis »… Il utilise la flatterie quand il s’adresse au roi d’Uruk (« Souverain Gilgamesh ») et touche ses sentiments filiaux (« tu as été mis au monde par ta mère et tu descends de Lugalbanda »). Il lui propose même un marché : « Je serai à tes ordres et je te livrerai autant d’arbres que tu m’en commanderas. » Les paroles adressées à Enkidu sont d’abord agressives et humiliantes (« [tu] n’es qu’un enfant trouvé »), puis Humbaba change de stratégie et essaie d’émouvoir son ennemi (« J’aurais pu t’égorger, Enkidu, tu le sais, et à présent il est en ton pouvoir de me sauver »). Lorsque Humbaba dit à Enkidu : « Persuade Gilgamesh de me laisser la vie », on a même l’impression que le géant essaie de diviser le duo pour tenter une dernière fois d’assurer son emprise. La stratégie d’Humbaba n’est pas efficace, car l’épopée a souligné la force de l’amitié et ce passage vise à montrer qu’il est impossible de dissocier deux amis soudés. Quand Enkidu a peur, Gilgamesh le soutient, et quand c’est au tour du souverain de rester immobile, Enkidu prend le relais : « J’ai beau te parler, mon ami, tu ne m’écoutes pas, c’est donc moi qui vais expédier Humbaba. » Ce dernier essaie d’établir un lien avec chacun des deux guerriers afin de détruire cette amitié, mais le lien, présenté comme une forme de gémellité, est trop fort pour être brisé.

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La place des dieux bt La forêt de Cèdres est une région écartée du monde des hommes car entourée de deux fossés infranchissables par des êtres ordinaires puisqu’ils mesurent respectivement 10 et 7 km. De plus, elle est clairement définie comme un territoire interdit aux hommes et réservé aux dieux qui ont chargé le géant Humbaba de défendre les lieux. Le lieu lui-même est présenté comme surnaturel et les deux héros sont d’abord frappés par la taille des arbres : « Ils contemplèrent alors la hauteur des cèdres. » À la fin du passage, Gilgamesh et Enkidu, armés d’épées gigantesques, abattent les plus beaux de ces arbres pour les rapporter à Uruk. Ils destinent au temple d’Enlil « un cèdre extraordinairement élevé dont la cime per[ce] le ciel » – ce qui souligne la majesté et la taille de l’arbre. L’univers de la forêt est merveilleux et les adjectifs mélioratifs s’ajoutent les uns aux autres pour nous le montrer : « leur ombrage délicieux », « parfums suaves », « essences précieuses », « substances aromatiques ». Dans ce paradis des dieux règne également l’abondance : « Les cèdres déploient leur luxuriance. » bk Les dieux jouent un rôle important dans l’épopée de Gilgamesh et leur rôle dans l’épisode d’Humbaba n’est pas négligeable. On peut relever dans l’ordre d’évocation : – Ninsuna : la Bufflesse, mère de Gilgamesh, reçoit les deux héros avant leur départ pour la forêt de Cèdres. Le souverain rappelle que la déesse « si sage, si intelligente, sachant tout saura […] indiquer l’itinéraire le plus prudent ». Ninsuna adopte Enkidu. Elle se montre soumise à Samash, « un dieu supérieur », et invoque son aide. – Samash : selon Gilgamesh, le dieu du Soleil déteste Humbaba et soutient l’expédition des deux héros. C’est ce qu’il explique à sa mère, et cela se vérifiera par la suite quand il lancera les treize vents dans le combat afin de déstabiliser le géant. Samash guide Gilgamesh en lui envoyant des rêves qu’Enkidu décrypte. Il lui conseille également d’attaquer Humbaba, alors que celui-ci n’a pas encore revêtu ses manteaux enchantés. Lorsque Ninsuna s’adresse à Samash au début du passage, elle rappelle qu’il a joué un rôle dans la création de Gilgamesh : « Pourquoi, m’ayant attribué Gilgamesh pour fils, lui as-tu assigné une âme aussi infatigable ? » Les dieux créateurs des hommes ont une responsabilité et sont supposés intervenir. – Wer : dieu qui apparaît en songe à Gilgamesh et qui serait son dieu protecteur. On remarque que ce dieu est violent, à l’image de son protégé : « Wer, ton dieu, celui qui déclenche les ouragans ». – Durant le dernier de ses rêves, Gilgamesh voit différentes créatures surnaturelles ou divines dont la puissance cosmique est remarquable : Anzu, « l’aigle colossal qui incarne les forces du Chaos » ; « Ninurta, le dieu de la Guerre » ; « Enki-Ea, le dieu de la Magie ». – Enlil : il soutient Humbaba, le gardien qu’il a placé dans la forêt de Cèdres, et Enkidu insiste pour que Gilgamesh attaque le géant avant que les dieux en colère ne se manifestent. À la fin du passage, le grand cèdre abattu par les deux héros est destiné au temple de ce dieu tout-puissant qu’il s’agit sans doute d’apaiser. bl Humbaba est mortel ; ce n’est donc pas un dieu. Le fait que cette créature soit gigantesque et effrayante (son cri, notamment) et que ses attributs soient inquiétants (les « sept manteaux enchantés » qui sont autant de « cuirasses », les « fulgurances » qu’il faudra aussi abattre) lui confère son caractère surnaturel. bm Humbaba est soutenu par Enlil qui lui a confié la mission de défendre la forêt de Cèdres. La malédiction que le géant lance avant de mourir explique sans doute la mort d’Enkidu, due à la vengeance du dieu des Vents. On peut penser ici à l’Odyssée et à Poséidon qui venge son fils, le cyclope Polyphème, en poursuivant Ulysse. Samash, le dieu du Soleil, est, quant à lui, un ennemi d’Humbaba ; aussi soutient-il, comme on l’a vu, le combat de Gilgamesh et de son ami. On voit ainsi que les dieux, comme les hommes, développent des inimitiés et entrent en conflit. Si l’on excepte leurs pouvoirs et leur immortalité, ils ne sont guère différents des êtres humains. La religion polythéiste des Mésopotamiens, comme celle des Grecs, est profondément anthropo-morphiste.

À vos plumes ! bn On pourra préciser, si on le souhaite, la nature de la difficulté à affronter (une créature monstrueuse comme dans le récit ou, au contraire, un moment plus ordinaire de la vie d’un collégien : aller parler

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à un autre élève, rencontrer le principal, préparer un exposé…). On peut tout aussi bien laisser les élèves libres de se projeter dans une situation ou dans une autre. Bien entendu, on valorisera les récits qui auront su mettre en avant la force de l’amitié.

T a b l e t t e V I ( p p . 4 3 à 4 8 )

Avez-vous bien lu ? u Les parents d’Ishtar sont les dieux Anu (le père) et Antu (la mère). v C’est Anu qui crée le Taureau-Céleste, à la demande de sa fille Ishtar. w Ishtar demande la création du Taureau-Céleste à son père pour se venger de Gilgamesh qui a refusé ses avances et ainsi le tuer : « Que je tue Gilgamesh et mette le feu à sa demeure ! » x La première action du Taureau-Céleste consiste à assécher l’Euphrate en seulement sept lampées. y Aidé de son ami Enkidu qui tient la queue de l’animal, Gilgamesh frappe à mort le monstre envoyé par Ishtar pour le tuer. U Le cœur du Taureau-Céleste est offert à Samash, le dieu du Soleil : « Ils lui arrachèrent le cœur qu’ils déposèrent devant Samash. » V Les cornes du Taureau-Céleste, d’une contenance de « mille huit cents litres d’huile », sont présentées en offrande à Lugalbanda, le père de Gilgamesh.

Les propositions d’Ishtar W Modes et temps : – Le présent de l’impératif apparaît au début de la réplique d’Ishtar : « Viens », « sois », « offre ». Il exprime un ordre. Ishtar est une déesse qui affirme son pouvoir sur les humains. – Le futur simple de l’indicatif est fortement représenté ensuite : « serai », « ferai »… Il exprime une action certaine dans le futur. Dans le prolongement de l’impératif, il rend compte d’une action que la déesse veut certaine et présente une connotation injonctive. – Le verbe « abondent » est au présent de l’indicatif à valeur gnomique. X Le verbe « abondent » a pour sujet (inversé) « les richesses les plus précieuses ». Cette association du verbe et de son sujet est supposée tenter Gilgamesh en lui offrant à la fois la qualité (« richesses », « précieuses ») et la quantité (le verbe abonder et le recours au pluriel). at Le champ lexical de la richesse est fortement présent car il constitue un des arguments de la déesse pour séduire Gilgamesh et en faire son époux. En un sens, cette richesse étalée est destinée à acheter le souverain d’Uruk dont Ishtar est tombée amoureuse. On relève : « or », « lazulite », « or pur », « ambre », « coursiers fringants », « les richesses les plus précieuses ». ak Comme le suggère l’expression « la ville où abondent les richesses », la quantité vient s’ajouter à la qualité et l’abondance s’exprime de différentes manières : – la place des pluriels tout au long de la réplique : « coursiers », « prêtres », etc. ; – l’énumération : « rois », « seigneurs », « princes », puis « chèvres », « brebis », « ânons » ; – la multiplication : au lieu de mettre au monde un petit, les animaux mettent bas « des triplés » ou des « agneaux jumeaux ». al La déesse Ishtar séduite par la prestance de Gilgamesh, le héros qui a vaincu Humbaba, veut l’épouser : « Tu seras mon mari et je serai ta femme. » Le parallélisme syntaxique laisse entendre une égalité, alors que le discours prononcé par Gilgamesh en réponse aux propositions de la déesse démontrera qu’elle ne cherche qu’à posséder le souverain d’Uruk. Pour séduire le héros, elle a recours à deux arguments : elle lui propose la richesse (la qualité et l’abondance, comme nous l’avons vu) et le pouvoir. La ville d’Aratta avec laquelle les Sumériens sont en conflit se soumettrait à Uruk : « Les prêtres purificateurs d’Aratta, […] et les plus hauts dignitaires du clergé, te baiseront les pieds. » Et ce pouvoir s’étend à l’ensemble des peuples, comme le suggère l’expression « les rois, les seigneurs et les princes ». Qu’il s’agisse des biens matériels ou du pouvoir, la démarche d’Ishtar consiste à acheter Gilgamesh.

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Portrait d’une déesse am Gilgamesh présente les victimes successives de la séduction d’Ishtar : – Tammuz : « tu l’as expédié à ta place aux Enfers » ; – Allalu, « l’oiseau bigarré » : « lui brisant ses ailes » ; – « le Lion à la vigueur incomparable » : « tu creusas des pièges » ; – le Cheval : « tu l’as voué au fouet, à l’éperon et à la bride » ; « des courses sans fin » ; « ne boire que de l’eau qu’il a lui-même souillée » ; – le Berger : « le frapper et le changer en loup », « son propre troupeau le pourchasse ». Dans tous les cas, les victimes sont anéanties et Ishtar les atteint dans ce qu’elles ont de plus précieux : ses ailes pour l’oiseau, son troupeau pour le pâtre… L’accumulation des victimes à qui un sort similaire est réservé exprime la volonté de domination de la déesse. Ishtar représente l’amour libre mais aussi le pouvoir de la femme. an Le discours que Gilgamesh adresse à la déesse est particulièrement éloquent. Les premières phrases montrent cette force de persuasion qui repose notamment sur le recours à l’interrogation rhétorique et à l’accumulation : « parfums et garde-robes », « provisions et victuailles ». De plus, le rythme est croissant et, après deux brèves questions, le discours prend de l’ampleur. ao L’accumulation des subordonnées relatives souligne le parallélisme syntaxique et donne plus de force à l’énumération. On relève : – « que le froid éteint » : l’antécédent est « un brasier » ; – « qui n’arrête ni les courants d’air ni les vents » : l’antécédent est « une porte » ; – « qui s’écroule sur les plus braves défenseurs » : l’antécédent est « une forteresse » ; – « qui jette à bas son harnachement » : l’antécédent est « un éléphant » ; – « qui ronge sa tanière » : l’antécédent est « une souris » ; – « qui souille » : l’antécédent est « un morceau de bitume » ; – « qui le touche » : le pronom n’a pas d’antécédent ; – « qui se vide sur celui » : l’antécédent est « une outre » ; – « qui la porte » : l’antécédent est « celui » ; – « qui fait s’écrouler le mur » : l’antécédent est « une fondation » ; – « qu’elle porte » : l’antécédent est « le mur » ; – « qui ne détruit que les remparts alliés » : l’antécédent est « un bélier » ; – « qui blesse le pied du marcheur » : l’antécédent est « un soulier ». ap Gilgamesh compare la déesse à des éléments variés qui appartiennent au quotidien des habitants de Mésopotamie. On relève des animaux (éléphant, souris), des éléments de la nature (le brasier, le bitume), des éléments architecturaux (une porte, une forteresse, une fondation, le mur), et des accessoires de la vie de tous les jours (une outre, un soulier) ou de la guerre (un bélier). Dans tous les cas, ces éléments ont un effet destructeur et les verbes des relatives qui viennent préciser les antécédents sont négatifs : éteindre, s’écrouler, vider, détruire, blesser… Gilgamesh utilise différentes comparaisons pour souligner le rôle négatif de la déesse. On a l’impression que, quel que soit le comparant affecté, l’image reste négative. aq Les comparants développés par des relatives s’ajoutent les uns aux autres, produisant un effet d’accumulation qui souligne le pouvoir destructeur de la déesse. Alors qu’elle devrait jouer un rôle positif, comme une forteresse, des fondations ou un soulier, elle ne fait que nuire aux hommes qu’elle semble vouloir aider. La trahison et la destruction sont accentuées par l’énumération doublée d’un parallélisme syntaxique. ar Ishtar est furieuse (« furibonde ») quand elle entend les propos de Gilgamesh en réponse à ses avances, et sa réaction immédiate est de se plaindre auprès de son père afin de se venger. Ne supportant pas que Gilgamesh ait résisté à son autorité, elle tient à affirmer davantage encore sa supériorité en obtenant le Taureau-Céleste qui saura – du moins le croit-elle – dominer le souverain d’Uruk et le détruire. On voit que la déesse est autoritaire et qu’elle n’accepte pas la contrariété, deux traits de caractère bien humains. De plus, elle se montre incapable de se débrouiller seule et elle va se plaindre à son père dont la puissance est sans doute plus grande que la sienne. Elle a besoin des autres (ses parents qui écoutent ses plaintes, son père qui intervient en sa faveur, le Taureau-Céleste) pour s’affirmer et elle

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veut que tout le monde se plie à ses désirs : Gilgamesh et ses parents doivent se soumettre à ses vœux ; elle tient le Taureau par sa longe – ce qui montre que l’animal lui obéit. as Ishtar s’est sentie doublement insultée par Gilgamesh. En effet, d’une part, elle a été humiliée par le discours du roi qui dévoile ses mauvaises intentions à son égard et dresse un bilan noir de ses actions ; d’autre part, la mort du Taureau sur lequel elle comptait pour asseoir son autorité constitue également une profonde humiliation : « En tuant le Taureau-Céleste, Gilgamesh m’a humiliée. » bt On peut mettre en avant trois faces du comportement d’Anu vis-à-vis de sa fille. Il est d’abord celui qui écoute ses plaintes. Puis il obéit à sa fille et cède à son caprice en créant pour elle le Taureau-Céleste : « Anu créa donc le taureau. Il forma toutes ses parties en une seule fois, et remit sa longe à la princesse. » Ce dernier geste exprime bien le pouvoir qu’il donne à sa fille en réponse à sa demande. Malgré tout, Anu est lucide quant au comportement d’Ishtar : « ne serait-ce pas toi qui l’aurais provoqué pour qu’il te parle ainsi ? » ; il tente de la raisonner en lui prodiguant ses conseils : « Tu ferais donc mieux d’abord d’amonceler du grain et de faire pousser la verdure. » À l’impatience et à l’impulsivité de sa fille autoritaire, il oppose la patience symbolisée par l’agriculture et la végétation.

Portrait d’un animal monstrueux bk Le Taureau-Céleste ressemble à un taureau ordinaire : il a une « queue », des « cornes », des « poils », un « garrot », un « cœur ». Il se comporte également comme un animal ordinaire : il a soif, il expulse des excréments et il fait des ruades. On voit la déesse le tenir par sa longe comme c’est l’usage pour les animaux de ferme. Sa mort n’est pas différente de celle des taureaux que nous connaissons : « Il plongea son coutelas entre ses cornes, son cou et sa nuque. » bl Cependant, la naissance du Taureau-Céleste est différente de celle d’un taureau ordinaire : il ne naît pas d’une vache après un temps de gestation mais il est directement créé par le père des dieux lui-même : « Anu créa donc le Taureau. Il forma toutes ses parties en une seule fois. » Cette création divine, comme le rappelle son nom même, a lieu dans le monde des dieux, au Ciel (« Ishtar grimpa jusqu’au Ciel »), et ce n’est qu’ensuite que l’animal sévira dans le monde des hommes avant d’être mis à mort comme un animal ordinaire : Ishtar saisit la longe « pour faire descendre le Taureau-Céleste sur la Terre » et l’amener à Uruk. La naissance céleste de l’animal explique ses dimensions extraordinaires que le récit exprime à plusieurs reprises. Les dieux eux-mêmes savent que le Taureau va provoquer « sept années de famine ». D’ailleurs, à peine arrivé sur Terre, assèche-t-il en sept lampées seulement l’Euphrate qui traverse Uruk. Ses moindres gestes sont meurtriers – ce qui met en avant sa taille peu commune et, en conséquence, la force héroïque des deux héros qui vont le vaincre : « Au premier ébrouement du Taureau s’ouvrit une crevasse. Cent, deux cents, trois cents habitants d’Uruk y furent précipités. » Le second ébrouement produit exactement le même effet, et, si les deux amis n’étaient pas intervenus, la ville d’Uruk aurait été rapidement anéantie. Les cornes du Taureau sont à la mesure de l’animal dévastateur : les maîtres forgerons « furent impressionnés par l’épaisseur des cornes » ; « À elles deux, leur contenance était de mille huit cents litres d’huile ». Ce passage témoigne de la façon dont s’élabore, dans l’imaginaire sumérien (le nôtre aussi), une créature monstrueuse à partir de références à une réalité connue.

Un récit épique bm Le récit du combat épique de Gilgamesh et Enkidu contre le Taureau-Céleste manifeste quatre qualités qui contribuent à définir la représentation du héros dans la civilisation sumérienne, représentation qui se poursuivra en s’affinant dans les épopées homériques. Le récit met d’abord en avant la force physique des deux personnages. Tout, dans le passage, souligne la force surnaturelle du taureau capable d’assécher en sept lampées l’Euphrate. Pour le vaincre, il faut donc faire preuve de qualités physiques exceptionnelles : « nos forces suffiront à tuer le Taureau », assure pourtant Gilgamesh. La deuxième qualité est, bien entendu, le courage, le fait d’oser recourir à sa force pour affronter le monstre apparemment invincible : l’adjectif « courageux » est employé à propos du souverain d’Uruk. « Courageux et habile », nous dit précisément le texte à propos de Gilgamesh, associant au courage une troisième qualité du domaine de l’intelligence. En effet, avant de se lancer dans le combat risqué, Enkidu s’interroge sur la manière de procéder : « Comment faire face à ce nouveau péril ? » L’interrogation partielle suggère une réflexion que les propos du roi prolongent en proposant de tirer

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leçon de l’expérience et de l’observation : « J’ai observé les bêtes du désert. » Enkidu expose alors une stratégie qu’il présente au futur comme un plan de bataille : « Je le saisirai par l’épaisseur de la queue, j’arracherai ses poils de mes deux mains pendant que toi tu te placeras devant lui et, entre le garrot et les cornes, tu le frapperas de ton poignard. » Le combat n’est pas alors un affrontement aveugle et impulsif mais l’aboutissement d’une réflexion. Dernière qualité : l’amitié. Ce point mis en avant dans la lutte contre Humbaba joue un rôle ici également. Le « pendant que » de la phrase que nous venons de citer exprime cette nécessaire association des deux personnages, et le récit du combat proprement dit ne narre pas autre chose : le pronom personnel pluriel « ils » réunit les deux héros dans l’exploit (« ils lui arrachèrent le cœur »). bn Si le Taureau-Céleste est amené par la déesse Ishtar pour tuer Gilgamesh, il menace également la ville d’Uruk. Anu annonce sept années de famine et, dès les premiers ébrouements de l’animal monstrueux, de nombreux guerriers sont précipités dans les crevasses qu’il a ouvertes. Lorsqu’ils combattent l’animal, les deux héros épiques agissent donc bien dans l’intérêt du peuple : « Comment répondrons-nous aux Anciens d’Uruk ? » On suppose que les Anciens ont fait appel à leur roi pour venir à bout de ce fléau qui affecte la ville. bo Le combat contre le Taureau-Céleste comme celui contre Humbaba témoignent de la force extraordinaire des deux héros et de leur amitié. Tous deux se terminent par la mort du monstre et la victoire des héros. Cependant, ces deux combats diffèrent. Dans le premier cas, ce sont Gilgamesh et Enkidu, parce qu’ils s’ennuyaient, qui sont allés chercher le féroce gardien jusque dans la forêt interdite. Humbaba ne leur avait rien fait. Dans le second cas, c’est Ishtar qui fait descendre le Taureau-Céleste et les deux hommes se battent pour sauver leur vie mais surtout pour débarrasser Uruk du monstre destructeur. bp Gilgamesh et Enkidu manifestent leur respect envers les dieux en se prosternant devant Samash dès qu’ils ont accompli leur exploit. Ils offrent au dieu du Soleil le cœur de l’animal qu’ils viennent de tuer. Sans doute se conforment-ils ainsi aux rites des sacrifices religieux : « ils lui arrachèrent le cœur qu’ils déposèrent devant Samash » en guise d’offrande, « puis ils se reculèrent pour se prosterner devant le dieu Soleil ». Le recul est une façon d’exprimer une forme d’inclination devant la puissance des dieux, même si l’exploit accompli révèle une force d’origine divine. bq La piété des deux héros ne les empêche pas de défier les dieux en affirmant leur indépendance. C’est d’abord Gilgamesh qui se dresse contre Ishtar et refuse clairement ses avances en lui montrant qu’il ne se soumettra pas à son autorité abusive et destructrice. Puis c’est au tour d’Enkidu de se moquer de la déesse en lui jetant une patte au visage. Les propos d’Enkidu sont plus insultants encore que ceux de Gilgamesh car non seulement ils refusent le pouvoir de la déesse mais encore ils osent exprimer une situation inverse : « Si seulement je t’avais attrapée toi aussi, je t’en aurais fait autant et j’aurais accroché ses boyaux à ton bras. »

Lire l’image br Plusieurs éléments montrent la puissance du souverain d’Uruk capable de maîtriser le Taureau-Céleste. Tout d’abord, on remarque que le personnage qui tient le Taureau, que l’on suppose être Gilgamesh, est plus grand que tous les autres personnages, notamment celui qui se tient juste à sa gauche. Sa surélévation exprime également sa supériorité. Par ailleurs, il domine le Taureau qui semble mort, comme l’exprime le pied posé sur la tête de la bête. Sa force nous paraît d’autant plus grande qu’il soulève l’animal d’une seule main.

À vos plumes ! bs Le sujet s’appuie sur le passage et attend des élèves qu’ils reprennent un certain nombre de données textuelles : le combat contre le Taureau-Céleste qu’Ishtar rapporte, le caractère de la jeune déesse, la puissance d’Anu, sa lucidité vis-à-vis de sa fille. Narration, dialogue et argumentation sont étroitement liés, et on valorisera les copies qui auront su formuler une réflexion pertinente quant aux abus de pouvoir de la déesse.

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T a b l e t t e s V I I e t V I I I ( p p . 5 2 à 6 1 )

Avez-vous bien lu ? u Enkidu rapporte deux rêves à Gilgamesh : – « Écoute le rêve […] je les jetai à terre » ; – « Écoute, Gilgamesh, le songe […] rien de ce que j’ai enduré ». v Les paroles b) et d) font partie du rêve d’Enkidu. w Dans le rêve d’Enkidu rapporté au début de la septième tablette, Anu (le père des dieux), Enlil (le dieu des Vents), Ea (le dieu des Eaux souterraines et de l’Intelligence) et Samash (le dieu du Soleil) tiennent conseil pour décider du sort d’Enkidu et de Gilgamesh. Le héros doit-il mourir pour avoir abattu Humbaba et le Taureau-Céleste ? x Enlil souhaite la mort d’Enkidu car il a participé à la mise à mort d’Humbaba et du Taureau-Céleste : « C’est Enkidu qui doit mourir, pas Gilgamesh. » y Samash soutient les deux héros : « N’est-ce pas sur mes ordres qu’ils ont tué le Taureau-Céleste et Humbaba ? » U Dans son premier rêve, Enkidu s’en prend à Enlil en maudissant la porte de son temple, celle qu’il a offerte en revenant de la forêt de Cèdres. Par la suite, il maudit successivement le chasseur et la courtisane. Enkidu supplie le dieu Samash de lui venir en aide. V Après la mort d’Enkidu, Gilgamesh commande une statue précieuse : « Faites une statue de mon ami comme personne n’en a jamais fait. »

Paroles rapportées et récits emboîtés W On peut relever, au fil du passage, différents verbes de parole : – dire : « Anu dit à Enlil » ; « je te dis » ; « Gilgamesh, en pleurs, lui dit » ; « dit-il » ; – répondre : « Enlil répondit », « Samash le Céleste répondit à Enlil le Preux » ; – poursuivre : « poursuivit Enkidu » ; – pleurer : « Enkidu, levant la tête vers le dieu Soleil, se mit à pleurer » ; – maudire : « Son cœur le porta à maudire aussi la prostituée » ; – interpeller : « il [Samash] l’interpella » ; – confier : « il confia à son ami » ; – s’écrier : « Gilgamesh s’écria » ; – s’adresser : « Gilgamesh s’adressa à son ami défunt » ; – lancer un appel : « Gilgamesh lança un appel au pays ». La réplique « Tu parles ainsi […] un de leurs camarades » est davantage introduite par un verbe de mouvement qui désigne le destinataire des propos : « Enlil, en colère, se tourna vers Samash le Céleste. » La diversité des verbes qui introduisent les paroles rapportées dans la trame narrative donnent du relief aux scènes évoquées car ces verbes suggèrent le ton de la réplique : « pleurer », « maudire », « confia »… Le lecteur peut ainsi mieux se représenter la scène. X Dans le texte adapté par Léo Scheer, les tirets introduisent les paroles rapportées au cours du récit-cadre et les guillemets sont réservés aux propos tenus durant le premier rêve, c’est-à-dire dans le récit secondaire. Cette distinction entre les deux modes d’insertion permet de différencier les deux niveaux de la narration : ce qui se produit à la suite des épisodes de Humbaba et du Taureau-Céleste et ce qui est rapporté par Enkidu. at Enkidu rapporte à Gilgamesh deux de ses rêves. Dans le premier, on entend débattre les dieux au sujet du châtiment à infliger aux deux héros, puis Enkidu s’en prend à la porte du temple d’Enlil, le dieu qui vient de demander sa mort. Le second rêve est une descente aux Enfers au cours de laquelle Gilgamesh se révèle incapable d’aider son ami. Le procédé des récits emboîtés permet de présenter deux faces d’une même situation et montre que le quotidien des Sumériens est profondément marqué par le monde des dieux. En effet, les deux rêves apportent un éclairage sur la réalité des deux personnages et nous en donnent la signification. Gilgamesh interprète la descente aux Enfers de son ami comme une annonce de sa mort imminente.

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La place des rêves ak Alors qu’Enlil se prononce pour la mort d’Enkidu dans le premier rêve, Gilgamesh l’interprète comme un signe positif : « ce rêve est excellent », « ce rêve est parfait » – ce qui montre qu’il cherche à rassurer son ami. La raison qu’il invoque pour justifier son interprétation est que « c’est aux gens bien-portants que les dieux inspirent l’angoisse, qui stimule leurs défenses ». La présence de la mort est si forte dans le second rêve que Gilgamesh en comprend aussitôt la signification : « Ayant écouté ce récit, Gilgamesh se dit que son ami avait vu un songe défavorable, irréparable. » al Les rêves sont conçus comme un message des dieux. D’ailleurs, quand Gilgamesh se rend dans la forêt de Cèdres pour tuer Humbaba, il accomplit des rites pour appeler les rêves prémonitoires qu’Enkidu interprète ensuite de façon positive. Comme plus tard les oracles de la Pythie, les rêves sont obscurs et nécessitent une interprétation. Les rêves ont une force prémonitoire, et l’épopée de Gilgamesh souligne le lien entre le second récit d’Enkidu et le début de sa maladie : « Gilgamesh se dit que son ami avait vu un songe défavorable, irréparable. À partir de ce jour, Enkidu perdit toutes ses forces. » am Les lieux évoqués dans le rêve ne sont pas accessibles aux mortels et ne ressemblent en rien à la ville d’Uruk. L’espace s’est élargi pour atteindre une dimension cosmique : « Le ciel vociférait et la Terre lui faisait écho tandis que moi, je me tenais debout entre les deux. » Par la suite, Enkidu est emmené dans « l’obscure demeure de la déesse Irkalla, dans l’Enfer où était descendue Ishtar et d’où l’on ne revient jamais ». Enkidu a pénétré dans le monde des morts. an On relève le champ lexical de la violence qui est fortement présent au début du récit : « vociférait », « le rapace géant », « le monstre des forces du Chaos », « pattes de lion », « serres d’aigle », « il me saisit par les cheveux », « frapper », « frappa », « submergea », « trombe d’eau », « piétina », « m’étreignit », « me transforma en pigeon ». Dans la seconde partie du récit, une fois qu’Enkidu a rejoint le monde des morts, le champ lexical de la violence disparaît. Sans doute la violence correspond-elle à l’arrachement à la vie et, une fois qu’Enkidu a quitté le monde des vivants, elle n’a plus de raison de s’exercer. Cette étape violente semble annoncer la maladie d’Enkidu, période durant laquelle la mort vient l’arracher à l’univers des vivants.

La malédiction ao Enkidu profère trois séries de malédictions : la première est adressée, au sein du premier rêve, à la porte du temple d’Enlil, la deuxième au chasseur et la troisième à la prostituée. Enkidu maudit tous ceux qui ont joué un rôle dans son destin : d’abord Enlil (représenté par sa porte car on ne peut maudire un dieu immortel), qui a décidé de sa mort lors du conseil des dieux, puis le chasseur, qui est intervenu pour signaler sa présence dans la steppe, et enfin La Joyeuse, qui lui a appris qu’il était un homme et l’a conduit vers Gilgamesh. C’est sans doute l’amitié qui fait qu’il ne maudit pas Gilgamesh à qui revient pourtant l’initiative de la forêt de Cèdres. Mais, dans le second rêve, il lui reproche tout de même son inaction. ap Relevé des verbes de l’extrait : – « as » : présent de l’indicatif ; – « a » : présent de l’indicatif ; – « ai arpenté » : passé composé de l’indicatif ; – « es faite » : présent de l’indicatif passif (le passé composé serait a fait) ; – « aie trouvé » : passé du subjonctif ; – « ai fabriquée » : passé composé de l’indicatif ; – « ai […] transportée » : passé composé de l’indicatif ; – « avais su » : plus-que-parfait de l’indicatif ; – « réservais » : imparfait de l’indicatif ; – « aurais brandi » : passé du conditionnel ; – « est » : présent de l’indicatif ; – « aurais chargé » : passé du conditionnel ; – « puisses » : présent du subjonctif ; – « désires » : présent de l’indicatif ; – « maudisse » : présent du subjonctif ;

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– « anéantisse » : présent du subjonctif ; – « efface » : présent du subjonctif. La diversité des modes et des temps rend compte des différentes temporalités rassemblées dans le passage (le passé, le présent, l’irréel du passé exprimé par le conditionnel et le futur de la malédiction exprimé par le subjonctif), ainsi que des différentes modalités (la modalité déclarative qui se traduit par l’indicatif et l’injonction qui se fait au subjonctif). aq Le substantif « porte », placé en apostrophe au début des propos d’Enkidu, est ensuite repris par de nombreux termes, déterminants et pronoms : – « tu » (à plusieurs reprises) : pronom personnel sujet ; – « toi » : pronom personnel complément (forme tonique) ; – « tes » (à 2 reprises) : déterminant démonstratif ; – « t’ »/« te » (à plusieurs reprises) : pronom personnel complément (forme atone). Les mots qui représentent la porte sont nombreux car elle est le destinataire des propos d’Enkidu. ar Pour protester contre la décision prise par Enlil dans son rêve, Enkidu en souligne l’injustice : « Il n’y a pas de conscience en toi. » S’établit un jeu avec les irréels du passé soumis aux subordonnées hypothétiques. Pour cela, il accentue les efforts qu’il a accomplis pour plaire à Enlil en rappelant le dénouement de l’épisode de la forêt de Cèdres : les héros ont rapporté le plus beau des arbres pour en faire une porte destinée au temple d’Enlil. Deux procédés expriment ces efforts : la durée de la recherche (« j’ai arpenté deux cents kilomètres ») et la qualité de l’arbre choisi (« le plus élevé des cèdres », « ce bois sans pareil »). L’accumulation des verbes au passé composé ou passé du subjonctif montre l’énergie déployée par Enkidu. as La malédiction est contenue dans les dernières phrases du discours d’Enkidu : « Puisses-tu […] le sien. » Différents procédés l’expriment : – lexique : le vocabulaire est négatif (« maudisse », « anéantisse », « efface ») ; – mode verbal : le subjonctif a ici une valeur injonctive ; – style : l’énumération de propositions indépendantes dans un rythme croissant donne tout son poids à la malédiction.

L’amitié bt Gilgamesh tente de réconforter son ami en lui disant que son premier rêve (« C’est Enkidu qui doit mourir, pas Gilgamesh », dit pourtant Enlil) est un signe favorable. Il cherche à le rassurer : « N’aie plus de soucis, mon ami. » Il tente aussi de le conseiller : « Pourquoi ton cœur a-t-il prononcé des propos aussi aberrants ? » Il se propose aussi d’agir en suppliant Enlil et en lui prodiguant de l’or afin d’obtenir ses bonnes grâces. bk D’abord, les paroles rassurantes et les suppliques de Gilgamesh adressées à Enlil n’entament pas la résolution des dieux. Gilgamesh, qui a vaincu Humbaba et le Taureau-Céleste, connaît là son premier échec. Le second rêve d’Enkidu exprime également l’impuissance de Gilgamesh malgré l’appel au secours de son ami : « J’avais beau crier : “Sauve-moi, mon ami !” tu avais si peur que tu n’intervenais pas et tu ne m’as pas secouru. Tu ne m’as pas sauvé. » bl L’attitude de Gilgamesh lorsqu’il découvre que son ami est mort manifeste son chagrin. Les verbes de mouvement sont nombreux (« tournait », « allait et venait »), ainsi que ceux qui expriment une forme d’autodestruction (« arrachant et semant », « se dépouilla et rejeta »). Par la suite, cette autodestruction, qui est une façon de se rejeter soi-même, se poursuit par une fuite loin d’Uruk : « Je me laisserai un aspect hirsute et, revêtu seulement d’une dépouille de lion, je vagabonderai dans la steppe. » L’attachement de Gilgamesh à son ami l’amène à commander à ses artisans la plus belle statue qui soit. La quantité (« Forgerons, lapidaires, métallurgistes » ; « les gens d’Uruk ») et la qualité du travail accompli semblent vouloir donner une certaine forme de vie à Enkidu : « Je vais te faire reposer. » La mort d’Enkidu est source de chagrin mais aussi d’angoisse pour Gilgamesh car, avec la disparition de son ami, il découvre son propre destin, comme le traduit l’interrogation « Devrais-je donc mourir moi aussi et, par la mort, devenir pareil à son cadavre ? ». « C’est la peur de la mort qui [lui] fait courir le désert », davantage sans doute que le chagrin.

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bm Gilgamesh n’a jamais connu jusqu’à présent le moindre échec et sans doute son impuissance (dans le récit principal comme dans le second rêve) à sauver son ami est un élément nouveau dans son parcours. L’épopée s’apparente ici à un récit d’apprentissage qui montre l’évolution d’un personnage confronté à des obstacles mais aussi à des échecs. Jusqu’à la mort de son ami, Gilgamesh ne craint ni la mort ni le danger. Il s’est lancé dans le combat contre Humbaba et a vaincu le Taureau-Céleste sans s’interroger sur le sens de son existence. La disparition d’Enkidu, souvent appelé « son jumeau » (« Moi, ton ami, ton frère jumeau »), infléchit profondément son comportement. Lui que l’on voyait se pavanant à Uruk après ses exploits choisit de s’isoler dans le désert. La mort d’Enkidu annonce sa propre mort et lui inspire une nouvelle quête, celle de l’immortalité : « je veux le questionner sur la mort et sur la vie », explique-t-il à l’homme-scorpion quand il lui dit vouloir rencontrer Ut-Napishtim.

La représentation de la mort bn Si le récit du rêve développe une représentation de la mort, le récit principal est très allusif et met l’accent sur les réactions de Gilgamesh. Le héros distingue d’ailleurs la mort glorieuse au cours d’un combat de celle qui frappe Enkidu, suite à la malédiction de Humbaba. La mort est l’aboutissement d’un affaiblissement progressif, comme si Enkidu quittait lentement le monde des vivants : en douze jours, Enkidu « perdit toutes ses forces ». Elle se traduit par une immobilisation progressive : « il resta étendu sur son lit », « il ne bougeait plus », « Enkidu ne levait même plus la tête », « il ne battait plus ». L’image du sommeil est aussi convoquée pour exprimer la mort ainsi qu’une représentation plus macabre : « Te voilà devenu noirâtre. » On peut aussi noter que le recours aux négations contribue à définir la mort comme une privation de la vie, comme si sa réalité propre était indicible : « tu ne m’entends plus », « il ne bougeait plus »… bo En réponse à la question 14, nous avons vu que le champ lexical de la violence occupait le début du récit puis laissait place à une évocation plus statique. La mort est d’abord représentée comme un arrachement violent à la vie auquel Enkidu tente de résister (« J’essayai alors de le frapper ») ; mais il est devenu un objet, comme le suggère sa position en complément d’agent (« Il me saisit », « Il me frappa », « Il me toucha et me transforma »). Par la suite, Enkidu se montre passif et on le retrouve sujet de verbes de perception, comme s’il ne pouvait plus qu’accepter son sort. La seconde partie du récit est une évocation du monde des morts. C’est un monde dont l’obscurité (« obscure demeure », « ténèbres », « obscurité »…) est présentée comme l’antithèse de la vie : « sans plus jamais voir le jour ». Alors que les vivants se nourrissent (« la viande grillée », « le pain cuit ») et boivent (« boissons fraiches »), les morts ne connaissent plus que la « poussière » et « l’argile » en guise de pain. La mort est également présentée comme une destination dont « on ne revient jamais » : « L’aller sans retour ». Les hommes ont perdu leur nature humaine : ils ne se nourrissent plus que de poussière et sont transformés en oiseaux. Pourtant, il reste trace de leur passé : « Je pus voir des couronnes rassemblées. » De manière générale, la mort est présentée comme une perte : abandon du jour, de la nourriture, du pouvoir (« qui dominèrent le pays »), de la nature humaine (« vêtement de plumes »). bp La lamentation de Gilgamesh a une force incantatoire qui semble vouloir défier la mort. En s’exprimant ainsi longuement, le souverain d’Uruk rend hommage à son ami et donne forme à sa douleur. La dimension poétique de la lamentation permet de dépasser la douleur en construisant une parole forte, alors même que la mort accomplit son œuvre destructrice. On peut relever différents procédés : la répétition des apostrophes (« Enkidu, mon ami » ; « eaux pures des régions montagneuses »…), l’anaphore du verbe pleurer conjugué à l’impératif ou au subjonctif à valeur injonctive. La succession des phrases injonctives bâties sur le même modèle donne une force incantatoire à la lamentation. L’accumulation d’un vocabulaire mélioratif pour exprimer la nostalgie du passé (« la bière douce », « des breuvages choisis », « les onguents délicieux »…) met en relief la perte que représente la mort d’Enkidu et la douleur de Gilgamesh. Elle est aussi une façon de faire revivre, grâce au langage poétique, cette vie heureuse que la mort a interrompue.

À vos plumes ! bq On valorisera les copies qui auront su créer une atmosphère inquiétante en suggérant à la fin la réalisation du rêve, mais aussi celles qui auront su préciser l’évocation afin que le lecteur puisse se représenter le monde rêvé.

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T a b l e t t e s I X à X I ( p p . 6 6 à 8 8 )

Avez-vous bien lu ? u Gilgamesh désire rencontrer Ut-Napishtim, le survivant du Déluge. Il veut lui demander le secret de l’immortalité car il a été profondément affecté par le décès de son ami Enkidu. v Le tout premier obstacle que Gilgamesh doit surmonter est une tribu de lions : « Il aperçut des lions et eut peur que la mort ne l’ait rattrapé. » Avec son épée, utilisée comme un javelot, il parvient à les disperser. w Les hommes-scorpions postés à l’entrée du passage des monts Jumeaux protègent le parcours du Soleil. x Ur-Sanabi est un passeur ; il est chargé du bateau qui permet de traverser l’eau mortelle ; c’est lui qui va emmener Gilgamesh jusqu’à Ut-Napishtim. On le retrouvera ensuite dans la mythologie gréco-latine. y Ea, le dieu des Eaux souterraines, avertit Ut-Napishtim du projet des dieux concernant le Déluge et il lui conseille de construire un bateau. U Le faux jasmin, selon Ut-Napishtim, a le pouvoir de rendre immortel ; il se trouve au fond de l’eau ; il faut pouvoir plonger et résister aux piqûres de ses épines pour réussir à s’en emparer. V Ur-Sanabi est chargé de raccompagner Gilgamesh chez lui. W Gilgamesh a obtenu d’Ut-Napishtim le faux jasmin qui donne l’immortalité. Mais comme il perd la plante, il perd également la possibilité de devenir immortel.

L’épisode du Déluge X L’épisode du Déluge, enchâssé dans le récit principal, constitue un retour en arrière. Ut-Napishtim en est le narrateur ; il s’adresse à Gilgamesh venu l’interroger sur son immortalité. L’unique survivant du Déluge est le seul à pouvoir témoigner de ce qui s’est passé. Ut-Napishtim fait le récit complet de cet événement ancien pour expliquer au roi d’Uruk les circonstances exceptionnelles qui ont justifié sa divinisation. Gilgamesh devrait sans doute en déduire qu’il n’a aucune chance d’accéder à l’immortalité qu’il demande car les circonstances sont bien différentes. at Les dieux sont à l’origine du Déluge, comme l’explique Ut-Napishtim au début de son récit : « C’est depuis cet endroit que les grands dieux eurent l’idée de provoquer le Déluge. » Certains dieux, plus puissants que les autres (« les grands dieux »), sont désignés plus particulièrement comme les « instigateurs » de la catastrophe : Anu, Enlil, Ninurta et Enmogi. L’expression « conseil des dieux » évoque une décision collégiale, même si certains dieux comme Ea se contentent d’écouter et de « jurer le secret ». Dans l’épisode du Déluge proprement dit (passage délimité), on voit que les dieux sont sujets de verbes d’action : « dans laquelle tonnait Adad, le dieu de l’Orage » ; « Le dieu Nergal […] arracha les vannes célestes » ; « Ninurta […] se mit à faire déborder les barrages » ; « les dieux infernaux […] embrasaient toute la Terre » ; « Adad […] réduisant en ténèbres tout ce qui était lumineux ». On est passé de l’« idée » et du « conseil » à l’action sans perdre la dimension collégiale. ak Les habitants participent tous à la construction du navire, chacun selon son talent, car Ut-Napishtim, sur les conseils d’Ea, a eu recours à une ruse. Il affirme à ses compagnons que, maudit par Enlil, il doit quitter la ville. Quand Enlil aura réussi à le chasser, il récompensera les habitants en leur accordant l’abondance : « oiseaux à profusion et poissons par corbeilles. Il vous accordera les moissons les plus riches. » al Ea est présenté comme un dieu rusé. D’abord, pour ne pas trahir son serment, il feint de s’adresser à la palissade, alors qu’il sait qu’Ut-Napishtim, le véritable destinataire de ses informations, se tient juste derrière. Ensuite, c’est lui qui a l’idée de faire croire aux habitants qu’une pluie de bienfaits va célébrer le départ d’Ut-Napishtim afin de les inciter à s’activer dans la construction du navire. am Le Déluge est particulièrement violent. Le vocabulaire du déluge est fortement présent pour exprimer la nature du cataclysme : « l’ouragan » ; « trombes d’eau » ; « bourrasques, pluies battantes et tornades ». À ces termes météorologiques s’ajoutent des expressions qui apportent une explication au Déluge présenté comme l’ouverture des « vannes célestes » ou la rupture d’un « barrage ».

Réponses aux questions – 20

On relève des verbes de destruction : « arracha », « déborder », « embrasaient », « réduisant », « se brisèrent », « se déchaîna », « déferla », « sévissaient ». L’obscurité et le silence dominent : « une nuée noire », « ténèbres », « silence-de-Mort », « Personne ne voyait plus personne »… Tout l’univers est concerné, comme l’expriment le verbe « sillonnant » ainsi que les pluriels « les collines », « les barrages », « des torches ». La dimension du phénomène est cosmique : « maître du monde souterrain », « vannes célestes », « toute la Terre », « les assises de la Terre ». La fragilité du monde des hommes, comparé à un vase qui se brise, rend compte également de la violence du phénomène. De manière plus générale, les comparaisons avec la guerre permettent de suggérer aussi un phénomène d’une grande puissance : « comme la guerre », « comme la lutte à mort qu’on se livre entre combattants ». La frayeur des dieux qui, « pris d’épouvante », grimpent au Ciel et se blottissent « tels des chiots » souligne l’ampleur exceptionnelle du phénomène. En effet, si les dieux eux-mêmes, par nature tout-puissants, ne sont plus que des chiots, c’est que les forces qu’ils ont déchaînées en s’unissant contre les hommes ont dépassé leur compétence. an Les dieux qui sont à l’origine du Déluge, dans sa conception comme dans son exécution, sont dépassés par l’ampleur du phénomène. Terrifiés (« épouvante », « prenant la fuite », « pelotonnés et accroupis »), ils expriment leur désespoir (« poussaient des cris », « se lamentait ») et leurs remords, comme en témoigne la lamentation de Belitili : « Comment ai-je pu décider de la sorte un pareil carnage […] ? » Les regrets sont contagieux : « Et les dieux de haute classe de se lamenter avec eux. » C’est la déesse mère, celle-là même qui a participé à la création des hommes (« mes propres gens »), qui a l’initiative de cette lamentation sur leur destruction. Dans un second temps, Belitili adopte une attitude plus constructive que le simple regret : elle compte accepter l’offrande d’Ut-Napishtim et exclure Enlil (« mais pas Enlil ») qui « a fait le Déluge et voué [s]es gens à l’anéantissement ». ao Dans un premier temps, Enlil éprouve de la colère (« se mit en fureur ») en voyant qu’un homme a survécu au Déluge supposé anéantir l’espèce humaine. Puis, après avoir entendu les propos d’Ea, il accueille le survivant et sa femme dans le monde des dieux : « Alors Enlil monta sur le bateau, me prit la main et me fit monter avec lui » ; « lui et sa femme seront semblables à nous les dieux ».

Un voyage initiatique ap Les différents paysages traversés par Gilgamesh au fil de sa quête tendent à montrer que le héros s’écarte du monde des hommes pour s’approcher au plus près de celui des dieux. Tout d’abord, le roi d’Uruk quitte sa ville et traverse la steppe, puis il atteint les monts Jumeaux, considérés comme la porte d’entrée du Soleil (un dieu), donc comme un accès à un espace divin. Puis, sur 120 km, Gilgamesh traverse un paysage plongé dans l’obscurité (« pas la moindre trace de lumière »). Il s’agit d’une sorte de transition entre l’espace des hommes et celui réservé aux dieux. Le paysage obscur cède ensuite le pas à une « région enchantée », baignée de lumière : c’est le « bosquet des dieux », un jardin que l’on retrouve dans toutes nos utopies (« arbres, fruits et fleurs étaient des pierres précieuses ») ; la richesse s’y combine avec l’abondance (« foisonnaient », « chargé », les pluriels) pour suggérer un monde parfait. Gilgamesh se retrouve ensuite sur une plage, lieu d’embarquement pour un monde encore plus proche du divin. Le lieu de vie des dieux (dont Ut-Napishtim) est séparé de ce rivage par les « eaux de la mort » que seul le Soleil peut traverser. aq En répondant à la question précédente, on a vu que le monde des dieux où réside Ut-Napishtim est précédé d’une série de paysages contrastés et que les marges et les barrières sont multipliées pour accentuer l’interdiction du domaine aux hommes. Les obstacles sont présentés comme infranchissables : les monts Jumeaux qui marquent l’entrée d’un espace plongé dans l’obscurité, la plage qui borde les « eaux de la mort ». Comme les dieux sont immortels, les obstacles qui ferment l’entrée de leur domaine sont justement porteurs de mort, qu’il s’agisse de l’obscurité ou des eaux mortelles. Par ailleurs, le « bosquet des dieux » caractérisé par la richesse et l’abondance est, lui aussi, un monde que ne connaissent pas les hommes. ar Au fil de sa quête, Gilgamesh rencontre une succession de personnages qui sont tantôt des aides, tantôt des obstacles et souvent les deux :

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– les lions : ce sont des obstacles qui représentent la mort ; Gilgamesh parvient à les disperser ; – les hommes-scorpions : ils constituent d’abord un obstacle, car ils barrent le passage et sont effrayants, puis ils sont des adjuvants en laissant passer Gilgamesh et en le préparant à l’épreuve de l’obscurité qu’il va devoir affronter ; – Siduri la tavernière : au début, elle refuse de rencontrer Gilgamesh (« Elle bloqua sa porte et poussa le verrou »), puis elle lui indique comment franchir les « eaux de la mort » ; – Ur-Sanabi le nocher : pour obtenir son aide, Gilgamesh doit d’abord le dominer grâce à son épée comme s’il s’agissait d’un obstacle à vaincre ; c’est grâce à lui que notre héros peut rejoindre Ut-Napishtim ; – Ut-Napishtim : il est à la fois le but de la quête, une aide pour accéder à l’immortalité (c’est lui qui révèle l’existence du faux jasmin) et un obstacle à dépasser quand il propose l’épreuve des sept jours de veille d’affilée, épreuve que Gilgamesh ne parviendra pas à surmonter. as La mort d’Enkidu est à l’origine de la quête de Gilgamesh car elle lui a fait prendre conscience de sa finitude : « Devrais-je donc mourir moi aussi et, par la mort, devenir pareil à son cadavre ? » bt À l’homme-scorpion qui l’interroge sur le but de son voyage, Gilgamesh répond qu’il souhaite rencontrer Ut-Napishtim en avançant plusieurs raisons à sa démarche. D’abord, Ut-Napishtim est présenté comme son « ancêtre » ; à ce titre, il est susceptible de conseiller notre héros. Ut-Napishtim est ensuite un mortel qui a obtenu l’immortalité (« ils lui ont accordé l’immortalité »), et le souverain d’Uruk sous-entend qu’il voudrait savoir comment procéder pour l’obtenir à son tour. Enfin, Gilgamesh s’interroge sur le sens de son existence et il compte demander conseil à ce sujet : « Je veux le questionner sur la mort et sur la vie. » bk Les propos que Gilgamesh tient à l’homme-scorpion soulignent la difficulté de la quête entreprise. Reprenant une expression employée par son interlocuteur, Gilgamesh évoque « un aussi long voyage », puis il présente sous la forme d’une énumération les difficultés rencontrées : « malgré le froid glacial et la chaleur sèche, en dépit des fatigues ». En mettant de la sorte en avant la difficulté de la quête, Gilgamesh révèle sa volonté (« Gilgamesh insistait », « j’irai jusqu’au bout ») et sa résistance physique. C’est en se confrontant aux obstacles que le personnage révèle sa force héroïque et suscite l’admiration du lecteur. Incarnant les valeurs (force physique et morale) auxquelles est attaché tout un peuple, le héros qui accomplit ainsi des exploits héroïques appartient bien au genre de l’épopée. bl Les constructions négatives sont nombreuses dans la réplique de l’homme-scorpion : – les adverbes ou locutions adverbiales de négation : « jamais […] n’ », « n’[…] pas » ; – les pronoms indéfinis négatifs : « personne », « nul » ; – la locution restrictive : « ne […] que ». Ces constructions accumulées montrent que le projet de Gilgamesh est irréalisable puisque personne ne l’a jamais accompli. Le souverain d’Uruk est présenté comme un être exceptionnel et héroïque. bm Trois temps sont employés dans la réplique de l’homme-scorpion : – le passé composé : « a pu », « est entré » ; ils expriment une action antérieure à la quête de Gilgamesh ; – le présent : « règnent », « est » ; ils expriment une vérité générale ; – le futur : « trouveras » ; il exprime une action à venir, évoque la suite du voyage de Gilgamesh ; la négation qui porte sur ce verbe montre que l’expédition est impossible. Ce balayage temporel permet de replacer l’entreprise du héros dans une perspective élargie : la quête est située dans l’histoire de l’humanité tout entière (« jamais personne ») et prend ainsi une force et un sens tout particuliers. bn Dans sa dernière réplique, l’homme-scorpion emploie à trois reprises le présent de l’impératif : « pars », « pénètre » et « traverse ». Ce mode exprime la supériorité du gardien des monts Jumeaux sur Gilgamesh. Les verbes sont tous les trois des verbes de mouvement, et le mode joue ici le rôle d’un laissez-passer pour la suite du voyage. Le mode subjonctif de « conduisent » a la même valeur injonctive que l’impératif ; il est ici un substitut d’un mode qui ne se conjugue pas à la 3e personne. Le dernier verbe est à l’indicatif (« est ouverte » est un présent passif) ; c’est le mode de la certitude qui conclut l’échange entre l’homme-scorpion et le héros, signe que la quête peut continuer.

Réponses aux questions – 22

Une leçon de vie bo Pour voir s’il est digne d’acquérir l’immortalité qui est l’apanage des dieux, Ut-Napishtim demande à Gilgamesh de rester éveillé sept jours d’affilée. Pour la première fois depuis le début de l’épopée, si l’on excepte son impuissance à sauver Enkidu, le souverain d’Uruk échoue et s’endort aussitôt. Alors qu’il a pu braver des obstacles apparemment insurmontables, tels que les lions, les hommes-scorpions ou l’obscurité, il tombe de fatigue immédiatement : « Mais Gilgamesh était à peine accroupi pour s’asseoir qu’il sombra dans un profond sommeil. » On peut proposer différentes raisons à cet échec : – Le sommeil est un lien avec le monde des dieux ; c’est, en effet, dans les rêves qu’ils s’adressent aux hommes. Les dieux, en plongeant Gilgamesh dans un sommeil de sept jours, montrent qu’ils ne veulent pas qu’il surmonte l’épreuve fixée par Ut-Napishtim. – Le sommeil est semblable à la mort ; s’endormir, c’est montrer que l’on ne peut accéder à l’immortalité. – L’immortalité est l’attribut des dieux qui sont des êtres supérieurs ; en s’endormant, Gilgamesh montre qu’il n’est qu’un homme, même s’il a su surmonter de nombreux et terribles obstacles ; il n’a pas la conscience (éveil) des dieux. bp Après avoir échoué à l’épreuve des sept jours de veille, Gilgamesh manque aussi celle du faux jasmin. Pourtant, en récompense de sa persévérance, Ut-Napishtim lui avait confié le secret de cette plante et Gilgamesh a pris des risques en plongeant pour la cueillir. S’il perd la plante qui rend immortel, c’est sans doute parce qu’il ne l’a pas consommée tout de suite. En effet, il comptait la tester d’abord sur un vieillard d’Uruk. On note ici son manque de confiance dans la parole des dieux. De même que, dans la mythologie grecque, Orphée doutera de la promesse d’Hadès de lui rendre Eurydice, de même Gilgamesh imagine qu’Ut-Napishtim a pu lui donner la mort en lui assurant la vie éternelle. bq La tavernière puis Ut-Napishtim tentent d’expliquer à Gilgamesh que sa quête est vaine et préparent, dans leurs propos, le dénouement tout en donnant aux lecteurs une leçon de vie. Tous les deux, en effet, rappellent à Gilgamesh (et au lecteur) que la vie des hommes est par définition mortelle, que ce qui caractérise l’essence même de la vie, c’est justement la mort. « Quand les dieux ont créé l’humanité, c’est la mort qu’ils lui ont réservée ! L’immortalité, ils l’ont gardée pour eux », dit la tavernière. Et Ut-Napishtim de reprendre les mêmes termes en ajoutant : « L’être humain quel qu’il soit est voué à être fauché comme un roseau de cannaie. Le sort de l’humanité est d’être brisé. » Dans son discours, Ut-Napishtim insiste sur le temps qui passe et détruit (« Pour combien de temps bâtissons-nous des maisons ? »), alors que la tavernière tient des propos plus positifs en soulignant tout ce qui rend la vie des hommes heureuse et précieuse : le plaisir (« fais la fête ! »), le soin que l’on apporte à sa personne (« Que tes vêtements soient immaculés, ta tête bien lavée, baigne-toi à grandes eaux ! »), les sentiments que l’on éprouve pour ses proches et qui vous lient à eux (« Contemple l’enfant qui te tient par la main. Que ta bien-aimée se réjouisse dans tes bras ! »). br Nous avons l’habitude, dans les épopées, de suivre les exploits de héros qui réussissent et l’on est surpris de voir que, alors qu’elle occupe une grande partie du récit et que le personnage a fait preuve de toutes les qualités requises (force physique, intelligence et persévérance), cette quête échoue à deux reprises. Comme le disent la tavernière et Ut-Napishtim, l’immortalité est l’apanage des dieux, alors que la mort est constitutive de l’humanité. Il semble donc que, par définition, Gilgamesh ne puisse devenir immortel. Si un humain pouvait devenir un dieu, c’est l’ordre du monde qui serait menacé. On peut expliquer de la même manière le fait qu’Eurydice ne puisse pas revoir la lumière du jour. Pourtant, sur les tablettes d’argile, le nom du souverain d’Uruk est accompagné du signe cunéiforme qui indique son appartenance au monde des dieux. On retrouve également son nom sur une liste de divinités. Il s’agit sans doute d’une immortalité d’une nature différente de celle des dieux proprement dits puisqu’elle suppose un passage par la sépulture. Ne s’agirait-il pas du fait qu’un être humain puisse marquer les esprits et rester présent dans la mémoire des hommes ? L’épopée, qui célèbre les exploits de Gilgamesh et, à la fin, sa sagesse (qui consiste à accepter ses limites), contribue à la gloire et à l’immortalité littéraire du souverain d’Uruk. C’est l’écriture qui a rendu Gilgamesh immortel, et, en un sens, cette épopée qui voit la naissance de l’écriture en célèbre la force même.

Gilgamesh – 23

bs L’échec de la quête est suivi d’une rédemption due à un nouveau regard sur la ville d’Uruk. La vie de Gilgamesh prend un sens nouveau malgré la mort à laquelle il ne pourra échapper. Différents procédés rendent compte de l’admiration de Gilgamesh : – les impératifs des verbes de perception (« Considère ce soubassement », « Scrutes-en les fondations ») suggèrent le geste de Gilgamesh montrant Uruk à Ur-Sanabi pour qu’il partage son admiration ; – les exclamations et les interrogations rhétoriques expriment aussi cette admiration ; – les déterminants numéraux ainsi que l’adverbe répété « autant » insistent sur l’importance de la ville. Aux dimensions imposantes de la ville s’ajoutent le prix du travail (« Brique cuite » des soubassements, « jardins ») et le caractère raisonnable des « Sept Sages » qui ont présidé à la fondation de la cité.

Lire l’image ct Le personnage qui se tient debout à droite est Ur-Sanabi, reconnaissable à la perche qui lui permet de manœuvrer le bateau. Ses ailes, sa position debout et son attitude active marquent sa supériorité sur le personnage assis et immobile à gauche. On identifie, dans ce dernier, Gilgamesh ; en effet, s’il est en position d’infériorité par rapport au divin nocher, sa corpulence, ses vêtements et son attitude digne expriment son haut statut social. Immobile, Gilgamesh montre sa soumission au marin qui mène la barque. Il n’est plus ici acteur de son destin mais en quête de réponses à ses interrogations existentielles. Le décor évoque également le voyage de Gilgamesh ; l’arc-en-ciel en arrière-plan donne une dimension sacrée à la scène, et sans doute l’illustrateur tient-il à exprimer le lien entre l’épopée mésopotamienne et le récit biblique du Déluge plus connu du lecteur. En effet, dans le livre de la Genèse, l’épisode du Déluge se clôt par l’apparition d’un arc-en-ciel qui scelle l’alliance entre Dieu et les hommes.

À vos plumes ! ck On attend que les élèves aient recours à leur imagination pour évoquer le pays des gemmes et qu’ils ajoutent des détails montrant le caractère paradisiaque du lieu. On pourra proposer quelques extraits accessibles d’utopies qui peuvent les mettre sur la voie : la Bétique de Fénelon (Télémaque) ou l’Eldorado de Voltaire (Candide). On valorisera les copies qui auront su mettre en avant les différents sentiments du personnage, de l’étonnement à l’admiration, et qui auront pensé à effectuer des comparaisons avec le monde que connaît Gilgamesh sans s’égarer dans des anachronismes.

R e t o u r s u r l ’ œ u v r e ( p p . 9 3 - 9 4 )

u À la demande d’Anu, la déesse Aruru a façonné Enkidu avec de l’argile afin qu’il puisse contrôler la terrible force de Gilgamesh, le souverain d’Uruk. Les deux héros deviennent amis et leur combat contre Humbaba, le gardien de la forêt de Cèdres, renforce leur amitié. Après avoir abattu le géant, les deux amis tuent le Taureau-Céleste envoyé par la déesse Ishtar. Mais les hommes ne peuvent pas défier les dieux en toute impunité et Enkidu meurt, sur décision du très puissant Enlil, laissant Gilgamesh inconsolable. Ce dernier entreprend alors une quête de l’immortalité qui le mènera jusqu’à Ut-Napishtim, l’unique survivant du Déluge. v Il fallait relier : • Enkidu vit avec les animaux. • Gilgamesh n’est pas toujours apprécié par ses sujets. • Enkidu tue Humbaba. • Enkidu meurt, frappé par une malédiction. • Gilgamesh veut rencontrer le survivant du Déluge. • Gilgamesh veut rapporter le faux jasmin à Uruk.

Réponses aux questions – 24

w

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P R O P O S I T I O N D E S É Q U E N C E D I D A C T I Q U E

QUESTIONNAIRE ÉTUDE DE LA LANGUE TECHNIQUE LITTÉRAIRE EXPRESSION ÉCRITE

1) Tablettes I et II • Les pronoms • Les fonctions de l’adjectif qualificatif • Le passé composé • Le passé simple

• Un incipit • Situation initiale et élément perturbateur • L’épopée • Le héros

• Thème de l’amitié : la naissance de l’amitié. Exercice de transposition

2) Tablettes III à V

• Champ lexical de la peur • Expression de la 1re personne du pluriel • Le mode impératif

• L’épopée • Péripéties et obstacles • Le héros • L’expression des sentiments

• Thème de l’amitié : la force de l’amitié. Exercice de transposition

3) Tablette VI

• Champ lexical de la richesse • Modes et temps (injonction) • L’expression de l’abondance • Subordonnée relative • Procédés de style

• L’épopée • Le héros et les dieux • Un animal monstrueux • Le discours argumentatif

• Dialogue argumentatif appuyé sur le récit

4) Tablettes VII et VIII

• Champ lexical de la violence • Paroles rapportées • Classes grammaticales • Modes et temps (identification)

• Récits emboîtés • L’argumentation • L’expression des sentiments • La représentation de la mort • Les rêves

• Du rêve à sa réalisation ; écriture d’un récit fantastique

5) Tablettes IX à XI

• Négation • Modes et temps • Expression de la violence • Expression de la fierté

• Récits emboîtés • Voyage initiatique • Quête et obstacles • Récit didactique • Le dénouement

Description d’un univers merveilleux et expression des sentiments

Exploitation du groupement de textes – 26

E X P L O I T A T I O N D U G R O U P E M E N T D E T E X T E S

Le groupement de textes permet de montrer ce qu’est un texte fondateur et comment les hommes ne cessent d’écrire les mêmes histoires et de se poser les mêmes questions. Les textes sont organisés autour de trois pôles :

u Le thème de la descente aux Enfers La douzième tablette découverte à Ninive reprend une légende sumérienne qui raconte la descente aux Enfers d’Enkidu ; le second rêve d’Enkidu, dans la tablette VII (p. 57), évoque aussi cette descente dans le monde des morts que l’on retrouve ensuite dans la mythologie gréco-latine. On a retenu un passage de Virgile ; mais l’on peut aussi penser à Homère lorsque Ulysse va consulter les âmes de sa mère et du devin Tirésias pour savoir ce qui se passe à Ithaque et ce que lui réserve la suite de son voyage. N’oublions pas non plus le mythe d’Orphée et ses différentes représentations dans la littérature, dans la peinture et au cinéma, ainsi que La Divine Comédie de Dante.

u La figure du héros Lorsqu’on pense au héros, on évoque immédiatement Hercule le demi-dieu, fils de Zeus et de la mortelle Alcmène. Plus fort que les simples mortels, le héros s’approche des dieux sans en avoir l’immortalité. Cette figure est déjà celle du souverain d’Uruk, et l’épisode d’Hercule combattant le taureau de Crète n’est pas sans rappeler celui du Taureau-Céleste de notre épopée. Notre littérature et notre cinéma sont traversés par ces personnages mesurant leur force hors du commun à des créatures monstrueuses. Mais la seconde partie de l’épopée de Gilgamesh nous invite à nuancer notre regard sur le héros. En effet, personnage doué d’une force surnaturelle, le héros est aussi un être profondément humain et fragile. Les larmes de Gilgamesh à la mort de son ami Enkidu préfigurent celles d’Achille dans l’Iliade. On pourra aussi s’appuyer sur l’Odyssée en montrant Ulysse découragé sur l’île de la nymphe Calypso (chant V).

u Le Déluge L’épisode du Déluge est commun à différentes mythologies à la surface de notre Terre sans qu’il y ait nécessairement eu de communications entre les peuples. En effet, les récits du Déluge se nourrissent probablement à la fois d’une catastrophe naturelle réelle (inondations), à laquelle il s’agit de donner un sens, et des interrogations des hommes concernant leur vie (création et fin du monde) sur Terre. Les mythes expriment les questions des hommes et tentent d’y apporter des réponses. C’est au XIXe siècle que les savants ont découvert les tablettes mésopotamiennes relatives au Déluge ; elles ont clairement été datées comme antérieures aux récits de la Genèse. Il ne fait aucun doute que le récit biblique puise dans cette mythologie, et une étude comparée des deux versions que nous avons réunies dans ce livre (tablette XI et texte p. 137) permettra de s’en assurer. Il est cependant essentiel ici de montrer que cette réécriture n’est pas une simple copie. Il s’agit seulement d’emprunter une forme ancienne pour exprimer une pensée religieuse nouvelle. L’anthropomorphisme qui caractérise les dieux mésopotamiens a fait place à un dieu dont l’essence est profondément différente de celle des hommes. Alors que les dieux mésopotamiens agissent sans réfléchir, le dieu de la Bible a pour l’humanité un véritable projet. Alors que des détails comme les oiseaux sont gardés, la double ruse d’Ea (le mur de roseaux et la pluie de bienfaits) disparaît d’un récit qui ne met pas les péripéties de la narration au premier plan mais privilégie une réflexion sur le divin et l’humain. Non seulement pour ne pas heurter les différentes sensibilités religieuses, judéo-chrétienne et musulmane, mais par souci de vérité historique, il faudra montrer à la fois la permanence d’un mythe et la façon dont chaque civilisation utilise la narration pour exprimer sa propre vision du monde. De manière générale, l’étude du groupement vise à faire sentir aux élèves que leur présent (leurs héros tels Superman, Spiderman…) se nourrit d’un passé. On pourra aussi montrer que les hommes des civilisations anciennes, dont la vie est bien différente de notre rythme moderne, partagent avec nous des représentations (le héros, la mort) et des préoccupations.

Gilgamesh – 27

P I S T E S D E R E C H E R C H E S D O C U M E N T A I R E S

Différentes études pourront être proposées aux élèves, sous la forme d’exposés, de dossiers ou d’une exposition de travaux au CDI ; on pourra travailler avec le professeur d’histoire : 1. La civilisation mésopotamienne et les recherches archéologiques. 2. L’écriture : histoire et systèmes dans le monde. 3. La représentation du héros dans la littérature, en peinture et au cinéma. 4. Les créatures monstrueuses dans la littérature, en peinture et au cinéma. 5. Les différents mythes du Déluge dans le monde.

Bibliographie complémentaire – 28

B I B L I O G R A P H I E C O M P L É M E N T A I R E

– Jean Bottéro, Naissance de Dieu : la Bible et l’historien, coll. « Folio Histoire », Gallimard, 1992. – Jean Bottéro, La Plus Vieille Religion : en Mésopotamie, coll. « Folio Histoire », Gallimard, 1998. – Jean Bottéro, Au commencement étaient les dieux, coll. « Pluriel », Hachette Littérature, 2008. – Jean Bottéro, Babylone et la Bible : entretiens avec Hélène Monsacré, coll. « Pluriel », Hachette Littérature, 2010. – Samuel Noah Kramer, L’histoire commence à Sumer, traduction de Josette Hesse, Marcel Moussy, Paul Stephano et Nicole Tisserand, coll. « Champs Histoire », Flammarion, 2009. – Jean-Pierre Vernant, L’Univers, les Dieux, les Hommes : récits grecs des origines, coll. « Points Essais », Seuil, 2007. – Jean-Pierre Vernant, Mythe et Religion en Grèce ancienne, coll. « Librairie du XXe siècle », Seuil, 1990. – Collectif, Enquête sur le dieu unique, coll. « Le Monde de la Bible », Bayard, 2010.