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  • Les organisations internationaleset la gestion des risques et

    des catastrophes naturels Sandrine Revet

    L e s t u d e s d u C E R IN 157 - septembre 2009

    Centre dtudes et de recherches internationales Sciences Po

  • Les tudes du CERI n 157 septembre 2009 2

    Sandrine Revet

    Les organisations internationales et la gestion des risques

    et des catastrophes naturels

    Rsum Depuis le dbut des annes 1990, la thmatique des risques et des catastrophes naturels a merg sur la scne internationale. Un vritable monde des catastrophes naturelles s'est constitu au niveau international et sest peu peu institutionnalis. Comment ses acteurs en lgitiment-ils la ncessit ? Que nous rvle-t-il de la faon dont le monde contemporain gre ses peurs au niveau global ? Une approche diachronique de ce processus dinternationalisation et dinstitutionnalisation permet de resituer ce phnomne dans un contexte historique et mondial, notamment de transformation de la notion de scurit. Lanalyse sociologique des principales organisations intergouvernementales, qui jouent un rle central dans cette dynamique, invite saisir les diffrentes lignes de tension qui la traversent et entrevoir sa complexit. En effet, malgr les tentatives visant faire apparatre cet espace comme une communaut de sens et de pratiques, de fortes disparits caractrisent les approches des diffrents acteurs.

    Sandrine Revet

    International organizations and natural risks and disasters management

    Abstract Natural risks and catastrophes appeared in the international arena in the early 1990s. A real world of natural catastrophes has emerged internationally and has become more and more institutionalized. This study raises questions such as: how has this space been built? How do actors legitimize its necessity? What does it tell us about the way the contemporary world manages fears globally? A diachronic approach of this double process of internationalization and institutionalization allows the author to situate the phenomenon in the historical and global context, and notably of a context of transformation of the notion of security. The sociological analysis of the main multilateral organizations that contribute to forming this space invites us to apprehend the various lines of tension that cross over, and to foresee its complexity. Despite the many attempts to make this space appear as a community of sense and practices, strong disparities characterize the actors approaches.

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    Les organisations internationales

    et la gestion des risques

    et des catastrophes naturels

    Sandrine Revet

    Sciences Po - CERI

    La question des catastrophes naturelles 1, de leur gestion et de leur prvention, est apparue sur la scne internationale il y a une vingtaine dannes environ. Un consensus sest form au niveau mondial autour de la ncessit de rduire les effets de ces phnomnes, alors mme que cette responsabilit avait t laisse pendant longtemps la seule charge des Etats et des organisations prives, lesquels se limitaient, dans leur grande majorit, mettre en place des actions de secours aprs larrive de la catastrophe. On assiste donc depuis cette priode lmergence d'un vritable monde de la gestion des risques et des catastrophes naturels lchelle internationale. Cette dynamique se construit au croisement de plusieurs domaines (entre autres, le dveloppement, lhumanitaire, lenvironnement) et met en scne des acteurs de natures et de statuts divers : bailleurs de fonds, organisations internationales et rgionales, acteurs tatiques, organisations non gouvernementales (ONG) nationales et internationales, centres de recherche, universits, entreprises prives, compagnies dassurances2... Promue au rang des questions transversales ,

    1 Nous dsignons par catastrophe naturelle un vnement conduisant une rupture grave du fonctionnement dune socit, impliquant des impacts et des pertes aussi bien humaines que matrielles, conomiques ou environnementales et dont lorigine est un phnomne (aussi appel ala) naturel (par exemple : sisme, tsunami, ouragan, ruption volcanique, fortes pluies, scheresse). La notion de risque naturel renvoie, quant elle, la probabilit quun vnement ait lieu et produise des consquences ngatives. En termes opratoires, le risque est associ aux actions de prvention, la catastrophe, la gestion des secours. Les guillemets qui encadrent le mot naturel servent signaler que, malgr le caractre naturel du phnomne, ce sont bien les conditions sociales, conomiques et politiques qui crent la vulnrabilit dune socit, rendant ainsi possible le passage du risque la catastrophe.

    2 F. Nathan, La gestion des risques de catastrophe naturelle au niveau global , Working Paper, National Centre of Competence in Research (NCCR) North-South, Genve, Institut universitaire dtudes sur le dveloppement, 2004, pp. 23-24.

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    dans la mesure o elle requiert la mobilisation de plusieurs secteurs, la thmatique des catastrophes naturelles a dsormais acquis une place privilgie dans lagenda international. Cest au rle jou par les organisations intergouvernementales dans lmergence puis linstitutionnalisation de ce monde que cette tude est consacre3. Cet angle dapproche se justifie plus dun titre. Tout dabord, parce que le rle de ces organisations sur la scne internationale sest accru de faon exponentielle tout au long du XXe sicle. Leur nombre a considrablement augment 246 aujourdhui4 contre 37 en 19095 et leur spcialisation sest renforce. Ensuite, parce que si lon considre quelles ne sont pas de simples instruments la disposition des Etats, et si lon prend en compte leurs intrts propres et leur autonomie sur la scne internationale ainsi que les tensions qui les traversent et les acteurs qui les constituent6, ces organisations apparaissent comme des espaces dterminants dans la production de normes, de discours, de formes de savoirs, doutils et de pratiques. Par leur appui aux politiques gouvernementales, leur financement dONG nationales et internationales, lorganisation de grandes confrences mdiatises ou la production de rapports dont certains constituent des rfrences pour de nombreux acteurs quils soient gouvernementaux, scientifiques ou militants , ces organisations multilatrales occupent une place centrale dans la sphre politique internationale contemporaine. Depuis le milieu des annes 1980, lintroduction du risque et de limminence de la catastrophe est un phnomne notable dans de nombreux domaines, qui nest pas sans consquences sur les modes de gouvernement, les formes du politique et les conceptions de la scurit 7. Les grandes catastrophes technologiques de la fin des annes 1970 et des annes 19808 entranent une rupture avec la foi dans le progrs, la technique et la science ne de lesprit des Lumires. Pour le sociologue allemand lrich Beck, on serait entr dans la socit du risque , dans la mesure o, mme si le danger nest pas plus important quauparavant, le risque serait devenu la mesure de nombreuses actions9. Que ce soit par le biais de politiques de prvention, par lintroduction du principe de

    3 Le choix consistant tudier les organisations intergouvernementales en particulier ne signifie pas que les autres acteurs mentionns ici, notamment les ONG internationales qui se positionnent dans le champ en interaction avec les organisations intertatiques, sont moins importants.

    4 P. Willetts, Transnational actors and international organizations in global politics , in J. Baylis, S. Smith, P. Oven (eds), The Globalisation of World Politics. An Introduction to International Relations, Oxford, Oxford University Press, 2008, pp. 330-347.

    5 M. Abls, Anthropologie de la globalisation, Paris, Payot, 2008, p. 112.

    6 P. Willetts, Transnational actors and international organizations in global politics ; Y. Buchet de Neuilly, LEurope de la politique trangre, Paris, Economica, 2005 ; D. Ambrosetti, Normes et rivalits diplomatiques lONU. Le Conseil de scurit en audience, Bruxelles, PIE Peter Lang, 2009.

    7 Sur lattention gnrale porte cette question en anthropologie et en sociologie, voir, parmi d'autres, M. Abls, Politique de la survie, Paris, Flammarion, 2006 ; A. Apadura, Gographie de la colre. La violence l'ge de la globalisation, Paris, Payot, 2007 ; Z. Bauman, Liquid Fear, Cambridge, Polity Press, 2006 ; D. Bigo, La mondialisation de l'(in)scurit , Cultures et Conflits, n58, t 2005, pp. 53-101 ; F. Furedi, Politics of Fear, Londres, Continuum, 2005 ; F. Neyrat, Biopolitique des catastrophes, Paris, Musica Falsa Editions, 2008.

    8 En particulier, la catastrophe chimique de Seveso en Italie (1976), laccident de la centrale nuclaire de Three Mile Island aux Etats-Unis (1979) et lexplosion dun racteur de la centrale nuclaire de Tchernobyl, en Ukraine (1986).

    9 . Beck, La socit du risque : sur la voie dune autre modernit, Paris, Champs Flammarion, 2001, (1re dition 1986).

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    prcaution pour affronter le risque en amont des vnements, ou travers des mesures de gestion des situations de catastrophe lorsque celles-ci surviennent, on voit alors merger, dans de nombreux pays, des dispositions qui tentent de matriser lincertitude, de gouverner le futur. Ce qui caractrise en outre lpoque contemporaine, cest la mise en place dinstances et de politiques internationales pour affronter ces situations. Cette dynamique est particulirement notable dans les domaines de la sant et de lenvironnement. Sur la question des pandmies ou sur celle du changement climatique par exemple, de nombreux acteurs saccordent dans leurs discours pour considrer que ces risques sans frontires ne peuvent plus tre grs au niveau des seuls Etats-nations. Que le nuage de Tchernobyl ne sarrte pas aux frontires de lUkraine ou de la Russie et que le virus de la grippe A circule en avion dun pays lautre justifie pleinement leurs yeux la ncessit dune gouvernance globale de ces risques10. Dans le cas des risques et des catastrophes naturels , la justification de cette gouvernance nest pas problmatique non plus. La responsabilit de ces phnomnes (sismes, ruptions volcaniques, ouragans, tsunamis, etc.) tant impute la nature, la thmatique est couramment prsente comme tant a-politique et nimpliquant, a priori, aucune rduction de la souverainet des Etats. Sur la base de ce consensus, les questions habituellement souleves sont ds lors celles de lexistence de cette gouvernance globale11 et de son efficacit12. Pour autant, cette internationalisation et cette progressive institutionnalisation de la sphre de la gestion des risques et des catastrophes naturels ne sont pas dgages denjeux politiques, conomiques, idologiques et institutionnels. Ainsi les politiques nationales sont-elles de plus en plus soumises des impratifs internationaux en matire de concepts et doutils dans la gestion des risques. Cest par exemple ce que nous avons pu observer, au Venezuela, aprs la destruction du littoral par des coules de boue en 199913. Plusieurs programmes internationaux de prvention des risques sont alors mis en uvre la fois par des ONG et par des instances gouvernementales dont certaines sont cres cet effet. Un appareillage lgislatif est galement mis en place, qui sinspire fortement des recommandations internationales. Ce dploiement dacteurs, de concepts et dinstruments internationaux de la gestion des risques et des catastrophes naturels sur une scne nationale incite comprendre lorigine de ces outils, la faon dont ils circulent au niveau mondial et plus largement, les logiques dont ils sont les rvlateurs. Aprs avoir prsent les diffrentes organisations intergouvernementales qui composent cet espace international, nous nous interrogerons sur les liens qui existent entre, dune part, son mergence et son dveloppement, dautre part, le contexte de transformation de la notion de scurit. Nous tenterons pour finir de cerner les principales tensions qui traversent cet espace, entre approches militaires et civiles, entre vision technologique et approches participatives, entre lectures expertes et profanes . Lanalyse des dispositifs que constituent les Systmes dalerte prcoce (SAP) permettra dillustrer ces principales tensions.

    10 F. Worms, La grippe aviaire entre soin et politique. Une catastrophe annonce ? , Esprit, n343, mars-avril 2008, pp. 20-35 ; B. Badie, M.-C. Smouts, Le retournement du monde. Sociologie de la scne internationale, Paris, Presses de Sciences Po/Dalloz, 2005. 11 F. Nathan, La gestion des risques de catastrophe naturelle au niveau global , cit.

    12 F. Gemenne, Environmental Changes and Migration Flows. Normative Frameworks and Policy Responses , thse de doctorat en science politique, IEP de Paris/Universit de Lige, 2009, p. 228. 13 S. Revet, Anthropologie d'une catastrophe. Les coules de boue de 1999 au Venezuela, Paris, Presses de la Sorbonne nouvelle, 2007.

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    PROCESSUS HISTORIQUE DINTERNATIONALISATION DE LA GESTION DES RISQUES ET DES CATASTROPHES

    NATURELS

    Internationalisation des secours

    Dans ce domaine, l'ide de coopration n'est pas nouvelle. En 1755 par exemple, aprs le terrible tremblement de terre de Lisbonne, le roi d'Angleterre, la ville de Hambourg et la reine des Deux Siciles envoient au Portugal qui de l'argent, qui des navires chargs de vivres et de matriaux de construction14. De mme, aprs le tremblement de terre de Caracas en 1812, le Congrs de l'Union des tats d'Amrique envoie cinq navires chargs de farine15. En matire de coopration multilatrale, cest au dbut du XXe sicle que les premires initiatives voient le jour, notamment aprs le tremblement de terre de Messine en 1908. En 1927, un trait sign par 19 pays16 dans le cadre de la Socit des Nations met en place lUnion internationale des secours, posant ainsi les bases d'une assistance commune entre les pays signataires17. Entre tardivement en vigueur, en 1932, cette disposition de la SDN devient presque aussitt caduque, en raison de la seconde guerre mondiale18. Aprs la guerre et jusqu la fin des annes 1960, aucune organisation internationale nest proprement parler spcialise dans les secours en cas de catastrophe naturelle . Au sein des Nations unies, chaque agence intervient donc selon son mandat : la Food and Agriculture Organization (FAO) et le World Food Programme (WFP) pour la fourniture de laide alimentaire, la World Health Organization (WHO) pour la surveillance des pidmies, lOffice of the United Nations High Commissioner for Refugees (UNHCR) pour la prise en charge des ventuels dplacements de population Cest aprs la catastrophe survenue au Pakistan oriental (actuel Bangladesh) en novembre 1970 (cyclone et raz-de-mare) que se constitue vritablement un mouvement d'internationalisation des secours, mouvement dont la concrtisation institutionnelle au sein des Nations unies est la United Nations Disaster Relief Organization (UNDRO). Cre en 1971, cette organisation est charge de coordonner les activits de secours des grandes agences onusiennes, dans les cas, bien sr, o les pays touchs par une catastrophe demandent l'aide

    14 G. Quenet, Les tremblements de terre aux XVIIe et XVIIIe sicles. La naissance dun risque, Seyssel, Champ Vallon, 2005, p. 450.

    15 P. Aeberhard, La mdecine humanitaire des origines nos jours , in J. Lebas, F. Weber, G. Brcker, Mdecine humanitaire, Paris, Flammarion, 1994, pp. 3-10.

    16 Les pays signataires de cette convention sont lorigine lAlbanie, lAllemagne, la Belgique, la Bulgarie, l'Egypte, lEquateur, la Finlande, la France, la Grce, la Hongrie, lInde, lItalie, Monaco, la Pologne, la Roumanie, Saint-Marin, la Tchcoslovaquie, la Turquie et le Venezuela.

    17 F. Gemenne, Environmental Changes and Migration Flows. Normative Frameworks and Policy Responses , cit, p. 228. Voir aussi J.-M. Thouvenin, Linternationalisation des secours en cas de catastrophe naturelle , Revue gnrale de droit international public, vol. 102, n2, 1998, pp. 327-363, et G. Langeais, Les Nations unies face aux catastrophes naturelles, tude du Bureau coordonnateur des Nations unies en cas de catastrophe (UNDRO), Paris, LGDJ, 1977.

    18 J.-M. Thouvenin, Linternationalisation des secours en cas de catastrophe naturelle , art. cit, pp. 327-363.

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    internationale. Cette fonction de coordination est le rsultat dune importante ngociation dans laquelle non seulement les Etats mais aussi les autres agences de lONU ont jou un rle central. Lide premire tait de crer une institution capable de diriger les secours au niveau mondial. Cependant, face la peur de certains Etats notamment la France de perdre leur souverainet19 et face la leve de boucliers de certaines agences onusiennes tel le United Nations International Childrens Emergency Fund (UNICEF) qui craint de perdre son mandat dintervention dans les secours , la rsolution de cration de lUNDRO stipule seulement que lorganisation est autorise mobiliser, orienter et coordonner les activits de secours des divers organismes des Nations unies pour donner suite une demande dassistance formule par un tat victime dune catastrophe 20. En somme, comme le rsume trs bien un ancien responsable de lUNDRO : On a cr quelque chose qui avait des objectifs prcis mais on lui a immdiatement retir les moyens de le faire 21. De plus, ds le dpart, lorganisation est assez peu dote financirement. Avec 6 postes en 1972-1973 et 11 en 1974-1975, alors quelle en a demand 15, elle est uniquement subventionne par les contributions volontaires des Etats membres de lONU. Ce sont les Etats-Unis qui participent les premiers et presque entirement son financement puisquen 1975 ils contribuent hauteur de 750 000 dollars, ce qui reprsente la quasi-totalit des dpenses de lOrganisation pour cette anne-l22. Au fil des ans, lUNDRO parvient toutefois tre reconnue : au moment de sa transformation en Direction of Humanitarian Affairs (DHA), en 1991, elle comptait une cinquantaine de postes, dont 25 au budget rgulier des Nations unies et le reste financ par les contributions volontaires des Etats membres, Au cours de lanne 1991, certains Etats membres et certains acteurs au sein des organisations internationales23 dnoncent en effet le manque defficacit de lOrganisation dans la gestion de nombreuses crises qualifies d humanitaires linvasion du Kowet, la premire guerre du Golfe (1990-1991) et les flux importants de rfugis vers la Jordanie dont soccupe lUNDRO, le HCR tant impliqu ce moment-l dans une affaire de corruption qui nont plus rien voir avec les dsastres dits naturels pour lesquels a t pens son mandat. Ils rclament alors la cration dune Direction aux affaires humanitaires qui voit le jour en dcembre 1991 et dont le mandat nest plus limit aux catastrophes naturelles , mais largi aux autres situations durgence 24. La fonction de coordination au sein de l'ONU passe sous la responsabilit dun sous-secrtaire gnral aux Affaires humanitaires, l'Emergency Relief Coordinator, bas New York, tandis que la DHA s'installe Genve dans les anciens bureaux de l'UNDRO, en gardant

    19 G. Langeais, Les Nations unies face aux catastrophes naturelles, op. cit., p. 35.

    20 Rsolution 2816 du 14 dcembre 1971.

    21 Entretien, Paris, 13 mai 2009.

    22 G. Langeais, Les Nations unies face aux catastrophes naturelles, op. cit., p. 59.

    23 Notamment Fred Cuny, ingnieur nord-amricain reconverti dans le domaine de lurgence auprs des agences internationales et qui a notamment particip aux oprations de 1990 et 1991 au Kowet. Il disparat en Tchtchnie en avril 1995, au cours dune mission pour la fondation Open Society Institute (OSI). Dans son rapport la House Select Committee on Hunger de juillet 1991, il a formul une critique acerbe du systme daide humanitaire internationale et de lUNDRO en particulier, quil juge inefficace cause de la nature imprcise de son mandat, de son incapacit simposer, de ses limites financires et de la rduction de son rle la coordination. http://www.pbs.org/wgbh/pages/frontline/shows/cuny/laptop/revun.html (consult le 26 juin 2009).

    24 Rsolution 46/182 du 19 dcembre 1991.

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    le mandat de la coordination des activits de secours, mais avec une machinerie administrative et oprationnelle plus importante : un Fonds spcial est mis en place, le Central Emergency Revolving Fund (CERF) et des Consolidating Appeal Process (CAP), dispositifs de financement d'urgence, sont dvelopps. Est galement cr lInter-Agency Standing Committee (IASC), qui inclut les agences onusiennes, mais aussi dautres acteurs des secours comme le mouvement de la Croix-Rouge et certaines organisations humanitaires. En 1998, la DHA est transforme en Office for the Coordination of Humanitarian Affairs (OCHA) et son mandat tendu la gestion des actions humanitaires de secours, au dveloppement de politiques et au plaidoyer humanitaire. Aujourdhui, lOCHA, qui opre essentiellement travers lIASC, est un acteur de poids, puisquil bnficiait dun budget de 213 millions de dollars en 2008 et dune quipe de 1 800 personnes. Internationalisation de la prvention

    Bien que les actions internationales se concentrent encore pour lessentiel sur les secours, certaines agences onusiennes dtiennent ds les annes 1950-1960 dans leur mandat la capacit mettre en uvre des programmes de prvention. Ainsi, la fin des annes 1960, lUNESCO contribue la fondation de lInternational Seismological Center dEdimburg (ISC). Et ds le dbut des annes 1970, le United Nations Development Programme (UNDP) et la FAO mettent en place un systme dalerte pour surveiller l'volution des scheresses et des famines, tandis que la World Meteorological Organization (WMO) et lInternational Telecommunication Union (ITU) se mobilisent dans les domaines de la prvision des temptes et de la rapidit des communications intercontinentales25. A la fin des annes 1980, paralllement aux transformations institutionnelles dans le domaine des secours, un processus se met en place au sein des Nations unies pour dclarer les annes 1990 Dcennie internationale de prvention des catastrophes naturelles (DIPCN, ci-aprs Dcennie)26. Cest le gophysicien nord-amricain Frank Press, ancien conseiller scientifique du prsident Carter de 1977 1980 et prsident de lU.S. National Academy of Sciences de 1981 1993 (sous ladministration Reagan puis sous celle de George H. W. Bush), qui voque pour la premire fois lide dune dcennie internationale sur le thme des catastrophes naturelles en 1984, au 8e International Congress of Earthquake Engineering. Frank Press se dmne tant et si bien pour mener son projet terme quil parvient convaincre un nombre important de scientifiques de le suivre, et constitue un groupe de 25 experts de toutes nationalits27. Faisant du lobbying directement auprs du Secrtaire gnral des Nations unies, le groupe est invit rdiger un rapport sur le projet de Dcennie, rapport, qui, remis en avril 198928, est

    25 G. Langeais, Les Nations unies face aux catastrophes naturelles, op. cit., pp.18-19.

    26 En anglais, International Decade for Natural Disaster Reduction (IDNDR).

    27 En France par exemple, il fait appel Claude Allgre, gochimiste et membre, lui aussi, de la National Academy of Science.

    28 Challenges of the IDNDR, Report and Summary Proceedings of the International Symposium on Challenges of the IDNDR , Yokohama, 13 avril 1989.

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    lorigine de la dclaration de Tokyo . Celle-ci met laccent sur deux aspects : le pouvoir de la science et de la technologie dans la rduction des dgts provoqus par les catastrophes et limportance de lducation des populations29. la suite de cette dclaration, une rsolution qui proclame louverture de la Dcennie30 est propose, puis porte devant lAssemble gnrale des Nations unies par le reprsentant du Maroc, Abderrahim Ben Moussa. En dcembre 1989, elle obtient la signature de 156 Etats membres sur 162, unanimit suffisamment rare pour tre souligne par les acteurs eux-mmes. Il faut insister ici sur le rle des scientifiques, en particulier des chercheurs en sciences de la terre, ainsi que sur celui des instances scientifiques nord-amricaines telles que la National Academy of Science ou le National Research Council dans le dveloppement et laboutissement de ce projet. En effet, la grande reconnaissance dont jouit Frank Press dans le milieu acadmique national et international31 offre sa dmarche une lgitimit qui se reporte immdiatement sur le thme quil propose au sein des instances onusiennes. Par ailleurs, sa bonne connaissance du milieu politique et sa longue exprience de conseiller scientifique auprs des dcideurs nationaux nord-amricains laident traduire son projet dans des termes susceptibles dtre entendus par ses interlocuteurs institutionnels de lONU. Enfin, le soutien du gouvernement des Etats-Unis permet au groupe dexperts de frapper directement la porte du Secrtariat gnral des Nations unies. Cependant, le vote de la rsolution une telle majorit tmoigne galement du consensus , qui, nous lavons dit, caractrise la thmatique, juge a priori a-politique , des catastrophes naturelles . Cest parce que celle-ci est, la plupart du temps, prsente comme relevant essentiellement de connaissances scientifiques et/ou de choix techniques que ce consensus peut se construire.

    Pourquoi la rsolution sur la DIPCN a-t-elle t vote, comme a, avec 156 signatures ? Cest parce quelle ntait justement considre comme ntant ni de droite ni de gauche, ne provenant ni de pays dvelopps, ni de pays en dveloppement32!

    Pourtant, les questions politiques ne sont pas absentes de la gestion des risques et des catastrophes naturels . Richard Olson le dmontre ds le dbut des annes 1980, dans son tude sur la controverse scientifique lie la prdiction des tremblements de terre qui secoue les mondes scientifiques, politiques et diplomatiques nord-amricain et pruvien33. Largument de lexpertise, de la science et de lapproche technique nen continue pas moins de nourrir au niveau international lide selon laquelle la thmatique des catastrophes naturelles est foncirement a-politique et consensuelle. La rsolution de dcembre 1989 qui proclame louverture de la Dcennie est fortement imprgne de cette approche. Les cinq objectifs quelle

    29 Ibid., p. 1.

    30 Rsolution 44/236, dcembre 1989.

    31 Frank Press est alors membre de lAmerican Academy of Arts and Sciences, de la Royal Astronomical Society, de la Royal Society (Londres), de la Russian Academy of Sciences et de lAcadmie des Sciences (France).

    32 Entretien avec un ancien responsable UNDRO, cit.

    33 R. S. Olson, B. Podesta, J. Nigg, The Politics of Earthquake Prediction, Princeton, Princeton University Press, 1989. Dans sa conclusion, Olson souligne mme que cet ouvrage devrait dtruire une bonne fois pour toutes le mythe du scientifique a-politique (p. 162). Sauf indication contraire, nous traduisons les citations en anglais.

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    annonce pour les annes venir sont centrs sur les aspects scientifiques et techniques de la prvention : Appliquer les connaissances scientifiques actuelles , encourager les initiatives scientifiques et techniques de nature parfaire les connaissances , diffuser des informations sur les techniques , mettre en place des programmes dassistance technique et de transfert de technologies . Il sagit galement de dvelopper des projets dactivits ducatives ou formatrices . Le sauvetage des vies faisant lobjet dun consensus, les moyens pour y parvenir ne semblent faire aucun doute : malgr la rupture pistmologique voque plus haut, la foi dans la science et la technique est toujours trs puissante et, pour accompagner le progrs, lducation et la formation des populations sont ncessaires. Pour animer la Dcennie, un secrtariat est mis en place, peu dot en personnel, et avec sa tte, au dpart, un ancien fonctionnaire du United Nations Environment Programme (UNEP). La Dcennie est marque par plusieurs vnements importants parmi lesquels la confrence mondiale de Yokohama en 1994, qui est la premire confrence des Nations unies organise sur le thme de la rduction des risques et des catastrophes naturels . De 1990 1999, la contribution des scientifiques au droulement de la Dcennie ne se dment pas, mme sil convient de souligner une transformation notable : linfluence grandissante durant cette priode des sciences sociales, battant en brche lexclusivit des sciences de la terre. En Amrique latine notamment, un rseau de chercheurs, la Red de Estudios Sociales en Prevencin de Desastres en Amrica Latina, compos de gographes, urbanistes, ingnieurs, sociologues, historiens et anthropologues, est cr en 1992, tandis que lONU cre au mme moment un bureau rgional pour le dveloppement de la Dcennie (Estrategia internacional para la reduccin de los desastres naturales, EIRD), qui permet de financer la Red. Lapport des chercheurs de ce rseau consiste essentiellement conceptualiser dun point de vue social la thmatique de la gestion des catastrophes puis celle de la prvention des risques naturels . Leur approche vise avant tout rintroduire les facteurs sociaux et politiques dans lanalyse des catastrophes dites naturelles , en tentant de dpasser les approches dominantes des sciences de la terre, centres sur les seuls phnomnes naturels. Une quantit importante de documents, de publications, darticles, dateliers et de colloques sont produits et raliss par ce rseau au cours de la Dcennie34. Les concepts et les mthodes danalyse des catastrophes qui mergent dans ce contexte latino-amricain se fondent sur les travaux de chercheurs anglo-saxons souvent assez radicaux des annes 1970 et 198035 : il y est question, par exemple, de vulnrabilit , de causes profondes des catastrophes (roots causes), de construction sociale du risque . Affirmant dans une publication de 1993 que les dsastres ne sont pas naturels 36, les principaux membres fondateurs de la Red nont de cesse, durant la Dcennie et les annes suivantes, de mettre en relation les catastrophes avec le dveloppement et les ingalits de pouvoir, et de montrer que ces phnomnes qualifis de naturels ne sont pas des vnements qui rompent un ordre normal mais au contraire des

    34 Ces travaux, en espagnol et en anglais, sont disponibles sur http://www.desenredando.org/.

    35 Entre autres, B. Wisner, P. OKeefe, K. Westgate, Global systems and local disasters: the untapped power of peoples science , Disasters, vol. 1, n 1, 1977, p. 47-57 ; K. Hewitt, The idea of calamity in a technocratic age , in K. Hewitt (ed.), Interpretation of Calamities, The Risks and Hazards Series n 1, Boston, Allen & Unwin Inc., 1983, pp. 3-32.

    36 A. Maskrey (dir.), Los desastres no son naturales, Red de Estudios Sociales en Prevencin de Desastres en Amrica latina, 1993. http://www.desenredando.org/public/libros/1993/ldnsn/ (consult le 31 aot 2009).

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    processus produits par un ordre politique, conomique et social anormal . En ce sens, disent-ils, les catastrophes sont socialement construites. Les concepts et les ides produits dans le cadre de ce rseau circulent non seulement au niveau rgional, en Amrique latine et dans les Carabes, mais aussi au niveau mondial. En effet, les seize membres fondateurs de la Red sont tous relativement bien intgrs au niveau international grce leur formation, souvent effectue dans diffrents pays (Etats-Unis, Canada, Europe, Amrique latine), et leurs institutions de recherche. Ils peuvent ainsi intervenir dans diffrents congrs, publier dans des revues internationales, participer ou organiser des rencontres internationales. Leurs activits se dploient galement travers leurs contacts et leur participation aux travaux dinstances nationales, dONG internationales (Oxfam par exemple) ou dorganisations internationales (Banque mondiale, UNDP, Banque interamricaine de dveloppement). Certains dentre eux choissent la voie de lexpertise, en ralisant pour ces organisations des travaux de consultants qui contribuent renforcer leurs contacts internationaux et leur assurer une lgitimit37. Aujourdhui, nombre de ces concepts sont au cur des publications, des rapports et des dclarations officielles des organisations internationales, onusiennes en particulier. Quand arrive la fin de la Dcennie, lavenir de la thmatique de la rduction des risques et des catastrophes naturels au sein des organisations des Nations unies est assez incertain. Dune part, le domaine de la prise en charge des crises humanitaires vient, comme on la vu, dentrer dans un contexte de rformes qui a abouti la cration de la DHA puis de lOCHA en 1998. Dautre part, et toujours dans ce contexte, le UNDP cre le Bureau for Crisis Prevention and Recovery (BCPR), qui obtient 7 postes au budget rgulier, issus de lancienne UNDRO38. Il sagit alors pour le secrtariat qui avait port la Dcennie de se battre pour garder sa place. Soutenues par leur responsable hirarchique, Sergio Vieira de Mello39, les trois personnes qui le composent alors parviennent obtenir le soutien du Conseil conomique et social, et montent un projet durable de stratgie internationale pour la rduction des catastrophes naturelles . Linternational Strategy for Disaster Reduction (ISDR) voit le jour en 2001, entrin par lAssemble gnrale le 21 dcembre 200140. Il sagit dune plateforme inter-agences charge de promouvoir des activits en faveur de la rduction des risques et des catastrophes naturels au sein des Nations unies. Compose dune quipe plus rduite que celle de la Dcennie (17 personnes alors que 25 animaient la Dcennie) lISDR prend un envol assez timide pendant les annes 2001-2005, avec sa tte un ancien directeur de lUNDRO New York, ce qui tmoigne de linfluence encore importante du monde des secours. Le vritable tournant au sein des Nations unies est cependant le tsunami de 2004 en Asie du Sud-Est et la confrence de Kob organise par lISDR en 2005. Par son ampleur, sa

    37 Pendant la Dcennie, cette question est au cur dun certain nombre de dbats entre les membres fondateurs du rseau et provoque certaines tensions entre ceux qui revendiquent une place de scientifiques indpendants et ceux qui pensent pouvoir faire de la consultance tout en gardant leur autonomie . Entretien avec Allan Lavell, membre fondateur de la Red, Genve, 18 juin 2009.

    38 Une prouesse administrative pour lpoque car le UNDP nest pas cens avoir de postes financs par le budget rgulier.

    39 Fonctionnaire international ayant fait sa carrire lONU, Sergio Vieira de Mello est alors considr comme lun des possibles successeurs de Kofi Annan. Il est tu au cours de lattentat suicide contre le quartier gnral de lONU Bagdad en 2003.

    40 Rsolution 56/195.

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    mdiatisation et lmotion quelle suscite au niveau international, cette catastrophe propulse la thmatique des risques et des catastrophes naturels la premire place dans les agendas, discussions et introductions de rapports ou de textes produits au cours des mois suivants. Dun point de vue fonctionnel, des fonds plus importants sont dgags : lquipe de l'ISDR passe de 17 personnes presque une centaine en 2009. Mais le tsunami de 2004 introduit galement un nouvel lment, dordre moral, au sein de lespace international de la gestion des risques et des catastrophes. Comme le souligne un ancien responsable de lISDR, le tsunami culpabilise tous les donateurs 41, et cette culpabilisation conduit la mise en place de nombreuses valuations des programmes dvelopps sur cette thmatique. Reprenant le vocabulaire des chercheurs en sciences sociales mentionns plus haut, lune de ces valuations, ralise par une quipe de lIndependant Evaluation Group (IEG), lunit dvaluation de la Banque mondiale, juste aprs le tsunami42, souligne que les projets financs par la Banque mondiale depuis vingt ans sont en majorit ractifs et non centrs sur la prvention et quils ne sattaquent pas aux causes profondes des catastrophes, la Banque mondiale privilgiant les prts durgence aux pays touchs par des catastrophes, en favorisant des projets courts qui ne mettent pas laccent sur la rduction de la vulnrabilit long terme. Le rapport met en lumire le fait que les mcanismes de financement ont prim dans la mise en uvre des projets :

    La Banque doit tre capable didentifier les situations o la hte est plus nfaste que bnfique, si elle tient ce que son intervention soit dtermine par les besoins de dveloppement et non par les mcanismes de financement 43.

    Ce rapport a un effet concret immdiat puisquen 2007, la Banque mondiale met en place un partenariat avec lISDR, et cre le Global Facility for Disaster Reduction and Recovery (GFDRR), par le biais duquel elle finance lISDR hauteur de 5 millions de dollars, ce qui correspond trois fois le budget total dont disposait cet organisme ses dbuts en 2001. La dynamique qui se met en place aprs le tsunami de 2004 se traduit galement au niveau institutionnel par ladoption dun cadre daction via une rsolution de lAssemble gnrale en dcembre 200544. Le Hyogo Framework for Action (HFA), oprationnel pour la priode 2005-2015, est adopt par les 168 tats et les organisations qui participent la confrence de Kob, qui vise dfinir les actions prioritaires mettre en place pour rduire la vulnrabilit aux dsastres naturels 45. LISDR se prsente ds lors comme un systme de partenariat qui inclut gouvernements, organisations intergouvernementales et non gouvernementales, institutions financires internationales, acteurs scientifiques et techniques et secteur priv. Son secrtariat a pour fonction de coordonner et de mettre en uvre le HFA46.

    41 Entretien, Paris, 13 mai 2009.

    42 Hazards of Nature. Risks to Development. An IEG Evaluation of World Bank Assistance for Natural Disasters, Washington D.C., Banque mondiale, 2006. http://www.worldbank.org/ieg/naturaldisasters/report.html (consult le 31 aot 2009).

    43 Ibid., rsum analytique, p. xxxi.

    44 Rsolution A/RES/60/195.

    45 ISDR, Hyogo Framework for Action: Building the Resilience of Nations and Community to Disaster, Genve, Nations unies, 2005.

    46 Notons que le secrtariat de lISDR est bas Genve, localisation qui confirme le caractre a-politique de la

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    Bien que non oprationnelle, lISDR suscite des inquitudes parmi les acteurs onusiens ds son institutionnalisation en 2001. Pour comprendre ces rticences, il faut avoir prsente lesprit limportance pour ces organisations de la question du mandat. Au sein de lONU, le mandat obtenu par une organisation via une rsolution de lAssemble gnrale constitue non seulement la base de sa lgitimit rcolter des fonds pour exercer sa mission, mais aussi la garantie de sa situation, notamment en termes financiers et en termes de personnels. Certaines organisations dont le mandat touche partiellement la question des risques et des catastrophes naturels par le biais des oprations de secours (OCHA) ou travers des projets de dveloppement qui incluent la question de la prvention (UNDP) voient cette institutionnalisation comme une menace. Ds lors, cest le jeu des alliances qui permet aux acteurs de se repositionner. Cest notamment ce qui se passe avec le UNDP aujourdhui intgr pleinement la stratgie de lISDR alors que ses reprsentants taient au dpart en partie opposs sa cration comme systme de coordination. Il en va de mme avec lOCHA, aujourdhui principal partenaire de lISDR pour lappui aux gouvernements dans la mise en place des plans de secours. Malgr son essor depuis 2005, et en dpit de sa volont de revendiquer une certaine hgmonie dans le domaine de la coordination, le poids de lISDR dans la sphre des organisations multilatrales demeure aujourdhui assez faible. Lorganisation fonctionne avec un budget relativement peu lev d'environ 25 millions de dollars par an47. Au final, c'est sans doute dans le processus de structuration, dinstitutionnalisation et de mise en visibilit de lespace international des risques et des catastrophes naturels que son rle est le plus notable. Et si les organisations des Nations unies sont, historiquement, les premires avoir port le processus dinternationalisation de la gestion des secours en cas de catastrophe puis de la rduction des risques, dautres acteurs comme lUnion europenne et lOrganisation du trait de lAtlantique nord ont galement jou un rle non ngligeable.

    LUnion europenne

    Le Service daide humanitaire de la Commission europenne (ECHO) voit le jour en 1992 et gre le budget pour laide durgence assure par la Commission. Sil n'agit pas directement sur le terrain, il finance des organisations partenaires (des ONG, lInternational Committee of the Red Cross (ICRC), mais aussi le HCR et le WFP). Avec un budget annuel, qui, en 2007, atteignait plus de 700 millions d'euros, cest lun des principaux donateurs lchelle mondiale et le principal bailleur de fonds de l'ISDR avec 5,3 millions de dollars en 200748.

    thmatique au sein des Nations unies. En effet, contrairement New York, considr comme le sige politique des Nations unies, Genve est le sige des organisations caractre humanitaire , centres sur les droits de lhomme ou encore sur lenvironnement, autant de thmatiques juges a-politiques .

    47 Par comparaison, en 2007 le BCPR du UNDP travaillait avec un budget de 105 millions de dollars. http://www.undp.org/cpr/AnnualReports/2007/ (consult le 30 juin 2009).

    48 Devant la Banque mondiale (5 millions de dollars) et la Sude (2,5 millions de dollars). ISDR, Annual Report 2007, Genve, Nations unies.

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    En 1996, lECHO cre un programme de prparation aux dsastres, DIPECHO, avec des projets essentiellement fonds sur la formation, le renforcement des capacits locales, la construction de petits abris et la mise en place de programmes rgionaux. Le budget annuel de DIPECHO s'levait en 2007 environ 19,5 millions d'euros, ce qui reprsenterait environ 3 % du budget de l'aide humanitaire de la Commission europenne. Il faut galement mentionner l'existence de deux mcanismes de coopration pour les situations durgence : le Community Civil Protection Mechanism (CCPM), cr en 2001 aprs le tremblement de terre de Turquie en 1999, les importantes temptes qui ont frapp la France, lAllemagne et le Danemark cette mme anne et les attentats du 11 septembre 2001. Le CCPM est li au Monitoring and Information Center (MIC) par l'intermdiaire duquel la Commission europenne peut faciliter la mobilisation des moyens de protection civile des Etats membres en cas d'urgence majeure dfinie comme rsultant d'une catastrophe naturelle, technologique, radiologique ou environnementale (y compris la pollution marine accidentelle), ou d'un acte terroriste survenant ou menaant de survenir tant l'intrieur qu' l'extrieur de l'Union europenne 49. Lautre mcanisme, mis en place en 2005 aprs les attentats de Londres, est lEmergency and Crisis Coordination Arrangements (EUCCA), plac sous la responsabilit du Conseil de lUnion europenne, et gr par le Joint Situation Center (Sit-Cen)50. LOTAN

    LAlliance participe ds les annes 1950 des oprations de secours dans des situations de catastrophes. Depuis la fin de la guerre froide, elle cherche de nouvelles perspectives. En 1992, elle tend le champ de ses interventions aux oprations de maintien de la paix et de gestion des crises internationales, et la possibilit d'un engagement hors zone est accepte. A partir de 1998, sa prsence sur le terrain des secours humanitaires en cas de catastrophe se structure avec la cration de lEuro-Atlantic Disaster Response Coordination Centre (EADRCC). Aprs les attentats du 11 septembre, et les volutions de la notion de scurit qui sensuivent, lesquelles conduisent mettre au mme niveau les menaces terroristes, les alas naturels et les catastrophes technologiques par le biais notamment du concept de scurit globale et de celui de gestion tous risques (all hazards management) en provenance des Etats-Unis51, son

    49 http://europa.eu/legislation_summaries/environment/tackling_climate_change/l28003_fr.htm (consult le 8 septembre 2009).

    50 Pour une tude dtaille sur lmergence de ces deux mcanismes, voir C. Wendling, The European response to emergencies. A sociological neo-institutionalist approach , thse de doctorat, Florence, European University Institute, 2009.

    51 Avec la cration de la FEMA (Federal Emergency Management Agency) sous l'administration Carter en 1979, la gestion fdrale de l'urgence et la dfense civile sont rassembles sous la rubrique Prvision tous risques (all hazards). Lors de l'intgration de la FEMA au Dpartement de la scurit intrieure (DHS), aprs les attentats du 11 septembre, le processus est renforc par l'intgration des systmes civils et militaires pour grer les crises de tous types. Voir S. Makki, Militarisation de l'humanitaire : les enjeux de l'intgration civilo-militaire dans l'appareil de scurit nationale amricain , Humanitaire, n8, automne 2003, pp. 88-107. Le traitement militaire de l'aprs-Katrina la Nouvelle-Orlans est une parfaite illustration des consquences de cette intgration . Voir A. Lakoff, Pour qu'un dsastre ne tourne pas la catastrophe : jusqu'o sommes-nous prts ? , Esprit, n343, mars-avril 2008, pp. 104-111.

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    rle dans les situations d'urgence civiles saccrot. En 2005, ses interventions aux Etats-Unis aprs le passage de l'ouragan Katrina et au Pakistan aprs le tremblement de terre marquent, par leur importance et par leurs caractristiques, un nouveau tournant. En effet, dans ces deux cas, les actions de lOTAN combinent une intervention classique de l'EADRCC et une intervention de la Nato Response Force (NRF), composante militaire. A cet gard, lopration qui a lieu au Pakistan est le premier cas d'envoi sur le terrain de personnel militaire dans un pays non alli et non partenaire de l'OTAN pour une opration de secours dans le cadre dune catastrophe52. Par ailleurs, l'OTAN se construit de plus en plus comme une organisation de gestion du risque qui concentre son attention sur les menaces venir53. Ses oprations de prvention des risques en Ukraine ou en Asie centrale tmoignent de ce repositionnement. La tendance actuelle au sein de l'OTAN est d'imaginer comment de tels procds peuvent tre dvelopps et institutionnaliss, notamment en matire de financement. Maurice Jochems, vice-secrtaire gnral adjoint la division Oprations de l'OTAN, souhaiterait ainsi que l'on puisse financer ces moyens de secours d'urgence sur des budgets de l'aide au dveloppement :

    Le moment est peut-tre venu de supprimer certaines des divisions institutionnelles qui existent entre le monde de l'aide au dveloppement international, d'une part, et celui de la dfense, de l'autre 54.

    Mme si les membres de l'Alliance ne parviennent pas un rel consensus sur les transformations du rle de l'OTAN en termes de protection civile certains souhaitant voir dans l'Alliance la future agence de scurit mondiale55 , la tendance actuelle est bien celle dune proportion croissante des oprations militaires de lAlliance () dans le cadre de la protection civile , comme le souligne un rapport de l'Assemble parlementaire de l'OTAN de 200656 : Cet inventaire, non exhaustif, des organisations intertatiques qui composent lespace international des acteurs de la gestion des risques et des catastrophes naturels est loin de dessiner les contours d'une sphre homogne qui reprsenterait une seule et mme vision de l'intervention, du risque ou de la scurit. Nous sommes au contraire en prsence dun ensemble complexe de tensions qui transparaissent dans les diffrents discours de lgitimation des acteurs qui portent cette dynamique dinternationalisation et d'institutionnalisation en insistant sur la ncessit dune gouvernance globale des risques et des catastrophes.

    52 M. Jochems, Le rle humanitaire croissant de l'OTAN , Revue de l'OTAN, n1, printemps 2006. http://www.nato.int/docu/review/2006/issue1/french/art4.html (consult le 31 aot 2009).

    53 M. V. Rasmussen, Reflexive security: NATO and international risk society , Millennium: Journal of International Studies, vol. 30, n 2, 2001, pp. 285-309.

    54 M. Jochems, Le rle humanitaire croissant de l'OTAN , art. cit.

    55 Introduction au Rapport 166-CDS 06 F, L'Otan et la protection civile, Lord Jopling, rapporteur spcial, Session annuelle 2006.

    56 Rapport 166-CDS 06 F, L'Otan et la protection civile, cit.

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    GENESES ET MODES DE LEGITIMATION

    Le grand rcit produit par les organisations internationales insiste lenvi sur la ncessit , l urgence , voire le caractre dramatique chiffres lappui des catastrophes naturelles . Le nombre croissant de catastrophes depuis une trentaine dannes et la quantit de victimes touches servent gnralement dintroduction et de premire lgitimation l'intervention des organisations internationales. Il convient cependant de noter que les chiffres avancs proviennent essentiellement de la principale base de donnes internationale disponible (Emergency Events Database, EM-DAT), mise en place en 1988 par le Centre de recherche sur lpidmiologie des dsastres (CRED) de lUniversit de Louvain-la-Neuve et finance au dpart par la WHO, puis par des partenariats avec lInternational Federation of Red Cross and Red Crescent Societies (IFRC) en 1993, l'USAID en 1999 et l'ISDR en 200357. Autrement dit, pour fonctionner et lgitimer son intervention, le systme a besoin de chiffres, quil contribue par consquent produire. Mais il existe, au-del de cette justification par les chiffres, dautres formes de lgitimation de cette dynamique dinternationalisation, moins visibles au premier abord et qui nous renseignent sur les niveaux de tension qui accompagnent ce processus. On peut reprer plusieurs moments et diffrents discours qui ont contribu l'mergence puis la consolidation de ce monde international des risques et des catastrophes naturels . Ces discours utilisent des arguments la fois politiques et scientifiques et sont vhiculs aussi bien par les acteurs internationaux eux-mmes que par les scientifiques et les experts . Risques globaux , crises complexes

    Dans les textes, les conventions internationales prservent la souverainet des gouvernements nationaux en matire de raction dans les cas de catastrophes naturelles , l'assistance internationale ne pouvant tre dploye qu' leur demande. La majorit des recommandations qui concernent les bonnes pratiques en termes de prvention des risques mettent galement laccent sur la ncessaire participation des Etats. Pourtant, la littrature produite par les organisations internationales est parseme de notes et de remarques sur lincapacit de ces derniers faire face du moins seuls aux catastrophes, lesquelles sont prsentes comme des crises souvent qualifies de complexes , et aux risques qui leur sont associs. Cest dailleurs ce type de discours qui est lun des fondements de la lgitimation historique du mouvement dinternationalisation tudi ici. En 1977, dans sa prface louvrage de Grard Langeais, Michel Cpde, ancien prsident de la FAO et prsident du Corps mondial de secours58 souligne :

    57 http://www.cred.be/ (consult le 31 aot 2009).

    58 Le Corps mondial de secours est une association de bnvoles cre en 1972, aprs le tsunami du Bangladesh de 1970, linitiative de personnalits telles que lAbb Pierre, Thodore Monod, Michel Cpde et Gilbert Cesbron. Il fdre des secouristes de diffrents pays. Depuis 1973, il a particip 45 missions organises aprs des catastrophes

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    Les obstacles les plus difficiles surmonter tiennent la prtention des gouvernements de considrer le sauvetage des victimes comme de leur seule responsabilit souveraine et de nadmettre lintervention internationale que pour les aider secourir les survivants sil en est ! La solidarit humaine doit pouvoir se manifester plus promptement. Pour y parvenir, cest lensemble des citoyens du monde qui doit se sentir concern et faire pression pour les solutions politiques () Nous avons besoin dune scurit internationale, de pompiers de la patrie plantaire . Les techniciens modernes le permettent, les souverainets dpasses ne sauraient sy opposer 59.

    Cest dans cette mme ligne que sinscrit une dizaine dannes plus tard le secrtaire dEtat franais aux affaires humanitaires, Bernard Kouchner, lorsquil fait voter deux rsolutions labores autour de lide de droit dingrence , pour favoriser lassistance aux victimes des catastrophes naturelles et situations durgence du mme ordre 60. Pour justifier la ncessit de ce processus dinternationalisation, des pratiques antrieures , qui font plus ou moins implicitement rfrence la gestion manant des seuls gouvernements nationaux, sont mentionnes et souvent dvalorises. A titre dexemple, les auteurs de la prface du rapport de lISDR intitul Vivre avec le risque (2004) se demandent si les initiatives qui ont t prises au niveau international depuis le dbut des annes 1990 taient suffisantes pour radiquer les consquences de sicles de gestion inefficace et de passivit fataliste face aux caprices de la nature 61. Dans dautres cas, on trouve, sous forme de recommandations, des incitations au renforcement des capacits (capacity building) et aux transferts de technologie directement des organisations internationales ou bilatrales vers les communauts locales, qui vincent de fait le maillon gouvernemental national, jug peu fiable :

    La plupart du temps, la coopration des organisations internationales est canalise par les gouvernements centraux, ce qui gnre plusieurs problmes. En premier lieu, lassistance internationale (des millions de dollars dans la plupart des cas) est totalement contrle par de petits groupes dofficiels gouvernementaux qui possdent assez dautorit pour pouvoir viter les contrles. Cela donne lieu un manque de transparence, une gestion arbitraire des fonds disponibles et un important gchis des ressources 62.

    Aujourdhui, ce discours sur lincapacit des Etats est renforc par un autre discours relatif cette fois au dclin de lEtat-nation qui accompagnerait les phnomnes de globalisation. On trouve ainsi, dans les rapports des organisations internationales mais aussi chez les chercheurs en sciences sociales, sociologues ou politistes qui se spcialisent sur ces questions, des rfrences des travaux qui mettent en lumire ce dclin pour expliquer l'mergence croissante d'acteurs internationaux:

    Un nombre croissant dorganisations transnationales ou internationales telles que les agences des Nations unies, des groupes caractre religieux ou la Banque mondiale investissent le champ des

    naturelles ou technologiques. http://www.worldassistance.org/.

    59 M. Cpde, Prface de G. Langeais, Les Nations unies face aux catastrophes naturelles, op. cit., pp. II-III.

    60 Aprs avoir raffirm leur souverainet et leur rle premier dans lassistance, la rsolution 43/131 du 8 dcembre 1988 invite les Etats faciliter la mise en uvre de lassistance humanitaire. La rsolution 45/100 du 14 dcembre 1990 instaure, quant elle, la cration de couloirs durgence pour la distribution de laide mdicale et alimentaire.

    61 ISDR, Living with Risk: A Global Review of Disaster Reduction Initiatives, Genve, Nations unies, 2004, p. xiii.

    62 C. Villacis, Latin American cases , International Recovery Platform, Kob, non dat, p. 26.

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    secours en cas de catastrophe et de la reconstruction. Avec le dclin de limportance de lEtat-nation (Guehenno, 1995, Mann 1995), il faut sattendre ce que de nouveaux acteurs apparaissent 63.

    Larticulation rcente de la thmatique des risques et des catastrophes naturels avec celle, galement mise en priorit sur lagenda international, des risques qualifis de globaux 64 (changement climatique, crise environnementale...) contribue au renforcement de ce discours. On peut mesurer limportance de cette articulation nouvelle pour le systme onusien, lISDR en particulier, par de nombreuses activits rcentes : tout dabord, la mise en place dun groupe de travail (Working Group on Climate Change and Disaster Risk Reduction) au sein de lISDR ; ensuite, le recrutement dau moins 5 personnes ayant dj une exprience dans le domaine du changement climatique et de 12 ayant une exprience dans celui de lenvironnement parmi les 68 salaris que compte actuellement le secrtariat de l'ISDR ; enfin, et surtout, le dernier rapport prsent lors de la Global Platform organise par lISDR Genve en juin 2009, et intitul Risk and Poverty in a Changing Climate: Invest Today for a Safer Tomorrow 65, ainsi que les nombreux ateliers et dclarations sur le changement climatique qui ont eu lieu lors de cette confrence internationale. Plus encore que les catastrophes naturelles localises telles que les ruptions volcaniques ou les sismes, le changement climatique qui se produit lchelle plantaire conduit un renforcement de la tentative d'internationalisation des mesures de prvention.

    Transformations de la notion de scurit

    Parmi les lments prendre en compte pour analyser lmergence de ce monde international des risques et des catastrophes naturels , la fin de la guerre froide et les attentats du 11 septembre 2001 n'apparaissent pas premire vue comme les plus vidents. Pour l'OTAN cependant, son repositionnement sur le champ de la scurit civile , notamment en matire de secours et de prvention des risques et des catastrophes naturels , lui permet de se maintenir dans un environnement qui ne lui est pas favorable66. En effet, aprs la disparition de lennemi lEst, lAlliance est force de se repositionner. Les attentats de 2001 New York la conduisent ensuite rviser sa stratgie pour rpondre la menace terroriste. Il sagit alors d largir la conception de la scurit au sein de lAlliance. Dans cette perspective, lOTAN mobilise deux notions, celle de scurit globale et celle de scurit humaine .

    63 E. Quarantelli, P. Lagadec, A. Boin, A Heuristic Approach to Future Disasters and Crises: New, Old, and In Between Types , in H. Rodrguez et al. (eds), Handbook for Disaster Research, New York, Springer, 2006, p. 32. Les rfrences cites sont J.-M. Guhenno, La fin de la dmocratie, Paris, Flammarion, 1993 et M. Mann, L 'Etat-nation : mort ou transfiguration ? Le Dbat, n84, mars-avril 1995, pp. 49-69.

    64 Parfois dsigns comme des risques plantaires par certains chercheurs qui appellent de leurs vux une approche par les global commons , laquelle permet dimaginer tous les tres humains relis entre eux, dans une condition similaire et une commune vulnrabilit . Voir B. Badie, M.-C. Smouts, Le retournement du monde. Sociologie de la scne internationale, op. cit., p. 218.

    65 ISDR, Global Assessment Report on Disaster Risk Reduction, Genve, Nations unies, 2009.

    66 H. Grtner, European security, the use of the force and the treaty of Lisbon , communication au Congrs annuel de lInternational Studies Association, 49e convention annuelle, San Francisco, 26 mars 2008.

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    La premire, lie lapproche all hazards et dans la conception de laquelle les Etats-Unis ont eu une grande influence, largit considrablement le spectre des menaces :

    La scurit globale peut tre dfinie comme la capacit dassurer une collectivit donne et ses membres un niveau suffisant de prvention et de protection contre les risques et les menaces de toutes natures et de tous impacts, do quils viennent, dans des conditions qui favorisent le dveloppement sans rupture de la vie et des activits collectives et individuelles 67.

    La seconde, dont lorigine se situe plutt du ct du rapport sur le Dveloppement humain du UNDP en 1994, consiste protger le noyau vital de toutes les vies humaines, d'une faon qui amliore l'exercice des liberts et facilit l'panouissement humain 68. Elle tablit par consquent une conception de la scurit centre sur la personne humaine et sur ses besoins essentiels 69. Ces deux notions ne conduisent pas exactement aux mmes types de pratiques et ne traduisent pas les mmes transformations, mais leur utilisation croissante et leur dveloppement au cours des annes 1990 accompagnent le dveloppement d'une rhtorique dont le message gnral est le suivant : il n'est plus question de se mobiliser uniquement au niveau des secours, une fois que les phnomnes ont produit leurs effets, mais bien, de vivre avec le risque 70. Dans cette perspective, les menaces naturelles mais galement technologiques ou terroristes sont prsentes comme permanentes, et le monde est peru comme de jour en jour plus vulnrable en raison des activits anthropiques, de l'urbanisation croissante et du changement climatique. Dans ces conditions, le seul moyen de rester en vie est dtre vigilant71. Les actions envisages peuvent se rsumer en deux mots : prparation et capacit de rponse72. La prparation inclut la prvision des alas naturels et climatiques, et la prvention, par le biais de la formation des communauts aux risques qu'elles encourent, via lducation des enfants ( lcole) et des responsables locaux. La prvention ou Rduction des risques de catastrophes73 englobe galement les mesures et les instruments juridiques facilitant sa mise en uvre, les mesures de planification urbaine, celles de dveloppement durable ou celles lies l'accs aux ressources. La capacit de rponse correspondrait, quant elle, la prparation l'intervention en cas d'vnement, par le biais d'outils de coordination et dune formation du

    67 Dfinition de l'Institut national des hautes tudes de scurit (INHES) (nous soulignons).

    68 La scurit humaine maintenant. Rapport de la commission sur la scurit humaine (trad. F. Vanderschoot), Paris, Presses de Sciences Po, 2003, p. 17 (nous soulignons).

    69 Pour un historique de la doctrine de la scurit humaine , voir F. Gros, Dsastre humanitaire et scurit humaine. Le troisime ge de la scurit , Esprit, n343, mars-avril 2008, pp. 51-66 ; F. Gros, M. Castillo, A. Garapon, De la scurit nationale la scurit humaine , Raisons politiques, n 32, 2008, pp. 5-7.

    70 ISDR, Living with Risk: A Global Review of Disaster Reduction Initiatives, op. cit.

    71 Ibid., p. xiv.

    72 OCHA, Annual Report. Activities and Use of Extrabudgetary Funds, Genve, Nations unies, 2006, p. 34.

    73 Nouvelle terminologie impulse par lISDR depuis la confrence de Kob en 2005 pour insister sur le caractre permanent des risques et sur la possibilit de les rduire . ISDR, Terminologie pour la prvention des risques de catastrophe, Genve, Nations unies, 2009, p. 26.

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    personnel d'urgence, par une meilleure coordination entre civils et militaires74 et par le biais d'exercices de simulation et d'vacuation mis en place dans les zones juges dangereuses. En outre, la mise en application des notions de scurit globale et de scurit humaine tend supprimer les distinctions. Il y aurait ainsi un continuum 75 de menaces, des crises alimentaires au terrorisme en passant par les sismes et les conflits ethniques ; de rponses, dans les pratiques ou les outils, certains kits pouvant tre utiliss pour prvenir toutes sortes de menaces ; et dacteurs, via une coopration des militaires et des acteurs humanitaires. Dans la pratique cependant, cette tentative dhomognisation se heurte la ralit des tensions et des diffrentes approches qui caractrisent lespace international de la rduction des risques et des catastrophes naturels . Enfin, la perspective scuritaire ainsi que la rhtorique fonde sur l'incapacit des Etats entranent dans leur sillage le dveloppement d'un autre type de discours de lgitimation, celui de la spcialisation.

    Spcialisation, efficacit, technique : savoirs et savoir-faire

    Si les Etats sont considrs comme incapables de grer les crises et de prvenir efficacement les vnements dsastreux, et si la notion de scurit s'est largie au point de ne plus concerner uniquement le niveau national, il est alors possible d'introduire sur la scne de nouveaux acteurs, qui sont, eux, prsents comme capables et efficaces . Les arguments centraux de lurgence et du sauvetage des vies lgitiment cette intervention. Dans un texte consacr la globalisation de la catastrophe , un responsable de lOCHA insiste sur ces deux arguments :

    La rponse aux catastrophes est une activit () spcialise qui demande des professionnels et des dcideurs expriments dans ce domaine pour pouvoir fonctionner de faon efficace. () Face aux besoins soudains et normes des victimes, le temps pour sauver des vies se mesure en minutes et en heures, pas en jours 76.

    Ds lors, cest le rle des militaires qui est mis en avant, en particulier quand il sagit des oprations de secours. Un ancien responsable de lUNDRO explique :

    Les militaires ont une mthodologie, ils ont surtout une structure de commandement qui fait que pour la rponse, cest irremplaable (). Ils ont aussi la planification, ils ont cette sparation bien prcise entre oprationnel, tactique et stratgique, qui fait que quelquefois cest trop cloisonn mais [qu]en gnral a apporte des rponses 77.

    74 OCHA, Annual Report. Activities and Use of Extrabudgetary Funds, op. cit., p. 32.

    75 F. Gros, Dsastre humanitaire et scurit humaine. Le troisime ge de la scurit , art. cit.

    76 A. Katoch, The responders cauldron: The uniqueness of international disaster response , Journal of International Affairs, vol. 59, n 2, printemps-t 2006, p. 154-155. 77 Entretien, cit.

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    Le cas de lOTAN est rvlateur de ce type de discours de lgitimation qui sarticule la fois autour de lexprience, de lexpertise et de la technique. A titre dexemples, en 2006, aprs les interventions de lAlliance la Nouvelle-Orlans et au Pakistan, la Revue de lOTAN publie un dossier intitul Le rle humanitaire croissant de lOTAN . Les rcentes catastrophes ont mis en lumire lutilit de certaines capacits militaires lorsque les premiers responsables sont dbords , est-il annonc ds lintroduction. Larticle met ensuite en avant lensemble de ces capacits militaires : transport arien stratgique, hpitaux militaires, personnel mdical, gnie militaire78 Lors du 5e Congrs europen sur la gestion des dsastres, organis Bonn en 2008 par deux organisations de protection civile allemandes, le responsable de lEADRCC prsente une communication dans laquelle il dfend notamment le concept de Rapid Reaction Team qui se fonde sur la rapidit de lintervention et sur lexpertise de lorganisation. Cette rfrence lexpertise pour lgitimer les interventions dans lurgence pour la phase des secours est galement mobilise dans des documents rendant compte de limplication de lAlliance dans le domaine de la prvention des catastrophes. L'OTAN dveloppe ainsi en Asie centrale des projets de prvention des tremblements de terre centrs sur la rsistance du bti ou la collecte de donnes sur la sismologie et la gologie (cartes de dangers sismiques). Fonde sur le transfert de technologies , l'intervention de l'OTAN dans le domaine de la prvention se prsente donc comme essentiellement experte et technique quand l'Alliance aborde le domaine des risques naturels et environnementaux. Les trois termes de scurit, sciences et environnement qui concluent le rapport La scurit via le partenariat79 de 2005 sont censs rsumer cette posture. La lgitimation par lexpertise ou par la technique nest toutefois pas le privilge de lOTAN. On retrouve ces formulations dans les documents d'organisations spcialises dans les programmes de prvention, telle la WMO, spcialise dans les observations mtorologiques, climatologiques, hydrologiques et gophysiques, dans la collecte et le traitement des donnes et le transfert de technologies. Au cours de la Global Platform for Disaster Risk Reduction de 2009, la WMO lance par exemple le programme Weather info for all , en collaboration avec la fondation Global Humanitarian Forum dont Kofi Annan est le prsident, depuis la fin de son mandat aux Nations unies, et en partenariat avec les socits de tlcommunication Ericsson et Zain, et le Earth Institute de lUniversit de Columbia80. Linitiative a pour objectif de permettre toutes les communauts vulnrables dAfrique de recevoir sur leurs tlphones portables par le biais de messages SMS une information mtorologique rigoureuse, objective, fiable 81. L encore, largument technologique et la justification scientifique sont les lments centraux de la rhtorique, au dtriment des connaissances indignes sur lesquelles insistent dautres acteurs. En effet, dans le contexte du changement climatique, affirme le texte du projet, les pratiques agricoles traditionnelles et les connaissances indignes sont obsoltes , ce qui justifie la mise en place dun important maillage technologique sur lensemble du continent..

    78 M. Jochems, Le rle humanitaire croissant de l'OTAN , art. cit.

    79 OTAN, La scurit via le partenariat, Bruxelles, OTAN, 2005, p. 36.

    80 Dont le directeur est le trs influent conomiste Jeffrey Sachs, consultant spcial auprs de Kofi Annan puis de Ban Ki-Moon et conseiller dans de nombreuses organisations internationales (Fonds montaire international (FMI), Banque mondiale, Organisation de Coopration et de Dveloppement Economiques (OCDE), WHO, UNDP).

    81 J. Sachs, vido de lancement, Weather info for all, Global Platform for Disaster Risk Reduction, Genve, 18 juin 2009.

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    Cette lgitimation des interventions dans le domaine de la prvention qui sappuie sur des arguments techniques ou sur les comptences scientifiques des experts correspond donc la revendication dun savoir , qui permet galement ldification dun systme de normes et de standards universels de la bonne gestion des catastrophes et de la bonne prvention des risques : indicateurs de vulnrabilit, technologies d'observation des phnomnes, cartographies des zones risques, glossaires... Ds lors et pour rpondre l'injonction rsume par l'aphorisme anglo-saxon il ny a de rsultats que ceux que lon peut mesurer (what gets measured gets done )82, une srie d'indicateurs sont dvelopps pour mesurer le degr de vulnrabilit d'un pays ou d'une rgion : le Disaster Vulnerability Index (DVI) et les Disaster Risk Indicators (DRI) chez ECHO, le Global Risk and Vulnerability Index Trends per Year (GRAVITY) au UNDP, et le Natural Hazard Apparent Vulnerability Indicator (NHAVI) de la Banque mondiale participent llaboration dune forme de rationalisation scientifique des processus en cours, introduisant le benchmarking dans le domaine de la gestion des risques et des catastrophes naturels . La constitution de preuves est d'ailleurs un lment fondamental de nombreuses activits des organisations internationales dans ce domaine. Classiquement, indicateurs, statistiques, pourcentages et chiffres sont produits et rassembls dans des tableaux, graphiques et cartes, pour apporter la preuve scientifique dune situation que lon prtend dnoncer et laquelle lorganisation invite remdier. Les activits lies la rduction des risques et des catastrophes naturels couvrent par ailleurs un champ extrmement large allant des activits de dtection et de prvision la construction douvrages techniques, des mesures lgislatives aux activits d'information et aux campagnes de sensibilisation. Elles font donc intervenir des spcialistes issus de champs scientifiques divers, sciences de la terre (mtorologie, gomorphologie, sismologie, hydrologie, volcanologie, etc.), sciences sociales (anthropologie, sociologie, gographie, psychologie, droit...) ainsi que des urbanistes ou des ingnieurs. Enfin, cest une trs grande porosit qui caractrise les frontires entre lespace des acteurs internationaux et celui de la recherche acadmique, porosit que lon peut vrifier aussi bien dans le domaine des publications que dans celui de la participation des confrences, congrs et autres vnements acadmiques, o universitaires et praticiens se ctoient en permanence. Les espaces de production de la doxa internationale sur les risques et les catastrophes naturels ne sarrtent pas aux bureaux genevois ou new-yorkais, ils circulent de congrs en confrences, de plateformes en publications, et les croisements entre bureaucrates internationaux et nationaux, scientifiques et experts sont nombreux. Les revues scientifiques constituent les lieux privilgis de ces circulations. Certaines sont spcialises dans les thmatiques des catastrophes et des risques, comme les revues comit de lecture Disasters, Journal of Contingencies and Crisis Management, et International Journal of Emergency Management, plus ouvertement ancre dans l'expertise et au comit ditorial de laquelle se trouvent le vice-ministre russe en charge de la protection civile et de nombreux membres d'organisations impliques dans la gestion des risques et des catastrophes (Banque mondiale, Croix-Rouge amricaine). On pourrait tre tent de dsigner ces rseaux d'experts et de scientifiques comme des

    82 A. de Haulleville, S. Jegillos, V. Obsomer, Overall Evaluation of ECHO's Strategic Orientation to Disaster Reduction, Final Report, dcembre 2003, p. 28. http://ec.europa.eu/echo/files/policies/evaluation/2003/disaster_report.pdf (consult le 1er septembre 2009).

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    communauts pistmiques 83, des communauts de savoirs et de pratiques permettant des acteurs scientifiques de jouer un rle dans l'laboration de rponses et de normes internationales. Il est dailleurs trs souvent fait mention, dans les enceintes internationales, de ce type de communauts . Lors de la Global Platform for Disaster Risk Reduction de juin 2009, il tait par exemple frquent dentendre les personnes qui se croisaient dans les couloirs sinviter rciproquement une table ronde ou un atelier, en voquant par exemple limportance de la prsence des reprsentants de la communaut du changement climatique face la communaut de la rduction des risques de catastrophes . Pourtant, ces communauts sont elles-mmes htrognes, traverses de nombreuses tensions et fractures, et leurs membres ne se sentent pas forcment appartenir lune plutt qu lautre. Le terme mme de communaut , qui laisse entendre un partage de valeurs et une forme d'homognit, notamment en termes de savoirs et de croyances, est loin de caractriser le type de liens qui unissent les diffrents acteurs scientifiques de cet espace international :

    Il y a tellement de communauts qui viennent de plusieurs petits groupes conceptuels : lentre par le dveloppement, la perspective ala centre que oui, cette ide de tout mettre en lien est une tentative daller au-del de ces filtres et dharmoniser les diffrentes faons de penser les problmes 84.

    Car il existe bien, chez certains acteurs au sein des organisations internationales et notamment lISDR en tant quentit de coordination, une volont de crer une communaut , autour de la problmatique des risques et des catastrophes naturels . Cette volont se manifeste par de nombreuses tentatives de production dun langage commun partir de llaboration de glossaires, lune des activits de lISDR depuis sa cration. Traduits en plusieurs langues, ces manuels ont pour objectif dharmoniser les dfinitions des diffrents termes utiliss le plus frquemment. Le dernier, produit en 200985, se prsente comme une tentative de mettre jour et de diffuser largement une terminologie internationale standard relative la rduction des risques de catastrophe et ce, dans toutes les langues officielles des Nations unies, afin de servir de rfrence pour llaboration de programmes et la mise en place dinstitutions, doprations, travaux de recherche et programmes de formation et dinformation du public 86. En faisant le pari qu'utiliser les mmes mots conduit parler de la mme chose, l'ISDR tente de produire de lunit l o rgne avant tout la diversit des approches et des faons de penser.

    83 P. M. Haas, Epistemic communities and international policy coordination , International Organization, vol. 46, n 1, Knowledge, power, and international policy coordination , hiver 1992, pp. 1-35.

    84 Entretien avec un gographe, expert en rduction des risques, Genve, 18 juin 2009.

    85 ISDR, Terminologie pour la prvention des risques de catastrophe, Genve, Nations unies, mai 2009.

    86 Ibid., p. 1.

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    UN ESPACE INTERNATIONAL HETEROGENE

    Il est vident pourtant qu'avec des acteurs aussi nombreux et aussi divers, lespace international des risques et des catastrophes naturels ne peut tre que complexe. En effet, si les organisations multilatrales, et plus particulirement les agences de l'ONU dont il est spcifiquement question ici, sont centrales dans cet espace, dautres acteurs tels que le mouvement de la Croix-Rouge, les grandes ONG internationales, les agences nationales d'aide, mais aussi les ONG nationales ou locales, les assureurs, les entreprises prives, les protections civiles nationales et les centres de recherche participent pleinement lmergence de la thmatique sur lagenda international. Pour chacun, lenjeu est de dfinir ce que doit tre une bonne gestion des risques et des catastrophes.

    La tension secours/prvention

    Une premire tension, que lon pourrait qualifier de fondatrice , est celle qui spare le monde des secours de celui de la prvention, mme si aucun de ces deux mondes ne peut tre considr comme homogne en soi. Historiquement, nous lavons vu, le processus dinternationalisation de la problmatique des catastrophes se met en place partir des acteurs internationaux des secours. Cest donc le volet humanitaire qui pendant longtemps prdomine et produit les principales faons de penser ces vnements. La prvention, quant elle, fait son apparition en force dans les annes 1990, paralllement aux rapports qui montrent, chiffres lappui, quil serait moins onreux dinvestir dans des oprations visant prvenir les vnements ou du moins diminuer leurs consquences, que de devoir financer des oprations de secours et de reconstruction. Parmi les producteurs des notions aujourdhui intgres dans lensemble des documents fournis par la grande majorit des agences de lONU pour traiter de la thmatique, certains cherchent donner de la notion de prvention une vision plus large quauparavant. En soulignant par exemple les problmes daccs aux ressources ou de dveloppement, ils permettent de repenser la question du dveloppement en termes de relations de pouvoir ou de redistribution. On reconnat bien sr ici lempreinte des chercheurs de la Red voqus plus haut. Dailleurs, lauteur du rapport de 2009 intitul Risk and Poverty in a Changing Climate. Invest Today for a Safer Tomorrow 87 est lun des anciens membres fondateurs de la Red88. Cest dans cette mme optique que certains acteurs introduisent la notion de vulnrabilit et ses multiples dclinaisons en facteurs de vulnrabilit , ces derniers pouvant aller de lge ou du genre des donnes structurelles telles que lorganisation du territoire, la gestion politique ou

    87 ISDR, Global Assessment Report on Disaster Risk Reduction, cit.

    88 Cet urbaniste form Manchester travaille de longues annes au Prou, au sein dONG et dinstances gouvernementales pruviennes, avant de rejoindre les organisations internationales Genve (UNDP puis ISDR). Au cours des annes 1990, il contribue galement lmergence de deux rseaux similaires la Red, lun en Asie du Sud (Duryog Nivaran), lautre en Afrique australe (Peri Peri U) grce au financement de lagence fdrale daide des Etats-Unis, lUSAID.

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    les faiblesses institutionnelles. La prvention consiste alors remettre en question les schmas de dveloppement et souligner les causes profondes des catastrophes89. Or, depuis le tsunami de 2004 et, de faon plus marque encore, depuis la Global Platform for Disaster Risk Reduction de 2009, il semblerait que lon revienne une dynamique centre sur les secours. Pour un autre des fondateurs de la Red :

    Le tsunami, cest la pire chose qui pouvait arriver au thme de la rduction des risques de catastrophes. Parce que a remet au centre les grands vnements exceptionnels, et on est de nouveau sur () des rponses () qui ne font que rsoudre le problme du nombre de vies quon sauve mais qui ne rsolvent pas le reste 90.

    Ce sont bien deux perspectives qui sopposent ici : celle qui consiste privilgier le sauvetage des vies au moment de lvnement et celle qui insiste sur les transformations profondes oprer en dehors de lvnement lui-mme. Et ces deux perspectives renvoient des institutions, des comptences et des faons de penser les situations trs diffrentes. Le rapport produit par lISDR en 2009 est un excellent rvlateur de la difficile tentative de conciliation de ces deux approches. Certes, il met en avant le lien entre la pauvret et une plus grande vulnrabilit aux catastrophes naturelles , ce qui conduit ses auteurs dployer la thmatique du dveloppement et des moyens de subsistance (livelihoods), faisant ainsi directement cho au rapport du UNDP de 2004 intitul La rduction des risques de catastrophes : un dfi pour le dveloppement 91. Mais en mettant galement laccent sur le changement climatique, il revient une analyse centre sur les alas, en insistant sur les alas mtorologiques au dtriment des phnomnes gologiques (sismes, ruptions volcaniques, glissements de terrain), et inflchit le discours en direction de la prvision de lala et de lalerte. Cette dmarche rpond plus directement aux objectifs de la WMO, centre sur la diffusion dinformation mtorologiques et sur lalerte prcoce. Des tensions au sein de lespace des secours : civils et militaires

    La participation des militaires aux oprations humanitaires en cas de catastrophe naturelle est encadre depuis 1994 par les Oslo Guidelines, qui organisent l'usage des ressources militaires et de la protection civile en cas de catastrophe (naturelle, technologique ou environnementale) en temps de paix, ce qui les diffrencie des Military Civil Defence Assets (MCDA) Guidelines, qui organisent leurs interventions dans des situations qualifies d urgences complexes qui recouvrent les conflits. Rviss en 2006, la suite dune augmentation notable des interventions militaires dans le cadre d'oprations humanitaires 92,

    89 B. Wisner, P. Blaikie, T. Cannon, I. Davis, At Risk. Natural Hazards, Peoples Vulnerability and Disasters, New York, Routledge, 2004, (1re dition 1994).

    90 Entretien, Genve, 18 juin 2009.

    91 http://www.undp.org/cpr/disred/documents/publications/rdr/francais/rdr_fra.pdf (consult le 8 septembre 2009).

    92 Notamment les interventions de la NRF de l'OTAN en Louisiane et au Pakistan voques plus haut, et les tensions que ces interventions crent entre les militaires de l'OTAN et certains acteurs de l'ONU ou des ONG.

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    les Oslo Guidelines sont sous la tutelle de la Civil-Military Coordination Section (CMCS) de l'OCHA93, mise en place afin de coordonner les demandes de MCDA pour accompagner les actions humanitaires des Nations unies et afin de s'assurer que ces oprations se droulent dans le respect des principes humanitaires 94. Les Oslo Guidelines ont pour vocation d'encadrer les pratiques par un certain nombre de principes essentiels, dont lun est la sparation des actions respectives des civils et des militaires. Ainsi, la distribution d'aide serait l'affaire des civils, tandis que le transport et la logistique reviendraient aux militaires ; ceux-ci doivent tre reconnaissables par leurs uniformes nationaux et ne doivent pas tre arms. Les Oslo Guidelines stipulent galement que le recours des ressources militaires doit tre justifi par le fait qu'aucune autre solution civile n'est possible ou suffisante , et doit tre limit dans le temps. Lexistence mme de ces guides et leur ractualisation rcente nous renseignent sur le niveau de tension qui peut exister sur le terrain des oprations de secours entre les militaires et les organisations civiles, les secondes voyant dans la prsence des premiers un risque de mise en pril de leur propre mandat95, dautant que les moyens dploys par les militaires, leur technicit , leurs comptences en cas durgence sinscrivent parfaitement dans le discours de lgitimation qui sappuie sur lexpertise et le savoir-faire, discours que le monde civil utilise par ailleurs lui-mme de plus en plus. Dautres initiatives refltent, en creux, ces tensions. Ce sont les tentatives croissantes de promotion de la coopration civilo-militaire , qui est notamment au cur du travail de la CMCS. Organiser des ateliers de formation au cours desquels militaires et civils se rencontrent et travaillent ensemble, ou mettre en place des exercices de simulation qui regroupent ces diffrents acteurs sont actuellement des moyens trs priss pour promouvoir une meilleure comprhension des logiques respectives des acteurs qui se rencontrent sur le terrain96. Experts vs profanes

    Cette troisime ligne de tension nest pas spcifique au domaine international. Il sagit de la dichotomie entre un monde prsent comme celui de lexpertise et un espace qui engloberait les pratiques profanes dacteurs considrs par les experts comme ignorants, mal informs ou irrationnels. Au niveau local, la figure du profane est souvent associe celle de lhabitant

    93 Cre la suite des Guidelines d'Oslo en 1994.

    94 En 2006, la CMCS traite 10 demandes de MCDA, parmi lesquelles une intervention avec le WFP et le UNHCR au Pakistan aprs le tremblement de terre d'octobre 2005, une autre en Somalie aprs les inondations et une avec le UNHCR en Algrie au moment des inondations de Tindouf (OCHA, Annual Report, Genve, Nations unies, 2006, pp. 60-61).

    95 S. Wiharta, H. Ahmad, J.-Y. Haine, J. Lfgren, T. Randall, The Effectiveness of Foreign Military Assets in Natural Disaster Response, Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI), 2008.

    96 LOCHA signale sur son site Internet que des centaines dexercices de ce type sont organiss chaque anne par une grande varit dacteurs. En 2009, sur les 13 exercices organiss par la CMCS, la plupart taient centrs sur des oprations de maintien de la paix, deux taient des simulations de catastrophes naturelles , et quatre taient destination des officiers de lOTAN.

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    des zones dites risques. Au niveau international, la tension se joue entre des organisations qui dfendent une approche technique et de plus en plus technologique et celles qui militent pour une approche par la base (comunity based). Pour les tenants de lexpertise et de la spcialisation, la mise en lien des risques de catastrophe avec la pauvret par exemple nest pas vue dun trs bon il. En effet, le risque de catastrophe est li, selon eux, un ala qui existe avant tout facteur de vulnrabilit ; cest donc la connaissance et la prvision de cet ala qui doivent permettre den rduire les impacts sur les socits touches. Pour les militants de la cause des profanes , au contraire, il faut avant tout rduire les conditions qui feront de lala un vnement dvastateur, une catastrophe. Laccent est alors mis sur la ncessit de prendre en compte la faon dont les socits locales, traditionnelles ont toujours fait face ce type dvnement, par le biais de mthodes de construction, de modes de production agricoles permettant une meilleure rcupration, ou travers des systmes locaux et communautaires de redistribution des ressources. Au fil des dcennies, cette tendance profane a gagn du terrain : en tmoigne limportance accorde, dans des confrences internationales rcentes, aux connaissances autochtones , aux savoirs traditionnels et aux pratiques locales. Sils frquentent les mmes enceintes internationales, les membres de ces deux sphres ne dialoguent que trs peu. Au cours de la Global Platform for Disaster Risk Reduction de