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Avez-vous été marqué par des professeurs au cours de vos formations ? Au lycée et surtout en faculté, j’ai eu des enseignants convain- cants, en particulier les spécialistes des lacs (J. Wautier, J. Juget), ou d’autres domaines de la biologie : zoologie (R. Ginet,A.L. Roux, E. Pattee, M. Pavans de Ceccaty) ou biologie générale (MM. Nigon et Legay). Plusieurs d’entre eux ont d’ailleurs fait partie à une époque des comités scientifiques ou des jurys des concours de l’INRA. Ils m’ont conforté dans mon désir d’œuvrer en limnologie, en approfondissant mes connaissances dans différents domaines comme la biologie animale et végétale, la taxonomie qui sont des disciplines essentielles pour la limnologie, science relative- ment complexe qui intègre de nombreux autres domaines comme la météorologie, la géologie, l’hydrodynamique, la chi- mie et la physique des eaux, la bactériologie, la toxicologie... Pouvez-vous nous en dire plus sur la limnologie ? Il y a plus d’un siècle,le savant suisse François-Alphonse Forel, à la suite de ses études menées sur le Léman durant plus de trois décennies, créait la limnologie, science nouvelle relative à l’étude des lacs et définie en 1892 comme l’océanographie des eaux douces. Autrefois limité à l’étude des lacs, le domaine de la limnologie s’est progressivement étendu à l’ensemble des eaux douces, qu’elles soient stagnantes, à faible vitesse de renouvellement des eaux (milieux lentiques : lacs, retenues, étangs, gravières et ballastières, tourbières...) ou courantes (milieux lotiques : fleu- ves, rivières, torrents, ruisseaux...) pour englober actuellement l’ensemble des eaux superficielles continentales. Cette science pluridisciplinaire fait appel à un ensemble com- plexe d’études : hydrologie, physique et chimie des eaux, bio- logie des organismes (benthos, plancton, poissons...), écotoxi- cologie, bactériologie, nature et utilisation du bassin versant (urbanisation, agriculture, industrie), sources de pollution, envi- ronnement des milieux aquatiques... La productivité d’un lac repose sur le fonctionnement du réseau trophique allant du monde inorganique au phytoplanc- ton consommé par le zooplancton, lui-même proie des pois- sons. Tout impact sur une partie du réseau trophique peut avoir des répercussions néfastes sur le fonctionnement global d’un plan d’eau. Une surpopulation de poissons peut limiter l’abondance du zooplancton dont la pression de prédation sur le phytoplancton est alors insuffisante ; l’abondance des algues dégrade alors la qualité des eaux. Le fonctionnement de l’écosystème dépend en outre de nombreux facteurs exter- nes comme la climatologie locale, les apports nutritifs ou pol- luants en provenance du bassin versant par les affluents ou le ruissellement diffus... La gestion des milieux aquatiques qui débouche sur la fourni- ture d’eau potable, assure une production piscicole de valeur et permet la pratique des activités de loisirs, implique de connaître le fonctionnement et la structure des divers compar- timents de ces écosystèmes complexes, la productivité de ces milieux et les risques potentiels encourus. D’où l’approfondis- sement des recherches sur le zooplancton tant en lui-même qu’en collaboration avec d’autres disciplines (structure du phy- toplancton, physiologie algale, production bactérienne et pro- duction primaire algale, production secondaire zooplancto- nique, ichtyologie...) afin de contribuer à une meilleure con- naissance du fonctionnement des écosystèmes lacustres. La limnologie est-elle couramment enseignée à l’université ? La limnologie est toujours enseignée dans plusieurs universités françaises, mais j’ai l’impression que l’enseignement magistral de cette discipline synthétique se perd progressivement au profit d’autres enseignements pourtant utilisés en limnologie (chimie, bactériologie, hydrodynamique, génétique, biologie cellulaire, écotoxicologie...). Dans le monde existent de nombreux instituts et laboratoires de recherche pour promouvoir la limnologie et former les étu- diants 1 . Cependant à Thonon, l’effectif des chercheurs n’est en rien comparable à celui des équipes canadiennes. Là où ils sont Gérard Balvay,Thonon-les-Bains, le 28 février 2008 Gérard Balvay Je suis né en 1941 à Mâcon, terre natale de Lamartine dont le célè- bre poème Le Lac a peut-être été le signe prémonitoire de ma future orientation professionnelle sur l’étude des milieux lacustres. Petit-fils de fermiers, fils d’un préparateur en pharmacie et d’une mère au foyer, j’ai suivi mes études primaires et secondaires à Mâcon, toujours passionné par les sciences naturelles et expéri- mentales. J’ai poursuivi mes études supérieures avec une licence de sciences naturelles à la faculté des sciences de Lyon (1964), un DEA en biologie (1965) et un doctorat de spécialité en sciences biolo- giques (option biologie animale) en 1967. 1 Au Canada le centre canadien des eaux intérieures (CCIW) à Burlington, les universités du Québec et de Montréal, en Suisse l’Institut Forel à Versoix, le laboratoire de Kastanienbaum et les instituts poly- techniques fédéraux de Lausanne et de Zurich, les instituts allemands de Langenargen et de Constance, la station biologique de Lunz-am-See (Autriche), l’Institut italien d’hydrobiologie à Pallanza... La France n’est pas en reste avec ses universités, l’INRA (stations de Thonon, Saint-Pée-sur-Nivelle, Jouy-en-Josas, Rennes), l’IRD et le CNRS, le CEMAGREF, le CEA et EDF, l’École nationale des Ponts et Chaussées, les stations biologiques de Villefranche-sur-Mer, Tamaris, Orédon, Roscoff, la Tour-du-Valat, Besse-en-Chandesse... en regrettant de ne pouvoir citer toutes les struc- tures impliquées en limnologie.) 195 Le bâtiment administratif de la station. Photo : ©INRA - Christian Galant

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Page 1: Gérard Balvay

Avez-vous été marqué par des professeurs au cours de vos formations ?

Au lycée et surtout en faculté, j’ai eu des enseignants convain-cants, en particulier les spécialistes des lacs (J. Wautier, J.Juget), ou d’autres domaines de la biologie : zoologie (R.Ginet, A.L. Roux, E. Pattee, M. Pavans de Ceccaty) ou biologiegénérale (MM. Nigon et Legay). Plusieurs d’entre eux ontd’ailleurs fait partie à une époque des comités scientifiques oudes jurys des concours de l’INRA.Ils m’ont conforté dans mon désir d’œuvrer en limnologie, enapprofondissant mes connaissances dans différents domainescomme la biologie animale et végétale, la taxonomie qui sontdes disciplines essentielles pour la limnologie, science relative-ment complexe qui intègre de nombreux autres domainescomme la météorologie, la géologie, l’hydrodynamique, la chi-mie et la physique des eaux, la bactériologie, la toxicologie...

Pouvez-vous nous en dire plus sur la limnologie ?

Il y a plus d’un siècle, le savant suisse François-Alphonse Forel,à la suite de ses études menées sur le Léman durant plus detrois décennies, créait la limnologie, science nouvelle relative àl’étude des lacs et définie en 1892 comme l’océanographiedes eaux douces.Autrefois limité à l’étude des lacs, le domaine de la limnologies’est progressivement étendu à l’ensemble des eaux douces,qu’elles soient stagnantes, à faible vitesse de renouvellementdes eaux (milieux lentiques : lacs, retenues, étangs, gravières etballastières, tourbières...) ou courantes (milieux lotiques : fleu-ves, rivières, torrents, ruisseaux...) pour englober actuellementl’ensemble des eaux superficielles continentales.Cette science pluridisciplinaire fait appel à un ensemble com-plexe d’études : hydrologie, physique et chimie des eaux, bio-logie des organismes (benthos, plancton, poissons...), écotoxi-cologie, bactériologie, nature et utilisation du bassin versant(urbanisation, agriculture, industrie), sources de pollution, envi-ronnement des milieux aquatiques...La productivité d’un lac repose sur le fonctionnement duréseau trophique allant du monde inorganique au phytoplanc-ton consommé par le zooplancton, lui-même proie des pois-sons. Tout impact sur une partie du réseau trophique peutavoir des répercussions néfastes sur le fonctionnement globald’un plan d’eau. Une surpopulation de poissons peut limiterl’abondance du zooplancton dont la pression de prédation sur le phytoplancton est alors insuffisante ; l’abondance des algues dégrade alors la qualité des eaux. Le fonctionnement

de l’écosystème dépend en outre de nombreux facteurs exter-nes comme la climatologie locale, les apports nutritifs ou pol-luants en provenance du bassin versant par les affluents ou leruissellement diffus...La gestion des milieux aquatiques qui débouche sur la fourni-ture d’eau potable, assure une production piscicole de valeuret permet la pratique des activités de loisirs, implique deconnaître le fonctionnement et la structure des divers compar-timents de ces écosystèmes complexes, la productivité de cesmilieux et les risques potentiels encourus. D’où l’approfondis-sement des recherches sur le zooplancton tant en lui-mêmequ’en collaboration avec d’autres disciplines (structure du phy-toplancton, physiologie algale, production bactérienne et pro-duction primaire algale, production secondaire zooplancto-nique, ichtyologie...) afin de contribuer à une meilleure con-naissance du fonctionnement des écosystèmes lacustres.

La limnologie est-elle couramment enseignée à l’université ?

La limnologie est toujours enseignée dans plusieurs universitésfrançaises, mais j’ai l’impression que l’enseignement magistralde cette discipline synthétique se perd progressivement auprofit d’autres enseignements pourtant utilisés en limnologie(chimie, bactériologie, hydrodynamique, génétique, biologiecellulaire, écotoxicologie...).Dans le monde existent de nombreux instituts et laboratoiresde recherche pour promouvoir la limnologie et former les étu-diants 1.Cependant à Thonon, l’effectif des chercheurs n’est en riencomparable à celui des équipes canadiennes. Là où ils sont

Gérard Balvay, Thonon-les-Bains, le 28 février 2008 �

Gérard BalvayJe suis né en 1941 à Mâcon, terre natale de Lamartine dont le célè-

bre poème Le Lac a peut-être été le signe prémonitoire de ma future

orientation professionnelle sur l’étude des milieux lacustres.

Petit-fils de fermiers, fils d’un préparateur en pharmacie et d’une

mère au foyer, j’ai suivi mes études primaires et secondaires à

Mâcon, toujours passionné par les sciences naturelles et expéri-

mentales. J’ai poursuivi mes études supérieures avec une licence de

sciences naturelles à la faculté des sciences de Lyon (1964), un DEA

en biologie (1965) et un doctorat de spécialité en sciences biolo-

giques (option biologie animale) en 1967.

1 Au Canada le centre canadien deseaux intérieures (CCIW) à Burlington,les universités du Québec et deMontréal, en Suisse l’Institut Forel àVersoix, le laboratoire deKastanienbaum et les instituts poly-techniques fédéraux de Lausanne etde Zurich, les instituts allemands de Langenargen et de Constance,la station biologique de Lunz-am-See(Autriche), l’Institut italien d’hydrobiologie à Pallanza...La France n’est pas en reste avec ses universités, l’INRA (stationsde Thonon, Saint-Pée-sur-Nivelle,Jouy-en-Josas, Rennes), l’IRD et le CNRS, le CEMAGREF, le CEA et EDF, l’École nationale des Ponts et Chaussées, les stations biologiques de Villefranche-sur-Mer, Tamaris,Orédon, Roscoff, la Tour-du-Valat,Besse-en-Chandesse... en regrettantde ne pouvoir citer toutes les struc-tures impliquées en limnologie.) 195

Le bâtiment administratif de la station.

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Page 2: Gérard Balvay

Propos recueillis par C. Mousset-Déclas et Ch. Galant

plusieurs dizaines, nous ne sommes qu’une poignée mais avecune certaine notoriété, ce qui m’a valu, ainsi qu’à mes collè-gues, d’accueillir de nombreux étudiants français et étrangersau cours de stages obligatoires, mais parfois dans des situa-tions curieuses. Ainsi, l’UST du Languedoc (CREUFOP) àMontpellier m’avait envoyé des étudiants du Niger, du Gabonet du Congo pour se former à la pisciculture en eau chaude...au Léman ! Il semblait difficile d’accueillir de tels stagiairesmais nous les avons quand même formés à l’hydrobiologie,aux méthodes et aux techniques de base de l’aquaculture afinqu’ils puissent les adapter aux conditions climatiques de leurpays d’origine.Thonon fut durant plusieurs années une base de repli de l’ex-ORSTOM (IRD), accueillant les chercheurs qui revenaient enFrance pour s’informer des nouvelles techniques de la limnolo-gie, rédiger leur thèse ou publications, avant que cet institut nes’installe à Montpellier.Grâce aux nombreux rapports entretenus avec différentes struc-tures de recherche sur les milieux aquatiques, il est possible defaire de la limnologie comparée, ce qui est beaucoup plus inté-ressant du point de vue scientifique que de s’enfermer dans unetour d’ivoire en ne travaillant que sur un seul lac comme leLéman ou sur un seul sujet (élément chimique, algue ou micro-crustacé, macrophyte, poisson...). Cette méthodologie multidis-ciplinaire débouche sur la conservation des milieux naturels,l’utilisation des lacs comme ressource en eau potable, la ges-tion globale des milieux aquatiques, le développement et l’amélioration des productions aquicoles de valeur, avec desimplications socio-économiques très importantes ; il en est demême des fonctions patrimoniales et touristiques des lacs quien découlent. C’est pourquoi de nombreuses instances de

l’INRA ont toujours fait référence à Thonon dans le domaine dela protection des milieux naturels, même si l’on a l’impressionque notre unité a parfois servi de bonne conscience pourl’Institut.

Quelle est votre perception de la formation universitaire dans votre spécialité ?

À mon avis l’université ne forme pas suffisamment les étu-diants à la limnologie et à la taxonomie. Ces étudiants présen-tent souvent d’importantes lacunes dans leur formation debase en taxonomie, écologie et éthologie aquatiques, domai-nes indispensables pour une connaissance approfondie dufonctionnement des écosystèmes lacustres, mais qu’ils consi-dèrent souvent comme peu valorisants. Or, cette connaissancesynthétique des plans d’eau est primordiale tant pour l’étudedes écosystèmes que dans la valorisation et le transfert desconnaissances.Les étudiants actuels sont très compétents en biochimie, bio-logie moléculaire ou cellulaire, génétique, biométrie, dyna-mique des populations, modélisation... mais ils sont parfoisincapables de connaître les différences fondamentales entreun insecte et une grenouille !Le transfert des savoirs se fait actuellement surtout pour desétudiants, futurs limnologues ou hydrobiologistes au cours destages parfois volontaires, le plus souvent obligatoires dans lecadre des études, sur des thèmes choisis par le maître de stagepour compléter ses propres recherches ou aborder un nouveaudomaine pouvant s’avérer utile.

Que diriez-vous aujourd’hui à des jeunes désireux de se lancer dans la limnologie ?

Je leur déconseillerais la recherche en limnologie générale ; lesdébouchés paraissent limités car cela n’intéresse que les orga-nismes communaux ou intercommunaux et les instances loca-les qui veulent protéger ou valoriser leurs plans d’eau, souventpar l’intermédiaire de bureaux d’études.Les orientations actuelles favorisent les disciplines considéréescomme nobles ou dans le vent (liées à des financements inté-ressants) comme la génétique, la génomique, l’écotoxicologie,la biologie moléculaire... On reproche aux écologistes et auxtaxonomistes des techniques anciennes ou jugées trop clas-siques, mais les disciplines ci-dessus ne remplaceront jamaisl’œil de l’observateur pour identifier correctement un organis-me sous le microscope.

Que diriez-vous encore sur l’évolution des métiers ?

Plusieurs fois je suis intervenu avec diverses structures profes-sionnelles du Chablais (gendarmerie, douanes, eaux et forêts,chambres de commerce, d’industrie et d’agriculture, notariat...)dans des actions visant à sensibiliser les lycéens sur leur inser-tion dans la vie professionnelle. Certains élèves auraient aimédevenir chercheur, mais en apprenant qu’il fallait au moins 6 ans d’études après le bac, alors là ils capitulaient, surtout ensachant en plus que l’avancement se faisait par concours. Onessayait de leur démontrer qu’un premier pas pouvait êtretenté avec les concours de techniciens, permettant ensuited’envisager une carrière d’ingénieur ou de chercheur.

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Bassin versant du Léman.

Schéma du réseau trophique lacustre.©

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Pouvez-vous nous retracer l’histoire de la station d’hydrobiologie dans laquellenous nous trouvons actuellement ?

À Thonon, le premier établissement domanial de piscicultureremonte à 1884, à l’initiative du service des Ponts et Chausséesdont dépendait le service de la pêche et chargé d’assurer lagestion piscicole du Léman après incubation d’œufs de salmo-nidés provenant de l’étranger. Nommé à Thonon en 1887,André Delebecque, ingénieur des Ponts et Chaussées fait cons-truire de 1889 à 1907 plusieurs bassins d’alevinage. En novem-bre 1896, cet établissement est remis au service des forêts. En1908, A. Delebecque laisse la direction à Jean Crettiez, inspec-teur des eaux et forêts qui crée un petit laboratoire à la stationaquacole de Thonon, considérablement agrandi plus tard parl’ingénieur forestier Louis Kreitmann qui dirige dès 1919 l’éta-blissement de pisciculture de Thonon, obtient en 1924 les pre-miers individus albinos de truite arc-en-ciel et installe un nou-veau laboratoire de biologie en 1936.À partir de 1944 la station de recherches lacustres des eaux etforêts de Thonon, à laquelle est rattaché l’établissement doma-nial de pisciculture, passe sous le contrôle de la station centra-le d’hydrobiologie appliquée de Paris dirigée par Paul Vivier, quiregroupe déjà le Paraclet (laboratoire central d’hydrobiologieappliquée, fonctionnel en 1939), la station d’hydrobiologieappliquée de Bron-Parilly, la station de terrain de Brignon-sur-Sauldre (étangs) et la station de Biarritz (poissons migrateurs,aménagement des eaux).En 1949, Bernard Dussart quitte le Paraclet pour être nomméà Thonon où il agrandit les locaux de la station de rechercheslacustres en 1953, avant de laisser la direction à Pierre Laurent

en 1958. Puis nous sommes entrés à l’INRA en 1964 en deve-nant station d’hydrobiologie lacustre. Pierre Laurent quitte ladirection en 1982 pour être remplacé par Philippe Olive, alorsdirecteur du CRG (centre de recherches géodynamiques) etDaniel Gerdeaux prend le relais en 1988 jusqu’à l’arrivée dePierre Luquet en 1998.La station étant à l’étroit dans ses locaux au port de Rives, lesbiologistes émigrent en 1968 pour s’installer au “château”,ancienne propriété des sucreries Beghin, achetée 1 000 000de francs par l’INRA pour un domaine de 2,7 ha riverain duLéman et doté d’un port privé. Le déménagement de toute lastructure se termine en 1974 et l’inauguration des nouveauxlocaux a lieu en 1975 en présence de monsieur RaymondFévrier, directeur général de l’INRA.Après une période de crise en 1980 où il était question de sup-primer l’une des implantations du département d’Hydrobiologieet Faune sauvage (HyFS), la station risquait d’être fermée maisl’association en 1982 avec le centre de recherches géodyna-miques de Thonon (université Pierre et Marie Curie, Paris VI)spécialisé dans les eaux souterraines et les sources, a permis decréer le GIS Institut de limnologie qui pourtant n’a pas perduréet finalement le centre de recherches géodynamiques a étédéfinitivement fermé en 2005.En 1999, l’INRA et l’université de Savoie à Chambéry (labora-toire de microbiologie) créent l’UMR 42 dénommée centrealpin de recherches sur les réseaux trophiques en écosystèmeslimniques (CARRTEL). En 2003, à la suite de la suppression dudépartement HyFS, nous avons été absorbés par le nouveaudépartement Écologie des Forêts, Prairies et Milieux aqua-tiques (EFPA).

Gérard Balvay, Thonon-les-Bains, le 28 février 2008 �

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Lac Léman vu par satellite.Phot

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Page 4: Gérard Balvay

Propos recueillis par C. Mousset-Déclas et Ch. Galant

Comment s’est développée la station d’hydrobiologie ?

Après le recrutement à l’INRA de P. Laurent et J. Pelletier en1964 et mon intégration en 1966, le cadre scientifique a étéprogressivement étoffé à partir de 1967, avec Guy Barroin puisJacques et Mauricette Feuillade, permettant ainsi d’effectuerrégulièrement des campagnes mensuelles sur les grands lacs(Léman, Bourget, Annecy, Nantua). En 1989, il y avait 40 per-sonnes dont 20 scientifiques et ingénieurs, sans compter lesthésards. Avec la création de l’UMR en 1999, 38 personnelsINRA (dont 11 DR2/CR + 27 ITA), 6 à Chambéry (1 PR2, 1 MCet 4 ITA) et 7 doctorants dans les deux structures.Depuis 2001, les départs à la retraite (10), la fin des détache-ments (4) et les décès (2) ; l’effectif a encore évolué : en 2008,l’UMR était composée de 10 CR et DR, 9 TR et IE, 2 AI, 17 TRet AT et 2 PR, 3 MC, 4 IATOS soit 38 personnels INRA et 9 uni-versitaires ; ce qui fait 47 titulaires et 14 thésards, sans comp-ter les masters, IUT...

En quelle année avez-vous été intégré à l’INRA ?

Avec ma thèse débutée en 1965 à la faculté des sciences deLyon, j’avais déjà trouvé ma voie en étudiant le plancton duLac d’Annecy quand en 1966 j’appris que la station INRA deThonon avait besoin d’un chercheur pour prendre en chargeun contrat sur le Lac d’Annecy. J’étais sur un poste provisoired’assistant de faculté (remplaçant un chercheur parti au servi-ce militaire), quand j’ai su que Thonon recrutait, j’ai préféréêtre intégré plutôt que de rester assistant temporaire à Lyon.J’ai donc rejoint l’INRA en juin 1966 comme ingénieur 3A,après avoir fait preuve d’obstination pendant plusieurs mois,

l’INRA voulant m’intégrer en me sous-classant malgré monDEA, ma thèse en cours et mon poste d’assistant à Lyon.

Vous venez de la filière universitaire et néanmoins vous intégrez l’INRA dans la filière ingénieur ! Avez-vous tenté d’entrer dans la filière scientifique ?

Ayant quitté la faculté pour rejoindre l’INRA comme ingénieuren 1966, j’ai rapidement intégré la filière scientifique, nomméassistant stagiaire (1967), titularisé en 1969, et après le servi-ce militaire (mai 1968-août 1969) j’ai été nommé CR en 1977et CR1 en 1984, terme de mon avancement, n’ayant jamaisété reçu comme DR2 malgré toutes mes tentatives.

Que saviez-vous de la station de Thonon-les-Bains ?

Je ne connaissais pas du tout l’INRA et en faculté on ne par-lait que rarement de la station de recherches lacustres deThonon. Cependant, j’ai découvert cette structure de façonindirecte avant 1964 car je venais souvent en stage de limno-logie avec le Dr Bernard Dussart au centre de recherches géo-dynamiques. Le programme du stage comportait en outre lavisite de la station de recherches lacustres dirigée par PierreLaurent, affecté en qualité de chef de travaux stagiaire en1958 et nommé directeur de la SRL en 1963, succédant à l’an-cien directeur B. Dussart parti fonder le centre de recherchesgéodynamiques à Thonon en 1958.

Quels étaient les thèmes de recherche à l’époque ?

Il n’y avait que deux chercheurs à la station de rechercheslacustres, P. Laurent (chef de travaux) et J. Pelletier (attaché detravaux), ces deux scientifiques relevant de l’administration deseaux et forêts avant d’intégrer l’INRA en 1964, respectivementsur des postes de chargé de recherche et d’assistant.Les recherches concernaient la chimie des eaux, la productionprimaire, la biologie des poissons et la pêche, ainsi que la pol-lution dans le cadre de la commission internationale duLéman, P. Laurent et J. Pelletier ayant été associés à cette struc-ture internationale. Le directeur se consacrait aux poissons età la chimie des eaux, J. Pelletier étudiait le taux de croissancedes algues via des méthodes radioactives (carbone 14) en col-laboration avec le CEA de Cadarache.

Qui travaillait sur le plancton avant vous à Thonon ?

Seule une technicienne avait commencé une approche sur lezooplancton. Mon arrivée en 1966 a permis d’ouvrir le secteur

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À gauche, l’ancienne station d’hydrobiologie lacustre INRA

au port de Rives à Thonon.À droite, le nouveau bâtiment

inauguré en 1975.

De gauche à droite :Pierre Laurent, Gérard Balvay,Jean Pelletier et JacquesFeuillade. “Les médecins des lacs” ainsi dénommés par l’Express, octobre 1970.

Photos :©INRA

Photo :©INRA

Page 5: Gérard Balvay

zooplancton, complétant ainsi le travail de Jean-Claude Druart,technicien recruté en 1965 pour étudier le phytoplancton.

Existait-il des méthodes pour aborder ces questions ?

Non, rien n’existait sur place. J’avais fait des études en taxono-mie planctonique avec B. Dussart qui avait quitté le centre derecherches géodynamiques pour rejoindre à Jouy-en-Josas leprofesseur Lefebvre afin de s’occuper d’hydrobiologie en régionparisienne. J’ai tout appris sur le tas, le plus souvent en autodi-dacte, ou en fonction des pratiques utilisées dans d’autres labo-ratoires, mettant au point la méthodologie des prélèvements etles techniques d’étude du zooplancton (triage, identification,comptage et exploitation des résultats).

Quelles étaient les méthodes utilisées ?

Les méthodologies employées pour l’étude du zooplancton nefont pas appel à des techniques hyper-sophistiquées ou à unappareillage extrêmement coûteux, et les résultats ne sortentpas mécaniquement d’un ordinateur. La limnologie est unescience reposant sur l’observation et l’esprit de synthèse, avecle renfort des connaissances acquises dans diverses disciplinescomplémentaires et indispensables.

Nous avons adapté les méthodes existantes aux différents lacsétudiés, les prélèvements de zooplancton ont été standardisés,de 0 à 25 m ou de 0 à 50 m selon la profondeur de la zoneétudiée, nous avons employé systématiquement l’appareil àprélèvements intégrés pour la récolte du phytoplancton et ladétermination ultérieure de la concentration en chlorophylle...Compte tenu des moyens humains et financiers disponibles, il afallu restreindre le nombre des sites des prélèvements mensuels,limités à la zone de profondeur maximale avec une station aucentre du Grand Lac dans le Léman sur un axe Évian-Lausanneet deux stations à Annecy, une au centre de chaque bassin.Avec cette procédure, nous pouvons suivre en continu l’évolu-tion d’un plan d’eau sur le long terme tandis que l’utilisationd’un nombre élevé de stations (autrefois une trentaine auLéman réparties entre les équipes suisses et françaises, jusqu’à10 à Annecy nécessitant 3 jours de travail sur le terrain) permet-tait de mieux prendre en compte l’hétérogénéité du milieu.

Etes-vous intervenu la nuit sur le lac ?

Nous avons effectué quelques études de nuit mais c’était trèsponctuel et pourtant riche en enseignements. En effet, laconsommation des algues par le zooplancton herbivore est plusintense la nuit que le jour, en raison de la migration nocturnedes organismes en direction des couches superficielles. Leplancton était échantillonné toutes les heures pour les mesuresde broutage ; ceci impliquait un personnel nombreux et surtoutune quantité importante de prélèvements dont l’examen aulaboratoire a nécessité de très longues journées de travail.Après avoir copieusement mangé dans les couches superficiel-les durant la nuit, le zooplancton herbivore (comme les daph-nies) redescend en profondeur avant l’aube pour se mettre àl’abri des prédateurs car un organisme de grande taille est plusvisible qu’un petit organisme. En effet, beaucoup de poissonschassent à vue ; il leur faut donc de la lumière et c’est pour-quoi les gros individus du zooplancton se positionnent en pro-fondeur pour éviter ou du moins limiter la prédation.

Gérard Balvay, Thonon-les-Bains, le 28 février 2008 �

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Crustacé zooplanctoniqueMixodiaptomus laciniatus(femelle avec spermatophore à gauche, mâle à droite avec son antenne géniculée).

Appareils pour les prélèvements intégrés.

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Page 6: Gérard Balvay

Propos recueillis par C. Mousset-Déclas et Ch. Galant

Cette ascension du zooplancton durant une période d’intensi-té lumineuse réduite, moins prononcée que durant une nuitclassique, a également été mise en évidence lors de l’éclipsesolaire du 11 août 1999 en collaboration avec une de mes sta-giaires.

Quels matériels utilisiez-vous pour les prélèvements ?

Il fallait tout d’abord un bateau et un treuil électrique équipéd’un câble de plus de 300 m pour atteindre le fond du Léman.L’eau était collectée avec des bouteilles de prélèvements à fer-meture commandée depuis la surface, c’est-à-dire qu’il suffi-sait d’envoyer un poids le long du câble pour fermer la bou-teille et ensuite remonter le prélèvement d’eau depuis une pro-fondeur donnée. La température était mesurée avec unélectrothermomètre équipé d’un câble de 50 m. Le plancton serécupérait en continu entre 50 m et la surface avec deux filetsdifférents.

Depuis plusieurs années, une sonde multiparamètres faciliteénormément le travail en permettant d’enregistrer en continujusqu’à 309 m de profondeur les profils de plusieurs paramèt-res (température, oxygène dissous, conductivité électrique, pH,teneur en chlorophylle, turbidité et transmission de la lumière).En 1966, pour chaque campagne mensuelle à Annecy, noustractions depuis Thonon un bateau sur remorque. Le treuil étaitmanuel, autant dire que c’était fastidieux et fatigant lorsqu’ilfallait descendre les instruments à 55 m ou 65 m de profondeurplusieurs fois par jour durant 3 jours. Les conditions de travailse sont nettement améliorées avec la mise à notre dispositiondu bateau du syndicat intercommunal du Lac d’Annecy.

Les prélèvements étaient-ils les mêmes pour le zooplancton et le phytoplancton ?

Les prélèvements de plancton se faisaient simultanémentgrâce à l’emploi de filets jumelés, l’un avec des mailles d’ou-verture de 64 micromètres pour récupérer les petites algues duphytoplancton et l’autre à 200 µm pour récupérer les plus grosorganismes du zooplancton (rotifères, microcrustacés).Depuis 1974, les prélèvements de phytoplancton ne se fontplus au filet car les plus petites algues passaient à travers lesmailles du filet et n’étaient donc pas collectées correctement,d’où une sous-estimation de leur abondance.Actuellement, unéchantillonneur intégré mis au point par mes collèguesJ. Pelletier et A. Orand (brevet INRA) permet de récolter del’eau brute en continu de 0 à 20 m de profondeur. Les résul-tats sont bien différents car ce système récupère tout ce qu’il ya dans l’eau, sans filtration donc sans perte d’organismes.Le comptage du phytoplancton s’effectue après sédimentationd’un sous-échantillon dans des chambres d’Utermohl ; lesalgues sédimentent sur une lamelle qui est ensuite examinéeavec un microscope inversé.Le comptage des plus petits organismes du zooplancton (la plu-part des rotifères) s’effectue selon la même procédure que celleutilisée pour les algues. Le zooplancton crustacéen et les grandsrotifères sont étudiés avec un microscope classique pour iden-

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Daphnia hyalina femelles avec ephippium renfermant 2 œufs

de durée (à gauche) et 2 œufs à développement immédiat (à droite).

Filets jumelés permettant de capturersimultanément le phytoplancton et le zooplancton dans la même colonne d’eau.

Photo :©INRA - Jean-Claude Druart

Photo :©INRA

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tifier chaque organisme au point de vue espèce, sexe, stade dedéveloppement, fertilité potentielle (nombre d’œufs). Les résul-tats consignés sur des cahiers de comptage étaient ensuite missur ordinateur afin de préparer les dossiers de fin d’année.Nos partenaires français et étrangers utilisent les mêmesméthodes avec des variantes adaptées aux milieux étudiés. Latransparence des eaux dans le Léman est mesurée avec undisque de Secchi, disque de 30 cm de diamètre descendu aubout d’un câble étalonné jusqu’à sa disparition à la vue del’observateur. En stage chez Ulrich Einsle au Lac de Constance,je me souviens que cet hydrobiologiste allemand utilisait un“disque carré”. Je me suis posé la question de cette formeinusitée qui donnait les mêmes résultats qu’avec un disqueclassique ; devais-je en déduire que ce “disque carré” évitaitles mesures arrondies de la transparence !

Avez-vous utilisé la photo aérienne ?

Nous avons fait des essais avec un laboratoire de Genève spé-cialiste des photos aériennes pour essayer de caler le passaged’un satellite qui pouvait mesurer la transparence et la teneuren chlorophylle, avec nos campagnes de prélèvements sur leLéman. Nous n’avons jamais pu synchroniser nos prélève-ments avec le passage du satellite, parce que le lac était tropagité pour sortir et effectuer correctement nos mesures, ou quele satellite ne pouvait rien voir en raison d’une couverture nua-geuse.

À vos débuts dans ce laboratoire, quelle était votre perception de cet organisme qui s’appellel’INRA ? Que saviez-vous de cet organisme qui comptait déjà plus de 5 000 personnes ?

Je connaissais seulement trois laboratoires d’hydrobiologie,ceux de Jouy-en-Josas, Rennes et Saint-Pée-sur-Nivelle (exBiarritz) dont les travaux étaient complémentaires des nôtres,sauf en ce qui concernait le zooplancton. J’étais le seul spécia-

liste du zooplancton à l’INRA - j’ai le souvenir d’une remarqued’un scientifique de l’École normale supérieure à qui je disaisque je cherchais des spécialistes du zooplancton, il me répon-dit qu’il y avait Gérard Balvay à Thonon. J’étais donc connu,mais j’étais bien le seul en ce domaine à l’INRA !J’étais donc un cas au sein de l’INRA, et depuis lors de nom-breuses institutions de toute nature (DGRST,Agences de l’eau,DDAF, bureaux d’études, syndicats intercommunaux et com-munaux, municipalités...) ont fait appel à mes compétencessans avoir jamais rien demandé ni recherché en termes decontrats. Il s’agissait très souvent d’études ponctuelles accep-tées lorsqu’elles m’étaient utiles pour étudier la structure fonc-tionnelle du réseau trophique dans divers types de milieuxaquatiques.

À quel département de recherche étiez-vous rattaché ?

À mes débuts, il s’agissait du département d’Hydrobiologieavant de devenir Hydrobiologie et Faune sauvage (HyFS) enayant récupéré par exemple l’héliciculture et certains mam-mifères (chevreuils). Nous avons eu un certain nombre deresponsables scientifiques dont Paul Vivier, directeur de l’hy-drobiologie française, Raymond Février (inspecteur général),les chefs du département Richard Vibert, Jacques Lecomte,

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Port INRA de Thonon.

Crustacé carnivore Leptodora kindtii (≤15 mm).

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Bernard Chevassus-au-Louis, Bernard Jalabert et le dernier endate Benoît Fauconneau, qui le plus souvent ont facilité nosrecherches sur les lacs : fonctionnement et gestion d’écosystè-mes aquatiques, compréhension du fonctionnement des lacset étangs, impact des activités humaines, gestion des ressour-ces aquatiques naturelles...

Quelle est la profondeur du Lac Léman ?

Le Léman fait partie des grands lacs mondiaux ; il est en 40ème

position pour son volume (89 km3), en 43ème pour la profon-deur (309 m), mais seulement en 113ème position pour la super-ficie (580 km2).En raison de la profondeur importante, les eaux du Léman nese mélangent intégralement qu’à la suite d’hivers longs, froidset ventés, ce qui est arrivé en 1986, 2005 et 2006. Entre deuxpériodes de circulation totale et donc d’homogénéisation de latotalité de la colonne d’eau, les eaux profondes se réchauffentprogressivement sous l’effet de la chaleur interne du globeainsi que par convection thermique à partir des couches supé-rieures du lac, fortement influencées par le réchauffement cli-matique de la planète. À 309 m de profondeur, la températu-re moyenne du Léman a augmenté de plus de 1°C entre 1971et 2003, et de 1,8°C dans la strate 0-10 m pour la période1972-2003.Dans le cas du Lac d’Annecy, qui se mélange intégralementchaque hiver, les effets du réchauffement climatique sontmoins marqués en profondeur (+0,3°C au-delà de 50 m entre1967-1976 et 1996-2005) qu’en surface (+1,2°C dans lastrate 0-10 m durant la même période).L’état du Léman est suivi en continu depuis 1957 par la com-mission internationale pour la protection des eaux du Lémancontre la pollution (CIPEL). Encore oligotrophe (eaux de bonnequalité) au début du XXème siècle, le Léman a montré les pre-miers signes de dégradation vers 1950, celle-ci étant due àl’accroissement continu des teneurs en phosphore pour deve-nir eutrophe (milieu dégradé) dans les années 1970-80.Actuellement, le lac présente une amélioration progressive dela qualité des eaux.

Quelles sont les origines de l’eutrophisation ?

L’eutrophisation est un problème lié au phosphore qui est lefacteur limitant la croissance végétale. Pour le phytoplancton(plancton végétal) comme pour tous les végétaux, il faut ducarbone, de l’azote et du phosphore pour croître. Dans les lacs,on a en surabondance du carbone et de l’azote en raison deséchanges permanents entre l’atmosphère et l’eau ; c’est doncla teneur en phosphore qui va conditionner l’importance de lacroissance algale.L’origine du phosphore est multiple : agricole (engrais à basede phosphore), urbaine (dans la mesure où il n’y a pas assezde stations d’épuration, les eaux usées arrivant directement aulac), industrielle (traitements de surface des métaux par exem-ple), sans omettre les rejets métaboliques de l’homme et desanimaux, ainsi que les apports dus à la pollution aérienne.Jusqu’en 1959 lorsque le Léman étant encore en bon état, lefacteur limitant de la croissance algale était le phosphore avecdes concentrations très faibles, voisines de 10 microgrammes(µg) par litre. Petit à petit les teneurs ont augmenté jusqu’à 90µg/l de 1976 à 1979 (valeur moyenne dans la tranche d’eau0-309 m). Depuis le début des années 80, les concentrationsont baissé régulièrement avec les progrès dans la collecte etl’épuration des eaux usées, la mise en œuvre progressive de ladéphosphatation dans les stations d’épuration, l’interdictiondu phosphore dans les lessives en Suisse dès 1986, la restruc-turation du paysage rural pour limiter le ruissellement de sur-face (maintien des haies, labours selon les courbes de niveau,bandes herbeuses à proximité des ruisseaux et des coursd’eau...), les modifications des pratiques agricoles (limitationdes engrais phosphatés)...

Propos recueillis par C. Mousset-Déclas et Ch. Galant

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Développement de la végétation dans les ports à la suite de l’eutrophisation du Léman.

Station d’épuration d’eaux usées.

Photo :©INRA - Gérard Balvay

Photo :©INRA - Jean Bertin

Page 9: Gérard Balvay

Dans le Lac de Paladru (Isère) en août 1973, une algue filamen-teuse très envahissante de couleur rouge, Planktothrix (exOscillatoria) rubescens surnommée le Sang des Bourguignons(légende née en souvenir de la cuisante défaite du Duc deBourgogne Charles le Téméraire devant les troupes helvétiquesau Lac de Morat en 1476, et dont le sang des Français tuésaurait coloré en rouge les eaux de ce lac) s’est développée defaçon catastrophique. Des couches d’algues de 10 à 15 cm d’épaisseur étaient rabattues sur les rives -sur un plan artis-tique, c’était très beau avec de magnifiques couleurs vertes, jau-nes et rouges, mais du point de vue odeur c’était horrible, pireque des déchets d’abattoirs. Vous imaginez bien qu’avec cettepollution liée à l’eutrophisation et apparue de façon catastro-phique en août, il ne restait plus personne au bord du lac.C’était l’occasion idéale pour que les communautés riverainesprennent enfin la décision de supprimer les rejets directs dansle lac : égouts, porcheries. On se demande comment il n’y a paseu autrefois de maladies hydriques dans ce lac utilisé en parti-culier pour la baignade.Depuis on a mis en place un soutirage des eaux profondes dulac à 30 m de profondeur pour éliminer des eaux de fondappauvries en oxygène et riches en phosphore et qui sontenvoyées dans l’émissaire du lac. Ces techniques ont permisd’améliorer l’écosystème et depuis plusieurs années le Lac dePaladru se porte beaucoup mieux.

Comment expliquer qu’avec plus de nourriture on obtient des produits de moins bonne qualité ?

Plus les algues prolifèrent dans le milieu naturel, moins celles-ci pourront être totalement consommées par le zooplancton,surtout s’il s’agit d’algues filamenteuses. Les algues non con-sommées meurent et tombent au fond du lac. Elles se décom-posent, consomment l’oxygène dissous et libèrent dans lemilieu les composants de la matière organique morte, en par-ticulier du phosphore, source interne de pollution s’ajoutantaux apports exogènes en provenance du bassin versant.Avec la désoxygénation des eaux profondes, le phosphorepiégé dans les sédiments repart dans les eaux et contribue àaccroître encore la production algale. Le plan d’eau présentealors des eaux troubles, peu attractives, riches en algues, nepermettant qu’une production piscicole de cyprinidés (carpes,tanches, gardons...), les espèces dites nobles comme les sal-monidés (truite, corégone, omble chevalier) ne pouvant surviv-re dans un tel milieu.Une controverse est apparue lorsque l’INRA a démontré quel’eutrophisation était un facteur de productivité accrue despopulations végétales et animales. Il nous a fallu expliquer etfaire comprendre qu’il valait mieux produire un kilogramme depoissons de qualité (truite, corégone, omble chevalier) que 50kg de gardons et d’épinoches pleins d’arêtes, la qualité devantl’emporter sur la quantité, et qu’une trop importante biomas-se algale ne peut que nuire à la qualité des eaux.

Comment avez-vous pu faire prendre conscience aux autorités qu’il y avait un problème d’eutrophisation ?

En raison de leur mauvaise situation économique et des accu-sations de surexploitation du Léman, les pêcheurs profession-nels furent les premiers à lancer une offensive contre la pollu-

tion des eaux qui entraînait un mauvais rendement despêches, la raréfaction de certaines espèces, le développementimportant d’algues souvent filamenteuses qui engluaient lesfilets et limitaient leur efficacité de capture.Au sein de la CIPEL où nous travaillons régulièrement avec noscollègues suisses, nous avons pu répondre aux pêcheurs enidentifiant en 1963 la cause majeure de l’eutrophisation, àsavoir le phosphore. À partir des recommandations annuellesde la CIPEL, les administrations de France et des cantons suis-ses ont alors imposé des moyens de lutte efficaces pour com-battre ce fléau : construction de stations d’épuration permet-tant de traiter les apports ponctuels d’eaux usées (égouts),mise en place de la déphosphatation dans les stations d’épu-ration, limitation d’emploi des engrais...

Mais que font les aménageurs ?

Le plancton est une composante biologique typique des milieuxaquatiques à renouvellement nul (étangs de la Dombes) ou lentdes eaux (lacs, retenues artificielles...). Une rivière ne renfermepas de plancton sauf dans les zones d’eaux mortes littoralessouvent colonisées par les macrophytes. Il est toutefois possibled’en trouver en pleine eau, en particulier à l’aval des lacscomme à Genève, le zooplancton étant entraîné par l’émissairehors du Léman.

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Pose de filets à omble-chevalier dans le Léman.

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Lorsqu’un barrage est construit sur le cours d’une rivière, la cir-culation de l’eau est fortement ralentie et le plancton est enmesure de se développer. L’intensité de la production des alguesdépend alors des concentrations en phosphore de la rivière.Les aménageurs n’ont pas toujours pris en compte les condi-tions environnementales initiales comme les teneurs enphosphore des cours d’eau qu’ils allaient barrer (toute mise eneau d’un barrage entraîne une crise initiale d’eutrophisation deplus ou moins longue durée par submersion des terrains et dela végétation, souvent aggravée par la richesse en phosphoredes eaux fluviales barrées). Dans le cas du barrage de PetitSaut en Guyane, la qualité de l’eau a été fortement dégradéeen raison de l’importance et de la vitesse de croissance de lavégétation. Les apports permanents de matière végétale, lasubmersion de terrains boisés ont rendu difficiles voire impos-sibles, en dehors de la production hydroélectrique, les autresusages initialement envisagés pour cette retenue (pêche deloisir et professionnelle, bases nautiques...). Il a même falluinstaller des aérateurs pour oxygéner les eaux à la sortie de laretenue, l’état biologique de la rivière émissaire étant trèsdégradé.

Pour le Léman, quelles sont les mesures prises ?

La première urgence consistait à intercepter les eaux résiduai-res transportées par les égouts et à les traiter dans 167 sta-tions d’épuration situées dans tout le bassin versant, dont 140ont été contrôlées en 2007 avec un rendement moyen d’élimi-nation du phosphore voisin de 90%.On protège aussi le Léman en contrôlant les apports qui nepeuvent pas passer par une station d’épuration ; c’est le cas duruissellement diffus qui est intensifié par les pluies, se retrouvedans les ruisseaux et finit dans le lac. Il faut alors limiter ce ruis-sellement diffus (maintien et entretien des haies, labours selonles courbes de niveau, zones herbacées à proximité des coursd’eau...), envisager le bon fonctionnement et la pérennité desmarais et des zones annexes aux eaux courantes, la protectionde toutes les zones humides qui constituent autant de piègesà phosphore. Mais il faut que ces marais soient entretenus, parexemple régulièrement broutés ou fauchés pour fournir de lalitière pour le bétail.

On peut supposer que cela passe par des choix politiquesd’aménagement.

Effectivement, c’est aux administrations nationales, régionaleset départementales, aux communes, chambres d’agriculture,syndicats intercommunaux, d’agir à leur niveau de compéten-ce pour appliquer et favoriser la mise en œuvre des proposi-tions de la CIPEL : intensification de la collecte des eaux rési-duaires, amélioration de l’étanchéité des réseaux et élimina-tion des eaux claires, contrôle du bon fonctionnement des sta-tions d’épuration et de l’assainissement individuel, passage àl’agriculture extensive, emploi limité des pesticides et desengrais, modification des pratiques agricoles, entretien desmarais par le pâturage ou le fauchage...

Comment fonctionne cette commission internationale qu’est la CIPEL ?

C’est une collaboration très étroite entre la France et la Suissepour la surveillance continue de la qualité des eaux du Léman.Cette commission n’a qu’un rôle consultatif ; à partir du bilandes diverses études établi chaque année par les scientifiquessuisses et français de la CIPEL, la commission transmet auxgouvernements respectifs des recommandations qui se tradui-sent en textes législatifs avec un certain délai. Il a fallu deuxdécennies pour que les gouvernements prennent consciencedu problème de l’eutrophisation du Léman et du rôle duphosphore dans cette dégradation. La Suisse a été plus rapideque la France, en interdisant les phosphates dans les lessivesdès 1986 alors que la France s’est contentée d’une simple limi-tation des teneurs (l’interdiction française datant seulement du1er juillet 2007). Cependant les lessives industrielles ne sontpas concernées par les mesures. On parviendra à une limita-tion effective de l’utilisation du phosphore, mais ce sera longcar le problème est complexe ; la pollution par le phosphoreest d’origine mixte, globalement disons un tiers pour chacundes trois types de pollution (urbaine, industrielle et agricole).Actuellement, la CIPEL surveille les produits phytosanitaires, lesrésidus de médicaments, les métaux lourds dans les eaux duLéman, lac qui fournit annuellement de 80 à 100 millions de m3

d’eau potable à plus de 500 000 personnes à partir de 11 sta-tions de pompage. En effet, la production d’eau potable néces-

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Démarche synchronique

©INRA

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site des traitements plus ou moins poussés et complexes : traite-ments bactéricides par ozonisation, chloration ou traitement UV,filtration sur sable ou charbon actif, ultrafiltration sur membrane,les techniques les plus modernes permettant une éliminationtrès poussée des micropolluants qui pourraient s’avérer toxiques.

Revenons à vos débuts à l’INRA. Comment avez-vous commencé à travailler sur le zooplancton ?

J’ai commencé à travailler sur le zooplancton du Lac d’Annecyen 1965 pour ma thèse. Ce lac avait été l’objet d’une premièrealerte à la dégradation des eaux lancée en 1943 par le limno-logue, Étienne Hubault, professeur à l’École nationale des eauxet forêts de Nancy, mais sans résultat. Cette alerte fut reprise àpartir de 1947 et enfin entendue en 1952 par B. Dussart, direc-teur de la station de recherches lacustres de Thonon (devenuestation INRA en 1964). La prise de conscience progressive dela réalité des choses, abordée notamment lors de l’assembléegénérale de l'association des pêcheurs du lac d'Annecy et auconseil supérieur d'hygiène publique de France en 1955,amena les politiques à se saisir de cette question.Je citerai à ce sujet, l'engagement déterminant dans la croisa-de pour la sauvegarde du lac d'Annecy du docteur PaulServettaz, maire-adjoint de cette ville.Dès 1966, j’ai eu la charge de présenter au syndicat intercom-munal des communes riveraines du Lac d’Annecy (SICRLA) unbilan annuel de la physico-chimie des eaux et des variationséventuelles des teneurs en oxygène, phosphore, azote. Car lecontrat passé avec le SIRCLA était destiné à suivre l’évolution dece plan d’eau afin de fournir de l’eau pure aux communes rive-raines du lac. Dans le même temps, j’étudiais les microcrustacésplanctoniques d’Annecy dans le cadre de ma thèse afin de relierles modifications de la qualité des eaux à celles du zooplancton.

Comment êtes-vous passé du Lac d’Annecy au Lac Léman ?

Après mon intégration à l’INRA en 1966, je me suis retrouvé le4 mai 1968 à l’armée, d’abord à Nantes puis à l’école du ser-vice de santé militaire de Lyon. Le directeur P. Laurent a alorsrepris le contrat Annecy surtout sur le plan physico-chimique,complété avec quelques données sur le phytoplancton établiespar J.-C. Druart, technicien à cette époque.Libéré du service militaire le 1er septembre 1969, je n’ai pas étéinvité à reprendre le contrat Annecy bien qu’étant régulière-ment mis à contribution pour des articles et des rapports sur celac. Aussi ai-je engagé un programme de recherche surChaoborus, moustique non piqueur fréquent dans les lacscomme à Nantua et Annecy mais absent dans le Léman, et dontj’ai étudié les caractéristiques morphométriques et le cycle bio-logique. La larve aquatique migre la nuit, quittant les eaux pro-fondes du lac pour manger le zooplancton en surface ; et pou-vant apporter des profondeurs du phosphore mais cela n’a pasété concluant en raison des faibles quantités de phosphoretransportées et excrétées dans les couches superficielles parune population relativement peu abondante.En 1974, je me suis tourné vers la limnologie comparée avec uncontrat du ministère de la Qualité de la Vie (direction de la pré-vention des pollutions et nuisances) pour mettre au point et tes-ter une méthodologie pour le Pré-Inventaire du degré de pollu-tion des lacs et des étangs de France.

Après ce Pré-Inventaire, j’ai intégré le groupe de travail pluridis-ciplinaire sur la polyculture en étangs pour améliorer et diversi-fier la production piscicole globale en étangs par raccourcisse-ment du réseau trophique, en introduisant des carpes chinoisesherbivores (Hypophthalmichthys molitrix) destinées à consom-mer le phytoplancton surabondant dû à une intense fertilisa-tion, servant alors de nourriture pour les brochets afin qu’ilsdédaignent les carpes communes.Je me suis intéressé au zooplancton du Léman à partir de 1975tout en gardant contact avec le Lac d’Annecy jusqu’en 1981.De1986 à 1995, le suivi du Lac d’Annecy a été confié au bureaud’études IRAP (Annecy) pour la biologie et à la Sogreah (Echi-rolles) pour la physico-chimie (sous-traitée en partie à l’INRAThonon). En regardant de près avec J.-C. Druart les rapports éta-blis par ces intervenants, nous avons constaté que les tech-niques de mesure différaient des nôtres, les identifications fai-saient appel à d’anciens ouvrages, leurs résultats divergeaientparfois fortement avec nos connaissances et étaient incompletsen particulier pour le phytoplancton (et en plus, il n’y avait aucu-ne donnée sur le zooplancton). Nous avons dénoncé ce gâchiset depuis 1996, la station d’hydrobiologie lacustre INRA assureseule le suivi des recherches en collaboration avec le SILA.

Rappelez-nous vos premières responsabilités au laboratoire.

J’ai pris en charge le laboratoire de zooplancton en juin 1966,assisté par une technicienne. Mais dès juillet, j’ai eu la respon-sabilité d’organiser et de conduire une campagne héliportée deprélèvements dans plusieurs lacs de montagne des Hautes-Alpes assisté par 2 ouvriers (était-ce un test de mes compéten-ces ?).

Comment a évolué ce laboratoire ?

Au gré des transferts et des mobilités, mais on ne peut pas par-ler de réel recrutement. Dans les années 80 une scientifiqueaméricaine a été intégrée temporairement à Thonon, suivie en

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Transmission des isotopes dans les réseaux trophiquesLes signatures isotopiques des producteurs primaires à la base de la chaî-ne trophique se transmettent jusqu’au prédateur final de façon inchan-gée pour le carbone, avec un enrichissement de 3 à 4 ‰ à chaque niveautrophique pour l’azote.Plusieurs sources de production primaire peuvent être à l’origine d’unréseau trophique (végétal terrestre apporté par le bassin versant, phyto-plancton...). La signature du carbone d’un organisme du réseau permetd’estimer la part des différentes sources dans son alimentation.La signature de l’azote permet de positionner le niveau d’un organismedans la chaîne trophique et d’estimer la longueur de cette chaîne quandon dispose de la signature des producteurs primaires et des consomma-teurs finaux.

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Propos recueillis par C. Mousset-Déclas et Ch. Galant

1984 par une chargée de recherche CNRS dont le laboratoireà Lille venait de fermer. Nous nous sommes donc retrouvés àtrois pour travailler sur le zooplancton (réseaux trophiques,évolution de la structure du plancton, migration des organis-mes). En confrontant les résultats de nos diverses approches,nous parvenions à faire une synthèse du fonctionnement del’écosystème lacustre au niveau du plancton ; travaux menésen collaboration avec J.-C. Druart (IE), car nous ne pouvionspas nous passer de nos compétences réciproques, surtout pourl’étude du fonctionnement du réseau trophique et la caracté-risation de l’état de la qualité des eaux.

Aviez-vous le soutien de votre département de recherche ?

La station de Thonon a toujours été soutenue par le départe-ment HyFS ainsi que par Daniel Courtot, délégué régionalRhône-Alpes de l’INRA. Ce qui a permis entre 1972 et 1989d’obtenir des renforts conséquents avec 8 chercheurs, 5 ingé-nieurs et 11 techniciens.

Avez-vous exercé des responsabilités administratives à l’INRA ?

J’ai été élu au conseil de gestion (1990-1998) et au conseilscientifique (1998-2002) du département d’Hydrobiologie etFaune sauvage. Localement j’ai été directeur adjoint (mars1998-2000) puis directeur de l’UMR 42 INRA-université deSavoie (2000-2002) et simultanément directeur adjoint (1998-2000) puis directeur de la station d’hydrobiologie lacustre(2000-2002), ce qui m’a valu d’être membre du conseil scien-tifique et du conseil de gestion du centre INRA de Dijon, avecparticipation aux réunions des DU et aux CAPL.La participation à des concours internes et externes de l’INRAa été pour moi très enrichissante en abordant les diversesrecherches conduites à l’Institut. J’étais attentif à l’intérêt portéen général par les candidats à conduire leur travail. Cependantje me souviens de candidats cantonnés dans un travail quoti-dien routinier et qui ne parvenaient pas à situer leur activitédans leur laboratoire, n’étant pas ou mal informés de l’utilitéet du devenir de leur travail. D’où leurs difficultés à faire vali-der leur travail de tri des graines par exemple par rapport àd’autres activités beaucoup plus valorisantes.Mes responsabilités extérieures m’ont conduit, en raison de maspécialisation, à être membre permanent des comités scienti-

fiques de la CIPEL et du SICRLA, du conseil scientifique pour lecontrat de bassin du Lac du Bourget et du conseil consultatifauprès de la commission environnement du conseil général deHaute-Savoie. Sans oublier les jurys de thèse en France (10) età l’étranger (6), de DEA (5) et divers (BTA, BEPA...).

Comment se passait la gestion du personnel à la station de Thonon ?

Nous avons toujours soutenu nos personnels pour les promo-tions annuelles, les campagnes d’avancement et de promotion,mais une fois mis en concurrence avec les autres candidats ducentre de Dijon, ils étaient parfois difficiles à défendre. Je mesouviens d’un concours à Dijon où je défendais un candidat quiévoquait son travail avec Bernard Chevassus-au-Louis qui n’était alors que chercheur. Les autres membres du jury qui ne connaissaient pas l’histoire du département ont pensé quele candidat voulait se faire mousser en faisant référence au(futur) directeur général de l’INRA ; heureusement que j’ai puremettre les choses au point et faire réussir ce candidat.

Pourquoi la station a-t-elle été rattachée au centre de Dijon sur le plan administratif ?

L’INRA estimait que nous étions trop isolés et trop éloignés denotre direction parisienne -nous étions un peu considéréscomme des électrons libres- il nous fallait une tutelle adminis-trative mais il n’y avait pas de centre INRA en Rhône-Alpes,région sous domination du CNRS depuis l’après-guerre. Il étaitdifficile d’être rattaché à Clermont-Ferrand en raison de la dis-tance et des difficultés de communication. Il ne restait doncque la région Bourgogne avec le centre INRA de Dijon, ayantperdu sa compétence limnologique depuis le départ pourThonon de J. et M. Feuillade en 1968, mais relativement acces-sible (malgré 3 heures de route !) et auquel nous avons été rat-tachés en 1974.

Une question à propos de l’isolement de la station. Aviez-vous des visites des personnalités du centre de Dijon ?

Le centre de Dijon s’est toujours intéressé à notre sort et à nosbesoins. Le président Jacques Brossier et le directeur des servi-ces d’appui, les responsables prévention, formation permanen-te, travaux, venaient étudier nos problèmes sur place. Ce quin’empêchait pas la direction et le personnel de Thonon de serendre régulièrement à Dijon pour les conseils scientifiques etde gestion du centre, et également pour s’informer auprès desresponsables des différents secteurs pour résoudre des problè-mes administratifs...

Comment êtes-vous devenu directeur d’unité ?

Je le suis devenu de façon imprévue. Daniel Gerdeaux ne sou-haitant pas pérénniser ses fonctions de directeur au bout de10 ans, l’administration a nommé en 1998 Pierre Luquet,directeur de recherche à Saint-Pée-sur-Nivelle pour diriger lastation. C’est alors que j’ai eu la surprise de voir débarquer àThonon Bernard Jalabert (chef du département HyFS) et sonadjoint Benoît Fauconneau pour me proposer le poste dedirecteur adjoint. Seulement directeur adjoint m’a-t-on faitclairement entendre ; je ne pouvais devenir directeur car il y

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Initiation au zooplancton de Michel Crépeau (au centre),ministre de l’environnement,par Gérard Balvay, 1982.

Photo :©INRA

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avait localement une animosité et une jalousie envers moi etje n’ai jamais voulu en savoir plus à ce sujet !Mais quand P. Luquet est tombé malade et a cessé ses activi-tés directoriales en 2000, j’ai hérité des fonctions de directeurde la station, menées en solitaire. En 2003 j’ai dû arrêter pourdes problèmes de santé, remplacé par Jean-Marcel Dorioz (à l’époque encore CR1) et Jean Guillard (IR), respectivementdirecteur et directeur adjoint.J’ai abandonné la direction d’unité absolument sans regret carje pense que je n’étais pas assez formé à cet exercice, d’autantplus que certains dossiers demandés par Paris me paraissaientvraiment ésotériques et vagues. J’ai essayé de faire de monmieux et j’aurais aimé cette période s’il n’y avait pas eu lepoids des problèmes administratifs, la mise en place des ARTT,les directoriales... J’ai été trop absorbé par la gestion du do-maine, la paperasse et les contraintes administratives, à telpoint que je ne pouvais plus m’occuper régulièrement de marecherche, sauf en allongeant la durée du travail quotidien. Jementionnerai en outre pour mémoire le temps passé à prépa-rer et à rédiger les évaluations de l’UMR (en 2000), de l’unité,des équipes et des chercheurs, la réhabilitation de l’UMR (en2002), les dossiers des CSS et des concours, les entretiensannuels avec le personnel, la préparation de documents pourl’ARTT, pour le schéma stratégique du département HyFS etson évaluation collective, l’organisation des conseils de serviceet de direction...

Comment se passait l’animation scientifique ?

Lancée par Philippe Olive et Daniel Gerdeaux et poursuivieavec l’UMR, l’animation a permis de resserrer les liens entre lesdifférentes équipes. Les thésards présentaient l’état d’avance-ment de leurs travaux dans l’ambiance et les conditions desoutenance de thèse et cela leur était très profitable ; les cher-cheurs présentaient également leurs résultats. Ces réunionspermettaient aux chercheurs, techniciens et stagiaires demieux connaître les recherches en cours et de s’ouvrir à laconnaissance globale des écosystèmes. Mais surtout nous pré-parions nos techniciens à affronter les divers concours ensimulant les conditions d’examen.

Étiez-vous demandeur de formations ?

J’ai suivi des formations basiques en informatique mais sansplus. J’ai souvent été déçu par les formations proposées qui necorrespondaient pas forcément à mes besoins ou à mes désirs,idem pour les formations aux jurys de concours que j’ai trou-vées parfois inutiles. Cela ne m’a guère encouragé à formulerd’autres demandes, même si j’ai parfois ressenti qu’une forma-tion à la gestion administrative pour mieux exercer mes fonc-tions de directeur aurait été plus utile.

Avez-vous formé du personnel sur le zooplancton ?

Mon premier stagiaire qui venait de l’ENITA de Quétigny a tra-vaillé sur les conséquences de l’introduction de plancton sur unpetit lac thononais afin d’y restructurer le réseau trophique for-tement dégradé. Il est maintenant directeur de recherche auCNRS, spécialiste des réseaux trophiques des lacs de la régionparisienne.

Parmi mes stagiaires de longue durée, j’en ai retrouvé auCNRS, à l’IFREMER et à l’IRD, aux universités d’Alger, deMarrakech, de Montréal, en biologie marine au Canada.Plusieurs stagiaires ont trouvé un emploi dans les agences del’eau, des syndicats intercommunaux ou dans des bureaux d’é-tudes, leurs connaissances en limnologie et sur le planctonentrant pour une part plus ou moins importante dans leursactivités.

Avez-vous formé des chercheurs INRA ?

J’ai rarement formé des chercheurs INRA, peu intéressés parma spécialisation sauf lorsqu’ils avaient des problèmes dansleurs milieux aquatiques ; ils se contentaient presque toujoursde m’adresser leurs échantillons à des fins d’analyses.

Comment transmettiez-vous vos compétences et votre savoir-faire ?

J’ai organisé des stages de formation de plus ou moins longuedurée pour les étudiants de différents niveaux (thèse, licence,DEUTS, MST, BTS...), pour le personnel de bureaux d’études oud’entreprises comme la SAGEP (société anonyme de gestiondes eaux de Paris, chargée de l’élaboration et de l’approvision-nement en eau potable de la capitale intra muros). Ainsi quedes stages pratiques et des cours pour les délégués, gardes-pêche et stagiaires du conseil supérieur de la pêche, les pisci-culteurs d’étangs, les gestionnaires de plans d’eau, les respon-sables piscicoles régionaux, les plongeurs subaquatiques duLac d’Annecy... En plus de la vidéomicroscopie largement uti-lisée dans ces rencontres, j’ai réalisé un document sur les éco-systèmes lacustres et le zooplancton, largement distribué auxdifférents stagiaires afin qu’ils puissent plus tard ne pas assi-miler comme vérités les erreurs rencontrées dans quelquesouvrages soi-disant de référence comme certains dictionnairesencyclopédiques. Il s’agit cependant de littérature grise, nonvalorisée par les instances supérieures, mais qui fournit unensemble de données permettant aux intéressés d’aborder lesdomaines de la limnologie et de la biologie lacustre et dedisposer de pistes pour accéder à des informations complé-mentaires si nécessaire.

Quel est votre avis sur les évaluations scientifiques ?

Les CSS sont utiles pour faire le point tous les deux ans sur cequi a été fait. Je me demande pourtant si aux échelons supé-rieurs cela servait à quelque chose, le message de retour étantsouvent vague ou peu critique. Pour moi, il était cependantintéressant de faire régulièrement le point des recherches et jele faisais volontiers même si cela me prenait du temps.

Revenons à votre carrière. Quel en a été son déroulement ?Je suis passé chargé de recherche à l’ancienneté. En 1993 et1994, j’ai présenté sans succès le concours de DR2 du tempsoù cela se faisait sur dossier. Je n’ai jamais été reçu, recalé dèsma première candidature au profit d’un candidat à sa cinquiè-me tentative (sous le fallacieux prétexte que je pouvais mereprésenter ultérieurement !), ensuite dans des concours avecpré-sélection sur dossier, où le jury comportait très rarementdes hydrobiologistes ou des limnologues et où la mémoire des

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examinateurs pour les concours précédents faisait souventdéfaut. Plus tard, je me suis trouvé face à un chercheur deThonon admis à quelques mois de la retraite et ensuite enconcurrence inégale avec de jeunes loups bardés de diplômes,souvent HDR, équipés de matériels parfois très onéreux dansdes créneaux de recherche très étroits (pour être le seul, le pre-mier ou la référence dans le domaine étudié) ou dans des sec-teurs porteurs confortés par l’INRA (nutrition et qualité desproduits par exemple). Domaines beaucoup plus étroits que nel’est la limnologie, science des eaux douces continentales,science de synthèse dont l’un des objectifs, pour ne pas dire leplus important, consiste à maintenir ou à retrouver partout uneexcellente qualité des milieux aquatiques pour disposer :•d’une ressource en eau potable justifiant des traitementssimples et les moins onéreux possibles•d’un milieu propice à une production piscicole de valeur•et permettre le plein exercice de loisirs liés à l’eau dans unmilieu bactériologique correct.D’où une certaine amertume, le sentiment d’avoir été floué à lasuite des concours de DR2.Après la publication des résultats, lechef de département me donnait chaque fois un coup de fil enme disant qu’il regrettait mon échec. Il m’a même proposé depasser ingénieur de recherche, mettant en avant un salaire etune prime de recherche plus intéressants parce qu’il ne fallaitpas que je me fasse d’illusions car je ne serai jamais reçu auconcours de DR2.J’ai le sentiment d’avoir été volontairement écarté des heureuxélus, mais je ne me suis jamais découragé car j’ai présenté 9fois le concours de DR2 ! Je considère que mon parcours dechercheur n’a jamais été valorisé, même si j’ai été nommé (àtitre compensatoire ?) chevalier du mérite agricole en 2003 surproposition de l’INRA.

Parlez-nous de votre expérience dans le domaine de la vulgarisation scientifique autour de la connaissance du Lac Léman, de sa biologie et de la qualité des eaux.

En raison d’une méconnaissance du Léman plus ou moins pro-noncée chez les touristes de passage, les vacanciers et mêmechez les Savoyards, je me suis décidé dans les années 70 encollaboration avec l’Office du tourisme de Thonon à remédierà cet état de fait, pour les CE d’EDF-GDF (Anthy, Thonon,Yvoire), l’association VVF d’Evian et de nombreuses autresstructures (sociétés scientifiques, Rotary Clubs du Léman,réserves naturelles de Haute-Savoie, DIC Paris, cinquantenairede l’INRA...). D’où mes conférences, les projections commen-tées en direct de mon diaporama (160 diapos), les travaux pra-tiques pour scolaires (Génération Léman : formation des jeu-nes à la biologie lacustre avec mon collègue J.-C. Druart), lescroisières-conférences sur le Colibri et les sorties vers les lacsde montagne..., activités réalisées bénévolement, le plus sou-vent en dehors des heures de travail ou en prenant des congés.Mes interventions ont toujours été très appréciées hors INRA.Les Rotary Clubs du Léman m’ont récompensé en 2002 d’unLéman de Cristal, distinction généralement décernée à desassociations ou des collectivités locales mais rarement attribuéeà un scientifique, pour mes interventions de vulgarisation scien-tifique relatives à la connaissance du Léman et à sa protection.Le contenu de mes interventions est prévu pour intéresser unmaximum de personnes dont les questions m’embarquent

parfois sur un sujet qui les passionne ou dans un domainequ’ils croient connaître. Et souvent je dois mettre un terme àdes légendes tenaces comme celle du Rhône traversant leLéman sans s’y mélanger, sur les communications souterrainesdu Léman avec le Lac du Bourget ou sur l’eau des Alpes pas-sant sous le Léman pour alimenter les fontaines du Jura sur larive nord du lac.

Comment cela se passe-t-il avec les écologistes ?

J’ai toujours entretenu de bons rapports avec les écologistespour compléter leur culture et leur éviter de mauvaises prisesde position si nécessaire. Cela m’était d’autant plus facile quej’ai été fondateur et président (1974-1982) de la section deHaute-Savoie de la fédération Rhône-Alpes de protection de lanature (FRAPNA-74).

Débouchiez-vous sur des débats citoyens à propos de l’évolution de la recherchedans le domaine de l’environnement ?

Les gens ne connaissent pas vraiment l’INRA, ni ses structures,ni son fonctionnement, encore moins ses résultats. Dans mesinterventions publiques, je présente l’Institut en évoquantquelques exemples des résultats des recherches comme la frai-se Gariguette, la pomme Ariane, la poire Angelys ou le raisinDanuta. Mais dans le commerce, ces produits ne sont pas iden-tifiés par et pour le public par les commerçants (sauf laGariguette). Ces innovations sont souvent inconnues de lapopulation comme la poule Vedette, et certains résultats malcompris prêtent à critiquer l’utilité de la recherche (pourquoisupprimer une production alimentaire végétale utile en latransformant en biocarburant polluant) ou à rire comme avecle trèfle à quatre feuilles.

Avez-vous pensé un temps à travailler ailleurs qu’à l’INRA ?

Oui, si la pérennité de la station avait été mise en causecomme ce fut le cas en 1980. J’aurais peut-être demandé àêtre intégré à l’université ou au CEMAGREF, mais cela ne s’estpas produit et je ne regrette pas d’être resté à Thonon, locali-sation idéale pour étudier les lacs et faire de la limnologie com-parée dans une ambiance conviviale et laborieuse, à proximitédes laboratoires suisses et italiens.

Avez-vous travaillé sur le zooplancton océanique ?

Lors de stages de faculté à Tamaris et à Villefranche-sur-Mer,j’ai pu aborder le zooplancton marin. Et j’ai travaillé sur la baiede Somme à l’interface eau douce-eau salée où il existe uneinterpénétration entre les espèces d’eau douce, saumâtres oumarines ; ce qui m’a permis d’élargir le champ de mes connais-sances.

Comment ferons-nous demain s’il n’y a plus de spécialistes du zooplancton ?

Que se passera-t-il s’il n’existe plus de données régulièrementmises à jour et relatives à ce compartiment essentiel du réseautrophique ? Certes nul n’est indispensable tant que l’écosystè-

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me aquatique fonctionne correctement, mais qu’arrivera-t-il encas de dysfonctionnement du réseau trophique révélé par unaccroissement néfaste de la biomasse algale, une dégradationde la qualité des eaux ou un effondrement de la productionpiscicole ? La tendance actuelle consistant à tout modéliser, ilest vraiment important de disposer de données récentes oumieux réactualisées en permanence afin que l’ordinateur puis-se “régurgiter” une réponse, mais sera-t-elle satisfaisante pourle chercheur.Mais cela ne remet nullement en cause la validité des donnéesanciennes dont la connaissance et l’examen peuvent être trèsprofitables, en suggérant de nouvelles pistes de recherche enfonction des progrès de la science et de la technologie, en évi-tant de refaire ce qui est déjà connu (sauf en cas de doutessérieux imposant une vérification), en ne faisant pas croirequ’une découverte est nouvelle alors qu’elle est déjà consi-gnée dans la littérature, et surtout en constituant la mémoiretoujours vivante pour n’importe quelle structure disposantd’une bibliothèque et d’archives.Comment pourrait-on justifier le réchauffement climatiqueactuel si personne n’avait eu accès aux documents anciens ?Comment saurait-on que la dégradation du Lac d’Annecy a étéobservée pour la première fois en 1937 et celle du Léman audébut des années 60 ?Perdre une bibliothèque, c’est perdre son passé, grever le pré-sent mais c’est également hypothéquer lourdement l’avenir.Espérons que la bibliothèque actuelle de la station de Thononne sera pas démantelée ou disséminée pour des raisons finan-cières ou par non-remplacement de la documentaliste, ce quipourrait laisser présager à terme un avenir incertain pour cettestructure locale de recherche.À condition de pouvoir accéder à d’autres bibliothèques tou-jours fonctionnelles (moyennant des échanges épistolaires oudes déplacements indispensables en cas d’impossibilité d’em-prunt des documents désirés), il sera encore possible deconnaître et d’exploiter les travaux d’autres chercheurs étran-gers ou français, d’utiliser les ouvrages de systématique, maisla confirmation des déterminations deviendra aléatoire, àmoins de faire appel aux bonnes volontés des retraités. Deuxans après le départ à la retraite de ma technicienne, j’ai puheureusement former en 2003 une nouvelle technicienne qui,en collaboration avec une CR, s’occupe activement du zoo-plancton, domaine important pour l’étude des relations tro-phiques zooplancton-poissons.Le jour où nous n’aurons plus d’étudiants compétents enFrance, devrons-nous faire appel aux étudiants que nous avonsformés, partis dans d’autres instituts ou dans des universités àl’étranger ?

Les travaux de recherche de la stationont-ils toute leur place dans l’Institut ?

J’espère que les différents domaines de l’hydrobiologie thono-naise ont bien été pris en compte lorsque nous avons étéincorporés (en effectifs minoritaires) en 2003 dans le nouveaudépartement EFPA à la suite de la disparition du départementd’Hydrobiologie et Faune sauvage. Est-ce une renaissance deseaux et forêts ?À mon avis, l’hydrobiologie a toujours été un parent pauvre del’Institut. En 1969, l’INRA lançait la revue Recherches en Hydro-

biologie Continentale arrêtée dès après le numéro 1 et rempla-cée en 1970 par les Annales d’Hydrobiologie, elles-mêmes sup-primées en 1977. Ces revues intéressaient pourtant les franco-phones, en particulier africains avec lesquels j’avais d’excellentscontacts. Nous nous sommes alors tournés vers d’autres revuesmieux reconnues à l’échelon international et par l’Institut.L’INRA se prévalant d’une vocation de recherche finalisée et segargarisant de biodiversité, alors pourquoi ne pas tenir compte,lors des concours et dans la carrière des chercheurs, des exper-tises (en Autriche et en URSS) et des rapports effectués pour desorganismes internationaux (rapports CIPEL), des syndicats inter-communaux (rapports SILA), des administrations ou instancesrégionales, départementales ou locales, des collectivités locales,des bureaux d’études ou des particuliers, documents souventconsidérés à tort (ou par jalousie !) comme des prestations deservice, des contrats alimentaires ou des rentes à vie alors qu’ilscontribuent à l’avancement des recherches, à l’aménagementet/ou à la protection des milieux aquatiques et du territoire.Et quand prendra-t-on mieux en compte les articles dans desrevues autres que celles de rang A (celles-ci étant lues surtoutpar des spécialistes). La demande en tirés à part montre que cespublications soi-disant considérées (souvent à tort) comme demoindre valeur scientifique, sont très demandées, en particulierpar les étudiants francophones d’Afrique, les DDAF et les agen-ces de l’eau, les syndicats intercommunaux, les gestionnaires...

Comment voyez-vous l’évolution de l’INRA ?

J’ai l’impression que l’INRA privilégie aujourd’hui les recher-ches conduites sur des thèmes “porteurs” avec des collabora-tions au niveau international en rapport avec le développe-ment durable. On pourrait penser que les recherches hexago-nales n’intéressent pas l’INRA, un chercheur est bien noté s’ila un programme de recherche à dimension internationale, aumoins européenne, mais Thonon collabore surtout avec laSuisse voisine qui ne fait pas encore partie (sauf pour l’espaceSchengen) de l’Europe !

Comment voyez-vous votre retraite ?

Tout d’abord en restant disponible pour un appui scientifiqueauprès des stagiaires et en poursuivant ma collaboration avec J.-C. Druart pour les publications. Mes interventions extérieureshors INRA sont orientées en direction du grand public avec desconférences, des croisières commentées, des excursions vers deslacs de moyenne montagne comme les lacs de Montriond ouVallon pour expliquer ce qu’est un lac, comment il est né et quelest son devenir. Un lac n’est pas une structure pérenne, il a unevie et une mort. Je compare le devenir d’un lac né en 1943 à lasuite d’un glissement de terrain, le Lac Vallon, à un lac âgé deplus de 18 000 ans, le Léman. Vers Monthey (Suisse), on peutconstater que le Léman a perdu près de 20 km de longueur en18 000 ans par suite du dépôt des matériaux charriés par leRhône, mais il faut être sur place pour s’en rendre compte.

Vous semblez très attaché à votre laboratoire ?

Oui et je continue de fréquenter la station pour différentes rai-sons : aide aux stagiaires ayant besoin d’informations, deconfirmation ou d’identification pour le zooplancton, et en col-

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laboration avec J.-C. Druart (IE) rédaction d’ouvrages de syn-thèse sur le Léman (2007), les Lacs d’Annecy (soumis en 2008)et du Bourget (en cours), compilation de nos inventaires planc-toniques inédits, correction de manuscrits...J’ai intégré l’INRA à une époque heureuse où il n’y avait pasde compétition pour l’emploi et je ne regrette pas mon travailà l’Institut même si l’on m’a reproché de ne pas m’être suffi-samment déplacé. Je n’ai jamais envisagé de mobilité théma-tique (qui aurait pris en charge le zooplancton ?) et géogra-phique (où trouver autant de milieux aquatiques différentsailleurs qu’en Haute-Savoie !). Ce qui ne m’a pas empêchéd’effectuer 11 missions dans les pays de l’Est, 3 dans le restede l’Europe, 1 au Canada, 2 en Afrique du Nord, toutes en rela-tion avec mes recherches sur les réseaux trophiques et la ges-tion des milieux aquatiques, ainsi que 2 missions d’expertise(URSS et Autriche) ; je rappelerai aussi ma participation activeà de nombreux congrès internationaux et nationaux.En 1990, le Secrétariat d’État à l’Environnement nous aenvoyés à Irkoutsk, Didier Fleury et moi-même, pour représen-ter la France à la conférence internationale pour la création duBaïkal International Center for Ecological Research et identifierce que l’URSS allait demander aux pays adhérents (collabora-tions scientifiques, matériels, financements). Noyés au milieude Suédois, Italiens, Anglais, souvent accompagnés de mem-bres de leurs ambassades, nous étions les deux seuls Français,sans aucun contact avec la diplomatie française en URSS.La mission d’expertise en Autriche en 2000 à la demande del’ambassade de France à Vienne a permis d’étudier les possibi-lités de collaborations scientifiques entre laboratoires autri-chiens et français, et d’actions intégrées dans le cadre du pro-gramme AMADEUS.J’avais été contacté pour une mission limitée en Guyane, maisun chercheur de Kourou venu à Thonon nous a dit que là-bas,il n’y avait pas de problèmes de biologie dans leurs bassins de pisciculture et que le zooplancton ne les intéressait pas !Pourtant Ricardo Rojas-Beltran étudiait le plancton à Kouroumais il a finalement intégré Thonon pour étudier les relationszooplancton-poissons ! Donc il n’était plus question de Guyaned’autant plus que l’INRA n’y a pas maintenu son implantation.Lorsque René Lesel, à la direction à Paris, était en charge des

collaborations avec l’Argentine, j’aurais été intéressé pour yconduire des études sur le plancton, mais je n’ai jamais rien vuvenir, l’INRA ayant préféré valoriser la production animale etles élevages de ruminants plutôt que les questions environne-mentales, la qualité des eaux et encore moins le plancton.Il me semble que l’INRA n’a jamais tenu compte de mes tra-vaux de vulgarisation ; je pense la même chose pour le travailde directeur d’unité qui est mal reconnu. J’en ai rendu comp-te au niveau des CSS et j’ai l’impression que travaillant sur l’écologie, Thonon a été pendant longtemps à contre-courant,tout juste la bonne conscience de l’INRA en matière d’environ-nement du temps où l’Institut se préoccupait surtout de quan-tité avant de s’occuper de la qualité des produits et de la pro-tection du milieu naturel.J’avais été autorisé à diriger les thèses pour l’université ClaudeBernard de Lyon 1 à partir de 1994. Mais les règles du jeuayant été modifiées par l’INRA et appliquées tant aux anciensde l’Institut qu’aux nouveaux recrutés, elles ont entraîné de facto la résiliation de cette autorisation lyonnaise et un désavantage lors de mes présentations aux concours de DR2.Alors pourquoi ne pas imposer aux anciens DR de présenterune HDR nouvelle formule alors qu’ils en étaient autrefoisdispensés, l’ayant reçue comme une cerise sur le gâteau avecleur nomination ?L’INRA-Thonon œuvre depuis toujours dans une démarche dequalité durable (qualité des eaux, de la production piscicole, del’environnement) débouchant sur une qualité de vie indispen-sable au bien-être de l’homme. Chacun travaille dans un sec-teur parfois étroitement délimité, mais il ne faut pas s’isoler ets’enfermer dans une tour d’ivoire. Il y a parfois trop d’indivi-dualisme, chacun voulant tirer la couverture à soi pour unemeilleure reconnaissance de sa propre carrière, l’importantétant d’être le seul, le meilleur et la référence dans son domaine.Le fait d’être autonome dans son travail ne doit pas faireoublier le sens communautaire ; il faut maintenir une collabo-ration efficace avec les autres équipes et ne pas oublier lesdevoirs envers l’Institut et les différentes collectivités faisantappel à nos services sachant que nous devons consacrer dutemps à ces dernières qui nous permettent de valoriser nos tra-vaux en recherche finalisée.

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Hydrobiologie • faune sauvage • milieux lacustre/aquatique

• lac Léman/d’Annecy • limnologie • zooplancton • phytoplancton • algues • protection des milieuxnaturels • eutrophisation • pollution • directeur de station • conférences • communication • eau douce/eausalée • CIPEL • administration de la recherche • Thonon-les-Bains • Dijon • Jean-Claude Druart • Bernard Chevassus-au-Louis • Raymond Février • Bernard Fauconneau

ITEM

S

4ème Congrès International d’Astacologie à Thonon (1978) avec Brigitte Cauvin

(attachée de presse INRA), Gérard Balvay(co-organisateur), Jacques Lecomte

(chef du département) et Pierre Laurent (organisateur), encadrant l’écrevisse locale Astacus thononensis vulgaris.