georg simmel - fr

9
Georg Simmel 1 Georg Simmel Georg Simmel Données clés Naissance <time datetime="1858-03-01">1 er  mars 1858</time> Berlin, Confédération allemande Décès <time datetime="1918-09-28">28 septembre 1918</time> (à 60 ans) Strasbourg, Empire allemand Nationalité  Allemagne Profession philosophe et sociologue Georg Simmel, né le <time datetime="1858-03-01">1 er  mars 1858</time> à Berlin en Allemagne et mort le <time datetime="1918-09-28">28 septembre 1918</time> à Strasbourg, est un philosophe et sociologue allemand. Sociologue atypique et hétérodoxe, Georg Simmel dépasse les clivages, pratiquant l'interdisciplinarité. À partir de nombreuses observations et discussions lors de séminaires privés ou publics, il écrit sur plusieurs thèmes : l'argent, la mode, la femme, la parure, l'art, la ville, l'étranger, les pauvres, la secte, la sociabilité, l'individu, la société, l'interaction, le lien socialSon ouvrage Philosophie de l'argent (publié en 1900) est considéré comme son chef-d'œuvre. Il a influencé les intellectuels de son époque ainsi que des proches d'aujourd'hui : Max Weber, Karl Mannhein, Alfred Schütz, Raymond Aron, Erving Goffman, Howard Becker, Anselm Strauss, Isaac Joseph, Patrick Watier, Raymond Boudon, Guillaume Erner, Georg Lukacs, Zygmunt Bauman. Sa pensée complexe a été critiquée par Émile Durkheim [réf. nécessaire] . Son œuvre n'est redécouverte en France qu'à partir des années 1980, notamment par le concours de quelques sociologues comme Raymond Boudon, Lilyane Deroche-Gurcel, Michel Maffesoli, Patrick Watier, Alain Deneault [1],[2] ou encore François Léger [3] . Simmel a constitué une référence importante pour l'école sociologique de Chicago (à ne pas confondre avec l'école économique de Chicago).

Upload: sonostufodiprovare

Post on 29-Dec-2015

76 views

Category:

Documents


6 download

DESCRIPTION

Wikipedia_Georg Simmel - Fr

TRANSCRIPT

Page 1: Georg Simmel - Fr

Georg Simmel 1

Georg SimmelGeorg Simmel

Données clés

Naissance <time datetime="1858-03-01">1er mars 1858</time>Berlin, Confédération allemande

Décès <time datetime="1918-09-28">28 septembre 1918</time> (à60 ans)Strasbourg, Empire allemand

Nationalité  Allemagne

Profession philosophe et sociologue

Georg Simmel, né le <time datetime="1858-03-01">1er mars 1858</time> à Berlin en Allemagne et mort le <timedatetime="1918-09-28">28 septembre 1918</time> à Strasbourg, est un philosophe et sociologue allemand.Sociologue atypique et hétérodoxe, Georg Simmel dépasse les clivages, pratiquant l'interdisciplinarité.À partir de nombreuses observations et discussions lors de séminaires privés ou publics, il écrit sur plusieurs thèmes: l'argent, la mode, la femme, la parure, l'art, la ville, l'étranger, les pauvres, la secte, la sociabilité, l'individu, lasociété, l'interaction, le lien social… Son ouvrage Philosophie de l'argent (publié en 1900) est considéré comme sonchef-d'œuvre.Il a influencé les intellectuels de son époque ainsi que des proches d'aujourd'hui : Max Weber, Karl Mannhein,Alfred Schütz, Raymond Aron, Erving Goffman, Howard Becker, Anselm Strauss, Isaac Joseph, Patrick Watier,Raymond Boudon, Guillaume Erner, Georg Lukacs, Zygmunt Bauman.Sa pensée complexe a été critiquée par Émile Durkheim[réf. nécessaire].Son œuvre n'est redécouverte en France qu'à partir des années 1980, notamment par le concours de quelquessociologues comme Raymond Boudon, Lilyane Deroche-Gurcel, Michel Maffesoli, Patrick Watier, AlainDeneault[1],[2] ou encore François Léger[3].Simmel a constitué une référence importante pour l'école sociologique de Chicago (à ne pas confondre avec l'écoleéconomique de Chicago).

Page 2: Georg Simmel - Fr

Georg Simmel 2

BiographieEn 1874, Georg Simmel perd son père, Edward Simmel, qui lui laisse une fortune colossale rendant ses sept enfantsfinancièrement indépendants.Simmel étudie la philosophie et l'histoire à l'université Friedrich-Wilhelm de Berlin de 1876 à 1881. En 1881, ildevint docteur en philosophie avec sa thèse « Das Wesen der Materie nach Kant's Monadologie ». Il devient «Privatdozent » à l'université de Berlin en 1885 jusqu'en 1901.Sa femme Gertrud, qu'il épouse en 1890, est elle-même philosophe et écrit sous le pseudonyme de Marie-LuiseEnckendorf notamment sur les sujets de la religion et de la sexualité. Privatdozent très apprécié des étudiants et denombreuses personnalités berlinoises, il ne fut jamais reconnu par la hiérarchie universitaire malgré le soutien actifde Max Weber et de F. Tönnies. Ce n'est qu'en 1901, qu'il devient « Ausserordentlicher Professor », un titrepurement honorifique qui ne lui permit pas de prendre part à la vie de la communauté universitaire. Ses ouvrages nelui attirèrent pas non plus les faveurs de ses collègues de l'université de Berlin, mais suscitèrent l'intérêt de l'éliteintellectuelle berlinoise. Enfin, en 1914, il est nommé professeur à l'université de Strasbourg, qui est alors une villeallemande.

Éléments de sa sociologie

L'étranger et la villeChez Georg Simmel le concept d'étranger émane de son expérience d'immigrant. L'expérience de l'étranger ou del'étrangeté va ainsi de pair avec son arrivée

Distinction forme/contenu de socialisationLa sociologie de Georg Simmel se caractérise tout d’abord par l’angle d’approche particulier qu’elle préconise pourétudier les moyens de vivre ensemble. Simmel nous donne une description très précise de ce qu’est cet angled’approche dans son livre Sociologie paru en 1908[4]. Pour étudier la société, Simmel nous dit qu’il faut la prendredans son acception la plus large, c’est-à-dire, « là où il y a action réciproque de plusieurs individus »[5], le termeimportant de cette définition étant « réciproque ». Ce que la sociologie doit observer, ce sont les liens qui existententre les individus, ce qu’il appelle la socialisation (traduction du terme allemand employé par Simmel qui nerenvoie pas aux théories habituelles de la socialisation comme transmission sociale. Certains auteurs préfèrent, pourcette raison, employer le mot « sociation » pour référer à cette idée). L'idée de socialisation implique toujours uneinfluence réciproque des uns sur les autres, il ne saurait y avoir de socialisation figée une fois pour toutes. Lasocialisation est toujours quelque chose de dynamique.Ceci ne nous dit pas encore ce qui caractérise la manière qu’a le sociologue de mettre en forme la réalité de cesactions réciproques qu’il veut observer. Il nous dit alors que le discours sociologique se caractérise par l’emploi de ladistinction purement conceptuelle entre contenu de socialisation et forme de socialisation. Simmel définit le contenude socialisation comme

« […] tout ce que les individus, le lieu immédiatement concret de toute réalité historique, recèlent commepulsion, intérêt, buts, tendances, états et mouvement psychologiques, pouvant engendrer un effet sur l’autre ourecevoir un effet venant des autres[6]. »

Le contenu de socialisation est donc tout ce qui fait bouger l’individu, toutes les pulsions, physiques oupsychologiques, qui le poussent à entrer en interrelation avec un autre. Ces contenus de sociabilité vont alors seréaliser dans une forme particulière. La forme est ce qui rend le contenu social. Ainsi, Simmel dira que le contenu estla matière de la socialisation qui est elle-même la forme que prend l’action réciproque à laquelle le contenu donnelieu. Synthétisons ce que nous venons de dire par une phrase de Simmel :

Page 3: Georg Simmel - Fr

Georg Simmel 3

« Voici les éléments de tout être et de tout fait social, inséparable dans la réalité : d’une part, un intérêt, un but,ou un motif, d’autre part une forme, un mode de l’action réciproque entre les individus, par lequel, ou sous laforme duquel ce contenu accède à la réalité sociale. »

Cette approche insiste fortement sur l’individu, qui est le « lieu immédiatement concret de toute réalité historique. »Simmel nous dit que pour réussir à percer les mystères de l’être social, il faut partir de l’étude de l’atome le plus petitde cette réalité : l’individu.Regardons à titre d’exemple si l’on peut employer la distinction forme/contenu dans le cas de l’étude de la notion «d’habiter ». Nous pourrions dire tout d’abord qu’il existe un contenu de socialisation qui serait l’obligation de seloger, de s’abriter. On peut facilement convenir que les hommes ne peuvent survivre sans s’abriter, sans se protégerdes agressions du milieu naturel où ils vivent (pluie, froid, canicule…).Ce besoin physique, nécessaire, va alors prendre une forme particulière. Cette forme particulière socialise le contenuparce qu’elle existe à la fois indépendamment des hommes qui vont la mettre en œuvre, mais aussi par les hommesqui ont prise dessus et peuvent la modifier sans cesse. C’est cette forme d’action réciproque que prend le contenu « seloger », qui pourrait être appelée « habiter ». En ce sens simmelien, « habiter » est quelque chose qui touche à l’êtresocial et qui dépasse l’individu, puisqu’on peut le penser comme une forme de socialisation. En ce sens, une étudesociologique de l’habiter serait possible.

Existence de la formeIl existe cependant un léger flou concernant la notion de forme. Dans l’introduction à l’édition française des PUF,cette notion n’est présentée que comme étant un outil méthodologique permettant de rendre compte de la réalité, deformer une représentation abstraite, sociologique, de la réalité. L’auteur de cette introduction, reprenant la conceptionde Raymond Boudon, nous dit que le concept de forme est un synonyme de celui de modèle, fonctionnant sur lamême logique que l’idéal type weberien. Le concept de forme dans cette conception ne possède donc aucun sensontologique. Il ne fait pas partie de l’être réel des faits sociaux. Il existe cependant une autre interprétation duconcept de forme. Si Simmel reconnaît en effet que la sociologie, lorsqu’elle s’exprime sur la forme de certainesinteractions ne peut que « poser des concepts et des ensembles de concepts dans une pureté et une abstraction totalequi n’apparaît jamais dans les réalisations historiques de ces contenus »[7], la forme d’une interaction est cependantpour lui une dimension qui avec le contenu, forme la totalité de l’être du fait social. L’abstraction consiste donc pouratteindre l’être du social à y distinguer la forme du contenu.Faisant cela, il ne faut pas perdre de vue que la forme est un des composants de la réalité de l’action réciproque,même si le sociologue ne peut en donner qu’une image qui n’épuise jamais la totalité de cette réalité. Cette secondeinterprétation insiste sur le fait que la forme en elle-même posséderait une existence réelle, et qu'elle n'est pas àconfondre avec l’image de la forme que construit le sociologue dans son travail qui elle, ressortant d’un travaild’abstraction, n’épuise jamais toute la substance de la forme réelle d’une interaction. Pour illustrer cette secondeinterprétation du concept de forme, partons de l’introduction, rédigée par Simmel à son livre Philosophie de l’argent,où il explique ce qu’est pour lui la philosophie. Ce texte montre en effet comment Simmel propose d’élaborer uneontologie des phénomènes sociaux.La caractéristique de la philosophie par rapport aux autres sciences est que la philosophie présente les présupposés qui la sous-tendent pour examen. Seulement, même en faisant cela, elle ne peut être autre chose qu’une approximation des phénomènes par le biais de notions générales. Cependant, la philosophie propose une image particulière du monde qui est indispensable « vis-à-vis de maintes questions, de ces questions qui relèvent surtout des valorisations ainsi que des connexions les plus générales de la vie de l’esprit[8]. » Pour Simmel, la philosophie (comme toutes sciences ou tout art) doit être « « entendue comme interprétation, coloration, accentuation sélective du réel par l’individu. » On voit dans cette phrase en quoi la philosophie de même que la sociologie de Simmel peut être traitée de relativiste. La Sociologie comme la philosophie et d’ailleurs toutes les autres sciences reposent sur des présupposés particuliers (ceux de la philosophie étant d’examiner ses propres présupposés et de procéder par

Page 4: Georg Simmel - Fr

Georg Simmel 4

généralisation du réel) et ne sont finalement qu’une manière particulière qu’un individu a de mettre en forme lemonde et « qui n’épuise jamais la totalité d’une réalité[9]. »Que serait alors, dans cette perspective une « philosophie de l’argent » ? Quelles « droits » la philosophiepossède-t-elle alors sur des objets isolés comme l’argent. Une telle philosophie serait « en deçà et au-delà » d’unescience économique de l’argent.Elle peut d’une part étudier le phénomène de l’argent de manière analytique : « présenter les postulats qui, dans laconstitution psychique, dans les rapports sociaux, dans la structure logique des réalités et des valeurs, affectent àl’argent son sens et sa position pratique. » Il s’agira de déduire l’argent « des conditions qui portent son essence et lasignifiance de son existence. » Simmel cherche à « déployer la structure et l’idée [du phénomène historique del’argent] en partant des sentiments de valeur, de la praxis envers les choses, et des relations interhumaines deréciprocité vues comme leurs présupposés. »Elle peut d’autre part étudier le phénomène de l’argent de manière synthétique c’est-à-dire « à travers ses effets surl’univers intérieur : sur le sentiment vital des individus et l’enchaînement de leur destin, sur la culture dans sagénéralité. » Il s’agit de substituer aux processus particuliers de la réalité des connexions de concepts et d’autre partd’interpréter des causalités psychiques qu’on ne peut qu’interpréter. Il s’agit de pratiquer « un recoupement duprincipe de l’argent avec les évolutions et valorisations de la vie intérieure. »Pour résumer, Simmel nous dit qu’une philosophie de l’argent doit comporter une phase dite analytique, loin devantle champ de la science économique de l’argent, qui doit : « éclairer l’essence de l’argent à partir des conditions etrelations de la vie générale » ; et une phase dite synthétique, loin derrière le champ de la science économique, quidoit « [éclairer], inversement, l’essence de la vie générale et son modelage à partir de l’influence de l’argent. »Finalement donc, l’argent, pour Simmel, n’est que « le moyen, le matériau ou l’exemple nécessaires pour présenterles rapports qui existent entre d’une part les phénomènes les plus extérieurs, les plus réalistes, les plus accidentels, etd’autre part les potentialités les plus idéelles de l’existence, les courants les plus profonds de la vie individuelle et del’histoire. Le sens et l’ensemble se résume à ceci : tracer, en partant de la surface des évènements économiques, uneligne directrice conduisant aux valeurs et aux signifiances dernières de tout ce qui est humain[10]. » Il s’agit pourSimmel de « déceler dans chaque détail de la vie le sens global de celle-ci. »Simmel crée une nouvelle vision des choses matérielles :

« Il s’agit de construire, sous le matérialisme historique, un étage laissant toute sa valeur explicative au rôle dela vie économique parmi les causes de la culture spirituelle, tout en reconnaissant les formes économiqueselles-mêmes comme le résultat de valorisations et de dynamique plus profondes de présupposéspsychologiques, voire métaphysiques. Ce qui doit se développer, dans la pratique cognitive selon uneréciprocité sans fin : à chaque interprétation d’une figure idéelle par une figure économique se liera l’exigencede saisir cette dernière à son tour par des profondeurs plus idéelles, dont il faudra de nouveau dessiner lesoubassement économique général, et ainsi de suite à l’infini. Avec cette alternance, cet entrelacs de principesépistémologiques opposés dans l’abstrait, l’unité des choses, qui paraît inaccessible à notre connaissance etpourtant fonde sa cohérence, devient pour nous pratiques autant que vivante[11]. »

Comment expliquer cette phrase ? Il ne s’agit pas d’avoir une vision historique, voire finale de l’évolution du monde humain. Il s’agit au contraire de dire que la vie matérielle est cause de la culture spirituelle et qu’en même temps, que la forme que prend la vie matérielle est le résultat de processus de valorisation et de présupposés psychologiques. Prenons l’exemple de l’argent. En tant qu’il existe matériellement, pratiquement, il existe toujours en même temps idéellement. Cela revient à dire que notre connaissance des choses est pratique et vivante. Schématisons : l’homme crée mentalement l’argent et va créer une réalité matérielle correspondant à cette réalité idéelle qu’il va ensuite valoriser. L’argent possède abstraitement une double réalité, matérielle et idéelle. L’argent possède donc une existence matérielle et va venir, par cette existence influencer la vie idéelle des hommes, la vie idéelle changeant, les hommes vont en quelque sorte réinventer l’argent matériel ainsi que la forme de leur pratique, qui à son tour va réinventer l’idée sous-tendant la pratique… selon un cercle infini. L’unité des choses ressort in fine de l’entrelacs de

Page 5: Georg Simmel - Fr

Georg Simmel 5

ces deux principes épistémologiques opposé dans l’abstrait mais qui par leur entrelacs successif et infini constituel’unité de la chose extérieures. L’opposition entre une philosophie réaliste ou idéaliste ne tient pas la route pourSimmel.C’est à partir de cette idée que Simmel va construire son ouvrage sur l’argent, en le coupant en deux parties. Lapremière dite « analytique » s’occupe de déterminer l’essence de l’argent à partir de la vie interne des individus,c’est-à-dire du sens que lui confèrent les individus dans leur action ; et la seconde, dite synthétique qui s’attache àl’opposée à déterminer l’effet de l’argent sur la vie interne des individus et sur ce qu’il appelle la culture objective.

Modernité et autonomisation des formesIl faut cependant concéder que le concept de forme de Simmel est loin d’être des plus clairs. Cela d’autant plus qu’ilentre à certains moments de l’œuvre en relation avec un autre couple de concepts qui est celui opposant la cultureobjective à la culture subjective. La culture objective étant l’ensemble de la culture, telle qu’elle existe en dehors desindividus, et la culture subjective, la part de cette culture objective intériorisée par l’individu. Cette distinction entreen interaction avec le concept de forme parce que selon Simmel, certaines formes, qui sont parfois appelées, pour lesdifférencier des formes plus fugaces, formes sociales, se retrouvent dans la culture objective. Certaines formess’autonomisent et acquièrent donc une sorte de force qui leur permet de déterminer la forme mise en œuvre dans uneaction réciproque par les individus qui s’y engagent. Cela étant dit, n’oublions pas que s’il existe des formesobjectives capables de déterminer les formes particulières et concrètes d’interaction, ces formes vont être modifiéespar les individus qui les emploient. Ce qui mène à l’existence de ce phénomène infini de réciprocité entre le mondeidéel et le monde matériel que décrit Simmel quand il parle de l’argent. Nous pouvons illustrer cela par quelquesextraits.Dans ce premier extrait issu du chapitre 6 de Philosophie de l’argent, Simmel nous parle de trois formes sociales quiselon lui se sont fortement autonomisées avec la modernité (on pourrait même dire que selon notre auteur,l’autonomisation de ces trois formes est l’élément constitutif de la modernité). Ces trois formes sont celle du droit,soit la forme que prennent à l’âge moderne les formes de normation de conduite ; de l’argent, soit la forme modernedes relations d’échange ; et de l’intellectualité, forme moderne des relations basées sur une transmission de savoir.Simmel va nous dire que ces trois formes en s’autonomisant des individus pour devenir un élément de la cultureobjective vont obtenir le pouvoir de déterminer des formes d’interaction.

« Tous trois, droit, intellectualité et argent se caractérisent par l’indifférence vis-à-vis de la particularitéindividuelle ; tous trois extraient, de la totalité concrète des mouvements vitaux, un facteur abstrait, général,qui se développe d’après des normes spécifiques et autonomes, et intervient depuis celles-ci dans le faisceaudes intérêts existentiels, leur imposant sa propre détermination. En ayant ainsi le pouvoir de prescrire desformes et des directions à des contenus qui par nature leur sont indifférents, ils introduisent tous trois,inévitablement, dans la totalité de la vie, les contradictions qui nous occupent ici. Quand l’égalité s’empare desfondements formels des relations interhumaines, elle devient le moyen d’exprimer de la façon la plus aiguë etla plus fructueuse les inégalités individuelles ; en respectant les limites de l’égalité formelle, l’égoïsme a prisson parti des obstacles internes et externes et possède désormais, avec la validité universelle de cesdéterminations, une arme qui, servant à chacun, sert aussi contre chacun[12]. »

Le second extrait provient d’un chapitre de Sociologie où Simmel s’interroge sur les résultats de la domination d’ungrand nombre d’individus sur d’autres individus, chapitre où il va être amené à différencier l’action d’un grandnombre « comme formation particulière unitaire, incarnant en quelque sorte une abstraction — collectivitééconomique, État, Église […] et d’autre part, celle d’une foule rassemblée ponctuellement[13]. » Cet extrait montreque ce caractère déterminant des formes sociales objectivées (dont font partie le mariage, l’État, l’Église…) n’est pasde l’ordre de la relation constante, mais est aléatoire.

« La dernière raison des contradictions internes de cette configuration peut être formulée ainsi : entre l’individu, avec ses situations et ses besoins d’un côté, et toutes les entités supra- ou infra-individuelles et les

Page 6: Georg Simmel - Fr

Georg Simmel 6

dispositions intérieures ou extérieures que la structure collective apporte avec elle d’un autre côté, il n’y a pasde relation constante, fondée sur un principe, mais une relation variable et aléatoire. […] Ce caractère aléatoiren’est pas un hasard, si l’on peut dire, mais l’expression logique de l’incommensurabilité entre ces situationsspécifiquement individuelles dont il est question ici, avec tout ce qu’elles exigent, et les institutions etatmosphères qui régissent ou qui servent la vie commune et côte à côte du grand nombre[14]. »

Ces deux extraits nous montrent, et c’est le point de vue défendu par Danilo Martuccelli, que l’œuvre de Simmel peutêtre lue comme l’étude de la tension, caractéristique de la modernité, entre culture subjective et objective, entredéterminant objectif de l’action et déterminant subjectif, entre ce qui dans la société n’est que société : les formes etce qui est psychologique. Cette tension découlant selon Simmel d’un des traits propres de l’homme :

« La faculté de l’homme de se diviser lui-même en parties et de ressentir une quelconque partie de lui-mêmecomme constituant son véritable Moi qui entre en conflit avec d’autres parties et lutte pour la détermination deson activité – cette faculté met fréquemment l’homme, pour autant qu’il a conscience d’être un être social, dansune relation d’opposition aux impulsions et intérêts de son Moi qui restent extérieures à son caractère social: leconflit entre la société et l’individu comme un combat entre les parties de son être[15]. »

Œuvres traduites en français• Philosophie de l'argent, traduit par Sabine Cornille et Philippe Ivernel P.U.F., Paris, 1987• Sociologie et épistémologie, P.U.F., 1981, 1989• Les Pauvres, P.U.F., 1998• Sociologie, étude sur les formes de la socialisation, P.U.F., 1999• Secret et sociétés secrètes, Circé, 1991• Le Conflit, Circé, 1992• Michel-Ange et Rodin, Rivages, 1990• Rembrand, Circé, 1994• La Religion, Circé, 1998• La Philosophie du comédien, Circé, 2001• La Sociologie et l’Expérience du monde social, Méridiens Klincksieck, 1986• Philosophie et société, Vrin, 1987• Philosophie de la modernité 1 : la femme, la ville, l'individualisme, Payot, 1988• Philosophie de la modernité 2 : esthétique et modernité, conflit et modernité, testament philosophique, Payot,

1990• La Parure, MSH, 1998• Florence, Rome, Venise, Allia, 1998• Philosophie de l'aventure, L'Arche, 2002• Le Cadre, Gallimard, 2003• La Forme de l’histoire, Gallimard, 2004• Le Problème de la sociologie et autres textes, éditions du Sandre, 2006• La Tragédie de la culture et autres essais, Rivages, 1988• L’Argent dans la culture moderne et autres essais sur l'économie de la vie, MSH, 2006• Esthétique sociologique, MSH, 2007• Le Pauvre, Allia, 2009• Philosophie de la mode, Allia, 2013 (ISBN 978-2-84485-705-7)

• Psychologie des femmes, Payot, 2013 (ISBN 978-2-228-90999-0)

Page 7: Georg Simmel - Fr

Georg Simmel 7

Bibliographie germanophone (avec traduction)• Zur Psychologie der Frauen (1890)• Über sociale Differenzierung (1890)• Die Probleme der Geschichtsphilosophie (1892; 3. erw. Auflage 1907)• Einleitung in die Moralwissenschaft (1892/93)• Philosophie des Geldes (1900)• Zur Psychologie der Scham (1901)• Brücke und Tür. Essays des Philosophischen zur Geschichte, Religion, Kunst und Gesellschaft. (1903)• Kant und Goethe. Zur Geschichte der modernen Weltanschauung (1906)• Die Religion (1906)• Soziologie (1908)• Grundfragen der Soziologie (1917)• Der Konflikt der modernen Kultur (1918)•• La psychologie des femmes•• Sur une différenciation sociale•• Les problèmes de la philosophie de l'histoire•• Introduction à la science de la morale•• Philosophie de l'argent•• La psychologie de la honte•• Pont et porte. Essais philosophiques sur l'histoire, la religion, l'art et la société.•• Kant et Goethe. Contribution à l'histoire de la conception du monde moderne•• La religion•• Sociologie•• Questions fondamentales de la sociologie•• Le conflit de la culture modernes

Notes et références

Autorité• Notices d’autorité : Fichier d’autorité international virtuel [16] • International Standard Name Identifier [17] •

Bibliothèque nationale de France [18] • Système universitaire de documentation [19] • Bibliothèque du Congrès[20] • Gemeinsame Normdatei [21] • Bibliothèque nationale de la Diète [22] • WorldCat [23]

Références[1] Alain Deneault, Redéfinir l'économie : la "Philosophie de l'argent" de Georg Simmel, Éditions universitaires européennes, 2011.[2] Sous la direction de Jean-François Côté et Alain Deneault, Collectif, Georg Simmel et les sciences de la culture, 2305, rue de l'Université,

2011.[3] Frédéric Vandenberghe, La Sociologie de Georg Simmel, La Découverte, .[4] Réédité en français aux PUF en 1999.[5] Sociologie, p. 43.[6] Sociologie, p. 44.[7] Sociologie, p. 176.[8] Philosophie de l'argent, p. 14.[9] Philosophie de l'argent, p. 15.[10] Philosophie de l'argent, p. 16.[11] Philosophie de l'argent, p. 17.[12] Philosophie de l'argent, p. 563.[13] Sociologie, p. 199.[14] Sociologie p. 200.

Page 8: Georg Simmel - Fr

Georg Simmel 8

[15] Sociologie et épistémologie, 1981, pp. 137-138.[16] http:/ / viaf. org/ viaf/ 39384262[17] http:/ / isni-url. oclc. nl/ isni/ 0000000123205189[18] http:/ / catalogue. bnf. fr/ ark:/ 12148/ cb11924807v[19] http:/ / www. idref. fr/ 027138739[20] http:/ / id. loc. gov/ authorities/ names/ n79063822[21] http:/ / d-nb. info/ gnd/ 118614436[22] http:/ / id. ndl. go. jp/ auth/ ndlna/ 00456621[23] http:/ / www. worldcat. org/ identities/ lccn-n-79-63822

Page 9: Georg Simmel - Fr

Sources et contributeurs de l’article 9

Sources et contributeurs de l’articleGeorg Simmel  Source: http://fr.wikipedia.org/w/index.php?oldid=101065610  Contributeurs: Actorstudio, Adhelt, Alex35, Ange Gabriel, Atpnh, Badmood, Baumschlager, Bbullot,Blanchisserie, Bradipus, Camawac, Charlesladano, ChoumX, Chris a liege, Diabsgreg, Didymas, Digging.holes, Dimitridf, EdM323, Esprit Fugace, Florent(84), Foudebassans, Francis Vergne,Freezincurtain, GLec, Gilles dit le Lorrain, Gzen92, Honoré de Danone, Idéalités, Inisheer, Irønie, JLM, JacquesD, Jean bruguier, Ji-Elle, Jules78120, Julien1311, Lafud, Libellule Bleue,Loppert2, Masterdeis, MicroCitron, Nono ra, Nono64, Nonopoly, Ollamh, Paris75000, Pautard, Petrusbarbygere, Phduquesne, Place Clichy, Pok148, Polmars, Proclos, R, RM77, Rene1596,Romanc19s, Roucas, Ryo, SaleGosss, Sam Hocevar, Sebjarod, Selvejp, Sherbrooke, Slippingspy, SniperMaské, Socio---logique, Spoil, Stanlekub, Sums, Thierry Caro, Thudoro, TiChou,Treanna, Vajrallan, Vincent Battesti, Ziame, 93 modifications anonymes

Source des images, licences et contributeursFichier:Simmel 02.jpg  Source: http://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Fichier:Simmel_02.jpg  Licence: Public Domain  Contributeurs: Piotrus, Thierry Caro, 1 modifications anonymesFichier:Flag of Germany.svg  Source: http://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Fichier:Flag_of_Germany.svg  Licence: Public Domain  Contributeurs: User:Madden, User:SKopp

LicenceCreative Commons Attribution-Share Alike 3.0//creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/