geopolitique ecs1 1 module ii – thème 1 – chapitre 1

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GEOPOLITIQUE ECS1 1 MODULE II – Thème 1 – CHAPITRE 1 Fiche 4. Des stratégies différenciées selon les secteurs d’activités. Exemples d’entreprises mondialisées. Chaque entreprise ci-dessous est présentée à l’aide d’une carte et d’une explication de sa stratégie. A partir de ces exemples, vous pouvez extrapoler aux entreprises des secteurs concernés. 1. Rio Tinto-Alcan : la stratégie classique d’une firme de transformation traditionnelle Rio Tinto est une firme d’extraction minière créée au Royaume-Uni pour exploiter les mines espagnoles de cuivre en 1872, d’où elle tient son nom. Elle est, avec VALE (Brésil), BHP Billiton (R.U), et Anglo american (Afrique du Sud- R.U), l’une des quatre plus importantes firmes minière au monde. Le secteur minier présente trois spécificités qui en font un secteur très stratégique : L’exploitation de ressources naturelles non renouvelables par définition immobiles et situées sur des territoires souverains oblige ces entreprises à accepter certains compromis avec les Etats. L’activité est dépendante du contexte technologique, économique et commercial continental et mondial. Le secteur est particulièrement sensible à la conjoncture économique et aux crises géopolitiques avec des variations de cours très violents. Ces données connues, Rio Tinto-Alcan doit, comme les autres entreprises du secteur, développer des stratégies multiples : Equilibrer les ressources exploitées entre les régions instables (Afrique, Indonésie) et les régions à l’équilibre plus sûr (Australie, Canada, Etats-Unis). Mettre en œuvre une diversification géographique pour compenser d’éventuelles crises régionales et servir tous les marchés. Mettre en œuvre une diversification sectorielle afin de lisser les crises sectorielles. Arbitrer entre le maintien d’une position dominante par la concentration et la formation d’un conglomérat et se spécialiser sur un créneau étroit pour acquérir une position sectorielle oligo-monopolistique : c’est dans ce but que Rio Tinto a racheté pour plus de 38 milliards de $ le canadien Alcan en 2007, devenant ainsi le n°1 mondial de l’aluminium, pour revendre en 2011 l’activité produits usinés (Alcan EP) au fond d’investissement américain Apollo (51%) et au Fond Stratégique d’Investissement français (10%) qui a ainsi récupéré une partie du contrôle de l’entreprise d’aluminium française Pechiney qui avait été achetée par Alcan. La localisation de la production et des ventes chez Rio Tinto témoigne d’une firme qui fonctionne encore sur le mode de l’exploitation dans un contexte géo-économique mondial très déséquilibré : l’essentiel de sa production est polarisée sur l’Australie, ce qui explique la délégation de son siège à Melbourne, alors que ses ventes sont centrées sur la Triade et l’Asie en développement. Encore très marquée par son origine anglo-saxone (Amérique du Nord, Australie), l’image d’une firme organisée selon la logique du pillage de matières premières au profit du Nord reste collée à Rio Tinto dont la stratégie économique est l’intégration transnationale en filière verticale. Des partenariats avec la Chine et une redéfinition de son image en intégrant davantage de RSE (Responsabilité Sociale de l’Entreprise) semblent incontournables pour s’ouvrir de nouveaux marchés.

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Page 1: GEOPOLITIQUE ECS1 1 MODULE II – Thème 1 – CHAPITRE 1

GEOPOLITIQUE ECS1 1 MODULE II – Thème 1 – CHAPITRE 1 Fiche 4. Des stratégies différenciées selon les secteurs d’activités. Exemples d’entreprises mondialisées. Chaque entreprise ci-dessous est présentée à l’aide d’une carte et d’une explication de sa stratégie. A partir de ces exemples, vous pouvez extrapoler aux entreprises des secteurs concernés. 1. Rio Tinto-Alcan : la stratégie classique d’une firme de transformation traditionnelle Rio Tinto est une firme d’extraction minière créée au Royaume-Uni pour exploiter les mines espagnoles de cuivre en 1872, d’où elle tient son nom. Elle est, avec VALE (Brésil), BHP Billiton (R.U), et Anglo american (Afrique du Sud-R.U), l’une des quatre plus importantes firmes minière au monde. Le secteur minier présente trois spécificités qui en font un secteur très stratégique :

• L’exploitation de ressources naturelles non renouvelables par définition immobiles et situées sur des territoires souverains oblige ces entreprises à accepter certains compromis avec les Etats.

• L’activité est dépendante du contexte technologique, économique et commercial continental et mondial. • Le secteur est particulièrement sensible à la conjoncture économique et aux crises géopolitiques avec des

variations de cours très violents. Ces données connues, Rio Tinto-Alcan doit, comme les autres entreprises du secteur, développer des stratégies multiples :

• Equilibrer les ressources exploitées entre les régions instables (Afrique, Indonésie) et les régions à l’équilibre plus sûr (Australie, Canada, Etats-Unis).

• Mettre en œuvre une diversification géographique pour compenser d’éventuelles crises régionales et servir tous les marchés.

• Mettre en œuvre une diversification sectorielle afin de lisser les crises sectorielles. • Arbitrer entre le maintien d’une position dominante par la concentration et la formation d’un conglomérat

et se spécialiser sur un créneau étroit pour acquérir une position sectorielle oligo-monopolistique : c’est dans ce but que Rio Tinto a racheté pour plus de 38 milliards de $ le canadien Alcan en 2007, devenant ainsi le n°1 mondial de l’aluminium, pour revendre en 2011 l’activité produits usinés (Alcan EP) au fond d’investissement américain Apollo (51%) et au Fond Stratégique d’Investissement français (10%) qui a ainsi récupéré une partie du contrôle de l’entreprise d’aluminium française Pechiney qui avait été achetée par Alcan.

La localisation de la production et des ventes chez Rio Tinto témoigne d’une firme qui fonctionne encore sur le mode de l’exploitation dans un contexte géo-économique mondial très déséquilibré : l’essentiel de sa production est polarisée sur l’Australie, ce qui explique la délégation de son siège à Melbourne, alors que ses ventes sont centrées sur la Triade et l’Asie en développement. Encore très marquée par son origine anglo-saxone (Amérique du Nord, Australie), l’image d’une firme organisée selon la logique du pillage de matières premières au profit du Nord reste collée à Rio Tinto dont la stratégie économique est l’intégration transnationale en filière verticale. Des partenariats avec la Chine et une redéfinition de son image en intégrant davantage de RSE (Responsabilité Sociale de l’Entreprise) semblent incontournables pour s’ouvrir de nouveaux marchés.

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GEOPOLITIQUE ECS1 2 MODULE II – Thème 1 – CHAPITRE 1 2. Michelin : l’évolution des stratégies du numéro 1 mondial du pneumatique L’entreprise Michelin est une entreprise mondiale au sens où elle est présente sur tous les continents : au 31 décembre 2012, 113 400 employés, 69 sites de production dans 18 pays et une présence commerciale dans plus de 170 pays. Michelin correspond donc tout à fait à la définition d’une firme mondialisée. Michelin a su se hisser dans l’oligopole des trois grandes firmes qui dominent ce secteur. Représentatif de l’organisation économique mondiale, le marché du pneumatique est partagé entre Goodyear (Etats-Unis), Michelin (France) et Bridgestone (Japon), c‘est à dire un groupe par zone géographique de la Triade. Pourtant, Michelin est une entreprise dont l’ancrage national et régional reste fort, qui a maintenu son siège social à Clermont-Ferrand, et dont le capital reste majoritairement détenu par la famille Michelin. C’est donc un cas à la fois emblématique et atypique. La construction du groupe mondial s’est faite à la fois par une stratégie d’innovation et une stratégie de localisation :

• Dans un marché du pneumatique qui s’est banalisé au XXe siècle en même temps que l’automobile, Michelin a toujours su innover en consacrant au moins 5% de son chiffre d’affaires à la R&D : innovations technologiques mais aussi marketing avec la création du Bibendum en 1898, des guides touristiques ou d’évènements sportifs. Jouant sur la compétitivité produit, Michelin vend des produits considérés comme plus chers mais de meilleure qualité, surmontant ainsi la concurrence des entreprises à bas coût sur un produit associé à la sécurité.

• En lien avec l’innovation, Michelin a su diversifier son activité pour s’adapter à l’évolution de la demande. Partisan de l’intégration verticale, le groupe Michelin a ainsi racheté le fabricant allemand de roues Kronprinz en 1997 et a signé un joint-venture avec Wocco, fabricant de pièces automobiles allemand. Il s’est ainsi adapté à la nouvelle demande des fabricants automobile qui externalisent leur production, réclamant des systèmes de roue complets plutôt que des pneus. De la même façon, Michelin a réussi à imposer son système dit « auto-porteur » qui permet de rouler avec une crevaison en signant des partenariats avec ses concurrents (échange de brevets) et les constructeurs. Dans le même temps, Michelin fait l’acquisition de distributeurs spécialisés (Euromaster), poursuivant sa stratégie d’intégration verticale.

• Le secteur du pneumatique étant très dépendant du marché de l’automobile, Michelin a aussi développé une stratégie d’internationalisation progressive de son appareil productif. Celle-ci suit les évolutions du marché mais aussi les conditions géopolitiques : La firme doit par exemple abandonner son exploitation de plantations d’hévéas (gomme naturelle encore utilisée en combinaison avec le caoutchouc synthétique) au Vietnam en 1975 à cause de la guerre et relocaliser ses plantations au Brésil et au Nigéria.

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GEOPOLITIQUE ECS1 3 MODULE II – Thème 1 – CHAPITRE 1 Aujourd’hui, Michelin oriente sa stratégie sur deux fronts, adaptés à l’évolution des marchés :

• Spécialisation des usines et offre diversifiée et haut de gamme dans les marchés dits « matures ». La réduction des coûts et la spécialisation entraine la fermeture de sites et le remplacement progressif d’une main d’œuvre peu qualifiée par une main d’œuvre qualifiée, avec des conséquences sociales dans les pays industrialisés : fermetures de sites, licenciement de personnels non qualifiés, et donc précaires.

• Conquête des nouveaux marchés par le développement de joint-ventures avec des partenaires locaux : accord avec Shanghai Tyre signé en 2001, premier manufacturier (fabricant de pneus) chinois. Depuis, le groupe a amplifié sa présence en Chine avec 6 000 employés et 4 sites de production. Là-encore, cette stratégie produit des dégâts sociaux avec la fermeture de l’usine aux Philippines en 2001.

Sur une organisation familiale et des stratégies traditionnelles, la firme manufacturière Michelin a su s’insérer dans la compétition mondiale dans un secteur ancien et très concurrentiel. Cela montre qu’il n’y a ni fatalité, ni modèle absolu, pour maintenir des sites industriels dans les PDEM. 3. Les firmes de l’électronique : un nouveau paradigme productif qui conduit à la fable enterprise L’industrie informatique et électronique mondiale s’organise selon quatre grands caractères :

• Une croissance exceptionnelle portée par des innovations permanentes, un raccourcissement du délai entre innovation et commercialisation, l’obsolescence rapide des produits et l’instabilité induite des marchés.

• Une forte diversité sectorielle qui conduit naturellement à la décomposition de la chaîne de production. • Une grande capacité à segmenter techniquement et fonctionnellement son processus industriel pour isoler

les activités à caractère hautement technologique. • La remontée vers l’amont de la valeur ajoutée du fait de la numérisation croissante des équipements.

La production mondiale demeure très polarisée sur les Etats de la Triade mais une diffusion spatiale rapide est à l’œuvre vers les dragons asiatiques, les pays émergents d’Asie, et les maquiladoras mexicaines. Cette diffusion, visible massivement depuis les années 1980, s’explique par l’abandon progressif par les grandes firmes de la Triade (IBM, Cisco, HP, Dell, Lucent, Alcatel, Motorola, Ericsson, Nokia, NEC, Apple,…) des fonctions productives banalisées pour se renforcer dans les activités plus abstraites de conception, R&D, marketing et ventes, jusqu’à en faire leur core business. Cette externalisation a renforcé une segmentation fonctionnelle, technique et sociale, déjà considérable mais jusqu’ici réalisée en interne. Géographiquement, celle-ci a aussi basculé de l’échelle nationale à l’échelle réellement mondiale. Cette segmentation a eu pour conséquence l’abandon, par les grands groupes américains, européens et japonais, de leur responsabilité sociale qui s’est diluée dans le transfert à des firmes sous-traitantes anonymes pour le grand public : les Contract Manufacturers. Outre les conséquences sociales liées aux pertes d’emplois massives, cet abandon de responsabilité prend une part non négligeable dans les critiques portées au phénomène de mondialisation, à travers ces grandes firmes, par les sociétés civiles des pays industrialisés. Aujourd’hui, une dizaine de grands Contract Manufacturers (CM), pour la plupart inconnus du grand public, dominent la production électronique à la tête de réseaux de sous-traitance employant des milliers de sous-groupes, eux-mêmes sous-traitants. Foxconn, Flextronics, Celestica, Sanmina-SCI, Jabil, Elcoteq, Onyx EMS, Benchmark Electronics, Plexus, etc… sont des noms qui n’apparaissent que sur les composants. Il faut donc démonter les appareils électroniques pour comprendre comment s’organise ce secteur ! Cette organisation à plusieurs conséquences :

• La fonte des effectifs des groupes donneurs d’ordre, qui n’emploient plus qu’une main d’œuvre hautement qualifiée dans des activités de conception.

• La généralisation d’une politique de compression des coûts, exigée à chaque niveau de sous-traitance, qui conduit à un recours massif à l’emploi précaire, peu qualifié et aux bas salaires.

La décomposition du processus de production réduit les entreprises aux fonctions de conceptions et aux points de vente, sans que la fabrication du produit n’apparaisse puisque celle-ci est dissoute dans une chaîne de sous-traitance impossible à représenter sur une carte. Les firmes-réseaux de type fable enterprise (traduit par « entreprises sans usines ») sont donc complexes à cartographier mais on peut cependant comprendre le nouveau système productif en décomposant la fabrication du produit. L’exemple de l’Iphone est bien connu : l’apport scientifique et technologique est essentiellement issu de la Triade alors que l’assemblage est fait en Chine. La distribution du produit marque aussi une forte différenciation à l’échelle mondiale. Du fait des contraintes techniques, le transfert de main d’œuvre est cependant très sélectif du fait d’un minimum d’exigence de qualification. Outre l’Asie émergente, seuls le Mexique, le Brésil et certains pays d’Europe de l’Est en bénéficient. Il en va de même pour les marchés de distribution qui exigent un pouvoir d’achat élevé même si l’on assiste à une démocratisation du téléphone mobile.

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4. Les firmes textiles : le rêve capitaliste de « l’entreprise sans usines » prend corps Initié par Nike dès les années 1970, le paradigme de la fable enterprise se généralise aux autres grandes firmes textiles dans les années 1980 et 1990, puis aux centrales d’achat internationales et à la grande distribution. Créateur de cette forme aboutie de firme mondialisée, Nike présente ainsi une structure polarisée sur trois sites américains : Beaverton dans l’Oregon (direction, gestion, design, R&D), Saint-Louis (laboratoires, assurance-qualité), Memphis (commercialisation). Des centres de gestion régionaux (Canada, Pays-Bas, Hong-Kong) complètent les établissements de la marque qui n’emploie pas plus de 20 000 salariés, dont aucun ouvrier. On voit donc se dessiner la fameuse « entreprise sans usines ». Les usines existent pourtant puisque Nike s’appuie sur un réseau de firmes sous-traitantes à l’échelle mondiale, organisées en réseau, qui emploient plus de 500 000 salariés. La géographie de ces salariés est révélatrice de l’organisation de cette nouvelle DIT fondée sur la mobilisation d’une main d’œuvre jeune, à 80% féminine, peu qualifiée et rémunérée le plus faiblement possible. 90% des emplois se trouvent dans les pays du Sud dont 84% en Asie orientale (1/3 en Chine). Le dégagement d’une marge très élevée (une paire de chaussure standard est fabriquée, tous frais payés, pour moins de 5$, revendue à un prix au moins 10 fois supérieur), permet à l’entreprise de mobiliser des sommes considérables pour la communication sur un marché très sensible à l’image véhiculée par les marques. Nike peut ainsi compenser, par le marketing, les aléas importants de son système : qualité des produits inégale, chaîne logistique fragile, campagnes d’information et de dénonciation régulières organisées par les syndicats et les ONG. Le système Nike est utilisé par l’ensemble des firmes de ce secteur (Adidas-Reebok, Warnaco, Sara Lee, Levi Strauss) et de la grande distribution. L’abandon en 2008 pour la Chine, des accords multifibres, a accentué cette division internationale du travail dans le secteur textile. Les négociations ont toutefois permis de diversifier les zones de production en les étendant au bassin méditerranéen et caribéen, avec les conséquences sociales induites…

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GEOPOLITIQUE ECS1 6 MODULE II – Thème 1 – CHAPITRE 1 5. Walmart : numéro un mondial de la distribution grâce au marché américain Fondée en 1962 dans le Sud rural des États-Unis (Arkansas), Walmart est aujourd’hui la plus grande société commerciale du monde : son chiffre d’affaires atteint 485 milliards de dollars par an, elle a ouvert plus de 6000 supermarchés dans le monde dont 80 % sur le territoire américain, elle compte 1.9 million de salariés et elle est le plus grand employeur privé du Mexique, du Canada et des États-Unis. Son fondateur, Sam Walton (1918-1992), est l’homme le plus riche d’Amérique dès 1985 et la fortune de ses héritiers réunis supérieure à celle de Bill Gates. Le poids pris par le distributeur en moins de cinquante ans lui octroie une influence politique et économique rare, surtout dans le camp républicain. L’implantation des supermarchés durant l’après-guerre contribue à reconfigurer le plan des agglomérations américaines, et le salaire minimum réel, comme les conditions d’emploi dans le monde des services, sont plus ou moins fixés par les pratiques de l’employeur Walmart. Sa place sur le marché lui permet de définir les contours de la consommation et de la culture populaires. Enfin, les importations de produits manufacturiers en provenance de Chine et de dix autres pays transforment les relations avec ses fournisseurs en de véritables rapports diplomatiques. Chaque année, 230 000 containers traversent l’Océan Pacifique pour fournir les supermarchés de la marque. Pour le capitalisme mondial, Walmart est bien « l’entreprise-modèle ».

La stratégie du leader de la distribution repose sur l’investissement de la firme dans les innovations technologiques et logistiques au service d’une organisation centralisée. Le fonctionnement se base sur la réduction inexorable des coûts du travail et sur la fondation d’une identité d’entreprise spécifique :

• Le distributeur possède le plus grand réseau privé de communication par satellite des États-Unis. Ce système lui permet d’exercer un contrôle très fort depuis son siège social situé à Bentonville dans l’Arkansas. L’ensemble des consignes en matière de management ou d’exposition des articles en magasin est transmis du siège vers les points de vente, et seul le siège décide de l’attribution des gammes de produits et des commandes. Par exemple, le thermostat du chauffage ou de la climatisation de chaque magasin est actionné depuis le siège social.

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• L’organisation centralisée de la firme mise sur une gestion des commandes à flux tendu. Ajouté au pouvoir de négociation considérable dont profite l’enseigne, ce système met une pression supplémentaire sur les fournisseurs, et notamment sur ses 3000 producteurs chinois.

• Les investissements en matière de nouveaux systèmes logistiques sont associés à la promotion d’une politique d’emploi particulière. L’empire s’est constitué sur un territoire rural, pauvre, blanc et non-syndiqué. La révolution agricole dépeuplant les fermes et la construction routière des années 1950, condamnant les petits commerçants à des emplacements souvent mal-situés, contribuèrent à l’existence d’une première main d’œuvre disponible pour Sam Walton. Contournant la réglementation sur le salaire minimum et sur les heures supplémentaires, l’employeur lance dans le même temps un programme d’intéressement dont les conditions sont si restrictives que les employés n’en profitent jamais.

• Pourtant, Walmart présente certains aspects du capitalisme-providence du XIXe siècle qui permet de développer une forte culture d’entreprise et l’image d’une petite entreprise populaire. Cette image est entretenue par un recrutement local, qui cache en fait une réalité liée à la politique salariale du groupe : dépossédés des tâches à responsabilité et peu rémunérés, les postes d’encadrement n’attirent guère les étudiants des business schools. La solution de Walmart a consisté à recruter de jeunes managers issus des universités confessionnelles du sud et des universités de seconde zone que l’entreprise rémunère moins bien.

On comprend les difficultés du géant américain pour exporter son modèle, notamment en Europe. Son modèle d’organisation dépend trop largement de la force ou de la faiblesse du droit du travail du pays concerné. Le modèle Walmart, qui a étendu ses approvisionnements au monde, perce difficilement en Asie et en Amérique du Sud depuis les années 2000. Cette stratégie cible les marchés porteurs et les régions motrices dans des pays où l’entreprise ne risque pas de rencontrer trop de résistances sociales. Les moyens de cette internationalisation sont triples : gagner rapidement des parts de marché, bénéficier des expériences locales en rachetant des firmes locales, se mouler dans le paysage local en exploitant des marques déjà distribuées. Les difficultés du développement à l’international expliquent donc l’adaptation contrainte du modèle : un paradoxe pour une firme régulièrement classée dans les premiers rangs des firmes multinationales… 6. Vodafone : la construction d’un système mondial dans la téléphonie Fondé en 1982 au Royaume-Uni, mais indépendant depuis seulement 1991, Vodafone apparaît comme une des firmes les plus internationalisées. C’est le second opérateur mondial derrière China Mobile. Par son rapide développement et sa rapide extension au monde, cette entreprise, par définition constituée en réseau puisqu’elle met à la disposition de ses clients un réseau de télécommunications, témoigne du lien entre mondialisation et développement des NTIC. Le secteur des télécommunications est un bon exemple des tensions entre approche réticulaire et territoriale, auxquelles sont confrontées les firmes mondialisées. L’internationalisation dans le secteur des télécommunications passe obligatoirement par la conquête de marchés nationaux très cloisonnés : les barrières linguistiques, les habitudes culturelles, s’ajoutent aux contraintes administratives nombreuses imposées par les Etats sous la forme d’autorités nationales de régulation des télécommunications. Le secteur de la téléphonie impose donc des investissements considérables (achat de licence, constitution d’un réseau) qui doivent être rapidement rentabilisées par la conquête des marchés. Ce risque élevé explique la grande instabilité de ce secteur, renforcé par le caractère limité dans le temps des licences accordées. Face à ces contraintes multiples, Vodafone est parvenu à développer une stratégie efficace fondée sur trois axes :

• Le développement de partenariats avec des acteurs locaux pour réduire les coûts d’entrée sur un nouveau marché.

• L’internationalisation vers les marchés émergents pour échapper à la saturation et à la concurrence des pays avancés : suréquipement, baisse du prix des télécommunications, exigences des autorités nationales de régulation, améliorations techniques permanentes pour répondre aux nouvelles pratiques (son, images, wifi, Internet haut débit, etc…)

• L’organisation d’un réseau cohérent à l’échelle mondiale qui lui permet à la fois de s’adapter aux demandes différentes des marchés sur lesquels l’entreprise est présente, et de répondre aux besoins de mobilité internationale des consommateurs qui acceptent de moins en moins les ruptures de réseaux.

L’organisation de l’entreprise est multiscalaire : un réseau mondial, décomposé en zones géographiques continentales ou semi-continentales qui regroupent des marchés nationaux cloisonnés. L’implantation géographique de centres de recherche et développement multiples répond à trois objectifs :

• Tenir compte des différentes normes techniques et habitudes économiques et culturelles. • Développer des produits mondiaux en y intégrant les différentes attentes. • Construire progressivement un système international et multiculturel de télécommunication.

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GEOPOLITIQUE ECS1 8 MODULE II – Thème 1 – CHAPITRE 1 Vodafone est cependant un cas particulier dans ce secteur. En raison des mêmes contraintes, les groupes de téléphonie tentent plutôt de constituer des systèmes d’alliances technologiques et commerciales non capitalistiques sur le modèle du transport aérien. La firme Vodafone, elle-même, est contrainte à ces alliances.

7. Merrill Lynch : une Firme à Finalité Financière mondiale Alors qu’elles apparaissent comme l’expression ultime d’une « économie virtuelle » détachée des contraintes territoriales, les grandes banques mondiales sont au contraire, extrêmement dépendantes des enjeux territoriaux pour leurs activités. L’oligopole financier mondial est dominé par une dizaine de firmes essentiellement anglo-saxonnes dont les sièges sont à New York et à Londres : Goldman Sachs, Rothschild, JPMorgan, Morgan Stanley, Lazard, Crédit Suisse ou Deutsche Bank notamment. Elles assurent les rôles de banque haut de gamme pour quelques privilégiés, de banque d’affaires au sens strict (introduction en bourse, levées d’emprunts publics et privés, financement des dettes), d’audit et de conseil (fusions-acquisitions, montages de portefeuilles). On peut relever quatre formes d’attachement territorial pour ces firmes :

• Les ressources qu’elles drainent sont produites par des populations et des territoires • Leurs clients sont ancrés dans des structures territoriales régionales (pays, régions) ou réticulaires

(entreprises). • Leurs fonctions exigent des relations de confiance et de confidentialité qui reposent sur des liens

interpersonnels que seule la proximité géographique permet. • Leur succès est dû, pour l’essentiel, à leur capacité à jouer des différenciations territoriales à l’échelle

mondiale : taux de change, taux d’intérêts, droit fiscaux. Elles développement donc des stratégies de développement qui intègrent des considérations spatiales. Parmi elles, la banque Merrill Lynch, aujourd’hui devenue la banque d’investissements de Bank of America depuis son rachat le 15 septembre 2008 suite à la crise des subprimes, fournit un bon exemple de cette stratégie territoriale :

• Fondée en 1914, Merrill Lynch a construit sa puissance sur le drainage de l’épargne des classes moyennes américaines des années 1920 aux années 1960. Elle s’est donc développée sur un vaste

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actionnariat populaire en multipliant les agences et les bureaux de placement dans les villes moyennes américaines. Elle dispose, de ce fait, d’un fort ancrage territorial étatsunien ce qui explique les efforts déployés par le gouvernement américain pour lui éviter la faillite en 2008.

• A partir des années 1980, dans le contexte de globalisation financière, la firme a fortement internationalisé ses activités pour être présente aujourd’hui dans plus de 40 Etats différents.

• Son mode d’organisation est à la fois sectoriel et continental pour s’adapter aux spécificités de ses clientèles sur les marchés. L’intégration mondiale concerne la circulation du capital.

Son organisation actuelle est difficile à connaître exactement puisqu’elle dépend du réseau Bank of America. En faisant référence à son organisation avant la crise montrée par la carte, on peut toutefois avoir une idée du réseau actuel qui n’a pas été fondamentalement modifié même s’il a été intégré à celui de Bank of America.

La carte de l’organisation de la banque montre une stratégie à la fois spatiale et réticulaire, adaptée à la structure maillée du monde actuel :

• Une polarisation sur les centres de décision de l’économie mondiale et les espaces les plus riches : grands espaces métropolitains et leurs annexes. On retrouve « l’anneau financier » : New-York-Tokyo-Hong-Kong-Bombay-Dubaï-Londres.

• Un quadrillage mondial qui permet de drainer efficacement le capital depuis les paradis fiscaux (Monaco, Ile de Man), les métropoles des pays émergents (Johannesburg, Sao Paulo, Santiago du Chili, Manille) et les places financières traditionnelles du « Sud » (Panama City, Beyrouth et Dubaï, Kuala Lumpur).

• Des espaces « gris », de la misère et du risque financier, sur lesquels la banque doit néanmoins développer son activité. Il s’agit notamment de l’Afrique dont la croissance régulière depuis plus d’une décennie ouvre des perspectives intéressantes.