géographie de strabon

Upload: hilladeclack

Post on 04-Apr-2018

226 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

  • 7/29/2019 Gographie de Strabon

    1/27

    Gographie de Strabon Accueil Gographie antique Strabon Cartes Prsentation Sommaire

    XV, 1 - L'Inde

    Carte Spruner (1865)

    Pour complter notre description de l'Asie, nous n'avons plus parler que de la rgion sise en

    dehors du Taurus (la Cilicie, la Pamphylie et la Lycie exceptes) ; en d'autres termes, nousn'avons plus dcrire que l'espace compris entre l'Inde et le Nil d'une part, entre le Taurus et lamer Extrieure ou mer Australe de l'autre. Puis il y a la Libye qui fait suite immdiatement l'Asie. Mais nous traiterons de la Libye plus loin ; prsentement c'est par l'Inde qu'il nous fautcommencer, vu qu'elle s'offre nous la premire du ct de l'Orient et qu'elle est la plus grande[des contres appartenant la rgion ecto-Taurique].

    2. Au pralable, nous rclamerons l'indulgence du lecteur pour ce que nous avons dire del'Inde. L'Inde est un pays si recul ! Il y a si peu de Grecs jusqu'ici qui aient pu l'explorer !Ajoutons que ceux-l mmes qui l'ont vue n'en ont vu que des parties et ont parl de tout le restesur de simples ou-dire ; que le peu qu'ils ont vu, ils l'ont mal vu, en courant, la faon de soldatsqui traversent un pays sans s'arrter ; qu'on s'explique par l comment les mmes choses ne

    sont pas dpeintes de mme dans des Histoires crites toutes soi-disant avec la plusscrupuleuse exactitude par des frres d'armes, par des compagnons de voyage (ce qui est le casde tous ceux qui suivirent Alexandre la conqute de l'Inde) ; comment il arrive mme que leplus souvent ces auteurs disent tout le contraire les uns des autres. Or, si leurs rcits diffrent ce point sur les choses qu'ils ont vues, que penser de celles qu'ils nous transmettent sur desimples informations ?

    3. On pourrait croire au moins que les historiens qui longtemps aprs ont eu occasion de parlerde l'Inde, que les navigateurs qui y ont abord de nos jours, sont plus exacts dans lesrenseignements qu'ils nous donnent, il n'en est rien pourtant. Prenons pour exemple Apollodore,qui, dans ses Parthiques, parle naturellement du dmembrement du royaume de Syrie et del'insurrection de la Bactriane enleve par des chefs grecs aux descendants de Sleucus Nicator :il raconte bien comment ces mmes chefs en vinrent par l'accroissement de leur puissance

    attaquer l'Inde elle-mme ; mais, pour ce qui est des notions prcdemment acquises sur cepays, nul claircissement attendre de lui ; loin de l, il n'en tient nul compte et affirmera, par

    http://www.mediterranees.net/index.htmlhttp://www.mediterranees.net/geographie/index.htmlhttp://www.mediterranees.net/geographie/strabon/index.htmlhttp://www.mediterranees.net/geographie/strabon/cartes.htmlhttp://www.mediterranees.net/geographie/strabon/presentation.htmlhttp://www.mediterranees.net/geographie/strabon/sommaire.htmlhttp://www.mediterranees.net/geographie/strabon/cartes.htmlhttp://www.mediterranees.net/geographie/index.htmlhttp://www.mediterranees.net/geographie/strabon/index.htmlhttp://www.mediterranees.net/geographie/strabon/cartes.htmlhttp://www.mediterranees.net/geographie/strabon/presentation.htmlhttp://www.mediterranees.net/geographie/strabon/sommaire.htmlhttp://www.mediterranees.net/geographie/strabon/cartes.htmlhttp://www.mediterranees.net/index.html
  • 7/29/2019 Gographie de Strabon

    2/27

    exemple, en contradiction formelle avec ce qu'on sait, que ces rois grecs de la Bactrianeconquirent une plus grande tendue du territoire indien que n'avait fait l'arme macdonienne etqu'Eucratidas notamment y possdait jusqu' mille villes. Il oublie qu'au rapport des ancienshistoriens il existait, rien que dans l'espace compris entre l'Hydaspe et l'Hypanis, jusqu' neufnations distinctes, lesquelles possdaient cinq mille villes toutes plus grandes que Cos Meropis,et que cette immense contre fut conquise par Alexandre et cde par lui Porus.

    4. Quant aux marchands qui, de nos jours, se rendent de l'Egypte dans l'Inde par la voie du Nil etdu golfe Arabique, on pourrait compter (tant ils sont rares !) ceux qui ont rang les ctes de l'Indejusqu'au Gange. C'tait d'ailleurs tous gens sans ducation et incapables par consquent denous renseigner utilement sur la disposition des lieux. D'autre part que nous a envoy l'Inde ? entout et pour tout, une ambassade charge pour Csar Auguste des prsents et hommages d'uneseule de ses provinces [la Gandaride] et d'un seul de ses rois Porus III, et un de ses sophistesqui est venu mourir sur un bcher dans Athnes et renouveler ainsi le spectacle donn jadis parCalanus Alexandre.

    5. A dfaut de ces sources d'information, consulterons-nous au moins les traditions antrieures la conqute d'Alexandre, les tnbres s'paississent encore. Qu'Alexandre ait ajout foi ces

    antiques traditions, la chose se conoit la rigueur, vu l'enivrement o l'avait jet une tellecontinuit de succs ; et il n'y a rien qui choque la vraisemblance dans cette affirmation deNarque que, si Alexandre ramena son arme par la Gdrosie, ce fut par mulation et pour avoirentendu raconter comment Smiramis et Cyrus, aprs avoir attaqu l'Inde, avaient d battre enretraite aussitt et s'enfuir, Smiramis avec vingt compagnons en tout, et Cyrus avec sept : iltrouvait beau apparemment, l o ces deux puissants monarques avaient prouv un tel revers,d'avoir su garder son arme intacte et de l'avoir ramene triomphante travers les mmespeuples et les mmes contres. Oui, on conoit qu'Alexandre ait pu croire de semblables rcits.

    6. Mais nous ! o serait notre excuse, si nous prtendions toute force tirer d'expditions commecelles de Cyrus et de Smiramis quelques notions positives sur la gographie de l'Inde ?Mgasthne cet gard semble penser comme nous, car il invite ses lecteurs se dfier des

    antiques traditions relatives l'Inde, par la raison que l'Inde n'a jamais envoy au dehors degrande expdition et qu'en fait d'attaques extrieures et d'invasions, elle n'a subi que la doubleconqute d'Hercule et de Bacchus, et, dans les temps modernes, la conqute des Macdoniens.Mgasthne avoue que l'Egyptien Ssostris et l'Ethiopien Tarcon poussrent leurs conqutesjusqu'en Europe, que Nabocodrosor, ce hros que les Chaldens lvent au-dessus d'Herculelui-mme, pntra, comme Hercule, jusqu'au dtroit des colonnes, o Tarcon du reste avait djatteint ; que Ssostris conduisit son arme victorieuse du fond de l'Ibrie aux confins de laThrace et aux rivages du Pont ; qu'enfin le Scythe Idanthyrse courut toute l'Asie et toucha lafrontire d'Egypte ; mais il nie en mme temps qu'aucun de ces conqurants ait mis le pied sur lesol indien. Quant Smiramis, elle serait morte, parat-il, avant mme d'avoir tent l'entreprisequ'on lui prte. Suivant lui aussi, les Perses, qui faisaient venir les Hydraques de l'Inde pour lesemployer comme mercenaires dans leurs armes, n'auraient jamais envahi le territoire indien etn'auraient fait qu'en approcher lors de l'expdition de Cyrus contre Ies Massagtes.

    7. Ajoutons que la double conqute d'Hercule et de Bacchus, admise comme vraie parMgasthne et un petit nombre d'crivains, est rpudie elle-mme par la plupart des historiens(Eratosthne tout le premier), qui la qualifient d'absurde et de fabuleuse et l'assimilent tantd'autres fictions que le culte de ces deux divinits a accrdites parmi les Grecs. On se rappelleles fanfaronnades de Dionysos dans les Bacchantes d'Euripide (V, 13) :

    Laissant alors derrire moi les plaines aurifres de la Lydie, je franchis et les chaudescampagnesdes Phrygiens et des Perses, et l'enceinte de Bactres, et l'pre pays des Mdes,et l'heureuse Arabie et l'Asie tout entire.

    On se rappelle aussi le dithyrambe en l'honneur de Nysa, ce mont sacr de Bacchus, queSophocle met dans la bouche d'un de ses personnages :

  • 7/29/2019 Gographie de Strabon

    3/27

    De la place o j'tais, j'apercevais Nysa, premier thtre jamais glorieuxdes fureurs bachiques, Nysa en qui Iacchus au front arm de cornes aime etvnre son riant berceau, Nysa o l'on se demande s'il est un chant d'oiseau,un seul, qui manque au joyeux concert.

    On connat la suite du passage. On connat aussi ces vers d'Homre sur Lycurgue l'Edonien :

    A la vue de Bacchus en dlire il poursuit sur les cimes sacres du Nysum les nourrices dudivin enfant (Il. VI, 132).

    Toutes les fictions concernant Bacchus sont dans le mme got. Quant aux fictions relatives Hercule, s'il en est dans le nombre qui nous le montrent poussant ses conqutes dans ladirection diamtralement oppose celle qu'avait suivie Bacchus, c'est--dire seulementjusqu'aux bornes occidentales de la terre, d'autres lui font parcourir tour tour l'Orient etl'Occident.

    8. Telles qu'elles sont, ces fictions ont t mises profit ; on s'en est autoris, par exemple, pourappeler du nom de Nysens l'un des peuples de l'Inde, en mme temps qu'on donnait le nom deNysa la capitale de ce peuple fonde soi-disant par Dionysos, et le nom de Mros lamontagne qui la domine. On avait vu crotre sur le territoire de ce peuple la fois le lierre et lavigne, le prtexte parut suffisant ; et, pourtant, la vigne en ces lieux ne produit jamais, les pluiestrop abondantes font couler le raisin avant qu'il soit arriv maturit. On nous reprsentetoujours aussi la nation des Sydraques comme issue de Dionysos. Pourquoi ? parce que la vignecrot galement chez eux et qu'on retrouve certains dtails de la pompe bachique dans lesmagnificences que dploient leurs rois lorsqu'ils sortent, soit pour une expdition militaire, soitpour tout autre motif, au bruit des tambours et revtus de la longue robe fleurs brodes (usagecommun pourtant tous les peuples de l'Inde). Certaine roche Aornos, dont l'Indus encore voisinde ses sources baigne le pied et qu'Alexandre avait prise d'emble, fut cense avoir soutenujadis et repouss un triple assaut d'Hercule : il fallait bien rehausser la gloire du conqurant ! Onvoulut aussi reconnatre dans les Sibes les descendants mmes des compagnons d'Hercule,

    sous prtexte que ce peuple avait conserv comme autant d'indices de sa noble origine l'usagede se vtir de peaux de btes ainsi que faisait Hercule, et cet autre usage de porter la massue etd'imprimer chaud la figure d'une massue en guise de marque sur tous les bestiaux leurappartenant, boeufs et mulets. On fit plus, on se servit pour tayer ces fables des traditionsrelatives au Caucase et Promthe, transportes tout exprs des bords du Pont ici sur un bienmince prtexte, la rencontre chez les Paropamisades d'une grotte ou caverne sacre. De cettecaverne on fit la prison de Promthe ; on prtendit qu'Hercule tait venu jusqu'ici pour oprer sadlivrance, et, comme pour les Grecs le Caucase est le thtre consacr du supplice dePromthe, il fut dcid que le Paropamisus tait le vrai Caucase.

    9. Que ce soient l de pures inventions, personnelles ceux qui cherchaient flatter Alexandre,la chose est indubitable et ressort d'une double preuve : 1 il n'existe aucun accord entre les

    historiens et ce qui se lit dans les uns n'est pas mme mentionn par les autres ; or il n'est gureprobable que des historiens (et notez que nous parlons prcisment des plus srieux, des plusautoriss) aient pu ignorer des dtails si glorieux et si propres rehausser l'clat de la conqute,ou que, les ayant connus, ils les aient jugs indignes d'tre relats ; 2 aucun des paysintermdiaires que Bacchus et Hercule avaient eus ncessairement traverser pour parvenirjusqu' l'Inde n'a conserv un seul monument qui puisse attester srement leur passage.Ajoutons que le costume attribu Hercule [conqurant de l'Inde] date d'une poque bienpostrieure la guerre de Troie, et a d tre imagin par un des auteurs de l'Hracle, Pisandreou quelque autre, les plus anciennes statues du dieu le reprsentant tout diffremment.

    10. Ici donc, comme toujours en pareil cas, il faut accepter ce qui s'loigne le moins de lavraisemblance. Enfin nous-mme, nous avons dj eu occasion, dans les premiers livres de

    notre Gographie, de soumettre un examen critique tout ce qui a t dit ce sujet ; nousl'avons fait de notre mieux et dans la mesure du possible. Or ce sont l des matriaux tout prtsque nous avons sous la main, servons-nous-en donc actuellement encore en nous bornant

  • 7/29/2019 Gographie de Strabon

    4/27

    ajouter quelques documents nouveaux l o quelque claircissement nous paratra ncessaire.De cet examen il rsultait pour nous, en somme, que de tous les crits sur l'Inde celui qui mritaitle plus de crance tait le tableau sommaire que, dans le III livre de sa Gographie, Eratosthnea trac de la contre appele Inde au moment de l'invasion d'Alexandre et quand l'Indus formaitencore la ligne de dmarcation entre elle et l'Arian, province plus occidentale appartenant l'empire des Perses ; car plus tard,du fait des Macdoniens, l'Inde s'est accrue d'une grande

    partie de l'Arian. Laissons donc parler Eratosthne.

    11. L'Inde, dit-il, a pour limites : au nord, l'extrmit du Taurus comprise entre l'Arian et la merOrientale et dsigne par les gens du pays sous les noms successifs de Paropamisus,d'Emodus, d'Imas et d'autres encore, et par les Macdoniens sous le nom unique de Caucase ; l'ouest le cours mme de l'Indus. Quant au ct mridional et au ct oriental qui se trouventtre beaucoup plus grands que les deux autres, ils font saillie dans la mer Atlantique etdterminent la forme rhombodale qu'affecte la contre dans sa configuration gnrale, chacundes deux plus grands cts excdant le ct qui lui est oppos de 3000 stades, juste la longueurde cette pointe avance qui dpasse d'autant l'est et au midi le reste du rivage et se trouveainsi appartenir la fois la cte orientale et la cte mridionale. Le ct occidental de l'Indemesur, entre les montagnes du Caucase et la mer Mridionale, le long de l'Indus jusqu' son

    embouchure, est valu en tout 13 000 stades ; le ct oppos ou ct oriental, augment des3000 stades de cette pointe extrme, se trouvera donc avoir une tendue de 16 000 stades ; etces deux nombres reprsenteront le minimum et le maximum de la largeur de l'Inde. Quant salongueur, laquelle se prend de l'ouest l'est, si l'on peut l'valuer d'une faon plus prcise danssa premire partie, c'est--dire jusqu' Palibothra, vu qu'elle t a mesure en schoenes etqu'elle se confond avec une route ou chausse royale de 10000 stades, elle ne se calcule plusau del que par approximation d'aprs le temps que l'on met en moyenne pour remonter leGange depuis la mer jusqu' Palibothra, et ce calcul donne quelque chose comme 6000 stades :d'o un total de 16 000 stades pour la plus petite longueur de l'Inde.

    Tel est le nombre qu'Eratosthne nous dit avoir tir du Livre des Stathmes rput le plus exact ;mais, accept par Mgasthne, ce nombre est rduit de 1000 stades par Patrocle. A ces 16 000

    stades ajoutons maintenant la longueur de la pointe qui, dpassant le reste de la cte, forme unesaillie si marque dans sa direction de l'est, ces 3000 stades de surplus complteront la longueurmaximum, reprsente alors par la ligne mme du littoral depuis l'embouchure de l'Indusjusqu'au seuil de la susdite pointe et cette pointe elle-mme jusqu' son extrmit orientalequ'habite la nation des Coniaci.

    12. Il est ais maintenant, aprs ce que nous venons de dire, de se rendre compte del'exagration des autres valuations, de l'valuation de Ctsias, par exemple, dclarant que l'Inde elle seule gale en tendue tout le reste de l'Asie ; de l'valuation d'Onsicrite faisant de l'Indele tiers de la terre habite ou de celle de Narque calculant que l'tendue de l'Inde quivaut quatre mois de marche toujours en plaine ; voire des valuations plus modres de Mgasthneet de Dimaque, comptant plus de 20000 stades de distance, et mme en certains endroits(l'allgation est de Dimaque) plus de 30 000 stades de la mer Australe au Caucase. Tous tant

    qu'il sont, ces auteurs ont t rfuts par nous dans les Prolgomnes de notre Gographie ;prsentement qu'il nous suffise de dire que de semblables exagrations donnent encore plusraison ceux qui, crivant sur l'Inde, rclament l'indulgence du lecteur pour tout ce qu'ils serontobligs d'avancer sans y croire.

    13. L'Inde est sillonne de cours d'eau en tout sens. De ces cours d'eau une partie va grossirl'Indus et le Gange qui sont les deux plus grands fleuves du pays ; le reste dbouche directementdans la mer. Tous descendent du Caucase et commencent par couler au midi ; mais, tandis queles uns (et ce sont gnralement des affluents de l'Indus) conservent jusqu'au bout cettepremire direction, les autres tournent brusquement l'est. Le Gange est dans ce cas. A sadescente des montagnes, peine ce fleuve a-t-il touch la plaine qu'il se dtourne vers l'est pouraller baigner les murs de Palibothra, l'une des plus grandes villes de l'Inde, et pour gagner la mer

    Orientale dans laquelle il se jette, mais par une embouchure unique, bien qu'tant le fleuve leplus considrable de toute la contre. L'Indus [qui est moins grand] tombe dans la mer

  • 7/29/2019 Gographie de Strabon

    5/27

    Mridionale par deux bouches, lesquelles enserrent le district de la Pattalne assez semblablepar sa nature au delta d'Egypte. Au dire d'Eratosthne, c'est l'vaporation des eaux de cesgrands fleuves, jointe l'action des vents tsiens, qui produit dans la saison chaude les pluiesqui inondent l'Inde et convertissent ses plaines en lacs. On profite de ces pluies pour semer, nonseulement le lin et le millet, mais aussi le ssame, le riz et le bosmorum. En revanche, c'estpendant l'hiver que l'on sme le bl, l'orge et les lgumes, sans parler de beaucoup d'autres

    vgtaux alimentaires inconnus dans nos climats. Les animaux qu'on rencontre dans l'Inde sont peu de chose prs les mmes qui naissent en Ethiopie et en Egypte ; les espces fluvialesaussi sont les mmes, et, si l'on excepte l'hippopotame, les fleuves de l'Inde nourrissent toutesles autres. Encore Onsicrite prtend-il qu'on trouve l'hippopotame dans l'Inde. Quant notreespce, elle y est reprsente par deux types : le type des hommes du Midi qui ressemblent auxEthiopiens par la couleur de leur peau et au reste des humains par leur physionomie et la naturede leurs cheveux (la temprature de l'Inde tant trop humide pour que les cheveux y deviennentcrpus, comme ils le sont en Ethiopie), et le type des hommes du Nord qui rappelle plutt le typegyptien.

    14. Sous le nom de Taprobane, maintenant, on dsigne une le de la haute mer, situe septjournes de navigation au sud du point le plus mridional de l'Inde, lequel dpend du territoire

    des Coniaci) et s'tendant en longueur l'espace de 5000 stades environ dans la direction del'Ethiopie. On assure que, comme l'Inde, elle nourrit des lphants. - Telles sont les notionspositives qu'Eratosthne nous fournit sur l'Inde. Mais ces notions peuvent tre compltes ; nouspouvons emprunter d'autres crivains quelques dtails nouveaux qui, par exception, ontl'apparence de l'exactitude, et nous aurons rendu ainsi le tableau plus ressemblant.

    15. Voici, par exemple, cc qu'Onsicrite nous apprend au sujet de Taprobane. Il donne cette leune tendue de 5000 stades, sans spcifier, il est vrai, s'il entend parler de la longueur ou de lalargeur, et la place vingt journes de navigation du continent, mais avec cette rserve que lesbtiments sur lesquels se fait la traverse marchent mal, vu leur dtestable voilure, leur doubleproue et le peu de courbure de leurs flancs. Il ajoute qu'on rencontre d'autres les dans le trajet,mais que, de toutes ces les, Taprobane est la plus avance au midi ; qu'enfin il y a dans ses

    eaux un grand nombre de ctacs amphibies qui ressemblent ou des boeufs, ou deschevaux, voire d'autres animaux terrestres.

    16. Narque, son tour, parlant des alluvions ou atterrissements des fleuves [de l'Inde] etcherchant des exemples de faits analogues, rappelle l'usage de nos pays de dire : Plaine del'Hermus, Plaine du Caystre, Plaine du Mandre, Plaine du Cacus : Ces plaines, dit-il, doiventleur accroissement, ou, pour mieux dire, leur formation au limon qui s'y dpose, limon qui s'estdtach des montagnes aprs en avoir constitu la partie fertile et molle ; et, comme ce sont lesfleuves qui charrient et transportent ce limon, il est naturel de voir dans les plaines autant decrations des fleuves eux-mmes et parfaitement lgitime aussi de dire : Plaine de tel fleuve,Plaine de tel autre. Le mot d'Hrodote sur le Nil et sur la contre qu'il arrose, ce mot fameux, quel'Egypte est un prsent du Nil (II, 5), n'exprime pas autre chose. Et Narque, cause de cela,trouve fort bon qu' l'origine le mme nom d'Aegyptus ait dsign la fois le fleuve et la contre.

    17. Ecoutons maintenant Aristobule. Suivant cet auteur, il ne pleut et ne neige dans l'Inde que surle sommet et sur les pentes des montagnes, et les plaines, exemptes aussi bien de pluies que deneiges, ne sont arroses que du fait des crues et des dbordements des fleuves. La neige tombesur les montagnes pendant l'hiver, mais, avec le commencement du printemps, commencentaussi les pluies ; or les pluies, au fur et mesure qu'elles tombent, redoublent de violence ; ellesne discontinuent mme plus quand viennent rgner les vents tsiens, et, jusqu'au lever del'Arcturus, il pleut verse, torrents, et le jour et la nuit. A leur tour les fleuves, grossis par lafonte des neiges et par ces pluies torrentielles, dbordent et inondent les plaines. Aristobuleajoute que ces faits ont t observs et par lui et par tous ceux qui, comme lui, servaient dans lecorps expditionnaire parti du pays des Paropamisades pour l'Inde aprs le coucher desPliades : on passa l'hiver dans la montagne au milieu des Hypasii et sur les terres d'Assacn ;

    puis, au commencement du printemps, on se mit descendre pour gagner les plaines etl'immense ville de Taxila, et de l l'Hydaspe et le royaume de Porus. Pendant tout l'hiver on

  • 7/29/2019 Gographie de Strabon

    6/27

    n'avait pas vu tomber une goutte de pluie, de la neige seulement ; mais peine l'arme atteignaitTaxila, que la pluie commena ; et alors, tout le temps qu'on mit descendre jusqu' l'Hydaspe, s'avancer ensuite vers l'est jusqu' l'Hypanis aprs la dfaite de Porus, puis revenir en arrireet regagner l'Hydaspe, il plut continuellement ; la pluie redoubla mme avec les vents tsiens,pour ne cesser qu'au lever de l'Arcture. Enfin, aprs avoir sjourn sur les bords de l'Hydaspe letemps ncessaire la construction de la flotte, on s'embarqua et le voyage de retour commena.

    Peu de jours, dit Aristobule, nous sparaient du coucher des Pliades ; nous employmes toutl'automne, l'hiver, le printemps suivant et l't descendre jusqu' la Pattalne, que nousatteignmes vers l'poque du lever de la Canicule. Or, pendant ce long trajet de dix mois, nous nevmes tomber de pluie nulle part, mme au plus fort des vents tsiens ; nous assistmesseulement la crue des fleuves et l'inondation des plaines. Nous trouvmes aussi la merrendue impraticable par la persistance des vents contraires auxquels ne rpondait et nesuccdait aucun souffle du ct de la terre.

    18. Co dernier dtail est confirm aussi par Narque, qui, en revanche, ne s'accorde pas avecAristobule au sujet des pluies d't. Suivant lui, les plaines reoivent la pluie en t, et c'estseulement en hiver qu'elles sont exemptes de pluie. Quant aux crues des fleuves, elles sontattestes par l'un et par l'autre. Narque raconte comment l'arme campe prs de l'Acsine fut

    force, pendant la crue du fleuve, de chercher un autre lieu de campement dans une positionplus leve : c'tait l'poque du solstice d't. Aristobule, lui, nous donne la mesure exacte dela crue : 40 coudes, sur lesquelles 20 coudes en plus de la profondeur d'eau prexistanteremplissent le lit du fleuve jusqu'au bord, tandis que 20 autres coudes dbordent et serpandent sur les plaines. Narque et Aristobule s'accordent galement pour nous dire que,comme en Egypte et en Ethiopie, les villes pendant l'inondation ressemblent des les, grceaux leves sur lesquelles elles sont bties ; qu'aprs le lever de l'Arcture les eaux commencent se retirer et que l'inondation cesse ; qu'enfin, sans attendre que le sol soit tout fait sch, onl'ensemence aprs quelques lgers sillons, ouverts avec un instrument tranchant quelconque, cequi n'empche pas que le grain qu'on rcolte n'arrive parfaite maturit et n'ait la plus belleapparence. Voici, maintenant, ce qu'Aristobule nous apprend au sujet du riz : Le riz vient dansdes eaux closes o il est sem sur couches ; il atteint une hauteur de 4 coudes, pousse

    plusieurs pis et donne beaucoup de graines. On le rcolte vers l'poque du coucher desPliades, et on le pile comme l'peautre. Il croit galement dans la Bactriane, dans la Babylonie,dans la Suside (nous dirons, nous : dans la basse Syrie aussi). Suivant Mgillus, le riz se smeavant les pluies et [n'a] besoin [ni] d'irrigation [ni] de culture particulire, tant sans cesseabreuv par les eaux closes dans lesquelles on le sme. Quant au bosmorum, il nous est dpeintpar Onsicrite comme une espce de grain plus petite que le froment et qui vient de prfrencedans les terrains msopotamiens. Onsicrite ajoute qu'aprs avoir t battu il est l'instantmme torrfi, tout le monde s'tant engag par serment, au pralable, ne pas sortir de l'aireun seul grain qui n'ait pass au feu, parce qu'on veut viter qu'on n'emporte hors du pays de lasemence en nature.

    19. Aprs avoir not les points de ressemblance de l'Inde avec l'Egypte et l'Ethiopie, et faitressortir aussi par contre les diffrences, celle-ci notamment que, tandis que la crue du Nil est

    cause par les pluies du Midi, celle des fleuves de l'Inde est due aux pluies du Nord, Aristobulese pose cette question : pourquoi dans tout l'espace intermdiaire ne pleut-il jamais ? Il estconstant en effet qu'il ne pleut ni dans la Thbade jusqu' Syne et jusqu'aux environs deMro, ni dans l'Inde de la Pattalne l'Hydaspe. Il constate ensuite qu'au-dessus de cette zoneintermdiaire, c'est--dire dans la rgion des pluies et des neiges, le sol est cultiv de la mmefaon absolument que dans les autres pays hors de l'Inde, et il l'attribue prcisment ce que lesol y reoit l'action bienfaisante des neiges et des pluies.

    Malheureusement il y a lieu de croire, d'aprs ce que dit l Aristobule, que cette rgion des pluieset des neiges est en mme temps trs sujette aux tremblements de terre, le sol dtremp l'excs n'y ayant plus assez de consistance, et que ces tremblements de terre amnent leursuite des dislocations capables de changer le lit des fleuves. Aristobule nous dit avoir vu, dans

    une de ses missions, toute une province contenant plus de mille villes (sans compter les bourgset autres dpendances) abandonne de ses habitants et rduite l'tat de dsert, par suite d'un

  • 7/29/2019 Gographie de Strabon

    7/27

    changement survenu dans le cours de l'Indus, qui, trouvant sa gauche un terrain beaucoup plusbas, beaucoup plus encaiss, s'tait dtourn de ce ct et comme prcipit dans ce nouveaulit : partir de ce moment, en effet, tout le pays droite dont le fleuve s'tait loign avait cessde participer au bienfait de ses dbordements annuels, se trouvant dsormais plus lev nonseulement que le nouveau lit du fleuve, mais que le niveau le plus haut de ses inondations.

    20. L'exactitude des observations d'Aristobule au sujet des crues des fleuves et de l'absence desvents de terre se trouve vrifie encore par cet autre passage d'Onsicrite : Tout le littoral del'Inde, surtout aux embouchures des fleuves, est sem de bas-fonds cause du progrs desatterrissements, de l'effet des mares et de la prdominance des vents de mer. De mme,quand Mgasthne, pour prouver l'extrme fertilit de l'Inde, nous dit que la terre y produit deuxfois l'an et y donne deux rcoltes, son tmoignage concorde avec celui d'Eratosthne ; carEratosthne nous parle de semailles d'hiver et de semailles d't correspondant juste aux deuxsaisons pluvieuses. Et, comme il n'y a pas d'exemple, ajoute-t-il, qu'en aucune anne l'hiver etl't se soient passs sans pluies, le sol ne demeure jamais improductif et l'on peut toujourscompter sur d'abondantes rcoltes. Eratosthne ajoute que le pays est riche aussi en arbresfruitiers et en plantes racines, telles que certains roseaux de haute taille dont la saveurnaturellement trs douce est adoucie encore par une espce de coction naturelle, rsultant pour

    elles de ce que l'eau qui les arrose (tant l'eau du ciel que l'eau des fleuves) a chauff pour ainsidire aux rayons du soleil. Eratosthne semble vouloir dire par l que ce que l'on appelle ailleursmaturit devient dans l'Inde une vritable coction des fruits et de leurs sucs, aussi favorable audveloppement de l'arome que peut l'tre l'action du feu pour tous les autres aliments. La mmecause, suivant lui, explique l'extrme flexibilit des branches d'arbre, flexibilit qui permet d'enfaire des roues. De l vient aussi qu'il pousse de la laine sur certains arbres. Il s'agit de la lainequi, au dire de Narque, sert faire dans le pays ces toiles trame si fine, si serre, mais queles Macdoniens employaient pour bourrer leurs matelas et leurs selles bts. Les toilesconnues sous le nom de sriques sont faites de mme, avec le byssus que l'on carde aprsl'avoir tir de l'corce de certains arbustes. Parlant aussi d'une espce particulire de roseaux,Narque dit que dans l'Inde on n'a pas besoin d'abeilles pour faire du miel, car avec le fruit de cetarbuste on prpare le miel directement. Il ajoute que le mme fruit, mang cru, enivre.

    21. Il est de fait que l'Inde produit des arbres vraiment extraordinaires, un, entre autres, qui a lesbranches tombantes et les feuilles de la largeur d'un bouclier. Onsicrite, qui s'est attach plusparticulirement bien dcrire le royaume de Musicn, lequel forme, suivant lui, la partie la plusmridionale de l'Inde, y signale la prsence de grands arbres, remarquables en ce que leursbranches, aprs avoir atteint une longueur de 12 coudes pour le moins, ne poursuivent plus leurcroissance qu'en en-bas, si l'on peut dire, se courbant de plus en plus jusqu' ce qu'elles aienttouch le sol, o elles pntrent mme et prennent racine la faon des provins de vigne pourrepousser bientt comme autant de tiges nouvelles ; les rameaux de ces nouvelles tiges,parvenus au degr de croissance convenable, se recourbent leur tour, et ainsi se forme unautre provin, puis un autre encore et toujours de mme, jusqu' ce que d'un seul arbre sorte pourainsi dire un long parasol naturel semblable ces tentes que soutiennent une infinit de piquets.Le mme auteur fait remarquer la grosseur de certains arbres dont cinq hommes ont peine

    embrasser le tronc. Aristobule dit aussi avoir vu sur les bords de l'Acsine et au confluent de cefleuve avec l'Hyarotis de ces arbres aux branches retombantes et tellement grands qu'un seulsuffisait abriter du soleil de midi jusqu' cinquante hommes cheval (Onsicrite, lui, dit 400).Aristobule cite encore une autre espce d'arbre (ou d'arbuste, pour mieux dire) qui porte desgousses assez semblables celles de la fve, longues de 10 doigts et toutes pleines de miel,ajoutant qu'on risque sa vie, si l'on gote seulement ce miel. Mais tous ces dtails sur lagrosseur de certains arbres sont dpasss par ce que quelques auteurs racontent d'un arbrequ'ils auraient vu de l'autre ct de l'Hyarotis et dont l'ombre midi mesurait 5 stades. Au sujetdes arbres laine, nous lisons encore dans Onsicrite que leur fleur a une partie dure en formede noyau, qu'on n'a qu' enlever pour pouvoir carder le reste aussi aisment que la laine d'unetoison.

    22. Le territoire de Musicn offre aussi cette particularit, au dire d'Onsicrite, qu'il y vient sansculture une espce de grain ayant beaucoup de ressemblance avec le froment, et que la vigne y

  • 7/29/2019 Gographie de Strabon

    8/27

    russit assez pour donner d'importantes rcoltes en vin, contrairement ce qu'avancent lesautres auteurs, que l'Inde n'est pas un pays vinicole, et que, [faute d'avoir des vendanges faire,elle ignore, comme Anacharsis le disait [de la Scythie,] l'usage de la flte et des autresinstruments de musique, si ce n'est peut-tre des cymbales, des tympanons, et aussi des sistres,puisqu'on en voit aux mains de ses jongleurs. Le sol de l'Inde produit en outre beaucoup depoisons, beaucoup de racines salutaires ou nuisibles, ainsi qu'une grande varit de plantes

    tinctoriales. Mais ce dtail, Onsicrite n'est plus seul nous le donner, d'autres historiens enconfirment l'exactitude ; seulement Onsicrite ajoute qu'il existe une loi, en vertu de laquelle touthomme qui trouve un poison nouveau est condamn mort, s'il ne trouve en mme temps leremde, et reoit au contraire une rcompei se des mains du roi au cas qu'il ait dcouvertl'antidote du nouveau poison. Suivant le mme auteur, la partie mridionale de l'Inde produit lecinnamome, le nard et les autres parfums, tout comme l'Arabie et l'Ethiopie, contres aveclesquelles elle offre une certaine analogie sous le rapport de l'exposition, en mme temps qu'ellediffre de l'une et de l'autre par la quantit d'eau bien autrement considrable qui l'arrose et qui yrend l'air plus humide et par cela mme plus nourrissant, plus fcondant. Ces qualits de l'air,que partagent aussi la terre et l'eau, expliquent, suivant Onsicrite, pourquoi les animaux engnral (tant les animaux terrestres que ceux qui vivent dans l'eau) sont plus grands dans l'Indequ'ils ne sont ailleurs. Onsicrite fait remarquer, du reste, que les eaux du Nil sont aussi par leur

    nature plus fcondantes que les eaux des autres fleuves, et que les animaux qu'elles nourrissent(non pas seulement les amphibies, mais les autres aussi) sont tous de trs grande taille ; qu'iln'est pas rare non plus de voir des femmes en Egypte accoucher de quatre enfants la fois.Aristote cite mme le cas d'une femme [gyptienne] qui serait accouche en une fois de septenfants (Hist. Anim. VII, 5), et, ce propos, il exalte, lui aussi, les vertus fcondantes et nutritivesdes eaux du Nil, les attribuant l'espce de coction modre que les feux du soleil exercent surelles, et qui, en leur laissant leurs principes nourriciers, les dpouille par l'vaporation de toutprincipe inutile.

    23. Il y a apparence que la proprit prte par Onsicrite l'eau du Nil, d'avoir besoin pourbouillir d'un feu moiti moins fort que l'eau des autres fleuves, tient aussi la mme cause. MaisOnsicrite se rend bien compte que, comme les eaux du Nil traversent en droite ligne une

    tendue de pays beaucoup plus considrable et gnralement fort troite, passant ainsi parbeaucoup de latitudes et de tempratures diffrentes, tandis que les eaux des fleuves de l'Indese dploient librement dans des plaines plus spacieuses et plus larges et demeprent parconsquent longtemps sous les mmes climats, les eaux des fleuves de l'Inde aient une verturelativement plus nutritive que les eaux du Nil, et que les ctacs ou animaux qui y vivent soient proportion plus grands et plus nombreux ; sans compter que la pluie elle-mme qui tombe dansles plaines de l'Inde n'atteint le sol qu' l'tat d'eau chaude, d'eau presque bouillante.

    24. Aristobule, lui, n'accorderait point cette dernire circonstance, puisqu'il nie qu'il pleuve jamaisdans les plaines de l'Inde. Mais, pour Onsicrite, c'est l'eau, et l'eau des pluies notamment, quiparat tre la cause des caractres particuliers qui distinguent les animaux de cette contre, et lapreuve qu'il en donne, c'est que le btail tranger qui en boit ne tarde pas perdre sa couleurpropre pour prendre celle du btail indigne.

    Certes l'argument en soi est valable, mais ce qui ne l'est plus, c'est de prtendre attribuer aussiaux eaux, rien qu'aux eaux, la couleur noire des Ethiopiens et la nature crpue de leurs cheveux,et de faire un reproche Thodecte de ce qu'il a, dans les vers suivants, transport au soleil lui-mme la vertu que lui, Onsicrite, rserve aux eaux :

    Le char du soleil, en passant si prs d'eux (Thodecte parle des Ethiopiens),rpand sur leur peau le sombre clat de la suie, et, par l'ardeur torride de ses feux,il arrte leur chevelure dans sa croissance et la fait se replier, s'enrouler sur elle-mme.

    Non que la critique d'Onsicrite n'offre ici encore quelque chose de spcieux : il fait remarquer,par exemple, qu'il n'est pas vrai que le soleil passe plus prs des Ethiopiens que des autres

    peuples de la terre, que tout ce qu'on peut dire, c'est qu'il tombe sur eux plus d'aplomb que surles autres et les brle par consquent davantage, que le pote a donc eu tort d'appliquer au soleil

  • 7/29/2019 Gographie de Strabon

    9/27

    cette pithte d'agchitermn, puisque le soleil est galement distant de tous les points de la terre.L'excs de la chaleur ne saurait tre non plus, suivant lui, la cause du phnomne en question,car l'effet en est inapplicable aux enfants qui sont encore dans le ventre de leurs mres, et l'abri par consquent des rayons du soleil. Nous donnons nanmoins raison contre lui ceux quireconnaissent pour cause unique du phnomne le soleil et l'intensit de ses feux, laquelleenlve toute humidit la surface de la peau. Nous dirons mme que, si les Indiens n'ont point

    les cheveux crpus, si la couleur de leur peau n'est pas d'un noir aussi fonc, c'est prcismentparce qu'ils respirent un air encore imprgn de quelque humidit. Que si les enfants,maintenant, dj dans le ventre de leurs mres, sont semblables leurs parents, la cause en esttoute la vertu transmissive du sperme : les cas de maladies hrditaires et toutes les autresressemblances de famille n'ont point d'autre explication. Quant dire, enfin, que le soleil est gale distance de tous les points de la terre, c'est l une de ces propositions qui paraissentvraies ne consulter que les sens, mais qui n'ont rien de rigoureux aux yeux de la raison. Ilsemble mme qu'au point de vue de nos sens elle n'offre qu'une apparence trompeuse et n'aitpas plus de valeur en somme que cette autre proposition que la terre n'est qu'un point parrapport la sphre solaire. Consultons en effet celui de nos sens qui nous devons lasensation de la chaleur, il est notoire que la chaleur ressentie est plus ou moins forte, suivant quel'on est plus ou moins prs du corps qui la donne, mais que dans les deux cas la chaleur ne

    saurait tre gale ; or Thodecte n'a pas entendu dire autre chose en disant que le soleil taitagchitermn, par rapport aux Ethiopiens, et Onsicrite s'est tromp en interprtant ce motautrement.

    25. Ce dont tous les auteurs conviennent, en revanche, et ce qui confirme bien la ressemblancede l'Inde avec l'Egypte et l'Ethiopie, c'est que toute la partie des plaines que n'atteignent point lesdbordements des fleuves y est frappe d'une strilit absolue par suite du manque d'eau.Narque, enfin, croit avoir trouv, grce aux fleuves de l'Inde, la solution si longtemps cherchedu problme de la vritable cause des crues du Nil, et, par analogie, c'est aux pluies de l't qu'illes attribue. Il raconte mme ce propos comment Alexandre, pour avoir vu des crocodiles dansl'Hydaspe et des fves d'Egypte dans l'Acsine, s'tait imagin avoir dcouvert les sources ouorigines du Nil : dj il avait command sa flotte de se tenir prte appareiller pour l'Egypte,

    persuad qu'il n'avait qu' descendre le fleuve qu'il avait devant lui pour gagner le Nil, mais il netarda pas comprendre que ce qu'il esprait tait impossible,

    Car il y a dans l'intervalle de grands fleuves et d'irrsistibles courants, l'Ocan d'abord(Odysse, II, 157),

    dans lequel se jettent tous les fleuves de l'Inde ; il y a ensuite toute l'Arian, il y a le golfePersique et le golfe Arabique, l'Arabie elle-mme et la Troglodytique.

    Voil en rsum ce qu'on sait touchant les vents et les pluies de l'Inde, la crue de ses fleuves etl'inondation priodique de ses plaines.

    26. Mais il nous faut consigner encore ici tous les dtails proprement gographiques que nousfournissent les diffrents historiens relativement aux fleuves de l'Inde. Car, si les fleuves,gnralement parlant et en tant que limites naturelles propres dterminer l'tendue et laconfiguration d'une contre, sont d'un grand secours pour le gographe qui a entrepris, commenous, la description de toute la terre habite, le Nil et les fleuves de l'Inde ont un avantagemarqu sur tous les autres, c'est que sans eux les pays qu'ils traversent, et dont nous admirons la fois les belles voies navigables et les riches cultures, seraient compltement inhabitables, euxseuls en assurant les communications et les autres conditions d'existence. Sur les principauxcours d'eau qui descendent des montagnes pour aller se jeter dans l'Indus et sur les pays qu'ilstraversent, nous trouvons dans les historiens des renseignements certains, positifs ; mais,relativement aux autres, ils nous laissent plus ignorants qu'instruits. Tout ce haut bassin del'Indus en effet a t plus particulirement explor par Alexandre et comme dcouvert par luidans sa premire expdition, quand, la nouvelle du meurtre de Darius et des tentatives de ses

    meurtriers pour soulever la Bactriane, il jugea que le plus press tait de poursuivre ceux-ci et deles exterminer. Il ne fit donc qu'approcher de l'Inde en traversant l'Arian, puis, la laissant sur la

  • 7/29/2019 Gographie de Strabon

    10/27

    droite, il franchit le Paropamisus et pntra dans les provinces septentrionales et dans laBactriane, et conquit de ce ct tout ce qui avait appartenu aux Perses, voire quelque chose deplus. L'ide lui vint alors dans son insatiable ambition de soumettre aussi l'Inde, contre dontbeaucoup d'auteurs avaient dj parl sans la faire bien connatre. Il revint aussitt sur ses pas,franchit les mmes montagnes, par une route plus courte et en ayant cette fois l'Inde sa gauche: puis, se dtournant brusquement, il marcha droit sur l'Inde, de manire l'aborder par sa

    frontire occidentale et par le canton qu'arrose, non seulement le fleuve Cophs, mais aussi leChoaspe qui se jette dans le Cophs prs de la ville de Plmyrium, aprs avoir baign les mursd'une autre ville nomme Gorys et travers la Bandobne et la Gandaritide. Alexandre avait tinform que l'Inde tait habitable et fertile surtout dans sa rgion montagneuse, dans sa partieseptentrionale ; que l'Inde mridionale au contraire, sche et aride dans une de ses parties,expose dans une autre aux dbordements priodiques des fleuves, et partout galement brillepar le soleil, tait plus propre servir de repaire aux btes froces que d'habitation l'homme :naturellement il voulut commencer sa conqute par la rgion qu'on lui avait peinte sous lescouleurs les plus favorables. Il avait bien pens aussi que les cours d'eau qu'il lui faudraitncessairement franchir, puisqu'ils coupent obliquement la contre qu'il allait parcourir, seraientplus faciles passer prs de leurs sources. Ajoutons qu'il avait t averti que plusieurs de cescours d'eau se runissent, que ces sortes de confluents se multiplieraient devant lui mesure

    qu'il avancerait, ce qui gnerait de plus en plus sa marche dans l'extrme pnurie d'embarcationso tait son arme. La perspective de toutes ces difficults est ce qui le dcida passer leCophs et conqurir en premier le pays de montagnes situ l'est de ce fleuve.

    27. Il devait rencontrer, aprs le Cophs, l'Indus, puis successivement l'Hydaspe, l'Acsine,l'Hyarotis, et en dernier lieu l'Hypanis. Car il fut empch d'aller plus loin tant par sa craintepersonnelle de dsobir certains oracles que par la mauvaise volont de son arme quel'excs de la fatigue avait dmoralise : elle avait eu souffrir surtout du fait des pluies,continuelles en cotte saison. On comprend maintenant que nous ne connaissions de la partieorientale de l'Inde que ce qui est en de de l'Hypanis et ce que certains voyageurs,postrieurement Alexandre, ont visit et dcrit de la rgion ultrieure jusqu'au Gange et jusqu'Palibothra. - Ainsi, nous l'avons dit, tout de suite aprs le Cophs vient l'Indus. L'intervalle des

    deux fleuves est occup par les Astacni, les Masiani, les Nysaei et les Hypasii, auxquelssuccdent le royaume d'Assacn et la ville de Masoga sa capitale ; et plus loin, sur les bordsmmes de l'Indus, une autre ville, chef-lieu de la Peucolatide, dans le voisinage de laquelle futjet le pont qui servit faire passer l'arme.

    28. Entre l'Indus et l'Hydaspe est la ville de Taxila, cit aussi spacieuse que bien administre,autour de laquelle s'tend une contre populeuse d'une extrme richesse qui dj touche auxplaines. C'est avec le plus grand empressement que les Taxiliens et leur roi Taxils accueillirentAlexandre, mais, comme ils reurent de lui plus encore qu'ils ne lui avaient donn, lesMacdoniens jaloux en prirent occasion de dire que leur roi, apparemment, avant d'avoir passl'Indus, n'avait trouv personne qui ft digne de ses bienfaits. Quelques auteurs font ce royaumeplus grand que l'Egypte. Au-dessus, en pleine montagne, est le royaume dit d'Abisar en souvenirdu prince de ce nom, le mme qui, au dire de ses ambassadeurs, nourrissait deux normes

    serpents, mesurant de longueur l'un 80 coudes, l'autre 140. Mais c'est Onsicrite qui rapporte lefait, et l'on peut dire que l'archikybernte de la flotte d'Alexandre tait avant tout un archi-menteur, et que, si les amis et compagnons du conqurant, en gnral, ont dans leurs rcitsaccueilli plus volontiers ce qui tait de nature tonner que ce qui tait exact et vrai, Onsicritepar son got du merveilleux semble les surpasser tous. Il lui arrive pourtant, quelquefois, disons-le, de relater des faits intressants et qui ont un air de vraisemblance, et qu' cause de cela celui-l mme qui n'aurait pas en lui l'ombre de confiance ne saurait passer sous silence. Il n'est passeul du reste avoir parl des serpents d'Abisar, et d'autres historiens nous apprennent que c'estdans les monts Emodes qu'on prend ces serpents monstrueux et qu'une fois pris on les nourritdans des cavernes.

    29. Un autre royaume dit de Porus, grand et riche pays pouvant contenir jusqu' trois cents villes,

    s'tend entre l'Hydaspe et l'Acsine. Il en est de mme de cette fort voisine des monts Emodesdans laquelle Alexandre fit couper, pour les diriger ensuite sur l'Hydaspe, les sapins, pins, cdres

  • 7/29/2019 Gographie de Strabon

    11/27

    et autres bois ncessaires la construction de sa flotte. C'est en effet sur les bords de l'Hydaspequ'il procda ce grand travail : il tait 1 porte de deux villes fondes par lui droite et gauche du fleuve, juste la hauteur de l'endroit o il l'avait pass pour aller battre Porus. De cesdeux villes il avait appel l'une Bucphalie, en l'honneur du cheval tu sous lui dans la bataillecontre Porus. Bucphale (on lui avait donn ce nom cause de son large front) tait un vraicheval de guerre, et Alexandre dans toutes les batailles qu'il avait livres n'en avait jamais mont

    d'autre. Quant la deuxime ville, il l'avait appele Nicea pour rappeler sa victoire sur Porus.Cette mme fort passe pour tre habite par des cercopithques ou singes queue, et lesdtails que donnent les historiens tant sur le nombre que sur la taille de ces animaux sontgalement extraordinaires. Ils racontent, par exemple, qu'un jour un dtachement macdonienaperut au haut de collines peles et nues toute une arme de ces singes qui le regardaient venirrangs en bon ordre (on sait que le singe est avec l'lphant l'animal qui se rapproche leplus del'homme pour l'intelligence), les Macdoniens y furent tromps et les prirent pour des ennemis,au point qu'ils allaient les charger, quand le roi Taxils qui accompagnait alors Alexandre lesavertit de leur erreur et les arrta. La chasse au singe se fait de deux manires : comme cetanimal est de sa nature trs imitateur, et que, d'autre part, il est trs prompt s'enfuir au haut desarbres, les chasseurs ont pour habitude, quand ils le voient tranquillement assis sur les branchesd'un arbre, d'apporter en vue de cet arbre un seau rempli d'eau, dans lequel ils font mine de

    puiser pour se baigner ensuite et s'humecter les yeux, aprs quoi, ils remplacent le seau d'eaupar un pot de mme forme et tout rempli de glu et s'loignant se tiennent aux aguets. Le singesaute bas de l'arbre et s'enduit les yeux de glu, et, comme la glu s'attache ses paupires etl'empche d'y voir les chasseurs accourent et le prennent vivant. C'est l le premier moyen. Voicien quoi consiste le second : les chasseurs se passent aux jambes en guise de chausses degrands sacs, puis s'en vont laissant terre d'autres sacs semblables garnis de poils et enduits deglu l'intrieur, les singes naturellement essayent de les chausser et sont pris ensuite le plusfacilement du monde.

    30. Quelques auteurs placent encore la Cathe et le nome de Sopiths dans l'intervalle des deuxmmes fleuves ; mais, suivant d'autres, c'est par del l'Acsine et l'Hyarotis qu'il faut les placer,sur les confins du royaume de l'autre Porus, cousin de celui qui fut prisonnier d'Alexandre : la

    contre composant ce royaume est connue sous le nom de Gandaride. La particularit la pluscurieuse que les historiens rapportent sur les moeurs des Cathens, c'est l'espce de culte qu'ilsprofessent pour la beaut en gnral, qu'ils l'observent chez l'homme ou chez le cheval et lechien. Onsicrite prtend mme que c'est toujours le plus beau d'entre eux qu'ils se choisissentpour roi. Il ajoute que tout enfant, deux mois aprs sa naissance, est soumis un jugementpublic, pour qu'on sache s'il a ou non le degr de beaut prescrit par la loi et donnant le droit devivre, et, suivant la sentence prononce par le prsident de ce tribunal, l'enfant, parat-il, vit oumeurt. Onsicrite nous apprend encore que les Cathens, toujours dans le but de s'embellir, seteignent la barbe en couleurs diffrentes, mais toutes trs clatantes, et que, chez plusieursautres peuples, par suite des proprits merveilleuses inhrentes aux substances tinctoriales del'Inde, on tend le mme raffinement aux cheveux et aux habits ; que toutes ces populations sisimples, si mesures pour tout le reste, ont un got excessif pour la parure. Les historienssignalent aussi comme particulier aux Cathens un double usage, l'usage qui autorise jeunes

    gens et jeunes filles se choisir, se fiancer entre eux ; et celui qui condamne la femme sebrler sur le bcher de son poux sous prtexte qu'il est arriv souvent que les femmes,s'prenant d'hommes plus jeunes aient abandonn leurs maris ou se soient dbarrasses d'euxen les empoisonnant : on avait espr, en dictant une loi pareille, mettre fin aux tentativesd'empoisonnement. Disons, nous, que l'existence de cette loi, non plus que la cause qu'on endonne, ne semble gure vraisemblable. - Il existe, ce qu'on assure, dans le nome de Sopithsune mine de sel gemme lapable de suffire aux besoins de l'Inde entire ; non coin de l aussi,mais dans d'autres montagnes, les historiens signalent la prsence de mines d'or et d'argent,dont Gorgus, mtalleute clbre, aurait dmontr la richesse. Seulement, inexpriments commeils sont dans l'extraction et la fonte des mtaux, les Indiens ne connaissent mme pas le prix dece qu'ils possdent et traitent la chose plus la grosse.

    31. Ce mme nome dit de Sopiths nourrit une race de chiens dont on conte galement deschoses merveilleuses, celle-ci entre autres : Alexande avait reu de Sopiths lui-mme en

  • 7/29/2019 Gographie de Strabon

    12/27

    prsent cent cinquante de ces chiens ; pour prouver leur force, il en mit deux aux prises avec unlion, et, les voyant faiblir, il en fit lcher deux autres, ce qui rtablit l'quilibre. Alors Sopithsdonna ordre qu'on retirt un des chiens de la lice en le prenant par une des pattes, et qu'aubesoin, s'il rsistait, on la lui coupt. Par piti pour son chien, Alexandre d'abord ne voulut paspermettre qu'on allt jusqu' le mutiler, mais, sur la promesse que lui fit Sopiths de lui en rendrequatre pour un, il consentit, et le chien, supportant la douleur d'une lente amputation, se laissa

    couper la patte avant de lcher prise.

    32. Jusqu' l'Hydaspe, la direction gnrale suivie par Alexandre avait t celle du midi ; mais, partir de ce fleuve et pour gagner l'Hypanis, il avait march plutt l'est, rangeant de prfrencele pied des montagnes et vitant de s'engager dans les plaines. Des bords de l'Hypanis,maintenant, nous le voyons rtrograder vers l'Hydaspe o il a ses chantiers de construction, ypresser tant qu'il peut l'achvement de sa flotte et s'embarquer enfin pour descendre jusqu' lamer. Tous les cours d'eau que nous venons d'numrer, et dont l'Hypanis clt la liste, seconfondent en un seul courant qui est l'Indus.

    On assure qu'en tout l'Indus reoit quinze grands affluents, ce qui le grossit au point qu'encertains endroits de son cours sa largeur est value 100 stades. Mais nous empruntons cette

    valuation des autorits toujours suspectes d'exagration ; suivant des valuations plusmodres, la largeur de l'Indus varie entre 50 stades au maximum, et 7 au minimum. Enfinl'Indus se jette dans la mer du Sud par une double embouchure aprs avoir fait une le vritablede la province de Patalne. Deux choses avaient donn l'ide Alexandre de modifier ainsi sonitinraire et de renoncer s'avancer plus loin vers l'est : c'est d'abord qu'il s'tait vu empcher,comme nous l'avons dit, de franchir l'Hypanis, niais c'est qu'il avait reconnu aussi par sa propreexprience quel point tait injuste cette prvention contre les plaines de l'Inde, reprsentesjusque-l comme des espaces torrides plus propres servir de repaire aux btes froces qued'habitation l'homme. Il n'hsita donc plus abandonner la route qu'il avait suivie jusqu'alorspour s'engager dans ces plaines, que nous nous trouvons, cause de cela, connatre mieuxencore que la partie montagneuse de l'Inde.

    33. La contre entre l'Hypanis et l'Hydaspe renferme, dit-on, neuf peuples et jusqu' cinq millevilles, toutes plus grandes que Cos Mropis. Mais ce nombre semble exagr. Nous avons eunous-mme occasion dans les pages qui prcdent d'numrer les principaux peuples quioccupent l'intervalle compris entre l'Hydaspe et l'Indus. Plus bas, maintenant, on voit se succderles Sibes, qui eux aussi ont t mentionns par nous prcdemment, puis les deux grandesnations des Malles et des Sydraques. C'est chez les Malles, en assigeant une de leurs pluspetites places, qu'Alexandre reut cette blessure qui mit ses jours en danger. Quant auxSydraques, rappelons ce que nous avons dj dit, que les mythographes les font descendre deDionysos lui-mme. Aux abords de la Patalne les historiens placent le nome de Musicn et celuide Sabus, avec la ville de Sindomana, le nome de Porticn aussi et d'autres encore chelonnsde mme sur les deux rives de l'Indus ; or tous tombrent au pouvoir d'Alexandre, prcdant depeu la chute de la Patalne, cette espce d'le que forme l'Indus en se divisant en deuxbranches, et par laquelle Alexandre termina sa conqute de l'Inde. Aristobule value 1000

    stades la distance qui spare ces deux branches l'une de l'autre. Narque augmente cettedistance de 800 stades ; quant Onsicrite, il attribue chacun des deux cts de l'letriangulaire intercepte entre les branches du fleuve une longueur de 2000 stades et au fleuvelui-mme, pris l'endroit o son cours bifurque, une largeur de 200 stades environ. Il donne enoutre cette le le nom de delta, mais il se trompe quand il lui attribue juste la mme tenduequ'au delta d'Egypte, car il est notoire que le delta d'Egypte mesure 1300 stades sa base etque sa base surpasse en longueur ses deux autres cts. La Patalne contient une villeconsidrable, Patala, de laquelle l'le tire son nom.

    34. Onsicrite nous reprsente cette partie du littoral de l'Inde comme seme de bas-fondsprincipalement aux embouchures des fleuves, par suite des atterrissements de ces mmesfleuves, du mouvement des mares et de l'absence des vents de terre, l'action des vents de mer

    tant gnralement prdominante dans ces parages. Le mme historien s'tend longuement etavec complaisance sur le nome ou territoire de Musicn, mais beaucoup des traits qu'il relve

  • 7/29/2019 Gographie de Strabon

    13/27

    dans cette espce de pangyrique sont communs aussi, parat-il, d'autres parties de l'Inde : lalongvit par exemple, car, s'il est arriv que des Musicniens soient morts ayant atteint l'ge de130 ans, on prtend cependant avoir observ chez les Sres des cas de longvit encore plusgrande ; la sobrit est dans le mme cas, voire cette hygine soi-disant exemplaire au sein dela plus plantureuse abondance. Ce qui, en revanche, semble appartenir en propre auxMusicniens, c'est cet usage des syssities ou repas publics analogues ceux de Lacdmone et

    aliments par la mise en commun des produits de la chasse, cet autre usage de se passerabsolument d'or et d'argent malgr la prsence de mines dans le pays, l'usage aussi de n'avoirpour esclaves que de jeunes garons la fleur de l'ge rappelant les Aphamiotes de Crte et lesHilotes de Sparte, l'indiffrence absolue pour toutes les sciences, la mdecine excepte, sousprtexte que l'homme fait mal en s'appliquant trop certains arts, l'art militaire par exemple et d'autres semblables, l'ignorance enfin des procs, si ce n'est pour meurtre et pour violence, nuln'tant matre soi-disant de se prserver du meurtre et de la violence, tandis que, dans lescontrats et marchs, o chacun peut veiller sur soi, on doit supporter sans mot dire lesmanquements de foi dont on a t victime, mais faire bien attention qui se fier dsormais pourviter de remplir la ville de querelles et de procs. - Voil ce que nous apprennent les amis etcompagnons d'armes d'Alexandre.

    35. Ajoutons qu'on a publi aussi une lettre de Cratre sa mre Aristopatra, qui contientbeaucoup d'allgations fort tranges, et en contradiction avec tous les autres tmoignagesconnus, celle-ci notamment qu'Alexandre aurait pouss sa marche victorieuse jusqu'au Gange.Cratre prtend mme avoir vu ce fleuve et les ctacs ou poissons normes qu'il nourrit ; et ildonne en outre sur la longueur de son cours, sur sa largeur, sur sa profondeur, des dtails detelle nature, qu'on se sent, en les lisant, moins port croire qu' douter. Que le Gange, en effet,soit le plus grand des fleuves connus dans les trois continents, que l'Indus soit le plus grandaprs lui, que l'Ister vienne en troisime et le Nil en quatrime, personne n'y contredit ; mais,quand on passe aux dtails que nous indiquions tout l'heure, on trouve que les tmoignages nes'accordent plus du tout, les uns attribuant au fleuve 30 stades, et les autres 3 stades seulementde largeur minimunt, et Mgasthne, d'autre part, lui prtant, avec une largeur moyenne de 100stades, 20 orgyes de profondeur au minimum.

    36. Au confluent du Gange et de son autre branche [l'Erannoboas], Mgasthne place la ville dePalibothra, qu'il nous dpeint comme un paralllogramme long de 80 stades et large de 15, ayantune enceinte de bois perce de jours ou de meurtrires pour donner passage aux flches desarchers, et prcde d'un foss qui sert la fois de dfense et de rceptacle d'immondices.Mgasthne ajoute que le peuple chez lequel s'lve cette ville porte le nom de Prasii, et setrouve tre le plus puissant de beaucoup de tous les peuples de l'Inde, que le prince rgnant esttenu d'ajouter le nom de Palibothrus, qui est celui de la ville, au nom que lui-mme a reu sanaissance, que tel tait le cas notamment du roi Sandrocottus, le mme auprs de qui, lui,Mgasthne, avait t accrdit. Notons que cet usage existe aussi chez les Parthes, dont tousles souverains portent le nom d'Arsace joint leur nom particulier, que ce nom soit Orode,Phraale, ou tout autre.

    37. On convient gnralement que, dans tout le pays au del de l'Hypanis, le sol est d'unegrande fertilit, mais les renseignements prcis sur cette contre font absolument dfaut. Poursuppler leur ignorance, les historiens, encourags d'ailleurs par l'extrme loignement deslieux, ont eu recours l'exagration et aux plus monstrueuses fictions, tmoin ce qu'ils racontentdes fourmis chercheuses d'or et de ces animaux, voire de ces hommes, figures tranges,dous de certaines qualits extraordinaires, comme voil les Sres inacrobiens, qui sont censsatteindre et dpasser deux cents ans de vie, tmoin encore ce qu'ils nous disent d'un Etatgouvern aristocratiquement par un snat de 5000 membres dont chaque membre est tenu defournir un lphant. Ajoutons que les tigres, notamment ceux du pays des Prasii, sont dcrits parMgasthne comme d'normes animaux, deux fois grands comme des lions, ou peu s'en faut, ettellement forts, qu'un jour l'un d'eux, apprivois et men par quatre hommes, aurait tir lui,malgr sa rsistance, un mulet qu'il avait attrap rien qu'avec une de ses pattes de derrire. Les

    singes queue ou cercopithques, toujours au dire de Mgasthne, sont ici plus grands que lesplus grands chiens, ils ont le corps tout blanc, sauf la face, qui est noire (chez quelques individus,

  • 7/29/2019 Gographie de Strabon

    14/27

    c'est l'inverse qui a lieu), et leurs queues ont plus de deux coudes ; mais ce sont des animauxtrs doux, qui n'ont aucun mauvais instinct, car ils n'attaquent pas l'homme et ne volent jamais.Nous lisons encore dans Mgasthne que l'on tire de la terre des pierres ayant la couleur del'encens et une saveur plus douce que les figues ou le miel ; - qu'il existe dans certains cantonsdes serpents longs de deux coudes, pourvus d'ailes membranes comme les chauves-souris,et qui, comme elles, ne volent due la nuit, laissant alors tomber des gouttes d'urine ou de sueur,

    qui, si l'on n'y prend garde, peuvent faire venir sur la peau une espce de gale ; - qu'il s'y trouveaussi des scorpions ails de dimensions extraordinaires ; - que la mme contre produit l'bne,et nourrit une race de chiens extrmement forts et ardents, auxquels on ne peut faire lcher prisequ'en leur versant de l'eau dans les narines, et qui mme quelquefois font de tels efforts enmordant et s'acharnent tellement, que leurs yeux se retournent et vont jusqu' saillir hors de leursorbites. A ce propos-l mme, Mgasthne raconte comment un de ces chiens, lui seul, arrtaun lion et un taureau, et comment le taureau, tenu la gorge par le chien, succomba avant que lechien et lch prise.

    38. Mgasthne signale encore, dans la partie montagneuse de la mme contre, un fleuveappel le Silas dont les eaux ont cette proprit, que rien n'y surnage, proprit que Dmocrite,naturellement, rvoque en doute, au nom de ces longs voyages, de ces longues erreurs, qui lui

    ont fait connatre soi-disant la plus grande partie de l'Asie. [Mgasthne oublie de direqu']Aristote n'y croit pas davantage, bien que sachant qu'il y a dans l'atmosphre des couchesentires o l'air est si subtil, si rarfi, qu'aucun animal ail ne s'y peut soutenir, et que, de mmequ'on constate dans certaines vapeurs ou manations la proprit d'attirer et pour ainsi dire dehumer tout ce qui vole au-dessus d'elles, l'instar de ce que fait l'ambre pour la paille et l'aimantpour le fer, on pourrait aussi, la rigueur, supposer l'eau des proprits ou vertus analogues.Mais ces questions sont plutt du domaine de la physique, vu qu'elles se rattachent la thoriedes corps flottants, et c'est dans les traits spciaux qu'il convient de les tudier. Pour lemoment, bornons-nous recueillir les faits qui, comme les suivants, ont un rapport plus immdiat la gographie.

    39. Mgasthne nous apprend que l'immense population de l'Inde se divise en sept classes. La

    premire dans l'ordre hirarchique, et en mme temps la moins nombreuse, comprend lesphilosophes, lesquels rendent des services, tantt privs chacun d'eux pouvant tre appel parun simple particulier figurer dans un sacrifice ou dans une crmonie funbre), tantt publics,comme lorsque le roi les convoque au grand synode du nouvel an (lequel se tient devant la portede son palais), pour exposer l, en public, ce que chacun d'eux a imagin ou observ d'utile envue d'assurer l'abondance et la bonne qualit des rcoltes, la sant des bestiaux et le plus grandbien de l'Etat. Seulement, quiconque parmi eux a t trois fois convaincu de mensonge estcondamn se taire pour tout le reste de sa vie, tandis que celui dont les communications sesont heureusement vrifies est dclar tout jamais exempt d'impt et de contribution.

    40. La seconde classe, compose des cultivateurs, est la plus nombreuse des sept, et celle dontles moeurs sont le mieux rgles, ce qu'elle doit l'exemption de tout service militaire et l'entire scurit de ses travaux, son loignement de la ville et du tracas des ncessits et

    affaires communes. Il n'est pas rare, en effet, que dans le mme temps et dans la mmeprovince, pendant qu'une partie de la population livre bataille l'ennemi et s'expose aux plusgrands dangers pour le repousser, une autre partie, comptant sur le courage de ses dfenseurs,laboure et bche la terre tranquillement. Partout, du reste, la terre appartient au Roi, qui la loueaux cultivateurs moyennant le quart du produit.

    41. La troisime classe comprend les ptres et les chasseurs, qui est rserv le privilge de lachasse et de l'lve du btail, ainsi que de la vente et de la location des btes de somme.Reconnaissant de ce qu'ils purgent la contre des btes froces et des oiseaux nuisibles auxsemailles, le Roi leur distribue aux uns et aux autres le bl ncessaire leur subsistance [et qu'ilsne pourraient rcolter,] menant, comme ils font, une vie toujours errante, et n'habitant jamais quesous la tente. Aucun particulier n'a le droit d'entretenir, pour son service, cheval ni lphant, car

    les chevaux et les lphants sont considrs comme la proprit exclusive du Roi, et la garde enest confie des prposs ou intendants royaux.

  • 7/29/2019 Gographie de Strabon

    15/27

    42. Voici comment se fait la chasse aux lphants. On choisit un emplacement dcouvert de 4 5 stades, qu'on entoure ensuite d'un foss profond, dont on runit les deux bords par un pont trstroit, destin servir d'unique entre. Cela fait, les chasseurs lchent dans l'enclos trois ouquatre lphants femelles des mieux apprivoises, puis ils vont se cacher eux-mmes et se tenir l'afft dans de petites cahutes dont la vue est masque. Tant que dure le jour, les lphants

    sauvages n'approchent point ; mais, une fois la nuit venue, ils s'engagent la file sur le pont etentrent. Les chasseurs, aprs les avoir vus entrer, ferment tout doucement le passage et ne lerouvrent plus que pour introduire dans l'enclos les plus forts et les plus vaillants (le leurslphants de combat, qui doivent les aider vaincre les lphants sauvages, affaiblis dj par lafaim. Quand ils voient ceux-ci presque puiss, les plus hardis d'entre les cornacs se laissentcouler, sans faire de bruit, sous le ventre de leurs montures, et, s'lanant de l comme d'un fort,ils passent sous le ventre de l'lphant sauvage et lui lient fortement les jambes. Cette oprationtermine, les chasseurs font battre par leurs btes apprivoises ceux des lphants sauvagesqui ont t ainsi entravs, jusqu' ce que ceux-ci tombent par terre, et, quand ils les voienttendus tout de leur long, ils leur passent au cou des lanires de cuir de boeuf dont l'autre boutest solidement attach au cou des lphants apprivoiss. De plus, pour viter que leurssoubresauts ne fassent perdre l'quilibre aux premiers cornacs qui essaieront de les monter, ils

    leur font de profondes incisions tout autour du cou et juste l'endroit o doivent porter lescourroies, pour que, vaincus par ces douleurs aigus, les lphants cdent la pression du lienet se tiennent tranquilles. Entre tous les lphants qu'ils ont ainsi capturs, ils mettent part ceuxqui se trouvent tre ou trop vieux ou trop jeunes pour pouvoir servir, et conduisent les autresdans de vastes curies o ils les tiennent les jambes fortement lies ensemble et le cou attach une colonne ou un poteau trs solide, pour achever de les dompter par la faim. Plus tard, onles rconforte l'aide de roseaux trs tendres et d'herbes fraches. Pour les dresser maintenant,on emploie, avec les uns la parole, avec les autres une espce de mlope accompagne dutambourin, qui agit sur eux comme un charme. Ceux qu'on a de la peine apprivoiser sont rares,car, de sa nature, l'lphant est un animal doux et si peu farouche, que la distance qui le sparedes tres raisonnables est peine sensible. On en a vu, par exemple, au plus fort d'une bataille,ramasser leurs cornacs qui taient tombs grivement blesss, les tirer de la mle ou les laisser

    se tapir entre leurs jambes de devant, et combattre ensuite vaillamment pour les protger. Il estarriv aussi plus d'une fois que l'lphant, dans un accs de fureur, tuait un des hommeschargs de lui apporter la nourriture ou de le dresser, il en ressentait alors un tel regret, qu'ils'abstenait de manger en signe de deuil, et qu'on en a vu qui s'enttaient jusqu' se laissermourir de faim.

    43. Les lphants s'accouplent et mettent bas comme les chevaux : c'est gnralement auprintemps que leur accouplement a lieu. On reconnat que le moment du rut approche pour lemle, quand il est pris d'accs de fureur et qu'il s'effarouche aisment. En mme temps il lui sortune liqueur huileuse par l'espce d'vent qu'il a prs des tempes. On reconnat pareillement queles femelles vont entrer en chaleur, quand, chez elles, ce mme orifice s'ouvre et demeure bant.Elles portent dix-huit mois au plus, et seize mois au moins. La mre nourrit six ans.Gnralement la vie de ces animaux gale en dure celle des hommes les plus vieux, mais

    quelques-uns atteignent jusqu' deux cents ans. Ils sont d'ailleurs sujets plusieurs maladiestoutes difficiles gurir. Le meilleur remde contre leurs ophthalmies consiste en lotions de laitde vache trs abondantes. Dans presque toutes leurs autres maladies on leur donne boire duvin rouge. En cas de blessures, on ajoute au remde ordinaire, c'est--dire aux potions de vinrouge, [des frictions faites] avec du beurre, le beurre ayant, comme on sait, la proprit de fairesortir les fers de dard ; quant leurs plaies, on les brle avec de la chair de porc. Onsicriteprtend que les lphants vivent jusqu' trois cents ans, et peuvent mme atteindre jusqu' cinqcents, mais que ce sont l des exceptions assez rares, qu' l'ge de deux cents ans ils sont danstoute leur force, et que les femelles portent pendant dix ans. Il ajoute (et sur ce point l d'autrestmoignages s'accordent avec le sien) qu'ici les lphants sont plus grands et plus forts qu'enLibye, qu'on les voit par exemple se dresser sur leurs jambes de derrire et avec leurs trompesrenverser des palissades et draciner des arbres. Narque, lui, nous fournit cet autre

    renseignement, que, dans les chasses, on place des piges certains carrefours, et qu'ensuiteon y pousse les lphants sauvages l'aide des lphants apprivoiss, qui sont gnralement

  • 7/29/2019 Gographie de Strabon

    16/27

    plus forts et qui ont de plus l'avantage d'tre dirigs par leurs cornacs. Suivant lui aussi, leslphants sont si faciles dresser, si dociles, qu'ils apprennent lancer une pierre contre un but, manier certaines armes et nager dans la perfection. Il prtend enfin que l'acquisitionconsidre comme la plus prcieuse par les gens du pays est celle d'un char attel d'lphants(il est d'usage aussi dans l'Inde d'atteler les chameaux) ; l'en croire mme, il n'y a pas, pourune femme, de distinction plus flatteuse que de recevoir en don de son galant un lphant. [Mais]

    ce qu'avance l Narque ne saurait s'accorder avec cet autre tmoignage qui attribue aux roisseuls le droit de possder chevaux et lphants.

    44. Revenons aux fourmis chercheuses d'or. Narque prtend avoir vu de leurs peaux quiressemblaient tout fait des peaux de lopards. Mgasthne, de son ct, nous fournit leursujet les dtails suivants. Il existe, dit-il, dans le pays des Derdes (on nomme ainsi l'un desprincipaux peuples de la partie orientale et montagneuse de l'Inde), un haut plateau de 3000stades de tour environ, au pied duquel sont des mines d'or, fouilles uniquement par des fourmismonstrueuses, aussi grosses, pour le moins, que des renards, et qui, doues d'une vitesseextraordinaire, ne vivent que de chasse. C'est en hiver qu'elles creusent la terre. Comme lestaupes, elles forment avec les dblais de petits monticules l'ouverture de chaque trou. Cesdblais ne sont proprement parler que de la poudre ou poussire d'or, laquelle n'a besoin [pour

    tre purifie] que d'tre passe trs lgrement au feu. Aussi les habitants du voisinage enenlvent-ils le plus qu'ils peuvent dos de mulets, mais en se cachant soigneusement, car, s'ilsle faisaient ouvertement, ils seraient attaqus par les fourmis, mis en fuite et poursuivis, voiremme, si les fourmis les atteignaient, trangls eux et leurs mulets. Pour tromper la surveillancedes fourmis, les Derdes exposent de ct et d'autre des morceaux de viande, et, quand lesfourmis se sont disperses, ils enlvent leur aise la poudre d'or, qu'ils sont rduits du reste vendre l'tat brut et pour n'importe quel prix aux marchands qui les visitent, faute de rienentendre eux-mmes la fonte des mtaux.

    45.Puisqu' propos des chasseurs [qui composent avec les ptres la troisime classe deshabitants de l'Inde] nous avons cru devoir rappeler ce que Mgasthne et les autres historiensracontent des animaux eux-mmes, compltons notre digression par les dtails que voici.

    Narque s'tonne de la quantit de reptiles que nourrit l'Inde et de tout le mal qu'ils peuvent faire,vu qu' l'poque des inondations ils fuient en masse loin des plaines, et que, remontant vers lesdiffrents centres de population que l'eau ne doit pas atteindre, ils y envahissent jusqu'auxhabitations. C'est pour cette raison, ajoute Narque, qu'on fait partout les lits trs hauts. Il arrivemme souvent qu'une fois dans les maisons ces reptiles y pullulent au point que les habitantsprennent le parti de les vacuer. Si mme les eaux n'en dtruisaient une bonne partie, le paystout entier ne serait bientt plus qu'une vaste solitude, d'autant que ces animaux sont tousgalement redoutables, les plus petits par la difficult o l'on est de se garer d'eux, les plusgrands par leur taille et leur force extraordinaire (on voit en effet dans l'Inde des vipres qui ontjusqu' seize coudes de long). Mais dans tout le pays circulent des charmeurs de serpents quiexcellent, dit-on, gurir les blessures faites par leurs morsures. C'est mme l l'unique genrede mdecine auquel les Indiens aient recours : car, sobres comme ils sont, et s'abstenanttoujours de vin, ils sont sujets trs peu de maladies, et, quand par hasard ils se sentent

    malades, ce sont les [gymno]sophistes qu'ils appellent auprs d'eux pour les gurir. Aristobuleavoue qu'il n'a pu vrifier par lui-mme les dimensions extraordinaires que la renomme attribue certains reptiles, il dit seulement avoir vu une vipre femelle qui mesurait neuf coudes unespithame de longueur. Nous-mme, tant en Egypte, avons vu de nos yeux une vipre peuprs de mme taille, apporte de l'Inde prcisment. Aristobule, en revanche, vit beaucoup devipres mles et beaucoup d'aspics infiniment plus petits ; beaucoup de scorpions aussi, ceux-ltrs grands. Mais, s'il faut l'en croire, aucun de ces reptiles ne serait aussi incommode, aussidangereux, que certains petits serpents ou ophidiens longs d'une spithame tout au plus, car ontrouve ceux-ci cachs partout, sous les tentes, au fond des vases et dans les haies, et leurmorsure dtermine une hmorragie gnrale, accompagne de vives douleurs et bientt suiviede la mort, s'il ne se trouve pas l quelqu'un tout prt porter secours. Le secours, du reste, estchose facile, l'Inde produisant beaucoup de racines et de simples d'une grande efficacit.

    Aristobule a constat aussi la prsence des crocodiles dans l'Indus, mais il nie qu'ils soient trsnombreux ni trs dangereux pour l'homme. Quant aux autres animaux que nourrissent les eaux

  • 7/29/2019 Gographie de Strabon

    17/27

    de l'Indus, ce sont tous les mmes, suivant lui, que l'on retrouve dans le Nil, l'hippopotameexcept. Encore Onsicrite prtend-il qu'on y trouve aussi l'hippopotame. Enfin Aristobule faitremarquer qu' l'exception de l'alose, du muge et du dauphin, aucun poisson de mer ne remontele Nil cause de la prsence des crocodiles, tandis que les poissons de mer qui remontentl'Indus sont en quantit innombrable, que les squilles notamment le remontent en foule, les pluspetites jusqu' sa sortie des montagnes, les plus grosses jusqu' son confluent avec l'Acsine.

    Mais nous en avons assez dit sur les animaux particuliers l'Inde, revenons Mgasthne etreprenons la suite du passage que nous avions interrompu.

    46. Aprs les chasseurs et les ptres, Mgasthne indique une quatrime classe compose desartisans, des petits marchands ou revendeurs, et de tous ceux qui vivent du travail de leurs bras.Des membres de cette classe, les uns acquittent une contribution, les autres doivent l'Etatcertaines corves ou prestations ; mais il y en a d'autres aussi, tels que les ouvriers armuriers etles charpentiers de la flotte, qui, travaillant exclusivement pour le Roi, sont pays et nourris parlui. En outre le roi a son stratophylaxou intendant d'arme qui distribue les armes aux soldats etson navarque ou amiral qui loue, soit aux voyageurs, soit aux trafiquants par mer, les vaisseauxdont ils ont besoin.

    47. La cinquime classe est celle des guerriers qui passent boire et se divertir tout le temps[qu'ils n'emploient pas se battre]. Le Roi les dfraye de tout, une condition, c'est que, n'ayant fournir que leurs personnes, ils seront, en cas de besoin, toujours prts marcher.

    48. Les inspecteurs ou phores, qui forment la sixime classe, ont pour fonction spciale desurveiller tout ce qui se passe et d'en faire au Roi des rapports secrets. Ils s'aident cet effet descourtisanes, celles de la ville renseignant les phores urbains, tandis que celles qui suiventl'arme renseignent les phores ou inspecteurs militaires. Le Roi prpose ces fonctionstoujours les plus vertueux et les plus fidles de ses sujets.

    49. Dans la septime classe sont rangs les conseillers et assesseurs du Roi, et c'est de cette

    classe qu'on tire les grands dignitaires de l'Etat, les juges et les diffrents fonctionnaires etofficiers d'administration. Les mariages d'une classe l'autre sont interdits. Il n'est pas permis dechanger de profession ou de mtier, ni d'exercer plusieurs mtiers la fois, moins que l'onn'appartienne la classe des philosophes : pour ceux-ci en effet la chose est tolre eu gard leur grande vertu.

    50. Parmi les hauts dignitaires on distingne les agoranomes, les astynomes et lesprfetsmilitaires. Les premiers ont dans leurs attributions la surintendance des cours d'eau, l'arpentagedes terres comme Egypte, et la surveillance des cluses servant distribuer l'eau dans lescanaux d'irrigation, surveillance destine assurer tous les cultivateurs une gale quantitd'eau. Les mmes magistrats ont sous leur juridiction les chasseurs, et ils les rcompensent oules punissent suivant leurs mrites ; ce sont eux aussi qui peroivent les impts et qui inspectentles diffrentes industries auxquelles la terre fournit la matire premire, savoir les bcherons,

    les charpentiers, les forgerons, les mineurs. Enfin ce sont eux qui font faire les routes et quiveillent au placement de dix en dix stades des bornes ou colonnes destines indiquer lesdistances et les changements de direction.

    51. Les astynomes ou diles sont diviss en six pentades ou sections de cinq membres : les unssurveillent les arts et mtiers, les autres reoivent les trangers, leur assignent des logements etobservent leur conduite par les yeux d'acolytes qu'ils attachent leurs personnes, les faisantescorter leur dpart, ou, s'ils sont morts pendant leur sjour, renvoyant dans leur pays tout cequi leur a appartenu, aprs les avoir soigns et assists dans leur maladie et avoir pourvu leurspulture. Ceux de la troisime pentade recherchent les naissances et les morts et en constatentla date et toutes les circonstances dans l'intrt de l'impt et aussi parce qu'il y a utilit publique ce que la naissance et la mort des puissants et des humbles, des bons et des mchants, soient

    galement enregistres. Ceux de la quatrime font la police des marchs, de la vente au dtail etdes menus changes : ils ont dans leurs attributions les poids et mesures, ainsi que l'inspection

  • 7/29/2019 Gographie de Strabon

    18/27

    des denres de chaque saison, lesquelles ne peuvent tre apportes au march que quand ilsont publi le ban de vente. Ce sont eux aussi qui empchent que le mme marchand, s'il ne paiedouble impt, vende ou change deux espces de denres. Quant aux membres de la cinquimepentade, ils prsident la vente des objets manufacturs et font vendre part, aprs annoncesdistinctes, les objets neufs et les objets vieux, dfendant de les mler sous peine d'amende.Ceux enfin de la sixime et dernire pentade prlvent la dme sur chaque objet vendu, et

    quiconque fraude sur ce droit est puni de mort. Telles sont les fonctions attribues chaquecollge en particulier, mais les membres des six sections exercent en outre une surveillancecommune sur les intrts privs et collectifs de leurs administrs, sur la rparation des dificespublics, sur les prix, sur la tenue du march, sur les ports, sur les temples.

    52. Aprs le collge des astynomes vient, avons-nous dit, celui des intendants de la milice, quiforme galement six pentades. La premire est adjointe au navarque, la seconde adjointe l'inspecteur gnral des transports, lesquels se font l'aide d'attelages de boeufs et comprennentle charroi des machines de guerre, les convois de vivres et de fourrages et en gnral tous lesapprovisionnements de l'arme. C'est la seconde aussi qui pourvoit aux services subalternes,l'arme y recrutant ses tambours, ses trompettes, voire mme ses palefreniers, ses machinisteset ses aides-machinistes. Enfin, c'est elle qui, au son de la trompette, runit et expdie les

    fourrageurs, et qui, par le droit de rcompenser et de punir dont elle est arme, acclre etassure ce service important. La troisime section s'occupe uniquement de l'infanterie, comme laquatrime de la cavalerie, la cinquime des chars de guerre et la sixime des lphants. Le Roi adans ses curies les chevaux et les lphants. De mme les armes sont dposes dans l'arsenalroyal, et c'est l qu'au retour d'une campagne chaque soldat rapporte les diffrentes pices deson fourniment, en mme temps que chaque cheval et chaque lphant sont ramens dans lescuries du Roi. On n'emploie le mors ni pour les chevaux ni pour les lphants. Dans lesmarches, ce sont des boeufs qui tranent les chars de guerre ; quant aux chevaux, on les mneau licou, pour leur viter l'engorgement des jambes et dansla crainte de leur faire perdre tout leurfeu si on les laissait attels aux chars trop longtemps. Chaque char est mont par deuxcombattants, non compris le conducteur, et chaque lphant par trois archers, non compris lecornac, qui fait le quatrime.

    53. Sobres en tout temps, les Indiens le sont encore plus la guerre. Leurs armes ne sont pasencombres d'une foule inutile et prsentent cause de cela un ordre parfait. Il y a notammenten temps de guerre comme une trve de vols : ainsi dans l'arme de Sandrocottus, une armede 400 000 hommes, Mgasthne, qui accompagnait le Roi, dit n'avoir jamais vu dnoncer devols de plus de deux cents drachmes. Et pourtant, ajoute-t-il, les Indiens n'ont pas de loiscrites. Ils ne connaissent pas l'criture et traitent toutes les affaires de mmoire. Mais ils ne s'entrouvent pas plus mal, grce la simplicit de leurs moeurs et leur sobrit : on sait qu'ils neboivent jamais de vin, si ce n'est pendant leurs sacrifices, et le vin qu'ils boivent alors n'est pasmme fait avec de l'orge, c'est du vin de riz, comme le fond de leur nourriture est une espce desoupe au riz. La raret des procs atteste encore l'ingnuit avec laquelle leurs lois sont faites etla franchise qu'ils apportent dans leurs contrats. Jamais la rclamation d'un gage ou d'un dptne donne lieu chez eux une action judiciaire, bien que l'engagement ou le dpt ne soit garanti

    ni par la prsence de tmoins ni par l'apposition de scells, mais uniquement par la bonne foi dudpositaire. Dans leurs maisons mmes la plupart du temps rien n'est enferm. Toutes cescoutumes assurment sont autant de preuves de sagesse, ils en ont d'autres en revanche qu'onne saurait approuver autant. On regrette par exemple que chaque famille vive et mange toujoursseule, l'heure des repas du matin et du soir n'tant pas la mme pour tout le monde et variant augr de chacun, car l'usage contraire, tant pour l'agrment de la socit que pour les ncessitsde la vie publique, offre bien plus d'avantages.

    54. En fait d'exercices gymnastiques, les Indiens prisent surtout la friction. Il y en a de plusieurssortes, mais celle qu'ils prfrent est la friction faite l'aide d'trilles d'bne soigneusementpolies, lesquelles rendent la peau du corps lisse et unie. Leurs spultures sont sans apprt etconsistent en tumulus fort peu levs. Quelque chose cependant jure avec cette simplicit qu'ils

    apportent dans tout le reste, c'est leur got pour la parure. Leurs vtements sont couverts d'or ougarnis de pierres prcieuses et faits de fines toffes brodes de diffrentes couleurs. Ajoutons

  • 7/29/2019 Gographie de Strabon

    19/27

    qu'ils se font suivre toujours de parasols. Ayant le culte de la beaut, ils ne ngligent riennaturellement de ce qui peut rehausser l'clat du visage. D'autre part il y a deux choses qu'ilshonorent galement la vrit et la vertu, et c'est pour cela qu'ils n'accordent la vieillesse aucuneprrogative qui ne soit mrite en mme temps par la supriorit de la sagesse et de la raison.Chaque Indien a plusieurs femmes achetes par lui leurs parents et reues en change d'unattelage de boeufs : des unes il attend docilit et obissance, des autres, plaisir et fcondit.

    Mais toutes celles qui n'ont pas reu de leur mari l'ordre exprs de demeurer chastes sont libresde se prostituer. On ne voit personne se ceindre la tte d'une couronne pour offrir aux dieux unsacrifice, de l'encens ou une libation. La victime n'est pas gorge, elle expire touffe, l'hommene devant consacrer la divinit rien de mutil, rien qui ne soit parfaitement entier. Quiconqueest pris en flagrant dlit de faux tmoignage se voit condamner avoir les pieds et les mainscoups. Quiconque estropie un de ses semblables, non seulement subit le mme traitement,mais est condamn en outre avoir une main coupe, et, si c'est un artisan qu'il a fait perdre parsa faute soit un oeil, soit un bras, il n'encourt rien moins que la peine capitale. Mgasthneprtend encore qu'aucun Indien n'a d'esclaves, mais Onsicrite attribue cette horreur del'esclavage aux seuls habitants du nome de Musicn, et il la leur impute grand honneur, commeune preuve de plus de la supriorit de leur constitution, si fort prne par lui.

    55. Le Roi n'a autour de lui pour les soins de sa personne que des femmes, qu'il a achetes luiaussi leurs parents, pas un garde du corps, pas un militaire ne doit franchir le seuil de sonpalais. Si le Roi est vu ivre par une de ses femmes et que cette femme le tue, elle en estrcompense en devenant l'pouse de son successeur ; or, le successeur du Roi est toujours unde ses enfants. Le Roi ne repose jamais pendant le jour, et, la nuit, on l'oblige changer dechambre et de lit d'heure en heure pour le soustraire aux tentatives d'assassinat. Des sorties quefait le Roi hors de son palais, trois seulement ont un autre objet que la guerre. La premire a pourbut d'aller tenir ses assises de juge souverain. Il passe alors la journe entire donneraudience, sans s'interrompre mme quand est venue l'heure habituelle de sa toilette, laquelleconsiste, avons-nous dit, en frictions faites sur tout le corps au moyen d'trilles d'bne, de sortequ'il continue couter les parties, mme aprs qu'il s'est livr aux mains des quatre masseurschargs de le frictionner. Quant la seconde et la troisime sortie, elles ont lieu, l'une

    l'occasion des sacrifices publics et l'autre l'occasion des grandes chasses. Cette dernirerappelle proprement la pompe bachique. La personne du Roi est protge par ses femmesd'abord, qui se rangent en cercle autour de lui, puis par ses gardes du corps, qui forment enquelque sorte un second cercle ou cercle extrieur. Sur tout le parcours du cortge royal, la routeest borde de cordes, et quiconque ose les franchir et pntrer jusqu'aux femmes est mis mort.Des tambours et des trompettes ouvrent la marche. Quand le Roi chasse dans un parc, il estassis l'arc la main sur une haute estrade avec deux ou trois de ses femmes armes sescts, et il tire de l sur le gibier qui passe ; hors des parcs, il ne chasse que mont sur unlphant. Quant ses femmes, les unes le suivent en char, les autres sont cheval, d'autresenfin sont montes sur des lphants, comme lorsqu'elles l'accompagnent la guerre enAmazones exerces manier toutes les armes.

    56. Compars aux ntres, ces usages assurment paraissent fort tranges, mais voici qui

    paratra plus trange encore. Suivant Mgasthne, les habitants du Caucase n'ont commerceavec leurs femmes qu'en public, et, aprs la mort de leurs parents, ils mangent leurs corps. Lemme auteur signale l'existence de singesptrokylistes, qui, des hauteurs inaccessibles o ils serfugient, roulent des quartiers de roche sur la tte des chasseurs. Il prtend en outre que laplupart de nos animaux domestiques se trouvent dans cette partie de l'Inde l'tat sauvage ; qu'ils'y trouve aussi des chevaux tte de cerf surmonte d'une seule corne, des roseaux droitslongs de trente orgycs et des roseaux rampants longs de cinquante et tellement gros que leurdiamtre mesure trois coudes et quelquefois le double.

    57. Il va plus loin, et, donnant en plein dans la fiction, il nous dcrit toute une race d'hommes dontla taille varie de trois cinq spithames, et chez qui le nez est remplac par un double orificeplac au-dessus de la bouche et qui leur sert respirer. Il ajoute que ces