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Page 1: Geochimie

71 L.P.S. – Rapport d’activité 1996-2000

SCIENCES DE LA TERRE IV. Géochimie des éléments en traces

IV.1. Développement de l'analyse par activation IV.1.1. Analyse par activation : outil géochimique J.L. Joron, M. Treuil en collaboration avec L. Raimbault, Ecole des Mines de Paris

Pour aborder la discussion des modèles pétrogénétiques et la caractérisation des sources mantéliques, notre méthode s’appuie sur une géochimie comparée et systématique d’éléments dans les différents contextes géodynamiques [38].

Cette géochimie comparée repose sur les éléments hygromagmaphiles et leurs propriétés particulières, qui servent de référence pour suivre le comportement des autres éléments.

Le contraste de propriétés des éléments est mis à profit pour établir les lois de distribution de ces éléments et leur comportement au cours des processus pétrogénétiques. L’étude de familles d’éléments de propriétés variables va permettre de mieux contraindre les modèles. Ceci implique une analyse multi-élémentaire.

La mise en évidence des lois de fractionnement des éléments en trace est confrontée d’une manière systématique aux interférences des effets des différents opérateurs naturels et aux sensibilités relatives des éléments à ces opérateurs. De plus, cette mise en évidence est liée aux pouvoirs de résolution des outils analytiques. Ainsi, si les contrastes de propriétés des éléments étudiés sont forts, les exigences analytiques sont moindres. Inversement si les contrastes de propriétés sont faibles, les exigences analytiques sont fortes.

Cette géochimie comparée et systématique, abordant les différents domaines géodynamiques et nécessitant donc l’étude d’un grand nombre d’échantillons. Cela signifie que l’outil analytique doit être fiable, rapide, reproductible.

A ces exigences analytiques viennent s’ajouter d’autres contraintes, en particulier une maîtrise rigoureuse de l’ensemble du protocole d’échantillonnage et de mesure.

Aussi, on est en droit de se poser la question de savoir si les performances de notre outil d’investigation géochimique sont d’une part suffisantes pour bien

identifier les distinctions géochimiques que l’on veut faire apparaître et d’autre part compatibles avec les moyens d’analyses nécessaires (multi-éléments, nombre d’échantillons).

Des tests de reproductibilité, d’inter-comparaisons ont été effectués pour démontrer la reproductibilité, la fiabilité, la justesse des résultats[39, 40].

Les Figures 20, 21 et 22 illustrent ici des inter-comparaisons de résultats obtenus à l’aide des techniques les plus performantes et les plus couramment utilisées en géochimie.

Figure 20 : Intercomparaison ENAA-dilution isotopique : exemple du thorium.

0

1

2

3

4

Dilu

tion

iso

topi

que

0 1 2 3 4ENAA

Thorium

Figure 21 : Intercomparaison ENAA-XRF : exemple du strontium.

0

100

200

300

400

500

600

700

XR

F

0 100 200 300 400 500 600 700ENAA

Strontium

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SCIENCES DE LA TERRE microgrammes (en routine, quelques dizaines de microgrammes) résulte d'une extension logique de l'analyse systématique de minéraux hydrothermaux (en tant que traceurs des fluides vecteurs des transferts dans la croûte continentale), pour laquelle une grande expertise a été développée dans la précédente décennie : l'obtention de fractions minérales séparées pures est un processus long et fastidieux, surtout quand ces phases sont très dispersées, et qui de surcroît, par l'effet de moyenne, ne permet pas d'évaluer les paramètres statistiques des populations étudiées. En analysant systématiquement 4 grains isolés pour chaque population (et quelquefois beaucoup plus), on a accès à de tels renseignements. Quatre exemples illustrent notre propos [41-46].

1. Dans un granite banal à teneur en Mo assez basse (< 2 ppm), il a été possible de trouver trois petits grains de molybdénite MoS2 (par broyage/tamisage d'une grande quantité de matériau), alors qu'il est tout à fait improbable d'observer ce minéral par les moyens microscopiques usuels. Ces trois grains, d'une masse individuelle inférieure à 10 µg, ont pu être analysés quantitativement pour Mn, Fe, As, Se, Ag, Sb, W et Re.

2. Dans le même granite, une population de zircons a été extraite et une petite dizaine a été analysée grain par grain, chaque grain pesant environ 10-20 µg. Dans l'ensemble, la population est homogène, trahissant son origine magmatique en accord avec l'aspect prismatique des cristaux (en particulier, aucun zircon hérité n'a été observé...). Cependant, le grain le plus petit (~3 µg), de rapport longueur/largeur supérieur aux autres, montre un enrichissement net en terres rares lourdes par rapport aux autres (tous les spectres étant par ailleurs très enrichis en terres rares lourdes). Ceci est en accord avec un zircon tardif, témoin des derniers liquides à cristalliser dans le granite, enrichis en terres rares lourdes par rapport aux éléments piégés plus précocement (Zr, terres rares légères) (du xénotime tardif est par ailleurs connu dans ce granite).

3. Un granite à grenat et muscovite, enrichi en métaux rares (Nb-Ta-W), présente un spectre de terres rares tout à fait inhabituel, appauvri en terres rares légères et très appauvri (1/20 fois les teneurs chondritiques) en terres rares lourdes par rapport aux terres rares intermédiaires. Cet appauvrissement en terres rares lourdes pourrait être attribué au grenat,

Enfin, la simplicité du protocole analytique, purement instrumental, mis en œuvre dans l’analyse par activation a conduit à l’élaboration d’une banque de données sur les basaltes des grands domaines géodynamiques.

Ces intercomparaisons soulignent d'une part la justesse des résultats obtenus par activation et d'autre part les performances toujours actuelles de cet outil d'investigation. On peut affirmer que l'analyse par activation s'avère être un outil géochimique très puissant.

IV.1.2. Analyse quantitative de monocristaux de petite taille J.L. Joron en collaboration avec L. Raimbault, H. Peycelon, Ecole des Mines de Paris

L'analyse quantitative de très petites quantités de matériau, rendue possible grâce à la très grande sensibilité de l'activation neutronique, a été développée comme alternative et complément aux méthodes d'analyse ponctuelle des éléments trace apparues depuis deux décennies (e.g. PIXE, SIMS, LA-ICPMS). L'intérêt réside d'une part dans la possibilité d'intercalibration et de validation des différentes méthodes, mais également dans la possibilité d'analyse de phases très rares et/ou pour lesquelles des quantités infimes sont disponibles. L'analyse de grains isolés jusqu'à des masses aussi faibles que quelques

Figure 22 : Intercomparaison ENAA-ICP-MS : exemple du lanthane.

10

20

30

40

50

60

ICP

-MS

10 20 30 40 50 60ENAA

Lanthane

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SCIENCES DE LA TERRE mais les grenats sont xénomorphes, tardifs et leur spectre de terres rares montre qu'ils ont cristallisé alors que l'appauvrissement était déjà réalisé. Cependant, deux grains automorphes de grenat (une dizaine de µg chacun) ont été trouvés dans la fraction lourde et ont pu être analysés. Les spectres de terres rares de ces deux grenats ont enregistré deux stades d'évolution beaucoup plus précoces, et montrent sans ambiguïté le rôle du grenat dans l'évolution des spectres de terres rares des magmas successifs.

4. Dans les réacteurs nucléaires fossiles d'Oklo (Gabon), des apatites ont été observées formant d'anciennes veines le long desquelles les fluides ont pu s'échapper des cœurs des réacteurs lors de la phase de criticité. De tels grains ont été analysés par activation neutronique, et les résultats (Figure 23) montrent que les terres rares de ces apatites contiennent effectivement une proportion très prépondérante de terres rares de fission et/ou d'activation. En outre, le fractionnement entre les deux isotopes de l'europium ne peut s'expliquer que par un fractionnement d'origine chimique entre 151Eu divalent (des conditions réductrices sont connues localement) et 151Sm trivalent. Comme ce dernier a une demi-vie de 77,8 ans, il est nécessaire que le piégeage de ces terres rares soit contemporain des réactions de fission, montrant l'efficacité du réseau de l'apatite pour la rétention de ce type de produit de fission. Par contre, des cristaux hydrothermaux d'apatite de très petite taille ont été trouvés au voisinage des réacteurs, mais à l'extérieur : ils ne présentent aucune trace de produits de fission, montrant la bonne rétention des zones de réaction d'Oklo vis-à-vis des terres rares de fission.

En conclusion, ces quatre cas d'école présentent des données et des résultats qui n'auraient pas pu être obtenus avec d'autres méthodes que l'activation neutronique.

Figure 23 : Diagramme à quatre nucléïdes permettant de séparer les apatites hydrothermales de composition isoto-pique naturelle (étoiles) des apatites des zones de réaction présentant des rapports isotopiques complètement anormaux résultant à la fois des réactions de fission et de capture neutronique. Noter que la mesure du rapport 152Gd/152Sm, aisée par activation neutronique, est impos-sible par une autre méthode sans une séparation chimique de Sm et Gd.

IV.2. Concept d'ISOTER et géodyna-mique chimique J.L. Joron, M. Treuil

Le modèle de géodynamique chimique proposé par Claude Allègre pour rendre compte de l’évolution de notre planète nécessite d’une part, de préciser les processus des échanges d’énergie et de matière entre les différentes réservoirs et d’autre part, d’identifier ces réservoirs.

La géochimie isotopique, du fait de l’absence de fractionnement des isotopes des éléments lourds au cours des processus pétrogénétiques, a été mise à profit pour caractériser leurs propriétés géochimiques. Notre démarche reposant sur la géochimie des éléments en traces, a été axée sur l’analyse du comportement différencié des éléments chimiques au cours des processus magmatiques. Cette démarche nous a permis d’identifier les processus eux-mêmes et de distinguer leurs influences respectives. Ainsi, avons-nous réussi à remonter jusqu’aux empreintes héritées des sources des magmas. Ces empreintes découlent

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SCIENCES DE LA TERRE pétrochimiques des domaines mantelliques d’où sont issus les magmas basaltiques.

Nous reprenons les principaux diagrammes que nous avons développés mais en passant des coordonnées normales aux coordonnées logarithmiques afin de lisser les variations des plus faibles ordres de grandeur.

L’approche du concept d’ISOTER, sur la base des diagrammes que nous avons proposés, est privilégiée par l’effet d’échelle que permet l’usage des coordonnées logarithmiques. Cet effet se traduit par une réduction complémentaire des empreintes des processus magmatiques de genèse et de différenciation des laves basaltiques qui ont fait l’objet de notre étude systématique.

Dans les limites ainsi définies, nous identifions les empreintes des évolutions géochimiques du manteau qui peuvent être analysées sur la base d’une méthode de géochimie comparée et systématique qui caractérise notre démarche et sur l’usage des diagrammes que nous avons proposés.

Les meilleurs ISOTER sont ceux qui, dans ces diagrammes, éliminent les superpositions des variations observées dans les différentes populations de basaltes engendrées dans les différents contextes géodynamiques. Ainsi, le diagramme Th/Ta versus Yb/Tb permet une individualisation des différents domaines (Figure 24).

des fractionnements limités et quantifiables des éléments hygromagmaphiles qui les rapprochent de ceux des isotopes, d’où le concept d’ISOTER. (Isotopes like trace element ratios).

Cette analyse repose d’autre part sur l’étude de systèmes volcaniques bien identifiés et plus particulièrement des séries basaltiques faiblement différenciées et localisées dans les principaux contextes géotectoniques caractéristiques des grandes transformations de la croûte et du manteau terrestre. Cela nous a permis de constituer, à l’aide du même outil géochimique, l’analyse par activation neutronique, une banque de données particulièrement riche et homogène, utilisant les magmas basaltiques comme matériaux de sondage et enregistreurs des propriétés du manteau [47-52].

A partir de cette banque, partant du concept d’ISOTER, nous tentons d’en extraire les empreintes les plus saillantes de cette géodynamique chimique. Rappelons que pour les éléments hygromagmaphiles, leur extraction et leur stabilisation préférentielle dans les liquides magmatiques permettent de s’affranchir des hétérogénéités minéralogiques complexes des solides et de préserver l’héritage des caractéristiques

0,1

1

10

100

1 10

Yb/Tb

Th/T

a

MORB OIB subduction CFB CM PM chondrites C1 Lune

PM

CM

0,1

1

10

100

1 10

Yb/Tb

Th/T

a

MORB subduction CAB komatiitesCM PM chondrites C1

Lune andésites(2,7MA)

PM

CM

Figure 24 : Diagrammes Th/Ta, vs Yb/Tb permettant d'individualiser les grands domaines mantéliques.

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SCIENCES DE LA TERRE Comme nous l’avons montré et toujours vérifié depuis, le rapport Th/Ta permet une distinction très nette entre les domaines des basaltes médio-océaniques (MORB) et des basaltes d’îles océaniques (OIB) de ceux des domaines de subduction. Cette distinction du réservoir des laves des domaines de subduction s’effectue également avec les couples Ba/Ta et U/Ta. Quant au rapport Tb/Yb, il permet de dissocier le domaine des MORB de celui des OIB. Pour les autres réservoirs mantéliques, on observe que les basaltes alcalins continentaux (CAB) se superposent au domaine des OIB. Les tholéiites continentales (CFB) se positionnent en situation intermédiaire entre les domaines d’expansion et les domaines de subduction.

L’examen de différents couples d’éléments hygromagmaphiles souligne l’existence de régularités conformes aux propriétés de ces éléments. Ces régularités dans les grands domaines mantelliques et leur distinction, peuvent être interprétées par un modèle de différenciation en système ouvert décrit par une loi de Rayleigh [53].

IV.3. Activité d'observatoire : les volcans laboratoires IV.3.1. Suivi géochimique des produits éruptifs du Piton de la Fournaise (Réunion). Implications volcanologiques et magmatiques J.L. Joron en collaboration avec M. Semet, IPG Paris

Le Piton de la Fournaise, volcan actif de la Réunion est depuis longtemps considéré comme un point chaud. Durant les 50 dernières années, les éruptions se sont produites avec une fréquence moyenne d’une éruption par an. Les évents sont le plus souvent proches du cratère sommital ou s’échelonnent le long de fractures grossièrement radiales qui ne franchissent que rarement les remparts de l’Enclos Fouqué.

L’étude de la composition chimique (éléments majeurs, éléments trace) des laves préhistoriques et le suivi des éruptions depuis une vingtaine d’années a fourni une base de données pour l’interprétation des processus magmatiques et a amené des contraintes quant à la profondeur de différenciation et aux systèmes de dykes superficiels d’alimentation. Il en ressort que :

Ä Le magma caractérisant les éruptions du Piton de la Fournaise est de composition relativement constante lorsque celle-ci est corrigée de la contribution des phénocristaux ou xénocristaux (en particulier des olivines abondantes dans les océanites). Ä Ce magma est peu différencié, par cristallisation

fractionnée d’olivine, de clinopyroxène, de plagioclase et de spinelle chromifère, par rapport aux basaltes primitifs d’îles océaniques. Ä En première approximation, la plus grande part

de la variabilité de la composition peut être attribuée à l’effet de dilution par les cristaux.

Or, après 5 années de repos, l’éruption de mars 1998 qui s’est caractérisée par l’apparition de deux fissures opposées par rapport au sommet donnant naissance à 2 cônes, le Piton Kapor et le Piton Fred Hudson, a bouleversé cette monotonie.

L’étude des produits actuels provenant de ces deux pitons montrent au contraire des différences significatives entre les deux points de sortie (Figure 25) : pour le Piton Kapor une composition légèrement plus différenciée que la moyenne des basaltes des éruptions récentes et pour le cratère F. Hudson, une composition anormale par rapport à cette moyenne. Par contre ces deux magmas, vu leur composition, ne peuvent pas dériver l’un de l’autre [54-55].

Figure 25 : Diagramme Ta = f(Th) et Ni = f(Th) montrant les différences géochimiques des deux points de sortie.

Ceci oblige à revoir l’existence d’une chambre

magmatique sous le Piton de la Fournaise et tend plutôt à privilégier la remontée de ces magmas le long de dykes indépendants à partir du manteau supérieur.

0

50

100

150

200

250

Ni

2,0 2,2 2,4 2,6 2,8 3,0

Th

Kapor

Fred Hudson

1,0

1,5

2,0

2,5

Ta

2,0 2,2 2,4 2,6 2,8 3,0

Th

Kapor

Fred Hudson

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SCIENCES DE LA TERRE

modèle plus complexe d’alimentation faisant intervenir différents "paquets" de magmas provenant de taux de fusion variés d’une source homogène, leur individualisation perdurant depuis les zones profondes de fusion jusqu’au stade éruptif.

Les laves du cratère Central et du cratère Sud-Est se différencient par leur concentration en thorium, celles du cratère Central étant plus pauvres.

Le suivi de la dernière éruption débutée en février 1999 et pendant laquelle les différents caractères ont fonctionné à un moment donné en même temps, vient confirmer cette analyse. La Figure 27 présente les concentrations de Th mesurées au cours de la période novembre 98 – novembre 99.

Figure 27 : Variations temporelles du thorium dans les cratères central et Sud-Est.

Le suivi nous montre aussi que le cratère SE a

été depuis 20 ans le siège de 4 alimentations majeures espacées de 6 à 7 ans, la dernière caractérisant l’éruption de février 1999 [56, 57] où on assiste à la venue d’un magma analogue à celui qui alimentait le cratère central dans la même période (Figure 28).

Figure 28 : Evolution temporelle du thorium montrant les différents cycles d'alimentation majeurs du cratère SE.

IV.3.2.Suivi pétro-géochimique des produits éruptifs de l’Etna : Apport à la compréhension des mécanismes d’alimentation et des dynamismes éruptifs J.L. Joron, R. Clocchiatti

Le suivi de la composition en éléments majeurs et trace sur roches totales et inclusions vitreuses des produits émis au cours des différentes éruptions de l’Etna, nous apporte des informations sur les processus éruptifs et sur les mécanismes d’alimentation du volcan.

Pour cela, certains éléments chimiques obéissent à des lois simples et peuvent être utilisés comme des traceurs de la nature des laves. Nous prendrons ici l’exemple du thorium, élément ayant la propriété de rester dans la phase fondue de la lave et d’être insensible à la séparation des cristaux et des gaz.

La partie sommitale du volcan abrite quatre cratères actifs très proches : la Voragine et la Bocca Nuova qui constituent le cratère Central, le cratère Nord-Est et le petit dernier, apparu en 1968, le cratère Sud-Est (Figure 26).

Figure 26 : Schéma représentant les différents cratères actifs de l'Etna.

En général, ces différents cratères sont actifs

séparément mais il arrive parfois que plusieurs cratères fonctionnent en même temps. Le suivi géochimique que nous effectuons depuis 1983 nous a amené à remettre en cause l’idée généralement admise que ces différents cratères étaient alimentés par un réservoir superficiel. Les différentes observations nous ont conduit à un

6,5

7

7,5

8

8,5

9

1999 1999 1999 1999 1999 1999 1999 1999 1999 2000 2000 2000 2000 2000 2000

Th

Janvier 1999

Juillet 1999

Nov. 98

04/02/99 cratère Central

cratère Sud-Est

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9,0

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1 0 , 0

1 9 7 5 1 9 8 0 1 9 8 5 1 9 9 0 1 9 9 5 2 0 0 0

A n n é e

Th

(p

pm

)

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SCIENCES DE LA TERRE Après cet épisode, la lave du cratère SE va

reprendre petit à petit ses caractéristiques habituelles comme le montre la Figure 27. Début octobre, les deux cratères fonctionnent en même temps avec, de nouveau, des laves distinctes.

Des processus de mélange peuvent exister et compliquer le scénario : au cours d’une éruption, les différents magmas peuvent emprunter, près de la surface, le même conduit, se mélanger et sortir par le même cratère. L’épisode de février 1999 témoigne de ces processus. Les corrélations linéaires entre les éléments majeurs des inclusions et des olivines hôtes apportent la preuve de ces mélanges.

Autre constatation : le processus de contamination sélective en alcalins semble croître régulièrement, ce qui suggère que les processus d’interaction entre le magma et les sédiments du soubassement sont de plus en plus efficaces.

Conclusion : les données semblent indiquer qu’il existe une relation entre la nature des magmas, les types de dynamismes éruptifs et le contrôle structural à l’échelle de l’édifice volcanique. La corrélation entre la nature du magma et la dynamique éruptive est claire : plus le magma est primaire, plus il est riche en gaz, plus les dynamismes éruptifs sont importants par rapport aux dynamismes effusifs (fontaines de laves). Par contre, plus le magma sera évolué, plus l’activité effusive de type coulée sera importante par rapport à l’activité éruptive.

Cette complexité n’est pas propre à l’Etna et souligne l’intérêt d’un suivi pétro-géochimique pour mieux comprendre le fonctionnement d’un volcan.

IV.4. Traçage des pollutions dans l'environnement

IV.4.1. Analyse des réponses hydrogéochimiques des nappes aquifères aux sollicitations de leur environnement : utilisation des propriétés des Terres Rares F. Le Borgne, J.L. Joron, M. Treuil

Le développement des activités agricoles et minières peut conduire à des modifications importantes de la qualité de l’eau dans les nappes aquifères. Afin de connaître le devenir des espèces chimiques qui y sont injectées, de nombreux modèles hydrogéologiques ont été élaborés. Bien qu’ils soient utilisés abondamment, en particulier pour les études d’impact, ces modèles ne peuvent s’appliquer qu’à des cas réels simples. Mais dans la majorité des cas, le terrain présente des hétérogénéités spatiales et temporelles difficiles à modéliser. Une étude approfondie des migrations d’éléments dans une nappe alluviale, a été initiée dans le cadre de la thèse de F. Le Borgne, en 1997, en collaboration avec la société Morillon Corvol qui exploite une carrière de sables et graviers dans les alluvions de la Loire. Ce travail a pour but la mise en place d’un protocole d’étude des nappes alluviales transposable sur d’autres sites. Pour cette étude, un dispositif piézométrique d’observation a été mis en place dans les alluvions de la carrière. Il a permis le suivi de la qualité de l’eau, de la piézométrie ainsi que la réalisation de traçages multiples mettant en évidence les interactions de la nappe alluviale avec la nappe des calcaires de Beauce sous-jacente et avec la Loire. Les lanthanides complexés à l’EDTA ont été choisis comme traceurs afin d’appliquer une méthode de résolution des équations de transport par les lanthanides. La détermination des traceurs s’effectue par ICP-MS dans les eaux naturelles et par activation neutronique dans les alluvions. Au laboratoire, l'étude de la fixation des traceurs sur les sédiments a permis de compléter les observations de terrain.

L’observation de la nappe sur trois cycles hydrologiques a permis de montrer que le fonctionnement de la nappe alluviale est contrôlé par les fluctuations de la Loire. En période de faibles

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SCIENCES DE LA TERRE piégés dans les boues de sédimentation, réductrices, Hg et Zn sont entraînés plus loin et ne sont adsorbés efficacement sur les particules qui se sédimentent que lorsque celles-ci sont abondantes, et Mo est entraîné encore plus loin.

Un second cas d'étude concerne une friche industrielle sur un ancien site métallurgique ayant traité des minerais de zinc. Divers types d'échantillons ont été analysés mais, en général, les corrélations observées sont indépendantes de ces types. Là encore, l'intérêt de l'analyse par activation repose sur son aspect multiélémentaire, permettant de mettre en évidence des polluants a priori non soupçonnés : en plus de pollutions importantes en Zn, Pb, Cu et Cd, attendues dans ce contexte en raison de leur présence dans les minerais de zinc courants, sont mises en évidence des teneurs très fortes en As, Sb et Ag, et des teneurs fortes en Se et Mo (et en or également !). Les concentrations en As et Sb en particulier dépassent largement les normes admises et apparaissent problématiques. Les corré- lations observées (Figures 29a, b, c) montrent l'origine des différents métaux : Sb et Ag sont très clairement liés au minerai de plomb, alors que Mo et Au sont plutôt corrélés avec le cuivre, présent comme impureté dans le minerai traité ; Cd, Se et As (ces deux derniers vaguement corrélés) ne se rattachent pas aux éléments majeurs, laissant supposer qu'ils ont été dispersés dans la friche au cours des procédés de traitement. Il est intéressant de noter que Cd et Mo sont notablement enrichis dans les échantillons riches en matière organique et donc réducteurs.

Figure 29a : Diagramme bilogarithmique montrant les corréla-tions et les niveaux de teneurs dans une friche industrielle. Symboles : sf, échantillon à sulfures, cuir : cuirasse d'altération, tess : tessons, jar : échantillon à jarosite, scalt, scories

altérées, smo : échantil-lons à matière organique.

précipitations, les circulations latérales sont négligeables. La nappe alluviale se vide alors dans la nappe des calcaires de Beauce. En période de fortes précipitations, la remontée de la Loire engendre la remontée de la nappe alluviale par le biais de la nappe des calcaires karstiques dans laquelle s’effectuent les mouvements d’eau rapides. Des gradients de charge locaux s’installent alors dans les alluvions selon la distribution des perméabilités et des circulations horizontales sont alors observées dans les chenaux sablonneux. Ces mouvements locaux ne s’effectuent pas obligatoirement selon le sens indiqué par la piézométrie régionale.

IV.4.2. Sols et sédiments pollués J.L. Joron en collaboration avec L. Raimbault, B. Maurel, Ecole des Mines, Paris

L'aspect multiélémentaire de l'analyse neutronique instrumentale a été mis à profit dans l'étude de cas de sols et sédiments pollués par des activités industrielles. La sensibilité de la méthode et sa linéarité sur plusieurs unités de grandeur permettent d'observer les phénomènes depuis des taux de pollution faible jusqu'à des niveaux très élevés. De plus, le spectre d'éléments analysés simultanément recouvre à peu près les différents comportements géochimiques observés dans les conditions de surface et, plus important encore, inclut de nombreux "métaux lourds" qui constituent les polluants inorganiques les plus courants : Cr, Co, Ni, Zn, As, Se, Mo, Cd, Sb, Hg. Parmi ces polluants, certains éléments en particulier sont délicats à analyser par d'autres méthodes.

Un premier cas correspond à un bassin de rétention des eaux de ruissellement en aval d'une zone industrielle source de métaux lourds. La distribution des éléments dans les boues sédimentées au fond du bassin qui occupe une ancienne carrière, donne des informations sur leur mobilité relative. En effet les maxima observés pour Cd et Se se situent près des rejets des eaux de ruissellement, alors que pour Zn et Hg, ils correspondent aux zones de sédimentation maximale plus en aval dans le bassin, et que pour Mo ils semblent influencés par la présence d'une zone de pompage. Face à Cd et Se peu solubles et rapidement

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SCIENCES DE LA TERRE Figures 29b et c : Diagrammes bilogarithmiques montrant les corrélations et les niveaux de teneurs dans une friche

industrielle. Symboles : sf, échantillon à sulfures, cuir : cuirasse d'altération, tess : tessons, jar : échantillon à jarosite, scalt, scories altérées, smo : échantillons à matière organique. IV.4.3. Analogues naturels des sites de stockage : géochimie des fractures comme témoins de circulations subactuelles J.L. Joron en collaboration avec L. Raimbault, H. Peycelon, Ecole des Mines, Paris

Dans le cadre de l'étude des réacteurs nucléaires fossiles d'Oklo [58], considérés sous l'angle d'analogues naturels de sites de stockage de déchets radioactifs de haute activité, nous avons été amenés à mener l'étude géochimique des fractures "récentes" (i.e. n'ayant manifestement subi aucun mouvement tectonique depuis le dépôt des matériaux tapissant ces fractures, ce qui indique des âges postérieurs au crétacé, les contrecoups de l'ouverture de l'Océan Atlantique s'étant fait sentir jusque dans le bassin de Franceville). Ces tapissages de fractures sont les témoins des circulations aqueuses en conditions de subsurface correspondant à peu près à la profondeur prévue pour un site de stockage, et en raison de la rareté des eaux actuelles dans les terrains d'Oklo, cela représente une contribution importante à l'hydrogéochimie actuelle. L'activation neutronique a été un outil de choix dans la mesure où des matrices assez différentes ont été analysées, parfois en très petite

quantité (moins de 10 mg), et sur des solides souvent pulvérulents ou en tous cas mal consolidés.

Plus de 200 fractures ont été analysées le long d'une coupe est-ouest passant par l'une des zones de réaction ; toutes les fractures ont été échantillonnées dans les nombreux sondages miniers, ce qui a permis d'obtenir des résultats aussi bien dans la couche minéralisée que dans les terrains sus-jacents, principalement pélitiques (malheureusement rarement conservés dans les sondages). Les principaux résultats déduits de cette étude peuvent être résumés comme suit :

1. Trois principaux types géochimiques ont pu être définis en comparant les spectres d'éléments en traces, en particulier les terres rares (Figure 30) : l'un des types de spectres (L) est fractionné assez fortement mais de façon similaire à celle des roches protérozoïques encaissantes, un autre (H) présente un bombement au niveau des terres rares légères, tout à fait caractéristique. Le troisième type est moins représenté, et la plupart des analyses se rapportent à l'un de ces trois types.

Figure 30 : Spectres de terres rares des deux principaux types géochimiques reconnus dans les tapissages de fractures "récentes" du site d'Okélobondo à Oklo. Noter la différence de forme entre les deux groupes, ainsi que les teneurs particulièrement élevées observées dans certains échantillons.

2. La nature minéralogique du remplissage de

fracture est indépendante du type géochimique. Dans tous les cas, on observe des proportions plus ou moins

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SCIENCES DE LA TERRE 5. D'un point de vue géochimique, l'observation d'anomalies en europium d'amplitudes opposées dans les fractures à calcite dominante et dans les fractures à argiles dominantes a permis d'évaluer le degré d'oxydation des solutions aqueuses et de confirmer ainsi qu'elles se situaient dans le champ de stabilité de la pyrite, en accord avec les observations mais en désaccord avec certains modèles géochimiques d'évolution des eaux actuelles qui font intervenir des sulfates quasiment inconnus dans les roches étudiées.

6. Enfin, on notera les concentrations étonnamment fortes en éléments réputés "immobiles" dans les tapissages de fractures : il s'agit de Zr, Hf, Th, des terres rares. Ceci suggère une forte capacité de transport de ces éléments dans les saumures de bassins sédimentaires.

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importantes de calcite et d'argiles (illite dominante), allant de fractures à calcite pure (assez nombreuses) à des fractures à argiles seulement (plus rares). On observe un léger fractionnement des spectres de terres rares entre les deux cas (calcite vs argiles), traduisant les effets minéralogiques, mais le type géochimique (H ou L) reste parfaitement identifiable. En d'autres termes, le type géochimique résulte d'un type de circulation spécifique possédant une géochimie (et donc à la fois un spectre et un mode de complexation propres), alors que la composition minéralogique traduit des variations locales de sursaturation des composants majeurs. La pyrite est dans tous les cas associée en plus ou moins grande quantité, jusqu'à des tapissages de pyrite pure, où la signature est plus délicate à reconaître.

3. Globalement, les deux types les plus importants sont associés spatialement à des masses de roches différentes : série inférieure gréseuse pour L, qui est aussi présente dans la série supérieure dans une moindre mesure, et série supérieure pélitique et carbonatée pour H. Il existe quelques cas de fractures présentant des signaux mixtes, montrant que les deux circulations se sont succédées dans les mêmes chenaux. L'interprétation résultante fait apparaître deux systèmes de circulation correspondant à des niveaux d'érosion différents.

4. Compte tenu de la relative homogénéité des types, il n'a pas été possible de modéliser les transports géochimiques comme cela était espéré au début de l'étude ; néanmoins, la distribution des fractures dans l'espace suggère que les débouchés des circulations hydrauliques sont d'une part un débouché connu actuellement, ce qu'on peut interpréter comme indiquant que ce débouché actuel (point bas d'un système hydrographique) correspond peut-être à une zone de faiblesse (nombreuses fractures), et d'autre part une zone de faille actuellement fonctionnant en sens inverse (infiltration), mais qui a probablement servi de drain remontant du système profond. On obtient donc à la fois une confirmation (ce qui était recherché) et un complément à l'étude hydrogéologique.

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