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    F I G U R E S V

    Extrait de la publication

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    Du mme auteur

    Figures ISeuil, Tel Quel , 1966

    et Points Essais , no 74, 1976

    Figures IISeuil, Tel Quel , 1969

    et Points Essais , no 106, 1979

    Figures IIISeuil, Potique , 1972

    MimologiquesVoyage en Cratylie

    Seuil, Potique , 1976et Points Essais , no 386, 1999

    Introduction larchitexteSeuil, Potique , 1979

    PalimpsestesLa littrature au second degr

    Seuil, Potique , 1982

    et Points Essais , n

    o

    257, 1992Nouveau Discours du rcitSeuil, Potique , 1983

    SeuilsSeuil, Potique , 1987

    et Points Essais , no 474, 2001

    Fiction et DictionSeuil, Potique , 1991

    Esthtique et potique(textes runis et prsents par Grard Genette)Seuil, Points Essais , no 249, 1992

    Luvre de lart* Immanence et Transcendance

    Seuil, Potique , 1994

    Luvre de lart** La Relation esthtique

    Seuil, Potique , 1997

    Figures IVSeuil, Potique , 1999

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    G R A R D G E N E T T E

    FIGURES V

    DIT IONS DU S EUIL27, rue Jacob, Paris VIe

    Extrait de la publication

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    C E L I V R E E S T P U B L I D A N S L A C O L L E C T I O N

    POTIQUE

    D I R I G E P A R G R A R D G E N E T T E

    ISBN2-02-050565-7

    DITIONS DU SEUIL, FVRIER2002

    Le Code de la proprit intellectuelle interdit les copies ou reproductions destines une utilisationcollective. Toute reprsentation ou reproduction intgrale ou partielle faite par quelque procd

    que ce soit, sans le consentement de lauteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue unecontrefaon sanctionne par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la proprit intellectuelle.

    www.seuil.com

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    Ouverture mtacritique

    Alors quil venait peu prs de classer la critique littraire entrois sortes celle, spontane , des honntes gens (qui, selonSainte-Beuve, se fait Paris et en causant ), celle des profes-sionnels (de la critique, sentend) et celle des artistes , cest--dire en loccurrence des crivains eux-mmes , Albert Thibaudetsempressait dinclure dans la premire, au point de les identifiertotalement lune lautre, la critique des journaux , cette forme

    de la critique spontane qui aujourdhui a presque absorb toutes lesautres . Conscient de la surprise que pouvait provoquer cetteabsorption et donc la disparition de la catgorie sociale, devenueeffectivement obsolte, des honntes gens , il reconnaissaitaussitt la permabilit de ces frontires, ajoutant avec une dsin-volture que tout manipulateur de classifications devrait bien imiter : Il va de soi que cette distinction des trois critiques est excellente faire, mais quune fois faite elle est aussi trs bonne dfaire 1. Du

    mme coup, la deuxime catgorie, celle des critiques profession-nels , se trouvait rduite une seule profession, celle des profes-seurs, si bien que la classification en venait rpartir la critiqueentrecrivains,professeurset journalistes, ces derniers, apparem-ment, dsormais simples amateurs, mais peut-tre faut-il dire ama-teurs professionnels ou professionnels de lamateurisme.

    Ces trois exercices me semblent, aujourdhui, encore moinsclairement spars que sous la dfunte Troisime Rpublique des

    1. Albert Thibaudet,Physiologie de la critique[1930], Nizet, 1962, p. 21-35. (Saufindication contraire, le lieu ddition est Paris.)

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    Lettres, o Thibaudet lui-mme en illustrait dj assez notoirementla synthse. Et si jessayais mon tour de distribuer more geome-trico les diverses sortes de critique, non pas seulement littrairemais plus gnralement artistique, je croirais, en contournant lescatgories professionnelles invoques par lui, pouvoir le faire pluspertinemment de trois manires : selon lobjet, selon lafonctionetselon lestatut gnrique non pas bien sr du critique lui-mmecomme producteur, mais de la performance crite, orale, voire (la tlvision) mimique et gestuelle, quil produit. Lobjet peut trede nature et damplitude trs variables : de nature, selon les arts,et damplitude, selon que le critique sattache une uvre singu-

    lire, luvre entier dun artiste individuel, ou la productioncollective dun groupe, dune poque, dune nation, etc. De fonc-tions, on peut distinguer trois : description, interprtation, appr-ciation. De genres, deux : lecompte rendu(ou recension ) jour-nalistique, revuistique ou mdiatique, gnralement bref et de dlaiaussi rapide que possible (cest--dire, en fait, inversement propor-tionnel au degr daccointance entre auteur recens et organe recen-seur), et lessai, de dimensions et de relation temporelle son objet

    beaucoup plus indtermines.Lintrt du jeu, sil y en a un, tiendrait peut-tre la faon dontsarticulent entre elles ces catgories dobjet, de fonction et degenre. Dans labsolu, la croise de trois par trois donnerait neufespces, mais, comme dans tout tableau combinatoire de ce genre,quelques cases virtuelles resteraient sans doute vides, ou nonencore remplies je nose dire honores. Il me semble plus rai-sonnable, ou plus expdient, de considrer dans les faits comment

    les objets et les fonctions se rpartissent entre les genres institus.*

    Les fonctions cardinales du compte rendu dpendent de sonoffice social, qui est dinformer et de conseiller un public, censdemander sil doit lire un livre, couter un concert, assister unepice, un film ou une exposition. Elles sont donc pour lessentielde description (et dabord de pure information : tel livre a paru,tel film est sorti en salles , telle exposition a lieu tel endroit),et dapprciation, le got du critique devant clairer celui du public

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    ft-ce parfoisa contrario: Si Untel a aim a, je peux mabs-tenir. Il sensuit que lobjet est ici, assez typiquement, une uvresingulire, et de production rcente ; mais ce trait nest pas absolu :une exposition comporte gnralement plusieurs tableaux ou sculp-tures, ventuellement dus plusieurs artistes, et un concert ou uneexposition rtrospective peut avoir pour contenu une productionancienne. Dautre part, certains vnements artistiques, comme unhappening ou un concert unique, sont temporellement singulatifs,ce qui prive leur compte rendu, rtrospectif mais forcment nonrtroactif, de sa fonction de conseil : Untel (toujours lui) a jug telinterprte admirable dans telle uvre, il peut nous le faire savoir,

    et cette information est, sinon oiseuse, du moins sans effet pratique,puisquil ne peut plus nous inviter venir partager ce plaisir ; ilnen va videmment pas de mme pour une critique de disque, nidailleurs pour une critique dramatique, car la mme distributionpeut tenir laffiche quelques semaines ou quelques mois. En outre,lobjet dune critique musicale ou thtrale est toujours double,quoique en proportions variables, puisquil consiste la fois enluvre interprte et en son interprtation ; proportions variables,

    parce que le compte rendu dune cration porte lgitimementdavantage sur luvre cre que celui dune reprise : la trois cen-time production deLAvareest moins, en principe, loccasion de revisiter ce texte ancien que dapprcier le travail nouveau dunmetteur en scne et dune troupe de comdiens. Enfin, il faudraitsans doute moduler cette description selon la nature, trs diverse,du support : le compte rendu journalistique (de rythme, aujour-dhui, typiquement hebdomadaire, puisque mme dans les quoti-

    diens les rubriques culturelles paraissent en gnral une fois parsemaine) est de raction (en moyenne) plus rapide et dorientationplus pragmatique que le compte rendu de revue, qui dbarquesouvent comme les carabiniers, plusieurs mois voire, dans lesrevues universitaires, plusieurs annes aprs que louvragerecens a t confi ce que Marx, je crois, appelait la critiquerongeuse des souris , ou celle, plus expditive, du pilon. Enrevanche, le compte rendu en revue peut tre plus attentif, ou dumoins plus dtaill, voire pointilleux (liste derreurs et de coquil-les), que celui des journaux. Quant au compte rendu mdiatique (radio, tlvision), il ne figure gure ici qu titre de regret, car

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    lespce en semble bien en voie dextinction au profit dun autreexercice : linterview de (ou entretien avec) lauteur, qui doit safaveur, je suppose, au fait quelle assure cet auteur une promotionplus efficace (puisque ordinairement pure, sauf penchant perverspour lautocritique, de toute apprciation ngative), quelle dis-pense davantage le journaliste dune lecture ventuellement fasti-dieuse, et quelle a plus de chance de plaire lauditeur,a fortioriau tlspectateur. Une conversation anime, avec un ou mieux plusieurs auteurs prsents qui passent bien , distrait davantagequun monologue sur une uvre absente qui, par dfinition, ne passe ni bien ni mal : le propos des uvres, on le sait peut-tre,

    nest pas exactement depasser(leur destin, cest une autre affaire).

    *

    Lautre genre canonique est donc ce quon appelle courammentlessai. Contrairement au compte rendu, cette forme nest certespas propre la fonction critique, mais en revanche toute tudecritique publie en volume relve, explicitement ou implicitement,

    du genre de lessai, mme sil sagissait lorigine dun compterendu en revue. Mais je devrais peut-tre diredes genresde lessai,car il en existe au moins deux : lessai bref, critique ou non, quine se publie que sous forme de recueil pluriel, comme les Essaisde Montaigne, ou, en fonction critique,La Part du feude Blanchot,et lessai tendu, capable doccuper lui seul un volume entier,comme lEssai sur lentendement humainde Locke, ou, en fonctioncritique, le Saint Genetde Sartre. Ce critre de longueur est par

    dfinition graduel : certains recueils peuvent regrouper un nombrerduit dessais dampleur moyenne, commeLittrature et sensationde Richard, qui en comporte quatre, sur Stendhal, Flaubert, Fro-mentin et les Goncourt. Mais cette distinction quantitative est sansgrande importance. Quelle quen soit la taille, lessai critique apour objet canonique luvre entier dun auteur, et donc la per-sonnalit individuelle de cet auteur, objet foncirement psycholo-gique par sa dlimitation mme ; mais ce peut tre aussi quoiqueplus rarement , comme pour le compte rendu, une uvre singu-lire : voyez leS/Zde Barthes, consacr la seule Sarrasine, sanscompter qucrire sur Montaigne, Saint-Simon ou Whitman, voire

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    Proust ou Musil, revient peu prs parler dune uvre unique ;ou encore des fragments ou dtails duvres : voyez la Mim-sisdAuerbach ou les Microlecturesde Richard ; ou au contrairequelque entit, historique et/ou gnrique, transcendante auxuvres, aux auteurs, parfois aux genres : Lukcs sur le roman,Rousset sur lge baroque, Rosen sur le style classique.

    La fonction typique de lessai critique nest plus gure aujour-dhui lapprciation, ou valuation : la grande critique duXXe siclese garde mme assez ostensiblement dune attitude aujourdhuitenue pour nave, voire vulgaire, et quelle abandonne volontiers la critique de compte rendu sachant dailleurs que le seul fait de

    consacrer quelques pages ou dizaines de pages une uvre est unhommage implicite son mrite, ou pour le moins son intrt.Sa fonction cardinale est donc de commentaire, soit un mixte, doses variables et vrai dire indiscernables, de description, dinter-prtation et dvaluation tacite. Sa relation temporelle son objetest tout fait indtermine : je puis crire demain une tude critiquesur Boulez, sur Czanne ou sur laChanson de Roland. Cette ind-termination tient au fait que le commentaire critique procde dune

    relation en quelque sorte personnelle (Georges Poulet parlaitdidentification) entre le critique et son objet, singulier ou gn-rique, et donc que chacun peut, et doit, rinterprter sa manireet de son point de vue toute uvre, rcente ou ancienne, qui luien inspire le dsir. Si le compte rendu spuise et le plus souventsabolit instantanment dans sa fonction pratique transitoire, lecommentaire est par nature infini, toujours renouveler, dpourvuquil est (et se veut) de toute efficacit pratique mesurable.

    Cette autonomie lui a valu, au moins depuis le XIXe

    sicle, de seconstituer en un genre littraire part entire mme lorsque sonobjet, lui, relve dun autre art que la littrature ; et, comme presquetout genre littraire, celui-ci, quoique de naissance rcente, tend se perptuer indfiniment, mais vrai dire sans garantie dternit.Cette conscration distingue sans doute son sort de celui de lacritique de compte rendu, mais on ne doit pas oublier le fait, djmentionn, que certains essais critiques ne sont rien dautre quedanciens comptes rendus recueillis en volume et promus de ce fait un statut gnrique plus gratifiant, comme lesCauseries du lundide Sainte-Beuve, dont le titre rappelle bien le mode originel de

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    Extrait de la publication

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    publication, lesRflexionsde Thibaudet ou certaines desSituationsde Sartre ; ou, dans dautres arts, les Salons de Diderot ou deBaudelaire, ou les chroniques de Monsieur Croche, de ClaudeDebussy.

    *

    Jai dit pour quelles raisons la critique de compte rendu mesemblait quelque peu menace, entre autres, par la concurrencefatale de lauto-commentaire dauteur. Si cette menace venait saccomplir, ce mode de critique aurait simplement succomb,

    comme toute chose, lextinction de sa fonction propre. La critiquede commentaire, quant elle, nest plutt menace, si elle lest,que par son absence de fonction pratique, moins que lon neconsidre comme telle son investissement(publish or perish)dansles procdures universitaires de qualification et de slection. Si elledevait succomber son tour, ce serait peut-tre davantage partouffement, sous le poids de ce quelle revendique parfois commeson immanence : une proximit son objet qui la condamne

    une forme de redondance, et bientt de saturation. Benedetto Croceinvitait un jour obligeamment les critiques mditer cette inter-diction affiche en Allemagne dans certaines salles de concert :Das Mitsingen ist verboten, Dfense de fredonner nallez surtoutpas lire freudonner avec lorchestre. Il nest heureusement pasquestion ici dinterdire, mais sans doute devrions-nous plus souventsuivre la partition en silence, et laisser la musique sinterprterelle-mme, sans la couvrir de notre murmure. On dfinit parfois

    le discours critique comme le plus court chemin entre deux cita-tions . Cette dfinition se veut sans doute dsobligeante, mais, tout prendre, la plus grande brivet serait peut-tre ici le mritesuprme.

    *

    Mais peut-on bien parler dune critique immanente ? Le sens leplus correct du moins le plus littral de cette expression seraitsans doute : une critique de luvre contenue dans luvre mme,comme la justice immanente est cense tre contenue dans la

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    faute mme, ou Dieu dans la Nature selon les philosophes pan-thistes ; une telle situation ne relve dailleurs nullement dunehypothse fantaisiste : on peut bien rencontrer et l dans telle outelle uvre littraire (le fait serait videmment un peu plus difficile trouver dans une uvre plastique ou musicale), par exemple chezBalzac, chez Proust ou chez Gide, un auto-commentaire, plus oumoins direct, et plus ou moins pertinent, de cette uvre insr dansson texte par son propre auteur. En ce sens, donc, le terme critiqueimmanente serait dun emploi lgitime, et dune applicationclaire, mme si peut-tre un peu simplette. Mais tel nest pas le sensaujourdhui reu dans le champ de la rflexion mtacritique, o il

    dsigne, non pas une critique littralement immanente luvre,mais une critique qui ne sintresse, ou veut ne sintresser, qulimmanence de luvre cest--dire luvre elle-mme, dbar-rasse de toutes considrations externes.

    *

    Cest dans le cours des annes cinquante et soixante du sicle

    dernier, et particulirement dans le champ spcifique des tudeslittraires, que lon a commenc, en France, dappeler immanenteune critique qui en rupture avec les partis pris supposs causa-listes dune tradition elle-mme plus ou moins bien qualifie de positiviste , hrite (trs diversement) de Sainte-Beuve, de Taineet de Lanson voulait ou prtendait considrer les uvres enelles-mmes sans se soucier des circonstances, historiques ou per-sonnelles, do ladite tradition les voyait procder, et par lesquelles

    elle tentait de les expliquer. Notons au passage que lemploi de cequalificatif pour dsigner ce type de critique na presque jamaisentran, une exception prs que nous allons bientt rencontrer,celui du qualificatif, logiquement antithtique, de transcendantepour dsigner la critique de type historique ou biographique. Lavulgate mtacritique de cette priode opposait plutt ces deux rela-tions luvre comme (pour le dire en des termes philosophiquesbien reus depuis Dilthey, et alors souvent invoqus dans tout lechamp des sciences humaines ) lune explicativepar la recher-che de causes extrieures, lautrecomprhensivepar la description,au plus linterprtation, des seuls traits internes et de leurs rap-

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    ports rciproques voyez par exemple le prire dinsrer deLUni-vers imaginaire de Mallarm1 : Cette nigme, cette fascination[quexerce son uvre], Jean-Pierre Richard sest propos, nonpoint de les expliquer, mais de les comprendre. Ce nest sansdoute pas trahir lintention de cet auteur que de lui faire appliquerce propos sa lecture de luvre elle-mme ; dans un article peuprs contemporain de la composition de son Mallarm, il caract-rise dailleurs en ces termes le nouveau courant critique auquelil se rattache implicitement : Disons, si lon veut, pour nous servirdune distinction utile, que cette critique nest plus explicative[comme la critique universitaire traditionnelle], mais comprhen-

    sive 2. Il la qualifie un peu plus loin, en signalant que cette pi-thte est ici dune application courante, de phnomnologique .De son ct, Leo Spitzer, dcrivant, la mme anne, lvolutionqui lavait conduit, dune stylistique psychanalytique juge aprscoup trop sujette ce quon appelle aujourdhui en Amrique labiographical fallacy, vers ltude des uvres en tant quorga-nismes potiques en soi, sans recours la psychologie de lauteur ,ajoutait quil appellerait maintenant volontiers cette mthode

    structuraliste3

    . Nous allons retrouver ces rseaux dquivalencesynonymique.

    *

    Comme on le sait depuis cette poque moins quon naitdj commenc de loublier , cette attitude dite comprhensive sest investie avec le plus dclat dans les pratiques baptises, en

    Angleterre et aux tats-Unis, New Criticism, puis, en France, nouvelle critique 4. Le premier en date de ces deux courants,

    1. d. du Seuil, 1962.2. Quelques aspects nouveaux de la critique littraire en France , Filologa

    moderna, Madrid, avril 1961, p. 2.3. Les tudes de style et les diffrents pays , inStephen Ullman (d.), Langue

    et littrature, Les Belles Lettres, 1961.4. Il nest pas facile, et sans doute pas trs utile, de dater lapparition sans doute

    plutt journalistique de cette expression, laquelle le pamphlet de Raymond Picard,

    Nouvelle critique ou nouvelle imposture, Pauvert, 1965, donnera tout son clat pol-mique, sans compter leffet de paralllisme avec le non moins notorious nouveauroman , Barthes tant galement impliqu dans les deux mouvements. Mais je note

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    illustr par la mthode dite de close reading une expressionapparemment ambigu (close connotant la fois la clture delobjet et lattention scrupuleuse ses dtails) qui me sembleraitassez correctement traduite en franais par celle de lecture imma-nente , sattachait plutt des considrations formelles, parti-culirement propos de textes potiques de langue anglaise. Lesecond, inaugur dans les annes cinquante par les tudes de Geor-ges Poulet, de Roland Barthes et de Jean-Pierre Richard, recher-chait plutt ses dbuts, en vers comme en prose, des constantesthmatiques, de rfrence presque toujours psychologique. Cestdans un deuxime temps, sous linfluence mthodologique du

    structuralisme et (non sans retard) du formalisme russe des annesvingt, que sest manifest, dans la mme nouvelle critique fran-aise, un intrt pour, justement, les structures formelles dites, entreautres, langage potique ou discours narratif . Do ces deuxtendances distinctes, mais fort peu antagonistes, qualifies depuislors de critiquethmatiqueet de critiqueformaliste, oustructurale.Ce que ces deux tendances avaient en commun, cest prcismentle principe dimmanence que Barthes, sans employer encore ce

    terme, suggrait ds 1954 dans lAvant-propos de sonMichelet parlui-mme:

    Le lecteur ne trouvera dans ce petit livre, ni une histoire de la pensede Michelet, ni une histoire de sa vie, encore moins une explicationde lune par lautre.Que luvre de Michelet, comme tout objet de la critique, soit endfinitive le produit dune histoire, jen suis bien convaincu. Mais

    quelle figurait dj, en position trs stratgique, dans la Prface de Georges Pouletau Littrature et sensation de Jean-Pierre Richard paru au Seuil en octobre 1954,soit quelques mois aprs leMicheletde Barthes , spcifiquement applique au travailde Richard : Une nouvelle critique nat, plus proche la fois des sources gntiqueset des ralits sensibles. Nouvelle critique, dailleurs, longuement prpare par leffortcritique des derniers vingt ans. Les sources gntiques dont il sagit ici nontvidemment rien voir avec ce qui fait aujourdhui lobjet de la critique gntique :il sagit, je suppose, et sans grand souci d immanence , des donnes propres auvcu de lauteur. Quant l effort critique des derniers vingt ans , il est aussittillustr par les noms de Marcel Raymond et dAlbert Bguin. Poulet tait sans doute,

    dans toute cette gnration (dont il tait dailleurs lan), le plus consciemment fidle cette tradition critique de lentre-deux-guerres (Rivire, Du Bos, Fernandez...) quilclbrera plus tard maintes reprises.

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    il y a un ordre des tches : il faut dabord rendre cet homme sacohrence. Tel a t mon dessein : retrouver la structure dune exis-tence (je ne dis pas dune vie), une thmatique, si lon veut, ou

    mieux encore : un rseau organis dobsessions. Viennent ensuiteles critiques vritables, historiens ou psychanalystes (freudiens,bachelardiens ou existentiels), ceci nest quune pr-critique : je naicherch qu dcrire une unit, et non en explorer les racines danslhistoire ou dans la biographie.

    *

    Texte vritablement fondateur : les deux premiers volumes destudes sur le temps humain de Georges Poulet sont un peu ant-rieurs, 1950 et 1952, mais ils ne comportaient pas un manifesteaussi explicite auquel Poulet naurait dailleurs pas tout faitsouscrit , prchant seulement dexemple ; les professions de foi,sous sa plume ou celle de Jean-Pierre Richard, viendront plus tard.Jai dit fondateur , mais je devrais peut-tre plutt dire refon-dateur , pour rendre justice un autre texte, sensiblement antrieur

    notre priode, et que nous rencontrerons un peu plus loin. Danscelui de Barthes, donc, on peut observer deux choses, videmmentindissociables. La premire est quil prsente ceMicheletcommeun travail en quelque sorte prparatoire nommment pr-critique par rapport ce qui, selon lui, devrait ultrieurement, dans lordre des tches , constituer leffort de plus qualifis quelui, savoir les critiques vritables, historiens ou psychana-lystes , capables dexpliquer lhistoire de la pense de Miche-let par celle de sa vie, ou par une histoire plus vaste o elleplongerait ses racines et dont elle serait le produit . Ladeuxime remarque est que cette pr-critique se dfinit ici rso-lument comme recherche dune thmatique, et cette thmatiquecomme une cohrence , ou mieux encore : un rseau organisdobsessions ; autrement dit : se dfinit comme lobjet dune lec-ture apparemment psychologisante, mais enferme dans limma-nence dun texte de vastes dimensions, puisque, je le rappelle,extensif lensemble de luvre de Michelet, un ensemble dfini,donc, par lunit de son auteur. Le dernier chapitre, Lecture deMichelet , prsente dailleurs un vritable expos mthodolo-

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    gique, qui souvre sur la question : quoi reconnat-on un thmechez Michelet ? La rponse tient en trois principes : le thmemicheletien estitratif, cest--dire dispers dans le texte, et indif-frent lvolution de la pense consciente de lauteur ; il estsubstantiel, en tant quil met en jeu une attitude de Michelet lgard de certaines qualits de la matire , fortement valorisesou dvalorises : aucun thme nest neutre, et toute la substancedu monde se divise en tats bnfiques et en tats malfiques cest le point par lequel la critique thmatique se rattache le plustroitement, et ds sa naissance, lenqute bachelardienne, dontelle ne scartera jamais beaucoup 1 ; enfin, le thme est rduc-

    tible, en tant que pris dans un rseau de thmes, qui nouententre eux des rapports de dpendance et de rduction. Une vritablealgbre se constitue, car chaque thme peut tre donn sous uneforme elliptique (cest--dire allusive et implicitement rfre lensemble du rseau). Le discours de Michelet est un vritablecryptogramme, il y faut une grille, et cette grille, cest la structuremme de luvre. Il sensuit quaucune lecture de Michelet nestpossible, si elle nest totale : il faut se placer rsolument lint-

    rieur de la clture.

    *

    On le voit, ce que nous appelons aujourdhui, presque indiffrem-ment, critique immanente ou thmatique (la seconde tantalors, dans lhorizon franais, la seule version, si jose dire,dispo-niblede la premire ; on peut dailleurs noter quelle nest pas ici

    qualifie directement comme mthode critique, comme critiquethmatique , mais indirectement, par son objet, qui est la thma-tique de luvre considre, cest--dire le rseau de ses thmes),cette critique quon ne tardera donc pas dire nouvelle avanceencore, en ce printemps 1954, sur des pattes de colombe. Dabord,parce quelle se prsente comme dicte par les idiosyncrasies de sonobjet (ce nest pas le thme en gnral qui est dit itratif, subs-

    1. Louvrage se clt sur un rappel des principaux thmes cits , qui les rpartitfermement en malfiques (les thmes du Sec, du Vide et de lEnflure, de lIndcis )et bnfiques ( du Fcond et du Chaud ).

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    Extrait de la publication

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    tantiel et rductible , mais simplement le thme micheltien, sibien quon pourrait, un peu navement, attribuer lobjet Micheletplutt qu son analyste Barthes la responsabilit de cette mthode,si une lecture autonome de son texte ne laissait apparatre la partdinvestissement personnel du critique) : aucune extrapolation nestenvisage, qui ne se rvlera que par la suite, et non plus trop chezBarthes lui-mme, dont les ouvrages critiques suivants (Sur Racine,Sade, Fourier, Loyola et surtout S/Z) relveront dune dmarchesensiblement diffrente. Ensuite, comme nous lavons dj vu,parce quelle se veut un humble prambule mthodique la critiqueproprement dite, qui reste dfinie, distance respectueuse, par une

    vise encore lgitimement explicative. Les raisons de cette modes-tie, qui na, je crois, rien daffect, tiennent peut-tre au backgroundbarthsien dalors, je devrais plutt dire la part quil en assumealors : freudien, bachelardien, sartrien lexclusion apparentedune autre part, marxiste (mais tendance Bertolt), ici pudiquementqualifie dhistorienne. Je nai pas insister ici sur ces ventuelsmotifs personnels : je veux simplement marquer, en quelque sortea contrario, la manire dont le prambule pr-critique de 1954

    (restituer une cohrence , dcrire une unit , en laissant dautres le soin den rechercher les causes) est devenu par la suite mais, je crois, trs vite le propos essentiel de la critique dite nouvelle . Il ne sera donc bientt plus question dune critiquevritable vise explicative : par un renversement inattendu, oudu moins par une nouvelle rpartition des tches , cette vise seraen quelque sorte dlgue des disciplines extra-critiques, voireextra-littraires, comme lhistoire, la sociologie ou la psychologie.

    *

    Un autre texte de Roland Barthes, postrieur au Michelet depresque une dcennie, tmoigne trs clairement de ce renverse-ment : sous le titre Les deux critiques , il oppose la critique queBarthes favorise dsormais une critique universitaire de tradi-tion plus ou moins fidlement lansonienne, qui prtend expliquerluvre par un ailleurs extrieur elle ( autre uvre antc-dente , dans la critique des sources , ou circonstance person-nelle, dans la critique biographique le biographiste implicite-

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    ment vis, propos de Racine, tant ici Raymond Picard, qui allaitle prendre assez mal), et mme la critique interprtative dinspira-tion psychanalytique, alors illustre (toujours propos, entre autres,de Racine) par Charles Mauron ; interprtation galement condam-ne pour sa postulation de cet autre ailleurs de luvre quiest linconscient ( lenfance ) de lauteur ; cette critique-l, ditBarthes, continue pratiquer une esthtique des motivations fon-de tout entire sur le rapport dextriorit : cest parce que Racinetait lui-mme orphelin quil y a tant de pres dans son thtre : latranscendance biographique est sauve... . Voil loccurrenceexceptionnelle, que jannonais plus haut, du mottranscendance. Il

    ny a donc bien ici quedeuxcritiques, et non trois, linterprtationpsychanalytique version Mauron rejoignant, ou se trouvant accep-te, de manire quelque peu compromettante Barthes vient dementionner la conscration de Mauron par un doctorat parti-culirement bien accueilli 1 , accepte, donc, par la positivisteou lansonienne au nom dun mme propos dexplication pardes causes extrieures ou transcendantes : En somme, poursuitBarthes, ce que la critique universitaire est dispose admettre (peu

    peu et aprs des rsistances successives), cest paradoxalement leprincipe mme dune critique dinterprtation, ou, si lon prfre(bien que le mot fasse encore peur), dune critique idologique ;mais ce quelle refuse, cest que cette interprtation et cette idolo-gie puissent dcider de travailler dans un domaine purement int-rieur luvre ; bref, ce qui est rcus, cest lanalyse imma-nente 2. Nous avons, je le rappelle, dj rencontr loppositionentre vises explicative et comprhensive (quasi-synonyme

    d immanente ) sous la plume de Jean-Pierre Richard, qui lexpli-citait en 1961 en ces termes : Alors que la critique universitaireavait tendance remonter explicativement de lhomme luvre,comme dune cause un effet [...], nos critiques cherchent dabord pntrer le sens de luvre elle-mme, et cest partir delle seule

    1. Il sagit de louvrageDes mtaphores obsdantes au mythe personnel. Introduc-tion la Psychocritique, Corti, 1963.

    2. Cet article, paru en 1963 dans Modern Languages Notes, repris en 1964 dans

    lesEssais critiques, d. du Seuil, figure aujourdhui dans lesuvres compltes, d. duSeuil, t. I, 1993, p. 1552-1556. Les deux derniers mots sont en italiques dans le textede Barthes.

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    quils se permettront de revenir son auteur 1. Le terme dimma-nence, que Richard nemployait pas encore ici, il lappliquera unpeu plus tard, en 1967, la mthode de Charles Du Bos, et implici-tement, je suppose, la sienne propre : Luvre ne saurait trouverhors delle-mme ni les prmisses de son sens ni le principe de sonordre. La critique sera donc une activit pleinement immanente luvre... 2. La mme anne 1967 voit lexpressiontude imma-nente propose, en concurrence avec celle dapproche structu-rale , par Jean Starobinski 3.

    *

    Je reviens au texte de Roland Barthes. Son recours (un peuembarrass) ladjectifidologiquepour qualifier ici linterprta-tion freudienne peut surprendre aujourdhui, mais il se trouve queBarthes avait, trois pages plus haut 4, rang cette dernire dans lacatgorie plus vaste de la critique idologique , o il embarquait(sans employer encore cette locution) toute la nouvelle critique ,entre autres Lucien Goldmann, dont le Dieu cach5, dinspiration

    marxiste tendance Lukcs , avait fait lui aussi, et ds 1955,lobjet dune soutenance en Sorbonne. Le rle de ce critre insti-tutionnel peut aujourdhui sembler anecdotique ; mais il faut serappeler combien vif tait alors, ds avant la fameuse querelle Barthes contre Picard, et remontant en fait jusqu Proust contreSainte-BeuveouPguy contre Lanson, le divorce entre lUniversitet la critique indpendante, et combien vigilant tait lostracismede la premire contre la seconde.

    Il y a donc dans cet article de 1963 une sorte de drive catgo-rielle : les deux critiques sont dabord dfinies et opposescomme l universitaire , ou positiviste , ou lansonienne ,dun ct, l idologique , de lautre ; puis cette opposition se

    1. Quelques aspects nouveaux de la critique littraire en France , art. cit, p. 2 ; remonter est un peu fourvoyant : de la cause leffet, on dirait peut-tre plusclairement descendre .

    2. La mthode critique de Charles Du Bos , The Modern Language Review,juillet 1967.

    3. La relation critique [1967], inLa Relation critique, Gallimard, 1970, p. 17-21.4.uvres compltes, t. I,op. cit., p. 1552.5. Gallimard, 1955.

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    notion, cest--dire surtout cet adjectif, en dcrivant la pratiquecritique laquelle il sapplique, mais toujours, selon le proposconstamment polmique de ce texte, comme indirectement eta contrario, travers le refus que lui oppose lUniversit positi-viste, et comme la lumire de ce refus. Je reprends donc salecture :

    Ce qui est rcus, cest lanalyse immanente: tout est acceptable[pour lUniversit], pourvu que luvre puisse tre mise en rapportavecautre chosequelle-mme, cest--dire autre chose que la lit-trature : lhistoire (mme si elle devient marxiste), la psychologie

    (mme si elle se fait psychanalytique), cesailleursde luvre serontpeu peu admis ; ce qui ne le sera pas [et que valorise videmmentBarthes], cest un travail qui sinstalle dansluvre et ne pose sonrapport au monde quaprs lavoir entirement dcrite de lintrieur,dans ses fonctions, ou, comme on dit aujourdhui, dans sa structure ;ce qui est rejet, cest donc en gros la critique phnomnologique(quiexpliciteluvre au lieu de lexpliquer), la critique thmatique(qui reconstitue les mtaphores intrieures de luvre) et la critiquestructurale (qui tient luvre pour un systme de fonctions). Pour-

    quoi ce refus de limmanence (dont le principe est dailleurs souventmal compris) ?

    Javoue ne pas percevoir clairement si la relative entre paren-thses a pour antcdent limmanence ou son refus (plutt lesecond, jimagine), mais, en tout cas, suit un paragraphe final oBarthes tente dexposer les raisons, implicitement donnes pourlgitimes, de ce refus : raisons en quelque sorte pratiques et lies

    la fonction didactique et docimologique de linstitution univer-sitaire, qui le positivisme (je cite de nouveau) fournit lobli-gation dun savoir vaste, difficile, patient ; la critique immanente du moins lui semble-t-il [ lUniversit] ne demande, devantluvre, quun pouvoir dtonnement, difficilement mesurable :on comprend quelle [toujours lUniversit] hsite convertir sesexigences . Leffort de comprhension , pour le coup, estplutt gnreux de la part de Barthes, dans le contexte encoreune fois polmique de cet article : lattachement crisp, et mani-feste, de lUniversit dalors lrudition factuelle tiendrait selonBarthes la ncessit professionnelle, et quasi dontologique, o

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