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Méthodologie du français sur objectifs spécifiques et enseignement des disciplines
scientifiques
1- Introduction : une situation d’enseignement singulière
Tous ici, vous êtes concernés par l’enseignement d’une discipline non linguistique (DNL)
la physique/ chimie en français. Et vous êtes dans une situation très particulière car vous
êtes
- soit enseignant de français spécialisé dans le domaine de la langue et de la culture,
mais non spécialisé en physique chimie,
- soit enseignant de physique chimie, spécialisé en physique/ chimie mais non
spécialiste de langue ;
On voit déjà que poser comme élément de résolution de cette situation
d’enseignement complexe un travail en complémentarité, en binôme (mais pas seulement
sur le mode de l’addition, mais aussi en demandant à chacun des partenaires de cette
situation d’enseignement/ apprentissage un mouvement de curiosité, d’intérêt pour le
domaine de l’autre), peut permettre de commencer à résoudre la complexité de cette
situation d’enseignement. Cependant, il faut tout de suite souligner qu’enseigner la
physique-chimie en français ou dans une autre langue étrangère n’a que peu à voir avec
l’enseignement du français général ou de l’anglais : en effet, dans le cas de l’enseignement
en langue étrangère d’une DNL, l’apprentissage de la langue n’est pas une fin en soi. Il ne
s’agit pas de connaître ses conjugaisons par cœur, de décliner avec dextérité les
déterminants etc. Dans l’enseignement d’une DNL, la langue est un moyen pour accéder à
des savoirs, pour comprendre des phénomènes, pour conceptualiser, pour résoudre des
problèmes et réussir des évaluations et des examens, ce que souligne par exemple J.
Duverger : « la caractéristique essentielle et incontournable de l’enseignement bilingue
est bien que la L2 soit, parallèlement à la L1, une langue d’apprentissage, un outil
d’apprentissage, la deuxième langue scolaire par conséquent. » (2005 : 17).
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2- Des rapprochements possibles avec le F.O.S.
Toutefois cette situation d’enseignement n’est pas totalement inédite : elle est très
proche de ce que l’on appelle le français sur objectifs spécifiques (F.O.S.) , c’est-à-dire le
français des affaires, du tourisme, de la diplomatie etc., dont la définition donnée par D.
Lehmann en 1993 rend bien compte de ses caractéristiques :
« Ce qui par contre ne change guère, c’est que l’on a à se préoccuper, dans ce secteur, de
publics dont la seule spécificité majeure et persistante se résume, comme on l’a déjà dit, aux
constats suivants :
• D’abord, ces publics apprennent DU français et non pas LE français ;
• Ensuite, ils apprennent du français POUR en faire un usage déterminé dans des
contextes déterminés. » (1993 : 115)
Le FOS vise la maîtrise (restreinte) du français, non pour elle-même, mais pour
travailler en français : la langue, comme dans l’enseignement bilingue, est un medium pour
acquérir des savoir-faire professionnels.
On retrouve cette même définition du FOS à l’entrée « Français sur objectifs
spécifiques » du Dictionnaire de didactique du Français langue étrangère et seconde,
Asdifle/ Didier, 2003 :
Cette approche de la langue comme objet (car il faut enseigner la langue étrangère
dans une de ses variantes : ici la physique – chimie ; là le français des affaires, du tourisme,
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etc.) et surtout moyen d’apprentissage est donc commune à l’enseignement des DNL et au
FOS et autorise à aller voir du côté des démarches mises au point en FOS pour
éventuellement s’en inspirer pour l’enseignement de la physique-chimie.
Avant de poursuivre, j’ouvre une parenthèse : cette situation d’enseignement d’une
DNL qui, au premier abord, peut vous paraître inconfortable, est en fait une situation rêvée
pour l’acquisition d’une langue étrangère. En effet, alors que dans les systèmes scolaires
l’apprentissage d’une langue étrangère (L.E.) perd rapidement de son intérêt pour les élèves
et peut très vite se limiter pour eux à obtenir une bonne note aux contrôles, dans le cadre de
l’enseignement d’une DNL, l’apprentissage d’une L.E. sert à faire quelque chose, à maîtriser
un domaine disciplinaire, à travailler dans une langue étrangère et cette finalité très
concrète maintient, voire renforce la motivation des apprenants.
Je referme la parenthèse et je reviens au FOS comme référence méthodologique
possible pour l’enseignement d’une DNL.
Le FOS n’est pas une nouveauté didactique : la première réponse au problème des
publics dits spécifiques (et à l’époque c’était un public scientifique et administratif) a été, à
la fin des années 60, une réponse en termes de vocabulaire avec la conception d’un
vocabulaire général d’orientation scientifique où étaient abordés les termes du français
courant qui avaient des sens différents dans les divers domaines où ils sont utilisés (tels le
mot flux qui est utilisé aussi bien dans la langue courante qu’en médecine, en économie, en
logistique…). En élaborant un tel dictionnaire les didacticiens avaient eu une réaction,
similaire à celle qui vient immédiatement à l’esprit lorsque l’on parle d’enseigner à des
publics spécifiques ou une DNL, c’est-à-dire penser au vocabulaire. Mais il faut savoir
toutefois qu’une langue n’est pas que du vocabulaire, c’est de la syntaxe, des agencements
textuels et d’autre part que le vocabulaire n’est pas ce qui pose le plus problème, des
transparents existant entre les langues.
Puis le FOS a élargi son approche en s’intéressant aux caractéristiques des langues de
spécialité, en abordant les énoncés dans leur totalité en tant que genres de discours. Et, en
parallèle, il a développé une méthodologie particulière, une véritable ingénierie de la
formation axée sur l’analyse des besoins du public, sur la définition d’objectifs précis en
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relation avec ces besoins, toutes opérations qui sont centrales en FOS1, sur la conception et
la mise en œuvre de formation sur mesure. Et c’est sur cet aspect du FOS en tant
qu’ingénierie de formation que nous allons maintenant nous attarder.
3- Le F.O.S. comme ingénierie de formation
Le FOS comme ingénierie de formation comporte les étapes suivantes (qui
reprennent celles mise en œuvre en ingénierie de formation professionnelle) que
récapitulent Carras, C., Kohler, P., Sjilagyi, E., Tolas, J., 2007
L’identification des besoins de formation des apprenants doit se traduire en
objectifs, en contenus, en actions, en programmes.
La démarche de conception de programmes de FOS comporte certaines
étapes et principes méthodologiques, désormais classiques.
Ces étapes sont les suivantes :
. Identification de la demande de formation
. Analyse du public
. Analyse des besoins
. Recueil de données authentiques sur le terrain
. Analyse des données en collaboration avec les acteurs du terrain
professionnel ou les enseignants de la spécialité
. Mise en place d’une méthodologie
. Autonomisation des apprenants
1 Fait que reconnaît D. Lehmann : « De sorte que le domaine des publics spécifiques et de la communication spécialisée représente celui-là même où les objectifs particuliers et les besoins spécifiques s’imposent avec l’évidence la plus aveuglante, constituant, en quelque sorte, comme on l’indiquait déjà plus haut, sa principale raison d’être […]. » (1996 : 116)
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. Evaluation
Carras, C., Kohler, P., Sjilagyi, E., Tolas, J., 2007, Le français sur objectifs spécifiques et
la classe de langue, CLE International, 2007.
• Identification de la demande de formation
Il faut dans un premier temps clarifier la demande, surtout en termes d’objectifs (et
de certification). Il est ensuite très important de vérifier la faisabilité d’une telle formation
(faisabilité institutionnelle (ministère/ responsables d’établissement/ parents d’élèves) , en
termes de temps et de moyens (matériels (livres/ accès à la documentation) et de moyens
humains).
• Analyse du public
Elle se fait en termes d’âges, de sexe, et de formation scolaire, de biographie
langagière et culture d’enseignement/ apprentissage (en DNL, il y a décalage
culturel surtout si on utilise des manuels français où est privilégiée la démarche de
construction des savoirs, d’expérimentation, ce qui n’est pas le cas dans d’autres
cultures d’enseignements, et de sens critique cf. document ci-dessous ), en termes
de représentations sur la langue étrangère, de proximité / éloignement de la
langue maternelle/ L.E. (il est nécessaire de s’appuyer sur les parentés et en même
temps de développer une approche contrastive afin d’éviter tout logocentrisme) et
de niveau de langue des apprenants.
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Physique chimie, 3e, Belin, 2008
• Analyse des besoins
Pour l’analyse des besoins langagiers (on distingue trois sortes de besoins :
les besoins langagiers/ culturels/ d’apprentissage), on doit repérer et analyser les
situations langagières dans lesquelles auront à intervenir les apprenant.
Pour ce faire, on dispose de grilles d’analyse dont celle de Munby :
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« Interactions » : identifier les différents partenaires des échanges langagiers
(Professeur/ élèves) et leur statut (relation asymétique : Professeur (position haute)
/ élèves (position basse) ; relation symétrique : élèves/ élèves).
« Instrumentality » : identifier le code dominant (oral ou écrit) et les activités
dominantes (compréhension/ production).
« Dialect » : ici, le « dialect » est représenté par la langue de la physique/
chimie qui est du français, mais avec des caractéristiques lexicales et syntaxiques
particulières.
« Communicative event » : ce sont les grandes formes langagières (orales ou
écrites) propres à un domaine précis, telles que, en physique – chimie, le cours
magistral, les consignes, les expérimentations, l’exposé, les évaluations…
Cette analyse des besoins n’est pas définitive : les besoins évoluant au cours
de la formation, l’analyse des besoins doit être récursive.
• Recueil de données authentiques sur le terrain
A l’issue de cette analyse des besoins, on dispose des grandes lignes du
contenu langagier d’un cours (on sait quelle activité langagière privilégier
(compréhension écrite/ compréhension orale/ production écrite/ production
orale) qui, à ce stade de la démarche de conception de la formation, sont encore
largement à l’état d’hypothèses, et qu’il faut affiner en allant sur le terrain (en
consultant les enseignants de DNL) et en identifiant et recueillant tous les textes
(oraux et écrits) en circulation dans le domaine (manuels/ examens/ documents
vidéo/ enregistrements de cours…).
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• Analyse des données en collaboration avec les acteurs du terrain
professionnel ou les enseignants de la spécialité
Ces documents ne peuvent être introduits en tant que tels dans la classe : ils
doivent être didactisés et, pour ce faire, on recourt à l’analyse du/ des discours (un
courant de la linguistique apparu au milieu des années 60 qui se donne pour
objectifs d’étudier les influences du milieu social sur les énoncés).
Pratiquer une analyse de discours sur les énoncés collectés va permettre de
dégager des régularités dans les énoncés, de déterminer un contenu et une
progression (qui ne sera pas celle du Français langue étrangère…).
Exemples d’ « entrées » dans les textes de physique – chimie
- Lexique : travailler sur la dérivation
Physique chimie, 3e, Belin, 2008
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- Syntaxe :
Temps verbaux (par exemple, le présent de vérité générale) ; utilisation massive du
« on » (qui marque un effacement de l’émetteur, tout comme le recours à la voix
passive) :
Tous faits présents dans le texte ci-dessus et le texte ci-dessous :
Physique chimie, 3e, Belin, 2008
L’analyse de discours permet de dégager des faits linguistiques particuliers,
tel que la recatégorisation d’un terme (passage d’une catégorisation courante à une
catégorisation scientifique), présente dans le texte ci-dessus : « ce sont des ions dits
« mobiles » », et dans celui ci-dessous : « ces énergies sont dites perdues ».
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Physique chimie, 3e, Belin, 2008
- Connecteurs et argumentation : par exemple, mais de rectification (dans le texte
ci-dessus : « « L’énergie de la turbine est convertie par l’alternateur essentiellement
en énergie électrique, mais aussi en d’autres formes d’énergies » ; donc trace d’un
raisonnement syllogistique dans le texte ci-dessous ( « L’humidité fait verdir le
cuivre, or le métal sur lequel j’ai passé un linge humide verdit, donc ce métal est du
cuivre »).
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Physique chimie, 3e, Belin, 2008
- Passage de données écrites (entraînant une nominalisation des verbes) à des schémas :
Physique chimie, 3e, Belin, 2008
Tout ce travail d’analyse du discours n’est pas entièrement à refaire : vous pouvez
notamment vous référer à l’ouvrage de S. Eurin Balmet et M. Henao de Legge, Pratiques du
français scientifique, Hachette/ Aupelf 1992, (chapitres III et IV) , accessible sur Internet et à
l’ouvrage de J. Tolas, Le français pour les sciences, P.U.G., 2004.
Tout ce travail d’analyse du discours doit être fait en collaboration avec le
professeur des DNL pour juger de sa pertinence.
• Mise en place d’une méthodologie
Le travail sur la langue spécialisée peut précéder un cours de DNL ou peut
intervenir pendant ou après le cours de DNL, lorsque l’enseignant de DNL a détecté des
manques.
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La méthodologie doit conserver le statut qu’a la langue dans les DNL. Si
certains exercices structuraux peuvent être utilisés pour automatiser notamment
les conjugaisons, l’essentiel est que le travail sur la langue serve à faire quelque
chose : le travail de vocabulaire doit être réinvesti immédiatement dans des
activités lexicales en rapport avec la DNL, avec des activités pratiques de physique –
chimie ; le travail syntaxique dans des tâches liées à la DNL, à travers des
expériences, des explications de phénomènes, des comparaisons de données, etc..
• Autonomisation des apprenants
Elle peut passer par la constitution d’un auto-dictionnaire avec lexique et
structures courantes.
• Evaluation
L’évaluation de langue peut intervenir dans les évaluations en DNL : ainsi, une partie
du barème peut être réservée à la langue. Toutefois, les évaluations sur la langue peuvent
être faites d’une manière séparée, mais sous forme de tâches à réaliser.
Conclusion
La démarche d’ingénierie de formation de FOS est, j’espère vous l’avoir démontré,
largement transposable pour l’enseignement bilingue des disciplines non
scientifiques puisque dans les deux cas le statut de la langue est le même, à la fois objet et
outil/ moyen d’apprentissage.
Cette démarche permet de doter véritablement les apprenants des outils langagiers
dont ils ont besoin, d’éviter de se disperser dans l’étude de faits de langue non pertinents, et
de mettre en place une méthodologie d’enseignement de la langue où la langue est un
moyen pour réaliser des activités, où elle sert à agir.
L’enseignement bilingue constitue un formidable espace pour acquérir pleinement
une langue-culture étrangère dans ses différentes facettes, une langue-culture étrangère qui
permet d’agir, ce qui est la fonction première d’une langue.
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Jean-Jacques Richer
Université de Bourgogne
« Enseigner les sciences physiques et chimie dans les sections bilingues »
C.I.E.P. – 7 – 9 Mars 2011
Références bibliographiques
Carras, C., Kohler, P., Sjilagyi, E., Tolas, J., 2007, Le français sur objectifs spécifiques et la classe de
langue, CLE International, 2007.
Duverger, J., 2005, L’enseignement en classe bilingue, Hachette.
Lehmann, D., 1993, Objectifs spécifiques en langue étrangère, Hachette.
Munby, J., 1978, Communicative Syllabus Design, Cambridge University Press.
Ouvrage de référence pour l’analyse des discours :
Maingueneau, D., 1998, Analyser les textes de communication, Dunod.
Ouvrage de référence pour le F.O.S.
Mangiante, J.M., Parpette, C., 2004, Le français sur objectifs spécifiques : de
l’analyse des besoins à l’élaboration d’un cours, Hachette.