florilettres n° 164 - vincent la soudière

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Revue littéraire de la Fondation La Poste > numéro 164, édition mai 2015 SOMMAIRE 01 E dito 02 Entretien avec Sylvia Massias 07 Vincent La Soudière Portrait 08 Lettre s choisies Vincent La Soudière 10 Paul Morand & Roger Nimier 12 Dernières parutions 14 Agenda maijuin 201 5 18 Agenda des actions de la Fondation La Poste mai 2015 01 FloriLettres S’il n’a publié qu’un seul livre de son vivant, Chroniques antérieures (Fata Morgana, 1978) et quelques textes pa rus dans des revues, Vincent La Soudière (19391993) n’en est pas moins écrivain, un écrivain qui n’a pu trouver la « force ordonnatrice » pour construire une œuvre. Il est l’auteur d’une importante correspondance qu’il a adressée pendant près de trente ans à son ami et condent Didier, rencontré au monastère de l’île de Lérins, en 1964. On doit la publication de ce corpus de lettres trois volumes parus aux éditions du Cerf en 2010, 2012 et mai 2015 à Sylvia Massias, docteur ès Lettres qui depuis plus de dix ans, effectue un travail considérable pour éditer et présenter les écrits de celui qui fut aussi l’ami d’Henri Michaux et de Cioran. Elle a fait paraître en 2003, un choix d’aphorismes extraits des cahiers et carnets de Vincent La Soudière, sous le titre Brisants, et vient de publier, en même temps que le troisième tome de la correspondan ce qu’elle a intitulé Le Firmament pour témoin, un essai biographique, Vincent La Soudière, la passion de l’abîme, dans lequel elle tente de comprendre le drame et « l’iti néraire intérieur » de cet homme au sombre destin. « J’ai eu le sentiment en l’écrivant, d’exprimer et de livrer la substance du témoignage que Vincent La Soudière voulait donner au monde » nous ditelle. Entretien avec Sylvia Massias que nous avions interwie vée en 2001 pour son édition des Lettres de Guerne à Cioran 19551978 (Le Capucin). Vincent La Soudière Éditorial Nathalie Jungerman Vincent La Soudière Le Firmament pour témoin Lettres à Didier III (19811993) I Édition présentée, établie et annotée par établie et ann Sylvia MASSIAS Éditions du Cerf, mai Éditions 2015, 508 pages. Vincent La Soudière. © DR

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numéro 

164, édition 

mai 2015

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  • Revue littrairede la Fondation La Poste

    > numro 164, dition mai 2015

    SOMMAIRE01 Edito

    02 Entretien avec Sylvia Massias

    07 Vincent La Soudire - Portrait

    08 Lettres choisies - Vincent La Soudire

    10 Paul Morand & Roger Nimier

    12 Dernires parutions

    14 Agenda mai-juin 2015

    18 Agenda des actions de la Fondation La

    Poste mai 2015

    01

    FloriLettres

    Sil na publi quun seul livre de son vivant, Chroniques antrieures (Fata Morgana, 1978) et quelques textes pa-rus dans des revues, Vincent La Soudire (1939-1993) nen est pas moins crivain, un crivain qui na pu trouver la force ordonnatrice pour construire une uvre. Il est lauteur dune importante correspondance quil a adresse pendant prs de trente ans son ami et con dent Didier, rencontr au monastre de lle de Lrins, en 1964. On doit la publication de ce corpus de lettres - trois volumes parus aux ditions du Cerf en 2010, 2012 et mai 2015 - Sylvia Massias, docteur s Lettres qui depuis plus de dix ans, effectue un travail considrable pour diter etprsenter les crits de celui qui fut aussi lami dHenri Michaux et de Cioran. Elle a fait paratre en 2003, un choix daphorismes extraits des cahiers et carnets de Vincent La Soudire, sous le titre Brisants, et vient de publier, en mme temps que le troisime tome de la correspondan-ce quelle a intitul Le Firmament pour tmoin, un essai biographique, Vincent La Soudire, la passion de labme, dans lequel elle tente de comprendre le drame et liti-nraire intrieur de cet homme au sombre destin. Jai eu le sentiment en lcrivant, dexprimer et de livrer la substance du tmoignage que Vincent La Soudire voulait donner au monde nous dit-elle.Entretien avec Sylvia Massias que nous avions interwie-ve en 2001 pour son dition des Lettres de Guerne Cioran 1955-1978 (Le Capucin).

    Vincent La Soudire

    ditorialNathalie Jungerman

    Vincent La SoudireLe Firmament pour tmoinLettres Didier III (1981-1993)Lettres Didier III (1981-1993)Lettres Didier IIIdition prsente, tablie et annote par

    (1981-1993)dition prsente, tablie et annote par

    (1981-1993)

    Sylvia MASSIASditions du Cerf, mai Sylvia Mditions du Cerf, mai Sylvia M

    2015, 508 pages.

    Vincent La Sou

    dire.

    DR

  • Entretien avec

    Sylvia MassiasPropos recueillis par Nathalie Jungerman

    Florilettres > numro 164, dition mai 2015

    Vous avez tabli ldition des Lettres de Vincent La Soudire son ami Didier, dont le troisi-me volume vient de paratre en mme temps quune biographie que vous avez crite sur cet cri-vain mconnu, auteur dun seul livre publi de son vivant, Chro-niques antrieures (d. Fata Mor-gana, 1978) et de quelques tex-tes dans des revues. Vous dites avoir dcouvert son existence en travaillant sur Cioran...

    Sylvia Massias Oui, cest en tra-vaillant la prparation du Cahier de LHerne Cioran - Cahier dont Cons-tantin Tacou mavait con la direc-tion - que jai dcouvert, en 2001, les crits de Vincent La Soudire. Jeffec-tuais cette poque une recherche systmatique des lettres de Cioran pour en publier un choix. Parmi cel-les quil avait reues se trouvaient quelques lettres dun certain Vin-cent de La Soudire. Jai men une enqute et rencontr son plus jeune frre Landry, qui non seulement ma montr des lettres de Cioran, mais aussi tous les manuscrits de Vincent - ses cahiers, ses carnets, des centai-nes de feuillets et divers dossiers. Jai tout de suite pressenti limportance de ces crits. lpoque, je tout de suite pressenti limportance de ces crits. lpoque, je tout de suite pressenti limportance

    tra-vaillais pour les ditions Le Capucin et cherchais des textes publier. La directrice de cette maison, Catherine Coustols, avait cr une collection de petits livres intitule Le Temps des signes (en rfrence un titre dArmel Guerne) et cest dans cette collection quelle a dcid de publier un texte de Vincent La Soudire. Nous avons choisi In memoriam Francis Bacon, pour des raisons assez arbi-traires, je dois dire ; je navais pas encore eu le temps dexaminer len-

    semble des manuscrits. Jen ai tabli le texte sans commentaire, nayant pas lpoque les cls pour le com-prendre. Beaucoup plus tard, jai ra-lis quil faisait rfrence un piso-de trs prcis de la vie de son auteur. Je lui ai consacr une section dans mon livre.

    Tu seras un crivain posthu-me crivait Didier Vincent La Soudire qui le cite dans une let-tre de septembre 1991 et ajoute : Mais qui voudra soccuper de mes papiers aprs ma mort ? Et qui cela pourra-t-il intresser ? Grce vous, Sylvia Massias, nous avons la possibilit de lire Vincent La Soudire... Vous avez dailleurs fait paratre, en 2003, le recueil in-titul Brisants...

    S. M. En effet, cest avec Brisantsque la publication posthume de Vin-cent La Soudire a commenc pro-prement parler. Parmi ses cahiers et carnets, certains taient numro-ts et constituaient un ensemble : il sagissait de trois cahiers et neuf carnets, dans lesquels il avait crit ce quil appelle lui-mme des aphoris-mes, cest--dire des fragments plus ou moins dvelopps. Ces cahiers et carnets ont t rdigs durant les dernires annes de sa vie, partir de 1988. Certaines indications mon-trent quil souhaitait runir un choix de fragments pour en faire un livre et quil avait song au titre de Brisants, sans toutefois avoir pu le concevoir. Je lai donc ralis sa place, et fait des choix parmi un ensemble assez considrable de fragments - un choix dautant plus restreint que lditeur (le directeur des ditions Arfuyen) mavait demand de le rduire la dimension dun petit livre dune cen-

    02

    Sylvia Massias, docteur s lettres, est lauteur dune thse sur Mallarm. Elle fut responsable du fonds darchi-ves de lcrivain E. M. Cioran, quelle a inventories la Bibliothque littraire Jacques Doucet. Elle a travaill notam-ment sur le pote et traducteur Armel Guerne, publi ses Lettres Cioran ainsi quune anthologie de textes, Le Verbe nu, parue aux ditions du Seuil en 2014. Cest loccasion de ses re-cherches autour de lcrivain roumain quelle dcouvre les crits de Vincent La Soudire, dont il avait t lami. Elle obtient une bourse du Centre national du livre, en 2003, en vue de les pu-blier, et fait paratre un recueil dapho-rismes, Brisants, aux blier, et fait paratre un recueil dapho-

    blier, et fait paratre un recueil dapho-

    ditions Arfuyen. Dautres recueils sont en prparation. Elle a consacr un livre cet auteur, Vincent La Soudire, la passion de labme et publi ses Lettres Didier(1964-1993, trois tomes), aux ditions du Cerf.

    Sylvia Massias, mai 2015Photo. N. Jungerman

    Sylvia MASSIASVincent La Soudire. Vincent La Soudire. VincentLa Passion de labme. ditions du Cerf, 2015,634 pages, sortie mi-juin 2015

  • taine de pages. Tu seras un crivain posthume est en effet une parole de Didier, as-sez ancienne. Dj en 1977, Vincent lui rappelait dans une lettre : Je suis install dans lide (qui est de toi) que je serai un auteur posthume . Didier a bien senti que le drame qui lem-pchait daller au bout de son geste risquait de se prolonger ind niment et lui a apport cette pense, conso-latrice, que Vincent a intriorise et faite sienne. Il sy est install, comme il sest install dans la perspective eschatologique. Cest dans cette di-mension quil crira la n de sa vie. Vous citez lune des allusions - il y en a plusieurs - ce tiers dont il souhai-terait quil soccupe de la publication de ses crits. Dans une autre lettre, en 1973, contemplant les cinquante cahiers quil a crits jusqu cette date sans parvenir les exploiter, il conclut : une secrtaire - chartis-te de surcrot - se chargera un jour de faire linventaire de toutes ces vieilleries . Ce propos ma beau-coup amuse quand je lai lu pour la premire fois.

    Dans une lettre de novembre 1989, Vincent La Soudire crit : Je ne demande que deux cho-ses lcriture : 1) tre publi. Je ne demande que deux cho-ses lcriture : 1) tre publi. Je ne demande que deux cho-

    2) tre reconnu comme crivain. ses lcriture : 1) tre publi. 2) tre reconnu comme crivain. ses lcriture : 1) tre publi.

    Ni plus ni moins. Avoir assez de sant pour aller jusquau bout de ce que Dieu attend de moi. Soli-tude peuple de myriades dyeux danges. ...

    S. M. Oui, cela exprime parfaitement la fois son dsir et sa situation. Il dsire tre publi et reconnu comme crivain, et cependant, en plusieurs circonstances, il a refus dtre dit. Il a ni par ne plus pouvoir concevoir cette reconnaissance que de faon posthume, continuant crire avec le seul rmament pour tmoin (pour reprendre le titre que jai don-n au troisime tome de sa corres-pondance), sous le regard des anges et pour Dieu - tout en esprant quun jour ses crits parviendraient ceux qui il les destinait, ces frres dme quil dsirait rencontrer et quil na pu rejoindre durant sa vie terrestre. Le propos que vous citez traduit son

    sentiment exacerb davoir une vo-cation et une mission accomplir - la vocation dcrire pour dire quel-que chose dessentiel et le donner au monde. Sa grande douleur aura t de ne pas voir ses crits publis, parce que quelque chose en lui tait bris. Son impuissance se traduit par une incapacit coordonner ses fragments, concevoir une forme, composer une uvre . Il ana-lyse son problme avec une lucidit remarquable : Quelque chose me manque, une je ne sais quelle force ordonnatrice, pour btir le moindre projet littraire , crit-il Didier, ajoutant : Et cest ce manque qui empche quon soit un crivain . Et pourtant, il en est un !

    Il crit quil est trs du de la rception de Chroniques ant-rieures...

    S. M. En effet. Il a pourtant reu de trs bons chos (je les cite dans mon livre), il faut le souligner. Mais cette publication na pas eu leffet escompt. Cest quil en attendait beaucoup, beaucoup plus que ce quune publication peut apporter. Il esprait quen exprimant son mal-tre, il allait pouvoir sen dlivrer. Il esprait aussi que cet acte de publi-cation lui permettrait de prendre en- n pied dans lexistence, de trouver sa place dans le monde, en crant aussi les relations auxquelles il as-pirait du fond de sa grande solitude. Or, cest linverse qui sest produit : partir de cette publication, en 1978-1979, il traverse une crise existen-tielle et spirituelle trs violente, pour sombrer ensuite dans une dpres-sion qui durera plusieurs annes. Il tombe dans labme, le shol, dans un tat de mort spirituelle et de cou-pure davec toute vie. Il fait lexp-rience de la mort dans la vie, de la rgression vers un monde ant-hu-main quil appelle lantrieur . Je suis lathe ltat pur - athe du monde -, sans clef de vote , crit-il dans ses Chroniques ant-rieures. Vincent ausculte les abmes de la mort spirituelle de lhomme et son exprience intrieure la conduit la racine de lathisme. Elle fait de lui un tmoin essentiel de son sicle,

    Florilettres > numro 164, dition mai 2015

    Entretien ave

    c Sylvia Massias

    03

    Vincent La SoudireCest la nuit de briser la nuitLettres Didier I (1964-1974)Lettres Didier I (1964-1974)Lettres Didier Idition prsente, tablie et annote par

    (1964-1974)dition prsente, tablie et annote par

    (1964-1974)

    Sylvia MASSIASditions du Cerf, mars Sylvia Mditions du Cerf, mars Sylvia M

    2010, 700 pages.

    Vincent La SoudireCette sombre ferveurLettres Didier II (1975-1980)Lettres Didier II (1975-1980)Lettres Didier IIdition prface, tablie et annote par

    (1975-1980)dition prface, tablie et annote par

    (1975-1980)

    Sylvia MASSIASditions du Cerf, janvier Sylvia Mditions du Cerf, janvier Sylvia M

    2012, 555 pages.

    Vincent La SoudireLe rmament pour tmoinLettres Didier III (1981-1993)Lettres Didier III (1981-1993)Lettres Didier IIIdition prsente, tablie et annote par

    (1981-1993)dition prsente, tablie et annote par

    (1981-1993)

    Sylvia MASSIASditions du Cerf, mai Sylvia Mditions du Cerf, mai Sylvia M

    2015, 508 pages.

  • qui est, dit-il, in niment plus "athe" quil ne le croit , en dtruisant la prcieuse substance de la cration et en introduisant partout, avec une terrible inconscience, la mort dans la vie.

    Dans votre biographie, vous montrez lim-portance qua eue pour lui son oncle Domi-nique. Vincent a t marqu par sa person-nalit et par son suicide... La religion hrite de son pre a sans doute aussi contribu au mal-tre de Vincent...

    S. M. Si Vincent a fait lexprience de lenfer du-rant sa vie, cest pour des raisons que lon peut en effet principalement trouver dans la petite enfance et qui ont certainement t dterminan-tes. Il a t trs marqu par lducation religieuse dis-pense par son pre, fonde sur la peur de lenfer et de ses supplices. Vincent tait la fois terroris et fascin par lenfer. Cette fascination fera quil cherchera, para-doxalement, la lumire au cur de la nuit, une issue au fond du gouffre, comme sil devait descendre tous les degrs de la mort intrieure pour pouvoir en n dboucher sur les hauts plateaux de laltitude (je cite un texte tardif). Plutt que de cher-cher la lumire, il tchera d envoter la nuit . Le titre que jai donn au pre-mier tome des Lettres Didier signi e cette qute Lettres Didier signi e cette qute Lettres Didierparadoxale : Cest la nuit de briser la nuit , a n, dit-il, que lui soit jete une blanche chelle de corde pour surmonter la terreur . Et son der-nier acte, savoir son suicide, est lui-mme frap-p de cette contradiction qui lui a fait chercher la vie dans la mort : la dernire lettre adresse Didier montre quen se suicidant, il ne dsirait pas tant mourir que commencer en n vivre. Par ailleurs, Vincent a t profondment marqu par la brutale disparition de son oncle Dominique, frre de sa mre, qui a jou pour lui le rle dun pre. Dominique sest suicid en 1945, quand Vincent avait cinq ans. Sa mort a t un drame terrible pour lui. Serait-elle la source des ten-tations de suicide quil a connues durant toute sa vie, et de son suicide nal ?

    Vous crivez (page 64) : En 1971, Henri Michaux remarquera, au sujet dun choix quil lui remettra, que ses textes ne sadres-sent pas vraiment quelquun. Tout ce que Vincent crit, au fond, sadresse au pre et rencontre une absence ...

    S. M. Michaux avait en effet peru la valeur ex-

    ceptionnelle de Vincent en mme temps que son extrme fragilit psychique. Le passage que vous citez se rfre une remarque ancienne. Michaux venait de lire un de ses textes et le trouvait, crit Vincent Didier, dans un tat dcriture hy-bride, narrivant pas dboucher sur une vri-table extriorit . Certains textes peuvent don-ner cette impression de manquer dune certaine dimension dexistence, comme sils ntaient pas vraiment incarns, ottant dans une sorte dape-santeur, demeurant dans un tat de semi-ralit - limage de celui qui les a crits et qui attendait lui-mme de natre, considrant quil ntait pr-cisment pas encore n.Cette situation existentielle est la raison qui la pouss entrer en relation avec Henri Michaux.

    En 1970, il lui crit une lettre, esprant que lcrivain vivant quil admire le plus laidera sortir de lui-mme et de son in-triorit asphyxiante. Michaux lui rpond et ils se rencontre-ront peu aprs. Il laidera publier et saura lcouter. Il fut pour Vincent une gure pater-nelle.

    Et Cioran ?

    S. M. Avec Cioran, la relation tait plutt fraternelle. Ils se sont souvent rencontrs. Com-me avec Michaux, il sagissait dune relation trs authenti-

    que. Vincent a fui la vanit des relations mondai-nes propres au milieu littraire. Dans une lettre adresse Bruno Roy, Michaux dit quil reprsen-tait pour lui lauthenticit mme, le contraire de lhomme de lettres , comme Michaux tait pour Vincent l ennemi acharn de la "carrire" et du "succs" .Avec Cioran, la relation tait toute de complici-t. Ils ont beaucoup ri ensemble. Cioran, on le sait, tait trs drle. Vincent aussi. Ceux qui lont connu regrettent que cet humour quil manifestait dans la vie ne soit pas perceptible dans ses let-tres - ou peu, et de faon subtile. Didier tmoigne quil na jamais autant ri quen compagnie de Vin-cent. Mais il prcise que ce comique tait surtout dautodrision.

    Les lettres de Vincent La Soudire, depuis le premier volume, ont lintensit dun journal intime dans lequel il confesse, notamment, son impuissance crire, sa tentative ritre daccder la composition dune uvre, sa passion pour la lecture...

    S. M. Cette correspondance a en effet des allures de journal intime dans la mesure o Didier na pas souhait publier ses propres lettres, ni conserver

    Florilettres > numro 164, dition mai 2015

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    Entretien ave

    c Sylvia Massias

    La Prvt, Port dEnvaux (Charente-Maritime) Vincent de La Soudire nat le 6 septembre 1939 Port dEnvaux, petite commune de Charente-Maritime situe quelques kilomtres de Saintes, dans une imposante demeure forti e du Moyen ge, Maritime situe quelques kilomtres de Saintes, dans une imposante demeure forti e du Moyen ge, Maritime situe quelques kilomtres de Saintes,

    une ancienne prison dite "Prvt". Elle tait entre dans le patrimoine de sa famille maternelle en 1788 (Sylvia Massias, La Passion de labme, p. 26).

  • les passages des lettres de Vincent le concernant. Cest pourquoi jai dcid de couper toutes les formu-les dadresse et les formules nales. Ce parti-pris tend faire de cette correspondance une manire de so-liloque et laisse penser que Vincent ne se proccupait que de lui-mme. Ceci nest quen partie vrai. Didier a prcis dans une note publie au d-but du premier tome : comment notre amiti aurait-elle pu durer si longtemps, et se maintenir une telle hauteur, si elle navait t quun soliloque ? Il y avait bien change. Mais Didier admet quil lui revenait de beaucoup couter . Ceci sac-centuera partir du moment o Didier sera ordonn prtre, en 1976 :la parole de Vincent tend alors vers la confession, ses lettres deviennent parfois des autoaccusations par les-quelles il tente de soulager son sen-timent de culpabilit.Ses lettres tmoignent aussi de sa passion pour la lecture. Il a nor-mment lu. Il voque certains livres prcis et ses analyses sont particu-lirement pntrantes.

    Notre correspondance me sa-tisfait pleinement ; nous pou-vons nous y exprimer, ce qui est une chose importante... dit-il, et vous crivez dans votre intro-duction : Cette correspondance devient pour son auteur linstru-ment privilgi dune qute exis-tentielle puis spirituelle. ... Cest grce son correspondant, quil se sent exister.

    S. M. Oui, ce propos se trouve dans une des toutes premires lettres adresses Didier. Demble, ce-lui-ci sest impos comme son in-terlocuteur unique ou, dit-il dans sa dernire lettre, son seul con -dent . Cest lui seul quil a con quil allait se suicider.Didier a t quelquun de trs exi-geant, qui la tir vers le meilleur de lui-mme ; en mme temps, il avait con ance en lui, il ladmirait mme, et ne le jugeait pas. La qualit des lettres de Vincent tient en partie cette exigence et la qualit de r-ception de Didier. Cette amiti a t vitale pour lui. Je pense quelle lui a permis de survivre, de sexprimer

    aussi comme il naurait pu le faire avec personne - comme il ne la fait avec personne -, en toute libert et authenticit. Je pense mme que sans cette possibilit de se con er Didier, il aurait abrg plus tt sa vie. Grce lamiti et lcoute de cet ami incomparable, Vincent a pu la prolonger. Il a pu aussi, par consquent, tmoigner, travers sa correspondance, de lexprience existentielle et spirituelle qui a t la sienne et de lacuit du combat quil a men durant toute sa vie. Didier a t le tmoin privilgi et exclusif de son drame, en mme temps que le garant dune identit inaccessible quil a contribu authenti er. Didier a bien t le premier accoucheur de Vincent, comme celui-ci le lui dit dans une lettre.Sa qute devient plus nettement spi-rituelle partir de la grande crise de 1978. Il tente de secouer son iner-tie et sa tideur, considrant que sa conversion de 1974 - poque o il est revenu la foi catholique - na t que partielle. Il lui faut raliser une nouvelle conversion et lutter contre une image de Dieu qui le met en enfer, hrite de son pre, et dont il ne parvient pas se dbarrasser. Il est comme ptri par la peur et attend passivement une intervention divine, un miracle qui lui rendrait la vie. La deuxime partie de sa vie, aprs cette crise, est place sous le signe de cette attente ind nie. Il est au point mort, entran dans un mouvement de spirale vers labme, qui nest pas un lieu, mais un tat, et lagent dune dissolution. Son drame a t dtre dchir entre lappel des tnbres et celui la lumire.

    Quest-ce qui vous a touch dans lcriture de Vincent La Soudire ? Pourquoi cet auteur ?

    S. M. Je crois que lexprience dont il tmoigne offre une cl pour com-prendre notre poque. Elle dvoile les origines spirituelles dun ma-laise existentiel gnrant un mal-tre psychique. Nombreux sont nos contemporains souffrant de dpres-sion. Je pense que beaucoup dtres aujourdhui sont susceptibles dtre touchs par les crits de Vincent et de se reconnatre en lui. Certains

    Florilettres > numro 164, dition mai 2015

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    Entretien ave

    c Sylvia Massias

    Vincent La SoudireChroniques antrieuresFrontispice dHenri MICHAUXditions

    tispice dHenri MICHditions

    tispice dHenri MICHFata Morgana, 1978,

    88 pages.

    Vincent La SoudireIn memoriamFrancis Baconditions Le Capucin, 2002,31 pages.

    Vincent La SoudireBrisantsTexte tabli et prsent par Sylvia MASSIASditions Sylvia Mditions Sylvia M

    Arfuyen, 2003,127 pages.

  • pourraient trouver dans cette fraternit une r-vlation deux-mmes et un moyen de survivre. Cest eux que jai ddi mon livre et cest aussi ce titre que je les publie. Car Vincent est un homme qui, en tmoignant de la mort spirituelle et de sa traverse de len-bas (pour reprendre le titre dun livre de Maurice Bellet qui lui con-vient parfaitement), tmoigne aussi du seul re-mde susceptible de gurir lhomme. Il est lhom-me dun seuil jamais franchi, dun premier pas toujours diffr, dun oui toujours suspendu. Il a ouvert une porte donnant sur un monde auquel lui-mme na pas pu accder. Il est habit par une soif dabsolu et par le pressentiment dune plni-tude de Vie pour laquelle nous sommes faits. La nouvelle naissance quil dsire, cest celle dont parle lvangile : Nous sommes faits pour Toi, ver-tigineux Amour. Appelle tes brebis, elles recon-natront ta voix. Aussi sombres soient-ils, ses crits tmoignent, en d nitive, en faveur dune esprance plus grande que son dsespoir.Ils sont aussi habits par une grande lucidit sur notre poque, il en dnonce les piges, celui de lintellectualisme en particulier - celui, aussi, dun activisme en lequel il ne se reconnat pas et qui lui semble aux antipodes de laccomplissement ou de la ralisation de soi. Lhomme doit retrouver le sens perdu de son tre. Vincent dnonce la folie de notre temps et le fourvoiement dune civilisa-tion qui, en voulant humaniser lhomme contre Dieu, la dshumanis en le technicisant. En cri-vant, il songeait en particulier tous les broys de notre monde, il se sent solidaire de tout ce qui gmit en attente denfantement. Il est le por-te-parole dune humanit souffrante, des laisss pour compte de la vie, des souffrants, malades, humilis et pitins .

    Quant lcriture de cet essai biographique ?

    S. M. Ce livre est la fois une biographie et une tentative de comprhension du drame de Vincent. Il sagit de l histoire dune me . Sa vie est es-sentiellement intrieure et marque par limpos-sibilit de sextrioriser. Lessentiel rside dans un combat intrieur, dans lexpression de ses aspira-tions et de ses souffrances, plus que dans un tissu dvnements.Jai utilis et cit maintes sources, non seulement la correspondance adresse Didier, mais aussi des lettres crites dautres correspondants, des crits divers extraits de ses cahiers et carnets... Jai eu le sentiment, en lcrivant, dexprimer et de livrer la substance du tmoignage que Vincent La Soudire voulait donner au monde.

    Les cahiers et les carnets ne vont-ils pas fai-re lobjet dune publication ?

    S. M. Ses crits se prsentent sous forme de frag-ments, ses cahiers et carnets sont remplis de no-tations diverses, plus ou moins dveloppes, de notes de lecture, de citations... mon avis, ils ne tations diverses, plus ou moins dveloppes, de notes de lecture, de citations... mon avis, ils ne tations diverses, plus ou moins dveloppes, de

    sauraient tre publis tels quels. Lui-mme ne le souhaitait pas et voulait faire des choix. En 1984, il crit Didier : Je ne peux pas me donner moi-mme la lumire. Il me faut un accoucheur. Il faut que quelquun laccouche de lui-mme, cest--dire prolonge et nisse ce quil na pas pu accom-plir. Le travail de publication de ses crits consiste en une mise au monde qui nest pas une simple opration de transcription, mais un accomplisse-ment et un achvement, prolongeant et parache-vant un acte de cration en partie avort.Je nai pris connaissance des lettres adresses Didier quaprs la publication de Brisants. Elles ont projet un clairage inestimable sur ses crits. Javais conu Brisants partir dun ensemble res-treint de cahiers et carnets. Jai ensuite travaill sur lintgralit de ses crits et conu un recueil de textes, qui me semble rsumer lessentiel de son message et fait de lui le tmoin dune foi et dune esprance indfectibles, dautant plus pr-cieuses quelles sont nes au cur de la plus sombre des nuits.

    Sites internet

    ditions du CerfPour commander la correspondance de Vincent La Soudire et lessai de Sylvia Massias :http://www.editionsducerf.fr/librairie/r/resultats?q=vhttp://www.editionsducerf.fr/librairie/r/resultats?q=vincent+La+Soudire

    Vincent La Soudire, Lettres Didier II. Fondation La Poste. Article de Galle Obigly (2012). http://www.fondationlaposte.org/article.php3?id_article=1379http://www.fondationlaposte.org/article.php3?id_article=1379

    Vincent La Soudire, Lettres Didier I. La Croix. Article de Patrick Kechichian (2010).http://www.la-croix.com/Culture/Livres-Idees/Livres/La-nuit-http://www.la-croix.com/Culture/Livres-Idees/Livres/La-nuit-obscure-de-Vincent-La-Soudiere-_NG_-2010-06-30-553660obscure-de-Vincent-La-Soudiere-_NG_-2010-06-30-553660

    ditions Arfuyenhttp://www.arfuyen.fr/la-soudiere.htmlhttp://www.arfuyen.fr/la-soudiere.html

    Vincent La Soudire, Brisants. Le Matricule des Anges. Article de Marc Blanchet (2003).http://www.lmda.net/din/tit_lmda.php?Id=18689http://www.lmda.net/din/tit_lmda.php?Id=18689

    Entretien avec Sylvia Massias. Fondation La Poste.Lettres de Guerne Cioran (2001).http://www.fondationlaposte.org/article.php3?id_article=172http://www.fondationlaposte.org/article.php3?id_article=172

    Florilettres > numro 164, dition mai 2015

    Entretien ave

    c Sylvia Massias

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    Si le nom est fort peu connu, lhomme nen est pas moins crivain et pote, et laissa derrire lui une uvre singulire : un ensemble de proses potiques, runies grce linitiative dHenri Mi-chaux (Chroniques antrieures, d. Fata Morgana, 1978), seul ouvrage de lui publi, et surtout, trois volumes dune correspondance quil entretint, de 1964 sa mort en 1993, avec un ami rencontr au monastre de lle de Lrins, Didier. Vincent La Soudire (de son vrai nom Vincent de La Sou-dire) (1939-1993) fut un homme tourment par lexistence, qui prouvait douloureusement la trop grande distance entre lui et le monde, incapable de trouver le repos dans un prsent dvast dan-goisse, multipliant les cures psychanalytiques, physiquement et psychologiquement fragile ; submerg par le hurlement de son vide, dans la radicalit dune exprience de mort intrieure - ce quil appelait une prfrence intime pour le malheur -, tre profond qui t de la littrature et de lacte dcriture un enjeu dcisif de survie. "Vous tes un crivain", ma dit Michaux. Dac-cord ! Trs bien ! Et aprs ? Si, chaque fois que je prends mon couteau, je me coupe le doigt, au lieu de couper une pomme... le couteau devient outil denfer et de damnation. Tout dpend de la manire dont je men sers. (Lettre 225, 14 aot 1972, Cest la nuit de briser la nuit. Lettres Didier I, d. du Cerf, 2010, p. 509.) Et quelques pages plus loin : ct dici, presque sous mes

    d. du Cerf, 2010, p. 509.) Et quelques pages plus loin : ct dici, presque sous mes

    d. du Cerf, 2010, p. 509.) Et quelques

    fentres, on brle des herbes, des feuilles, dj. Je fais un dtour, quand je sors, pour ne pas croi-ser ces fumes trop douces mon cur, o je perds pied : se superposent, dans lodeur de cette fume, des couches de pass, des souvenirs, des sentiments, motions, des souvenirs dmotions, tout un train charg denfance et dadolescen-ce, de scolarit dteste et de septembres d-chirants ; et tout cela en une grande cargaison de foin humide, de regain languide et triste. (Lettre 317, 11 septembre 1974. Lettres Didier I, p. 648.) Si lon devait rsumer luvre ou la vie de cet crivain quelques adjectifs cls, sans doute les trouverait-on tous l, involontairement con-fesss : dteste, dchirant[e], humide, languide et triste... Un crivain qui, en 54 ans dexistence voue la recherche spirituelle et lcriture, sera constamment rest en retrait du monde lit-traire, malgr des rencontres heureuses, naura

    fait paratre quun seul recueil et quelques textes en revues, et dont la majeure partie des crits - une centaine de cahiers, carnets, blocs de notes, textes, correspondance - indite, reste encore publier. crire est une chose, notait-il. Se faire textes, correspondance - indite, reste encore publier. crire est une chose, notait-il. Se faire textes, correspondance - indite, reste encore

    publier en est une autre. Un abme spare ces deux tats de la pense. (Brisants, p. 29.) Et plus loin : Mon tre est un luth dont personne ne sest encore jamais servi ... (p. 38). Cest son ditrice, Sylvia Massias, que lon doit de lavoir dcouvert, de le connatre ; cest elle qui se chargea de publier une premire fois Brisants,une anthologie qui regroupe de nombreux frag-ments ou aphorismes, des notes personnelles, de la posie, des r exions, de Vincent La Soudire (d. Arfuyen, 2003). Cest elle aussi qui soccupa dditer la correspondance adresse Didier. En 2010, aux ditions du Cerf, elle publiait Cest la nuit de briser la nuit, premier volume des Lettres Didier (1964-1974), une correspondance qui Didier (1964-1974), une correspondance qui Didieren compte trois, avec prs de huit cents lettres crites par Vincent La Soudire son ami Didier (sans, hlas, les lettres de Didier). En 2012, Cette sombre ferveur. Lettres Didier II (1975-1980), sombre ferveur. Lettres Didier II (1975-1980), sombre ferveur. Lettres Didier IIdont elle prfacera, tablira et annotera aussi ldition ; en n, en 2015, tout rcemment, Le r-mament pour tmoin. Lettres Didier III (1981-mament pour tmoin. Lettres Didier III (1981-mament pour tmoin. Lettres Didier III1993). Cest Sylvia Massias, encore, que nous devons une biographie de Vincent de La Soudire, clairante, minutieuse, Vincent La Soudire, La passion de labme (d. du Cerf, 2015). Ce livre, nous dit-elle dans son introduction, dcrira (...) une vie essentiellement intrieure, love sur elle-mme et attentive ses manifestations contras-tes. Il retracera lhistoire dune me, il voquera les tourments dun tre aux prises avec son dsir et son refus de vivre, il pntrera dans le labora-toire dune intriorit broye par la souffrance et plongera dans les dessous dune humanit bles-se et pantelante. Vincent de La Soudire nat en septembre 1939, Port dEnvaux, une petite commune de Charente-Maritime, prs de Saintes, il est issu dune vieille famille aristocratique, et lan dune fratrie de huit frres et surs. Il y passera une partie de ses ts, doux souvenirs olfactifs et charnels de la prime enfance, rayonnante et joyeuse : ma grand-mre faisait partie du monde de ma petite enfance ; un monde trs lointain, fabuleux, dni-que. Les ts de 1942-1943-1944... la Prvt, les moissons poussireuses, les jeux dans les bois avec ma cousine M.-C., un pick-up aiguilles en bois, lencre violette des porte-plumes, la mous-tache piquante dun oncle... (Lettre 345, 10 aot 1975, II, p.70). Les parents ont une belle proprit prs de Paris, lHa-les-Roses, dont il ne gardera pas de souvenir prcis. Puis la famille habite Neuilly-sur-Seine, mais devra, suite un

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    Vincent La Soudire

    Portrait Par Corinne Amar

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    revers de fortune en 1960, migrer dans un HLM en banlieue parisienne. Un oncle chaleureux et aimant qui se suicide et qui lui manquera, un pre quoique prsent, mutique, une prsence ambi-gu et source de confusion mentale pour lenfant dira Vincent maintes fois ; voil pour lenfance. Il est sensible aux ondes magntiques de lenvi-ronnement, aime la montagne, le grand air, les-calade et les randonnes en t, nourrit une pas-sion pour la Prhistoire et les peuples primitifs ; voil pour ladolescence. Il commence des tu-des de philosophie la Sorbonne, les interrompt aussitt pour exercer divers petits mtiers, est tent par la spiritualit et la vie bndictine, sen loigne, troubl un temps par le dsir et lamour dune femme, effectue de nombreux voyages - en Espagne et au Danemark principalement -, lit, crit. Plusieurs crivains le marquent, notam-ment Rimbaud, Baudelaire, Pierre Jean Jouve, Ren Char, Cioran, Michaux qui il se dcide crire une lettre et qui lui rpond. Au cours dun sjour dans lle de Lrins, en 1964, il rencontre Didier. Cest lui quil se con era toutes ces an-nes, et qui il crira dans la continuit, malgr ses violentes crises existentielles et ses passages vide. Il rencontrera Henri Michaux en 1970, Cioran en 1976, qui lencouragent. Michaux laide crire, le recommande, mais Vincent est dirig par la souffrance, sensible trop sensible linvisi-ble, linconnu, dans ce combat perptuel contre ses propres dmons, en lutte pour sortir de lui-mme, tre impossible consoler ; inconsolable de ntre pas encore n , inconsolable de navoir pas de gure de pre aimer, inconsolable de demeurer dans cette espce dobscure attente des grandes choses qui doivent venir . La vie, crit-il dans Brisants, nest que souffrances et re-noncements. La posie aussi. Autant dire quelles sabreuvent secrtement une mme source ; la source de lincompltude, de ladmirable et bri-sante incompltude. Vincent La Soudire se sui-cide le 6 mai 1993, Paris. Lhomme na dautre dignit que dtre sentinelle de sa propre nais-sance ...

    1981Lettre 575

    Montgut, le 1er juin 1981.er juin 1981.er

    Merci de ta lettre du 15 mai, et du texte de Dominique Ponnau sur le moine, le temple et la nuit . Texte remarquable plusieurs gards, et que je mdite la lumire... de ma propre nuit .Car cest bien de nuit que je me nourris depuis deux ou trois nuit que je me nourris depuis deux ou trois nuitans une nuit qui semble ne pas en nir et o, tantt je me dbats en fureur et douleur, tantt je me laisse faire et mabandonne lincomprhensibilit des desseins de Dieu. Il faut peut-tre passer par labandonnement et la perdition ab-solus (?), avant de rebondir vers des chemins plus clairs, et surtout plus actifs.Dans la noyade gnrale, lcriture a sombr, elle aussi, ainsi que tous mes dsirs et tous mes projets. Je suis devenu inca-pable des uns comme des autres.Trs srieuse preuve qui se conjugue, jen suis sr, avec manvrose qui montre en n ses racines : cet empchement central, cette barre de refus, ce masochisme tout-puissant contre lequel je ne puis rien, hormis la psychothrapie qui, bien mene (quand je suis Paris, je vois souvent un bon analyste), peut arriver me faire desserrer quelque peu les mchoires. Une nouvelle vague dangoisse trs profonde est venue estourbir le peu dnergie et despoir qui me restaient. Une nouvelle dpression nerveuse est en vue qui, jespre, me sera pargne. Tes considrations sur la solitude rejoignent les miennes. Passe une certaine limite (trois quatre mois), un certain tarissement de toutes les facults se fait sentir et, pour un temprament comme le mien, produit dabord une asthnie gnrale, puis des dsordres neuropsychiques qui font bientt de moi une loque et un nant presque insupportables... Dieu est l, cependant, qui modre et module la souffrance, et conduit, o ? je ne sais, lhomme de quarante-et-un ans qui sappelle Vincent.

    1984Lettre 625

    Itxassou, le 6 janvier 1984.

    [...]

    Jai bien r chi ce qui mempchait de reprendre lcriture.Il tait invitable que ma dsaffection dpressive vis--vis de tout, portt aussi et surtout sur lcriture. Lcriture me fait peur, comme beaucoup dautres choses. Je ny renonce pas (comment le pourrais-je ?), mais je ne vois absolument pas ce que je pourrais bien crire. Je me sens vid de toute inspira-tion et, par consquent, paralys. Jprouve mme une grande rpugnance vis--vis de lcriture. Je ne sais plus quoi dire ; car il faut tout de mme un contenu un texte, un livre. Et je ne vois aucun contenu mes (minces) manuscrits ni ce que je pourrais crire.Rappelle-toi : cest toi qui, Almuecar et plus encore Men-ton, as su discerner un mouvement unique, un l conducteur dans maints textes de mes cahiers, ce que voyant, jai crit les Chroniques antrieures. Mais, de moi-mme, jamais je neusse trouv une unit sous lapparent chaos de mes fragments entremls.Aujourdhui, je me retrouve au mme point quen 1976, je me heurte au mme problme, je suis aussi aveugle devant ce qui crverait les yeux de nimporte qui (dun peu comptent). Je ne peux pas me donner moi-mme la lumire. Il me faut un accoucheur. (Cest ce que tu as t pour moi Almuecar et

    Lettres choisiesVincent La Soudire, Lettres Didier

  • Lettres choisies - Vincent La Sou

    dire Menton.) Mais jaurai loccasion de revenir sur ce problme

    complexe et brlant.Je fume moins, je ne bois plus. Serait-ce un premier pas (ti-mide) vers le grand Retour ?Je me sens pouss me convertir ; toutes sortes dindices minduisent le penser. Mais serai-je docile linspiration de la Grce ? Elle ne peut pas supplanter entirement ma libert et ma volont ; or cette dernire est gravement endommage ;et ltat dpressif joue comme un frein trs puissant.Je suis extrmement faible et petit ; je me sens nanmoins appel quelque chose de grand (je ne sais pas dans quel domaine).

    1989Lettre 694

    Paris, le 8 novembre 1989.

    Jespre que tu ne te sens pas abandonn par ton Vincent ; chaque jour je veux tcrire, et chaque jour je ne le fais pas.[...]Jai russi me constituer ma petite vie. Lectures, criture, visite aux mdecins, quelques visites. Expositions : gypte Jai russi me constituer ma petite vie. Lectures, criture, visite aux mdecins, quelques visites. Expositions : gypte Jai russi me constituer ma petite vie. Lectures, criture,

    ancienne Jussieu et Bram Van Velde au Centre Pompidou. Je me promne souvent au jardin du Luxembourg.On est en train dditer enfin ! les oeuvres compltes de Fer-nando Pessoa. Cest Christian Bourgois qui se charge de cette tche, qui aurait d tre accomplie par Gallimard il y a trente ans.Je lis beaucoup, essayant dquilibrer le sacr et le profane. Pour le profane, je menfonce dans le XVIIIe sicle franais : deuxime lecture des garements du coeur et de lespritPour le profane, je menfonce dans le XVIIIe sicle franais :

    garements du coeur et de lespritPour le profane, je menfonce dans le XVIIIe sicle franais :

    de garements du coeur et de lesprit de garements du coeur et de lespritCrbillon fils Diderot* et J.-J. Rousseau. Des livres sur Ma-dame dpinay, Madame du Deffand, Mlle Julie de Lespinasse, relecture des Liaisons dangereuses Dfense et Illustration de la langue franaise de Rivarol, Maximes et Penses de Vauvenargues, jen passe et des meilleures. Cela fait du bien de simmerger dans la littrature. Cela faisait longtemps que je navais tant lu.

    *[En marge :]Joubliais Les Bijoux indiscrets de Diderot et Lducation des filles de Fnelon.

    Jomettais une biographie de Kierkegaard (livre tien). Ct re-ligieux, je lis moins. Mystiques et Saints de chez nous par Paul Renaudin, Visions et Instructions de sainte Angle de Foligno (dans la traduction de Ernest Hello) ; Nuage dInconnaissance(anonyme anglais ou plutt chartreux anglais du XIVe si-cle). Joubliais les crits (anonyme anglais ou plutt chartreux anglais du XIVe si-

    crits (anonyme anglais ou plutt chartreux anglais du XIVe si-

    de la bienheureuse lisabeth de la Tri-(anonyme anglais ou plutt chartreux anglais du XIVe si-

    de la bienheureuse lisabeth de la Tri-(anonyme anglais ou plutt chartreux anglais du XIVe si-

    nit, le livre du pre Philipon o.p. sur elle, la fin du pre Trap sur saint Augustin, et mon ternelle Histoire de lglisenit, le livre du pre Philipon o.p. sur elle, la fin du pre Trap

    Histoire de lglisenit, le livre du pre Philipon o.p. sur elle, la fin du pre Trap

    deDaniel-Rops (jen suis la fin du XVIe sicle).Trois choses te demander : Pourrais-tu mindiquer un ou deux exemplaires de la Rgle de saint Benot (y a-t-il une dition rcente ?).Un ou deux ouvrages dexgse (qui soient ma porte, mais dont jai un imprieux besoin).Troisime question : de qui est la phrase suivante, bien con-nue dailleurs : Que nas-tu que tu naies reu ? saint Augustin ? saint Paul ? Pascal ? Jaurais besoin de la rfrence exacte pour mon travail.Trs du par le Colson sur saint Paul et le Tresmontant sur le mme. Il est facile de faire un livre quand il nest fait que de citations.Dom Marmion est toujours une mine spirituelle dans laquelle on peut puiser encore aujourdhui. Le pre Andr Combes sur sainte Thrse de lEnfant-Jsus ; dernire dition.Je me suis procur le dernier numro de la NRF. Dune intol-rable mdiocrit ; dune indfendable mdiocrit. Un certain Paul de Roux (le connais-tu ?) a commis une srie daphoris-mes dune banalit remarquable. Si les miens sont de cette eau-l, il ny a plus qu dsesprer.Mes aphorismes se mettent en place (380) ; jen limine un bon nombre. Cela fait dix ans ! que jattendais un tel tat

    potique. Je ne lai pas laiss passer, je tassure. Aprs cor-rections et mise au propre, dactylographie : deux jeunes lles se proposent pour faire ce travail : M. que tu connais et une amie de Landry qui apprend le hindi luniversit de Dauphine. Je ne sais quel saint(e) me vouer... En prenant lune, je ne voudrais pas vexer lautre. Elles ne veulent pas tre rmunres, mais je leur donnerai 2 500 francs (ce qui est dailleurs le tarif). Aide-moi de ton bon sens pour choisir celle-ci plutt que celle-l.Aprs plus de dix ans de mise au cachot, je reviens sur la terre des vivants. Cela me fait tout drle. Nouvelle sorte de vie spirituelle. La Croix, plus que jamais. La souffrance est vcue autrement ; presque avec joie. Tout le pass brl dans la fournaise. Tu nauras plus, hlas !, de ces beaux violoncelles qui, jusqu prsent, me tinrent lieu dcriture (les lettres ont t la principale source de lcriture en moi). Qualis artifexpereo ! Mes lettres sont bien plates en ce moment. Il est vrai que mes aphorismes moccupent beaucoup.Ah ! cher Didier, si je pouvais accoucher de mon troisime livre ! Quand le coeur a fait une fois sa vendange, vivre est un mal (Baudelaire). Ce nest pas vrai !Tai-je parl de mon second livre ? LArrire-Garde, orn de trois gravures en couleur de mon ami G. (lui-mme peintre). Nous avons tout fait nous-mmes, sauf le cartonnage de la couverture. Jai mme imprim plusieurs pages avec une presse bras. Petit vernissage la Maison des crivains au Centre national des lettres. Nous sommes rentrs dans nosfrais. Curieuse exprience.Si Michel Camus pouvait publier ces aphorismes ! (dont je ne connais pas encore le titre).Prions que lopration se fasse dans les meilleures conditions.

    P.-S. : Christian Bourgois vient davoir le courage dditer lu-vre complte de Fernando Pessoa. Quatre volumes ont dj paru (sur sept). De Marguerite Yourcenar : aprs son troisime livre de m-moires posthume, un autre volume, posthume lui aussi, vient de paratre : En plerin et en tranger En plerin et en tranger En plerin et en tranger essais. Absolument remarquable. Cest un livre construit comme Sous bn ce dinventaire. Un ensemble dessais. Quelques pages sur Virgi-nia Woolf, inoubliables. Textes qui vont de 1930 1940 tex-tes plus rcents. Si tu veux que je te lenvoie, je te lenvoie.

    [...]

    Photocopie de la dernire lettre de Cioran (que tu peux garder). Je me demande quelle est la part de cabotinage dans cette belle lettre. Je me suis prcipit son chevet : doucement, je le tire vers Dieu. Deux ou trois songes my invitent.

    [Sur un feuillet joint :]

    Suite laddition de la premire page : jai rv plusieurs fois que je me trouvais avec lui dans une glise orthodoxe. Une fois, il tait sculpt en relief dans un norme bloc de rocher, les bras lhorizontale.Michaux et moi contemplions le spectacle en silence.Sais-tu que son pre, prtre, a ni sa vie en mendiant de porte en porte ? Il a un intercesseur de choix maintenant au paradis.Quelque chose me dit quil se convertira avant de mourir.videmment, ce nest pas la Sagesse quil lui faut, mais la Quelque chose me dit quil se convertira avant de mourir.videmment, ce nest pas la Sagesse quil lui faut, mais la Quelque chose me dit quil se convertira avant de mourir.

    Paix que seul Dieu peut donner.Je lai remis fermement sur la voie de lcriture, seule parade lhumiliation de la vieillesse .

    Pour les notes, se rfrer louvrage :

    Vincent La SoudireLe firmament pour tmoinLettres Didier III (1981-1993)Edition prsente, tablie et annote par Sylvia Massiasditions du Cerf, mai 2015

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