faribole #5

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Numéro d'été 2013 de Faribole, spécial Bruno Réquillart.

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  • Pierre

  • le jazz en papier recycltrimestriel

    [email protected]

    le jazz en papier recyclle jazz en papier recyclle jazz

    trimestriel

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    un mot sur faribole.Faribole est devenue mre. Lambition que nous avions pu nous fixer au d-but est l : montrer que nous pouvions produire du contenu culturel de qualit, sans sacrifier lexigence, sans aucune concession sur la rdaction, tout en fai-sant confiance la curiosit de nos lec-teurs et leur capacit dpasser les d-bats de surface. Notre but est d'irriguer la vie de la cit par la connaissance, le savoir et le fait culturel. Il est primordial, aujourdhui, de crer une dynamique intellectuelle riche, vive et connecte son temps et son espace. Dans un monde d'immdiatet de linformation comme le ntre, nous avons besoin de contenus ancrs dans un temps long : le temps de la recherche, de lanalyse et de la rflexion. la rdaction de Faribole, nous avons fait ce pari : le pari d'un mdia qui ose l'exigence, la qualit et la culture dans une mme re-vue. Contre le journalisme actuel, nous nous en remettons des lecteurs qui savent dj ce quest la culture, et les dbats qui animent sa socit. Nous voulons simplement lamener poser

    les bonnes questions.

    Pierre-Alexandre Moreaudirecteur de la [email protected]

    tant de choses que nous savons, ne le sachant pas.

    Reiner Schrmann

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    ESTHETIQUE DE LA MODERN

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    TOMMY PASCAL

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    UNE POLEMIQUE

    DE LALLEMAGNE

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    Bruno Rquillart

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    en dtail.

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    Louis-Ferdinand Cline, Entretiens avec le Professeur Y, Paris, Gallimard, coll. Blanche, 1955, 160pages.

  • essai #1

    essai #2

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  • essai #3

    essai #5

  • essai #4

    essai #6

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    Donjon du Chteau de Coucy 1/500

    30 St Mary Axe 1/1000

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    checs modernes.Emmanuel Quinchez

    talgie quils expriment dans leurs crits dans un paralllisme dailleurs tonnant: Machenka (1926), premier roman de Nabokov, est lhistoire dun exil russe retrouvant son pass travers une femme quil a autrefois aim ; Le Voyage dans le pass (1929) de Zweig, trangement prophtique, est celle dun amour rendu impossible par lexil en Amrique du Sud de lamant qui, aprs son retour en Autriche quelques dcennies plus tard, ralise avec regret que ses sentiments ont disparu. Ce-pendant, cette nostalgie du monde dhier, que lon retrouve au-del dans toute luvre de Zweig, est dautant plus violente quelle sassocie chez lui une profonde inquitude quant au monde nou-veau, quil voit merger comme une antithse de la civilisation, voire comme un retour la barbarie, vision certainement partage par Nabokov, libral convaincu, pourfendeur du communisme, dont le pre, un dmocrate appel au gouvernement Ke-renski en mars 1917, est tu par des extrmistes russes en 1922. Aprs leur dpart, Nabokov et Zweig mettront chacun une dizaine dannes crire sur les checs, objet littraire quils lient chacun aux conditions de lexil : Loujine est un immigr russe en Allemagne, comme alors Nabo-kov; M. B suit le mme chemin que Zweig en quittant lEurope pour lAmrique du Sud. Que les checs surgissent dans ce contexte nest pas anodin: appliqus un sujet unique, ils expriment cette scission moderne du moi.

    Plus profondment, la scission du moi que lon retrouve et dans le roman de Nabokov et dans la nouvelle de Zweig nest pas seulement prendre comme lexpression dune perte renvoyant lexil des deux auteurs: ces hros tiraills entre un moi blanc et un moi noir, bien au-del la question de larrachement lorigine, ils les rigent en mta-phores dune modernit contradictoire en soi dont

    Le jeu dchecs, tout de blanc et de noir, fait lobjet dune fascination moderne dont tmoigne la littrature du dbut du 20me sicle, travers notamment deux uvres de premier ordre: La Dfense Loujine de Vladimir Nabokov (1930) et Le Joueur dchecs de Stefan Zweig (1943), publies moins de quinze annes dintervalle lune de lautre. Or, pourquoi lheure o le monde occidental vit les plus grandes contradictions de son histoire, concrtises par les deux guerres mondiales et par la Grande Dpression, les checs constituent-ils pour ces crivains un sujet mritant quon lui consacre un ouvrage entier? leur lecture, la rponse tonne avec la force de lvidence : le jeu dchec est une puissante mtaphore de la modernit, non pas simplement de lpoque contemporaine des deux auteurs en soi, mais de cette poque en tant quelle est moderne, radicalement moderne. En effet, au contraire de ce quoi lon pourrait sattendre, il nest pas question dans ces uvres ou du moins ce nest pas le cur du sujet dun combat entre deux adversaires, lun jouant les blancs et lautre les noirs, mais de celui dun seul esprit jouant contre lui-mme, et les blancs et les noirs, de plus en plus intensment, et jusqu la folie : il y a l, dans cette schizophrnie des-tructrice dont sont victime les deux personnages principaux, Loujine et M. B, quelque tension profondment moderne.

    Les deux crivains ont eux-mmes directement vcu cette tension moderne, en tant arrachs leur terre natale et leur langue : le premier fuit Saint-Ptersbourg pour Berlin en 1919, suite la Rvolution russe ; le second quitte lAutriche pour Londres en 1934, aprs larrive au pouvoir des nazis en Allemagne, puis lAngleterre pour le Brsil en 1936. Lun et lautre souffrent une nos-

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    de Nabokov, minemment mo-derne; cest ce qui fait sa force.

    Quimporte les situations, dans ces deux uvres, les checs renvoient toujours cette ten-sion grandissante entre deux extrmes que lesprit dun joueur un personnage ou bien le lecteur cherche concilier au prix defforts presque insou-tenables qui conduisent la folie o, lorsquil nest pas possible daller plus loin, labandon, cest--dire la mort. Nest-il pas significatif que le prnom de Loujine, son identit intime, ne soit donn pour la premire fois au lecteur que dans les toutes dernires lignes du roman, pr-cisment linstant de sa mort, comme si son tre ne se rali-sait quavec son suicide ? M. B, pendant sa dtention, ne sombre t-il pas dans les checs pour garder la force et le cou-rage de mentir aux enquteurs nazis, pour prserver ce quil lui reste de secret et dintime face la machine totalitaire, pour rester lui-mme ? Zweig, dont la vie tout entire incarne cette tension entre M. B et Czen-tovic exprime dans lattitude des passagers, entre un monde qui sefface et un monde qui nait, formidables, pour lesquels il prouve des sentiments par-tags, ne sest-il pas lui-mme retir de la partie en 1942, dcourag par la victoire des to-talitarismes, aprs avoir achev Le Joueur dchecs et Le Monde dhier ? Ce jeu de lesprit qui, comme le remarque justement Zweig, est le seul entre tous

    ils sont eux-mmes les victimes dans leurs propres vies. Il est vrai que les checs napparaissent pas de la mme manire dans les deux uvres. Dans le roman de Nabokov, Loujine lutte contre sa passion pour les checs dans ce qui ressemble une partie dchecs contre lui-mme qui peu peu se confond avec la vie relle jusqu ne plus pouvoir en tre distingu, combat entre rel et illusion. Dans la nouvelle de Zweig, le ddoublement in-tervient deux niveaux : une premire fois dans le pass du rcit, dans les souvenirs de M. B qui, longtemps retenu pri-sonnier par la Gestapo, trouve dans les checs une issue lextrme solitude de sa capti-vit en rejouant les parties dun livre vol un officier nazi puis, le livre achev, en jouant contre lui-mme ; une seconde fois dans le prsent du rcit, dans la partie entre M. B et Czento-vic, qui ne nous est certes pas directement prsente comme un ddoublement puisquil y a bien deux joueurs qui saf-frontent, mais qui renvoie au propre ddoublement du lecteur de lpoque, reprsent dans la nouvelle par les passagers du navire, spectateurs de la partie, entre un personnage incarnant le monde dhier qui fuit lEurope pour lArgentine et un person-nage incarnant le monde nou-veau qui part la conqute de trophes partout sur la plante, entre lhumilit dun homme flirtant avec la folie, par lequel les spectateurs sont touchs, et larrogance dun homme in-

    ou deux: M. B devient fou quil joue seul contre lui-mme ou deux contre lui-mme pourrait-on dire. Et cest prci-sment parce quelle parvient reproduire ce dualisme chez le lecteur lui-mme que la nouvelle de Zweig est, plus que le roman

    conscient, quils envient. Mais la folie autodestructrice est toujours laboutissement final des checs, que lon joue seul

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    [] il lui tait de plus en plus difficile de se dgager du monde des checs, si bien que, mme en plein jour, il ressentait un pnible ddoublement.3

    Mme en plein jour!Tout phnomne moderne est la fois blanc et noir, et cest pourquoi il nest pas surprenant de lire, sous la plume du dernier grand moderne, lextrme fin du Monde dhier, que toute ombre, en dernier lieu, est [] aussi fille de la lumire et seul celui qui a connu la clart et les tnbres, la guerre et la paix, la grandeur et la dcadence a vraiment vcu 4. La modernit est un jeu dchecs que Zweig a littralement vcu jusquau bout mais au moins dans ce faisceau dombre et de lumire certains hommes voyaient-ils quelque chose que nous avons perdu en perdant la mo-dernit: lhorizon utopique de la victoire finale et vers lui le chemin quil faut suivre. Devons nous le regretter ? L est une question qui mriterait quon y rponde srieusement.

    3 Vladimir NABOKOV, La Dfense Loujine, Paris: Galli-mard, 1974 (1re dition: 1930), p. 140 4 Stefan ZWEIG, Le Monde dhier, Paris: Belfond, 1993 (1re dition: 1944), p. 506

    les jeux invents par les hommes, qui chappe souverainement la tyrannie du hasard1, nin-carne t-il pas limpossible dfi dune poque ? Lucide, Zweig fait dire M. B:

    mon atroce situation mobligeait tenter ce ddoublement de mon esprit entre un moi blanc et un moi noir, si je ne voulais pas tre cras par le nant horrible qui me cernait de toutes parts.2

    Le nant, voil peut-tre en effet lorigine de la modernit, qui sans cesse la menace et len-traine plus en avant sur le chemin de sa propre faillite : la dcouverte du nant avec la mort de dieu, angoissante libration originelle, engage lhomme dans une modernit consistant rtablir du sens pour le rsoudre, ce qui se traduit par un mouvement de projection dans lavenir qui, en amplifiant le sentiment du nant, provoque un mouvement contraire de retour au prsent ap-pelant lui-mme la radicalisation du premier, etc. Lhomme moderne joue contre lui-mme une par-tie de plus en plus brutale ne pouvant quaboutir une fin tragique, dont la violence mais cest l un tout autre sujet agit alors comme le pharma-kon de la modernit: son mal et son remde. Les checs, une fois de plus, incarnent parfaitement le phnomne moderne, dabord parce quils ren-voient un affrontement contre soi, mais surtout parce quils mettent en scne cette dialectique travers le combat des blancs et des noirs, dont jamais les uns ne gagnent sur les autres chez Nabokov ni chez Zweig : le blanc et le noir ne sont pas des couleurs ; le blanc est lumire, le noir absence de lumire et, par dfinition, ils nexistent lun sans lautre car, en effet, la lumire fait lombre et lombre implique la lumire. Les Lumires sont peut-tre le moment historique dune prise de conscience, elles comportent vi-demment leur part dombre, dualisme que lon retrouve tout au long de lhistoire moderne, de luvre de Rousseau celle de Freud en passant par celle de Baudelaire et de beaucoup dautres encore. Loujine vit ce paradoxe avec lintensit de la premire moiti du 20me sicle:

    1Stefan ZWEIG, Le Joueur dchecs, Paris: Delachaux et Niesl, 1991 (1re dition: 1943), p. 24-252 Stefan ZWEIG, Le Joueur dchecs, p. 69

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    theoria

    Theoria est une revue hebdomadaire en ligne qui traite de thmatiques culturelles comme les Arts, lHistoire, la Philosophie ou les Lettres. Cette revue se dmarque par son ton, sa qualit et son acuit, qui font de ce priodique une rfrence pour les matires quelle aborde. Sa qualit et son engagement aux cts

    dune culture ouverte et soucieuse delle-mme forment aujourdhui sa seule ligne de conduite.

    www.theoria.fr

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    Chez Tarkovski, le sou-ci du collectif semble vinc au profit lindivi-du qui du mme coup se voit assigner une responsabilit taille dans la robe de lunivers. Il nest plus question dhistoire mais de mmoire : le sujet est un prisme qui se doit daffronter ses dsirs propres afin de pouvoir enfin se fondre dans lunivers et assumer la part qui lui incombe de ce destin universel.

    Au regard de lexprience spirituelle de lhomme, ce qui a pu arriver un seul hier soir a le mme degr de signification que ce qui a pu arriver lhumanit il y a un millnaire.1

    Andre Arsenievitch Tarkovski (1932 1986), fils du pote Arseni du mme nom, tudie la musique et la gologie et ce, avant que dembrasser la profession de cinaste, peut-tre lun des plus grands de notre temps.

    Son uvre, teinte de mysticisme est une vri-table profession de foi. Foi en lhomme mais aussi et surtout, en lunivers, avec lequel il sagit den-trer en relation. Aux savants incrdules lon op-pose les passeurs misrables, les hommes de foi. Non plus vouloir savoir, mais dsirer connatre2. Non plus chapper sa condition, mais lhabiter,

    1 Andrei Tarkovski,Le Temps scell, Cahiers du cinma, 2004.2 Stage annuel de Jean Douchet lInstitut Lumire, mars 2012.

    sillonner la Zone3. Ne pas cher-cher fuir mais entrer toujours plus profondment, et slever. Non plus dominer le monde, mais tre dans le monde, y instruire de nouveaux rapports. La faiblesse de ses hros dissimule une force vigoureuse et intrieure, une force toute spirituelle. Au-del de la foi, il y a la responsabilit. Respon-sable pour tous et pour le monde entier. Responsables de rveiller la foi engloutie sous un sicle ma-trialiste.

    En un mot, ce qui mintresse est cette nergie de lhomme qui slve contre la routine matrialiste.4

    Tous cherchent la Chambre des dsirs, mais pas toujours pour les bonnes raisons. La Chambre des dsirs en ralit nexiste pas, mais

    incarne cet instant dternit o lhomme affronte tous ses dsirs quels quils soient, et surtout ceux quil ne dsire pas connatre. Il est ds lors pos-sible dtre dans le monde et pour le monde dans un rapport purement authentique ce dernier.

    3 Rfrence Stalker.Film de science fiction dans lequel deux incrdules, un crivain et un savant, sont introduits par le Stalker, le passeur, dans la Zone, zone interdite, es-pace de libert prserv au cur de laquelle se trouve la Chambre des dsirs, lieu o les personnages sont dits pou-voir dcouvrir et affronter leurs dsirs profonds. Lun veut la dtruire, devanant en cela lafflux des innombrables hommes en qute de vrit et de libert, ce dont le stalker la dfendra, lautre se suicidera, en proie la peur de d-couvrir des dsirs enfouis quil nose affronter.4 Le Temps scell.

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    Qute dauthenticit quincarne en dernire ins-tance Tarkovski, avec seulement sept longs-m-trages, un moyen et un court en trente ans de carrire, ce dernier refuse de se plier aux dsirs du Parti, toujours son uvre demeure fidle une exprience personnelle, souvent douloureuse, dont il fait cependant un prisme capable de diffu-ser une lumire universelle.

    Le nud dun film est quun artiste ne peut exprimer lidal moral de son temps sil ne touche ses plaies les plus sanglantes, si il ne les vit et ne les endure en lui-mme.5

    Tarkovski nous livre tout au long de sa carrire des tranches de vie, de sa vie propre, de ses souffrances, de ses doutes, de lespoir qui rampe et rejaillit. En qute dun langage vritablement cinmatographique, il se distingue de par son intransigeance et sa virtuosit. Il ne sagit plus dimages mais de strates gologiques, de strates de temps quil sagit de composer mme la pellicule. Nourri de nom-breuses rfrences, la peinture Lonard de Vinci et Rembrandt no-tamment , la musique Wagner et Bach -, mais aussi la littrature Tolsto, Dostoevski et Proust -, et surtout, la posie avec notamment de nombreuses occur-rences de luvre de son pre, posie laquelle il aime comparer et confronter le cinma auquel il tente dinventer un langage propre -, il ne sagit jamais cependant de justifier ou de fonder les dif-frents plans, souvent peu nombreux6 et en flux tendu, mais bien de former un compos de senti et de sentir afin datteindre le spectateur imm-diatement, dans sa sensibilit, rfrences donc, qui ne seront jamais charges de soutenir la nar-ration o limage, mais bel et bien de la nourrir, de prciser la direction de la sensation. En termes de narration enfin, les chocs de plans eisensteiniens sont prolongs et transforms chez Tarkovski, en une continuit entrecoupe. Son cinma se 5 Ibid.6 Stalker est par exemple compos de seulement 142 plans et dure prs de 3 heures.

    caractrise en effet par des discontinuits de narration intgres un tout, un plan dhtro-gnit destin nous faire sentir le temps. Lon assiste dailleurs ce que lon pourrait qualifier dune naturalisation de la culture, lon est plus dans lhistoire, mais lon y participe, lon prend part au destin du monde. Les strates de temps coexistent.

    Or, pour Laurent Olivier : le processus qui dissout le temps conventionnel de lhistoire est celui de la mmoire, les tranches de vie tarkovskiennes ne seront donc nullement affiliables des t-moins du pass, mais devront bien au contraire tre considrs comme des symptmes de lexistence dune mmoire active du pass7. La mmoire active du pass semble donc permettre dinterroger nos dsirs et de nous rconcilier avec le tout de lunivers. Ainsi les strates de temps sincarnent-elles chez Tarkovski dans une matire vive, lmentaire et changeante. Leau, la terre, lair et le feu se voient ds lors octroyer un corps

    cinmatographique, et Tarkovski semble re-joindre Bachelard quant lide dune imagination de la matire.8 La terre humide de lme russe, et leau des rves, rves incarns dont Bergman souligne la virtuosit de

    lvidence qui rampe sous la surface tranquille et miroitante, parfois et cependant stagnante. In-carn dans ses matires, le discontinu devient un lment dramatique en soi. Contre les adeptes du montage, ce qui compte avant tout, cest dinstaurer un rythme9.

    Tarkovski ouvre donc dans ces films un espace purement temporel, pourvu de strates quil car-tographie en instaurant de nombreuses ruptures narratives. Ainsi le drame personnel devient-il drame universel. Un drame plusieurs niveaux que la sensation traverse la manire dune onde 7 Laurent Olivier,Le sombre abme du temps. Mmoire et archologie, La Couleur des Ides, Seuil, Paris, 2008, pp.99 et 277, voir en ce sens lanalyse de Dimitri Kourchine dans son article Andrei Arsenievitch Tarkovski, cinaste de la mmoire sur le sitewww.iletaitunefoislecinema.com.8 Le Temps scell.9 Ibid.

    le processus qui dissout le temps conventionnel de lhistoire est

    celui de la mmoire

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    intensive, par-del le besoin humain trop humain de ra-tionalit. Ainsi les fous et les enfants ont-ils une place de premire classe dans les dchirures du voile et leur solitude face au monde des adultes se dploie-t-elle en une force intrieure, une foi toute preuve, qui toujours subsiste et trouve sa voie malgr les railleries et quolibets. Ils appa-raissent comme des sortes de prophtes. Ainsi Domenico, dansNostalghiasimmole-t-il par le feu aprs avoir transmis sa mission de sauveur de lhumanit au pote Gortchakov, ainsi la petite fille du Stalker qui clt le film ponyme trouve-t-elle la force de dplacer des objets par la seule force de sa pense. Recomposition des rapports de force dont la possibilit pargne lespoir.

    De la mme faon, lartiste tend perturber la stabilit dune socit au nom dun idal. La socit aspire la sta-bilit, lartiste linfini. Lartiste est concern par la vrit absolue. Cest pourquoi il regarde en avant et voit certaines choses avant les autres.10 . Le cinma est, limage de ces prophtes, considr dans sa capacit imprimer la ralit du temps sur une pellicule Cellulod [...] Le temps fix dans ses formes et ses manifestations factuelles : telle est lide de base du cinma en tant quart, qui laisse entrevoir un potentiel inexploit, un avenir impressionnant. Tel est aussi le fondement sur lequel jchafaude mes hypothses de travail.11

    Tarkovski a le courage de la vrit, et limage du Laocoon qui traverse le temps, ses tranches de vie nous lvent luniversel. Contre ceux dont lorgane de la foi est atro-phie faute de besoin12, il sagit donc de sinterroger et de retrouver la foi comme ce cinaste incroyable capable de refaire un film gch aprs un an de travail intensif pour rien du tout13. En dernire instance et selon Tarkovski, embras-ser une carrire de cinaste nest pas un acte anodin, car limage de ses personnages : Celui qui dcide de devenir un ralisateur est quelquun qui dcide de risquer sa vie et qui est prt tre tenu pour responsable.Ainsi le discontinu devient-il un lment dramatique en soi, ce qui nempche pas la construction dapparatre sur le mode dune ncessit parfaite, et si lon a pu lui reprocher son formalisme esthtique trs pouss, ce qui compte avant tout, cest lexistence dune ncessit luvre, une ncessit qui uvre la limite.

    10 Ibid.11 Ibid.12 Rplique du Stalker.13 A la suite derreurs dans le dveloppement de la pellicule, de nom-breux plans tourns en extrieur pour le film Stalkerfurent perdus pour la postrit et un an de travail gch. Tarkovski, malgr son dsespoir, trouva le courage de repartir zro avec un budget rduit de moiti.

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    Reiner Schrmann, Le Principe danarchie : Heidegger et la question de lagir, Bienne-Paris :

    Diaphanes, 2013, 448 p.28

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    a y est, vous venez de voir pour la quinzime fois The Dictator de Sacha Baron Cohen. Dcidment, vous avez beau nager dans une vritable soupe thique en pensant aux consquences attenantes, mais vous ne pouvez vous empcher de vous projeter dans la peau d'un tyran aux aspirations totali-taires, possdant droit de vie ou de mort sur sa population, dveloppant secrtement l'arme nuclaire et louant son image coups ritrs de propagande. Sauf que voil, vous n'avez pas forcment un tat porte de main pour exercer vos pleins pouvoirs. Aucun problme, Faribole accourt votre rescousse et vous propose un classement des dix jeux-vido qui, de par leurs rgles intrinsques et leur champ de possibilit, vous permettront d'exercer ce totalitarisme que vous chrissez tant. Si le totalitarisme, dans sa dfi nition la plus stricte, repose sur une domination tatique totale, tant au niveau des actes que de la pense, nous nous permettrons ici d'largir parfois quelque peu son prisme hors du cadre de l'tat, tant que le contrle total s'y retrouve (tant dans une sphre relationnelle que dans des sortes d'tats de non-droit), mme si la rfrence majeure reste celle du contrle sur la population.

    le top 10 des jeux vidos totalitaires.Nicolas Bristot

    Afi n d'assurer un classement quitable, trois indices seront pris en compte dans la notation :

    L'indice idologie ,

    reposant sur l'originalit du totalitarisme propos.

    Lindice Puissance nuclaire , reposant sur les moyens mis votre disposition

    pour assurer votre prpondrance..

    Lindice Pile de cadavres ,

    reposant sur les consquences et rsultats

    directs de lexercice de vos (pleins) pouvoirs.

    Tout de suite, dbutons notre classement.

  • t 2013 | faribole #5 97

    10 Les Chiennes de Garde vous insupportent ? Les braillements du FEMEN vous ont fait perdre foi en l'humanit ? L'image d'une Caroline Fourest glapissant son inutilit ne parvient pas sortir de votre tte ? La solution est simple. Fruit du dveloppement du studio japonais Illusion Soft, Real Kanojo est un Eroge ou, en d'autres termes, une simulation de petite amie virtuelle et interactive. Fort d'une ralisation soigne, d'une possibilit de reconnaissance faciale via webcam et d'un systme de souris bien labor, il s'agira de lui montrer que le matre, c'est vous, et personne d'autre. Ttez-lui les fesses, malaxez ses seins, insrez vos doigts dans son nez, soulevez sa jupe quand bon vous semble, et surtout, que diable, portez haut vos burnes et revendiquez la gloire du genre masculin. Osez l'anti-fminisme, osez le totalitarisme de salon, osez le culte de la femme-objet.

    Real Kanojo

    9/10 7/10 5/10Brandissez un robuste doigt dhonneur vers

    les thories du genre ; vous tes le mle,

    le surhomme, lon totalitaire, et en tant

    que tel, vous possdez lomnipotence. Cest aussi simple que a.

    car nonobstant la pliade de petites attentions

    et de svices que vous pourrez prodiguer votre compagne

    virtuelle, on regrette tout de mme une utilisation encore trop limite des

    nouvelles fonctionnalits informatiques.

    Si les ractions de votre compagne virtuelle rendent bien compte de la perversit japonaise et des exutoires

    quils cherchent pour pallier leurs dficiences, on regrettera

    une nouvelle fois de ne pas pouvoir assassiner sa com-

    pagne, trouvant ainsi dans la jouissance de la ngation le pinacle sadien du plaisir.

    7/10N O T E f i N a L E

  • 98 faribole #5 | t 2013

    9 Lorsque Resistance Records, un label musical indpendant financ par un parti amricain no-nazi, dcide de sortir un jeu-vido, voil le bienheureux rsultat : un FPS o vous prenez en main, au choix, un skinhead ou un membre du Ku Klux Klan, et o votre mission consiste purger les ghettos de la prsence infme de Noirs et de Latinos ; bien vite, votre mission pren-dra un essor nouveau, puisquil sagira dexterminer des Juifs jusqu atteindre leur centre de contrle o rside Ariel Sharon, planifiant paisiblement ses plans de domination mondiale la tte dIsral. Noubliez pas : vous tes un justicier. Mettez un terme ce complot judo-maonnique, purgez la terre de la prsence impie de ces races, et portez jusquau sommet la race blanche et ses splendeurs.

    Ethnic Cleansing

    8/10 5/10 8/10pour le bon vieil idal totalitaire nazi en lutte contre un totalitarisme sioniste bien plus neuf.

    cause dun arsenal restreint, ainsi que

    dune ia en proie de multiples bugs.

    Cest un nettoyage puratoire : les corps

    des infrieurs joncheront votre route dans une

    mare de sang.

    7,1/10N O T E f i N a L E

  • t 2013 | faribole #5 99

    Rejeton du studio nerlandais Darxabre vous proposant une simulation complte du hooliganisme. Dgot devant le pouvoir tatique, les rpressions policires, les lois diverses et les contrles dalcoolmie ? Prenez la tte dune bande de hooligans avides den dcoudre ; emmenez-les au bar, fournis-sez-les en boissons et en drogues, voyez-les prosprer, puis allez dlibrment voler des magasins la tte de votre arme crne ras, avant daller tabasser les hooligans de bandes opposes, que ce soit en pleine rue, prs dun pub o la sortie dun stade de football. Tenez-vous fermement face loppression de ltat : le seul vritable totalitarisme ayant le droit dmerger sera celui de votre bande. Et si quelquun ose clamer le contraire, corrigez-le coups de batte de base-ball et de Doc Martens : il ne sait srement pas ce qui est bon pour lui.

    Hooligans : Storm Over Europe

    8/10 7/10 7/10Saluons leffort srement coupable, mais tellement

    dlicieux, de nous placer la tte dune

    troupe dexcits avides de football, de violence gratuite et de bire bon

    march.

    Un hooligan est une arme de guerre ; tirez-en

    toutes les potentialits possibles, et anantissez vos opposants, dont le

    plus grand crime sera de stre trouv en face de

    vous.

    Nous restons loin du gnocide, mais les corps meurtris joncheront le sol aprs le passage de votre troupe, comme

    sils droulaient le grand tapis rouge vers votre

    gloire venir.

    7,3/10N O T E f i N a L E

    8

  • 100 faribole #5 | t 2013

    Il sagit l dun jeu de gestion plaant entre vos mains habiles le commandement dun camp de concentration. En bon et fier officier allemand que vous tes, vous devez y trouver un compromis afin dassurer le fonctionnement optimal de votre camp : dun ct, il faut vous assurer de massacrer de manire frquente les dports (lon peut dailleurs les slectionner au choix parmi les Juifs, les Turcs ou encore les Tziganes) g-missant entre vos murs, ce qui satisfera lopinion publique ; de lautre ct, vous devrez tout de mme les conserver un minimum pour assurer la productivit de votre camp et de vos ressources (allant du simple quipement largent, en passant par le Zyklon B). Vous aurez tout intrt trouver cet quilibre : si vous ne le faites ni pour la Grande Allemagne, ni pour le pangermanisme, faites-le au moins pour votre Fhrer.

    KZ Manager

    8/10 8/10 6/10pour laspect historique retranscrit merveille.

    comptons galement un bon 8/10, pour les chambres gaz et le

    ct dshumanis de la gestion.

    on en restera l, le jeu restant assez primitif, et

    le joueur ne pouvant pro-fiter pleinement du fruit de ses exterminations.

    7,4/10N O T E f i N a L E

    7

  • t 2013 | faribole #5 101

    RETR

    OUVE

    Z LA SUITE DU CLASSEMENT

    SUR WWW.THEORIA.F

    R

  • 102 faribole #5 | t 2013

  • t 2013 | faribole #5 103