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Facebook pour l’enseignement/apprentissage informel du FLE : une étude de cas Christelle Combe Celik Lidilem, Université Stendhal Grenoble 3 UFR des Sciences du Langage BP 25 38040 Grenoble cedex 9 [email protected] ___________________________________________________________________ RÉSUMÉ. Cet article s’ancre dans le champ des recherches qui explore l’utilisation des réseaux sociaux, et plus particulièrement Facebook, dans un contexte d’enseignement/apprentissage informel du Français Langue Etrangère. Partant du postulat que cet espace multimodal induit un comportement discursif particulier, à partir de l’analyse interactionnelle et pluri-sémiotique d’échanges en ligne recueillis écologiquement, il décrit les pratiques discursives d’apprenants de FLE et de leur enseignante dans un espace dédié sur Facebook. MOTS-CLÉS : analyse de discours médié par ordinateur, apprentissage informel du FLE, communication médiée par ordinateur, Facebook, interactions pédagogiques en ligne, réseau social. ABSTRACT. This paper analyzes the use of Facebook in the context of informal teaching and learning of French as a Foreign Language (FFL), through social media. It is based on interaction analysis and plurisemiotic analysis. The protocol of research is based on an empirical method of collecting ecological data. The study aims to describe the discursive practices of FFL learners and their teacher through a Facebook group. KEY-WORDS : computer mediated discourse analysis, FFL informal learning, computer- mediated communication, Facebook, online pedagogical interactions, social network.. ___________________________________________________________________

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Facebook pour l’enseignement/apprentissage informel du

FLE : une étude de cas

Christelle Combe Celik

Lidilem, Université Stendhal – Grenoble 3

UFR des Sciences du Langage

BP 25

38040 Grenoble cedex 9

[email protected]

___________________________________________________________________

RÉSUMÉ. Cet article s’ancre dans le champ des recherches qui explore l’utilisation des

réseaux sociaux, et plus particulièrement Facebook, dans un contexte

d’enseignement/apprentissage informel du Français Langue Etrangère. Partant du postulat

que cet espace multimodal induit un comportement discursif particulier, à partir de l’analyse

interactionnelle et pluri-sémiotique d’échanges en ligne recueillis écologiquement, il décrit

les pratiques discursives d’apprenants de FLE et de leur enseignante dans un espace dédié

sur Facebook.

MOTS-CLÉS : analyse de discours médié par ordinateur, apprentissage informel du FLE,

communication médiée par ordinateur, Facebook, interactions pédagogiques en ligne, réseau

social.

ABSTRACT. This paper analyzes the use of Facebook in the context of informal teaching

and learning of French as a Foreign Language (FFL), through social media. It is based on

interaction analysis and plurisemiotic analysis. The protocol of research is based on an

empirical method of collecting ecological data. The study aims to describe the discursive

practices of FFL learners and their teacher through a Facebook group.

KEY-WORDS : computer mediated discourse analysis, FFL informal learning, computer-

mediated communication, Facebook, online pedagogical interactions, social network..

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JOCAIR’2012. Thématique

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1. Introduction

Avec le développement des technologies numériques et des réseaux de

communication, les individus (et tout particulièrement la génération de ceux

que l’on appelle les « natifs digitaux ») sont de plus en plus interconnectés

grâce à un ou plusieurs réseaux qu’ils consultent régulièrement (parfois

plusieurs fois au cours d’une journée), depuis des terminaux fixes ou

mobiles (ordiphones, tablettes). L’avènement de l’Homo Reticulus (l’humain

en réseau) semble bien être le phénomène marquant de cette première

décennie du 21e siècle. Ce phénomène social, devenu champ de recherches à

creuser, intéresse notamment la recherche en didactique. Il apparaît

cependant que « l’utilisation des réseaux sociaux dans le domaine de

l’enseignement est loin d’être uniforme et présente des utilisations diverses

et variées » (Damani, K. et Rinaudo, J.-L., 2011) et qu’il est encore en phase

exploratoire1, notamment dans l’enseignement/apprentissage des langues.

Aussi, dans cette communication, nous proposons-nous d’explorer à notre

tour ce champ et d’étudier les échanges qui ont eu lieu au sein d’un groupe

ouvert sur Facebook par une enseignante de Français Langue Etrangère à

destination de ses apprenants. Postulant que cet espace multimodal induit un

comportement discursif particulier, nous chercherons à répondre à

l’interrogation suivante : Quelles pratiques discursives, enseignante et

apprenants de français langue étrangère, mettent-ils en œuvre dans un espace

dédié sur Facebook ? Dans cette perspective, nous procéderons à une analyse

interactionnelle et pluri-sémiotique d’échanges en ligne recueillis

écologiquement. Après avoir exposé le contexte, le cadre théorique, l’objet

de la recherche et la démarche méthodologique, nous présenterons notre

analyse et discuterons les résultats auxquels nous aboutissons.

2. Le cadre théorique

Cette étude s’ancre dans le champ des recherches en sciences du langage

qui explorent le web social et qui s’interrogent plus particulièrement sur

1. Une communauté d’enseignants et de chercheurs européens s’y intéresse particulièrement :

http://www.elearningeuropa.info/fr/book/l039apprentissage-des-langues-et-les-médias-

sociaux-–-6-axes-principaux.

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l’utilisation des réseaux sociaux dans un contexte

d’enseignement/apprentissage des langues.

2.1. Web social, médias et réseaux sociaux

Comme l’ont rappelé Develotte et Dervin (2011) lors du dernier

colloque Epal, le web social pose des « problèmes définitoires ». A ce jour,

le concept est encore instable et les termes de web social (ou web 2.0),

médias sociaux et réseaux sociaux sont souvent employés indifféremment

alors qu’ils recouvrent trois concepts bien distincts : le web social est avant

tout un concept et les médias sociaux sont les services et applications qui se

sont développés en respectant les fondements de ce concept (Anderson,

2007). On distingue six types de médias : les projets collaboratifs

(Wikipédia), les blogs (Wordpress) et microblogs (Twitter), les

communautés de contenus (YouTube, Flickr), les sites de réseaux sociaux

(Facebook, LinkedIn), les jeux virtuels (World of Warcraft) et mondes

virtuels (Second Life) (Kaplan et Haenlein, 2010). Les réseaux sociaux ne

sont donc qu’une infime partie du web social, mais comme Coutant et

Stenger (2010), nous pensons qu’il convient de souligner « leur double

dimension sociale et technologique » et adoptons la terminologie de « réseau

socionumérique ».

2.2. Le réseau socionumérique Facebook

Facebook est l’un des réseaux socionumériques les plus populaires et

serait le site le plus visité après le moteur de recherche Google. Nous ne

rappellerons donc ici que les caractéristiques qui intéressent la

communication sur le mur d’un groupe.

La communication sur Facebook est ordonnée : l’interface hiérarchise

les contributions qui peuvent être initiatives ou réactives. Elle est aussi

multimodale : l’internaute peut non seulement publier un message écrit mais

aussi un lien vers un site ou une vidéo (qui seront automatiquement reconnus

s’ils proviennent d’Internet), une photo, ou encore poser une question. Il

peut aussi indiquer avec qui il est et où il est, l’application étant désormais

utilisable également à partir des ordiphones (application Facebook Mobile).

Elle est enfin guidée : que ce soit pour initier une contribution ou réagir,

l’interface incite l’internaute à s’exprimer « Exprimez-vous », à poser une

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question « Demander quelque chose … ajouter des choix de réponse », à

aimer, à commenter, à s’abonner à la publication, à partager. La

communication avec les autres membres est a priori asynchrone, toutefois le

délai de réaction peut être très bref et s’apparenter à un échange synchrone.

Le discours est multi-adressé, à l’ensemble des membres du groupe, et les

contributions sont généralement courtes, proches du microblogage, sans être

pourtant automatiquement restreintes par l’outil.

Face à un tel engouement social, la recherche en didactique explore

l’utilisation pédagogique qui peut en être faite (Selwyn, 2007 et 2009,

Madge, Meek, Wellens et Hooley, 2009, Lamy, 2011, Siemens et Weller,

2011).

2.3. Quels outils pour étudier la communication sur Facebook ?

En tant que recherche en sciences du langage, notre étude s’ancre dans le

champ des recherches qui étudient la communication médiée par ordinateur

(CMO) et s’appuie tout d’abord sur le cadre défini par Herring (2004 : 2) :

« toute analyse de comportement en ligne qui se fonde sur des observations

empiriques, textuelles est de l’analyse de discours médié par ordinateur. »

Toutefois, pour décrire ces discours pluri-sémiotiques, les outils

traditionnels de l’analyse de discours textuels s’avèrent insuffisants. Nous

convoquons donc les entrées que Develotte (2006) propose : la mise en

écran, la mise en média, la mise en rubriques, ainsi que la mise en discours.

Le mur de Facebook formant une vaste conversation, afin de définir les

unités de la conversation, nous nous appuyons sur les entrées proposées par

Kerbrat-Orecchioni (1998). Nous nous attachons enfin à étudier le langage

d’Internet qui est le résultat de différents contacts : des contacts de langue

naturelle, des contacts entre langue écrite et langue orale et des contacts

entre langue écrite et langue du clavier (Develotte et Gee, 2003).

3. L’objet de la recherche

Entre autres applications, un utilisateur de Facebook peut créer un groupe

ouvert, fermé ou secret. Notre objet d’étude est un groupe fermé créé sur

Facebook le 17 janvier 2011 par une enseignante de Français Langue

Etrangère dans un Institut Français à l’étranger.

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3.1. Les membres

Ce groupe comporte 39 membres (dont nous-mêmes en tant

qu’observateur passif et deux faux profils, 36 membres actifs donc, dont

l’enseignante).

Ce groupe fermé est, à l’origine, destiné aux apprenants de Français

Langue Etrangère que cette enseignante a eu en présentiel au cours de

l’année. Toutefois, six personnes (mis à part notre profil) dans ce groupe ne

sont pas ses étudiants en présentiel : quatre sont des amis qui s’intéressent au

français et deux d’anciens étudiants.

Les membres sont des adultes dont le niveau de français varie de A1 à C.

Cependant 28 sur 34 étudiants ont un niveau dit introductif ou de découverte

(A1). Ils vivent tous dans une métropole et ont accès aux dernières

nouveautés technologiques (ordiphones, tablettes) qu’ils sont vivement

encouragés à utiliser, y compris pendant les cours. Tous les membres ont le

statut d’administrateur et disposent donc de tous les droits dans cet espace.

3.2. Le projet

L’enseignante travaille avec ses étudiants sur la plateforme Moodle, mais

c’est suite à la suggestion d’une étudiante qu’elle a décidé d’ouvrir ce

groupe. Facebook semblait, en effet, aux yeux des étudiants, un lieu plus

propice à l’interaction spontanée.

Aucun objectif pédagogique n’a été prédéfini en termes de compétences

de production écrite et de compréhension écrite, mais un objectif en termes

de compétences interactionnelles était visé, sachant qu’il s’agit d’un groupe

multiculturel. Aucune consigne particulière n’a été donnée : « Pendant le

cours, je signalais au fur et à mesure aux autres classes la possibilité de

joindre ce groupe fermé ».

Les échanges au sein du groupe Facebook ont lieu pendant et après le

cours en présentiel et sans lien particulier avec les points abordés en cours.

L’espace est destiné à rester ouvert plusieurs années, sans limitation d’accès

ou de temps aux membres.

3.3. Les unités de la conversation

L’interface de Facebook ordonne les contributions initiatives, la plus

récente apparaissant en premier sur le mur. Par ailleurs, elle hiérarchise les

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contributions réactives par rapport aux contributions initiatives, les

premières apparaissant en retrait, le tout formant un échange. Nous

distinguons quatre unités de la conversation :

la contribution isolée : une contribution initiative postée par un

membre qui est resté isolée car personne n’y a directement répondu

selon le critère de hiérarchisation de l’interface de Facebook.

l’échange dialogal : un échange constitué d’une contribution

initiative suivie d’une contribution réactive. Parfois cet échange se

prolonge au-delà d’une réponse unique, tout en restant cependant

confiné à deux interlocuteurs.

l’échange polylogal : un échange auquel prennent part au moins trois

interlocuteurs différents. Il est constitué d’une contribution initiative

suivie de plusieurs contributions réactives.

l’appréciation « j’aime » : une contribution réactive a minima

(propre à Facebook).

4. La démarche méthodologique

Notre travail est une étude ethnographique non participante. La démarche

méthodologique que nous adoptons est hybride : après différents comptages,

nous procédons à une analyse sémio-discursive du discours multimodal en

interaction.

4.1. Le corpus

Nous avons opté pour un recueil de données fondé sur la temporalité

(Herring, 2004). Le groupe ayant été ouvert le 17 janvier 2011, nous avons

étudié les échanges qui ont eu lieu au sein de ce groupe durant une année,

soit jusqu’au 17 janvier 2012.

Ne pas être l’enseignant à l’initiative du projet nous est apparu un atout

pour l’objectivité de l’observation discursive. Toutefois il nous a semblé

indispensable d’adresser préalablement un questionnaire à l’enseignante afin

d’éclairer de l’intérieur le groupe et le projet. Le corpus d’étude se compose

donc de l’ensemble des données multimodales recueillies directement sur la

page Facebook de ce groupe ainsi que des réponses à un questionnaire

adressé à l’enseignante.

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Enfin, il est à souligner que pour préserver la spontanéité naturelle des

échanges qui ont lieu dans cet espace, les apprenants n’ont pas été informés

que le groupe était observé et qu’il ferait l’objet d’une étude scientifique.

Tous les échanges ont donc été strictement anonymés afin de préserver leur

identité, seule l’enseignante qui nous a donnée libre accès au groupe est

informée de cette étude.

4.2. Des comptages manuels à l’analyse sémio-discursive du discours

multimodal en interaction

Pour mieux appréhender les corpus extraits et avant de procéder à

l’analyse fine du discours, il nous semble intéressant de disposer de quelques

données chiffrées. Dans un premier temps, nous avons donc effectué des

comptages manuels en cherchant à mettre en évidence la participation des

différents membres (enseignante et apprenants), mais également la

répartition des différents types de contribution et des différentes unités de la

conversation.

Nous avons ensuite procédé à une analyse qualitative de l’ensemble du

corpus, c’est-à-dire non seulement des productions textuelles, mais

également des données multimodales telles que photos, hyperliens

vidéos/audios ainsi que le bouton « J’aime », suivant la piste d’analyse

sémiotique suggérée par Lamy (2011).

5. Analyse et discussion

5.1. Quelques données quantitatives

Interventions

totales

Contributions

initiatives

Commentaires J’aime

Enseignante 168 62 51 55

Apprenants 222 61 88 73

Tableau 1. Participation détaillée par type de contributions

Ce premier tableau nous informe de la répartition de la participation entre

l’enseignante et les apprenants, mais également entre les différents types de

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contributions. Nous observons notamment la forte activité discursive de

l’enseignante au sein du groupe.

En ce qui concerne la participation étudiante, nous avons constaté que sur

les 35 membres inscrits, 19 étudiants ont contribué au moins une fois (12

étudiants ont posté au moins une contribution initiative, 12 étudiants ont

posté au moins un commentaire et 14 étudiants ont cliqué sur au moins un

« J’aime »), tandis que 16 étudiants ne sont, quant à eux, jamais intervenus.

Sur les 19 étudiants ayant contribué au moins une fois, six étudiants ont été

très actifs (jusqu’à 40 contributions), six un peu actifs et sept étudiants peu

actifs (d’une à deux contributions).

Si nous observons les différents types de contributions, nous constatons

que l’utilisation des trois types de contribution est à peu près également

répartie chez l’enseignant et que chez les apprenants, les contributions

réactives (commentaire ou j’aime) sont plus nombreuses que les

contributions initiatives.

29 30 51 13

contributions

isolées

contributions isolées

avec J’aime

échanges

dialogaux

échanges

polylogaux

Tableau 2. Répartition par unités de la conversation

Ce deuxième tableau nous renseigne sur l’activité interactionnelle. Et

nous constatons que 94 contributions ont suscité une réaction du simple clic

sur « J’aime » au polylogue de dix commentaires à cinq interlocuteurs

différents. L’activité interactionnelle au sein du groupe a donc bien eu lieu.

5.2. La contribution initiative : quelles catégories ?

Dans un premier temps, nous avons cherché à caractériser la contribution

initiative. Nous avons tenté en premier lieu de nous appuyer sur la grille

conçue par Selwyn (2009) et raffinée par Lamy (2011), toutefois, il nous a

semblé que ce qui se distinguait dans notre corpus était le support et

notamment le support vidéo. Nous avons ainsi relevé comme catégories : la

vidéo chanson (avec ou sans les paroles), la vidéo chanson de dessin animé,

la question politique ou polémique à partir d’un article ou d’une vidéo, la

question qui pose débat, l’explication et la référence au cours. Les aspects

socioculturels (chanson, cinéma, politique, débat de société) sont les sujets

les plus fréquents et la vidéo – et notamment le vidéoclip de chanson –

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permet ainsi aux apprenants débutants de s’exprimer sans avoir recours à

l’écrit. Nous avons aussi remarqué que ces différentes catégories suscitent

une plus ou moins grande interactivité, certaines contributions initiatives

générant de longs polylogues.

5.3. Quelques polylogues fructueux

Certaines contributions initiées par des apprenants à partir d’une vidéo ou

d’un article polémique génèrent de longs polylogues. Nous avons retenu

deux exemples. Le premier concerne une vidéo, entretien en anglais de

Marine Le Pen. Le second part d’un article polémique en français et d’un

autre en anglais autour de la sexualisation des très jeunes filles.

Figure 1. Exemple d’un polylogue

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Dans ces deux exemples, les contacts de langue (anglais/français), y

compris de la part de l’enseignante, sont importants, la volonté de participer

à l’échange semble dominant.

5.4. J’aime : le degré minimum de l’interactivité sur Facebook

Nous nous sommes aussi intéressée au bouton « J’aime » caractéristique

de Facebook, qui nous apparaît à la fois comme le degré minimum de

l’interactivité tout en maintenant un lien entre les membres, un geste réactif

aux sens multiples. En effet, « J’aime » peut signifier que l’on apprécie la

contribution initiative ou encore que l’on approuve son contenu, il peut aussi

marquer le remerciement. Considérant qu’une contribution initiative qui

suscite plusieurs « j’aime » d’interlocuteurs différents est un échange

polylogal, il est le degré minimum de l’interactivité sur Facebook. Marquant

l’assentiment, il sert de lien de connivence entre les membres. En revanche

une vidéo polémique que l’on ne peut pas aimer suscite davantage de

réactions écrites. L’enseignant de langue dans son utilisation de Facebook

aurait donc intérêt à choisir davantage des sujets à controverse s’il entend

susciter la parole de ses apprenants.

5.5. Quelle présence de l’enseignante ?

En dernier lieu, nous avons cherché à caractériser la présence de

l’enseignante qui est à la fois sociocognitive et socioaffective dans un espace

où elle a choisi d’avoir de fait les mêmes droits que les apprenants. Elle

poste de nombreuses contributions initiatives où la vidéo chanson tient une

place privilégiée, faisant parfois référence au cours de langue qui a eu lieu

dans la journée. Elle cherche à susciter la parole de ses apprenants et poste

également des liens vers des sites utiles à l’apprentissage du français

(dictionnaire, clichés, etc.). Elle corrige parfois la langue. Elle répond très

régulièrement ou ponctue d’un « j’aime » les publications ou commentaires

des apprenants. Cet espace apparaît donc comme un lieu de partage,

d’échange et d’humour. Mais c’est aussi là que l’enseignante tisse des liens

socioaffectifs forts avec ses apprenants :

Chers amis, je suis désolée, ce soir je ne peux pas venir en

cours (je vais vous expliquer lundi). Il y a du vin et des

gâteaux et j’ai demandé à [Prénom] de venir à ma place ! A

lundi et gros bisous.

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Demain je serai à Lyon, vous allez me manquer (;_;) bon

cours.

Mille merci à vous pour ce semestre rempli de bonheur; une

petite lecture pour un été plein de couleurs et de soleil ! Mon

poème préféré :-) [suit un lien].

L’enseignante dans cet espace particulier semble donc adopter bien

davantage la posture et le langage d’une tutrice en ligne.

6. Conclusions et perspectives Cette étude d’un groupe Facebook destiné à l’enseignement du Français

Langue Etrangère montre tout d’abord que cet espace offre une grande

liberté qui permet un apprentissage communautaire informel où les

apprenants partagent non seulement leurs humeurs, leurs goûts mais

approfondissent également leur apprentissage de la langue et de la culture

française. Ils renforcent aussi des liens communautaires préexistants. Si des

études précédentes ont montré que les apprenants souhaitent que cet espace

reste un lieu de socialisation (Madge, Meek, Wellens et Hooley, 2009 ;

Lamy, 2011), nous observons qu’il n’est pas incompatible avec une pratique

linguistique en prolongement d’un enseignement/apprentissage plus formel.

7. Bibliographie

Anderson, P. (2007). What is Web 2 .0 ? Ideas, technologies and

implications for education, JISC Technologie & Standards Watch, 2007.

http://www.jisc.ac.uk/media/documents/techwatch/tsw0701b.pdf.

Damani, K. & Rinaudo, J.-L., « Enseigner avec les réseaux sociaux, des

professeurs sur Facebook », colloque international EPAL, Grenoble, 23 juin

2011. http://w3.u-grenoble3.fr/epal/dossier/06_act/pdf/epal2011-damani-

rinaudo.pdf.

Develotte, C. & Dervin, F., « Médias sociaux et

enseignement/apprentissage des langues : liens réels ou fantasmés ? Où en

est-on ? ». Colloque international EPAL, Grenoble, 23 juin 2011. Disponible

sur Internet (consulté en avril 2012) : http://vimeo.com/channels/218407.

Develotte, C. & Gee R., « Contacts de l@ngues sur écran ou comment

on donne sa langue à la souris », communication au 3ème colloque du

Réseau Français de Sociolinguistique, ENS LSH Lyon, 20 mars 2003.

http://eprints.ens-lsh.fr/archive/00000093/.

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Herring, S.-C., « Computer-Mediated Discourse Analysis : An Approach

to Researching Online Behavior », in Barab, S.A., Kling, R., & Gray, J.-H.

(Eds.) Designing for Virtual Communities in the Service of Learning,pp.338-

376. New York : Cambridge University Press, 2004.

Kaplan, A. M. & Haenlein, M., « Users of the world, unite ! The

challenges and opportunities of Social Media ». Elsevier (53), 2010, pp.59-

68.

Kerbrat-Orecchioni, C., Les interactions verbales 1 / Approche

interactionnelle et structure des conversations, troisième édition, Paris :

Armand Colin/Masson, 1998.

Lamy, M.-N., « Entre les "murs" de Facebook et le forum institutionnel :

nouveaux espaces d’expression en langue cible ». Colloque international

EPAL, Grenoble, 23 juin 2011. http://w3.u-

grenoble3.fr/epal/dossier/06_act/pdf/epal2011-lamy.pdf.

Madge, C., Meek, J., Wellens, J. & Hooley, T., “Facebook, social

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talking to friends about work than for actually doing work’”. Learning,

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Stenger, T. & Coutant, A. « Les réseaux sociaux numériques : des

discours de promotion à la définition d’un objet et d’une méthodologie de

recherche », Hermès Journal of Language and Communication Studies,

n°44, 2010, pp.209-228.

Remerciements : Nous remercions l’enseignante du cours qui souhaite

rester anonyme de nous avoir donné libre accès à l’ensemble de ses données.