face aux catastrophes. une mésologie

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Face aux catastrophes. Une mésologie. L'embrayage aux extrêmes mouvances. Le principe de survie. Séminaire "Questions de mésologie" / Augustin Berque. Jeudi 27 janvier 2011. Introduction ............................................................................................................................ 1 La pulsation existentielle (trajection) ................................................................................. 1 La mouvance ...................................................................................................................... 2 Face aux catastrophes. Trouver un sens aux catastrophes. .................................................... 3 Les morts individuelles : l'être pour la mort ...................................................................... 3 Les morts massives : au delà du NinGen ........................................................................... 3 Ordre planétaire (et désordres afférents) ............................................................................ 4 Conclusion : le principe de sur-vie ......................................................................................... 5 Travaux cités .......................................................................................................................... 6 Introduction D'une manière générale, je tente de répondre à une question simple : comment les sociétés composent avec et à partir des catastrophes ? Comment ne pas perdre le fil du sens et sombrer dans le chaos, quand (presque) tout s'effondre ? Je vais procéder en deux étapes. 1. La première est toute récente et constitue une synthèse du cadre méthodologique dans lequel je me situe (la mésologie). Je vais tout d'abord vous présenter (à nouveau, et du moins, tel que je l'entends) ce qu'est la trajection. Cela me permettra de préciser, dans un second temps, la dynamique ontologique que la médiance établit et, à mon sens, préconise. Je présenterai alors ce que je comprends par mouvance écouménale. 2. L'autre, plus ancienne et éprouvée, permettra de "questionner la mésologie" (ce qui est le but de ce séminaire) et de la confronter à un cas d'étude précis. Je vous présenterai l'un des axes de ma recherche sur les catastrophes, que je peux résumer (pour donner un avant goût) sous la forme d'un principe : le principe de sur-vie. La pulsation existentielle (trajection) La trajection correspond, telle que je la comprend, à une forme de pulsation existentielle. Cette pulsation ou battement trajectif est à la fois cardiaque et médiale. Elle compose en effet avec deux typologies de contraintes. Celle où elle s'origine (parce qu'au début) et dont elle est originaire (parce que ça gît au fond de nous), mais aussi celle dans laquelle elle se pro-jette (parce que cela concerne l'à venir) et ek- siste (parce que hors de son sistere, de son Dasein, ie hors de son in situ animal). (PLAN) o On pourrait contester que les projets (les "motivations" au sens berquien) ne sont pas des contraintes, mais ce que je prends en compte dans cette catégorie

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L'embrayage aux extrèmes mouvances. Le principe de survie. Yoann Moreau

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Page 1: Face aux Catastrophes. Une mésologie

Face aux catastrophes. Une mésologie. L'embrayage aux extrêmes mouvances. Le principe de survie. Séminaire "Questions de mésologie" / Augustin Berque. Jeudi 27 janvier 2011.

Introduction ............................................................................................................................ 1  La pulsation existentielle (trajection)................................................................................. 1  La mouvance ...................................................................................................................... 2  

Face aux catastrophes. Trouver un sens aux catastrophes. .................................................... 3  Les morts individuelles : l'être pour la mort ...................................................................... 3  Les morts massives : au delà du NinGen ........................................................................... 3  Ordre planétaire (et désordres afférents) ............................................................................ 4  

Conclusion : le principe de sur-vie......................................................................................... 5  Travaux cités .......................................................................................................................... 6  

Introduction    

D'une manière générale, je tente de répondre à une question simple : comment les sociétés composent avec et à partir des catastrophes ? Comment ne pas perdre le fil du sens et sombrer dans le chaos, quand (presque) tout s'effondre ?

Je vais procéder en deux étapes. 1. La première est toute récente et constitue une synthèse du cadre méthodologique dans

lequel je me situe (la mésologie). Je vais tout d'abord vous présenter (à nouveau, et du moins, tel que je l'entends) ce qu'est la trajection. Cela me permettra de préciser, dans un second temps, la dynamique ontologique que la médiance établit et, à mon sens, préconise. Je présenterai alors ce que je comprends par mouvance écouménale.

2. L'autre, plus ancienne et éprouvée, permettra de "questionner la mésologie" (ce qui est le but de ce séminaire) et de la confronter à un cas d'étude précis. Je vous présenterai l'un des axes de ma recherche sur les catastrophes, que je peux résumer (pour donner un avant goût) sous la forme d'un principe : le principe de sur-vie.

La pulsation existentielle (trajection)

La trajection correspond, telle que je la comprend, à une forme de pulsation existentielle. Cette pulsation ou battement trajectif est à la fois cardiaque et médiale. Elle compose en effet avec deux typologies de contraintes.

• Celle où elle s'origine (parce qu'au début) et dont elle est originaire (parce que ça gît au fond de nous),

• mais aussi celle dans laquelle elle se pro-jette (parce que cela concerne l'à venir) et ek-siste (parce que hors de son sistere, de son Dasein, ie hors de son in situ animal). (PLAN)

o On pourrait contester que les projets (les "motivations" au sens berquien) ne sont pas des contraintes, mais ce que je prends en compte dans cette catégorie

Page 2: Face aux Catastrophes. Une mésologie

concerne des occurrences précises. Je le nomme des "possibilités certaines" ou de "contingences nécessaires" : la mortalité charnelle (mais aussi, et c'est ce que je vais tenter de montrer, la mortalité groupale, sociale, voire écosystémique). Nous ne savons pas quand nous allons mourir, ni où, ni comment (c'est un événement contingent) mais nous savons, de manière certaine que cela se produira.

o L'ek-sistere c'est la contrainte du milieu dans lequel nous baignons (un mileiu ambiant). Celui-ci bien qu'en voie de mondialisation, n'est pas homogène et relève de schèmes culturels (éco-techno-symboliques) et de situations géographiques. Cette contrainte est variable selon les aires culturelles et géographiques.

Par la trajection le vivant humain se fonde ainsi dynamiquement "par le milieu". Il étoffe – au sens de (Merleau-Ponty, 1964) – sa chair et celle du monde, car sans cela il s'étouffe

• dans une idéologie ontologique (absolutisation de la logique du prédicat) : le mysticisme.

• dans une objectivité froide (absolutisation de la lgS) : le mécanicisme (T.O.M.) • dans une utopie (absolutisation de l'horizon à venir) : le culte du Progrès par ex., ou le

communisme en son temps. • dans une fascination pour le passé (absolutisation de modes de vies antérieurs) :

"c'était mieux avant". • mais aussi, dans selon des modalités plus douces, non absolutisées: dans la dépression,

des formes d'autisme, de névroses, de nostalgie rédhibitoire, etc.

La mouvance

La pulsation (trajective) de l'existence individuelle s'inscrit dans des régimes ontologiques plus lents. L'ensemble forme une mouvance. J'ai pour hypothèse que les contingences sont relatives à une échelle ontologique donnée. Nous pourrions ainsi, prenant modèle sur Fernand Braudel1, définir différents régimes de la mouvance écouménale. (PLAN - le faisceau de traits colorés). Il s'agirait de préciser plus avant ces régimes de la mouvance, mais je souhaite détailler ici, comment l'homme fait face aux catastrophes et ce que cela implique en termes de dynamique ontologique. Il me semble que nous avions besoin de cette introduction, afin de partager un vocabulaire et un monde communs. Cela va nous permettre à présent de préciser ce qui peut sembler un point de détail (mais ne l'est pas pour moi) : la manière de trajecter dépend de l'horizon ontologique auquel on se positionne et cet horizon - c'est là mon hypothèse - a partie liée avec l'échelle des catastrophes que l'on considère. Mais cela je dois le démontrer. C'est l'objet de ce qui suit.

1 À la suite de Fernand Braudel (Braudel, F. (1985). La Méditerranée et le monde méditerranéen à l'époque de Philippe II (Vol. II). Paris: Armand Colin.), nous pouvons distinguer trois régimes d’historicité : l’histoire « quasi immobile » (géologique), celle « lentement rythmée » (sociale) et enfin, « l’histoire événementielle », celle de l’agitation de surface (médiatique par exemple). Mais F. Braudel proposera aussi, plus tard une quadripartition (Braudel, F. (1972, Octobre 30). Signe des temps. (H. Knapp, Intervieweur) ORTF).

Page 3: Face aux Catastrophes. Une mésologie

Face  aux  catastrophes.  Trouver  un  sens  aux  catastrophes.  

Les morts individuelles : l'être pour la mort

M. Heidegger, notamment dans son livre maître, Sein und Zeit (publié en 1927), a montré que l'être humain, parce qu'il sait qu'il va mourir, n'est plus "être-là"- "être-le-là" (Dasein) mais "être pour la mort" (Sein zur töde). Cela l'a conduit à une étude structurale de l'ontologie humaine. Mais il a fait une erreur. Ce n'est pas vraiment une erreur d'ailleurs, simplement que son cadre ontologique était étriqué (ethnocentré), basé sur la notion cartésienne de sujet-ego. Il ne considérait ainsi l'ontologie de l'homme qu'à une seule échelle, celle de l'individu. C'est à un japonais, Watsuji Tetsuro, que je dois (par le biais d'Augustin Berque) d'avoir compris cela. Lorsque Heidegger écrit Etre et temps, il compte parmi ses auditeurs un professeur japonais du même âge que lui (ils sont tous deux nés en 1889). Il s'appelle Watsuji Tetsuro, il arrive d’un long périple en bateau et en train, qui lui a donné l’occasion de sortir du Japon pour la première fois. En Chine, en Inde, en Arabie et en Egypte, il découvre la diversité des manières d’être humain et des habitats. De retour au Japon, trois ans plus tard, il va proposer, dans un livre devenu célèbre, Fudô (Milieux) une alternative au Sein zur Töde heideggerien.

Pour Watsuji chaque individu étant membre d’une famille et d’une société, il participe, de ce fait, à une vie sociale, à un milieu. Watsuji affirme donc que l’être humain ne va pas « vers la mort » (la sienne), mais « vers la vie » (celle de son milieu-Fûdo). Il réaffirme ainsi l'existence humaine comme étant à la fois individuelle et sociale (NinGen).

Le sujet humain n'est donc pas nécessairement réduit à un ego confronté à l'angoisse d'une mort inéluctable. L'homme, tout en allant vers la mort de sa personne, se doit (je dis "dois" car c'est selon moi un principe éthique) d'aller aussi vers l’épanouissement de ce qui lui survit. (On peut considérer cela, grosso modo, en vulgarisant un peu, comme un devoir de filiation étendu et le rapprocher d'un thème aujourd'hui phare : la "solidarité avec les générations futures" – préconisée par H. Jonas).

Parallèlement aux tragédies individuelles (qui sont "pour la mort") se joue donc aussi une épopée - celle des générations, des sociétés et des civilisations – où l'individu est, dès lors, "pour la vie" (sociale, civilisationnelle). La tragédie des individus qui savent leurs morts à venir, se double donc chez l’homme, de par sa dimension sociale, d’une épopée dont chaque génération assume le relais et la transmission. Pour le dire sous la forme d'une métaphore, une "épopée sociologique" traverse les tragédies individuelles et les intègre, de la même manière qu’au sein d’un organisme vivant une « épopée biologique » traverse les tragédies cellulaires quotidiennes, et que sur Terre une « épopée écologique » traverse les tragédies des espèces et des civilisations.

Les morts massives : au delà du NinGen

L'extension de l'être "pour la vie" opérée par Watsuji ne résiste cependant que difficilement aux divers traumatismes et changements sociaux opérés durant le XXe siècle. Cette conception devrait aujourd'hui être étendue au-delà de l'échelle sociologique. Il me semble que l'ontologie humaine est en effet en passe de devenir biopolitique.

Les événements du milieu du siècle dernier ont joué un rôle manifeste dans le changement d'échelle de l'appréhension de la mort.

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• La croissance massive de l'industrialisation et

o - surtout - son utilisation à des fins génocidaires, • l'invention d'armes de destructions massives,

• et – surtout –, dans la foulée, l'utilisation de deux de ces armes Hiroshima et Nagasaki contre des hommes, et à maintes reprises "dans la nature" (pour réaliser des essais nucléaires)

• la Mondialisation des rapports en termes autant géopolitiques

o que guerriers (les deux guerres mondialisées) et économiques (crises de 1929, de 73, de 2007 par exemple),

o et en termes de modes de vie, d'une manière générale … conduisent à des désordres majeures d'amplitude planétaire.

L'ensemble de ces événements contribuent ainsi à donner une tournure concrète à des catégories de phénomènes (les catastrophes) qui, jusqu'au XVIIIe siècle relevaient du divin, puis de la nature (Mercier-Faivre & Thomas, 2008). Désormais, comme l'a montré (Beck, 2001), les catastrophes sont aussi (et surtout) anthropiques (c'est-à-dire générées par l'homme). Les sociétés sont devenus ainsi, selon Ulrich Beck, des "sociétés du risque" (pour reprendre le titre de son livre phare). C'est aussi dans ce contexte qu'il me semble urgent de préciser les types de contingences qui sont générées par le paysage socio-techno-symbolique et géopolitique contemporain.

La possibilité de la mort massive a été le sujet de préoccupation majeur d'après guerre : • des philosophes (pensons à H. Arendt, G. Anders, Hans Jonas, R. Aron, Ivan

Illitch, E. Levinas, etc.), • des cinéastes (naissance du genre "films catastrophes" dès les années 50, avec

rappelons le tout de même, la projection en salles de catastrophes qui, en premier lieu, furent des documentaires d'actualité),

• des écrivains, • et un contexte géopolitique (la guerre froide),

ont implanté (je formule en vrac, juste histoire d'évoquer quelque chose que nous connaissons déjà) l'idée que "Hiroshima est partout" (Anders, 2008), fournissent des outils conceptuels pour critiquer les outils mécaniques (par exemple la convivialité d'Illich), montrent que le village est devenu planétaire, et qu'il devient impératif de définir et de poser une éthique en principe (par exemple le "principe responsabilité" de Jonas)… Le malaise (l'angoisse) étreint non plus seulement l'individu ou une société donnée, mais une Civilisation en voie d'être Mondiale.

Ordre planétaire (et désordres afférents)

À mon sens, le point essentiel de la Mondialisation, est un effet de structure. Puisqu'il existe désormais une structuration des rapports à l'échelle du monde, il ne peut manquer de se produire des effets de déstructuration agissant au même niveau, à la même échelle. La Mondialisation place l'angoisse existentielle de tout individu selon une contingence étendue à une échelle nouvelle, à la mesure des catastrophes qui sont structurellement liées à la mondialisation. Il devient dès lors possible de ne plus survivre,

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• ni à l'échelle groupale, (dans la mémoire des nos proches, des membres de notre "tribu" dans un sens à la fois littéral et étendu),

• ni à l'échelle sociologique (voir une société s'effondrer, par exemple la tribu "Bo", et apparition de travaux "Collapse" qui commencent à réfléchir la manière dont s'effondre des sociétés),

• ni au sens écologique (avec l'émergence d'une conscience aigüe de la disparition effectives d'espèces animales, et donc, a fortiori de la possibilité de l'extinction de l'espèce humaine),

• ni au sens de la biosphère (avec menace sur l'ensemble du vivant).

Mais l'effet d'échelle ne correspond plus à un simple accroissement des nombres de victimes et des coûts associés. Il est en effet déterminé par une nouvelle contrainte, celle de la finitude de l'écosystème Terre. L'échelle des catastrophes est désormais considérée comme étant à la mesure de la niche où se reproduit et déploie le phénomène de la vie.

Conclusion  :  le  principe  de  sur-­‐vie  

Mon hypothèse, celle que je souhaite vous soumettre aujourd'hui, est que c'est face à la mort que s'ajuste l'échelle ontologique (celle qui nous fait nous prédiquer nous même "en tant que"… individu, être médial, bionaute, etc.). C'est ainsi face à la mort du Dasein, que l'on peut s'inventer un au-delà. C'est certainement face aux catastrophes d'ampleurs majeures (séismes, tsunamis, typhons, etc.) que la société nippone a été amenée à développer une ontologie de type Ningen. C'est en refusant la perspective d'une ontologie "pour la mort" qu'il devient possible d'organiser son mode de vie selon un "au-delà" (un horizon) et un ek-sister (une forme d'érémitisme) qui puissent résister à la menace des catastrophes à venir et demeurer dans une optique qui soit "pour la vie". C'est en cela, face au "pour la mort", que se déploie un principe de survie : la recherche d'un "pour la vie". Le travail qui a été opéré par Watsuji (et l'ensemble de la société nippone) à l'articulation de l'échelle individu/société, devrait également être réfléchi à l'échelle sociétés/biosphère. C'est en prenant position face à la mort, selon l'échelle ontologique de ce qui menace le vivant, que l'on peut métamorphoser (dans le sens d'E. Morin) la relation des individus à leur milieu socio-éco-techno-symbolique.

Edgar Morin proposait, il y a bien longtemps déjà (en 1970), l'extension ontologique de la condition humaine à celle de "Bionaute". Augustin Berque forme actuellement le concept d'un "moment structurel de l'ontologie humaine" avec la perspective d'un "homme-milieu". Des ontologies alternatives se forment également, venant d'une extériorité réinvestie ontologiquement (pensons au statut juridique de la nature dans la constitution équatorienne, à l'hypothèse Gaïa, ainsi qu'à le majorité des formes de relation "new-age", la plupart proches d'un schème anthropologique de type animiste. Toutes les sociétés reconnaissent et sont conscientes de la mortalité du corps humain. Il reste à mon sens, à l'admettre a minima, à l'échelle ontologique supérieure. Ainsi, les catastrophes (ces destructions massives qui mettent en péril à la fois des individus, des groupes, des ethnies, et des niches écologiques) sont, à mon sens, à considérer en termes d'horizon ontologique.

Il me semble qu'un travail d' "assouplissement de l'ego" et d'embrayage selon des échelles ontologiques variables est aussi envisageable. La métamorphose serait ainsi soit spirituelle (comme le soutenait par exemple Raimon Panikkar) soit ontologique et paradigmatique

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(comme le soutiennent Morin (Morin, Le paradigme perdu : la nature humaine, 1973) et Berque (Berque, 2000). Nous devons donc, à mon sens, approfondir la connaissance des rapports (embrayages) entre les régimes de contingences, qui affectent nos diverses échelles ontologiques de mortalité, et notre posture ontologique. Car, comme l'a montré Reinhart Koselleck (Koselleck, 1990), il y a désormais un décalage, voire une fracture, entre ce qu'il nomme notre "champ d'expérience" et notre "horizon d'attente".

Nos décès respectifs (je veux dire en tant qu'individu-ego), demeurent envisagés selon un vague horizon du possible, alors qu'ils ne manqueront pas de se produire. De même, sur des échelles de temporalités plus étendues (pensons aux trois temporalités définies par F. Braudel (Braudel, La Méditerranée et le monde méditerranéen à l'époque de Philippe II, 1985)), des catastrophes, des extinctions d'espèces et des effondrements socio-culturels ne manqueront également pas de se produire. Les catastrophes sont dans l'ordre des choses. L'Histoire, celle des groupes éthiques, des sociétés, des civilisations, des espèces, de la biosphère, du climat et de la géologie terrestre nous l'indique fortement.

Dans ce face à face avec la mort à différents ordres de grandeur (depuis la nôtre, à celle d'un milieu humain, en passant par les décès de nos proches et les extinctions de masse) il s'agit de trouver les moyens de métamorphoses ontologiques, depuis le dasein heideggerien et le ningen watsujien, vers le bionaute morinien et l'homme-milieu berquien. La compréhension de la dynamique ontologique qui permet cela passe, à mon avis, par des travaux ayant recours à une méso-logique. Et je pense qu'une mésologie des catastrophes pourrait permettre de mieux saisir les variations d'échelles ontologiques du sujet prédiquant son monde. En somme, face à une mort qui se produit selon différents ordre de grandeur des destructions (de l'échelle de l'individu aux extinctions massives), l'humain exprime un instinct de sur-vie : il se prédique selon une ontologie qui permet de surmonter la mort qui le menace.

Des outils et ressources culturelles restent encore à explorer. En effet certaines sociétés ont "fait le choix" d'envisager comme certaine la survenue des catastrophes, au lieu de prétendre les contraindre par la maîtrise et la puissance, à un degré zéro du risque. Elles proposent des modalités ontologiques (et culturelles) qui s'ajustent aux catastrophes qui les menacent. Contrairement à nous, certaines voient leur existence menacée concrètement à l'échelle sociologique, voire écologique (destruction de leurs environnements éco-techno-symboliques), c'est-à-dire qu'elles font face à la destruction de leurs mondes. Les sociétés que l'on désigne (notamment P. Descola) par animistes, analogistes et totémiques recouvrent selon moi des sociétés dont les modes ontologiques sont ajustés à des catastrophes d'amplitudes de l'ordre de celles qui, pour notre part, commencent tout juste, depuis le milieu du XXe siècle, à nous menacer concrètement. Dans notre recherche d'un "pour la vie" à même de surmonter le régime de catastrophes dans lequel nous fait entrer la mondialisation, il nous faut (à mon sens) œuvrer à la recherche de modalités culturelles et ontologique nouvelles.

Travaux  cités  

Anders, G. (2008). Hiroshima est partout. Paris: Seuil.

Beck, U. (2001). La société du risque. Sur la voie d'une autre modernité. Paris: Éditions Aubier.

Berque, A. (2000). Écoumène. introduction à l'étude des milieux humains. Paris: Belin. Braudel, F. (1985). Écrits sur l’histoire. Paris: Flammarion.

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Braudel, F. (1985). La Méditerranée et le monde méditerranéen à l'époque de Philippe II (Vol. II). Paris: Armand Colin. Braudel, F. (1972, 30-Octobre). Signe des temps. (H. Knapp, Interviewer) ORTF.

Dupuy, J.-P. (2002). Pour un catastrophisme éclairé. Quand l'impossible est certain. Paris: Éditions du Seuil / Essais.

Koselleck, R. (1990). Le futur passé. Paris: EHESS. Levinas, E. (1983 (1979)). Le temps et l'autre. Paris: Quadrige/PUF.

Mercier-Faivre, A.-M., & Thomas, C. (2008). L'invention des catastrophes au XVIIIe siècle. Du chatiment divin au désastre naturel. . Genève: Droz.

Merleau-Ponty, M. (1964). L'oeil et l'esprit. Paris: Gallimard. Morin, E. (1973). Le paradigme perdu : la nature humaine. Paris: Seuil.

Morin, E. (1970). L'homme et la mort. Paris: Éditions du Seuil/Points. UEXKÜLL, J. v. (1965 (1934)). Mondes animaux et monde humain. Paris: Denoël.