extrait du "sommeil n'est pas un lieu sûr"

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LES IMPRESSIONS NOUVELLES Louis Wiart LE SOMMEIL N’EST PAS UN LIEU SûR roman

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Extrait du premier roman de Louis Wiart, intitulé "Le sommeil n'est pas un lieu sûr", paru aux Impressions Nouvelles en février 2015.

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Page 1: Extrait du "Sommeil n'est pas un lieu sûr"

LES IMPRESSIONS NOUVELLES

Louis Wiart

le sommeiln’est pas

un lieu sûrroman

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Le SommeiL n’eSt paS

un Lieu Sûr

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extrait

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« Et s’il était alors aussi mauvais que vous voulez bien le dire, comment se fait-il qu’il soit

maintenant un ange ? »

Le Tour d’écrou, Henry James

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À cette heure-là, la maison était entourée d’ombres.

Elle se trouvait sur une hauteur, à l’écart de la ville, dans un coin de nature frémissante où ne s’enfonçaient de la lune que de légers éclats. Pierre l’avait choisie pour sa discrétion, et il ne s’était pas trompé. On ne la voyait pour ainsi dire jamais, ni de la route qui serpentait en bas, ni de la colline en face, ni d’ailleurs – aucune perspective ne s’ouvrait sur elle, et lorsqu’on s’y rendait, on était soudain confronté à sa présence, à un tournant, sorte d’ap-parition qui s’élevait comme un mur, enserrée d’arbres et de frondaisons.

La voiture venait de quitter l’allée. Des branches basses, pareils à des doigts crochus, griffaient la carrosserie en passant. À travers les reflets du pare-brise, je vis se solidifier les contours d’une forme noire, avec des carrés jaunes aux fenêtres, du mobi-

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lier de jardin sur la pelouse devant, un scooter posé en biais sur sa béquille. La lumière des phares flamba sur la façade, dériva le long des murs, puis le moteur s’arrêta et nous descendîmes.

Le ciel était calme, radieux. La silhouette des arbres faisait des taches sombres et extravagantes. Le bourdonnement des insectes couvrait les autres bruits de la nuit.

La baby-sitter était affalée dans le canapé du salon, face à l’écran de la télévision, d’où surgis-saient des ombres bleutées qui dansaient partout, mobiles et bruyantes comme une bande de diables. Elle avait l’air assoupie et buvait un thé du bout des lèvres. Pendant que Pierre payait la jeune fille, je montai voir les petites. Une veilleuse était allumée dans la chambre. Elles dormaient, enroulées dans les couvertures. J’entendis le bruit nasillard du scooter qui s’éloignait, puis plus rien. Je sortis en refermant la porte derrière moi et rejoignis douce-ment l’autre chambre, au bout du couloir.

Je m’assis sur le lit, entrepris d’enlever mes boucles d’oreilles. Il y avait dans mes gestes une improbable lenteur. Rien de ce que je faisais n’était vraiment clair. Comme quelqu’un ayant accompli un effort trop grand, je me laissai glisser dans une sorte de somnolence où les surfaces se dissipaient et les textures n’étaient plus les mêmes. Je m’enfon-çais en moi-même de plus en plus profondément.

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J’avais trop bu, sans doute, et fumé trop de ciga-rettes. Mais ce sentiment de flottaison n’était pas désagréable.

Pierre entra dans la chambre, et j’émergeai d’un coup. Il ôta sa veste et la déposa sur une chaise. Je le regardais aller et venir dans la pièce avec une expression concentrée. Je ressentais presque physi-quement la façon avec laquelle sa chemise enserrait son corps.

Qu’as-tu pensé du concert ? demandai-je. C’était remarquable. Tant mieux. Tu en doutais ? J’avais peur que tu n’aimes pas. J’avais peur que

tu t’ennuies. C’est pour ça que je n’ai pas osé te demander, dans la voiture.

Je t’assure, c’était très bien. Très beau à écouter.J’ai toujours peur que tu t’ennuies, avec moi. Je sais, tu me l’as déjà dit. Mais tu n’as rien à

craindre. Je me sens vraiment bien, quand tu es là. Vraiment très bien.

Il fumait une cigarette, dos à la fenêtre. Sa sil-houette se découpait dans la lumière nocturne qui venait du dehors. Il aspira une bouffée de tabac qu’il expira ensuite en disant : Tu y penses encore souvent ?

Pardon ? Tu y penses encore souvent, à ça ?

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Je détournai les yeux. Il n’y avait rien d’insistant chez lui, il me regardait simplement et parlait de sa voix calme que j’aimais tant et qui provoquait en moi une sorte de pincement.

J’étais inquiète, autrefois. C’était plus fort que moi. Je n’arrivais pas à faire autrement. Mainte-nant, je ne le suis plus.

Mais tu m’as tout de même posé la question. C’est vrai, mais c’est différent maintenant. Comment ça ? Je ne sais pas, c’est différent, voilà tout. Il doit bien y avoir une raison, non ? J’imagine. Peut-être. Sans doute. Mais encore ? Oh, Pierre, je m’en fous. On s’en fout, n’est-ce

pas ? Facile à dire, pour toi ! Je t’en prie, n’élève pas la voix. Aide-moi plutôt

à enlever ma robe. Il jeta sa cigarette par la fenêtre et s’approcha du

lit. Ces discussions tournent toujours mal, dit-il.

Nous en arrivons toujours à nous disputer.Je sentis la fermeture Éclair glisser le long de

mon dos, puis les bretelles tomber sur mes épaules. Mes cheveux, remontés sur la nuque, laissaient voir la ligne de mon cou. Avec une douceur qui n’était pas immédiatement perceptible, mais qu’il me plai-sait de deviner, il déposa un baiser là.

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C’est drôle, dis-je, depuis le temps qu’on en parle. Dès nos premiers jours, n’est-ce pas, dès les premiers instants passés ensemble. Je n’arrive pas à m’ôter cette idée de la tête. Elle persiste et fait son chemin. Comme une chose rampante. Comme une vis qui s’enfonce en tournant.

Je me tournai vers lui. N’en parlons plus, veux-tu ? D’accord.C’est aussi bien comme ça. J’appuyai ma poitrine contre lui, pressant ma

main sous sa chemise. Avec prudence, j’entrouvris ses lèvres de l’extrémité de ma langue. Il me répon-dit avec la sienne, dans un contact électrisant où s’épanouissait son désir en même temps que mon propre désir.

Tout se passait sur un plan immuable, dans une atmosphère semi-léthargique qui se nourrissait de l’obscurité ambiante et de l’extrême resserrement de l’espace.

Il me dit Ne pense à rien, et peut-être à cause de cette phrase, peut-être à cause de la quantité d’al-cool que j’avais bue, je commençai à perdre pied. Était-ce bien son visage que je voyais à travers la pénombre et qui m’observait avec la gravité d’un homme occupé à prier ? Je fermai les yeux, et bientôt, il n’y eut plus que ces mots qu’il disait et que je ne saisissais pas, plus que ce mouvement

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qui se faisait en moi, au-dessus de moi, et dont la conscience m’envahissait.

Ma tête était prête à exploser. Mon corps me faisait mal. Je m’agrippai davantage à son dos, de peur d’être absorbée par mon vertige.

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L’impression avait été désastreuse et ne me quit-tait pas. L’idée d’une chute qui n’en finit plus, l’idée d’une dégringolade dans le vide ou je ne savais trop quoi. J’avais chaud. Des bouffées de transpiration me submergeaient. Mes oreilles bourdonnaient. Une crampe me nouait l’estomac.

Pierre était penché au-dessus de moi et me regar-dait. Sur la table de nuit, la lampe était allumée et diffusait autour d’elle une lueur très faible.

Qu’est-ce qui s’est passé ? Tu respirais fort. Tu parlais dans ton sommeil. Qu’est-ce que je disais ? Je ne sais pas. Des choses incompréhensibles.

Des choses qui ne voulaient rien dire. Je t’ai réveillé ? Il hocha la tête et me sourit gentiment. Excuse-moi, je ne sais pas ce qui m’a pris. Ce n’est pas grave. C’est juste un cauchemar. Excuse-moi, Pierre.

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Ne t’en fais pas, dit-il en m’effleurant le visage du bout des doigts. C’est sans doute à cause de tout cet alcool que tu as bu.

Oui, sans doute. Veux-tu un peu d’eau ? Je veux bien. Il sortit de la chambre et me laissa seule, dans

la demi-obscurité, entourée de formes vagues, de meubles noirs. Devant moi se trouvait une fenêtre dont nous n’avions pas fermé les volets. La lune était grosse comme un œil pâle et je pensai un instant qu’elle m’observait en silence. Et d’une façon trou-blante, une inquiétude monta en moi. Ce n’était rien de bien précis, rien d’incontestable. Plutôt une ritournelle suspecte qui tournait dans ma tête et me revenait toujours à l’esprit, à la manière d’un doigt qui gratte contre une vitre.

Pierre revint dans la chambre avec un verre d’eau. Il s’accroupit au pied du lit, près de moi, nu comme un ver mais pas un instant gêné par sa nudité. J’avalai l’eau d’un coup puis posai le verre sur la table de nuit. L’état d’esprit dans lequel je me trouvais restait brumeux, mais je me sentais un peu mieux. Pierre remit de l’ordre dans le lit puis se glissa entre les draps. Il éteignit la lampe et, se blot-tissant contre moi, posa sa main sur mon sein droit.

Rendors-toi, c’est fini. Je ne me souviens plus de rien, mais je crois que

c’était affreux.

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Rendors-toi, c’est fini. Je sentais sa présence physique et son cœur qui

battait. Je demeurai un moment les yeux ouverts à scruter la pénombre, à réfléchir à tout ça. Puis mes paupières vacillèrent et je m’endormis.

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Quand je me réveillai le lendemain matin, j’avais une jambe qui pendait hors du lit. Je n’arrivai pas à me situer, j’étais abasourdie. Je me redressai et restai un moment le dos appuyé contre le mur. De petites taches brunes flottaient devant mes yeux. Je portai une main à mon front et le parcourus du bout des doigts. Je touchai les veines sous ma peau, les palpai douloureusement.

Un goût de métal emplissait ma bouche. Comme si j’avais passé la nuit à mâchouiller la chaîne d’un vélo, ou à lécher l’acier brillant d’une voie ferrée. C’était impossible à ravaler, impossible à déglutir. La salive et son odeur nauséabonde s’accumulaient derrière mes lèvres, prête à déborder. La nausée devint si forte que je finis par me précipiter aux toilettes.

Je posai la tête sur l’abattant, silencieuse, les yeux fixés sur l’eau au fond de la cuvette. Rien ne voulait sortir. Mon corps était secoué de tremble-ments, et j’avais chaud. La seule solution pour me

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délivrer fut de recourir à mon index. Je titillai ma glotte et dégorgeai un liquide acide dans un son rauque. Presque aussitôt, ma main et mon avant-bras se maculèrent de souillures.

J’allai à la salle de bains pour prendre une douche. L’eau était froide, puis elle se mit à chauffer, à jaillir sur ma peau et à couler le long de mon corps, et je me sentis mieux, bien mieux qu’il y a quelques minutes. Que s’était-il passé ? Je n’en savais rien. J’étais fatiguée, sans doute malade, et je n’avais pas envie d’y penser. Je regardais l’eau tomber à mes pieds et s’engouffrer dans la cavité noire et rouillée. Avec un gargouillement sourd, pareil à celui d’in-testins qui digèrent.

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le quotidien de la narratrice est bouleversé par d’étranges troubles du sommeil. D’où lui vient l’impression confuse d’entendre une voix familière dans la nuit ? son mari la soutient-il réellement dans l’épreuve qu’elle traverse ? pourquoi son attitude si calme, si prévenante, donne-t-elle peu à peu l’image d’un homme qui exerce sur sa compagne une emprise ambiguë ?

l’état d’anxiété perpétuel et de précarité physique de la narratrice, la dégradation progressive de ses relations conjugales, mais aussi la paranoïa ambiante et la violence du quotidien immergent le lecteur dans un climat de tension exacerbée qui fait écho à certaines œuvres de roman polanski et Boileau-narcejac.

Louis Wiart est né en 1988 à Bordeaux et partage son temps entre Bruxelles et Paris. Il prépare actuellement une thèse sur la prescription littéraire à l’heure des réseaux sociaux. le sommeil n’est pas un lieu sûr est son premier roman.

Diffusion / Distribution : Harmonia MundiEAN 9782874492402

ISBN 978-2-87449-240-2112 pages – 10 €

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