extrait du panorama : mille et une nuits par ugo bellagamba

11
EXTIT DU PANOMA MILLE ET UNE NUITS PAR UGO BELLAGAMBA

Upload: les-moutons-electriques

Post on 21-Jul-2016

212 views

Category:

Documents


0 download

DESCRIPTION

http://fr.ulule.com/panorama-fantasy/ Sauvez un dragon, contribuez ! Version définitive.

TRANSCRIPT

❥ EXTRAIT DU PANORAMA ❥

❥ MILLE ET UNE NUITS ❥

❥ PAR ❥ UGO BELLAGAMBA

MILLE ET UNE NUITSL’esprit & le cœur

«  Mille et une » est la traduction d’une expression arabe qui signifie « un grand nombre » et, à l’image de leur titre, les contes des Mille et une nuits ont de multiples origines. Ils ont également fait l’objet de diverses traductions, souvent déterminées par une approche subjective du « corpus » original, tournée tantôt vers la féerie et le rêve, tantôt vers l’érotisme le plus échevelé. La structure générale de ces contes n’a, toutefois, jamais changé et leur contenu fabuleux s’est pérennisé. Les Mille et

une nuits sont, aujourd’hui, l’une des sources majeures du merveilleux en Occident.

Les origines des Mille et une nuits sont d’abord, c’est aujourd’hui avéré, iraniennes. Les noms des personnages principaux opérant le lien entre les contes rassemblés,

Schéhérazade, Dinarzade et Schahriar, l’attestent. Les premiers contes apparaissent et se répandent sous la dynastie des Sassanides, qui règne

sur la Perse de 224 à 651 après J.-C., avant de céder face aux Arabes en pleine expansion depuis l’Hégire qui, en 622, marque le début de l’ère musulmane. En transposant la matière merveilleuse des contes perses, les auteurs arabes lui donnent ses lettres de noblesse stylistiques et garantissent son rayonnement dans tout l’Orient. Peu à peu, la culture musulmane, brillante sous la dynastie des califes abbassides au viiie siècle, tend à dépasser le vieux socle iranien et ajoute de nouveaux contes, comme ceux du « cycle de Bagdad ». Mais d’autres influences sont à l’œuvre. Ainsi, l’emboîtement des contes les uns dans les autres évoque une influence indienne, accentuée par la présence, dans certains contes, de fées et de génies, inconnus de la mythologie arabe. D’autres contes encore, se passant au Caire et faisant intervenir des talismans, sont incontestablement d’origine égyptienne. C’est souvent la forme de l’élément merveilleux qui permet d’identifier l’origine du conte. Les Mille et une nuits sont, sur ce point, une illustration parfaite de la richesse et de la diversité de l’héritage culturel oriental. Il s’agit d’une œuvre hybride, aux références plurielles, qui permet de prendre conscience que l’Orient, tout comme l’Occident, est constitué, au-delà de son unité apparente, d’éléments hétérogènes. Plus largement, on considère que l’ensemble des contes des Mille et une nuits, dans sa ver-sion achevée, date du xiiie siècle, époque à laquelle la culture arabe est épanouie, malgré les septième et huitième croisades lancées par Saint-Louis et la destruction de Bagdad, capitale des Abbassides, en 1258, par les hordes mongoles menées par le descendant de Gengis Khan. Phases de crises et de gloire mêlées, dont les Mille et une nuits portent assurément la trace.

Les traductions des Mille et une nuits ont été nombreuses et s’étudient aujourd’hui pour les différences profondes qui permettent de les distinguer, au fil de l’histoire. La première, qui date des débuts du xviiie siècle, est sans doute à l’origine de la vague d’orientalisme qui baigne la vie intellectuelle européenne et précède les Lumières. Le français Antoine Galland (1646-1717) est le premier à permettre aux contes orientaux d’atteindre l’Occident. Secré-

Ugo Bellagamba

Page précédente : Edmund Dulac, in Arabian Nights, 1907.

Mille et une nuits | 4

taire de l’ambassadeur de Louis XIV en Orient, Galland découvre Constantinople en 1670, apprend le turc, l’arabe et le persan. Avant de traduire les Mille et une nuits, Antoine Galland participe à la Bibliothèque Orientale d’Herbelot et contribue à l’engouement pour l’exotisme dans lequel poètes et philosophes puiseront sans réserve. C’est en 1704 que paraît le pre-mier tome des Mille et une nuits contenant notamment les célèbres Voyages de Sindbad. Les tomes suivants, II à XII, paraîtront entre 1705 et 1717, sachant que Galland avait achevé la traduction des contes dès 1713 et déjà livré, en parallèle, une première traduction du Coran. Les Mille et une nuits de Galland connurent un succès immédiat, amplifiant l’intérêt pour les contes de fées qui s’était manifesté à la fin du xviie siècle avec les recueils de Charles Perrault ou de Madame d’Aulnoy.

Les Mille et une nuits de Galland furent traduites en anglais, en allemand, en italien, en russe, en néerlandais, et leur diffusion européenne est comparable à celle, dans la seconde partie du siècle, de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert. D’une certaine manière, la pas-sion pour les fastes et la sensualité de l’Orient revêt une charge subversive qui prépare celle, plus politique et philosophique, des écrits de Voltaire, de Rousseau et de Montesquieu, dont les Lettres persanes incarnent la transition parfaite entre l’orientalisme et l’illuminisme.

Les autres traductions des Mille et une nuits sont plus « contemporaines », au sens his-torique du terme, c’est-à-dire postérieures à la Révolution française de 1789. Il faut citer, en premier lieu, celle proposée par sir Richard Burton (1821-1890) le fameux explorateur bri-tannique qui tenta d’atteindre les sources du Nil. Fasciné par l’Orient, Burton livre en 1885 une nouvelle traduction des Mille et une nuits, radicalement différente de celle de Galland, qu’il juge vieillotte et compassée. Les Mille et une nuits de Burton n’ont rien de contes pour enfants et les génies y sont moins fréquents que les orgies. Burton y exploite les thèmes à

Ci-dessous, exemple de tableau orientaliste : Jacob Jacobs, « Le khamsin, ou le vent chaud du désert », huile sur toile, 1859.  Page suivante : illustration de Benvenuti, Contes d’Orient, 1961.

5 | Mille et une nuits

caractère érotique et le sexe y est utilisé comme une arme, plus souvent que les maléfices. Il rétablit l’érotisme oriental qu’Antoine Galland avait pudiquement remplacé par la ga-lanterie occidentale. Joseph Charles Victor Mardrus (1849-1948), médecin aux Messageries Maritimes, s’attelle à la traduction des Mille et une nuits de 1898 à 1904 et va dans le même sens que Burton. Considérant qu’Antoine Galland a « émasculé » le corpus, il insiste non seulement sur l’éro-tisme, mais aussi sur le saphisme présent dans la trame de certains contes, montrant la lutte permanente entre la loi et le désir. Mais il restait à trouver le point d’équilibre entre la comptine et le guide des bacchanales. Cette voie médiane est incarnée par le grand érudit et spécialiste de la littérature arabe classique, René R. Khawam (1917-2004), dont la traduction, qui paraît en 1986, est le fruit de plus de trente années de travail sur les textes originaux. Sous sa plume, les Mille et une nuits ressemblent sans doute le plus à ce qu’elles sont : une fenêtre ouverte sur l’imaginaire oriental, depuis les bestiaires féeriques jusqu’aux délices érotiques. S’adressant à l’esprit autant qu’au cœur, elles réconcilient la poésie et la grossièreté dans le dédale des contes entrelacés. La traduction de Khawam est désormais la référence, même si celle de Galland demeure, pour son intérêt historique.

Il faut, in fine, citer l’édition la plus récente des Mille et une nuits (chez Gallimard, 2001), sous la direction de Jamel Eddine Bencheikh et Antoine Miquel, qui opère une synthèse critique des précédentes.

Malgré les traductions successives, la structure générale des contes qui composent les Mille et une nuits n’a jamais

été modifiée, ni fait l’objet de discussions : tous sont supposés être racontés par la belle Schéhérazade (ou Shahrâzâd, selon

les versions) au puissant sultan de Bagdad, le roi Schahriar (ou Shâhriyâr), en échange du droit à la vie jusqu’à la nuit suivante.

Il faut cependant préciser beaucoup d’éléments contextuels qui, souvent, sont oubliés au profit du contenu des contes eux-mêmes. Ces

éléments servent à remettre en perspective la matière féerique dans un contexte non seulement culturel, mais aussi social et politique.

D’abord, la princesse Schéhérazade et le sultan Schahriar ne sont pas seuls dans la chambre nuptiale. S’y trouve également Dinarzade (ou Dunyâzâd), la petite sœur de la

conteuse, elle aussi victime de l’ire du sultan. Rappelons que la royale colère est provoquée par l’infidélité de sa première épouse. Après avoir fait exécuter l’inconstante, par vengeance autant que par douleur, le sultan épouse chaque matin une nouvelle femme et la tue le len-demain de la nuit de noces. Mais la malicieuse Schéhérazade parvient à reculer l’échéance, nuit après nuit, grâce à ses contes.

Ensuite, pour corriger une erreur trop souvent commise, ce n’est pas au sultan que Sché-hérazade raconte les contes, mais bien à Dinarzade. Les sœurs ont convenu d’un stratagème

Mille et une nuits | 6

visant à détourner le sultan de ses intentions meurtrières. Chaque nuit depuis la première, Dinarzade demande à Sché-hérazade de lui conter une nouvelle histoire ou de terminer la précédente. Schéhérazade demande alors l’accord du sultan et celui-ci ne manque jamais d’accéder à la requête, puisque la princesse fait toujours en sorte de laisser en sus-pens l’aventure narrée la nuit précédente. Ainsi, le sultan, qui n’est pas le destinataire du conte, en est pourtant l’auditeur captif. Il est littéralement subjugué par les talents de la belle Schéhérazade.

Enfin, il faut rappeler que les deux sœurs sont les filles du vizir de Schahriar qui tente de mettre fin à une longue litanie d’assassinats qui dure depuis trois années. Cela projette les contes dans un cadre politique qui, sans interférer avec leur contenu, offre un point d’ancrage. La solution aux errances du sultan repose ici dans les mains de son vizir qui, soucieux de la bonne image du pouvoir royal, accepte de sacrifier ses deux filles à l’intérêt public.

En définitive, on constate toutefois que les personnages de Dinarzade et du sultan s’effacent progressivement au profit de la narratrice, le contexte « réel » disparaissant derrière ceux, multiples et chatoyants, des récits féeriques eux-mêmes. D’autant plus que la technique des « contes enchâssés » per-met de superposer plusieurs niveaux de narration qui laissent rarement le cadre extérieur émerger à la surface de l’œuvre une fois la lecture de celle-ci commencée. Le lecteur, à l’image du sultan, est prisonnier d’une mise en abyme narrative qui lui interdit toute échappatoire, du moins tant que « le conte dans le conte dans le conte » n’est pas terminé, ce qui n’est jamais le cas, sauf à la fin. La voix de Schéhérazade joue le rôle d’un « fil d’Ariane » à l’orientale qui permet au lecteur de relier les différents contes entre eux, avant d’en découvrir de nouveaux. Cette technique des récits « à tiroirs » sera maintes fois employée par les auteurs occidentaux ; la science-fiction et la fantasy n’échappent pas à cet héritage. Les Mille et une nuits se présentent donc comme une réserve quasi inépuisable de matière fabuleuse, organisée en petites unités narratives que constituent les contes.

Il y a mille manières, une fois définie la structure générale de l’œuvre, de classifier les contes qui la composent. On peut les présenter par genre, dont la grande diversité fait écho, sans nul doute, à celle des auteurs. Il y a les contes qui reposent sur la ruse ou l’ingéniosité du per-sonnage principal, ceux qui font intervenir des créatures merveilleuses, des métamorphoses, ceux qui traitent de contrées inconnues. Il y a aussi les aventures amoureuses, les épopées, les histoires anecdotiques, etc. On peut également mettre en avant la forme du récit, tantôt en prose, tantôt en vers, ou encore les répartir par degré de narration, primaire ou secondaire.

Il est possible enfin, et c’est l’approche choisie ici, de ne procéder à aucune classification thématique, forcément réductrice et très insatisfaisante tant les éléments féeriques, tendres, épiques et anecdotiques se mêlent, et choisir de mettre en lumière les contes les plus connus, tout simplement. Évoquer ainsi les voyages de Sindbad, la lampe d’Aladdin, l’histoire de la princesse Clair-de-Lune, celle du Bossu récalcitrant, celles du Barbier et de ses frères, celle du

Ci-dessus : dessin de John Dixon Batten, in Fairy Tales from the Arabian Nights de E. Dixon, 1893. Page suivante : illustration de Léon Carré, in Le Livre des mille nuits et une nuit, trad. J.-C. Mardrus, 1926-1932.

7 | Mille et une nuits

Mille et une nuits | 8

pêcheur et du djinn ou encore celle du Dormeur éveillé. L’un des « cycles » les plus féeriques est, sans nul doute, celui des voyages de Sindbad le marin. C’est d’ailleurs par ces voyages fabuleux, au nombre de sept, qu’Antoine Galland entama sa traduction des Mille et une nuits. D’origine incontestablement arabe, ces contes font partie d’un ensemble plus vaste qui tourne autour des cités de Bagdad et de Bassorah et met en scène la cour du sultan Haroûn-al-Rachîd, cinquième calife de la dynastie des Abbassides (qui régna sur Bagdad de 786 à 809). On note, dans ces récits, un souci constant du réalisme, dans la description des usages commerciaux comme dans celle des quais ou des marchandises échangées, qui équilibre l’omniprésence de l’élément merveilleux. Aigles géants, îles-baleines, cyclopes monstrueux, anthropophages, serpents démesurés, champs de diamants à perte de vue, etc. À chaque fois, un peu à la façon d’Ulysse dans l’Odyssée, Sindbad se sort de situations inextricables ou désespérées, par la ruse et l’ingéniosité, plus que par la force ou la chance. Il parvient même, le plus souvent, à s’en revenir à Bagdad les bras chargés de trésors. Les aventures d’Aladdin ne sont pas moins captivantes, et certainement plus romantiques, que les tribulations de Sindbad : un jeune libertin nommé Aladdin rencontre un magicien africain qui se prétend son oncle et le couvre

Ci-contre : Edmund Dulac, in Arabian Nights, 1907. Page suivante : Virginia Sterrett, in Arabian Nights, 1928.

9 | Mille et une nuits

d’or avant de l’entraîner dans le désert. Le Magicien demande à Aladdin d’aller chercher une lampe magique au fond d’une grotte. Le jeune vagabond s’exécute mais, méfiant, refuse de remettre la lampe au Magicien avant d’être sorti de la grotte. Fou de rage, le Magicien ensevelit l’enfant et s’enfuit. Après avoir cédé au désespoir, Aladdin trouve fortuitement son salut dans les génies de l’Anneau puis de la Lampe, qui accèdent à tous ses désirs. Une fois sauvé, Aladdin n’en a qu’un seul : épouser la fille du sultan, la belle princesse Badroulboudour. Grâce au génie de la Lampe, il parviendra à contourner tous les obstacles que le sultan et son vizir dresseront entre lui et la princesse, et fera bâtir le plus somptueux des palais ; jusqu’à ce que le retour du Magicien Noir menace son bonheur… Les créatures féeriques de Sindbad sont ici remplacées par un autre élément merveilleux : les enchantements, la puissance de la magie ancestrale. Il serait possible de multiplier ces exemples à l’envi, mais la preuve est faite de la diversité et de la richesse des thèmes, des personnages, des magies que recèle les Mille et une nuits. On peut renvoyer à l’excellent ouvrage de Nikita Elisséeff, Thèmes et motifs des Mille et une nuits (1949) – dans lequel l’auteur compare l’ensemble des contes à une forêt à la luxuriance déroutante ou une tapisserie aux couleurs vives –, ainsi qu’à un riche article de Vincent Demers sur la question. En définitive, loin d’être une œuvre homogène, les Mille et une nuits sont le fruit d’une hybridité de thèmes, de lieux, d’auteurs et d’enjeux, si subtile qu’elle confine à l’impossible alchimie entre le rêve et le récit.

Les Mille et une nuits constituent l’une des merveilles de la littérature mondiale, l’un de ces Livres majuscules qui, à l’instar des poèmes homériques, du Mahabharata, des Méta-

morphoses d’Ovide, ou des légendes arthuriennes, excèdent le milieu culturel et le contexte historique dans lequel ils ont été écrits, pour résonner dans l’éternité des mythes et s’élever au statut de source intarissable d’inspiration, de dépaysement, de rêve et de réflexion. Fruits chatoyants de l’Orient au sens le plus large du terme, les contes des Mille et une nuits font désormais partie de la culture occidentale et prouvent que les rencontres répétées entre les civili-sations provoquent plus souvent l’émerveillement que les conflits. Quant à leur dimension féerique plurielle, elle fait partie intégrante de notre imaginaire où les magies s’entremêlent, les djinns côtoient les sorcières, les palais s’érigent en des îles perdues, et les lampes n’éclairent pas que les ténèbres.

REPÈRES DE LECTURE

❥ Mille et une nuits, trad. d’Antoine Galland, nombreuses éditions.

❥ Mille et une nuits, dir. Jamel Eddine Bencheikh et Antoine Miquel, Gallimard, 2001.

Page précédente : illustration de Benvenuti, Contes d’Orient, 1961.

Mille et une nuits | 12