extrait du panorama : jeu de rôle par coralie david

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EXTIT DU PANOMA JEU ÞE RÔLE PAR COE DAVID

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Page 1: Extrait du Panorama : Jeu de rôle par Coralie David

❥ EXTRAIT DU PANORAMA ❥

❥ JEU DEE RÔLE ❥

❥ PAR ❥ CORALIE DAVID

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JEU DEE RÔLE & littérature de fantasy

Dès l’apparition de Donjons & Dragons en 1974, le jeu de rôle sur table (JdR), ancêtre des jeux vidéo du même nom comme World of Warcraft,

est inextricablement lié au genre littéraire qu’est la fantasy.

Si ce lien est indiscutable, il a souvent été reproché au JdR d’avoir uniformisé voire appauvri la littérature fantasy. Qu’en est-il réellement ? Les auteurs ayant

pratiqué le JdR ont-ils des traits communs ? Nous allons nous pencher sur cette relation complexe, qui dure depuis 40 ans maintenant.

Les Terres du Milieu constituent l’inspiration première de Donjons & Dragons, en témoigne notamment la présence de hobbits et de balrogs. Toutefois cette inspiration va au-delà de la reprise de cet univers comme simple cadre. À la fin de chaque mission, en plus de trésors et de l’équipement que les personnages ont pu découvrir, les joueurs gagnent des points d’expérience. Ceux-ci leur permettent de monter de niveau et d’améliorer les compétences de leur personnage. En d’autres termes, le but du jeu est de faire évoluer son personnage, ce qui est une articulation mécanique de ce que Tolkien a appelé l’ « ennoblissement », ou le fait de voir des protagonistes devenir de vrais héros au fil des pages. Bilbo le hobbit fait office de véritable « canon » pour cette structure, puisqu’il s’agit d’un groupe d’aventuriers composé de nains guerriers, d’un hobbit voleur et d’un mage humain qui partent occire un dragon afin de récupérer un trésor et un royaume.

Au-delà de cette inspiration, Donjons et Dragons se pose comme un concentré des codes de la littérature fantasy : la magie, élément assez subtil chez Tolkien, ne peut pas inspirer des règles au fonctionnement efficace pour paramétrer le système de jeu. Il faut aller chercher du côté de Jack Vance et de son cycle The Dying Earth, notamment en ce qui concerne la mémorisation des sorts, règle à laquelle les mages de Donjons et Dragons doivent se plier. Le roman de fantasy de Poul Anderson Three Hearts and Three Lions vient lui apporter le concept d’alignement, qui partage une origine commune avec les romans de Michael Moor-cock, dont le jeu emprunte d’autres éléments comme des épées dotées d’une conscience. Ce sont les convictions éthiques d’un personnage, qui obligent le joueur à choisir si son avatar sera plutôt du côté de la loi ou du chaos ; en découleront certaines contraintes ludiques, comme le fait de pouvoir ou pas utiliser certains types d’équipement.

Dès les prémices, le système de jeu est codé d’après des règles du genre littéraire qu’est la fantasy, au-delà d’un univers particulier. Écoulé à des millions d’exemplaires dans ses éditions successives, Donjons & Dragons se pose comme un relais de ces codes qu’il a participé à cristalliser dans l’imaginaire populaire repris.

Coralie David

Ci-contre : Paul Durand, « Le passeur des âmes », in Histoires de la lande et de la brume,1972.

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Jeu de rôle Agone, un univers de fantasy baroque qui fait la part belle aux environnements urbains. Multisim, 1999.

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Encore aujourd’hui la fantasy demeure le genre roi en JdR, et plus globalement des univers partagés. De nombreux jeux sont venus la décliner, l’enrichir et la détourner : RuneQuest se fonde davantage sur les mythes gréco-romains, Warhammer Fantasy Role Play donne à voir une fantasy plus sombre, marquée par l’esthétique des années 1980 (personnages à l’appa-rence punk, forces insidieuses du Chaos qui évoquent la radioactivité). Alors que les années s’enchaînent, les joueurs créent personnages, univers et histoires, autant d’inspirations qui, à leur tour, influenceront tout une génération d’auteurs de fantasy.

Le premier tome de la trilogie des Chroniques crépusculaires de Mathieu Gaborit, Souffre-jour, est considéré comme une des premières œuvres de fantasy française. Il posera les pre-mières pierres de l’univers de son JdR Agone. Comme dans de nombreux JdR français du genre, son univers doit davantage à l’esthétique baroque de la Renaissance qu’au Moyen Âge, tout comme en littérature l’Arachnae de Charlotte Bousquet ou la Ciudalia de Jean-Philippe Jaworski.

Cette trilogie est la quête initiatique et identitaire d’un jeune homme qui l’amènera à parcourir le monde, et finalement à le sauver. Il s’agit du schéma typique des JdR, lui-même hérité des premières œuvres de littérature de fantasy : il s’agit de confronter le personnage à l’univers, afin de mieux distiller la richesse de celui-ci. Le monde fictionnel est une création aussi importante que le récit qui s’y déroule.

Si la fantasy est un genre de la pérégrination, chez les auteurs-rôlistes la description topographique opère une fusion avec l’espace intérieur du personnage, comme nous allons le voir avec un extrait de Gagner la guerre de Jean-Philippe Jaworski (2009) : « Je quittai la splendeur hautaine et ténébreuse de Torrescella. Je dégringolai les ruelles pentues pour retrouver les quartiers populaires. Malgré l’averse qui se mit à tomber, malgré les rues noires et les carrefours éclairés par de pauvres quinquets, je retrouvai enfin un peu de vie. Une vie louche, pouilleuse, reprisée aux entournures, mais pleine de cette tension animale qui monte dans le soir depuis le pavé et le seuil des tavernes. Je retrouvai par bribes l’harmonie fêlée de mon existence d’antan, le lacis sombre des venelles, des arches et des impasses, la nuit pleine de silhouettes absorbées par leurs vices et leurs plaisirs. Comme un limier remonte une piste, les relents de crasse et d’urine, les arômes de vinasse chaude, les bouffées de parfum bon marché. J’allai boire de mauvaises piquettes dans divers bouges de la via Mala et de la

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via Descuartizza. Je perdis quelques pièces en pariant sur un combat de coqs, j’en regagnai le double en intimidant un bonneteur, je pris plaisir à observer le manège de deux rabatteurs associés avec un tricheur professionnel. J’aperçus une pute de bas étage en train de se faire sauter sous un porche : ça me donna envie d’une femme. Inévitablement, j’échouai via Macu-lata, chez Diamantina. »

Benvenuto, maître espion, sort d’un enterrement, d’où l’attention portée à la vie et l’ani-mation. Affecté par ces obsèques, comme il le dit juste avant ce passage, « j’avais trop peur de ressembler à la dépouille sage et chétive », cette déambulation est prétexte à montrer sa féroce envie de vivre. En outre, son passé est indissociable de cet espace. En un sens, cet itinéraire-monologue sous-tend les traits de caractère qui définissent Benvenuto : ses talents d’enquêteur (limier), ses fines facultés d’observation et d’analyse (avec le manège des rabat-teurs), son penchant pour les plaisirs de la chair, du jeu et de la boisson, sa propension à la violence (en intimidant) et bien sûr son goût pour les intrigues politiques qui sont le sujet principal du roman.

En littérature de fantasy, les romanciers rôlistes se distinguent grâce à trois paramètres essentiels. D’abord, ils se détachent d’une esthétique médiévale pour investir d’autres siècles, comme la Renaissance ou l’époque victorienne de l’Arcadia de Fabrice Colin. Ensuite, ils donnent à voir des univers bien plus urbains que les paysages naturels et sauvages de Tolkien. Enfin, ils mettent en scène des personnages qui ont une relation privilégiée voire fusionnelle avec le monde du roman, puisqu’en JdR le personnage du joueur est une somme des fragments composant l’univers.

Ci-dessous : Guillaume Lenel, carte de Ciudala, 2013. Page suivante : deuxième édition du jeu de rôle A Song of Fire & Ice, qui permet de jouer dans l’univers du Trône de fer de G. R. R. Martin. Green Ronin Publishing, 2012 (2009 pour la première édition).

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Si certains écrivains expérimentent leurs personnages grâce au JdR, pour d’autres celui-ci est un moyen de « tester » des univers. Le JdR nécessitant un univers immédiatement dispo-nible pour les joueurs qui vont le parcourir, il ne peut se permettre d’être distillé par petites touches et doit être organisé comme un ensemble systémique. Pour un romancier, avoir à sa disposition un univers pensé pour le JdR permet de « piocher » dans un ensemble déjà organisé. Tout est question de parcours, d’itinéraire. Dans un roman celui-ci est imposé par la narration, là où il est rhizomique dans un JdR. Il faut néanmoins se garder d’une structure narrative enchaînant autant de pièces d’un donjon en enfilade. Ce qui est parfois reproché aux romans rolistiques médiocres, c’est qu’ils se contentent de raconter un enchaînement d’épreuves, de façon chronologique, sans prendre la peine d’accomplir une réelle mise en récit.

Le péritexte des romans de fantasy écrits par des auteurs rôlistes est souvent symp-tomatique de cette systématisation des univers. Dans le cycle « Le Cœur d’Amarantha » de Charlotte Bousquet, le monde est d’emblée abordé selon sa genèse. Celle-ci définira la géopolitique et la culture des différentes zones que l’on découvrira au long de la trilogie. Le premier tome du Trône de fer commence avec la liste des plus importantes maisons, où sont présentés les personnages principaux. En les montrant comme membres des organisations qui fondent la structure de la société, on comprend d’emblée que nous avons à faire à des protagonistes qui sont les rouages d’un monde fictionnel systémique, dont les maisons sont les premiers mécanismes. Dans ces romans, les structures cosmologiques sont données au lecteur avant même qu’il commence sa lecture, sous une forme encyclopédique, proche de celle des suppléments de JdR.

Cette structuration en « briques apparentes » des univers est également la matière avec laquelle sont pétris les personnages. Ils portent fréquemment sur eux les signes ostensibles des composants de ces mondes : « Sansa n’avait vu d’yeux si magnifiques à aucun garçon. Ce n’est pas un garçon, voyons. C’est un homme fait, il est chevalier de Garde. Elle trouva que le blanc lui seyait encore mieux que les verts et les ors de Hautjardin. La seule touche

de couleur de toute sa tenue provenait de la broche agrafant son manteau : orfévrée d’or jaune, la rose Tyrell, nichée délicatement dans les feuilles vert jade. » Dans cet extrait du Trône de fer de G. R. R. Martin (trad. J. Sola), ser Loras est identifié par trois éléments qui sont autant de composants de l’univers : le blanc montre qu’il appartient à la Garde royale, une compagnie de chevaliers dont le rôle est de protéger le souverain des Sept Couronnes. « Les verts et ors » sont le symbole de sa région d’origine, Hautjardin, connue pour son agriculture. Enfin, la broche en forme de rose est le symbole de la maison à laquelle il appartient, la famille Tyrell. Ce personnage est intégré et défini comme un fragment de monde, et sous-entend toute la richesse de celui-ci par sa simple apparence.

Si la pérégrination des personnages est un trait propre à la fantasy en général, elle ne se pose pas tant comme une fin narrative en soi liée au format de la quête, mais bien comme un moyen de modeler un uni-vers. Ce dernier devient une fin, ce qui fait partie des reproches qui sont parfois faits aux romans rolistiques. Mais elle enjoint aussi les auteurs à renouer avec une forme digressive dont l’absence est fréquemment reprochée aux littératures dites « de genre », les descriptions.

La cité de Wastburg, de Cédric Ferrand (2011), est parfois décrite, selon les chapitres, par différentes caractéristiques marquantes, comme sa loi ou son cimetière. Le Paris uchronique de Pierre Pevel

Ci-dessous : deuxième édition du jeu de rôle A Song of Fire & Ice,

qui permet de jouer dans l’univers du Trône de fer de G. R. R. Martin.

Green Ronin Publishing, 2012, 2009 pour la première édition..

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dans les Lames du cardinal (2007) fait l’objet de descriptions encyclopédiques détaillées, indépendamment de l’action et des liens directs avec les personnages, en incise.

L’univers de cette fantasy influencée par les JdR ne se pose plus en simple support de nar-ration : il fait partie à part entière de l’œuvre, voire devient l’œuvre elle-même.

Autre trait commun des auteurs rôlistes, la fantasy qu’ils donnent à voir est souvent urbaine, citadine, espace réglé et systémique par excellence. Le diptyque Abyme de Mathieu Gaborit (1996) fait de cette cité un véritable personnage qu’il n’est pas rare de voir person-nifié : « Un écrin végétal incrusté dans la chair d’Abyme, une citadelle où viennent trouver refuge les jeunes lutins sans famille qui échouent dans la cité. » Il en va de même chez Char-lotte Bousquet et la ville d’Arachnae (2009), avec cette référence à Zola : « Quelques minutes plus tard, les deux femmes disparaissaient, comme avalées par le ventre d’Arachnae. » La Wastburg de Cédric Ferrand, comme les deux exemples précédents, donne son nom au roman dans lequel elle se déploie, et se voit personnifiée de la même manière : « si Wastburg était la dame et la Purge ses cuisines, la cité était une vraie saleté de garce de souillon. » Dans ce roman, la continuité est davantage assurée par la ville elle-même et le fait que la magie y ait disparu depuis ce que l’on a appelé la Déglingue, puisque différents personnages défilent de chapitre en chapitre.

La ville se pose comme un lieu privilégié des auteurs-rôlistes, possiblement pour sa densité en termes de potentialités d’intrigues et son fonctionnement systémique.

Nous observons donc une différence entre deux types d’influences rolistiques  : si les premiers JdR sont à l’origine d’une uniformisation, c’est justement la réaction à cette uni-formisation qui fut génératrice, pour les JdR français comme Légendes ou Rêve de dragon, d’une spécificité qui trouvera des échos dans la littérature. Les auteurs rôlistes, justement grâce à leur connaissance de ces conventions, posent les bases de leur identité en les détour-nant. Il est possible de distinguer d’une part l’ascendance rolistique uniformisante, et d’autre part l’inspiration singularisante, dichotomie déjà présente au sein de la production de JdR. Certains auteurs étant conscients des écueils à éviter, ils tendent à maîtriser cette influence : « Dans la mesure où le Vieux Royaume fut d’abord un univers de campagne pour Donjons & Dragons, le jeu de rôle a bien sûr une influence majeure sur le monde décrit dans Janua Vera. [...] j’avais donc d’entrée une vision géographique, politique, religieuse quand j’ai commencé à écrire les nouvelles. Mais cet atout était aussi un piège : il me fallait éviter de verser dans le didactisme.(1) »

Lorsque les romanciers évitent ce genre d’écueils, cette prégnance de la systématisation permet un retour en force des descriptions signifiantes, une cohérence et une richesse du monde fictionnel, ainsi qu’une inscription fréquente dans des espaces fermés et systémiques, comme les villes. Cela pose l’univers non pas comme une simple force d’opposition passive, mais comme un ensemble de signes interconnectés à déchiffrer, qui porte une dimension ludique et interactive.

Les JdR peuvent également être des générateurs de canevas narratifs. Pour certains roman-ciers, un schéma ludique peut aboutir à une intrigue narrative à la base d’un roman : « Le jeu est donc un processus génétique sinon du texte, mais de la diégèse, de l’histoire rapportée par le texte. Sans être l’œuvre, le jeu en devient la matière.(2) » Le scénario rolistique étant une trame plurielle, à entrées multiples, la partie jouée à partir de celui-ci finit par former une de ses interprétations possibles : ce canevas peut devenir le squelette d’une histoire.

(1) Jean-Philippe Jaworski, Interview, 2010, sur site ActuSF. (2) Jean-Philippe Jaworski, « Évasion diégétiques » (cf. article suivant).

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Dans Les Lames du cardinal de Pevel ou Gagner la guerre de Jaworski, le procédé de mise en intrigue, comme dans un scénario de JdR, consiste à dissimuler liens et éléments-clés, le plaisir étant généré par leur découverte. La mise en opacification des éléments de l’histoire est par conséquent un exercice de construction narrative qu’accomplit aussi bien l’auteur de JdR que le romancier, bien que le premier doive prendre en compte l’interactivité et que le second ait la liberté de définir l’itinéraire du lecteur : « Le seul point commun entre la composition d’un scénario et celle d’une nouvelle tient peut-être dans la présence des “préparations” : des indices éparpillés à l’usage des joueurs ou des lecteurs, discrets mais repérables.(1) »

Qu’elle soit standardisante ou particularisante, l’inspiration rolistique a été une école pour nombre d’auteurs de fantasy. Elle permet d’entrer concrètement dans la fiction et se pose comme un laboratoire d’expérience littéraire pour certains : ce n’est pas l’influence du JdR elle-même qui est à l’origine d’une spécificité, mais la manière dont les auteurs intègrent cette ascendance.

(1) Jean-Philippe Jaworski, « Évasion diégétiques » (cf. article

suivant).

Ci-contre : première édition de l’onirique Rêve de dragon, dans lequel les joueurs voyagent dans

les songes de ces créatures emblématiques de la fantasy. Il connaîtra une traduction

américaine en 2002. Nouvelles Éditions Fantastiques, 1985.

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