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LES ABSENCESDU

CAPITAINE COOK

Extrait distribué par Editions de Minuit

DU MÊME AUTEUR

MOURIR M’ENRHUME, roman, 1987LE DÉMARCHEUR, roman, 1988

PALAFOX, roman, 1990 (“double”, no 25)LE CAOUTCHOUC, DÉCIDÉMENT, roman, 1992

LA NÉBULEUSE DU CRABE, roman, 1993 (“double”, no 39)PRÉHISTOIRE, roman, 1994UN FANTÔME, roman, 1995AU PLAFOND, roman, 1997

L’ŒUVRE POSTHUME DE THOMAS PILASTER, roman, 1999LES ABSENCES DU CAPITAINE COOK, roman, 2001

DU HÉRISSON, roman, 2002 (“double”, no 84)LE VAILLANT PETIT TAILLEUR, roman, 2003 (“double”, no 72)

OREILLE ROUGE, roman, 2005 (“double”, no 44)DÉMOLIR NISARD, roman, 2006

SANS L’ORANG-OUTAN, roman, 2007CHOIR, roman, 2010

DINO EGGER, roman, 2011L’AUTEUR ET MOI, roman, 2012

Aux éditions Fata Morgana

SCALPS, 2004COMMENTAIRE AUTORISÉ SUR L’ÉTAT DE SQUELETTE, 2007

AILES, 2007EN TERRITOIRE CHEYENNE, 2009

IGUANES ET MOINES, 2011

Aux éditions Argol

D’ATTAQUE, 2005

Aux éditions Dissonances

DANS LA ZONE D’ACTIVITÉS, 2007 (repris sur Publie.net, 2008)

Aux éditions L’Arbre vengeur

L’AUTOFICTIF, 2009L’AUTOFICTIF VOIT UNE LOUTRE, 2010

L’AUTOFICTIF PÈRE ET FILS, 2011L’AUTOFICTIF PREND UN COACH, 2012

ERIC CHEVILLARD

LES ABSENCESDU

CAPITAINE COOK

LES EDITIONS DE MINUIT

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L’ÉDITION ORIGINALE DE CET OUVRAGE A ÉTÉ TIRÉEÀ VINGT-CINQ EXEMPLAIRES SUR VERGÉ DES PAPE-TERIES DE VIZILLE, NUMÉROTÉS DE 1 À 25 PLUS SEPTEXEMPLAIRES HORS COMMERCE NUMÉROTÉS DE

H.-C. I À H.-C. VII

L’auteur tient à remercierle Centre National des Lettrespour son précieux concours.

� 2001 by LES ÉDITIONS DE MINUIT7, rue Bernard-Palissy, 75006 Paris

En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduireintégralement ou partiellement le présent ouvrage sans autorisation de l’éditeur

ou du Centre français d’exploitation du droit de copie,20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris

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PREMIERE PARTIE

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CHAPITRE PREMIER

Qui ne s’embarrasse pas de détails. Présentation rapidede notre homme sous un jour plutôt favorable. L’accentest mis sur quelques-uns des principes qui gouvernent sonexistence. En visite dans un pays inconnu, sitôt arrivé, ila pour habitude de se noyer dans son fleuve principal :ainsi, porté par le flot, il voyage sans bourse délier deville en ville, à travers ses régions et ses paysages. Autresexemples choisis.

La tulipe, quand elle n’a plus qu’un pétale, faitune fort belle cuillère à soupe extrêmement peucommode, en revanche, car la tige devenue man-che demeure souple, trop souple. Et puis, si lescinq premiers pétales ont chu, ce n’est pas parhasard, il y a donc tout lieu de craindre que ledernier ne puisse longtemps encore s’accrocherainsi, à plus forte raison si on l’emplit de potageonctueux, ou même d’un léger bouillon. Alors eneffet il cède à son tour, se détache, et flotte dansla soupière, puis chavire et sombre – première

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déconvenue. Il serait peut-être temps de réagir etde remédier à cet état de fait navrant en imagi-nant un système adapté d’atelle ou de tuteur : ilsuffirait de ficeler à cette baguette la tige de latulipe tout en renforçant l’attache du pétale aumoyen d’un petit clou ou d’un point de colle.Notre homme voit mal ce qui l’en empêcherait(il s’étonne surtout que personne avant lui jamaisn’y ait songé).

Ceci réglé, enfin, le souci se reporte sur le pétalelui-même, certes assez fort pour contenir samesure de soupe claire ou de velouté, mais tropfragile et tendre pour supporter le poids d’unmorceau de pomme de terre ou de navet, d’autantque l’immersion répétée du limbe insuffisammentarmé de fibres dans un liquide chaud, voire brû-lant, accélère son inéluctable flétrissure, carcomment éviter celle-ci, hors même ces conditionsdéfavorables ? On ne coupe pas une fleur sansdégât, aussitôt le monde meurt. Puis la fleur, quel-ques jours plus tard, à son tour, fane. Plus grave,en la circonstance, il n’est pas rare de voir le pétalede tulipe, que sa concavité parfaite disposait àl’emploi de cuillère, en cloquant devenir convexeet donc impropre à cet emploi. Par bonheur, iln’est pas de difficulté dont notre merveilleuseingéniosité ne puisse venir à bout simplement enniant son existence – plutôt que de rougir et bleuir

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sous les coups du gros gendarme, considéronsqu’il nous tend gentiment sa matraque, saisis-sons-la et rossons-le –, on sait aujourd’huicomment agir en pareil cas : en tournant la tigeentre ses doigts de manière à lui faire accomplirune demi-rotation, notre homme se retrouve enpossession d’une nouvelle cuillère qui n’a rien àenvier à la précédente.

Il serait sage néanmoins de se résigner à ne faireusage que deux ou trois fois de ce périssable cou-vert et de disposer en permanence de plusieursbottes de tulipes plus ou moins avancées afin depouvoir immédiatement le remplacer, sachant quela baguette assujettie à la tige est susceptible poursa part d’être réutilisée presque indéfiniment. Celaétant, si les tulipes viennent à manquer – impré-voyance, mauvaise saison ou, bientôt, tulipierspris de court par l’inflation de la demande consé-cutive à cette démonstration –, des cuillères métal-liques feront aussi bien l’affaire, en bouquet ellessont une joie pour l’œil. Le nez, en revanche,n’enregistre pas même leur présence, ce qui déso-lera sans nul doute ces renifleurs inconséquentsqui prétendent d’autre part que le parfum dupétale de tulipe altère ou du moins dénature legoût de leur soupe... Ceux-là sont impossibles àsatisfaire et si l’anguille soudain était pourvued’une poignée ou d’une anse, ils trouveraient une

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autre bonne raison pour ne pas l’emmener enpromenade.

Or cette anse, les anguilles la possèdent bel etbien pour qui sait y voir, elle est l’un des nom-breux détours de leur corps sinueux : attrapée parlà, l’anguille se laisse aussi facilement transporterque n’importe quel autre panier. On peut y mettredu poisson froid pour le pique-nique ou du pois-son cru que l’on cuira sur place. Mais à quoi bontenter d’en convaincre ces arrogants messieurs ?L’anguille restera pour eux insaisissable tant qu’ilsgarderont, autre jeu de clés grippé dans leur mou-choir, la main au fond de leur poche. Leur mau-vaise volonté est flagrante. N’est-il pas évident, eneffet, au vu des ceintures, courroies, bandoulières,de tout ce qui sert à soutenir ou sangler, que laréputation de l’anguille repose sur une méprise etqu’en ceci seulement elle est fondée ?

Ce même pique-nique confirmera, pour ceuxqui en douteraient encore, qu’il n’existe de faitaucune différence entre une jeune demoiselle pâledébitant prestement un concombre en fines ron-delles et un gros ours brun détalant dans la neige,aucune différence entre les deux événements,qu’il s’agit bien du même, relaté selon les témoinsen termes favorables plutôt à la première ou à ladeuxième version. Certains observateurs plusperspicaces les ont depuis longtemps recoupées

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et la preuve fournie ici leur paraîtra superflue. Adéfaut de perspicacité, le simple bon sens suffiraitd’ailleurs à anéantir l’illusion d’une double réalitéirréductible, mais il faut croire que celui-ci n’estpas aussi bien partagé qu’on le prétend. Le dessindes pépins en filigrane dans la pulpe translucidedu concombre figure très exactement l’empreinted’une patte de grizzli. La piste est facile à suivre,les rondelles du fruit l’une après l’autre couchéespar le couteau de la demoiselle conduisent toutdroit à l’animal : c’est bien elle.

Comment ne pas déplorer toutefois l’impor-tance accordée à la preuve dans ce genred’affaire ? C’est prendre l’expert pour le tableau.Au reste ou au surplus, l’esprit inquiet n’a jamaisassez de preuves. Preuve unique pour l’espritinquiet ne mérite pas le nom de preuve. Or,quand soixante-douze moutons se suivent, le der-nier est-il plus réel que les soixante et onze pré-cédents ? Et le premier de tous, certes le moinsmoutonnier, doit-il être tenu de ce fait pour unmoindre mouton, un mouton problématique, uneproposition ou une hypothèse, voire une approxi-mation de mouton ? Prudence, car le nombrefavorise aussi l’erreur et le mensonge. D’abord,il peut y avoir usure du phénomène mouton, oulassitude du phénomène mouton. A force d’assis-ter à la succession des moutons, la vigilance se

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relâche, le regard s’émousse. Peut-être, aucontraire, ces moutons sont-ils de moins enmoins moutons. Peut-être se produit-il de subti-les modifications de mouton en mouton, commedans un dégradé de couleurs, d’infimes distor-sions ou transformations que l’œil abusé par larapidité du défilé n’enregistre pas, et le soixante-douzième mouton est alors par exemple une coc-cinelle, celle-ci considérée comme le plus sûrmouton, le plus fiable, le mouton par excellence,le Mouton.

Toutes les coccinelles en pâtissent pendantquelque temps, et le brave chien de berger aussidevient fou de ne pouvoir rassembler ce troupeauindiscipliné. Il s’en donne, pourtant, de la peine,il court dans les alpages, se prend les pattes danssa langue comme un pape en fin de règne les piedsdans le tapis rouge déroulé devant lui, les petitesbêtes à bon Dieu s’égaillent, brebis égarées touteset médiocres moutons, il faut à la fin en convenir,relativement du moins à nos usage et pratique trèsspécifiques du mouton, desquels pour sa part ilne retire aucun profit, au contraire. Il ne deman-derait pas mieux que de mener plutôt dans lesherbes une existence de coccinelle à sept points(sa taille supérieure le mettant en outre à l’abrides prédateurs naturels de l’insecte, l’oiseau ou lecrapaud).

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Notre homme, c’est très différent, ça n’a mêmerien à voir, mais puisqu’il faudra tôt ou tardcrayonner son portrait, allons-y maintenant, en finde chapitre, dans le blanc qui suit, plutôt que den’en rien faire. Voici donc ce qu’il est importantde savoir de lui. Peu de choses. Quand il étaitpetit, il confondait la sémiotique et la sémiologie.Quoi d’autre ? C’est un tueur en série. Il n’a pasencore commencé. Mais surtout : son ombre estprojetée au sol quand les rayons du soleil touchentobliquement sa personne.

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CHAPITRE DEUXIEME

Qui arrive à point nommé. Foisonnement du récit avecl’introduction massive de nouveaux protagonistes. Solitudemenacée de notre homme. Sa mère à l’agonie croit bonde lui révéler l’existence de son frère siamois : il va devoirvivre désormais avec cet importun tout le temps sur ledos.

Ces renifleurs inconséquents, ces arrogantsmessieurs, ces esprits inquiets voudraient surtoutavoir confirmation de leur propre existence etc’est pourquoi leurs yeux s’exorbitent ou se révul-sent, ahurissement joué, consternation feinte, envérité deux tentatives pour se voir eux-mêmes,sous toutes les coutures, les miroirs ni les photo-graphies ne pouvant satisfaire ce désir éperdu, quine leur renvoient que des images. Or Narcissetremblant à la surface est aussi bien possiblementla carpe qui soudain crève son masque d’eau. Lesourire fin apprêté n’était qu’un leurre, voici jaune

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orangé et très lippue la vraie bouche de l’éphèbe.Son noble front comme un chapeau-claque raplatiétait donc creux, son visage en un instant se cou-vre d’une vilaine écaille aux reflets verdâtres.

Sa chair a goût de vase. La langue s’y engageraitplus hardiment avec des bottes aux pieds. On luienfilerait, cela va de soi étant donné sa courtetaille, une paire de bottes pour enfant, et mêmepour petit enfant, lesquelles existent en caout-chouc rose ou rouge ou violet, de sorte qu’il neserait pas nécessaire de concevoir pour elle unmodèle exclusif, chaque usager pouvant se pro-curer dans les stocks disponibles la couleur appro-chant au plus près celle de sa langue natale, fût-elle déjà noire, ou une couleur autre, au contraire,par coquetterie, afin d’obtenir un élégant effet decontraste ou de l’assortir à un bijou, un foulard,une cravate. En effet, les bottes ne jurent pas sys-tématiquement avec la cravate, du moins pasdavantage que les pieds avec la tête.

Reconnaissons-le, ce dernier point demeure liti-gieux. On peut à bon droit estimer que la tête etles pieds sont incompatibles et que tel qui possèdeune tête, réceptacle du cerveau, des organes lesplus délicats des sens, sphère de la plus hautepensée, manque singulièrement d’exigence et degoût s’il exhibe également en toute circonstanceces extrémités atrophiées et stupides, vite dépa-

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rées de leurs faibles attraits par le traitementqu’elles subissent et qui les déforme plus encore.Couramment traînés dans la boue, parfois sur plu-sieurs kilomètres, écorchés, enflés, tuméfiés, lespieds peu à peu s’encroûtent, dès lors irrécupé-rables : on a beau mêmement étriller le rhinocéros,jamais on ne rattrape le bébé rose.

Le pied du nouveau-né est si doux et tendrequ’il ne viendrait pas à l’idée de ce dernier del’employer à autre chose qu’à se caresser le visage.Alors ils ne jurent pas ensemble, le pied et levisage, c’est encore la même chair, on sent bienque la greffe de la plante pourrait prendre sur lajoue, cela n’étonnerait personne, tandis que lespetites mains imprécises tâtonnent à droite à gau-che pour se retrouver parmi les hochets desquelsrien ne les différencie, ou se tendent loin du corps,attirées ailleurs, et déjà l’on devine qu’elles netarderont pas à le trahir pour d’autres embrasse-ments. Quant au rhinocéros, carapace intégrale,les ongles s’y cassent. Le rhinocéros intime nousdemeure inconnu et le goût de cette amande. Deshommes errent des jours durant dans le brouillardde sa myopie, certains n’en ressortent jamais, onévalue à dix-huit ou dix-neuf en moyenne le nom-bre des malheureux qui gravitent sans espoirautour de chaque pachyderme, parfois se heur-tent, s’empoignent alors, les uns pour se rassurer,

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les autres pour en découdre, souvent d’ailleurs ily a méprise, l’un des corps recherchant l’étreinte,l’autre corps la bagarre, ce qui ajoute encore à laconfusion et au drame.

Dans l’orbite du lynx au moins tout est clair,les amateurs de réalité sont servis. C’est le jourqui leur convient. Volontiers ils viennent se bai-gner dans cette lumière, en petite tenue. Ils pré-fèrent affirmer qu’ils sont là incognito, pour voir,pour tenter de comprendre, pour élucider, maisils attirent sur eux toute la lumière, ils l’absorbent,impossible d’échapper au spectacle qu’ils offrent,aussi loin que s’étend le champ de vision du lynx,il n’y a place que pour eux, en réalité. On se lassevite. L’arbre qui confisque la foudre connaît uninstant éblouissant de gloire, puis tout un prin-temps d’insuccès avec ses gazouillis d’œufs durset l’ombre déchiquetée de ses branches où lesserpents seuls trouveraient un peu de fraîcheurs’ils en devenaient avides soudain, mais pas dechance, c’est vers la pierre plate et brûlante qu’ilsrampent, où fondre le glaçon de leur sang.

Et si le serpent exécré était au contraire notreallié sur la Terre ? Son venin est un piment quirelève autrement les salades que le vin pourri donton a coutume de les arroser. Notre homme quijustement jardinait dans son petit potager hochela tête et le confirme : buisson ardent, la laitue,

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quand le serpent se dresse entre ses feuilles. Il ymet aussi sa mesure d’huile, il se coule souple etsinueux dans le saladier, s’y délaye, nous épar-gnant l’effort du mélange, souvent d’ailleursimparfait. Notre vinaigrette stagne sous lesfeuilles. Nous ne savons accommoder que lesnénuphars.

Autre grand amateur de réalité, le comte de LaPérouse, dont l’inclination était si bien connueque Louis XVI, flattant royalement sa marotte, luidonna mission, en 1785, de rechercher toutes lesterres ayant échappé à l’attention de Cook. Iln’avait pas fini sa phrase que La Pérouse s’embar-quait, levait l’ancre, hissait les voiles et cinglaitvers le large, poussé par les alizés, bonne marche,fière allure, la poudre et les armes à l’abri dans lacale avant, les tonneaux solidement arrimés, lesballots recouverts de toile goudronnée, les rou-leaux de cordage très exactement comme despythons ou des boas lovés sur le pont, les crisperçants des mouettes, le lendemain, plus loindans la mer, direction N.-N.-E. quart N., à tirerdes bordées, la brise trop légère, les vergues grin-çant sur les drisses, trois jours de calme plat,l’ennui à bord, le rhum seul déferlant, cielplombé, silence oppressant, chaleur moite, vivresavariés, dix barils de lard putréfié, nervosité, unpeu de roulis, tiens, grondements là-haut qui

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s’amplifient, rafales soudaines, forte houle traver-sière, les cœurs se retournent comme à la manillesur les matelas d’étoupe de l’équipage, navirebord à bord, vagues très exactement commedes montagnes, paquets de mer, tous lessivésjusqu’aux os, un malheureux sur le gaillardd’avant emporté par une lame, voiles déchirées,la brigantine en lambeaux, sinistres craquements,premièrement le petit foc, deuxièmement le grandfoc, troisièmement le clinfoc, enfin le faux-foc,comme des fouets très exactement les filins rom-pus, le canon renversé démolit les plats-bords, lestonneaux détachés roulent, écrasent, explosent,tandis que le grand cacatois, flots mugissants,revanche des éléments, furie, spectacle grandioseet terrible, le navire très exactement comme unbouchon danse, agrippés tous aux galhaubans,mais le mât de misaine, tout à coup, puis la corned’artimon, le grand perroquet d’une part, d’autrepart le petit perroquet, les trois chaloupes en mor-ceaux, droit sur les récifs écumants, or le petitcacatois, alors que le beaupré, au moment mêmeoù la trinquette, c’est la fin cette fois, la déferlante,les brisants, à bas le grand hunier et le petithunier, fracas épouvantable, adieu La Pérouse,tous mourir contre l’écueil qui avait échappé àl’attention de Cook, tandis que voici commentnotre homme procède, lui, sa méthode : il étale

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et punaise une carte du monde sur un mur de sachambrette, puis il recule de dix pas, se bande lesyeux et lance avec force en direction de ce murune fléchette de son jeu d’enfant, aux ailettes deplumes vertes, qui se fiche en plein océan, au cœurd’une île – dont elle figure très exactement lepalmier central – inconnue des géographes et desmarins, où nul bateau n’a encore abordé, où lesoiseaux n’ayant point appris à craindre l’hommeviennent lui picorer dans la main, aussi bien est-cefacile comme tout d’attirer contre soi le dronte,puis rôtir ce stupide dindon, et les fruits de mêmese laissent cueillir aisément, abondants, savou-reux, l’eau de source est sans doute ici la seulecréature fuyante, encore ne le fuit-elle pas parpeur ni par méchanceté mais pour le surprendre :soudain, elle lui tombe dessus par-derrière etglisse ses longues cuisses fraîches de chaque côtéde son cou tout en lui massant doucement levisage, et quand la solitude lui pèse, il peuple sonîle, il n’a qu’à le vouloir – sachant que la dépeuplerest chose plus vite faite encore que de gagner uncoin tranquille ou simplement fermer les yeux.Son séjour là-bas est un enchantement. Les terresayant échappé à l’attention de Cook, il les connaîtcomme sa poche (dans laquelle ses doigts inlassa-blement jouent avec un petit crayon), toutes, ellessont placées sous son autorité souveraine.

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CET OUVRAGE A ÉTÉ ENRICHI ET ACHEVÉD’IMPRIMER LE PREMIER FÉVRIER DEUX MILLEUN DANS LES ATELIERS DE NORMANDIE ROTO

IMPRESSION S.A. À LONRAI (61250)No D’ÉDITEUR : 3498

No D’IMPRIMEUR : 002320

Dépôt légal : février 2001

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Cette édition électronique du livre Les Absences du capitaine Cook d’Éric Chevillard

a été réalisée le 12 juillet 2012 par les Éditions de Minuit

à partir de l’édition papier du même ouvrage (ISBN : 9782707317346).

© 2012 by LES ÉDITIONS DE MINUIT pour la présente édition électronique.

www.leseditionsdeminuit.fr ISBN : 9782707325310

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