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TOCQUEVILLE

DE LA DÉMOCRATIEEN AMÉRIQUE

Choix de textes, introduction, notes,bibliographie et glossaire

parPhilippe RAYNAUD

GF FlammarionExtrait de la publication

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© Éditions Flammarion, Paris, 2010.ISBN : 978-2-0812-2087-4

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INTRODUCTION

Dans la riche littérature politique du XIXe siècle, De ladémocratie en Amérique est aujourd’hui une des œuvresles plus lues et les plus discutées, comme si l’humanitédémocratique continuait à se reconnaître dans le miroirque lui avait tendu Alexis de Tocqueville. La Démocratieen Amérique est, d’abord, un témoignage à la fois docu-menté et vivant sur l’Amérique des années 1830, auquelnos contemporains se réfèrent encore volontiers lors-qu’ils veulent comprendre un pays qui, pour les Euro-péens, reste à bien des égards mystérieux alors mêmeque les communications sont incessantes entre l’« ancien »et le « nouveau » monde. Périodiquement, on refait levoyage de Tocqueville pour prendre la mesure des chan-gements qui ont pu se produire depuis bientôt deuxsiècles, et c’est pour s’apercevoir finalement que, toutcompte fait, l’Amérique d’aujourd’hui reste assez sem-blable à celle qu’avait décrite Tocqueville : la passion del’égalité des conditions n’y est nullement éteinte, mêmesi elle s’accommode d’une grande disparité entre les reve-nus et les fortunes ; l’individualisme continue d’y coexis-ter avec une forte pression conformiste de l’opinionpublique ; et le règne de la majorité reste contrebalancépar une importance politique du juge sans équivalenten Europe. De là, sans doute, la faveur que conserveTocqueville chez les lecteurs français qui cherchent àcomprendre les chemins si différents suivis par les deuxdémocraties issues des révolutions de la fin du

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XVIIIe siècle, la France et les États-Unis d’Amérique.Mais la gloire de Tocqueville n’est pas seulement celled’un analyste politique exceptionnel ; c’est aussi, depuisune trentaine d’années, celle d’un philosophe politiquequi serait en même temps un classique de la sociologie,et qui pourrait aider à comprendre les problèmes qui seposent constamment dans les démocraties en les ratta-chant à une réflexion plus générale sur la condition poli-tique de l’homme et sur la différence entre les sociétésmodernes (« démocratiques ») et celles qui les ont précé-dées, que Tocqueville considère toutes comme « aristo-cratiques ». Cette dualité est d’une certaine manièreinscrite dans la structure de l’œuvre, dont les deuxgrandes parties obéissent à des préoccupations diffé-rentes.

Dans le premier volume, publié en 1835, Tocquevilles’attache à présenter au public français la société améri-caine et le régime des États-Unis, tels qu’il a appris à lesconnaître au cours d’un voyage d’études accompli avecson ami Gustave de Beaumont : le propos est centré surla Constitution et sur les institutions politiques, avecl’intention de montrer quelles sont les chances de succèsdu régime démocratique. Dans le deuxième volume,publié cinq ans plus tard, en 1840, la réflexion s’élargità ce qu’on pourrait appeler l’humanité démocratique,et la république américaine apparaît plutôt comme uneillustration de traits qui sont appelés à se généraliser et,notamment, à gagner l’ensemble de l’Europe. On ne doitcependant pas sous-estimer la profonde unité de l’œuvre,qui vient de ce que Tocqueville a très tôt su ce qu’il allaitchercher en Amérique. Lorsqu’il part, en compagnie deBeaumont, avec l’intention de comprendre « ce qu’estune grande République », Tocqueville a déjà un projetoriginal par rapport à tous ses contemporains. Pour lesgrands libéraux de la Restauration (qui viennent detriompher avec la révolution de 1830), le problème était

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d’implanter en France des institutions libérales dont lemodèle était donné par le « régime mixte » anglais, et quidevaient à la fois consolider les acquis de la Révolution(l’égalité civile) et rendre possible une « transaction »entre l’ancienne et la nouvelle France. Dans ce cadre,la démocratie était ou bien un simple fait social sansconséquences politiques (l’égalité civile n’interdit pas lesuffrage censitaire), ou bien, au contraire, une menacepour l’ordre politique et social, due à la permanence enFrance des passions révolutionnaires. Tocqueville partau contraire de l’idée que la démocratie va triompher enFrance et que cela ne manquera pas d’avoir d’impor-tants effets sur son régime politique, mais il ne pense pasque la France soit vouée à la répétition indéfinie de laRévolution : la poussée démocratique interdit sansdoute de retrouver l’inspiration fondamentalement« aristocratique » des institutions anglaises, mais il n’estpas impossible que la démocratie puisse s’accorder avecla liberté. De là, pour lui, l’exemplarité des États-Unis :à la différence de la France, l’« égalité des condi-tions » y existait déjà avant la Révolution, ce qui faitque la démocratie américaine n’a pas connu d’« AncienRégime », et c’est pour cela que l’« esprit démocratique »s’y donne à voir dans sa pureté sans être mêlé à l’« espritrévolutionnaire ». Pour Tocqueville, les États-Unis vontdonc donner l’exemple de ce que peut devenir la démo-cratie moderne lorsqu’elle sera régie par sa logiquepropre et non plus par le conflit entre l’Ancien Régimeet la Révolution ; son point de départ se trouve dans sesinquiétudes et dans ses espoirs de citoyen, mais son pro-pos a d’emblée une portée universelle : il ne s’agit passeulement d’étudier les institutions de la jeune répu-blique américaine pour en tirer des leçons utiles à laFrance contemporaine, mais de comprendre ce fait deportée universelle qu’est l’avènement de la société démo-cratique.

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La démocratie, un fait providentiel

Si le premier volume de la Démocratie en Amérique estconsacré à une étude minutieuse de la société et durégime américain des années 1830, l’Introduction sesitue d’emblée sur un plan beaucoup plus général, quis’apparente aux grandes philosophies de l’histoire duXIXe siècle. De ce point de vue, l’expérience qui est àl’origine de la réflexion de Tocqueville est sans nul doutecelle de la Révolution française, qui est apparue à tousses contemporains comme un tournant dans l’histoireuniverselle. La Révolution n’avait pas seulement détruitl’Ancien Régime, elle avait changé du tout au tout lacondition humaine ; c’est pourquoi après avoir notéque, en Amérique, l’« égalité des conditions » est le« fait générateur dont chaque fait particulier sembl[e]descendre », Tocqueville donne une esquisse de l’histoirede la France et de l’Europe qui montre la portée univer-selle de ce qui est en train de se produire aux États-Unis :

De quelque côté que nous jetions nos regards, nous aperce-vons la même révolution qui se continue dans tout l’universchrétien.

Partout on a vu les divers incidents de la vie des peuplestourner au profit de la démocratie ; tous les hommes l’ontaidée de leurs efforts : ceux qui avaient en vue de concourirà ses succès et ceux qui ne songeaient point à la servir ; ceuxqui ont combattu pour elle, et ceux mêmes qui se sont décla-rés ses ennemis ; tous ont été poussés pêle-mêle dans la mêmevoie, et tous ont travaillé en commun, les uns malgré eux, lesautres à leur insu, aveugles instruments dans les mains deDieu.

Le développement graduel de l’égalité des conditions estdonc un fait providentiel, il en a les principaux caractères :il est universel, il est durable, il échappe chaque jour à lapuissance humaine ; tous les événements, comme tous leshommes, servent à son développement. (DA, I, p. 60) 1

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Dans le contexte des années 1830, l’idée que le progrèsde la démocratie est un fait providentiel sonne d’abordcomme une légitimation au moins partielle des progrèsde l’égalité, qui s’adresse notamment au milieu conserva-teur où Tocqueville compte beaucoup de proches. Lesennemis de la Révolution avaient dénoncé en elle uneinsurrection contre un ordre traditionnel voulu par Dieu,qui pouvait bien avoir été utilisée par la Providencedivine pour punir la France des Lumières, mais qui nepouvait donner naissance à aucun ordre stable. Dire quel’égalité des conditions est un fait providentiel, dont lesorigines sont bien antérieures à la Révolution, c’estreconnaître qu’il serait non seulement vain mais enquelque façon impie de s’opposer à l’avènement de ladémocratie, qui s’inscrit sans doute dans les desseins deDieu. On peut, certes, relativiser la portée proprementreligieuse de cet argument, si l’on se rappelle que Tocque-ville lui-même, si respectueux fût-il de la religion deses pères, semble avoir été personnellement agnostique ;mais on doit reconnaître qu’il exprime bien une convic-tion profonde de l’auteur de la Démocratie en Amérique.Tocqueville, en effet, n’est pas seulement un aristocraterésigné aux progrès de la démocratie : il reconnaît aussique ses principes (l’égalité des droits, la souveraineté dupeuple) ont une certaine vérité alors même qu’ils res-taient méconnus dans les sociétés antérieures, et c’estprécisément cela que montre pour lui leur victoire pro-gressive tout au long de l’histoire moderne. Tocquevillen’est cependant pas un adorateur de l’histoire et du pro-grès, qui considérerait que le succès historique de ladémocratie suffit à légitimer tout ce qui se produit avecelle ; il n’a jamais cessé, au contraire, de considérer l’ado-ration de la nécessité historique comme une idée funestequi, tout en ayant des racines profondes dans le mondedémocratique, a partie liée avec la servitude. L’idée cen-trale de l’Introduction, qui est au fond la véritable « idéemère » du livre, est donc que, si la victoire de la démocra-tie est un fait providentiel auquel il est vain de s’opposer,

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cela ne supprime nullement l’importance de l’actionhumaine et de la réflexion : il ne dépend pas des hommesque la démocratie triomphe, mais il dépend de leur vertuet de leur sagesse qu’elle donne naissance à des institu-tions libres et stables ou, au contraire, à ce « despotismed’un nouveau genre » dont le deuxième volume donnerale plus saisissant des tableaux. La Démocratie en Amé-rique mêle donc savamment plusieurs registres d’analyse ;c’est ce qui explique pourquoi ce livre si limpide est aussiun livre plus difficile qu’il y paraît. On y trouve quelquechose comme une sociologie de la démocratie, qui faitpour ainsi dire de l’égalité un « fait social total » s’expri-mant dans tous les aspects de la vie américaine ; c’est cequi prédomine dans le deuxième volume, mais l’Intro-duction l’annonçait déjà clairement : « J’avoue que dansl’Amérique j’ai vu plus que l’Amérique ; j’y ai cherchéune image de la démocratie elle-même, de ses penchants,de son caractère, de ses préjugés, de ses passions » (DA,I, p. 69). Mais on y trouve aussi une réflexion très aiguësur l’expérience politique américaine, dont Tocquevilletire de multiples arguments pour la France elle-même,d’une manière du reste parfaitement en accord avec saphilosophie : la politique ne peut sans doute rien fairecontre la démocratie, mais elle peut contribuer à corrigerses défauts en prenant appui sur ses traits les plus favo-rables à la liberté ; c’est cette réflexion qui prédominedans le premier volume, dont l’intention explicite étaitd’informer les Français sur la « grande République »démocratique afin de les aider à mieux comprendre lesproblèmes qui se posaient à la France moderne, tellequ’elle était sortie de la grande Révolution.

Les origines de la démocratie américaine

L’Amérique qu’a visitée Tocqueville est celle du Nordet de l’Ouest, qu’il a connue dans les années de ce qu’on

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appelle la « révolution jacksonienne », qui a vu lepouvoir passer des mains des premières classes diri-geantes de Virginie et du Massachusetts dans celles denouvelles couches plus populaires, pendant que l’expan-sion vers l’Ouest modifiait déjà la géographie améri-caine. Au cours de son voyage avec Beaumont,Tocqueville avait eu le sentiment d’une société foncière-ment égalitaire et, surtout, d’une « absence de gouverne-ment 2 » qui, pour lui, constituait à l’évidence lecontraire exact de la France, née du double héritage del’aristocratie et de la monarchie absolue. Il distinguaitalors « deux états sociaux » définis par le rapport entrele gouvernement et la société : « Dans l’un, le peuple estassez éclairé et se trouve dans des circonstances tellesqu’il peut se gouverner lui-même. Alors la société agitsur elle-même. Dans l’autre, un pouvoir extérieur à lasociété agit sur elle et la force de marcher dans une cer-taine voie 3. » L’Amérique lui apparaissait alors commel’antithèse d’une France construite par l’action centrali-satrice de l’État monarchique : une société où le pouvoircentral était faible, sans que cela soit dû à la puissanced’une aristocratie puisque, au contraire, il régnait entreles hommes issus de l’immigration européenne une éga-lité inconnue en Europe. Les chapitres II et III de laDémocratie en Amérique sont consacrés à l’explicationde cette énigme, qui se trouve dans le « point de départ »du peuple américain, et constitue donc la véritable ori-gine de son « état social ». L’Amérique du Nord est eneffet pour Tocqueville le seul pays « civilisé » dont l’ori-gine soit immédiatement lisible, parce que son peuple aété formé par des immigrants qui, quelles que fussentleurs différences et leurs divisions, avaient en communl’essentiel – la langue, l’héritage politique et la religion –et qui se sont installés dans un pays où les nécessités dela colonisation étaient peu favorables à la constitutiond’une aristocratie foncière. Les « Anglo-Américains »héritaient des aspects virtuellement démocratiques de la

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culture politique anglaise (l’autonomie communale, lapratique du self-government local, le jugement par jury,etc.), qui se trouvaient eux-mêmes étroitement intriquésavec la religion puritaine, majoritaire chez les immi-grants de l’Est. C’est ce qui explique un des traits quidistinguent le plus profondément l’Amérique de laFrance : là où, en France, la cause de la liberté politiquesemble opposée à celle de la religion, l’Amérique a réussià combiner l’« esprit de liberté » et l’« esprit de reli-gion ». Tocqueville n’ignore nullement la dureté, l’esprit« sectaire » et même le « fanatisme » que les puritainsaméricains ont amenés d’Angleterre et d’Écosse, et ildonne une peinture sans complaisance de leur législationpénale, qui imposait à tous un code moral et religieuxparticulièrement sévère. Il considère cependant que, enfavorisant l’éducation publique et en confiant aux com-munautés de base la gestion des affaires publiquescourantes, la religion a notablement contribué au déve-loppement de la liberté politique. Aux origines de laliberté américaine, il y a donc, d’un côté, une expériencevécue de l’autonomie et de l’égalité, et, de l’autre, le faitque l’esprit de libre examen s’arrête spontanémentdevant la religion :

[…] les vieilles opinions, qui depuis des siècles dirigeaientle monde, s’évanouissent ; une carrière presque sans bornes,un champ sans horizon se découvrent : l’esprit humain s’yprécipite ; il les parcourt en tous sens ; mais, arrivé auxlimites du monde politique, il s’arrête de lui-même ; il déposeen tremblant l’usage de ses plus redoutables facultés ; ilabjure le doute ; il renonce au besoin d’innover ; il s’abstientmême de soulever le voile du sanctuaire ; il s’incline avec res-pect devant des vérités qu’il admet sans les discuter.

Ainsi, dans le monde moral, tout est classé, coordonné,prévu, décidé à l’avance. Dans le monde politique, tout estagité, contesté, incertain ; dans l’un, obéissance passive, bienque volontaire ; dans l’autre, indépendance, mépris de l’expé-rience et jalousie de toute autorité.

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Loin de se nuire, ces deux tendances, en apparence si oppo-sées, marchent d’accord et semblent se prêter un mutuelappui. (DA, I, p. 103-104)

La démocratie américaine est donc, d’abord, fille dela culture puritaine, mais Tocqueville n’ignore pas qued’autres influences ont joué sur la formation du peupleaméricain, dont certaines n’allaient pas dans le sens dela démocratie. En fait, dès le début de son enquête, ilnote la coexistence, « dans la grande famille anglo-améri-caine » de « deux rejetons principaux qui, jusqu’à pré-sent, ont grandi sans se confondre entièrement, l’un ausud, l’autre au nord » : si la Nouvelle-Angleterre est àl’origine des principaux traits originaux de la civilisationaméricaine, le Sud est l’héritier de la première colonieanglaise, la Virginie, qui a été formée par des colons sansidéaux particuliers et qui a très vite établi l’esclavage, etavec lui tout un système de mœurs et de croyances incom-patibles avec l’esprit démocratique qui devait triompherdans l’Union américaine. Dès le début de son livre,Tocqueville évoque donc la division entre le Nord et leSud, sur laquelle il revient longuement à la fin du pre-mier volume, et il le fait sans aucune complaisance pourl’« aristocratie » du Sud 4 ; par ailleurs, il pose une diffé-rence de principe, dans la politique et dans la sociétéaméricaine, entre « ce qui est d’origine puritaine et d’ori-gine anglaise », pour voir dans la législation civile et cri-minelle anglaise la cause principale de ce qu’il y rested’inégalités aux États-Unis 5. Ce qui a finalement permisà l’Amérique de s’orienter durablement vers l’égalité,c’est le changement des lois sur la succession qui, enfavorisant la division des fortunes à chaque génération,a empêché la constitution durable d’une aristocratie et apermis la constitution d’une société où l’acceptation del’inégalité des richesses et l’amour du gain s’accom-pagnent d’une grande mobilité sociale et d’une homogé-néité culturelle qui ruinent progressivement toutes les

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hiérarchies établies, y compris celles des « lumières » etde l’intelligence.

La liberté politique et ses limites

L’Amérique donne donc le spectacle paradoxal d’unesociété extrêmement civilisée, où la démocratie pousse lepouvoir politique à intervenir dans tous les domaines dela vie et où, cependant, le gouvernement central restebeaucoup plus faible qu’en France. Il n’est plus question,cependant, dans la Démocratie en Amérique, de parlerd’« absence de gouvernement » comme le faisait encoreTocqueville dans ses notes de voyage, et l’essentiel de lapremière partie du premier volume est consacré aux ins-titutions politiques américaines et, singulièrement, à laConstitution fédérale. Sur ces questions, l’inspiration deTocqueville est très nettement favorable à l’orthodoxie« fédéraliste » américaine, à laquelle se rattachent les troisgrands ouvrages sur lesquels il s’est appuyé. Le premier,qui est aujourd’hui encore un classique de la science poli-tique américaine, est Le Fédéraliste, recueil des articlespubliés sous le pseudonyme de Publius par Hamilton,Jay et Madison pendant la campagne qui a précédél’adoption de la Constitution, dont il constitue le premieret peut-être le meilleur commentaire ; les auteurss’attachent à montrer, contre les adversaires du projet de1787, que la future Constitution américaine ne menacepas la liberté des Américains ni même l’autonomie desÉtats, puisqu’elle résout par le système fédéral le pro-blème que la tradition républicaine jugeait insoluble :celui de l’établissement durable du gouvernement répu-blicain dans un grand pays. Les deux autres sont lesouvrages de deux juristes, James Kent et Joseph Story 6,partisans des thèses fédéralistes, c’est-à-dire favorables aurenforcement de l’Union par rapport aux États. De ceslectures, Tocqueville a tiré l’idée que le système fédéralaméricain, qu’il tient plutôt, comme Madison, pour un

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gouvernement mi-fédéral mi-national, voire pour un« gouvernement national incomplet », a trouvé une solu-tion à un problème qu’il a toujours considéré commecapital, celui de la combinaison entre la centralisationpolitique nécessaire à l’existence durable d’une nation etla décentralisation administrative que requiert la vitalitépolitique d’une démocratie vivante. Tocqueville est doncfondamentalement un fédéraliste, d’ailleurs inquietdevant les risques d’une désagrégation de l’Union améri-caine du fait des revendications des États et, surtout, del’opposition grandissante entre le Nord et le Sud ; maisil est également très impressionné par la vitalité de ladémocratie américaine au niveau élémentaire des Étatset même des comtés et des communes, dont la large auto-nomie habitue les citoyens à la liberté politique, enmême temps que la participation à la vie de l’Union élar-git leur horizon. L’Amérique est pour lui une répu-blique moderne qui favorise un développement indéfinide l’industrie humaine et qui s’appuie sur des vertusmodestes venues de la sphère privée plus que de l’héroïsmecivique. Son analyse montre que le régime américain pré-sente toutes les conditions institutionnelles d’une synthèseréussie entre le principe démocratique de la souverainetédu peuple et l’exigence libérale de limitation du pouvoir.Les principaux titulaires des charges publiques sont élusmais leur pouvoir est limité, le pouvoir exécutif a unesphère d’action bien définie qui interdit la dominationsans partage du législatif et le juge joue dans la démocra-tie américaine un rôle majeur en contrôlant la constitu-tionnalité des lois sans pour autant pouvoir usurper lasouveraineté populaire 7. Il n’en reste pas moins que,dans la deuxième partie, Tocqueville va montrer que cesinstitutions, si elles peuvent tempérer leurs effets, nesuffisent pas à conjurer les menaces qui pèsent sur laliberté des Américains et sur la survie de leur république.

La première de ces menaces – « le plus grand dangerdes républiques américaines » (DA, I, p. 358) est l’omni-potence, voire la « tyrannie », de la majorité, qui naît de

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l’intérieur de la démocratie. Tocqueville s’inscrit ici enfaux contre une critique traditionnelle de la démocratie,qui insistait sur la « faiblesse » du pouvoir dans le gou-vernement démocratique. Pour lui, le danger le plusgrand vient au contraire de la « force irrésistible » de cegouvernement dans lequel toutes les autorités émanentde la société et sont donc en fait soumises à la majorité :le pouvoir de la société sur elle-même n’a plus pour effetl’« absence de gouvernement » mais un renforcement dupouvoir. L’omnipotence de la majorité a certes pour effetd’augmenter l’instabilité législative et administrative (DA,I, p. 346-348), mais « il ne faut pas confondre la stabilitéavec la force, la stabilité avec la durée » (DA, I, p. 359) ;pour finir, c’est bien d’un excès de puissance du pouvoirsocial que souffre la démocratie américaine. La domina-tion de la majorité se traduit ainsi par un despotisme detype nouveau, dans lequel le pouvoir est d’autant pluspuissant qu’il n’est plus situé dans un individu ou dansun groupe social : elle « immatérialise » le despotisme, etelle met « l’esprit de cour à la portée du plus grandnombre » en multipliant les flatteurs. Ses effets les plusimpressionnants portent sur la vie de l’esprit et sur lapensée car l’opinion, plutôt que de réprimer les penséesdissidentes, les rend pour ainsi dire inconcevables, et c’estpour cela qu’il n’est pas de pays « où il règne, en général,moins d’indépendance d’esprit et de véritable libertéd’opinion qu’en Amérique » (DA, I, p. 353). À ce danger,il y a certes des remèdes constitutionnels et politiques,qui ne viennent pas d’un principe extérieur à la démocra-tie : ce sont, d’une part, les dispositifs de la Constitutionqui répartissent les pouvoirs de manière judicieuse sansrecourir à la « chimère 8 » du gouvernement mixte, et del’autre, toutes les institutions sociales et politiques quifavorisent l’éducation démocratique et le débat public (laliberté de la presse, le gouvernement local, les associa-tions) et qui jouent dans la démocratie un rôle analogueà celui des « corps intermédiaires » dans l’anciennesociété. Mais ces remèdes voient leur portée limitée par

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N° d’édition : L.01EHPN000170.N001Dépôt légal : mars 2010

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