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  • Extrait de la publication

  • - Flammarion - Le jour où je n’ai pas pu aller... - 145 x 220 - 24/7/2013 - 16 : 45 - page 3

    Le jour où je n’ai pas pualler au collège

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    Du même auteur

    ANNE-MARIE ROCCO

    Génération vendeurs, Interéditions, 1988.L’Incroyable histoire de Georges Soros, milliardaire, spécu-lateur et mécène, éditions Assouline, 1999.Serge Dassault, armes, presse, politique, Flammarion, 2006.

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    Anne-Marie RoccoJustine Touchard

    Le jour où je n’ai pas pualler au collège

    Flammarion

    Extrait de la publication

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    © Flammarion, 2013ISBN : 978-2-081-32340-7

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    À Jean-Paul et Simon

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    Prologue

    Je m’appelle Justine, et j’avais 15 ans quand çam’est arrivé. Un jour, je n’ai pas pu aller en classe.Bien sûr, ce n’est pas une idée que j’ai eue comme ça,un matin en me levant, mais une suite d’événementsqui a abouti à ce point de non-retour. Depuis plusieursannées, petit à petit, les choses s’étaient détériorées.Le matin, je n’éprouvais plus le goût d’aller en cours,car je me sentais mal à l’aise face aux professeurs aussibien qu’au milieu des élèves. J’avais l’impression dene pas être à ma place, je manquais de confiance. Jen’avais pas, non plus, des objectifs très précis enmatière d’études, j’ignorais quoi faire de ma vie, cequi n’aidait pas à trouver de la motivation. Mais parhabitude, parce que c’est ce qu’on attendait de moi,parce que je ne suis pas une jeune fille particulièrementrebelle, je continuais.

    Qu’est-il arrivé de spécial cette année-là ? C’était ledébut de la 3e et je ne sais trop pourquoi, mes défensesont lâché. Cette rentrée a été difficile à vivre, elle étaitcelle de trop. Je voyais cette dernière année de collège,

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    puis le lycée, comme la prolongation de tout ce que jevenais de traverser, comme quelque chose d’assezabsurde et de terriblement pesant. Pourquoi continuerà porter ce fardeau inutile ? La préparation de monavenir, à l’époque, me paraissait abstraite, et le bac-calauréat, sûrement la dernière de mes préoccupations.Je me sentais trop oppressée pour pouvoir continuer,j’avais l’impression d’étouffer, l’effort devenaitchaque matin plus pénible. Et un jour, ça a bel et biencassé. Je me suis installée dans une sorte de bulle. Pourne plus avoir à souffrir, pour exprimer le mal-être queje n’arrivais pas à traduire avec des mots. J’ai cesséd’aller en classe.

    Me mettre devant mon ordinateur et repenser à cettepériode n’a pas été chose facile. Je m’étais astreinte àl’effacer au maximum de ma mémoire – ce qui n’em-pêchait pas quelques mauvais souvenirs de revenirhanter régulièrement mes pensées. Ayant déjà ten-dance à me polluer la tête de problèmes pour la plupartinutiles, je m’étais efforcée de faire cette gymnastiquedans le but de continuer au mieux ma route. Sachantmaintenant que je ne suis pas la seule à avoir connuce genre d’accident de parcours, j’ai fait l’effort deplonger dans ce passé douloureux, car il semble quemon histoire puisse être utile à d’autres adolescents.

    *

    Je m’appelle Anne-Marie et je suis la mère de Jus-tine. Le jour où notre fille a arrêté d’aller en classe,cela nous est tombé dessus comme une tuile qui se

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    détache d’un toit et nous assomme : nous sommesrestés groggy, incapables de réagir, et sans personnepour nous porter secours. Nous avons mis un momentavant de réaliser ce qui nous arrivait. Ce n’était peut-être pas la fin du monde, mais c’était tout de mêmenotre petit monde à nous, celui dans lequel nous noussentions bien, qui s’écroulait du jour au lendemain. Unmonde articulé autour de l’école, de la vie familiale etdu travail, rythmé par des vacances et des rentrées, desachats de nouveaux cahiers et de fournitures, desweek-ends et des devoirs, des leçons à apprendre, descontrôles, des conseils de classe, des rendez-vousparents-professeurs… Des petits bonheurs et des groschagrins, des récompenses, des punitions et des parolesde consolation. La vie, quoi. Celle que nous avionsmenée nous-mêmes dans notre jeunesse sans crise nidifficulté, et qui paraissait si simple, si limpide, siévidente. Si naturelle en somme. Mais voilà que sou-dain, tout basculait. Emporté par un tsunami que nousn’avions pas vu venir : notre fille ne voulait plus alleren classe. Ou, pour être plus juste, elle ne pouvait plusy aller. Mais de cette nuance, nous n’avions pas encorepris conscience, étant encore sous le choc.

    Imaginez une lumineuse journée de début d’au-tomne. À peine plus d’un mois s’est écoulé depuis larentrée scolaire de 2007. Le premier bulletin trimes-triel n’a pas encore inoculé le doute dans les espritsdes parents et des élèves, avec ses commentaires dustyle « devrait être plus actif », « doit se ressaisir audeuxième trimestre », ou « élève qui manque deconcentration ». Nous sommes donc début octobre,

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    l’année scolaire n’a certes pas très bien commencé, lesnotes de Justine sont loin d’être extraordinaires, mais,après tout, ce n’est que le début de sa classe de 3e, etnous pensons que rien n’est joué. Justine n’est du restepas la seule à obtenir des résultats médiocres. Nousespérons qu’avec de la bonne volonté et de la persé-vérance, tout s’arrangera et que notre fille terminerasa dernière année de collège comme beaucoup d’ado-lescents : peut-être un peu ric-rac, mais munie du feuvert du conseil de classe pour passer dans la classesupérieure. Le jeu en vaut la chandelle. Dans un an,c’est le lycée, avec en ligne de mire, le baccalauréat !Seulement, voilà, un jour d’octobre, notre optimismeà toute épreuve tombe à l’eau. Justine ne retournerapas en classe, impossible de lui faire changer d’idée.Qui aurait pu imaginer une chose pareille ?

    Cet événement inexplicable déclenche en nous, sesparents, des sentiments à la fois violents et contradic-toires, que nous n’osons extérioriser. Quelque chosequi se situe entre la colère et la culpabilité. Et pourmoi, la maman, c’est tout simplement l’inimaginablequi vient de se produire. Moi qui vénère l’école, quiai collectionné les diplômes pour être sûre de ne jamaisme retrouver dans la situation de dépendance de mamère, femme au foyer, contrainte d’écrire sur tous sespapiers officiels cette mention que je trouvais humi-liante : « sans profession ». Une situation que j’avaisrefusée pour moi-même, et aussi, bien entendu, pourma fille. Dans ma tête, c’est donc la valse des inter-rogations, et un profond sentiment d’échec personnel.Et quand je me retrouve seule, jaillissent des flots de

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    larmes que je n’arrive pas à stopper. Que faire ? Avecson père, nous avons beau tenir des conciliabules lesoir dans la cuisine en préparant le dîner, aucune solu-tion concrète n’arrive à en sortir.

    Pour notre fille et pour nous, un long chemincommence. Un chemin sur lequel on ne trouve quepeu de mains secourables, peu de conseils utiles, peud’aides concrètes et pratiques, et une impuissancetotale du système scolaire à apporter des réponses. Ellene va plus en classe ? Alors ce n’est plus notre pro-blème. Vous êtes les parents, débrouillez-vous. Àcroire que l’institution scolaire n’aurait pas la moindreresponsabilité dans cette situation ! Et pourtant,comme ce refus scolaire de ma fille occupe mespensées en permanence, j’en parle autour de moi etdécouvre assez vite que nous sommes loin d’être lesseuls à devoir faire face à ce type de situation. À magrande surprise, certaines personnes auxquelles je meconfie pour soulager ma peine m’avouent avoir étéconfrontées aux mêmes difficultés avec l’un de leursenfants, ou qu’un membre de leur entourage prochel’a été. Je me sens alors un peu moins seule. J’écouteleurs témoignages avec une grande attention. Dans unpetit carnet, je note des noms d’établissements, de psy-chologues, de spécialistes en tous genres… De fil enaiguille, j’apprends que des médecins ont mis un nomaux symptômes dont souffre mon ado : la phobie sco-laire ! Il existe même quelques consultations spécia-lisées en milieu hospitalier… Cela peut-il signifierqu’il y aurait en France une « épidémie » ? Stupéfaite,

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    je vais de découverte en découverte dans cet universqui constitue la face cachée de notre système scolaire.

    Nous voilà donc, au bout de quelques mois, un peumoins esseulés qu’au premier jour, mais pas plusavancés pour autant. Car d’un point de vue pratique,nous avons bien fini par nous en rendre compte : lesautres « galèrent » autant que nous. S’il existe, ici oulà, des solutions adaptées, permettant à ces enfants ouadolescents désorientés d’avancer un peu malgré leursdifficultés, il faut aller les débusquer. Non seulementces solutions ne sont pas nombreuses, mais l’informa-tion est difficile à obtenir. Il revient donc à chacun detrouver sa propre voie, un peu comme à l’escalade, surune paroi abrupte. Dénicher les prises, s’y accrocher,souffler un peu. Puis reprendre l’ascension lentement,sans faire de mouvement trop brusque pour ne pasdécrocher au moment où l’on croyait arriver tout enhaut.

    Il a fallu faire preuve d’imagination et de ténacité.Mais ces efforts ont fini par payer. En juillet 2011,Justine a conquis son premier grand sommet : elle aobtenu son bac ! Cette victoire sans prix est le résultatd’une aventure commune dans laquelle nous noussommes investies pleinement, elle et moi, avec le sou-tien bienveillant d’un père toujours attentif, et sous leregard aiguisé de son frère aîné, prompt à nous rappelerque l’école, le savoir, les diplômes, ne sont pas tout.Rappel salutaire… Pendant tout ce temps, il a falluréinventer notre quotidien, organiser l’école à la maison,éviter que Justine ne se coupe de toute vie sociale,expliquer aux amis et à la famille ce qui se passait – et

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    ce n’était sûrement pas le plus simple. Au bout de deuxans, elle s’est laissé convaincre de reprendre le chemindu lycée, malgré ses angoisses, toujours présentes. Elles’est montrée courageuse et persévérante, car cela n’apas été facile tous les jours. Et elle y est arrivée.

    *

    C’est le récit de ce combat, long et épuisant maisfinalement victorieux, que nous avons entrepris defaire dans ce livre. Un récit à deux voix, mère et filleunies pour refuser la fatalité de l’échec. Sans doutes’agissait-il pour nous de chasser définitivement devieux démons qui ne se laissent pas facilement abattre.Mais pas seulement. Nous voulions aussi expliquer àtous les parents et adolescents affrontant cette épreuvequ’elle peut être surmontée, à condition de rompre leurisolement, et de ne pas avoir honte d’une situation quine relève en rien de la « juste punition » d’un mauvaiscomportement. Comme nous l’avons découvertchemin faisant, la phobie scolaire est une expressionque la médecine a mise sur une réalité à laquelle elledevait faire face de plus en plus fréquemment. Maisil s’agit d’une réalité dont l’Éducation nationale,confrontée à tant d’autres difficultés, ne veut pasentendre parler. Voilà la troisième finalité de ce livre :mettre fin à une omerta qui n’a que trop duré, sur unsujet qui mériterait un débat public.

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    Chapitre 1

    Quand l’école fait malAnne-Marie

    Dans le vaste gymnase transformé en salle de réu-nion, les tapis de sol ont été roulés sur le côté, et desrangées de chaises de classe alignées sur le revêtementsynthétique vert balisé de lignes blanches. Devant lemur du fond, sous les paniers de basket-ball, ont étéplacés deux bureaux, autour desquels sont déjà assisles intervenants. Par ses dimensions et sa disposition,l’installation a quelque chose d’impressionnant,comme si nous allions assister à une grand-messe. Etc’est bien de cela qu’il s’agit. Ce 24 septembre 2007,le principal du collège de la région parisienne danslequel est scolarisée Justine organise la première réu-nion de parents d’élèves de 3e, et au seul son de savoix, on peut deviner que les absents ont encore plustort que d’habitude. « Il n’y aura pas de passage dejustesse en classe de 2de », avertit d’emblée le bravehomme à la barbe poivre et sel, qui tient à alerter lesparents sur le caractère décisif de l’année scolaire quicommence. Il veut manifestement leur mettre la pres-sion dès cette première réunion, comme il l’a fait à la

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    rentrée pour leurs enfants. Le moment est grave, expli-quent tour à tour le principal, les professeurs et leconseiller principal d’éducation (CPE) : il y a le breveten vue à la fin de l’année, et comme pour les lycéensqui s’apprêtent à passer le baccalauréat, des « brevetsblancs » seront organisés plusieurs fois au fil des mois.Une façon d’expliquer aux parents que, dorénavant,leurs rejetons auront droit au même traitement queleurs aînés. Cette fois, l’enfance est bien finie…

    Mais le principal sujet de la réunion, c’est bien sûrla perspective de l’entrée au lycée. Car le type d’éta-blissement vers lequel l’élève sera orienté déterminerases possibilités d’études après le bac. Filière généraleet technologique, ou filière professionnelle ? Labouche en cœur, les enseignants expliquent qu’« entreren 2de professionnelle n’est pas une voie de garage »,la preuve étant qu’il y a « plus de demandes que deplaces ». Mais tout le monde a bien compris lecontraire, et moi la première. J’ai de bonnes raisonspour cela : Justine, ma fille, ne manifeste aucune voca-tion pour la mécanique, l’hôtellerie ou le secrétariat,et je ne tiens pas à ce qu’on lui fasse faire d’office unchoix qu’elle risque de regretter. Pour l’instant, ellen’a pas la moindre idée du métier qu’elle veut faireplus tard, et je ne crois pas avoir remarqué qu’autourd’elle ses camarades aient des projets tellement plusprécis. Seulement, l’année dernière, le conseil declasse a été formel, et a inscrit son verdict en bas dudernier bulletin de 4e : « avis favorable de passage en3e en vue d’une orientation en filière professionnelle ».J’en suis tombée des nues.

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    Personne n’avait jugé utile de nous avertir de cettedécision, pourtant lourde de conséquences pourl’avenir de Justine, de nous l’expliquer, de nous parlerdes choix qui ainsi s’ouvraient – ni de ceux qui sefermaient. La décision couperet est donc arrivée ano-nymement par la poste, à la fin juin. Au début, je n’aipas compris que cette mention resterait inscrite au ferrouge sur le dossier de Justine jusqu’au terme de sascolarité. Quant à elle, je ne suis pas sûre qu’elle y aitprêté particulièrement attention, ou qu’elle en aitmesuré la portée exacte. Car une orientation profes-sionnelle pour une adolescente de 15 ans qui ne mani-feste pas d’intérêt pour une vocation particulière, maisdont les résultats sont probablement jugés insuffisants,c’est bien une sanction et une voie de garage. Affirmerle contraire s’avère d’une hypocrisie sans borne. C’estcependant le discours qu’on nous sert.

    Pendant cette réunion, tous les propos que j’entendsme semblent terriblement éloignés de ce qui pourraitéventuellement concerner ma fille. Laquelle ne meparaît pourtant pas être une martienne, si je la compareà ses camarades. À ceci près que là où d’autres parlentavec aplomb, y compris lorsqu’ils se trompent, ellen’ose pas s’exprimer, craignant de se ridiculiser enproférant une bêtise. Les élèves doivent faire preuvede « maturité », explique gravement le CPE, « acquérirl’autonomie de leur propre travail » et « démarrer uneréflexion sur leur projet personnel ». Et les parents semontrer vigilants sur le travail de leurs enfants, ajou-tent les enseignants : une heure à une heure et demiepar jour, quatre heures le week-end. Un minimum,

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    insistent-ils. Il leur faut aussi veiller à ce que l’ordi-nateur de leur ado soit éteint quand ils travaillent. Neparlons même pas de la télévision, évidemment àbannir dans une vie idéale où l’existence de l’adoles-cent doit être tournée vers sa réussite scolaire, aurisque qu’il envoie un jour tout balader. Tout va allertrès vite, alertent les professeurs : « Dès la mi-janvier,50 % des cours de l’année sont faits. »

    À la fin de la réunion, l’ambiance est donc un peulourde, l’inquiétude se lit même sur certains visages.Sur le mien aussi. Pourquoi cette mise en scène, des-tinée à susciter l’inquiétude plus qu’à motiver ? On secroirait presque à Guignol, où revient régulièrement lapeur des coups de bâton du gendarme. Sauf que là,personne n’a envie de rire. Je repars, guère rassurée,et en me posant mille questions.

    *

    Dès le début de cette année scolaire délicate, nousavons pourtant pris l’initiative d’installer un filet desécurité autour de notre benjamine, sous le regardétonné et un brin critique de son frère aîné, Simon, quia six ans de plus et poursuit des études d’arts appliqués.Vu les résultats très moyens de Justine, ses rapportsdifficiles avec l’école et son manque d’organisation– elle est vite débordée, ne sait pas par où commencer,se noie dans les détails –, nous nous sommes décidésà mettre en place un soutien scolaire. C’est la premièrefois que nous entamons une telle démarche, mais jevois qu’autour de moi la question ne se pose même

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    pas : un enfant qui traîne en maths ou en anglais, etc’est aussitôt le régime des cours particuliers. Je nesuis pas vraiment adepte de ce système, qui tend àfaire de nos chères têtes blondes des petits chienssavants, et sais que ce secteur est devenu un véritablebusiness, dans lequel l’intérêt financier prime souventsur celui des enfants.

    Ce business sait parfaitement bien identifier sescibles, et pratique un marketing forcené : publicité à laradio dès la fin du printemps (pour suggérer l’inscrip-tion à des stages permettant de bien préparer la rentréependant les vacances), campagne d’affichage auxmoments les plus cruciaux de l’année scolaire (c’est-à-dire quand arrivent les premiers bulletins trimes-triels), mailing personnalisé à domicile ou sur Internet.Avant même que nous ayons commencé à chercherquelqu’un pour aider Justine, de nombreuses sollici-tations étaient arrivées dans notre boîte aux lettres. Aca-domia, Complétude ou Profadom nous avaient déjàinscrits dans leur cœur de cible et nous inondaient depropositions d’une variété étonnante : soutien scolairetout au long de l’année, stages intensifs de prérentrée,ou encore vacances studieuses au bord d’un lac aveccours de tennis ou d’équitation ! Le tout à des prixparfaitement délirants, cela va de soi.

    Pour ma part, je tente plutôt de privilégier une solu-tion de proximité, j’épluche les petites annonces chezle boulanger et dans le magazine municipal, et j’inter-roge notre entourage dans l’espoir de trouver un étu-diant sympa, dégourdi et dynamique pour aider Justineà trouver les clés de l’entrée au lycée. En vain. Une

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    amie m’indique finalement un site Internet sur lequeldes étudiants et des professeurs en quête d’un complé-ment d’activité postent leurs annonces, directement etsans passer par les professionnels du soutien scolaire,qui me font tellement horreur. L’une de ces annoncesnous plaît, nous prenons donc contact.

    Un dimanche de septembre, débarque chez nous undiplômé de psychologie qui prépare son doctorat, etassure avoir déjà sorti de l’ornière des élèves en dif-ficulté en leur fournissant la méthodologie nécessairepour faire des progrès. Il s’appelle Bahman, porte degrosses lunettes et arbore une improbable tenue dedandy, mais il parle avec douceur et semble doté d’unegrande patience. Surtout, il a de l’expérience enmatière de soutien scolaire et s’intéresse, dans le cadrede ses études déjà très avancées, aux processus d’ap-prentissage de la connaissance chez les enfants et lesadolescents. Bref, il a tout de la perle rare. Nousignorons encore à quel point sa présence et son rôleauprès de Justine vont s’avérer décisifs dans les moisà venir, car nous n’imaginons pas l’aventure danslaquelle nous sommes sur le point de nous embarquer.Et lui encore moins !

    *

    Pour Justine, c’est peu de dire que cette année n’apas bien commencé. À 15 ans, mon ado est mal danssa peau, et ce n’est pas qu’une question d’acné ou dedents imparfaitement alignées, qu’un orthodontiste ad’ailleurs pour mission de remettre en place. Non, c’est

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    vraiment avec le collège qu’elle a un problème. Ouavec ses camarades collégiens ? Nous n’en sommespas encore à nous poser ce genre de question. Le matin,en semaine, elle traîne au lit, affirme qu’elle n’a pasfermé l’œil de la nuit, et sa mine blafarde m’incite àpenser que ce ne sont pas des histoires inventées poursécher. Souvent, elle a les yeux rougis en partant aucollège, car elle a pleuré, ou est sur le point d’éclateren larmes. Régulièrement, je reçois au travail desappels de l’établissement qu’elle fréquente m’indi-quant qu’elle est malade et qu’il faut venir la chercher.

    J’avoue que ces coups de fil répétés commencentpar m’irriter, car ils tombent toujours au plus mauvaismoment. Parfois, je me demande même si Justine nele fait pas exprès. À plusieurs reprises, le malaise enquestion a eu lieu… juste avant un contrôle. Troublant.Mais mon interlocutrice habituelle, dont je reconnaisdésormais la voix, m’annonce que Justine a mal auventre. Qu’elle a vomi. Qu’elle a de la fièvre. Cela n’adonc pas l’air d’être une comédie. À la maison, elle-même n’est plus la gamine heureuse et spontanée quetoute la famille affectionne. Elle s’enferme dans sachambre, parle peu, vit comme une fatalité desrésultats bien trop moyens pour un début d’année.Bref, elle déprime.

    *

    Un certain médecin, psychiatre de son état, exerce àproximité de chez nous et jouit d’une réputation plutôtflatteuse. Sur le conseil de notre médecin de famille,

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    nous prenons rendez-vous avec lui, pour tenter d’iden-tifier le mal dont souffre notre fille, et surtout trouverdes remèdes avant qu’il ne soit trop tard. C’est ce quesont censés faire tous les parents ayant des soucis avecle comportement de leur enfant, non ? Or, s’il y a bienune chose dont nous nous préoccupons, avec Jean-Paul– mon mari, le père de Simon et de Justine –, c’est dene jamais être des parents négligents, malgré le peu detemps que nous laissent nos professions respectives. Unrendez-vous chez le médecin ? L’un ou l’autre trouveratoujours le moyen de s’y rendre.

    Dans la salle d’attente, il y a un aquarium, des bandesdessinées et des enfants à l’air parfaitement sage, donton se demande un peu ce qu’ils font là. Lunettes sur lenez, silhouette élégante, le psychiatre me fait penser,je ne sais pas pourquoi, à Valéry Giscard d’Estaing. Oupeut-être à l’un de ses fils, celui qui dirige le Club Med.Son air parfaitement décontracté et sûr de lui dans sonbeau pull en cashmere, peut-être…

    Pour le premier rendez-vous, M. Cashmere veut voirla fille et la mère ensemble, avant d’avoir d’autresentretiens en tête à tête avec Justine. D’emblée, il nousparle comme à deux gamines, sur le ton exaspérant decelui qui représente le savoir et l’autorité, et adopte unregistre badin qui ne me paraît pas du tout corres-pondre à la situation. Moi qui ai comme une boulecoincée dans la gorge, et une fille qui pleure quandelle doit aller en classe, j’en suis assez mortifiée. Jeregarde Justine en coin, et quelque chose me dit qu’elleaussi aimerait être prise un peu plus au sérieux. Maispeut-être s’agit-il seulement d’une impression. Et sans

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    doute notre psychiatre de choc cherche-t-il à désa-morcer la tension qui nous tenaille.

    Eh bien, c’est plutôt raté. Ses grands airs ne meplaisent pas du tout. D’ailleurs, ce médecin disparaîtrade nos vies au bout de trois séances, quand il nousaura révélé la véritable source de tous les maux deJustine : nous avons eu la mauvaise idée de repeindreles murs de sa chambre pendant les vacances, sans laprévenir (eh oui, c’était pour lui faire une surprise,c’est tout). Ce qui l’a donc traumatisée ! CQFD. Pasla peine de remplir l’ordre de votre chèque, ma secré-taire mettra un cachet. Une telle combinaisond’aplomb et d’incompétence me stupéfie toujours.

    *

    Pour sortir Justine de sa léthargie, j’ai ma petite idée.L’école, aussi importante soit-elle, ne doit pas être sonunique centre d’intérêt. Je veux la sortir, lui faire voirde belles choses, étoffer sa culture sans que cela setransforme en cours magistral… Quand on habiteParis, on n’a que l’embarras du choix. Or, Justineadore la danse, qu’elle pratique depuis sa plus petiteenfance. Je tombe sur un article annonçant que leCentre national de la danse (CND) participe pour lapremière fois aux Journées du patrimoine, qui se tien-nent chaque année en septembre. Une bonne occasionde se faire plaisir, en pensant à autre chose qu’àl’école. L’événement se déroule un samedi, Porte dePantin, où nous découvrons ce magnifique bâtimentde béton brut construit sur les bords du canal de

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    l’Ourcq, ainsi que la vie des jeunes danseurs qui vien-nent s’y entraîner et préparer leurs spectacles.Tombées sous le charme des lieux, nous apprenonsaussi l’existence des « danses partagées » : deux joursdurant, à chaque rentrée, les plus grands noms de cettediscipline donnent des leçons à des amateurs, ycompris débutants. C’est exactement ce qu’il faut àJustine ! Elle est emballée.

    Quinze jours plus tard, nous voilà de retour au CND,dont nous deviendrons au fil du temps des habituées.L’affiche est incroyable. Le samedi, Justine participe,entre autres, à une leçon-conférence de Jean-ClaudeGallotta, l’un des plus grands chorégraphes françaisvivants, dont elle ressort avec des petites étoiles dansles yeux. Le lendemain, en fin de journée, elle prendun cours de hip-hop avec Gabin Nuissier, un desartistes les plus renommés dans ce style de danseurbaine. Nous sommes le dimanche soir, j’arrive à lafin du cours, jette un coup d’œil par la vitre du studio.Au milieu d’une cinquantaine d’autres danseurs, ellesuit la cadence, sur une musique d’une énergieincroyable. C’est la chorégraphie que le groupe a tra-vaillée pendant deux heures. Ils sont tous au point, mafille aussi. Elle semble rayonnante, presque conqué-rante. Pendant quelques secondes, je me sens vraimentheureuse et fière en la regardant.

    Le cours s’achève, les danseurs du dimanche quit-tent à regret le studio. Justine me sourit. Je lui demandesi elle a aimé ce cours. Elle s’écroule dans mes brasen pleurant à chaudes larmes. Pas gagné.

    Le jour où je n’ai pas pu aller au collège

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    Chapitre 2

    Les mots pour le direJustine

    J’ai eu beau faire de mon mieux pour oublier lesmauvais moments endurés pendant mon adolescence,il y en a un que je n’ai jamais pu chasser de mamémoire : ma rentrée en 3e, en septembre 2007. Enentamant cette nouvelle et dernière année au collège,je n’éprouvais pas la moindre joie. Je me sentais àl’étroit, j’avais l’impression de ne plus être à ma place.En franchissant la porte de l’établissement, me gagnaitmême un malaise profond, car je me savais condamnéeà rester isolée, en classe comme dans la cour. Il fautsavoir que l’année précédente, ma 4e avait été chao-tique et mouvementée. Durant cette année, j’avaisessayé d’attirer l’attention des autres sur moi, carj’avais l’impression d’être transparente à leurs yeux,et cela me faisait souffrir. Au collège, il existe unehiérarchie au sommet de laquelle se trouvent ceux quiont bonne « réputation », et que l’on qualifie de« populaires », parce qu’ils sont cool, à la mode etsuscitent l’admiration des autres. Je rêvais de leur res-sembler, mais c’était loin d’être le cas : moi, on ne me

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    voyait pas. J’ai donc cherché à prouver, d’une manièreassez maladroite, que je valais la peine qu’on fasseattention à moi et que moi aussi je pouvais être quel-qu’un de « spécial ». Seulement, mes tentatives n’ontfait qu’entraîner une succession de catastrophes. Cen’était pourtant pas bien méchant et mes camaradesauraient pu prendre le parti d’en rire. Mais à 15 ans,on n’est pas très charitable.

    *

    Depuis un certain nombre d’années je pratiquais ladanse, aussi je me disais que c’était peut-être ce quime rendait spéciale aux yeux des autres. Alors plu-sieurs fois dans la cour de récréation, j’ai voulu montrermes capacités. Au début, j’aimais bien l’attroupementqui se formait autour de moi. Je pensais : « Voilà, j’at-tire enfin l’attention » et j’écoutais d’une oreille dis-traite mes deux meilleures amies qui murmuraient :« Arrête de danser, au cas où tu ne le vois pas, tout lemonde se moque de toi. » C’est vrai qu’à un moment,j’avais commencé à me poser quelques questions surla nature de l’intérêt des autres élèves envers mondomaine de prédilection. Mais ce petit doute ne m’avaitpas empêchée de continuer un peu plus à m’enfoncersans m’en apercevoir.

    *

    L’autre événement marquant, dans mes tentativesmalhabiles pour sortir du lot, est survenu le jour de

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  • - Flammarion - Le jour où je n’ai pas pu aller... - 145 x 220 - 24/7/2013 - 16 : 45 - page 29

    mes 15 ans. Je croyais avoir bien organisé l’affaire,vingt personnes étaient invitées. Seulement voilà, lebruit a couru en cour de récré que je faisais une fête,donc au fur et à mesure de la semaine précédant cetanniversaire, les élèves se sont présentés à moi un àun ou en groupe afin de me demander d’être invités.À chaque fois, je disais oui sans vraiment compter àcombien de personnes j’avais dit de venir, car jepensais que ça me donnerait l’air cool si j’acceptaistout le monde. Toujours ce besoin de faire quelquechose qui me rendrait « populaire ».

    Le jour J, quand mon père est venu me chercher aucollège, je ne m’attendais pas du tout à ce qu’il allaitme dire. Une fois dans sa voiture, il m’a annoncé quela conseillère principale d’éducation (CPE) l’avaitappelé pour le prévenir que j’avais invité beaucouptrop de monde. Il avait donc décidé de réduire la duréede la fête de 19 heures à 22 heures, au lieu de minuit.

    Arrivés à la maison, nous avons préparé le salon. Audébut, tout s’est plutôt bien déroulé. Mais assez vite,la pièce s’est remplie, on était serré comme dessardines et il commençait à ne plus y avoir de pizzasni de boissons. Et je ne sais plus si ce sont mes parentsou mes amies qui, depuis le balcon, m’ont montré lafoule qui arrivait en bas de l’immeuble. On aurait ditune queue devant une boîte de nuit un samedi soir ! Etje n’avais même pas eu besoin de Facebook pour ça…

    Heureusement, mon grand frère et l’un de ses amisétaient là. Ils sont descendus pour contenir le nombre.Quant à mon père, il a réussi à éviter le drame avecune voisine qui se plaignait du bruit et qui allait appeler

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    la police. Toute cette folie s’est un peu calmée vers21 heures. Seules quelques personnes que j’appréciaissont restées jusqu’à la fin. Cependant, quand noussommes allées nous coucher, avec deux amies dormantà la maison, ma mère nous a montré que plusieurs« invités » se tenaient sur la pelouse du jardin situéentre les différents bâtiments de notre immeuble pourcontinuer la soirée. Elle était drôlement contrariée.

    Après cet événement, quelques élèves du collègen’ont pas arrêté de me charrier et je me suis retrouvéede plus en plus seule. Même mes amis m’ont laisséetomber, ayant peur pour leur « réputation ». Un fiasco.

    *

    C’est dans ce tourbillon de petites mésaventures quej’ai commencé à moins manger, surtout le midi à lacantine où, le plus souvent, je déjeunais seule à unetable. Ce repas était à la fois un instant de répit dansmon calvaire et un moment pénible, car on n’avait pasbeaucoup de temps et je n’arrêtais pas de penser àl’après-midi qui restait avant de pouvoir enfin rentrerà la maison. Je me souviens que lors d’une visite chezle médecin, il avait noté que j’avais perdu plusieurskilos et s’en était inquiété. Mon mode de survie à cemoment-là, c’était de fonctionner heure par heure. Uncours passait et je me disais : « Allez, plus qu’une heureavant la récréation », puis la même chose avec l’heuredu déjeuner et celle de la fin des cours. Pour couronnerle tout, j’étais éperdument amoureuse du plus beaugarçon du collège depuis la 6e. Malheureusement, cette

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    Le jour où je n’ai pas pu aller au collège

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  • - Flammarion - Le jour où je n’ai pas pu aller... - 145 x 220 - 24/7/2013 - 16 : 45 - page 31

    année-là, il l’a appris par je ne sais qui – sûrement unebonne camarade ! – et il m’a fixé des rendez-vous pen-dant lesquels, avec deux de ses copains, il s’est amuséà me ridiculiser. Voilà comment s’était déroulée monannée de 4e.

    *

    C’est pourquoi, à cette rentrée en 3e, j’allais àreculons. Comme chaque année, j’ai malgré toutcommencé le mois de septembre par les achats defournitures et tout ce qui va avec. Mais ma situationau collège n’avait pas changé. Mes amis me laissaientaffronter seule les regards des élèves qui savaient ceque j’avais fait l’année précédente, gardant une imagede moi peu avantageuse. J’étais donc assez solitaire,mais on me fichait à peu près la paix. À la cantine, jene mangeais pas plus que l’année précédente. Enclasse, j’avais pris l’habitude de me cacher du mieuxque je pouvais. Je me mettais soit au milieu, derrièrequelqu’un de grand et massif, soit sur le côté contrele mur, ou alors vers le fond de la salle. La plupart dutemps, pour faire oublier ma présence et afin d’éviterque le professeur ne m’interroge, je me concentrais surun bout de papier sur lequel je gribouillais quelquechose, ou je faisais plus ou moins semblant de relirele cours précédent.

    Les professeurs réagissaient de deux façons. Il yavait ceux ayant compris que je ne voulais pas êtreinterrogée et qui s’en accommodaient, et ceux qui,systématiquement, m’interrogeaient une ou deux fois

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    par cours pour m’obliger à sortir de ma passivité. Çane loupait jamais : à la seconde où j’entendais monprénom, mes joues chauffaient, mon ventre se nouaitet tous mes membres se dérobaient. Généralement,j’étais tellement gênée par les regards qui, d’un coup,se braquaient sur moi que, même si je connaissais laréponse, mon cerveau semblait complètement décon-necté, ma pensée bloquée. Au bout de quelquesminutes, je répondais « Je ne sais pas », afin deretrouver au plus vite ma tranquillité.

    *

    Si je devais décrire ce qui se passait dans ma têteet les sentiments ressentis durant cette période, jecommencerais d’abord par mes nuits. Depuis la ren-trée, je m’étais mise à dormir très mal et je pleuraisen me réveillant. Toutes les nuits, je passais en revuela journée précédente, et souvent je couchais mespréoccupations sur quelques bouts de papier. Je necessais de me poser un million de questions et de medemander comment j’allais survivre à cette énièmeétape insupportable. Mes journées n’étaient pas meil-leures que mes nuits, car j’avais un cruel manque deconfiance en moi. Je détestais ma lenteur et ma timi-dité, et si je haïssais ces particularités de mon carac-tère, c’était aussi à cause des professeurs qui, assezfréquemment, me les reprochaient. J’étais ultrasensibleet tout ce que pouvaient dire les enseignants ou lesautres élèves m’affectait beaucoup. Manquant naturel-lement d’assurance, ces remarques m’enlevaient toute

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    No d’édition : L.01ELKN000457.N001Dépôt légal : août 2013

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    Le jour où je n’ai pas pu aller au collègePrologueChapitre 1. Quand l’école fait mal (Anne-marie)Chapitre 2. Les mots pour le dire (Justine)