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Rebelles de Dieu

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DU MÊME AUTEUR

Ceux qui s’engagent, Perrin, 2007.Une vie pour les autres. L’aventure du père Ceyrac,

Perrin, 2004 ; coll. « Tempus », 2006.Manifeste contre la pauvreté, avec Martin Hirsch,

Oh ! Éditions, 2004 ; 10-18, 2005.Le Sérail, histoire d’une promotion de l’ENA, avec

Jean-Michel Blanquer, Perrin, 1995.

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Jérôme Cordelier

REBELLES DE DIEU

Flammarion

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Pour Ludovic, notre fils.

© Flammarion, 2011.ISBN : 978-2-0812-3631-8

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Introduction

Que signifie être un homme, être une femme ?Qu’est ce qui nous donne à toutes, à tous, le droit,le devoir, « l’honneur d’être un homme », commel’écrivait joliment Romain Gary, romancier àsuccès et compagnon de la Libération, dans LaPromesse de l’aube, récit autobiographique dédié àsa mère ?

Ce genre de question, d’interpellation intimesurgit plutôt en période de grands drames natio-naux. Quand, par exemple, en 1940, Maritain etBernanos, de leurs exils forcés, l’un aux États-Unis, l’autre au Brésil, en appellent « à travers ledésastre » – c’est le titre du texte de Maritain quicircula sous le manteau en France – au sursautdes consciences face à l’effondrement tant mili-taire et politique que spirituel de la France.

Nous vivons, certes, une crise de civilisationprofonde, durable, mais nous ne sommes pasentraînés dans un désastre absolu – pas encore,

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diront certains… Pourtant, dans une société quise plaît à déboulonner les statues et à célébrern’importe quelle idole éphémère, face au nihi-lisme triomphant érigé en valeur étalon del’époque, nous n’avons jamais eu autant besoinde points de repère, d’ancrage.

Ces femmes et ces hommes dont nous explo-rons ici les destins, choisis chemin faisant au grédes rencontres et des curiosités, ont en commund’avoir placé leur vie sous le signe de l’action.Tous se sont battus, seuls ou portés par un élancollectif, surpassant leur simple personne, pourse mettre au service d’un idéal ou de préoccupa-tions plus prosaïques, mais toujours dans unintérêt supérieur : celui de l’homme.

Attention, ces hommes et ces femmes ne sontpas des icônes, même si certains ont pu le deve-nir : ils s’engagent au cœur de leur environne-ment, de plain-pied avec la vie.

Un jour, ils ont dit « non ». Non aux injustices,non aux fatalités, non aux facilités d’une vietracée, non aux réflexes de leur milieu d’origine,non aux conforts d’une carrière assurée, non auxdiktats d’une hiérarchie aveuglée ou soumise. Ilsont rompu les amarres en se fiant d’abord, avanttout, à leur boussole intime. En défiant les incom-préhensions de leur entourage, les idées à lamode, les condamnations de leurs supérieurs.Ces hommes et ces femmes sont des rebelles,c’est leur caractéristique commune. Et ils sont desrebelles de Dieu.

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Introduction

Car c’est là leur second point commun : toussont animés par la foi. Et ce sont leurs croyancesspirituelles qui les poussent à se lancer dansl’action. Ils s’engagent pour l’homme, parcequ’ils croient en Dieu, un Dieu qui, le plus sou-vent, ne correspond pas à l’image que nous nousen faisons communément : il n’est pas une trans-cendance abstraite, irréelle, lointaine mais, aucontraire, tous en témoignent, il se manifestedans le concret, la réalité, la proximité, bref, lespetits actes du quotidien.

Mais quelle drôle d’idée en nos temps matéria-listes, scientistes, où la « foi » la mieux partagéeest l’incrédulité, de mettre l’accent sur deshommes et des femmes qui se plaisent à servirDieu ? Justement ! Les églises se vident, railler lescroyants est devenu un sport national, il esttemps de remettre quelques pendules à l’heure.Les édifices religieux ne sont pas seulementde vieilles pierres qui n’ont d’autre utilité que deservir de toile de fond à de féeriques sons etlumières payés par des municipalités pour attirerles touristes… On ne va plus à la messe, mais onn’a sans doute jamais autant visité les églises etloué le génie de leurs bâtisseurs ; le nombre depratiquants fond comme neige au soleil, etl’homme contemporain n’a jamais autant erré– pas seulement sur les chemins de Compos-telle – pour croire en quelque chose, ou tenter dedonner un sens à sa vie, comme l’on ditaujourd’hui.

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L’idée de ce livre est né de rencontres.J’ai eu le privilège – en tant que journaliste –

de côtoyer le père Ceyrac, l’abbé Pierre, sœurEmmanuelle. Ils arrivaient au soir de leur exis-tence, ils avaient du mal à se mouvoir et, pour-tant, combien ils étaient vivants ! D’où leurvenait cette fougueuse liberté ? Comment se fai-sait-il qu’à leur contact tout était, soudain,possible ?

Dans le sillage de ces grands témoins auxsemelles de feu, le christianisme devient la sourcede tous les élans. Ces géants de la foi ont sugarder, leur vie durant, leur indépendanced’esprit dans le respect des vœux qu’ils avaientformulés en entrant dans leur vie religieuse : ilsont gardé le cap qu’ils s’étaient fixé dans leur jeu-nesse mais en traçant leur propre sillon. C’est encela que l’abbé Pierre, le père Ceyrac et sœurEmmanuelle sont de grands rebelles de Dieu.

Pour le premier, la caractéristique ne fait aucundoute : tout en conservant son habit de capucin,l’homme de Dieu a construit un grand mouve-ment laïc, Emmaüs, en marge de l’Église et endéfiant l’élite politique, économique, sociale dupays. En ce qui concerne sœur Emmanuelle et lepère Ceyrac, l’affaire est plus subtile. Car tousdeux sont restés parfaitement loyaux à leur corpsd’origine – je revois encore le père Ceyrac s’age-nouillant à plus de 90 ans dans le bureau romainde son supérieur, le père Kolvenbach, général desjésuites, pour lui demander sa bénédiction…

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Mais tous deux, au sein de la structure, ont supréserver leur liberté d’action. Sœur Emmanuelleavait dépassé l’âge de la retraite – 63 ans exacte-ment – quand elle a décidé de vivre dans le grandbidonville du Caire, parmi les plus pauvres… Lepère Ceyrac avait 23 ans et ne connaissait rien dumonde quand, en 1937, il a choisi de partir pourl’Inde, où il a, pierre à pierre, construit uneœuvre en parallèle de la province jésuite dont ildépendait…

Être rebelle ne signifie pas forcément être enopposition absolue. On peut même être rebelleet… soumis. Comme on le verra, les pères Henride Lubac et Yves Congar sont des théologiensiconoclastes, ils ont discuté certains dogmes, ilsont même été mis au ban par le Vatican pourleurs travaux. Mais ils n’ont jamais raccrochéleur habit.

Tous ces grands témoins de la foi que nousavons croisés incarnent la beauté, la grandeur etl’immense richesse du christianisme. L’ingrati-tude de notre époque amnésique impose de lesouligner, tant ce patrimoine est, de plus en plus,occulté par nos addictions consuméristes, nosobsessions « laïcistes » et l’obnubilation dogma-tique du pouvoir clérical.

Dommage, n’est-ce pas, Georges Bernanos ?« La grande affaire de ma vie n’a pas été de

voir, mais de croire, a écrit magnifiquementl’écrivain catholique dans sa Lettre aux Anglais.Ce que nous voyons nous est seulement prêté,

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ce que nous croyons nous est donné. » Face audésastre, dans ce texte de « résistance sprituelle »qui date de décembre 1940, le grand Bernanoslançait cette exhortation, qu’il répéterait sansdoute aujourd’hui : « Nous restent les valeursspirituelles françaises, comme une poignée decendres dans la main. En soufflant dessus, on ferapeut-être rougir une braise encore chaude, et sipetite que soit la flamme, pourquoi n’embrase-rait-elle pas de nouveau la terre ? »

Soyons clair : le propos n’est pas de remettreen question la laïcité, conquête française pré-cieuse qui a permis de ménager un espacecommun, neutre, étranger à un quelconque espritde chapelle (c’est le cas de le dire). Mais ce prin-cipe républicain a aussi ses intégristes, qui ontpour but d’évacuer de cet espace toute personnequi avance des références religieuses. C’est uneerreur – ces éléments peuvent nourrir le débat –et une injustice – c’est une vision étroite de laliberté d’expression.

Nous avons simplement voulu (re)mettre enlumière quelques parcours exemplaires, engagésdans la collectivité qui, c’est ainsi, trouvent leurssources dans le christianisme.

On a oublié ce que les conquêtes socialesdoivent aux engagements de catholiques affirméscomme Frédéric Ozanam, Albert de Mun ouMarc Sangnier, père de l’action sociale catholiqueet de la démocratie chrétienne, auxquels il fautassocier, on va y revenir longuement, la petite

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voix lumineuse de Madeleine Delbrêl ou, plusprès de nous, l’engagement discret de Genevièvede Gaulle-Anthonioz aux côtés du père JosephWresinski dans le mouvement ATD QuartMonde.

L’État fait lire la lettre de Guy Môquet dansles lycées, mais pourquoi n’enseigne-t-on pas lesengagements édifiants (au sens littéral du terme)d’autres résistants comme Honoré d’Estienned’Orves ou Edmond Michelet ?

On s’est focalisé ces dernières années sur lescompromissions du haut clergé – et en premierlieu sur les silences du pape Pie XII – pendant laSeconde Guerre mondiale, mais pourquoi n’a-t-on pas autant insisté sur les sacrifices desprêtres et religieux ayant brandi « la croix duChrist contre la croix gammée », selon l’expres-sion du père Pierre Chaillet, fondateur desCahiers du Témoignage chrétien ? Comme on leverra dans ce livre, des dizaines de chrétiensfigurent en bonne place au mémorial de YadVashem, dans la noble liste des « Justes parmi lesnations » – et nombre d’entre eux portaientl’habit ecclésiastique, y compris celui de hautdignitaires. Si la hiérarchie catholique françaisesoutint le régime de Vichy, il y eut – notamment –un Mgr Saliège, archevêque de Toulouse, qui,bien qu’officiellement maréchaliste, s’éleva, dès1942, dans une protestation restée fameuse contrele sort fait aux Juifs. Il y eut aussi des prêtres debase comme l’abbé Glasberg, artisan du réseau

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Témoignage chrétien et sauveteur de nombreuxJuifs, l’abbé Flory à Montbéliard qui mettait unpoint d’honneur à traverser une rue pour saluerostensiblement les porteurs de l’étoile jaune, ouencore le pasteur protestant Trocmé qui, avec sonépouse, Magda, organisa l’accueil des enfantsjuifs cachés dans les fermes du Chambon-sur-Lignon.

Ces héros chrétiens ne furent pas seulementcatholiques et protestants. Évoquons la mèreMarie Skobtsov, exilée russe engagée dans le tra-vail social à Paris avant guerre, ou encore le pèreGrégoire Peradze, un prêtre géorgien. Ces deuxreligieux orthodoxes sont morts dans des campsde concentration, la première à Ravensbrück, lesecond à Auschwitz, en prenant les places d’unefemme et d’un homme juifs dans les chambresà gaz.

Il faudra peut-être établir un jour pour le grandpublic la (longue) liste des martyrs chrétiens dela Seconde Guerre mondiale. Y figurent en bonneplace les cinq étudiants munichois de la Roseblanche – les protestants Hans et Sophie Scholl,le catholique Willi Graf, l’orthodoxe AlexanderSchmorell, le croyant sans église ChristophProbst – exécutés en 1943 pour avoir, au nom dela « culture chrétienne occidentale », dénoncédans des tracts la barbarie nazie. Leurs noms sontà associer à celui du pasteur Dietrich Bonhoeffer,accusé de conspiration contre Hitler et pendu le9 avril 1945 en camp de concentration, sur ordre

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direct du Führer. Dans son journal de captivité,Résistance et soumission, le pasteur a inscrit cettepensée magnifique, qui résume l’état d’espritcommun à tous ces hommes et ces femmes :« Quand on a renoncé totalement à faire quelquechose de soi-même : un saint, un pécheurconverti ou un homme d’Église, juste ou injuste,malade ou en bonne santé, alors on se jette entiè-rement dans les bras de Dieu, alors on prendfinalement au sérieux non pas ses propres souf-frances, mais les souffrances de Dieu dans lemonde, alors on veille à Gethsémani avec leChrist et, je pense, c’est cela la foi, c’est cela lamétanoia 1, et c’est ainsi que nous devenons deshommes, que nous devenons des chrétiens. »

On approche là une autre particularité qui lieces individus aux engagements et aux destinsfort divers, une caractéristique qui peut paraîtreincongrue à notre époque où tout le monde courtaprès une célébrité factice : ils agissent dans ladiscrétion.

Si certains cabotins se sont servis des médiaspour populariser leur cause, leur gloire à eux engénéral n’est pas une affaire terrestre. Commel’exprime saint Matthieu dans le Sermon sur lamontagne : « Lorsque tu fais l’aumône, ne sonnepas de la trompette devant toi, comme font leshypocrites dans les synagogues et dans les ruesafin d’être glorifiés par les hommes. »

1. Mot grec qui signifie pénitence ou repentance.

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Sœur Rosalie en son temps, il y a un siècle,fut une religieuse ultra-célèbre, l’équivalente denotre sœur Emmanuelle, et elle est quelque peuoubliée aujourd’hui. Pourtant, à son époque, elleavait dû rallier à sa cause, le service des plusdémunis, une bonne partie de l’élite, à commen-cer par Louis-Napoléon Bonaparte.

Dans le même ordre d’idées, qui se souvientde l’abbé Claude Fauchet, pourtant célébré parJules Michelet dans son Histoire de la Révolutionfrançaise ? Fauchet fut prédicateur du roi avant dedevenir l’un des meneurs de 1789, puis de se pro-noncer contre l’exécution de Louis XVI en 1793.Auteur du « best-seller » de l’année 1789, De la reli-gion nationale, l’ecclésiastique fut élu à la Com-mune de Paris de septembre 1789 à octobre 1790,puis devint évêque de Caen – il préférait dire« citoyen-pontife du Calvados » – avant demourir guillotiné en 1793. Mais cet homme deDieu batailla à l’avant-garde de la prise de la Bas-tille. Il fit partie des émeutiers, et exhorta la fouleen l’église Saint-Roch. Michelet le décrit ainsi :« Deux fois, Fauchet monta en chaire, priant,pleurant, disant les paroles les plus ardentes queson grand cœur pouvait trouver dans cette néces-sité ; sa robe, toute criblée des balles de la Bas-tille, était éloquente aussi : elle priait pour lepeuple même, pour l’honneur de ce grand jour,pour laisser pur et sans tache le berceau de laliberté. »

L’histoire des religions est jalonnée par degrands rebelles, à l’image de saint Augustin,

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Jeanne d’Arc, Thérèse d’Avila, Thérèse deLisieux, Jean de la Croix, Charles de Foucauld,par exemple. Tous, à un moment donné, ou toutau long de leur vie, ont dit non.

Certains ont poussé la logique de manière radi-cale – quitte à rompre avec la neutralité, ou dumoins la discrétion que recommande une missionecclésiastique. Quand le philosophe MichelOnfray, à partir d’une traumatisante expériencependant l’enfance chez les Salésiens, souhaite ladéchristianisation de notre société 1, emporté parsa démonstration, il oublie – ou feint d’oublier –que le christianisme a aussi produit de grandesfigures révolutionnaires. C’est le dominicain – etex-colon – Bartolomé de Las Casas qui, auXVIe siècle, s’élève en chaire contre les colonschrétiens, ses frères, afin de défendre les Indiensesclavagisés. C’est, plus près de nous, le pèreCamilo Torres qui s’engage, au cœur desannées 1960, en Colombie, de manière absolue,dans la lutte armée aux côtés des guérilleros,alors qu’il est fils de la haute bourgeoisie, parcequ’il croit que « la révolution n’est pas seulementpermise mais obligatoire pour les chrétiens quivoient en elle l’unique manière efficace et largede réaliser l’amour pour tous ». Le père Torres aété tué dans une embuscade tendue par l’arméecolombienne, à 37 ans, en 1966, un an avantErnesto Che Guevara…

1. Voir Michel Onfray, Politique du rebelle. Traité de résis-tance et d’insoumission, Grasset, 1997.

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Last but not least, c’est dom Hélder Câmara,l’archevêque de Recife au Brésil, qui abandonneson palais épiscopal, un habit luxueux et lalangue diplomatique pour habiter un petit appar-tement, se vêtir d’une simple soutane et dénoncerla misère au cœur des favelas…

Celui-ci, au même titre qu’Óscar Romero,l’archevêque de San Salvador, défenseur des pay-sans assassiné le 24 mars 1980, fut l’une desfigures de la « théologie de la libération », quiconduisit, dans les années 1970, plusieurs prêtresd’Amérique latine à la contestation de l’ordreéconomique et social, souvent aux mains de dic-tatures. Le progressiste Mgr Óscar Andrés Rodrí-guez Maradiaga, cardinal du Honduras, dotéd’un charisme à la Jean-Paul II – il joue de plu-sieurs instruments de musique, dont le saxo etl’accordéon, il parle cinq langues et il est piloted’hélicoptère –, partisan d’une Église très enga-gée sur le terrain social, soutient encore cemouvement. Et il fait partie de la liste des « papa-bile », ces princes de l’Église dont on parle poursuccéder à Benoît XVI – qui l’a nommé à la têtede l’influente ONG Caritas Internationalis.Actuellement, des prêtres comme le dominicainfrançais Henri Burin des Roziers restent condam-nés à mort au Brésil parce qu’ils se sont engagéscorps et âme à défendre les paysans sans terremenacés par les grands propriétaires terriensd’Amazonie. Inutile de revenir sur les septmoines trappistes du monastère de Tibhirine,

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assassinés en 1996 en pleine guerre civile algé-rienne, dont l’histoire est aujourd’hui largementconnue depuis le succès du film Des hommes etdes dieux.

Toutes ces grandes figures ont agi en rebellesde Dieu.

Et elles l’ont fait, parfois, au grand dam du Vati-can. Dans les années 1950, les prêtres-ouvriers, quiavaient choisi de travailler en usine pour vivre auplus près du peuple, et des théologiens novateurscomme le jésuite Henri de Lubac et le dominicainYves Congar ont été condamnés par le papePie XII – avant d’être réhabilités par ses succes-seurs. Sans parler de l’iconoclaste RP Bruckber-ger qui, comme on le verra plus loin, eut undestin fort romanesque, et dont les prises de posi-tion pour le moins provocatrices ont fait tremblerplus d’une fois l’institution.

Qu’est-ce qui peut bien pousser un individu àdépasser sa simple condition pour se mettre auservice d’idéaux plus grands que lui ? Pourquoile Dr Albert Schweitzer, qui est un notable de saville en Alsace, brillant intellectuel et organistede talent, abandonne-t-il cette position établiepour s’enfoncer au cœur de la jungle africaine ?Pourquoi Marc Sangnier ou, plus près de nous,Geneviève de Gaulle-Anthonioz, tous deux issusde la bourgeoisie, décident-ils de s’engager auprèsdes plus exclus ? Pourquoi Madeleine Delbrêl, quiinspire aussi bien Geneviève de Gaulle-Anthoniozque le père Pierre-Marie Delfieux, fondateur des

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Fraternités monastiques de Jérusalem, choisit-ellede vouer sa vie, tout son être même, à deshommes et des femmes qui lui sont étrangers, quiplus est dans un milieu hostile à ses convictions ?

Ces hommes et ces femmes sont dévots, sou-vent respectueux de l’institution. Mais leursconvictions n’entament pas leur libre arbitre– peut-être même l’aiguisent-elles. En clair, ils seferaient tuer pour leur foi, mais ce ne sont pasdes béni-oui-oui.

À une époque où l’ignorance religieuse proli-fère, où le christianisme est perçu, parfois àraison (mais pas toujours), comme une religioncontraignante au service d’un ordre établi,conservateur, ces hommes et ces femmes cham-boulent nos préjugés. À leur manière, ils sontanticonformistes. Ils sont des soldats de lafoi, mais, répétons-le car cela n’a pas fini de sur-prendre, ils font de celle-ci un instrument deliberté. Ils se rangent sous un étendard commun,qu’ils n’ont pas peur de brandir, sans pour autants’enfermer dans un quelconque repli identitaire.Ils bravent les autorités, les jugements sociaux, lesconformismes ambiants. Ils servent un idéal, maisils agissent en rebelles. En rebelles de Dieu.

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N° d’édition : L.01EHBN000326.N001Dépôt légal : mars 2011

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