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LES LIONNES

DU SECOND EMPIRE

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DU MÊME AUTEUR

AUX ÉDITIONS DE LA N. R. F.

AVENTURIERS ET ORIGINAUX

LES AVENTURES DU CHEVALIER DE LASCARIS (en préparation).

CHEZ D'AUTRES ÉDITEURS

LES CHANTS DE LA PATRIE ET DE L'EXIL, D'HUGUES REBELL,

recueillis et publiés avec une préface (Paris, Librairie de France).

LE CULTE DES IDOLES, D'HUGUES REBELL, publié avec une préface(Paris, La Centaine, Jacques Bernard, éditeur).

PRISE D'AVENNES PETITS MÉMOIRES SECRETS SUR LA COUR

d'égypte, 1827-1869, recueillis et publiés avec une préface(Paris, La Centaine, Jacques Bernard, éditeur).

A PARAITRE

L'ORIENT EN HABIT NOIR FRANÇOIS BRAVAY OU LE «NABABa.

HISTOIRE DE «NANA».

LETTRES GALANTES ET PITTORESQUES SUR L'ÉGYPTE, DU COMTED'ENTRAIGNES.

LETTRES SUR HAITI.

EN PRÉPARATION

CE CHEMIN MÈNE A CONSTANTINOPLE.

ZALEM PACHA.

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WaMB f III iÂIâllilll

Collection publiée sous la direction de J. Lucas-Dubreton

LES LIONNES

DU SECOND EMPIREPar AURIAXT

4ème édition

nr

GALLIMARD

Paris 43, rue de Beaune

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BLANCHE D'ANTIGNY

A Paul Léautaud.

Un jour entre les jours, en 1865, chez Dinochau,dans le petit entresol bas de plafond où il déjeunait avecquelques amis, le photographe Carjat vit entrer au brasde Godfrin, l'acteur du Gymnase, une jeune femmecoiffée d'une toque de fourrure. Le couple s'installa àla table commune. Aussitôt les conversations cessèrent,

les fourchettes et les couteaux s'immobilisèrent. Tous

les regards se fixèrent sur la nouvelle venue. La bellecréature Un teint de lait, des cheveux dorés, dorés comme

la moisson ou le vin de Champagne, des cils de jais quimettaient une ombre mince sur les joues, des yeux verts,pétillants de malice. Qui était-elle ? D'où sortait-elle ?La toque, tous ces diamants étincellant aux lobes deses oreilles, à ses doigts, sur son buste opulent, la volu-bilité avec laquelle elle s'exprimait, et ces inflexionsdolentes que prenait sa voix, tout en elle semblaitannoncer la Russe. La belle fille, en riant, détrompa lesindiscrets. Elle s'appelait Blanche d'Antigny. Un nomde guerre ? Bien sûr. La particule, comme le prénom,était de fantaisie. Son vrai nom ? Marie-Ernestine

Antigny. Elle était native de Martizay, pas loin de Bour-ges, dans l'Indre. Son âge ? Celui qu'elle paraissaitvingt-cinq ans. Son histoire ? En deux mots, voici

Demoiselle de magasin, faisant pour sa maison laplace en province et à l'étranger, elle rêvait à tout celuxe qu'elle proposait aux femmes du monde et aux

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autres. Pour changer de condition, elle eût volontiersvendu son âme au diable. Avisait-elle un bossu, viteelle lui glissait un louis dans la main et caressait sabosse. Elle en avait tant caressé, de bosses, qu'ellerencontra enfin le prince charmant des contes de fées.Charmant, c'était trop dire, mais quel aimable épicurienque ce cher Mesentsoff, le directeur du cabinet noir deSa Majesté l'Empereur de toutes les Russies, le chefde ses gendarmes, en un mot, le préfet de police del'Empire Il la supplie de lui faire l'honneur de devenirsa maîtresse, elle ne se le fait pas dire deux fois. Plantantlà ses modèles, elle le suit à Saint-Pétersbourg. Toi-lettes, bijoux, équipages, hôtel, tout ce qu'elle a rêvé deposséder est à elle. A sa table, elle traite les plusgrands seigneurs de la cour. Elle est la grâce, la parure,la joie de la capitale moscovite. On ne pouvait se faireune idée de son prestige. Celui de Cora Pearl ou d'AnnaDeslions n'était rien en comparaison. Elle était mieuxqu'une reine, plus qu'une favorite, elle était l'idole detout Saint-Pétersbourg. Des chansons lestes aux lèvres,elle menait à la baguette, une baguette de Circé, satroupe d'adorateurs qui reprenaient en chœur ses refrainsépicés. S'échappait-elle un instant pour aller ravir unpeu de son charme à Paris, la ville entière, pendant sonabsence, se figeait dans l'ennui. Ces pauvres boyards,elle ne les ferait pas languir. Deux ou trois douzainesde robes et de chapeaux à essayer, et elle retourneraitsur les bords de la Néva.

Carjat la pria de lui laisser prendre son portrait,en souvenir de cette inoubliable rencontre chez Dino-

chau. A la porte du restaurant, des badauds pétrifiésfaisaient cercle autour d'un singulier équipage undroiki attelé de deux trotteurs, un moujik en blouse desoie écarlate sur le siège. L'attelage se mit à suivre labande joyeuse qui remontait la rue Bréda, Mlle d'Anti-gny en tête, tutoyant un gazetier qu'elle avait pris parle bras.

Elle courut les couturières, les modistes et les bijoutiers,fit trois tours au Bois et s'en alla, comme elle l'avait dit.

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Elle revint à la belle saison, se fit conduire tout droitchez Henry de Pène, et lui remit une lettre qu'elle tirade son manchon. Elle était de Joseph Cappelmans, ledirecteur du Journal de Saint-Pétersbourg, qui priaitson confrère et ami de la Gazette des Etrangers de faireen sorte que Mlle d'Antigny pût, le plus tôt possible,jouer l'opérette sur la scène du Palais-Royal. On y met-trait le prix. Henry de Pène se récria « Quoi elle aussi,comme tant d'autres, attirée par les rayons brûlantsde cette rampe malsaine qui éclaire brutalement d'enbas, à l'envers, les plus délicats visageselle voulaitéchanger « sa tranquillité dorée contre le plat de fèvesde la vie théâtrale » Se doutait-elle seulement de ce quil'attendait sur cette galère ? Il eut beau faire et beaudire, Mlle d'Antigny s'entêta dans son idée. Sonambition n'était pas, comme le croyait Pène, de donnerla réplique à la trompe d'Hyacinthe et au nez camardde Lassouche. Elle voulait enlever son sceptre de grandeduchesse à la Schneider, tout simplement. Les joyeuxdrilles du Club Rigolo l'en ayant imprudemment défiée,elle avait parié qu'elle en était capable. Tope-la Sansperdre une minute, elle se met à répéter le dialogue avecAdolphe Dupuis, la musique avec Sylvain Mangeant, ci-devant chef d'orchestre au Palais-Royal, et dès qu'elle asenti lui pousser les ailes et la voix, elle s'envole versParis.

Vieux routier du Boulevard, Henry de Pène, quiavait d'excellentes raisons pour être agréable à Cap-pelmans, s'inclina devant le caprice de la jolie femme,l'assurant qu'il en serait fait selon sa volonté.

Tous les obstacles disparurent comme par enchante-ment. Plunkett et Dormeuil, les directeurs du Palais-

Royal, mirent leur scène à la disposition de Mlle d'Anti-gny. Nestor Roqueplan la présenta à quelques-unes deses belles amies et l'emmena deux ou trois fois dans

son avant-scène. La première fois qu'ils l'y aperçurent« Tiens qu'est-ce que cette nouvelle, qui est dans laloge de Nestor s'écrièrent les gilets à cœur. Le lende-main, chacun d'eux, en a parté, se dit: «Décidément, elle

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est charmante, la protégée de Nestor. Il faut que je mefasse présenter». Blanche d'Antigny était lancée.

Au Bois, à la porte du restaurant de la Cascade,aux courses de Longchamp, on revit le drojki aux vifstrotteurs dont le moujik à blouse de soie écarlate avaitpeine à contenir l'élan, et renversée sur les coussins,majestueuse mais souriante, l'inconnue de la veille. Sonnom volait de bouche en bouche. Les femmes la regar-daient avec envie, les hommes avec admiration. La

Gazette des Etrangers et le Gaulois, dont l'apparition,comme par hasard, coïncidait avec l'arrivée de Mlled'Antigny, publiaient d'ingénieux échos sur cette belleet élégante jeune femme que Saint-Pétersbourg prêtaità Paris, pour trop peu de temps, hélas 1

Parce qu'elle n'était qu'une passante, elle n'éveillapas de jalousies. Caroline Letessier, sa compagne deSaint-Pétersbourg, maîtresse de Dolgorouki et l'une descoryphées du demi-monde, l'ayant présentée à sesamies, toutes ces demoiselles, chose inouïe, loin de latraiter en intruse et de la détester comme une rivale, fré-quentèrent chez elle, rue des Ecuries-d'Artois. Sa bonnehumeur, son entrain, son air bon garçon, ses alluresfranches, lui gagnèrent les sympathies de ses camaradesde théâtre. Encouragée, conseillée par Lassouche etHyacinthe, qui démêlaient à travers ses tâtonnementsune application et une bonne volonté évidentes, Blanched'Antigny se trouva prête en huit jours.

Le 6 juillet 1868, elle faisait ses débuts sur la scènede la rue Montpensier, dans Danaé et sa bonne et dans leChâteauà Toto, un petit opéra-bouffe dans lequel ellereprenait le rôle de Blanche Taupin, princesse de laFarandole qu'Elmire Paurelle, deux mois plus tôt, avaitcréé. Il lui seyait à merveille. Prévoyant cette reprise,on eût dit que Meilhac et Halévy avaient troussé à sonintention les couplets qu'elle chantait sur un air d'Offen-bach

Autrefois j'étais villageoiseOn peut s'en souvenir,

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BLANCHE D'ANTIGNY

Un peu sauvage, un peu sournoise,Pensant à l'avenir

Parfois on me trouvait songeuseEt l'on s'en étonnait

C'est qu'une voix mystérieuse,Tout bas me répétaitVa-t-en, la Falotte,

A Paris va-t-en, marche, va ton train,Petit pied qui trotte,

A Paris souvent fait un grand chemin

Pour te conter mes aventures.

Il me faudra peu de mots.J'ai maintenant quatre voitures

Au lieu de deux sabots.

Autrefois je gardais vingt têtesDe bétail dans les champs

Je n'ai fait que changer de bêtes.Notaire, tu me comprends.Va donc, la Falotte,

Paris est à toi, marche, va ton train,Petit pied qui trotte,

A Paris souvent fait un grand chemin,

Les petits crevés battirent des mains. De leurs avant-scènes, Cora Pearl, Julia Barucci, Anna Deslions, AdèleCourtois, Clotilde Colas, Athalie Manvoy, Nini Bertin,Pauline Lebrun, Henriette Hauser encouragèrent la débu-tante de leurs plus gentils sourires et de leurs applau-dissements les plus tapageurs. Elle était ravissante,Blanche' d'Antigny. Pas maladroite du tout. Un peugauche peut-être, mais si naturelle et avec quel chichabillée1

Tel fut aussi l'avis des feuilletonistes. « Mlle Blanche

d'Antigny a de l'entrain, une gaîté de bon goût, un«sentiment très juste de l'esprit parisien, une bonnevoix, une physionomie expressive, un grand goût dansle choix de ses toilettes», déclarait Roqueplan, l'arbitrede la vie parisienne, et Claretie avouait « C'est une bellepersonne qui a ce mérite, si rare au théâtre, de la fran-

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chise. Mlle d'Antigny dit avec esprit et bonne humeur,sans façons, à la bonne franquette et chante agréable-ment. Je ne croyais pas et certes je ne m'attendaispas à cela que Mlle Schneider ait eu jusqu'ici d'aussiredoutable rivale. C'est de Pétersbourg peut-être quedevait nous venir celle qui pourrait bien, si elle travaillé,détrôner la grande duchesse de Gérolstein».

Sur l'ordre d'Henry de Pêne, le vaudevilliste Félix Sa-vard « romança »la biographie de la débutante. Tout-Parisput lire dans la Gazette des Etrangers que Mlle Blanche-Ernestine-Ondine d'Antigny avait vu le jour le 9 mai1843, à Martizay, où son père était établi menuisier. Unedame du monde, sa marraine, qui s'intéressait à elle,la fit venir à Paris. La « Princesse de la Farandole»

fut élevée au couvent des Oiseaux, qu'elle quitta àl'âge de quatorze ans, à la mort de la noble dame,pour aller tenir l'emploi de caissière dans les magasinsde la Fileuse, rue du Bac. Envoyée en cette mêmequalité à Bucarest, un archimandrite arménien éprisde ses charmes lui offrit de l'épouser. Elle préférarentrer à Paris. Un soir qu'elle assistait à la représentationde Jean Bart, Marc Fournier et Lafargue, les direc-teurs de la Porte Saint-Martin, lui firent, à l'entr'acte,

une petite visite dans sa loge, et lui proposèrent de paraîtredans Faust. Peu après, elle figurait une statue dans laBelle Hélène, qui, pour être muette ne parlait pas moinsaux sens, et dont Jules Janin en particulier goûta fortl'éloquence. Au bout de dix jours, abandonnant la scène,Blanche se rend à Bade. Elle y fait tourner toutes lestêtes. Dans les salons de la Conversation, c'est sur l'airde la Reine de Wiesbaden, une valse qui lui est dédiée,que tournoient les couples enlacés. Ensuite, la Russiel'attire. Glissant sur son séjour là-bas, le panégyristeterminait sa notice par cette prophétie « Ce n'estpoint une actrice d'hier, c'est une actrice d'aujourd'hui,c'est surtout une comédienne de demain».

Demain, c'était le mercredi 29 juillet. Blanche d'Anti-gny allait paraître dans les Mémoires de Mimi Bamboche,épreuve d'autant plus redoutable qu'on se souvenait

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encore avec quelle « séduction n et quelle « crânerie»Hortense Schneider avait interprété le principal rôle.Blanche s'en tirerait-elle à son honneur ? Grave questionqui passionnait la jeunesse dorée, bien plus que l'entrevuede l'Empereur de Russie et du roi de Prusse à Kissingen,que le Congrès sur les balles explosibles ou l'interpella-tion Ottway à la Chambre des Communes.

L'orage qui s'abattit sur la ville n'empêcha pas sesadmirateurs de courir au Palais-Royal. La salle étaitarchi-comble et aussi brillante qu'aux plus beaux joursde l'hiver. La crème du demi-monde occupait les avant-scènes et les baignoires, la fleur de la gentry remplis-sait l'orchestre et le premier rang de balcon. La chroniqueet la critique s'étaient dérangées pour cette solennité. Lanouvelle Mimi Bamboche chanta, dansa, sourit, fit

froufrouter ses trois toilettes paille, bleu, blanche etrouge, miroiter ses diamants, et remporta un triplesuccès de femme à la mode, de jolie femme et decomédienne. Elle avait gagné une partie difficile.'

« Elle fait si bien la pluie et le beau temps que lapluie qu'il lui fallait pour favoriser ses débuts, elle l'aeues'écriait Henry de Pène. « Vainement les popula-tions rurales se lamentaient dans l'attente de la pluiebienfaisante qui rafraîchirait leurs guérets et imploraientle ciel, les nuages faisaient la sourde oreille. Mlle Blan-che débute et veut de la pluie. En voilà1 C'est ainsi quetout obéit à cette nouvelle fée qui nous est venue deRussie. Le succès ne résiste pas à la comédienne nou-veau-née plus que ne lui résistent le ciel et la terre.On peut en toute sûreté, si elle continue à travailler,lui prédire un tabouret de duchesse dans la comédie degenre et l'opérette.» « Ses qualités naturelles, l'éclat,la verve et l'esprit, se fortifient aujourd'hui d'uneassurance et d'une originalité précieuses dans sonemploi», affirmait Roqueplan. Monselet se montraitréticent « Ce n'est pas une écolière c'est surtout unejolie femme et qui s'habille à ravir)). L'incorruptibleBarbey d'Aurevilly, qui semblait au courant de la petitecombinaison Henry de Pène-Gappelmans, soufflait avec

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fureur, comme pour l'éteindre, sur la nouvelle étoile« Mlle Blanche d'Antigny n'est pas une actrice, c'estune intrigue. Quelques faiseurs d'omelettes souffléesdans la publicité ont soufflé celle-là. Mlle Blanche d'An-tigny. qui n'est pas jolie, qui ne joue pas bien et quichante mal, a des gens. qui lui font une renommée etqui travaillent en bruit pour elle. Un fait curieux dureste, et dont le moraliste doit tenir grand compte encette assomption de Mlle Blanche d'Antigny dans lagloire cabotine du temps, c'est le rôle que jouent lesdiamants de cette demoiselle. Ils jouent mieux qu'elleassurément. Ces diamants ont été pour les feuilletonistes,une véritable fascination. En ont-ils parlé, avec une curio-sité ou une badauderie assez basses ? On eût dit, les feuil-

letons où ils parlent de ces diamants, écrits par des fem-mes. Trait de caractère1 Ah1 il faut que la France, quiétait grand seigneur autrefois, n'ait plus que des goûtsde parvenue maintenant, puisqu'on y fait impunémenttant de bruit et d'éclat de quelques bijoux aux braset au cou d'une fille de théâtre, et puisque des écrivainsà âme de Josse, sans boutique, trouvent cela suffisantpour constituer à cette fille une espèce d'individualité.Elle, la fille, je ne la plains pas d'être heureuse de toutesa joaillerie. Les diamants, c'est la décoration desfemmes, qui n'est point toujours la Légion d'honneur,il est vrai, et je conçois très bien qu'elles aiment à enavoir et à les montrer. C'est la plus bête de leurs coquet-teries, mais c'est encore une coquetterie. Mais que desgens qui ont plume de critique se laissent prendre à celuxe-là, comme s'ils étaient des femmes entretenues ou

à entretenir, et en glosent, et en glosent avec des yeuxqui leur sortent de la tête, n'est-ce pas une pitié ? ».« La gloire faite aux diamants de Mlle d'Antigny et lahaute publicité donnée du mariage de Mme de Caux (i) »,concluait Barbey, « deux tristes comédies de mœurs àsiffler ». Il ne s'en priva point. La Veilleuse, le petitpamphlet hebdomadaire où il déboulonnait les « vieilles

(i) Adelina Patti.

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actrices», raillait « Mlle Blanche d'Antigny, élève duConservatoire de Saint-Pétersbourg (classe Rœdereret de la veuve Cliquot) continue à totocher au Palais-Royal. Elle ne joue pas. Mais ses diamants jouent pourelle. Ce n'est point une actrice. C'est une boutique dejoaillerie. Un biographe de Mlle Blanche d'Antignyveut bien nous apprendre que cette demoiselle a pourdevise l'Amour fait vivre. Tous les jours, à la Salpêtrièreon voit des femmes qui en meurent. » A la suite de Barbeyd'Aurevilly, Paul Foucher s'insurgeant contre « l'artentretenu», se disait désappointé par les débuts de cettedemoiselle « Mlle d'Antigny est si gauche, qu'elle enest honnête. Au lieu des façons délurées annoncées parle programme, imaginez les allures de quelque géantede café-concert, dégrossie tant bien que mal pour la comé-die, ou l'atticisme.champêtre d'une superbe rosière d'Al-sace. Comme actrice, elle est nulle comme chanteuse,la voix est souvent fausse comme danseuse, elle est

sans grâce ». Sarcey enfin écrivait « Mlle Schneider estvenue voir la nouvelle rivale qu'on prétendait lui donner.Elle était dans un fond de loge. Aux premiers mots qu'adits la débutante, les ombres qui obscurcissaient levisage de la Grande Duchesse se sont éclaircies. Voilàqui ne dit rien de bon pour Mlle Blanche. C'est une femmejugée. Revenez à vos moutons, madame, les plus courtesfolies sont les meilleures. »

C'est en vain que l'opposition sifflait et persiflait,ses huées se perdaient dans le fracas des applaudisse-ments et la clameur des bravos.

Directeur avisé, Plunkett offrit à Mlle d'Antignyun engagement des plus avantageux pour le théâtre12.000 francs par an, durant 3 ans. C'était flatteur ettentant tout à la fois. Mais elle hésitait à signer. Elleavait tenu sa gageure, gagné son pari. Il lui fallait ren-trer à Saint-Pétersbourg, où on la réclamait à grands cris.Le congé que Mesentsoff lui avait accordé était expiré.Finie, la comédie. Mais voilà qu'elle y avait pris goût,à la comédie, et ne demandait qu'à continuer. Ses deuxçssais,n'étaient que des prése^ations hors, série^ une

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toquade pour elle, un divertissement original pour unpublic blasé. Se donner entièrement à la scène, c'étaitpeut-être courir au-devant de cruelles déceptions. Au len-demain de Mimi Bamboche, elle avait relu dans l'Indé-pendance Belge, sous forme de « réflexions mélancoli-ques », le petit sermon qu'Henry de Pène lui avait débiténaguère. Sur la pente où il la sentait glisser, de nouveauil lui criait casse-cou1 Aurait-elle le coup de veinequ'il faut pour s'imposer à Paris ?

Le Palais-Royal ayant effectué sa clôture, elle partitpour Bade. « En sa qualité de Parisienne de Saint-Pétersbourg, elle était restée la dernièreà Paris »,annonçait dans la Gazette des Etrangers le jeune Hectorde Callias. « Elle nous a quittés à son tour, emportanttout Paris dans sa garde-robe. Elle a emporté 32 cha-peaux. La veille de son départ, la rue des Ecuries-d'Ar-tois était obstruée par l'arrivage en procession de sestoilettes, défilant chacune dans une voiture. 37 toilettes,37 voitures à la file. »

A Bade, Mlle d'Antigny retrouva la plupart de sesnouveaux amis parisiens. Elle y retrouva aussi Mesent-soff, qui consentit à lui laisser cueillir d'autres lauriersencore, à la condition expresse toutefois qu'après latroisième expérience elle le rejoindrait définitivementàSaint-Pétersbourg.

Pendant l'entr'acte de la saison parisienne, il n'étaitbruit partout que de certain Chilpéric III, qu'on répé-tait activement aux Folies-Dramatiques, un petit chef-d'œuvre d'Hervé, le « compositeur toqué», rival heureux,avec l'Œil Crevé, d'Offenbach. Parmi les décors de Zarra,

lepeintre ordinaire de l'Ambigu, Hervé en personnedonnerait la réplique à la jolie Julia Baron, l'exquisecréatrice de « Fleur de Noblessequi, cette fois, seraitune délicieuse Frédégonde. Brusquement, la nouvelle desa disgrâce se répandit. Moreau-Sainti, le directeur desFolies-Dramatiques, avait résilié son engagement. Iln'avait pas été en peine de trouver une remplaçante « àcet appétissant bébé dont les épaules semblaient faites de

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ouate et de crème ». Les « courriers de théâtre » promet-taient de révéler le lendemain le nom de la nouvelle

Frédégonde. Le lendemain, Tout-Paris apprenait quele 8 octobre à 6 heures du soir, date historique, Mlle Blan-che d'Antigny, sans quitter le Palais-Royal, avait signéavec les Folies-Dramatiques un engagement spécialpour l'opéra-bouffe d'Hervé. Sur le Boulevard, à laMaison dorée, au Bois, au Jockey-Club, cette substitu-tion fut accueillie par des cris d'allégresse. On se félici-tait de l'aubaine inespérée, on en félicitait Frédégonde.L'ami Carjat lui envoya un madrigal dans lequel il luidonnait d'utiles conseils

Blanche, comme les blés est blondeMusset l'aurait dit avant moi

J'ai vu les titis, à la ronde,Le quinze août subir sa loi.

Mimi-Bamboche, d'un sourire,

Illuminait leur f ront pâliLa fanfare de leur gros rireEclatait comme un hallali.

Ils l'attendaient à la sortie,

Ni plus ni moins qu'un FrederickGavroche of frait sa sympathieA la f emme de Chilpéric.

C'est que le peuple qu'on méprise,C'est l'habitude en certains lieux

Trouvait une actrice à sa guiseEt le lui prouvait de son mieux.

Blanche, idole du demi-monde,Souviens-toi bien de ces bravos,

Et quand tu joueras Frédégonde,Ne te mets pas le peuple à dos.

Le gandin parfois a son charme,Mais s'il en faut, il en faut peu.Pour vaincre, vois-tu, la seule arme,

C'est de toujours jouer franc jeu.

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En attendant, les gandins chantaient victoire. Jeunesou vieux, les petits crevés frétillaient d'impatience. Unesemaine avant la première, Moreau-Sainti avait reçuquinze mille demandes de places. On se disputait à prixd'or les fauteuils, même à cinq louis il était impossiblede s'enprocurer.

Le vendred 23 octobre avait lieu la répétition généralede Chilpéric. Le high-life et le demi-monde au grandcomplet, toute la chronique et toute la critique dramati-que et musicale honoraient de leur présence ce gala. Laveille, Saint-Victor et ses pairs avaient trouvé ce pouletdans leur courrier « Cher ami, demain soir, après la repré-sentation de Chilpéric on vient souper chez moi et j'espèreque vous voudrez bien me faire le plaisir de venir à cettepetite fête ornée de femmes et de perdreaux. Mille amitiés.Bischoffsheim. » On avait compris. Quelques minutes avantle lever du rideau, des chuchotements coururent par toutl'orchestre « Ah 1 ah la voilà1Toutes les têtes se

tournèrent vers l'avant-scène des premières, côté droit,où Julia Baron venait de s'asseoir. « Que va-t-elle faire ? »se demandait-on. On frappe les trois coups. Le rideause lève sur une forêt. Des druides chantent en chœur,

puis s'en vont et Elle apparaît, vêtue en bergère, seslongs cheveux dénoués noyant de leurs flots d'or lapeau de mouton soyeuse qui voile à peine son corps robusteet magnifique. Légèrement intimidée, elle s'enharditaprès les premières répliques et se met à danser une valsefolle, entraînante qui transporte les spectateurs. Ellechante, très gentiment, les trois couplets de la légendede Chilpéric, et toute la salle emballée lui fait reprendrele troisième

La nuit, quand tout sommeille,Sabre en main Chilpéric veille..

Des applaudissements éclatent que ponctuent lesbravos et les bis. Dans son avant-scène, lèvres pincées,Mlle Baron s'efforce de cacher son trouble et son dépitaux regards gouailleurs qui scrutent son visage blêmi.

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Page 21: Extrait de la publication · BLANCHE D'ANTIGNY A Paul Léautaud. Un jour entre les jours, en 1865, chez Dinochau, dansquelques le petitamis,entresolle photographebas de plafondCarjatoùvitil
Page 22: Extrait de la publication · BLANCHE D'ANTIGNY A Paul Léautaud. Un jour entre les jours, en 1865, chez Dinochau, dansquelques le petitamis,entresolle photographebas de plafondCarjatoùvitil

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