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Les drogues :les coûts cachésde la prohibition

L I N E B E A U C H E S N E

Les drogues :les coûts cachésde la prohibition

Dépôt légal – 4e trimestre 2006Bibliothèque nationale du QuébecBibliothèque nationale du Canada

ISBN (13) : 978-2-89579-106-5ISBN (10) : 2-89579-106-6ISBN : 978-2-89579-816-3 – version numérique

Direction : Jean-François BouchardGraphisme : MardigrafeRévision : Sylvie Marcoux

© Bayard Canada Livres inc., 20064475, rue FrontenacMontréal (Québec) Canada H2H 2S2Téléphone : (514) 844-2111 ou 1 866 844-2111Télécopieur : (514) 278-3030Courriel : [email protected]

Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Programme d’aideau développement de l’industrie de l’édition (PADIÉ) pour nos activités d’édition.

Bayard Canada Livres inc. remercie le Conseil des Arts du Canada du soutien accordé à son programmed’édition dans le cadre du Programme des subventions globales aux éditeurs.

Cet ouvrage a été publié avec le soutien de la SODEC.Gouvernement du Québec – Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres – Gestion SODEC.

Ce livre a été publié une première fois en 2003 (ISBN 2-89485-244-4).

Imprimé au Canada

Quand une politique sociale prend des allures de croisade sans frein,les libertés individuelles en pâtissent toujours.

Ceux que les autorités politiques et morales ont identifiés comme des ennemisne sont pas les seuls à subir les dommages occasionnés par cette dérive.

Le durcissement du contrôle social concerne tout le monde.(Brouet, 1991)

Nous demandons la fin de la guerre.Pas de la guerre à la drogue

comme on tente de nous le faire croire,mais d’une guerre contre les gens.Nous ne pouvons faire autrement

et toujours nous considérercomme d’authentiques leaders moraux.

[…]

La morale nous commande de travaillerà prévenir l’alcoolisme (et les autres toxicomanies).

Mais interdire l’alcool par la loiaurait les mêmes effets que la guerre à la drogue.

[…]

Nous devons éduquer les gensà propos des dangers de l’alcool et du tabac.Et on doit nous permettre d’éduquer les gens

à propos des autres drogues de la même façon.

Religious Leaders for a More Just and Compassionate Drug Policy

(http://religiousleaders.home.mindspring.com. Notre traduction.)

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Remerciements

Nombreux sont celles et ceux qui m’ont aidée à la production de ce

livre au cours des années, directement ou indirectement, en complé-

tant mon information sur le sujet. Je les en remercie.

J’ai bénéficié également de lecteurs précieux de ce manuscrit, qui,

chacun avec sa lunette professionnelle ou personnelle, ont su montrer du

doigt divers points à « remettre sur le métier » : Octavie Bellavance, Yves

Cossette, Alain Godfurnon, Jean-Robert Primeau, Pierre Péloquin et

Vincent Talbot. Merci pour votre générosité. Elle me touche beaucoup.

Enfin, merci à ma famille qui me fournit des conditions de travail en

or, la joie et l’amour étant mes plus grandes sources d’énergie.

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Préface

Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne1.

Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne ; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité

avec les principes de justice fondamentale2.

L a Déclaration universelle des droits de l’Homme a été adoptéepar l’Assemblée générale des Nations Unies le 10 décembre

1948 après l’une des guerres les plus sanglantes de l’histoire del’humanité. Au cours de la Deuxième Guerre mondiale, plus de50 millions de personnes furent tuées. Compte tenu des atrocitéset de la haine qui ont marqué ce conflit, l’adoption de ce textehistorique avait pour objectif d’établir une société où la recon-naissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famillehumaine et de leurs droits égaux et inaliénables constituerait,pour reprendre les termes de la Déclaration, le fondement de laliberté, de la justice et de la paix dans le monde.

Depuis le début de l’aventure humaine, des conflits d’ori-gine ethnique, religieuse, politique ou idéologique ont fait res-sortir le côté le plus sombre de l’être humain dans la plupart desrégions de la planète. Depuis le XVIIIe siècle, les guerres se sont

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1. Article 3, Déclaration universelle des droits de l’Homme.

2. Article 7, Charte canadienne des droits et libertés.

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soldées, malgré les morts, par des conquêtes territoriales, la dé-route de régimes politiques autoritaires, l’instauration de l’État-Nation et l’avancement de la liberté et de la démocratie.

Or, un autre type de conflit a vu le jour au début duXXe siècle, conflit qui s’apparente aux croisades et qui n’a euaucun effet bénéfique à long terme. Il s’agit de la guerre contre lesdrogues tels le cannabis, l’héroïne ou la cocaïne. Contrairementaux conflits traditionnels, cette guerre qui s’étend à la grandeurde la planète est beaucoup plus sournoise. Elle repose sur des va-leurs morales hautement conservatrices, issues d’une époque ré-volue. Comme ses origines se trouvent aux États-Unis, leCanada, au nom du maintien de bonnes relations avec son puis-sant voisin, n’a eu d’autre choix que de déclarer la guerre auxdrogues. En effet, depuis 1908, date de l’adoption de la Loi surl’opium, la prohibition de certaines substances psychoactives –l’arme privilégiée par les autorités gouvernementales dans ceconflit – est présentée à la population canadienne comme une« solution miracle » afin d’éradiquer à la fois leur usage et leurtrafic. Cette politique paternaliste qui repose principalement surle recours au droit pénal serait bénéfique pour la sociétépuisqu’elle renforcerait la sécurité et la santé publiques, la pro-ductivité des citoyens et la vertu humaine. Notons que les consi-dérations de santé publique et d’éthique ou le recours à desrecherches scientifiques sérieuses pour appuyer les choix des lé-gislateurs furent évacués des variables considérées par les autori-tés publiques pour interdire l’usage de certaines substancespsychoactives. Du jour au lendemain, les consommateurs dedrogues déclarées illicites sont devenus des criminels dangereux,des contaminateurs, bref une catégorie à part de la populationqui n’a plus droit à la liberté et à la dignité.

Au-delà des raisons officielles qui ont trop souvent ali-menté le discours favorable à la prohibition, d’autres facteurs tels

PRÉFACE

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le racisme, les préjugés défavorables à l’épanouissement de cer-tains segments de la population, le développement de l’industriepharmaceutique, le fonctionnement d’une imposante bureaucra-tie gouvernementale visant l’application de lois pénales contrai-gnantes ayant trait à certaines substances illicites, les relationsNord-Sud et le prestige international pour ne nommer que ceux-là sont à l’origine de la guerre contre la drogue et de sa perpétua-tion jusqu’à nos jours. Ainsi, la criminalisation de l’usage dedrogues illicites afin de protéger la population de l’un des plusgraves fléaux de l’histoire humaine combinée à la participationdes médias, des agences chargées d’appliquer les lois et de diversgroupes d’intérêts à cette politique répressive, auront permis desubtilement masquer les véritables enjeux de la guerre contre ladrogue ainsi que ses ravages dans de nombreuses communautés.Depuis 30 ans, plusieurs voix se sont élevées au Canada et ailleursdans le monde pour mettre fin à cette guerre insidieuse. Pourtant,l’inclusion récente des notions de traitements ou de préventiondans le discours favorable à la prohibition a permis de semer laconfusion dans la population sur les objectifs et les conséquencesnéfastes de cette politique assurant ainsi, jusqu’à tout récemment,l’absence d’une contestation populaire généralisée.

Lors des travaux du Comité permanent des affaires juri-diques et constitutionnelles du Sénat, en 1996, sur le projet de loiC-8 – la Loi réglementant certaines drogues et autres substances –,j’ai pu constater les effets pervers de cette terrible guerre sur lapopulation canadienne. D’abord, la prohibition a permis la créa-tion de puissantes organisations criminelles nationales et trans-nationales dont la majeure partie des revenus proviennent dutrafic de stupéfiants. Au Québec seulement, plusieurs personnesont été tuées depuis 1995 dans un conflit sanglant qui oppose desgroupes de motards criminalisés pour le contrôle de la vente desstupéfiants. Elle a également engendré l’érosion constante des

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libertés fondamentales des Canadiens. Le recours au droit pénalpour contrôler l’usage de substances illicites a fait en sorte qu’au-jourd’hui plus de 500000 Canadiens ont un casier judiciairepour simple possession de cannabis avec tous les inconvénientsque cela implique pour leur carrière ainsi que leur mobilité inter-nationale. Les consommateurs de drogues, notamment les per-sonnes les plus démunies de notre société et les jeunes, sontexposés à la violence issue du crime organisé pour obtenir leursproduits. N’étant soumis à aucun contrôle étatique, ces dernierssont souvent de piètre qualité et peuvent avoir de graves consé-quences pour la santé. Cette situation est accentuée par le faitque la prohibition empêche la mise en œuvre de programmes deprévention et d’éducation intelligents sur les effets des drogues.Enfin, les personnes qui ont développé une dépendance à l’égardd’une substance psychoactive illicite n’ont accès qu’à de raresprogrammes de traitement qui, dans la majorité des cas, tiennentcompte uniquement des effets de la drogue comme source prin-cipale de leurs problèmes de santé.

Malgré les déclarations faites par les fonctionnaires fédé-raux et certains groupes favorables au maintien de la prohibitionà l’effet qu’elle vise la protection de la santé publique, cette ré-flexion m’a plutôt amené à conclure que notre politique actuellesur les drogues a contribué à la détérioration de la santé des Ca-nadiens et, dans certains cas, à leur décès. C’est dans cette op-tique que j’ai proposé, en juin 1999, la création d’un Comitéspécial du Sénat qui réévaluerait cette politique afin de proposerdes réformes qui feraient en sorte que la problématique desdrogues serait d’abord et avant tout considérée comme une ques-tion de santé publique. C’est à cette époque que j’ai eu le privi-lège de rencontrer la docteure Line Beauchesne, avec qui j’ai pudiscuter de la problématique des drogues. Afin d’approfondirmes connaissances sur cette question et de mieux cerner les divers

PRÉFACE

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éléments des travaux de recherche du Comité spécial du Sénat surles drogues illicites, elle m’a proposé la lecture de son livre publiéen 1991, dont le titre est : La légalisation des drogues… Pour mieuxprévenir les abus. Grâce à cet ouvrage magistral qui reflétait la vasteexpérience de l’auteure dans ce domaine, j’ai pu comprendre lesvéritables fondements historiques de la prohibition et mieux saisirles subtilités, les raisonnements fallacieux ainsi que les mensongesinhérents au discours prohibitionniste. Les travaux de Line Beauchesne auront été pour moi une source constante d’inspira-tion tout au long de la période au cours de laquelle j’ai présidé leComité spécial du Sénat sur les drogues illicites. Je tiens d’ailleursà la remercier sincèrement de son appui indéfectible tout au longde cette entreprise périlleuse d’un point de vue politique mais trèsenrichissante pour la vie démocratique et la diffusion d’une infor-mation transparente auprès des Canadiens.

Après avoir étudié attentivement la problématique du can-nabis pendant près de trois ans, je suis convaincu qu’au nom dela démocratie, de la dignité humaine, du respect des libertés in-dividuelles et de la promotion de la santé publique le Canadadoit absolument se doter d’une stratégie nationale intégrée surl’usage de « toutes » les substances psychoactives reposant sur desprincipes directeurs objectifs. Cette dernière impliqueraitd’abord le renforcement de l’infrastructure nationale de connais-sances sur l’usage et les effets des drogues permettant la mise enœuvre de programmes de prévention et de traitements innova-teurs. Une fois cet objectif atteint, les gouvernements pourraientcréer un régime réglementaire encadrant la consommation et laproduction de cannabis. Je fais ici référence au concept de « léga-lisation contrôlée » par l’État. Ces mesures seraient beaucoupplus respectueuses des principes de la Déclaration universelle desdroits de l’Homme et, surtout, de ceux de la Charte canadienne desdroits et libertés. En effet, dans une société libre et démocratique

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comme la nôtre, le citoyen devrait avoir le droit de prendre desdécisions éclairées quant à ses comportements, à condition qu’ilsne causent pas de préjudices importants à autrui. L’usage ducannabis entre dans cette catégorie de comportements. Commecette drogue est moins nocive que le tabac ou l’alcool, dontl’usage est par contre licite, pourquoi ne pas la traiter au moins dela même façon? À cet égard, même si une consommation exces-sive de cannabis comporte des risques pour la santé, elle ne jus-tifie pas pour autant le recours au droit pénal.

Suivant la lecture de ce nouvel ouvrage de Line Beauchesne,énonçant de nouveaux éléments de réflexion ainsi que les conclu-sions des récentes recherches qu’elle juge à-propos d’appuyer,force nous est maintenant d’examiner l’après-prohibition ainsique la nécessaire période transitoire avant que celle-ci ne soitplus qu’un mauvais souvenir. De plus, les Canadiens sont avidesd’informations objectives non seulement sur le cannabis et surles autres substances psychoactives licites et illicites, mais égale-ment sur les effets pervers engendrés par la guerre contre ladrogue. Ceux-ci sont de plus en plus conscients que cette poli-tique est un échec lamentable et, par conséquent, ils cherchentdésespérément des réponses à leurs questions légitimes. Ils récla-ment un débat transparent, informé et démocratique sur toute laproblématique de ces substances. Ce livre participe à comblerce désir.

Dans ce contexte, le nouveau livre de la docteure Beauchesnene leur fournit pas seulement une information rigoureuse surl’histoire de la prohibition ou les multiples subtilités du discoursassocié aux partisans de cette politique, il démontre aussi la façondont elle a permis l’éclosion et la prospérité d’une économie parallèle importante dans les pays occidentaux qui menace à biendes égards les fondements démocratiques de l’État-Nation et perpétue intentionnellement les inégalités Nord-Sud. L’auteure

PRÉFACE

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démontre également avec brio que les empiètements dans lesdroits fondamentaux des citoyens par l’octroi de pouvoirs extra-ordinaires aux forces de l’ordre et les opérations policières en ma-tière de drogues ont pour effet de renforcer le pouvoir desorganisations criminelles dans plusieurs régions du monde aupoint où elles sont devenues plus influentes que certains pays àl’échelle internationale. En bout de ligne, cela ne fait qu’accentuerles effets pervers de la prohibition telles la violence dans de nom-breuses communautés, la corruption des autorités politiques etadministratives et la détresse des consommateurs de stupéfiants.

Cela dit, l’analyse de la docteure Beauchesne forcera les Canadiens à constater les répercussions éventuelles de toute mo-dification de notre politique sur les drogues, non seulement auCanada mais ailleurs dans le monde, notamment dans les pays lesplus pauvres. La problématique des drogues est mondiale et, parconséquent, le Canada ne peut pas agir en vase clos dans ce domaine. Ce n’est qu’après avoir pris connaissance de cette réalitéque la population pourra déterminer la meilleure façon d’assurerune transition paisible vers une politique plus humaine en ma-tière de drogues. En ce sens, le livre de Line Beauchesne constitueune contribution remarquable au processus démocratique.

Pierre Claude Nolin, sénateur

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Introduction

U ne véritable guerre a cours présentement contre certainesdrogues déclarées illicites1, principalement des drogues

d’origine étrangère dérivées du cannabis, de la coca ou del’opium, et, plus récemment, certaines drogues synthétiques(fabriquées en laboratoire) utilisées dans un cadre non médi-cal. Est-ce que cette guerre se justifie par l’efficacité de ses résultats en matière de santé publique ? Non. Pire. La guerreà la drogue augmente la sollicitation de consommation de drogues auprès des jeunes dans un marché noir où tout circulelibrement et aisément. De plus, les produits offerts ne bénéfi-cient d’aucun contrôle, ce qui augmente les risques reliés à leurconsommation.

Si la prohibition des drogues comporte des effets directset indirects aussi néfastes, comment envisager leur légalisa-tion ? Suivant quels scénarios et selon quelles étapes ? Quelleserreurs éviter ? Que peut-on apprendre de nos politiques actuelles sur les drogues légales ? Que devient la réductiondes méfaits dans une politique plus libérale en matière de drogues ? Quel serait le rôle de l’État ? du droit pénal ? de la

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1. Le terme illégal signifie « contraire à la loi », « qui n’est pas légal ». Le terme illicite ajouteune connotation morale ; il signifie « contraire à la morale et, éventuellement, à la loi également ». En matière de drogues, il s’agit bien de produits illicites.

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prévention ? Que fait-on du tabac ? Que peut-on apprendredes expériences dans d’autres pays ?

Le projet de répondre à ces questions demandait dans unpremier temps de reprendre entièrement une réflexion entamée ily a 20 ans et qui s’est traduite en 1990 par la parution du livre Lalégalisation des drogues pour mieux en prévenir les abus. La mou-vance très grande dans le champ de la toxicomanie depuis 12 ans,tant en théorie qu’en pratique, ne pouvait se manifester par unesimple mise à jour. D’une part, des secteurs de recherche mieuxexplorés, que cela touche l’historique de la prohibition ou encoreses effets aujourd’hui, m’ont amenée à ne garder que le plan dequelques sections, retravaillant toutefois en profondeur leurcontenu. D’autre part, à l’occasion de multiples échanges et ren-contres au fil des années, il m’est devenu clair que plusieursquestions d’importance sur la prohibition avaient été négligéesdans ce premier ouvrage. Elles furent ajoutées à cette analyse.

C’est ainsi qu’au réexamen de l’historique de la prohibi-tion aux États-Unis (chapitre I) et au Canada (chapitre II),s’ajoutent l’histoire du marché des drogues illicites et les intérêtsdes États dans ce marché (chapitre III). Également, l’identifica-tion des principaux messagers de la prohibition ainsi que l’ana-lyse des messages véhiculés étaient nécessaires pour mieux saisirl’adhésion de la population à l’information qui soutient la guerreà la drogue et, par extension, aux contrôles qui en découlent(chapitre IV). Enfin, il était important de comprendre pourquoile commerce au noir est en expansion, inondant internationale-ment le marché d’une diversité sans cesse renouvelée de pro-duits : la répression qui découle de la prohibition, de même queles industries qui vivent des multiples contrôles qui en sontissus, en constituent la source (chapitre V).

Cette nouvelle analyse aide à mieux comprendre que laguerre à la drogue est une guerre perdue (chapitre VI) dont les

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conséquences en matière de santé publique et pour la démocratiesont désastreuses (chapitre VII). Elle ouvre également la porte ausecond temps de cette réflexion, soit : Les drogues : Légalisationet promotion de la santé (Beauchesne, 2006).

En espérant que ces livres informeront davantage les déci-deurs et la population, contribuant positivement aux débats surle rôle de l’État en ce secteur.

INTRODUCTION

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PARTIE I

Les originesde la prohibitionet les intérêtsdes États

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CHAPITRE I

Son origine aux États-Unis

L es origines de la guerre à la drogue sont américaines, même sid’autres pays ont su profiter de cette guerre ou furent obligés

d’y prendre part. Pour comprendre ces origines, il est nécessaired’examiner plusieurs éléments du contexte américain précédantla prohibition qui conduiront à la conjoncture où les premiers in-terdits en matière de drogues apparaîtront comme une solution.Par la suite, nous verrons pourquoi cette stratégie prohibition-niste ne se limitera pas aux États-Unis mais prendra des dimen-sions internationales.

Le décor

Au Moyen Âge et à la Renaissance, dans les produits rapportésd’Orient en Occident, on trouve des épices, des herbes, des tein-tures et toutes sortes d’autres substances dont certaines, au-jourd’hui, sont identifiées comme des drogues illicites.

L’importation, la distribution et l’expansion de l’usage deplusieurs de ces drogues se font, principalement, par l’intermé-diaire de religieux, de « rebouteux », de sorcières, de médecins etd’apothicaires, groupes qui ont dans leur fonction de guérir, ou

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encore de produire et de vendre des potions curatives. Bien sûr,à cette époque, comme on n’a pas encore isolé scientifiquementles substances actives de ces potions pour en analyser les effets,tout se côtoie dans le marché de ces remèdes : de la médicationpar les plantes aux « recettes de sorcières », du breuvage à based’opium aux « pastilles de crapaud séché ». (Bachmann etCoppel, 1989 : 24 ; Escohotado, 1995.)

Ce marché se modifiera avec la commercialisation de lasanté et la montée des sciences médicales.

L’opium et le laudanum

En Europe, on attribue au Suisse Paracelse, au début du XVIe

siècle, la promotion d’une boisson curative à base d’opium consi-dérée alors comme miraculeuse2. Au XVIIe siècle, Sydenham,médecin anglais, simplifie la composition de la boisson à based’opium de Paracelse et crée un nouveau produit baptisé le « lau-danum » dont il vante activement les capacités soignantes. Faitnouveau cependant, cette promotion du laudanum s’appuie surune expérience clinique prouvant les vertus thérapeutiques de ceproduit. La caution scientifique médicale pénètre le marché desdrogues et vient s’ajouter aux vertus du savoir traditionnel pourmousser la vente de ce remède.

Le laudanum et ses succédanés se répandent en moins d’unsiècle à travers toute l’Europe et sont parmi les médicaments lesplus utilisés. Les produits contenant de l’opium (ou son concen-tré, la morphine) sont recommandés pour une foule de maux etvendus sous de multiples formes :

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2. La première médication à base d’opium, le thériaque, aurait été composée à Rome parGalien pour soigner les migraines de Marc-Aurèle.

Extrait de la publication

Ils étaient vendus sous des noms tels Ayers’Cherry Pectoral, Mrs.Winslow’s Soothing Syrup, Darby’s Carminative, Godfrey’s Cordial,McMunn’s Elixir of Opium, Dover’s Powder, etc. Certains étaient dessirops contre le mal de dents pour les jeunes enfants, d’autres étaientdes sirops « calmants », tandis que d’autres étaient recommandéscontre la diarrhée et la dysenterie, ou encore pour les « problèmes defemmes ». Ils étaient largement publicisés dans les journaux et magazines et sur les babillards en tant qu’antidouleurs, remèdescontre la toux, « amis des femmes », traitement contre la tuberculose,etc. (Brecher et al., 1972 : 3. Notre traduction.)

Au début du XIXe siècle, l’opium est connu dans tous les payset fait partie de la pharmacopée de tout bon médecin ou apothicaire.L’usage de l’opium se répand d’autant plus massivement que ladysenterie fait des ravages dans les premières villes industrielles oùles normes d’hygiène et leur importance sont encore peu connues.Comme l’opium constipe, cet effet thérapeutique le rend vite populaire, surtout qu’il est facile de s’en procurer :

1. Les médecins vendent des opiacés directement à leurs patients,ou leur écrivent des prescriptions ;

2. Les pharmacies vendent des opiacés sur les tablettes, sansprescription ;

3. Les épiciers et les « magasins généraux » ont des cargaisons d’opia-cés et en vendent. Une enquête dans l’État de l’Iowa de 1883à 1885, État qui avait alors une population de moins de 2 millionsd’habitants, indique qu’il y avait plus de 3000 lieux de vented’opiacés – et cela n’incluait pas la vente directe par les médecins ;

4. Pour les usagers incapables de se rendre à un commerce ou qui nevoulaient pas se déplacer, les opiacés pouvaient être commandéspar la poste. (Brecher et al., 1972 : 3. Notre traduction.)

Les bienfaits de l’opium sont d’autant plus reconnus queceux qui en font la promotion – les médecins – sont perçuscomme ayant un savoir et un savoir-faire qui ne relèvent pas de

SON ORIGINE AUX ÉTATS-UNIS

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Extrait de la publication

la magie ou de la religion, mais de l’expérience clinique. Il n’estdonc pas surprenant d’apprendre que les premières dépendancesà l’opium en Occident sont d’origine médicale ou reliées à l’achatde dérivés d’opium chez les droguistes.

À ce marché médical s’ajoute un autre marché de peu d’im-portance comparativement au premier : l’usage récréatifd’opium.

En Amérique, ce sont surtout les femmes blanches d’âgemoyen et de classe aisée qui font usage d’opium dans les fume-ries, l’alcool leur étant interdit. Également, certaines prépara-tions à base d’opium sont prisées par plusieurs écrivains del’époque. De Baudelaire à Goethe, de Poe à De Quincey, on enconsomme d’abord pour des raisons médicales puis, par habi-tude, et finalement pour la recherche des effets. Certains, parleur usage abondant et régulier de l’opium, devinrent dépen-dants de cette drogue. Quelques écrivains ont exprimé cette am-bivalence quant aux vertus et aux dangers de l’usage de l’opium,drogue qui peut guérir le corps et l’esprit et en même temps ré-duire en esclavage. La plus connue des descriptions à ce sujet estsans nul doute celle de Thomas De Quincey dans les Confessionsd’un opiomane anglais, parues en 1821.

L’opium vendu aux États-Unis au début du XIXe siècle esten grande partie importé des Britanniques, quoiqu’on ait com-mencé à en cultiver dans plusieurs États avec succès. Toutefois,dans la deuxième moitié du XIXe siècle, des commerçants améri-cains réussissent à accaparer une part du marché international del’opium. Les prix ayant baissé après les guerres de l’opium enChine au milieu du XIXe siècle3, les ventes de produits opiacéssont florissantes, d’autant plus que le marché des médicamentsn’est pas encore réglementé.

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3. Voir au chapitre III.

La majorité des consommateurs d’opiacés sont des femmeset ce, tant pour l’usage récréatif (dans les fumeries) que théra-peutique (leur achat concernait aussi bien les « problèmes defemmes » que les soins aux enfants). (Brecher et al., 1972 ; Escohotado, 1995 ; Rosenzweig, 1998, 2001 ; Yvorel, 1992.)

Le haschisch et la recherche esthétique

Des médecins accompagnent les grandes expéditions arméesdes XVIIIe et XIXe siècles. Certains d’entre eux sont chargésnon seulement de soigner les soldats, mais également de la mis-sion de découvrir de nouveaux produits dans les contrées où lesarmées se déplacent. De leur expédition en Égypte, les soldatsde Bonaparte et les médecins militaires ramènent du haschischdans leurs bagages. De retour en Europe, ces médecins éva-luent les usages thérapeutiques de ce nouveau produit avec,entre autres, l’élite artistique de leur entourage. C’est ainsi, parexemple, que Théophile Gautier, « Nerval, Alphonse Karr,Meissonnier, Tony Johannot, Delacroix, Daumier et bien d’au-tres encore […] deviennent les cobayes consentants des méde-cins aliénistes ». (Bachmann et Coppel, 1989 : 83.) Baudelaire,dans les Paradis artificiels en 1860, témoigne éloquemment decette période.

Toutefois, comme aucune application thérapeutiqued’usage général pour la population n’est découverte, l’usage duhaschisch est restreint à peu de gens et est de courte durée. Lecannabis, par contre, est considérablement utilisé en médecinedurant la seconde moitié du XIXe siècle

…pour diverses affections telles que la rage, le rhumatisme, le tétanos et comme relaxant musculaire […] la migraine, l’épilepsie, ladépression et parfois l’asthme et la dysménorrhée. Certains

SON ORIGINE AUX ÉTATS-UNIS

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Extrait de la publication

médecins comme H. A. Hare ont également recommandé le canna-bis pour atténuer l’agitation et l’anxiété et distraire l’esprit du patientdurant une maladie terminale. (Spicer, 2002 : 28-29.)

Mais le cannabis disparaît de la pharmacopée à la fin duXIXe siècle. La difficulté d’administrer des dosages stables decannabis, l’arrivée de drogues synthétiques promues énergique-ment par les compagnies pharmaceutiques (des drogues commel’aspirine, le chloral hydraté et les barbituriques), de même quel’expansion de l’usage de la seringue comme mode d’administra-tion des médicaments (le cannabis est peu soluble donc s’injectedifficilement), ont mis fin à ces usages thérapeutiques chez lesmédecins et ce, bien que l’on sache… « que les barbituriquesétaient dangereux et que beaucoup de gens mouraient des hé-morragies causées par l’aspirine ». (Spicer, 2002 : 29.)

La morphine et la seringue

L’opium contient environ 10 % de morphine. Lorsque des méde-cins arrivent à extraire cet alcaloïde de l’opium au commence-ment du XIXe siècle, ils croient avoir trouvé une drogue plus sûrepour enlever la douleur et endormir les patients (le terme mor-phine vient d’ailleurs de Morphée, dieu du sommeil). Avec la dé-couverte de la seringue hypodermique au milieu du XIXe siècle,son usage se répand largement. L’enthousiasme à l’égard de cettenouvelle drogue ainsi administrée est sans bornes dans les mi-lieux médicaux de l’époque. Certains journaux spécialisés an-noncent d’ailleurs en grande pompe que « la douleur humaine estenfin vaincue ». (Bachmann et Coppel, 1989 : 101.)

Cet enthousiasme entraîne la diffusion et la commercialisa-tion extrêmement rapide de la morphine. Les dangers de phar-macodépendance de cette drogue ne seront reconnus qu’une

LES DROGUES : LES COÛTS CACHÉS DE LA PROHIBITION

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Table des matières

Remerciements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7

Préface . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8

Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15

PARTIE I

Les origines de la prohibitionet les intérêts des États . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19

CHAPITRE I

Son origine aux États-Unis . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21

CHAPITRE II

Le versant canadien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63

CHAPITRE III

L’histoire du marché des drogues illicites . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85

PARTIE II

La justification de la prohibition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 117

CHAPITRE IV

Les voix de la prohibition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119

CHAPITRE V

Les voies de la prohibition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 187

PARTIE III

Bilan de la prohibition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 267

CHAPITRE VI

Une victoire impossible . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 269

CHAPITRE VII

Les constats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 283

CONCLUSION

L’urgence de la légalisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 309

Références bibliographiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 313

978-2-89579-816-3Extrait de la publication