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DE FRANÇAIS À PAYSANS

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DE FRANÇAIS À PAYSANSModernité et tradition dans le peuplement du Canada français

Leslie Choquette

SEPTENTRION

PRESSES DE L’UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE

Traduit de l’anglais par Gervais Carpin

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Chargée de projet : Marcelle Cinq-MarsMise en pages et maquette de couverture : Gilles HermanRévision : Solange DeschênesTraduction : Gervais CarpinIllustration de couverture : Kilborn’s Mills, Stanstead. Collection privée.

Dépôt légal – 3e trimestre 2001Bibliothèque nationale du Québec

© Les éditions du Septentrion1300, avenue MaguireSillery (Québec)G1T 1Z3ISBN 2-89448-196-9

Diffusion au Canada :Diffusion Dimedia539, boul. LebeauSaint-Laurent (Québec)H4N 1S2

Diffusion en Europe :Librairie du Québec30, rue Gay-Lussac75005 Paris

Les éditions du Septentrion remercient le Conseil des Arts du Canada et la Société de développement desentreprises culturelles du Québec (SODEC) pour le soutien accordé à leur programme d’édition, ainsique le gouvernement du Québec pour son Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres. Nousreconnaissons également l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Programmed’aide au développement de l’industrie de l’édition (PADIÉ) pour nos activités d’édition.

Si vous désirez être tenus au courant des publications desÉDITIONS DU SEPTENTRION,

vous pouvez nous écrire au1300, avenue Maguire, Sillery (Québec) G1T 1Z3

par télécopieur (418) 527-4978 ouconsulter notre site Internet

www.septentrion.qc.ca

La traduction a été réalisée grâce à l’aide financière de la SODEC et du Conseil international d’étudescanadiennes par l’entremise du Fonds d’aide à la traduction.

En collaboration avec Harvard University Press© 1997 President and Fellows of Harvard CollegeTitre original : Frenchmen into Peasants : Modernity and Tradition in the Peopling of French Canada.

Presses de l’Université Paris-Sorbonne18, rue de la Sorbonne75005 ParisISBN 2-84050-213-5

CID131, boulevard Saint-Michel75005 Paris

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PRÉFACE

ORS DE SA PARUTION, en 1997, sous le titre Frenchmen into Peasants, le livre de LeslieChoquette est apparu aussitôt comme extrêmement important aussi bien pour

ceux qui s’intéressent à l’histoire des migrations que pour ceux qui souhaitent mieuxconnaître l’histoire du Canada sous le régime français. La décision prise par Denis Vaugeoiset les éditions du Septentrion de le traduire et de le publier en français, en coédition avecles Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, doit donc être saluée, car elle mérite la plusgrande approbation.

Bien entendu, c’est d’abord sa lecture qui convaincra du bien-fondé de cette décision.Mais je voudrais aussi, dans cette préface, lui manifester mon appui sans réserve en expliquantl’intérêt très fort que je porte à ce livre.

Malgré les travaux qui avaient eu lieu jusqu’ici, Leslie Choquette a considéré avecraison que les départs des Français vers le Canada — Acadie comprise —, aux XVIIe et XVIIIe

siècles, n’avaient pas été vraiment analysés dans leur globalité, qu’on ne leur avait pasréellement appliqué les angles d’approche que permet le développement récent des étudeshistoriques des migrations, et que l’on n’avait pas assez tiré parti des apports récents del’histoire économique et sociale de la France à l’époque moderne. Comme Gervais Carpin,dont le livre également excellent va être publié en même temps, et dans les mêmesconditions1 , elle a voulu dépasser le cadre des seuls « pionniers » et étudier non pas lesseuls ancêtres de la population actuelle — ce qui d’ailleurs ne minore ou minimise enaucune façon les travaux d’Hubert Charbonneau et du Programme de recherche endémographie historique (PRDH) —, mais les migrants partis de France vers le Canada,qu’elle évalue à 67 820, plus 7000 pour l’Acadie, soit un chiffre global de 75 000 personnes,ce qui donne une image d’emblée beaucoup plus large qu’on ne le croyait des départs de lamétropole vers la Nouvelle-France.

En fait, il s’agit d’une évaluation, qui paraît tout à fait acceptable, dans l’état actuel denos connaissances, mais avec énormément de lacunes et d’imperfections, qui l’ont amenéeà faire porter son effort sur la réalisation d’une banque de données qui concerne 15 810émigrants, dont 2137 jeunes ou filles, 1692 d’entre eux étant passés en Acadie, parmilesquels 166 femmes, soit un cinquième de l’ensemble, ce qui, quantitativement, constitue

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viii DE FRANÇAIS À PAYSANS

un échantillon tout à fait important. D’un côté, dans l’état actuel des informations et de ladocumentation, il n’était pas possible de faire mieux. Il apparaît cependant que la Francede l’Ouest et du Nord-Ouest est mieux représentée que le reste du royaume ; des nuancespeuvent donc être apportées par d’autres analyses régionales plus approfondies que cellesdont nous disposons actuellement. Mais, d’un autre côté, on peut se demander si LeslieChoquette n’aurait pas dû davantage comparer les résultats à ceux déjà fournis par le PRDH,par la thèse d’Yves Landry sur les Filles du Roi, et par les premiers travaux de Gilles Dupré2 ?Sa position est très claire: « Pour cette étude, nous n’avons pas utilisé la banque de donnéesdu PRDH »; je ne suis pas certain qu’elle ne soit pas trop raide.

Mais, peu importe, actuellement ce qui compte, c’est la valeur du travail réalisé et ladémarche adoptée. On le voit aussitôt à travers une excellente présentation des sourcesdisponibles qui fait de l’introduction du présent livre un travail de référence. Ayant bâtisur une base variée et solide, aussi exhaustive que possible, Leslie Choquette nous montreensuite qu’il y a eu beaucoup plus de départs qu’on ne le croyait, et qu’ils ont touché« toutes les provinces françaises ». Même si, bien entendu, lorsque les chiffres sont faiblesnous avons à faire avec une dispersion stochastique qui échappe à une analyse véritablequelle que soit la région ou la province du royaume que l’on peut étudier, on trouve cettemême dispersion.

On en est ainsi au point fort de l’étude migratoire de Leslie Choquette : l’affirmationd’un lien tout à fait évident entre l’activité économique, le dynamisme économique et lesdéparts pour le Canada. C’est pourquoi la moitié des migrants viennent de la France del’Ouest et les deux tiers sont des citadins3. C’est particulièrement net en Bretagne oùdominent les départs en provenance de la partie francophone : « Dans l’ensemble de laHaute-Bretagne, l’émigration se met en place comme un sous-produit de la florissanteéconomie atlantique ». De même, dans le Sud-Ouest, « les émigrants de l’arrière-pays […]proviennent principalement des communautés de la vallée de la Garonne ». La géographiede l’émigration française au Canada, c’est donc « une géographie de la modernité ».

On pourrait à cet endroit objecter que ceux qui se disent originaires de telle ou telleville ne le sont pas forcément : il y a en effet un tropisme bien connu qui consiste, pour lesmigrants, à déclarer comme leur lieu d’origine la dernière ville où ils ont habité plutôt queleur village rural. Ce serait cependant une erreur de s’y arrêter : ils sont effectivementpartis de cette ville qu’ils indiquent, notamment parce qu’ils y ont été recrutés. C’est unpoint commun des deux livres de Gervais Carpin et de Leslie Choquette que de mettrel’accent sur la grande place des engagés au Canada, qui n’ont été finalement que dessaisonniers. Ce qui ne pouvait que renforcer la place des ports et celle de la France del’Ouest : Gabriel Debien autrefois, Gervais Carpin récemment indiquent clairement, commeChristian Huetz de Lemps, Lucille Bourrachot, Jacques de Cauna, ou moi-même, que lerecrutement des engagés, et même celui des « passagers4 », est plus important dans lesvilles, et en particulier dans les ports atlantiques qu’ailleurs. Il est donc naturel que LeslieChoquette soit arrivée à la conclusion du lien étroit entre l’économie portuaire et atlantiqueet les départs, qui retrouve cette grande idée de Fernand Braudel d’une dualité françaisefondamentale, aux XVIIe et XVIIIe siècles, entre une France terrienne et celle du grand large.

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ixPRÉFACE

Encore qu’il faille la nuancer fortement : les vallées fluviales mais aussi les chemins de terremènent très largement vers la façade atlantique, et c’est pourquoi même la France de l’Estest bien représentée, somme toute, puisque 9,5 % des migrants en viennent. Au demeurant,on peut ajouter que, jusqu’aux années 1740, l’appel migratoire des ports atlantiques, mêmecelui de Bordeaux, resta quantativement médiocre. Il laissait donc la place à un mouvementvers l’outre-mer.

Déjà tous ces éléments, mais aussi le fait d’avoir mené en un seul ensemble des analysesrégionales précises et éclairantes, devraient passionner les lecteurs, en même temps queleur révéler une réalité historique qu’ils ne connaissaient guère, et de toute façon de manièrepartielle. D’autres conclusions sont également très précieuses. C’est ainsi que, même si lestatut socioprofessionnel fait défaut pour 57 % des migrants, il n’en reste pas moins que,pour les autres, on a une proportion d’élites, d’artisans et de manouvriers, soit une populationcitadine, bien supérieure à ce que l’on trouve dans l’ensemble du royaume; à supposer, cequi ne peut être le cas, que tous les autres soient des ruraux, il reste que la Nouvelle-Francen’a pas été quasi uniquement colonisée par un solide paysan français comme le voulait lavision traditionnelle. En outre, tous n’étaient pas catholiques : autour de 300 protestantsse seraient installés au Canada, et il y eut également quelques juifs. Quant à la très grandemajorité catholique, elle n’était pas forcément pieuse : les autorités civiles et religieuseseurent souvent du mal avec les immigrants.

À partir de ces bases, il faudra sans aucun doute aller plus loin, notamment en traitantplus à fond les Filles du roi et les militaires, les premières étant déjà bien connues grâce àYves Landry5. Il est vrai que la démarche régionaliste, aux très riches apports, choisie parLeslie Choquette, se heurtait ici à la difficulté d’intégrer les groupes plus homogènes ouplus définis ne relevant pas à proprement parler de la seule analyse régionale, encore quel’une de ses grandes conclusions soit que, même pour un régiment, le recrutement régionalintervenait. Tout en expliquant la venue d’émigrants originaires des provinces de l’est duroyaume par leur qualité de militaires, Leslie Choquette montre le lien entre l’envoi desoldats de Marine et un nombre important de Bretons, et cela bien que les recruteursmilitaires travaillant pour le Canada aient peu utilisé le recrutement local, mais eu recoursaux annonces publiques sur les places des villes. D’une manière générale, au demeurant, lerôle de l’État a été considérable dans les départs au Canada, y compris pour la venued’artisans. Et, chaque fois que cela était nécessaire, l’État imposait un recruteur de sonchoix. Il reste, et c’est fondamental, qu’il n’y a pas eu « un mouvement migratoire vers leCanada tellement autonome ».

Finalement, on peut regrouper, me semble-t-il, l’apport de l’ouvrage de Leslie Choquetteautour de deux idées essentielles. D’un côté, malgré les conditions originales du Canada,et notamment cette « réputation douteuse qui bloquait l’émigration en faisant durecrutement une entreprise inférieure », on a bien à faire à une histoire qui relève de l’analysemigratoire. Si Leslie Choquette parle beaucoup moins de réseau que Gervais Carpin, enfait cette notion est toujours présente, et c’est obligatoire parce que les migrations ne sefont pas au hasard : elles empruntent des chemins6. On remarquera d’ailleurs qu’à plusieursreprises elle parle de « migration traditionnelle » pour bien souligner à quel point la migration

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x DE FRANÇAIS À PAYSANS

en Nouvelle-France s’inscrit dans un contexte général de mobilité et de migration. Je crainsqu’elle ne surestime quelque peu la mobilité : rapporté au chiffre total de la population, lenombre de ceux qui quittent leur province ou même leur région est loin d’être aussi élevéqu’elle semble le penser. Par ailleurs, lorsque par exemple un natif d’un village situé à unedizaine de kilomètres de La Rochelle ou de Saint-Malo part au Canada, on ne peut eninférer que le nombre de départs est forcément très élevé : je pense l’avoir montré pourBordeaux au XVIIIe siècle, les villages à proximité de celle-ci envoyant essentiellement dansla capitale girondine. Le Canada a attiré, comme elle montre très bien, de jeunes hommesadultes, mais, là où d’autres options étaient possibles : par exemple dans les régions demigration saisonnière et temporaire, qui étaient en outre — et ceci a beaucoup joué —loin de la façade atlantique, on a avec raison gardé les directions habituelles —essentiellement l’Espagne ou les grandes villes — que l’on connaissait mieux, qui payaientsans doute davantage, et qui surtout permettaient un retour plus facile. Encore qu’il soitclair aujourd’hui, grâce à son travail et à celui de Gervais Carpin, que la venue de trèsnombreux migrants n’a été que de fort courte durée. La venue en Nouvelle-France relèveen fait majoritairement d’une émigration saisonnière ou temporaire, ce qui doit amener,dans les années à venir, à reconsidérer la vision que l’on a eue jusqu’ici de cette population.

Et c’est à cet endroit que l’on retrouve le titre de l’ouvrage de Leslie Choquette : àl’origine c’étaient des Français, citadins par leur naissance ou par leur activité, dont seuleune minorité étaient des paysans; or, une fois installés là-bas, de Français, ils sont devenuspaysans. Cela ne signifie pas, en réalité, que la recherche est close ou doit l’être : c’est aucontraire une invitation à aller plus loin. D’abord, parce qu’il n’est pas sûr que, par exemple,les militaires aient été — pour une grande partie d’entre eux — si éloignés d’un paysannatoriginel, ce qui était certainement le cas d’un grand nombre. Ensuite, parce qu’il faudraitmaintenant essayer de distinguer ceux qui sont venus pour être colons, ceux qui le sontdevenus aussitôt, ceux enfin qui le sont devenus parce qu’ils n’ont pas eu d’autre solutionune fois au Canada, quelle qu’en soit la raison. De même qu’en segmentant régionalementl’étude des départs Leslie Choquette nous a donné un travail très neuf et suggestif, demême il faut maintenant segmenter l’étude des Français installés au Canada. D’ailleurs,beaucoup d’artisans, par exemple, recrutés comme engagés, ont vécu essentiellement àQuébec ou à Montréal avant de retourner en métropole.

C’est le propre des grands travaux de non seulement renouveler nos points de vuemais encore — et parfois surtout — de susciter le désir d’aller plus loin parce qu’unegrande partie des questions qu’ils mettent au jour demandent d’autres approfondissements.Tel est bien le cas de celui-ci.

Recteur Jean-Pierre Poussou,professeur en Sorbonne,ancien président de l’Université Paris-Sorbonne

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xiPRÉFACE

NOTES

1. G. Carpin, Le Réseau du Canada (1628-1662). Il s’agit également d’une coédition entre les éditionsdu Septentrion et les Presses de l’Université de Paris-Sorbonne (PUPS).

2. G. Dupré étudie l’émigration française au Canada au XVIIIe siècle, et il a déjà analysé de manièreapprofondie l’émigration des soldats, laquelle, bien entendu, n’était pas volontaire. Parmi eux, dominaientles soldats des troupes de Marine.

3. On est évidemment ici aux antipodes d’une Nouvelle-France peuplée par le paysannat françaistraditionnel.

4. Les engagés viennent à la suite d’un contrat, normalement d’une durée de trois ans; leur voyage estpayé par celui qui les a recrutés; les passagers n’ont pas — en principe — de contrats de travail, ilsviennent pour toutes sortes de motifs; ils paient eux-mêmes le prix de leur passage. Sur les engagés, voirG. Debien, « Engagés pour le Canada au XVIIe siècle vus de La Rochelle ». Notes d’histoire coloniale, t. 21,1952, p. 177-220; sur les passagers, voir notamment L. Bourrachot et J.-P. Poussou, « Les départs depassagers charrentais pour les Antilles (1713-1787) », Bulletin de la Société d’archéologie et d’histoire de laCharente-Maritime, t. 25, 1974; C. Huetz de Lemps et J.-P. Poussou, « Les départs de passagers bazadaispar Bordeaux au XVIIee siècle (1713-1787) », Cahiers du Bazadais, no 90, 1966.

5. Y. Landry, Orphelines en France, pionnières au Canada : les Filles du roi au XVIIe siècle, Montréal,Leméac, 1992.

6. Voir Y. Landry et al., Les Chemins de la migration en Belgique et au Québec XVIIe-XXesiècles, Québec etLouvain-la-Neuve, MNH et Académia-Erasme, 1995, et notamment mon propre texte : « Les cheminsde la migration », p. 9-20.

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PREMIÈRE PARTIE

MODERNITÉ

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INTRODUCTION

LE PEUPLEMENT DU CANADA FRANÇAIS

OUS L’ANCIEN RÉGIME, les migrations faisaient entièrement partie de la vie des Français,touchant des groupes importants de la population et assurant la survivance

économique de régions entières. Dans les années qui ont précédé la Révolution, au moinsun million d’hommes et de femmes, et probablement plus, prenaient la route chaqueannée à la recherche de travail, de conjoints, d’expérience ou d’aventures. Leur odysséetemporaire ou permanente les entraînait de village en village, de la campagne à la ville, deville en ville, de pays en pays, et de la métropole vers les colonies.

Malheureusement la place des migrations dans l’historiographie française n’a pas reflétél’importance de ces expériences dans la vie des individus et des communautés. À cause desdifficultés à retracer les migrants, qui en se déplaçant disparaissaient purement et simplementdes registres locaux, les historiens ont eu tendance à les ignorer au profit des populationsfixées dont les comportements étaient plus faciles à restituer. Cette focalisation sur lessédentaires présente des risques car « on peut imaginer que les migrants différaientsensiblement des autres dans leurs attitudes devant la vie1 ». Assurément, elle a conduit àmettre trop d’accent sur les habitudes immuables et coutumières, que Fernand Braudel aappelées « la vie matérielle », et, avec elles, sur les aspects les plus traditionnels de la sociétéfrançaise de la période moderne.

Depuis environ vingt ans, les chercheurs ont commencé à rétablir l’équilibre, mettantà profit de façon créative les sources familières pour comprendre les comportementsmigratoires. Entre leurs mains, les registres paroissiaux, les dossiers d’hospitalisation, leslistes de passagers et les contrats de mariage, d’apprentissage et d’engagement ont livré desinformations significatives sur les modèles de migration et sur l’identité des migrants.Cependant, la plupart des études ont eu une portée géographique limitée car elles ont étémenées sur des communautés prises isolément. Bien que quelques historiens, tel Jean-Pierre Poussou, aient étendu leurs recherches à des régions entières, dans l’ensemble, lacompréhension des systèmes migratoires nationaux et régionaux demeure insuffisante.

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4 DE FRANÇAIS À PAYSANS

De même, les migrations au-delà des frontières françaises ont reçu moins d’attentionque les mouvements internes. Pourtant, les observateurs contemporains reconnaissaientl’attraction que les pays étrangers exerçaient sur les Français. Selon un ministre de la Marinedu XVIIIe siècle, « l’espérance d’y faire quelque petite fortune et d’y vivre plus commodément,l’envie même de courir les pays font prendre souvent ces sortes de résolutions aux Françaisdont on en trouve d’établis dans tous les pays du monde2. » Mais ces déplacements sontrapidement tombés dans l’oubli, peut-être parce que la Nouvelle-France n’a jamais eu laréputation de la Nouvelle-Angleterre ou de la Nouvelle-Espagne ? Ou encore parce que levolume de l’émigration française au XIXe siècle n’a jamais été comparable à celui de sesvoisins européens ? Quelle qu’en soit la raison, le temps est venu d’étudier à nouveau lescourants migratoires reliant la France aux autres nations et à ses colonies.

Dans cet ouvrage, nous tentons de poursuivre les recherches des plus récents historiensdes migrations françaises, mais nous étendons notre étude au-delà des limites d’une simpleville ou d’une région. Nous la centrons sur un mouvement migratoire particulier,l’émigration française des XVIIe et XVIIIe siècles au Canada, tentant ainsi d’éclairer l’aspectmoins connu de la mobilité française vers les colonies3.

Au moins 30 000 émigrants des deux sexes, et peut-être même le double, se sontembarqués pour Québec pendant le Régime français, et un nombre imprécis maissubstantiel, peut-être 7000, sont partis vers l’Acadie française. Cette étude porte sur 16 000d’entre eux, dont plus de 10 % se sont rendus en Acadie. L’ouvrage est divisé en deuxparties principales : la première a pour objet l’histoire économique et sociale, et la seconde,l’histoire des migrations. Notre objectif est de situer l’émigration vers le Canada dans lelarge contexte de la vie sociale, économique, culturelle et politique sous l’Ancien Régime.

Dans la première partie, intitulée « La modernité », nous examinons l’émigration versle Canada sous l’angle de la vie économique et sociale en France, tant régionale que nationale.Notre intention, dans ces six premiers chapitres, est de décrire l’importance numérique etla composition du mouvement migratoire dans l’espace et dans le temps, et de situer cesaspects dans le contexte de la difficile transition du « féodalisme » au « capitalisme » vécuepar la France. De façon générale, l’émigration présuppose une expansion économique etconcerne beaucoup plus ses bénéficiaires que ses victimes. Les secteurs responsables de lacolonisation n’ont pas dramatiquement augmenté ni miné de quelque façon les relationssociales traditionnelles. Cependant, comme ils appartenaient de très près à un mondeatlantique dont les frontières s’étendaient de l’ouest de la France aux Indes orientales, ilsont créé un univers qui avait peu en commun avec le monde replié sur lui-même descommunautés paysannes si souvent associées à l’Ancien Régime.

Quoique l’analyse sociale et économique soit éclairante, elle échoue inévitablement àrendre compte dans toute sa diversité de l’émigration française au Canada. Les migrations,en tant que comportement culturel, ont une spécificité sexuelle, sociale et géographiquequi leur est propre. L’influence des facteurs économiques est indirecte et elle s’analyse dansle cadre des données traditionnelles sur la mobilité. C’est pourquoi, dans la deuxièmepartie intitulée « La tradition », nous réexaminons le concept d’émigration dans le contexte

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5INTRODUCTION

de cette discipline émergente : l’histoire des migrations. Sous plusieurs aspects, le mouvementvers le Canada apparaît comme un sous-produit des autres types de mobilité plus ancienset persistants, comme l’exode rural ou les migrations de travailleurs entre les villes. Il étaitalors un reflet de la tradition sous l’Ancien Régime, mais seulement dans la mesure oùcette tradition concernait la mobilité plutôt que la sédentarité.

La deuxième partie se termine avec un chapitre sur le recrutement dans lequel nouscentrons la réflexion sur la manière dont le courant migratoire canadien a débuté et sur lamanière dont il s’est maintenu pendant plus d’un siècle en l’absence de départs massifs dela métropole. À cause de la marginalité du commerce colonial, le système de recrutementpour le Canada s’est développé sous la forme d’un partenariat tiraillé entre des intérêtsprivés et publics qui travaillaient, parfois séparément, parfois ensemble, à promouvoirl’expansion française outre-mer.

Dans l’ensemble, les émigrants pour le Canada appartenaient à un segment de lasociété française mobile et tourné vers l’extérieur, et leur migration a eu lieu pendant unedes phases de la vigoureuse expansion atlantique. Pourtant, ils ont traversé l’océan pourétablir une société paysanne basée sur une économie de subsistance dont on trouve encoredes traces au XXe siècle. Ce paradoxe mérite une certaine attention, non seulement commeun exemple de l’échec de la France à atteindre une position plus dominante dans le systèmemondial moderne, mais en lui-même. Nous concluons alors avec un exposé sur lamarginalisation du Canada français dans l’économie atlantique depuis le XVIIe siècle jusqu’àla fin du XIXe siècle. Et plutôt que d’abandonner les émigrants sur le quai, nous retraçonsleurs différences avec leurs voisins américains, auxquels ils ont d’abord ressemblé, maisque, par la suite, ils n’ont pas toujours été capables d’imiter.

Des deux côtés de l’Atlantique, on a conservé des traces, souvent dans des sourcesd’une exceptionnelle qualité, du peuplement du Canada français. À partir de ces documents,nous avons constitué une banque de 16 000 émigrants, organisée autour des variablessuivantes : origine régionale, classe sociale, métier, antécédents confessionnels, âge et datede départ. La nature des sources, canadiennes et françaises, et la représentativité de notrebanque sont les sujets de la suite de cette introduction. Les registres administratifs canadiens,ecclésiastiques ou laïques, et les documents français concernant les départs fournissent uneoccasion unique d’observer une population d’émigrants avant et après leur expatriation.La population étudiée dans cet ouvrage – qui inclut la plupart des colons définitivementinstallés ainsi que des « oiseaux de passage » – forme une structure assez représentative desdifférents types de Français qui sont restés un certain temps au Canada pendant la périodedu Régime français.

LES SOURCES CANADIENNES

« Nos ancêtres au XVIIe siècle ont quitté l’anonymat en franchissant l’Atlantique4 ». C’estainsi que s’exprimait le démographe canadien Hubert Charbonneau, dans Vie et mort denos ancêtres, la synthèse préliminaire au vaste projet de recherche portant sur la population

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6 DE FRANÇAIS À PAYSANS

initiale du Québec. L’abondance et la qualité des documents d’archives canadiens sont defait stupéfiantes, particulièrement en comparaison avec leur équivalent pour la France oules Indes occidentales. Alors qu’en France les efforts de l’Église et de l’État pour contrôlerla population au moyen d’un système d’enregistrement obligatoire produisaient des résultatsmitigés, au Canada l’administration s’est avérée très efficace à cette tâche.

Au début des années 1660, quand la colonie a été dotée d’une infrastructureadministrative et ecclésiastique semblable à celle de sa métropole, sa population s’élevait àenviron 3000 personnes. L’espace d’implantation était compact, ne s’étirant que de Québecà Montréal et n’excédant pas la largeur de la vallée du Saint-Laurent. La populationacadienne, plus dispersée, se limitait à quelque 300 personnes, et la colonie française deTerre-Neuve consistait en une poignée de pêcheurs établis le long de la côte sud de l’île.

En France, par comparaison, la plus petite généralité (Perpignan) avait une populationde 160 000 habitants, et la plus grande (Paris), plus de un million et demi. Un intendantétait responsable d’environ 575 000 habitants en moyenne5. Les intendants canadiensoccupaient donc une position enviable vis-à-vis de leurs homologues de France. Malgré unaccroissement démographique continu tout au long du siècle suivant, la population duQuébec n’a jamais dépassé 75 000 habitants, et celle de l’Acadie (ou ce qu’il en restait),15 000.

À la relative facilité logistique que représentait l’administration d’une petite populationconcentrée dans un espace restreint s’ajoutait la position privilégiée dont jouissait le Canadacomme colonie de peuplement. Les Indes occidentales et orientales étaient précieuses entant qu’actif économique, mais elles n’ont jamais possédé l’importance stratégique de lacolonie située directement au nord de la florissante Nouvelle-Angleterre. Dès l’époque dela plus ancienne implantation permanente, en 1604, la Couronne de France considérait lacolonisation de l’Amérique du Nord en termes de rivalité avec l’Angleterre. Si l’interdictionfaite aux protestants par Richelieu de s’installer (mais pas, à proprement parler, d’immigrer)s’explique à partir de la considération pratique que les attaches religieuses pourraient serévéler plus fidélisantes que les liens envers la nation, au temps de Louis XIV, cette restrictionétait devenue un rejet d’ordre idéologique. La Nouvelle-France devait rivaliser avec laNouvelle-Angleterre, mais pas sur le terrain de cette dernière. Elle se devait de dominer,non pas à cause d’une plus grande avidité de la part de ses marchands, mais en raison de lasupériorité innée de la civilisation française incarnée dans l’État et l’Église. La France, enpoursuivant ce qu’Henri Brunschwig a nommé une « politique de prestige » en ce quiconcerne le Canada, a transformé la colonie en une sorte de laboratoire de pratiques socialesd’avant-garde. Les administrateurs et le clergé issu de la Contre-Réforme ont élargi leurautorité à chaque domaine de la vie sociale, ce qui explique l’existence d’une pléthore dedocuments ecclésiastiques, administratifs, notariaux et judiciaires, une vraie manne pourles démographes et les historiens6.

Les documents ecclésiastiquesLes documents ecclésiastiques sont d’une importance capitale pour connaître la populationfrançaise du début des Temps modernes parce que, conformément aux ordonnances de

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7INTRODUCTION

Villers-Coterets et de Blois (1539 et 1579), l’obligation légale de conserver les registresd’état civil concernant les baptêmes, les mariages et les funérailles incombait aux curés desparoisses. S’appliquant d’abord au royaume de France, d’ailleurs de façon assez inégale, lesordonnances ont par la suite été étendues aux nouveaux territoires que la France a contrôlés,tels la Lorraine et les colonies.

Pour l’historien des migrations, parmi les registres d’état civil canadiens, les actesde mariage sont des documents de première importance. Bien que les actes de baptêmedonnent une bonne idée des relations de parenté et d’amitié des émigrants, grâce àl’inscription des parrains et marraines, et que les actes de décès offrent de l’informationindiquant si les émigrants étaient célibataires ou avaient une famille en France, aucun deces documents ne répond à la question des origines françaises de la population. Par contre,les actes de mariage exposent en détail les antécédents géographiques des deux époux,parfois leurs métiers et ceux de leurs parents ; et, comme pour les actes de baptême, laprésence de témoins révèle l’étendue et le type des relations sociales prédominant chez lesémigrants.

Les actes de baptême, de mariage et de décès sont les plus volumineuses des archivesecclésiastiques canadiennes7, mais ils sont loin d’être les seuls à présenter de l’intérêt. Étantdonné le rôle crucial joué par les institutions ou les individus partisans de la Contre-Réforme catholique dans la colonisation du Canada, l’abjuration et la confirmation étaientvigoureusement encouragées. Les listes de nouveaux convertis et de communiants, quiidentifiaient les émigrants en fonction de leur diocèse d’origine, ont permis de localisernombre de personnes qui ne s’étaient pas mariées dans la colonie, y compris plusieurs quin’avaient pas l’intention de s’y établir définitivement8. Les listes d’abjuration présententun avantage supplémentaire : elles font la preuve que même le zèle des jésuites nedécourageait pas certains protestants de venir chercher fortune dans la colonie, ni de décider,poussés par un intérêt irrésistible, de se conformer à la pratique catholique.

Les listes des patients de l’Hôtel-Dieu de Québec sont aussi des documentsecclésiastiques utiles. Celles-ci, malheureusement, ne débutent pas au moment de lafondation de l’établissement par les hospitalières de Dieppe en 1639. Cependant, pour lapériode de 1689 à 1824, elles forment une série continue et remarquablement bienconservée. Elles identifient les patients par leur nom, leur origine régionale, leur âge et,particulièrement dans le cas des marins et des soldats, par leur métier. La présence dans ceslistes d’un grand nombre de marins et de soldats les rend d’autant plus précieuses pour leshistoriens qui souhaitent accorder la même importance aux différents courants migratoires,qu’ils fussent saisonniers, temporaires ou permanents.

« Les témoignages de liberté au mariage » sont de loin les plus fascinants documentsde l’Église du point de vue de l’histoire des migrations. Établies entre 1757 et 1820, ceslistes ont pour origine l’appréhension, de la part de l’évêque, que la démobilisation dessoldats des quatre régiments envoyés au Canada pendant la guerre de Sept Ans ne mène àune situation de bigamie largement répandue. Par conséquent, il a publié un mandementqui imposait à chaque émigrant, homme ou femme, de fournir, avant la célébration de sonmariage, une déclaration sous serment, corroborée par des témoins dans la mesure du

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8 DE FRANÇAIS À PAYSANS

possible, attestant la légalité de l’union envisagée. En fait, ces déclarations ne sont pas tantétudiées pour constater le célibat d’un émigrant que pour l’énumération qu’on y trouve deses migrations antérieures, récits de migrations qui sont rarement aussi détaillés dans lesautres sources.

La déclaration d’un certain Nicolas Lelat est caractéristique à cet égard. Cet émigrantmalchanceux a tenté de compenser l’absence de témoins de son célibat en fabriquant deslettres, ce qui lui a valu un refus catégorique. Il s’identifia lui-même auprès du curé commes’appelant « Nicolas Lelat natif de Calais manchonnier âgé de 28 ans depuis 2 passés deseptembre en Canada et depuis 3 sorti de son païs, et après avoir travaillé à Rouen, Caën,Angois, Nantes, Larochelle et Bordeaux pendant L’espace d’un an et demi, et s’est embarquépour ces païs cy9 ».

En fait, l’incapacité de Lelat à produire aucun témoin était une situation inhabituelle,et c’est probablement pour cette raison que sa demande a été reçue avec suspicion. Cestémoignages décrivent un moment de la vie de petites gens fondée sur la mobilité et danslaquelle la précarité était compensée par un riche réseau de relations sociales. Il est vraimentdommage que la question de la bigamie n’ait pas commencé à inquiéter les autoritésecclésiastiques canadiennes à une date plus ancienne, par exemple 1665, avec l’arrivée durégiment de Carignan-Salières. Il serait passionnant de savoir si les chemins de la migrationet ses détours décrits en détail dans les témoignages étaient caractéristiques de toute lapériode de la Nouvelle-France plutôt que propres au milieu du XVIIIe siècle. Nous penchonspour la première hypothèse, et nous soupçonnons ces témoignages d’être une rare vitrineouvrant sur un aspect très peu documenté, mais omniprésent, de la vie quotidienne dansles premières années de l’époque moderne.

Quoi qu’il en soit, ces migrations cycliques de pauvres à la recherche de travail, quellesqu’aient été leurs origines, ont continué bien au-delà des années 1757-1820. Le mondecoloré décrit par Agricol Perdiguier dans Mémoires d’un compagnon (1854), avec sesprivations et ses dangers, ses exaltations et ses enseignements, et sa constellation toujourschangeante d’amitiés nées sur la route, aurait semblé familier, à tous les égards, aux hommeset aux femmes qui comparaissaient devant les prêtres canadiens, dans l’espoir de laisserleur Wanderjahre (années de migrations) derrière eux.

L’odyssée américaine de ces journaliers, manouvriers et domestiques n’aurait pas nonplus semblé insolite à Perdiguier. Son frère, Simon, ayant été recruté par l’armée, a accomplison service en Espagne. « De l’Espagne il entra dans le Portugal, où il fut fait prisonnier etconduit sur les pontons anglais. Il passa de l’Angleterre dans l’Amérique du Nord. » Aprèsonze années d’absence, Simon « ayant passé à Saint-Domingue, puis à la Barbade, ensuiteau Canada et autres contrées d’Amérique, retourna dans notre pays ». Mais certains membresde sa famille ne sont jamais revenus. Perdiguier écrivait, parlant de sa grand-mère natived’Oriol près de Marseille : « Ses deux oncles d’Amérique, du nom de Dumas, dont ellenous parlait si souvent, ne nous ont jamais donné de leurs nouvelles. Quel malheur ! Ilsdevaient faire notre fortune10 ».

Les deux frères Dumas, Alexandre et Libéral, avaient émigré au Canada pendantl’enfance de la grand-mère de Perdiguier, en 1752. Nés à Nègrepelisse (Tarn-et-Garonne),

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TABLE DES MATIÈRES

PRÉFACE vii

PREMIÈRE PARTIE

INTRODUCTION

Le peuplement du Canada français 3

CHAPITRE ILes origines régionales : paysans ou Français ? 23

CHAPITRE IIUne géographie de la modernité : le Nord-Ouest 49

CHAPITRE IIIUne géographie de la modernité : les émigrants en dehors

du Nord-Ouest et les femmes 67

CHAPITRE IVUne société urbaine : structure de classe et distribution par métiers 87

CHAPITRE VLa diversité religieuse : protestants, juifs et catholiques 111

CHAPITRE VI

L’âge de l’aventure à l’âge de l’expansion 129

DEUXIÈME PARTIE

CHAPITRE VII

Les modèles traditionnels de la mobilité 157

CHAPITRE VIII

Une migration traditionnelle : l’émigration du Nord-Ouest vers le Canada 173

CHAPITRE IXUne migration traditionnelle : l’émigration en dehors du Nord-Ouest 189

CHAPITRE XLe système canadien de recrutement 213

CONCLUSION

De Français à paysans 239

NOTES 263

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COMPOSÉ EN ADOBE GARAMOND CORPS 10,5SELON UNE MAQUETTE RÉALISÉE PAR GILLES HERMAN

ACHEVÉ D’IMPRIMER EN SEPTEMBRE 2001SUR LES PRESSES DE AGMV-MARQUIS

À CAP-SAINT-IGNACE, QUÉBEC

POUR LE COMPTE DE DENIS VAUGEOIS

ÉDITEUR À L’ENSEIGNE DU SEPTENTRION.

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