extention de corp

29
1 Extensions de corps Nous partons du problème géométrique des constructions à la règle et au compas. Nous introduisons ensuite les notions de corps et d’extensions de corps, et enfin celle d’extension algébrique. Cela fournit rapidement des résultats d’ impossibilité de quelques problèmes classiques. Nous verrons plus tard que la théorie de Galois fournit un critère définitif permettant de décider si une construction géométrique est réalisable à la règle et au compas, ou non. 1.1. Constructions à la règle et au compas Pour les Grecs de l’antiquité, nombres et mesures de longueurs étaient deux concepts intimement liés. C’est ainsi qu’ils se sont posés le problème de constructions géométriques de nombres remarquables. Les outils qu’ils se donnaient étaient en général une règle et un compas, mais, notamment quand ils n’y arrivaient pas, il leur arriva d’admettre des mécanismes qui tracent des courbes plus générales (cf. [4] ainsi que les notes de [9]). Formalisons le problème du point de vue mathématique. DÉFINITION 1.1.1. — Soit un ensemble Σ de points du plan R 2 . On dit qu’un point P est constructible à la règle et au compas à partir de Σ s’il existe un entier n et une suite de points (P 1 ,..., P n ) tels que P n = P et tels que pour tout i {1;...; n} , notant Σ i = Σ {P 1 ;...; P i 1 } , l’une des propositions suivantes soit vérifiée : il existe 4 points A , B , A et B Σ i tels que P i soit l’intersection des deux droites non parallèles ( AB) et ( A B ) ; il existe quatre points A , B , C , et D Σ i tels que P i soit l’un des (au plus) deux points d’intersection de la droite ( AB) et du cercle de centre C et de rayon C D ; il existe quatre points O , M , O et M Σ i tels que P i soit l’un des (au plus) deux points d’intersection des cercles distincts respectivement de centre O et de rayon OM , et de centre O et de rayon O M .

Upload: hajer-eladraoui

Post on 16-Nov-2015

236 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

  • 1

    Extensions de corps

    Nous partons du problme gomtrique des constructions la rgle et au

    compas. Nous introduisons ensuite les notions de corps et dextensions de corps,

    et enfin celle dextension algbrique. Cela fournit rapidement des rsultats

    dimpossibilit de quelques problmes classiques. Nous verrons plus tard que

    la thorie de Galois fournit un critre dfinitif permettant de dcider si une

    construction gomtrique est ralisable la rgle et au compas, ou non.

    1.1. Constructions la rgle et au compas

    Pour les Grecs de lantiquit, nombres et mesures de longueurs taient deux concepts

    intimement lis. Cest ainsi quils se sont poss le problme de constructions gomtriques

    de nombres remarquables. Les outils quils se donnaient taient en gnral une rgle et

    un compas, mais, notamment quand ils ny arrivaient pas, il leur arriva dadmettre des

    mcanismes qui tracent des courbes plus gnrales (cf. [4] ainsi que les notes de [9]).Formalisons le problme du point de vue mathmatique.

    DFINITION 1.1.1. Soit un ensemble de points du plan R2 . On dit quun pointP est constructible la rgle et au compas partir de sil existe un entier n et une

    suite de points (P1, . . . ,Pn ) tels que Pn = P et tels que pour tout i {1; . . . ; n} , notanti = {P1; . . . ;Pi1} , lune des propositions suivantes soit vrifie :

    il existe 4 points A , B , A et B i tels que Pi soit lintersection des deux droites nonparallles (AB) et (AB) ;

    il existe quatre points A , B , C , et D i tels que Pi soit lun des (au plus) deux pointsdintersection de la droite (AB) et du cercle de centre C et de rayon CD ;

    il existe quatre points O , M , O et M i tels que Pi soit lun des (au plus) deuxpoints dintersection des cercles distincts respectivement de centre O et de rayon OM , et de

    centre O et de rayon OM .

  • 2 Chapitre 1. Extensions de corps

    DFINITION 1.1.2. Considrons une partie de R . On dit quun nombre rel x estconstructible la rgle et au compas partir de si cest labscisse dun point du plan

    qui est constructible la rgle et au compas partir des points (,0) pour . Un nombrecomplexe est dit constructible partir de si sa partie relle et sa partie imaginaire le sont.

    THORME 1.1.3. Soit une partie de R contenant 0 et 1 . Lensemble C des nombresrels constructibles partir de vrifie les proprits suivantes :

    a) si x et y sont dans C , x + y , x y , x y sont dans C ;b) si x et y sont dans C , y = 0 , alors x/y est dans C ;c) si x > 0 est dans C ,

    x aussi.

    Dmonstration. La dmonstration repose sur des arguments de gomtrie lmentaire

    (du lyce) et peut se rsumer en une srie de figures. Laddition et la soustraction sont

    assez videntes. La stabilit par multiplication et racine carre est consquence des fi-

    gures 1(a) et 1(b). La stabilit par division se voir aussi sur la figure 1(a) car si x et x y sont

    connus, la figure permet den dduire y .

    0 x x y

    y

    1

    (a) Construction du produit ou du quo-

    tient de deux nombres (thorme de

    Thals)

    H

    A

    B C

    h =x

    x 1

    (b) Construction de la racine carre dun

    nombre (thorme de Pythagore)

    FIGURE 1. Constructions gomtriques

    Exercice 1.1.4. Pour pouvoir utiliser effectivement ces constructions, on doit cepen-

    dant tre capable de construire des points hors de laxe des abscisses. Vrifiez-le. Vrifiez

    aussi que vous savez construire la droite parallle, ou perpendiculaire, une droite don-

    ne et passant par un point donn.

    Dans la dfinition 1.1.1 dun point constructible, les cercles sont de centre un point

    construit et passent par un autre point construit : la rgle nest pas gradue et le compas se

    referme ds quon lenlve de la feuille. Expliquer comment construire le cercle de centre

    un point donn et de rayon la distance entre deux autres points.

  • 1.2. Corps 3

    Remarque 1.1.5. Toute construction la rgle et au compas pourrait ne se faire quau

    compas seul (thorme de Mohr-Mascheroni). Cest un rsultat de pure gomtrie, voir

    par exemple [5] pour une solution.

    1.2. Corps

    DFINITION 1.2.1. Un corps (commutatif) est un ensemble K muni de deux lois in-

    ternes + et et de deux lments 0 et 1 distincts vrifiant les proprits suivantes :a) (K ,+,0) est un groupe commutatif (1) ;b) (K \ {0},,1) est un groupe commutatif ;c) la loi est distributive par rapport la loi + : pour tous a , b et c dans K , a(b+c)=

    a b +a c .

    On note souvent ab le produit a b . On note aussi K lensemble K \ {0} .

    Exemples 1.2.2. a) Les nombres rationnels Q , les nombres rels R ou les nombrescomplexes C forment un corps.

    b) Lensemble des nombres (rels ou complexes) constructibles partir de {0;1} est un

    corps qui contient le corps des nombres rationnels Q .c) Si p est un nombre premier, lensemble Z/pZ des entiers modulo p est un corps ; il

    est fini de cardinal p .

    d) Si K est un corps, lensemble K (X ) des fractions rationnelles coefficients dans K ,

    muni des lois usuelles, est encore un corps.

    e) Si est un ouvert connexe (non vide !) de C , lensemble des fonctions mro-morphes dans est un corps.

    On considre parfois des corps non commutatifs : cela signifie quon ne demande pas

    la loi dtre commutative. Bien entendu, la loi + ne cesse pas de ltre.(2)

    Exemple 1.2.3. Lespace vectoriel H = R4 dont labase canonique est note 1, i , j , k admet une unique

    structure de corps non commutatif pour laquelle la loi

    + est laddition usuelle, 1 est llment neutre pour lamultiplication, les multiples rels de 1 commutent

    tout lment, et telle que les relations : i2 = j2 = k2 =1, ij = k soient satisfaites. On en dduit facilement

    (1)Voir le dbut du chapitre 4 pour des rappels de thorie des groupes.(2)Un corps non commutatif peut trs bien tre commutatif ! La terminologie anglaise, division algebra, est

    meilleure ; on trouve aussi lexpression corps gauche .

  • 4 Chapitre 1. Extensions de corps

    dautres identits. Par exemple, si lon multiplie la relation ij = k gauche par i , on obtient(1)j= ik , do ik =j . Cest le corps des quaternions, dcouvert par Hamilton.

    Un sous-corps dun corps F est une partie de F contenant 0, 1, stable par + et desorte que ces lois la munissent dune structure de corps.

    DFINITION 1.2.4. Soit K un corps et S une partie de K . Le corps engendr par S dans

    K est le plus petit sous-corps de K contenant S .

    Cest lensemble des lments de K de la formeP(s1, . . . , sn)

    Q(s1, . . . , sn),

    o n est un entier, P,Q Z[X1, . . . ,Xn ] sont des polynmes coefficients entiers, s1, . . . , sndes lments de S tels que Q(s1, . . . , sn ) = 0. Soit F un sous-corps de K et soit x1, . . . , xndes lments de K ; on note F (x1, . . . , xn ) le sous-corps de K engendr par F et les xj .

    Exercice 1.2.5. Lensemble des nombres complexes de la forme x+iy avec x , y Q estle sous-corps de C engendr par i .

    Une structure plus faible que celle de corps, mais nanmoins trs importante, est celle

    danneau.

    DFINITION 1.2.6. Un anneau (commutatif) est un ensemble A muni de deux lois + et et de deux lments 0 et 1 tels que

    (A,+,0) est un groupe commutatif ; la loi est commutative et associative ; pour tout a A , a 1 = 1a = a ; la loi est distributive par rapport la loi + : pour tous a , b , c A , a (b + c) =

    a b +a c .Un sous-anneau dun anneau A est une partie de A contenant 0 et 1 , que les lois + et

    laissent stables et munissent dune structure danneau.Un lment a dun anneau A est dit inversible sil existe b A tel que ab = 1 . Sil existe,

    un tel lment est ncessairement unique et est appel inverse de a .

    Exemples 1.2.7. a) Si A est un anneau dans lequel 0 = 1, alors A = {0} (anneau nul,dintrt limit).

    b) Un corps est un anneau. Plus prcisment, un corps est un anneau non nul dont

    tout lment autre que 0 soit inversible.

    c) Lensemble Z des entiers, Z/nZ des entiers modulo un entier n sont des anneaux.Lanneau Z est un sous-anneau du corps des nombres rationnels.

    d) Si A est un anneau, lensemble A[X ] des polynmes coefficients dans A est un

    anneau. Lanneau A en est un sous-anneau. Nous verrons au paragraphe 2.4 quelques

    proprits algbriques des anneaux de polynmes.

  • 1.2. Corps 5

    e) Si I est un intervalle de R , lensemble des fonctions continues sur I est un anneau.De mme pour les fonctions drivables, de classe Ck , C , analytiques, etc.

    f ) Lensemble des lments de C de la forme x + i y avec x et y dans Z , muni des loisde C , est un anneau (anneau des entiers de Gauss).

    g) Lensemble des lments de H de la forme x1+ y i + z j + t k avec x , y , z , t Z estaussi un anneau, mais dont la multiplication nest pas commutative.

    DFINITION 1.2.8. Si A et B sont deux anneaux, un homomorphisme danneaux est

    une application f : A B vrifiant les proprits suivantes :a) pour tous a et b A , f (a +b)= f (a)+ f (b) ;b) pour tous a et b A , f (ab)= f (a) f (b) ;c) f (0) = 0 et f (1) = 1 .Un homomorphisme de corps est un homomorphisme danneaux dun corps dans un

    autre. Un isomorphisme est un homomorphisme bijectif ; un automorphisme est un iso-

    morphisme dun anneau sur lui-mme. Limage dun homomorphisme danneaux A Best un sous-anneau de B ; limage dun homomorphisme de corps K L est un sous-corps de L .

    DFINITION 1.2.9. Un anneau non nul A est dit intgre si pour tous a et b A \ {0} ,ab = 0 .Exercice 1.2.10. a) Les corps, lanneau Z des entiers relatifs sont des anneaux intgres.

    b) Un sous-anneau dun anneau intgre est un anneau intgre.

    c) Soit n un entier 2. Lanneau Z/nZ est intgre si et seulement si n est un nombrepremier.

    Pour tout anneau intgre A , on peut construire un corps contenant (un anneau iso-

    morphe ) A tel que tout lment de K soit le quotient de deux lments de A : cest

    le corps des fractions de A . Le principe de cette construction est le mme que celui qui

    permet dobtenir le corps des nombres rationnels partir de lanneau des entiers relatifs.

    On dfinit lensemble K comme lensemble des classes dquivalences dans lensemble

    F= A (A \ {0}) pour la relation dquivalence(a, b) (c , d) ad = bc.

    (Exercice : montrer que cest effectivement une relation dquivalence ; vous devrez utiliser

    lhypothse que A est intgre.) On note a/b la classe du couple (a, b) . On dfinit une

    addition et une multiplication sur K par le calcul des fractions habituel, en posant

    a

    b+ c

    d= ad +bc

    bdet

    a

    b

    c

    d= ac

    bd.

    (Exercice : vrifier quelles sont bien dfinies, cest--dire que (ad + bc)/bd et ab/cd nedpendent pas des choix des reprsentants des fractions a/b et c/d .) Muni de ces deux

  • 6 Chapitre 1. Extensions de corps

    lois, K est un corps commutatif, son zro est llment 0/1 tandis que son lment unit

    est 1/1 ; lapplication A K qui associe a llment i (a) = a/1 est un homomorphismedanneaux. (Exercice : vrifier ces assertions.) Lhomomorphisme i est injectif : par dfini-

    tion de la relation dquivalence, si i (a) = a/1 = 0/1, on en dduit 1a = 01, do a = 0.Il ny a donc pas de dommage identifier un lment a A et son image i (a) K . Alors,on remarque que pour tous (a, b)F ,

    a

    b= a

    1

    1

    b= i (a)i (b)1.

    Autrement dit, tout lment de K est le quotient de deux lments de i (A) .

    Exemples 1.2.11. a) Le corps des fractions de lanneau Z est le corps des nombresrationnels. Celui de lanneau K [X ] des polynmes coefficients dans un corps K est le

    corps K (X ) des fractions rationnelles.

    b) Si est un ouvert connexe de C , lanneau des fonctions holomorphes sur estintgre (cela rsulte du principe des zros isols) et son corps des fractions est le corps des

    fonctions mromorphes sur cet ouvert. Cest un thorme danalyse assez dlicat qui re-

    pose sur la possibilit de construire explicitement une fonction holomorphe ayant un en-

    semble de zros prescrit (produits de Weierstrass, voir par exemple [11], thorme 15.12).

    Les corps des fractions possdent une proprit universelle importante.

    PROPOSITION 1.2.12. Soit A un anneau intgre, K son corps des fractions. Soit E un

    corps. Pour tout homomorphisme injectif f : A E , il existe un unique homomorphismef : K E tel que f (a)= f (a) pour a A .

    Remarquons que si a/b = c/d , alors ad = bc , donc f (a) f (d) = f (b) f (c) , puisf (a)/ f (b) = f (c)/ f (d) . Ainsi, on peut poser, si x = a/b est un lment de K ,f (x) = f (a)/ f (b) . On montre alors que f est un homomorphisme de corps. Les dtails dela dmonstration sont aussi fastidieux que ceux de la construction du corps des fractions.

    (Exercice. . .)

    On peut reprsenter visuellement la proposition par un diagramme

    A

    f

    K

    f

    E

    o la flche pointille f : K E est celle dont lexistence est affirme par la proposition.Une terminologie courante, un peu pompeuse, pour ce genre dnoncs est proprit

    universelle .

    LEMME 1.2.13. Soit f : A B un homomorphisme danneaux. Soit I = f 1(0) len-semble des a A tels que f (a) = 0 . Alors, I vrifie les proprits suivantes :

    0 I ;

  • 1.2. Corps 7

    si a et b I , a +b I ; si a A et b I , ab I .De plus, f est injective si et seulement si I = {0} .

    Dmonstration. Laisse au lecteur en exercice !

    DFINITION 1.2.14. Une partie I dun anneau A vrifiant les proprits du lemme pr-

    cdent est appele idal. Si f : A B est un homomorphisme danneau, lidal f 1(0) estappel noyau de f et not Ker f .

    PROPOSITION-DFINITION 1.2.15. Soit A un un anneau. Il existe un unique homomor-

    phisme danneaux f : Z A .Supposons que f ne soit pas injectif. Si A est un anneau intgre, le plus petit lment

    strictement positif de Ker f est un nombre premier dont Ker f est lensemble des multiples.

    Si A est un corps, ce nombre premier est appel caractristique de A .

    Si f est injectif et si A est un corps, on dit quil est de caractristique nulle. Dans ce cas,

    f stend en un homomorphisme de corps g : Q A .

    Dmonstration. Commenons par dfinir f . On pose dabord f (0) = 0 et f (1) = 1. Sin 2, on dfinit par rcurrence f (n) = f (n 1)+ 1. Enfin, si n 1, on pose f (n) = f (n) . Comme ces relations sont vrifies si f est un homomorphisme danneaux, celaprouve lunicit dun tel homomorphisme Z A .

    Montrons alors que f est un homomorphisme danneaux cest--dire que sont vri-

    fies les relations f (m +n) = f (m)+ f (n) et f (mn) = f (m) f (n) . Elles sont en fait vraiespour exactement la mme raison que celle qui fait que les entiers relatifs forment un an-

    neau et se dmontrent laide dun raisonnement par rcurrence analogue.tablissons pour m et n 0 la relation f (m +n) = f (m)+ f (n) . Elle est vraie si n = 0 . Si elle est vraie pour

    n , alors

    f (m + (n +1)) = f ((m +n)+1) = f (m +n)+1= f (m)+ f (n)+1 = f (m)+ f (n +1)

    donc elle est vraie pour n +1 . Cela la prouve par rcurrence. Si m 0 et n < 0 , mais m +n 0 , on af (m +n) f (m) f (n) = f (m +n) f (m)+ f (n)

    = f ((m +n)+ (n)) f (m) = f (m) f (m) = 0.On dmontre de mme les autres cas. tablissons maintenant que lon a f (mn) = f (m) f (n) pour tous m et n .Cest vrai pour n = 0 et si cest vrai pour n ,

    f (m(n +1)) = f (mn +m) = f (mn)+ f (m) = f (m) f (n)+ f (m)= f (m)( f (n)+1) = f (m) f (n +1),

    donc cest vrai pour n +1 , puis pour tout n 0 par rcurrence. Si n 0 ,f (mn) = f (m(n)) = f (m(n)) = f (m) f (n) = f (m) f (n)

    donc cest aussi vrai pour tout n 0 .

  • 8 Chapitre 1. Extensions de corps

    Supposons maintenant que A soit un anneau intgre et que f ne soit pas injective.

    Soit n le plus petit entier strictement positif tel que f (n) = 0. Puisque f (1) = 1 = 0, on an 2. Si n nest pas premier, on peut crire n = ab o a et b sont deux entiers vrifiant1 a < n et 1 b < n . Par suite, 0 = f (n) = f (ab) = f (a) f (b) . Comme lanneau A estsuppos intgre, on a donc f (a)= 0 ou f (b)= 0, ce qui contredit la minimalit de lentiern .

    Limage de tout multiple de n est 0. Considrons rciproquement un entier m tel

    que f (m) = 0. La division euclidienne de m par n scrit m = qn + r avec 0 r < n .On a f (r ) = f (m qn) = f (m) q f (n) = 0. Par minimalit de n , r = 0 et m est multiplede n .

    Si f est injective et si A est un corps, f stend daprs la proprit universelle

    (prop. 1.2.12) en un homomorphisme de Q dans A .

    Remarque 1.2.16. Soit K un corps de caractristique p et f : Z K lhomomorphismecanonique introduit ci-dessus. Si m et n sont deux entiers congrus modulo p , m n estmultiple de p , si bien que f (m n) = 0, do f (m) = f (n) . Lhomomorphisme Z Kinduit une application naturelle Z/pZ K qui est un homomorphisme de corps.

    Ainsi, tout corps reoit un, et un seul, des corps Z/pZ (pour p premier) et Q , dontlimage est appele sous-corps premier.

    PROPOSITION 1.2.17. Soit p un nombre premier et soit A un anneau tel que p 1A = 0A(par exemple un corps de caractristique p ). Alors, pour tous a et b dans A , on a

    (a +b)p = ap +bp .

    Par suite, lapplication : A A dfinie par (a)= ap est un homomorphisme danneaux.

    Dmonstration. La formule du binme de Newton est valable dans tout anneau com-

    mutatif et scrit

    (a +b)p = ap +bp +p1n=1

    (p

    n

    )an bpn .

    Or, lorsque 1 n p 1, la formule (pn) = p!/n!(p n)! entrane que n!(p n)!(pn) = p!est multiple de p . Comme p est un nombre premier et comme 1 n p 1, ni n! , ni(p n)! ne sont multiples de p . Par suite, (np) est multiple de p et lon a (pn)1A = 0, do(a +b)p = ap +bp .

    DFINITION 1.2.18. Si K est un corps de caractristique p , lhomomorphisme : K K , x xp est appel homomorphisme de Frobenius.

    Lorsque lhomomorphisme de Frobenius est un automorphisme, on parle naturelle-

    ment dautomorphisme de Frobenius

  • 1.3. Extensions de corps 9

    1.3. Extensions de corps

    DFINITION 1.3.1. On appelle extension de corps un homomorphisme de corps j : E F .

    Remarquons quun tel homomorphisme j est toujours injectif : en effet, si x = 0, on a

    j (x) j (1/x) = j (1) = 1 = 0,

    donc j (x) = 0. La plupart du temps, j est parfaitement dtermin par le contexte et peuttre sous-entendu. On dit alors plus simplement que F est une extension de E . Cest no-

    tamment le cas quand E F et j est linclusion. On dit alors soit E F une extension decorps . Quitte remplacer E par son image (bijective) dans F par lhomomorphisme j ,

    on peut ainsi la plupart du temps penser j comme une inclusion.

    Si j : E F est une extension de corps, F est naturellement muni dune structurede E -espace vectoriel : la loi daddition est celle de F et la multiplication externe EF Fest dfinie par e f = j (e) f .

    DFINITION 1.3.2. Si j : E F est une extension, son degr est la dimension de Fcomme E -espace vectoriel. On le note [F : E] .

    On dit que lextension j : E F est finie si [F : E] = + .

    Remarque 1.3.3. Cette notation [F : E] est abusive : elle ne fait pas intervenir j alors

    quelle en dpend ! Par exemple, si E = C(X ) , F = C(Y ) , lextension j1 : E F dfiniepar P(X ) P(Y ) est de degr 1 (cest un isomorphisme) alors que j2 : E F dfinie parP(X ) P(Y 2) est de degr 2. Lorsque E est un sous-corps de F , ce qui est le cas le plusfrquent, il ny a pas de risque de confusion.

    Exemples 1.3.4. a) Linclusion de corps R C est une extension finie : C est un R-espace vectoriel de dimension 2 (la famille {1, i } en est une base) et [C : R]= 2.

    b) Si K est un corps, lextension K K (X ) nest pas finie. En effet, K (X ) contient lafamille libre infinie des X n (pour n N).

    Remarque 1.3.5. Linclusion de corps Q R nest pas non plus finie. En effet, le pro-duit de deux ensembles dnombrable est dnombrable. Comme Q est dnombrable, ilsensuit par rcurrence que tout Q -espace vectoriel de dimension finie est dnombrable.Cependant, le corps des nombres rels ne lest pas, si bien que [R : Q] = + . (Le mmeargument permet de montrer que R n pas de base dnombrable sur Q .)

    Il est aussi possible dexhiber des familles infinies de nombres rels qui soient linai-

    rement indpendantes sur Q . Par exemple, si est un nombre transcendant, la famille{1,,2, . . .} est libre sur Q . Voir aussi lexercice 1.6 pour un exemple plus explicite.

  • 10 Chapitre 1. Extensions de corps

    THORME 1.3.6. Soit j : E F et k : F G deux extensions de corps. Alors,(k j ) : E G est une extension finie si et seulement si j : E F et k : F G sont finies etlon a alors la relation

    [F : E] [G : F ]= [G : E].Dmonstration. Soit x1, . . . , xm une base de F comme E -espace vectoriel et

    soit y1, . . . , yn une base de G comme F -espace vectoriel. Un lment de z Gscrit z =

    ni=1

    ai yi avec a1, . . . , an F . Ainsi, chaque ai se dcompose sous la forme

    ai =m

    j=1ai , j xj , si bien que

    y =n

    i=1

    mj=1

    ai , j xi yj

    et la famille des (xi yj )1im1jn

    engendre G comme E -espace vectoriel.

    Montrons quen fait, cen est une base. Soient donc des lments ai , j de E tels quei , j

    ai , j xi yj = 0. Comme la famille (yj ) est une base de G comme F -espace vectoriel, les

    lments de F ,m

    i=1ai , j xi , sont tous nuls. Comme la famille des (xi ) forme une base de F

    comme E -espace vectoriel, les ai , j sont tous nuls, cqfd.

    Finalement, la dimension de G comme E -espace vectoriel est gale mn , cest--dire

    au produit de la dimension de G comme F -espace vectoriel par celle de F comme E -

    espace vectoriel, ce qui dmontre le thorme.

    DFINITION 1.3.7. Soit j : E F une extension de corps. Un lment x F est dit al-gbrique sur E sil existe un polynme non nul P E[X ] tel que P(x) = 0 . Dans le cascontraire, on dit que x est transcendant.

    Lextension E F est dite algbrique si tout lment de F est algbrique sur E .Lusage veut quon dise quun nombre complexe est algbrique ou transcendant sil

    lest sur le corps des nombres rationnels.

    Exemples 1.3.8. a) Considrons lextension de corps R C . Un lment z = x + iyde C , avec x et y dans R , vrifie lquation (z x)2 + y2 = 0, si bien que z est algbriquesur R .

    b) Le nombre rel

    2 est algbrique sur Q , ainsi que le nombre complexe2+ i 33+ 55. (Exercice. . .)

    c) Le nombre rel

    n=010n! est transcendant (Liouville, 1844) ; voir lexercice 1.2.

    d) Lensemble des polynmes coefficients rationnels est dnombrable, si bien que

    lensemble des nombres complexes algbriques est dnombrable. Comme lensemble des

    nombres rels nest pas dnombrable, lensemble des nombres transcendants nest pas

    dnombrable (Cantor, 1874).

  • 1.3. Extensions de corps 11

    e) Les nombres rels e 2,718. . . , 3,14159 sont transcendants (thormes de Her-mite, 1873, et de Lindemann, 1882).

    f ) On ne sait pas si est algbrique sur le sous-corps de R engendr par e (form desP(e) pour P dcrivant Q(X ) ).

    Soit j : E F une extension de corps et soit x un lment de F . Lapplicationx : E[X ] F qui un polynme P = a0 + +an X n associe llment

    ( j (P)(x))= j (a0)+ j (a1)x + + j (an)xn

    est la fois un homomorphisme de E -espaces vectoriels et un homomorphisme dan-

    neaux. Son image est ainsi non seulement un sous-espace vectoriel de F , mais aussi un

    sous-anneau de F , sous-anneau quon note E[x] . Cest le sous-anneau de F engendr

    par x sur E . (Lorsquil ny a pas de confusion possible, on note P(x) ce quon devrait no-

    ter j (P)(x) .) On va voir tout de suite (proposition 1.3.9) que si x est algbrique sur E , le

    sous-anneau E[x] de F est en fait un corps, donc sidentifie au sous-corps E(x) engendr

    par x sur E .

    Plus gnralement, si x1, . . . , xn sont des lments de F , on note E[x1, . . . , xn ] le sous-

    anneau de F engendr par les xi sur E . Cest lensemble des P(x1, . . . , xn ) F pour P par-courant E[X1, . . . ,Xn ] . Le sous-corps de F engendr par les xi sur E , not E(x1, . . . , xn ) , en

    est le corps des fractions.

    La proposition suivante fournit une caractrisation extrmement pratique des

    lments algbriques en termes de lanneau E[x] .

    PROPOSITION 1.3.9. Soit j : E F une extension de corps et soit x un lment de Fa) Si x est transcendant sur E , x est un injectif et E[x] est un E -espace vectoriel de

    dimension infinie.

    b) Si x est algbrique sur E , il existe un unique polynme unitaire de degr minimal

    P E[X ] tel que P(x) = 0 . De plus, P est irrductible, dimE E[x] = degP et tout polynmeQ E[X ] tel que Q(x)= 0 est multiple de P .

    DFINITION 1.3.10. Ce polynme P est appel polynme minimal de x sur E . Ses ra-

    cines (y compris x ) sont les conjugus de x . Son degr est appel degr de x sur E .

    Rappelons quon dit quun polynme non constant P E[X ] est irrductible sil nestpas le produit de deux polynmes non constants coefficients dans E . Un polynme uni-

    taire est un polynme dont le coefficient du terme de plus haut degr est 1. Enfin, si E Fest une extension de corps, une racine dans F dun polynme P E[X ] est un lment x F tel que P(x)= 0. Par division euclidienne, on peut alors crire P(X ) = (X x)Q(X ) , o Qest un polynme dans F [X ] . Par rcurrence, on dmontre ainsi quun polynme na pas

    plus de racines dans F que son degr.

  • 12 Chapitre 1. Extensions de corps

    Dmonstration. a) Si x est transcendant, x est injective par dfinition, donc dfinit

    un isomorphisme de E[X ] sur son image E[x] . En particulier, dimE E[x] =+ .b) Soit P E[X ] un polynme unitaire de degr minimal tel que P(x) = 0. Soit A un

    polynme de E[X ] tel que A(x) = 0. Notons A = PQ +R la division euclidienne de A parP , de sorte que degR < degP . On a alors R(x) = A(x)P(x)Q(x)= 0. Si R nest pas nul, decoefficient dominant not r , le polynme R/r est unitaire, de degr strictement infrieur

    celui de P et annule x , ce qui contredit le choix de P . Par suite, R = 0 et A est multiplede P . (Autrement dit, avec la terminologie du paragraphe 2.4, P est le gnrateur unitaire

    de lidal des polynmes de E [X ] qui annulent x .) Cela implique lunicit dun polynme

    unitaire P de degr minimal tel que P(x) = 0, car deux polynmes unitaires qui se divisentlun lautre sont gaux.

    Posons d = degP ; largument que nous venons de faire montre que x induit un ho-momorphisme injectif x,d de lespace vectoriel E[X ]

  • 1.3. Extensions de corps 13

    Dmonstration. Considrons le sous-anneau E[x, y] de F engendr par x et y sur E ;

    il est form des P(x, y) pour P parcourant E[X ,Y ] . Cest un E -espace vectoriel de dimen-

    sion finie : en effet, si 1, x, . . . , xm1 et 1, y, . . . , y n1 engendrent E[x] et E[y] respective-ment, la famille des xi y j avec 0 i < m et 0 j < n est une partie gnratrice de E[x, y] .

    Ceci dit, les sous-anneaux E[x + y] et E[x y] sont tous deux contenus dans E[x, y] . Cesont par consquent des E -espaces vectoriels de dimension finie et la proposition prc-

    dente permet daffirmer que x + y et x y sont algbriques sur E .Supposons maintenant que x = 0 et montrons que 1/x est algbrique sur E . Consid-

    rons une relation a0+a1x+ +ad xd = 0, o les ai sont des lments de E , non tous nuls.Divisons cette relation par xd . On obtient

    a0(1/x)d +a1(1/x)d1 + +ad = 0,

    ce qui prouve que 1/x est algbrique sur E .

    Montrons quen fait 1/x appartient E[x] . Soit r le plus petit entier tel que ar = 0, desorte que a0 = = ar1 = 0. On a alors ar xr + +ad xd = 0, soit en divisant par xr = 0,

    ar +ar+1x + +ad xdr = 0.Divisons encore cette relation par ar x . On obtient

    1

    x=ar+1

    ar ar+2

    arx ad

    arxdr1,

    do 1/x E[x] , ce quil fallait dmontrer.

    COROLLAIRE 1.3.14. Un lment x F est algbrique sur E si et seulement si lanneauE[x] est un sous-corps de F .

    Dmonstration. Si x est un lment non nul de F dont linverse appartient E[x] , il

    existe un polynme P E[X ] tel que 1/x = P(x) . Alors, x est racine du polynme nonnul 1X P(X ) , donc est algbrique. Rciproquement, soit a un lment non nul de E[x] .Daprs le thorme prcdent, il est algbrique et son inverse dans F appartient E[a] .

    Comme E[a] E[x] , E[x] est un corps. (Pour une autre dmonstration, voir lexercice 1.1.)

    Remarque 1.3.15. Soit j : E F une extension finie de corps et soit x F . Daprs lescorollaires prcdents, x est algbrique sur E et E[x] est un sous-corps de F , do une

    extension empile E E[x] F . Daprs le thorme 1.3.6, [F : E] = [F : E[x]] [E[x] :E] . Or, le degr de lextension E E[x] est prcisment gal au degr de x . Il en rsulteque le degr (sur E ) de tout lment de F divise le degr de lextension [F : E] .

    Un autre corollaire de ce genre dides est la transitivit du caractre algbrique.

    THORME 1.3.16. Soit j : E F et k : F G deux extensions de corps. Si un lmentx G est algbrique sur F et si F est algbrique sur E , alors x est algbrique sur E .

  • 14 Chapitre 1. Extensions de corps

    En particulier, si E F et F G sont des extensions algbriques, lextension empile E G est une extension algbrique.Dmonstration. Soit P F [X ] le polynme minimal de x sur F . On lcritP = X n + an1X n1 + + a0 . Les aj sont dans F , donc sont algbriques sur E . Parrcurrence sur n , le sous-anneau F0 = E[a0, . . . , an1] de F est un corps et une extensionfinie de E . Par construction, x est algbrique sur F0 si bien que lextension F0 F0[x]est finie. Daprs le thorme 1.3.6, lextension E F0[x] est finie, ce qui prouve bien quex est algbrique sur E .

    Remarque 1.3.17. Si A B est un homomorphisme danneaux, on dit parfois que Best une A -algbre. Outre les extensions de corps (si E F est une extension de corps, Fest ainsi une E -algbre), un cas particulier important est fourni par les anneaux de po-

    lynmes K [X1, . . . ,Xn ] en n variables X1, . . . ,Xn sur un corps K . Si K est un corps, un

    anneau A contenant K et tel quil existe des lments x1, . . . , xn dans A de sorte que

    A =K [x1, . . . , xn ] est appel K -algbre de type fini.La proposition 1.3.9 montre en particulier que si A = K [x] est un corps, alors A est

    algbrique sur K . Le thorme des zros de Hilbert(le terme allemand Nullstellensatz est

    souvent employ) que nous dmontrerons au paragraphe 6.8 (thorme 6.8.1) gnralise

    ce fait toutes les K -algbres de type fini, pas seulement celles qui sont engendres par

    un seul lment.

    1.4. Quelques impossibilits classiques

    Nous voulons maintenant montrer comment les rsultats prcdents permettent daf-

    firmer quun certain nombre de constructions gomtriques sont impossibles.

    Revenons tout dabord sur les nombres constructibles. Comme lensemble des

    nombres constructibles est un corps, il revient au mme de dire que x est constructible

    partir dune partie contenant 0 et 1 que de dire quil est constructible partir du corps

    engendr par dans R . En particulier, tre constructible partir de {0;1} et ltre partirde Q sont deux notions quivalentes.

    THORME 1.4.1 (Wantzel, 1837). Soit E un sous-corps de R . Un rel x est construc-tible la rgle et au compas partir de E si et seulement sil existe un entier n et une suite

    de sous-corps de R ,

    E = E0 E1 Entels que pour tout i {1; . . . ; n} , [Ei : Ei1] = 2 et tels que x En .

    Avant de faire la dmonstration, il nous faut dtailler la structure des extensions de

    degr 2 (dites aussi extensions quadratiques.) : elles sont obtenues par adjonction dune

    racine carre .

  • 1.4. Quelques impossibilits classiques 15

    PROPOSITION 1.4.2. Soit E un sous-corps de R (plus gnralement un corps de caract-ristique diffrente de 2) et soit j : E F une extension de degr 2 . Alors, il existe un lmenta F \ E tel que a2 E et F = E[a] .

    Dmonstration. Soit x un lment de F qui nest pas dans E . La famille (1, x) est alors

    libre sur E donc est une base de F comme E -espace vectoriel. La famille (1, x, x2) est alors

    lie et il existe trois lments a , b , c de E non tous nuls tels que lon ait ax2 +bx + c = 0.Comme la famille (1, x) est libre, a = 0, do la relation classique(

    x + b2a

    )2= b

    2 4ac4a2

    .

    Posons = 2ax+b ; alors, 2 = b24ac E est le discriminant du polynme aX 2+bX+c ).Comme x = /2a , la famille (1,) est une base de F sur E .

    Dmonstration du thorme de Wantzel. La dmonstration repose sur la forme des

    quations des droites et des cercles qui interviennent dans une construction la rgle et

    au compas, ainsi que sur la rsolution explicite des quations donnant les coordonnes

    de leurs points dintersection.

    Tout dabord, une droite passant par deux points A = (a, b) et A = (a, b) dont lescoordonnes sont dans K possde une quation coefficients dans K , savoir

    det

    1 1 1x a a

    y b b

    = 0.

    De mme, si M = (a, b) , M = (a, b) et O = (a, b) sont des points du plan dont lescoordonnes sont dans K , le cercle de rayon MM et de centre O a une quation de laforme

    x2 + y2 + Ax +By +C = 0,avec A , B , C dans K , comme on le voit en dveloppant lquation de ce cercle

    (x a)2 + (y b)2 = (a a)2 + (bb)2.

    Les formules explicites pour les coordonnes du point dintersection P de deux droites

    concourantes montrent que celles-ci sont des expressions rationnelles en les coefficients

    des quations des droites. Les coordonnes du point dintersection P de deux droites non

    parallles (AA) et (BB) , telles que A , A , B , B aient leurs coordonnes dans K , sontdonc dans K .

    Si P est un des points dintersection dune droite et dun cercle, ses coordonnes (x, y)

    satisfont des quations polynomiales de degr 2

    x2 + y2 + Ax +By +C = 0 et Dx +E y +F = 0

  • 16 Chapitre 1. Extensions de corps

    avec A , B , C , D , E , F K . Supposant par exemple E = 0 et liminant y , on obtient unequation du second degr pour x coefficients dans K . Son discriminant appartient

    K et x , puis y , appartiennent lextension K () qui est de degr au plus 2 sur K .

    Si le point P est obtenu par une intersection cercle/cercle, on soustrait les deux qua-

    tions de cercles, ce qui nous ramne au cas prcdent cercle/droite. (Du point de vue go-

    mtrique, la droite qui apparat est laxe radical des deux cercles. Si les cercles se coupent,

    cest celle qui passe par leurs deux points dintersections.)

    Par rcurrence sur le nombre dtapes, tout nombre constructible partir du sous-

    corps E est de la forme indique dans lnonc du thorme.

    Rciproquement, si x En , bout dune chane dextensions de degr 2, on dmontreque x est constructible. Il suffit de montrer que si E F est une extension de degr 2,tout lment de F est constructible partir de E . Daprs la proposition 1.4.2, il existe

    un lment de F tel que F = E[] et 2 E . Daprs le thorme 1.1.3, = 2 est

    constructible. Toujours daprs cette proposition, tout lment de R de la forme x + yest constructible partir de E , si bien que tout lment de F est constructible partir

    de E .

    Exercice 1.4.3. tendre le thorme de Wantzel aux nombres complexes.

    COROLLAIRE 1.4.4. Soit E un sous-corps de R et soit x un nombre rel qui est construc-tible la rgle et au compas partir de E . Alors, x est algbrique sur E et son degr est une

    puissance de 2 .

    Dmonstration. Soit E = E0 E1 En R une chane dextensions quadratiquesavec x En . Par rcurrence, la multiplicativit des degrs implique que

    [En : E]= [En : E1][E1 : E0] = 2[En : E1]= = 2n .Considrant les extensions E E[x] En , on voit que le degr de E[x] sur E doit diviser2n ; cest donc une puissance de 2.

    Nous pouvons maintenant dmontrer limpossibilit de constructions longtemps et

    vainement cherches.

    THORME 1.4.5 (Duplication du cube). Le nombre rel 3

    2 nest pas constructible la

    rgle et au compas partir de Q .

    Il nest donc pas possible de construire la rgle et au compas le ct dun cube dont le

    volume serait le double de celui du cube unit. La lgende veut que ce problme provienne

    dune requte du dieu grec Apollon, qui aurait demand aux habitants de Delos de lui

    construire un autel deux fois plus grand.

    Dmonstration. Posons = 32. Il suffit de montrer que nest pas de degr une puis-sance de 2. Comme est annul par le polynme X 3 2, il est de degr 3 et il suffitde montrer que X 3 2 est irrductible sur Q , car cerla entranera que le degr de est

  • 1.4. Quelques impossibilits classiques 17

    gal 3. Si X 32 ntait pas irrductible, il aurait une racine dans Q (lemme 1.4.9). Or, lesracines de X 32 dans C sont , exp(2i/3) et exp(2i/3) . Seul est rel. Si taitrationnel, crivons-le sous la forme dune fraction irrductible a/b . On a alors a3 = 2b3 ,si bien que a est pair. Posons a = 2a . On a alors b3 = 4(a)3 , ce qui montre que b estaussi pair. Comme cela contredit lhypothse que a et b sont premiers entre eux, nest

    pas rationnel et le polynme X 3 2 est irrductible sur Q .

    Le problme de la trisection de langle est plus subtil. partir du point de coordon-

    nes (cos(),sin()) du cercle unit, il sagit de construire le point de coordonnes

    (cos(/3),sin(/3)) .

    Remarquons que sin() est constructible partir du corps Q(cos()) , puisque lon asin2() = 1cos2() . Ainsi, il revient au mme de dire que cos(/3) est constructible surle corps Q(cos(),sin()) ou quil lest sur le corps Q(cos()) . En outre, si lon supposeque cos(/3) est constructible sur le corps Q(cos()) , sin(/3) le sera aussi. Ainsi, onpeut trisecter langle si et seulement si cos(/3) est constructible sur le corps Q(cos()) .

    Comme cos(3x) = 4cos3(x)3cos(x) , 2cos(/3) est une racine du polynmeX 3 3X 2cos(),

    les deux autres tant cos((+2)/3) et cos((+4)/3) . Si le polynme X 3 3X 2cos()est irrductible sur le corps Q(cos()) , le degr de cos(/3) sur Q(cos()) est gal 3 etlangle nest pas trisectable. Sinon, il rsulte du lemme 1.4.9 que ce polynme a une

    racine dans Q(cos()) ; cest alors le produit de deux polynmes de degrs 1 et 2 et toutesses racines sont constructibles sur Q(cos()) . On a ainsi dmontr le thorme :

    THORME 1.4.6 (Trisection de langle). Soit un rel. Le rel cos(/3) est construc-

    tible la rgle et au compas partir de {0;1;cos()} si et seulement si le polynme

    X 3 3X 2cos() a une racine dans le corps Q(cos()) .

    Exemple 1.4.7. Langle /9 nest pas constructible la rgle et au compas. Comme

    cos(/3) = 1/2, il suffit de voir que le polynme P = X 3 3X 1 na pas de racine dans Q .Considrons une ventuelle racine, mise sous forme dune fraction irrductible a/b . On a

    donc a33ab2b3 = 0. Si p est un nombre premier qui divise a , il divise b3 = a(a23b2) ,donc il divise b . Comme a et b sont premiers entre eux, a = 1. De mme, si p est unnombre premier qui divise b , il divise a3 = b2(3a +b) , donc il divise a . Ainsi, b =1. Parsuite, les seules racines possibles rationnelles de P sont +1 et 1 ; puisque P(1) = 3 etP(1) = 1, P na pas de racine dans Q , donc est irrductible sur Q .

    Cela montre quon ne peut construire la rgle et au compas un polygone rgulier

    9 cts. Dans le chapitre 5, nous dterminerons les polygones rguliers que lon peut

    construire la rgle et au compas (thorme 5.2.2).

    THORME 1.4.8 (Quadrature du cercle). Le rel nest pas constructible.

  • 18 Chapitre 1. Extensions de corps

    En termes plus classiques, il nest pas possible de construire la rgle et au compas le

    ct dun carr dont laire serait celle du disque unit.

    Dmonstration. Si tait constructible, il serait algbrique sur Q , donc aussi.

    Mais F. Lindemann a dmontr en 1882 que est transcendant (thorme 1.6.6).

    On a utilis plusieurs fois le lemme suivant.

    LEMME 1.4.9. Soit K un corps. Un polynme P K [X ] de degr 2 ou 3 est irrductiblesur K si et seulement sil na pas de racine dans K .

    Dmonstration. Si P a une racine a K , on peut crire P = (X a)Q , o Q est unpolynme de degr 1 ou 2, donc P nest pas irrductible.

    Inversement, si P est rductible, crivons P =QR , o Q et R sont des polynmes nonconstants coefficients dans K . Comme degQ +degR = degP 3, lun des deux degQou degR est gal 1 et a automatiquement une racine dans K . Par consquent, P a une

    racine dans K .

    1.5. Fonctions symtriques des racines

    Rappelons que le groupe des permutations (bijections) de lensemble fini {1; . . . ; n} est

    not Sn . Cest un groupe fini de cardinal n! = n(n1) . . . 2 1.

    DFINITION 1.5.1. Un polynme P A[X1, . . . ,Xn ] en n indtermines coefficientsdans un anneau A est dit symtrique si pour toute permutation Sn , on a

    P(X(1), . . . ,X(n)) = P(X1, . . . ,Xn ).

    Les exemples les plus connus sont la somme S1(X ) = X1 + +Xn et le produit Sn (X ) =X1 . . . Xn . Plus gnralement, on introduit les polynmes symtriques lmentaires par

    Sp(X ) =

    1i1

  • 1.5. Fonctions symtriques des racines 19

    Ils satisfont N1 = S1 ,N2(X ) = X 21 + +X 2n

    = (X1 + +Xn )2 2(X1X2 +X1X3 + +Xn1Xn )= S21 2S2,

    et plus gnralement, Np (X ) sexprime comme un polynme coefficients entiers en

    S1(X ), . . . ,Sn (X ) .

    PROPOSITION 1.5.2. Pour tout entier p 1 , il existe un polynme coefficients entiersPp Z[T1, . . . ,Tn ] tel que lon ait

    Np (X1, . . . ,Xn ) = Pp (S1(X ), . . . ,Sn (X )).Dmonstration. Introduisons le polynme = (T X1) . . . (T Xn ) et soit M sa matricecompagnon, cest--dire la matrice carre de taille n

    0 (1)n1Sn1 0 (1)n2Sn1

    . . .. . .

    ...

    0 S21 S1

    dont les coefficients appartiennent au sous-anneau Z[S1, . . . ,Sn ] de Z[X1, . . . ,Xn ] . Lepolynme minimal et le polynme caractristique de M sont gaux . Le polynme

    est scind dans le corps Q(X1, . . . ,Xn ) , ses racines tant X1, . . . ,Xn . Par suite, la matrice Mest semblable une matrice triangulaire suprieure dont les termes diagonaux sont

    X1, . . . ,Xn . En particulier, Np est la trace de Mp . Comme M est coefficients dans

    lanneau Z[S1, . . . ,Sn] , il en est de mme de ses puissances, ainsi que de leurs traces. Celamontre lexistence du polynme Pp .

    Ce que nous avons dmontr pour les polynmes de Newton est en fait valable pour

    tout polynme symtrique.

    THORME 1.5.3. Pour tout polynme symtrique P A[X1, . . . ,Xn ] , il existe un uniquepolynme Q A[Y1, . . . ,Yn ] tel que

    P(X1, . . . ,Xn ) =Q(S1(X ), . . . ,Sn (X )).Dmonstration. On dmontre lexistence de Q par rcurrence sur le nombre de va-

    riables n , puis sur le degr de P . Si n = 1, on a S1 = X1 et on pose Q = P . Si degP = 0, Pest constant et on choisit pour Q cette constante. Supposons le rsultat vrifi en (n 1)variables, ainsi quen degrs < m si le nombre de variables est n . Soit P un polynmesymtrique de degr m en n variables. Le polynme P0 en (n1) variables dfini par

    P0(X1, . . . ,Xn1) = P(X1, . . . ,Xn1,0)

  • 20 Chapitre 1. Extensions de corps

    est symtrique. Il existe par rcurrence un polynme

    Q0 A[Y1, . . . ,Yn1]tel que

    P0(X1, . . . ,Xn1)=Q0(S1(X ), . . . ,Sn1(X )).Dans cette dernire formule, il sagit des polynmes symtriques en (n1) variables, maisil est facile de constater que lon a (on indique en exposant le nombre de variables) :

    S(n1)p (X1, . . . ,Xn1) = S(n)p (X1, . . . ,Xn1,0)et plus gnralement,

    S(n)p (X1, . . . ,Xn ) = S(n1)p (X1, . . . ,Xn1)+Xn S(n1)p1 (X1, . . . ,Xn1).Alors,

    P1(X ) = P(X1, . . . ,Xn )Q0(S1(X ), . . . ,Sn1(X ))est un polynme symtrique et lorsquon remplace Xn par 0, on obtient le polynme nul.

    Cela implique que P1 est multiple de Xn : le coefficient dun monme Xi11 . . . X

    inn sont nuls

    ds que in = 0. Comme il est symtrique, le coefficient de X i11 . . . X inn est nul ds que lundes i j est nul. Ainsi, chaque monme non nul de P1 est multiple de Sn = X1 . . . Xn et parsuite P1 aussi. On peut donc crire P1 = SnP2 pour P2 A[X1, . . . ,Xn ] . Le polynme P2 estencore symtrique mais de degr < m . Par rcurrence, il scrit Q2(S1, . . . ,Sn ) . Finalement,on a

    P(X )=Q0(S1, . . . ,Sn)+P1(X ) =Q0(S1, . . . ,Sn)+SnQ2(S1, . . . ,Sn)et il suffit de poser Q =Q0 +YnQ2 .

    Dmontrons maintenant lunicit. Il suffit de dmontrer que si un polynme

    Q A[Y1, . . . ,Yn ] vrifie Q(S1, . . . ,Sn) = 0, alors Q = 0. Si n = 1, cest vident. Supposons lersultat dunicit dmontr pour (n1) variables. On le dmontre alors pour n variablespar rcurrence sur le degr de Q . Spcialisant Xn sur 0, on a en particulier

    0 =Q(S1(X1, . . . ,Xn1,0), . . . ,Sn (X1, . . . ,Xn1,0)) =Q(S(n1)1 , . . . ,S(n1)n1 ,0),ce qui implique par rcurrence que Q(Y1, . . . ,Yn1,0) = 0. Ainsi, Q est multiple de Yn et onconclut par rcurrence sur le degr de Q .

    Un polynme symtrique important est le discriminant :

    D = i< j

    (Xi X j )2.

    Pour constater quil est symtrique, il est peut-tre plus simple de lcrire

    D = (1)n(n1)/2 i = j

    (Xi X j )

  • 1.6. Transcendance de e et 21

    et de remarquer que si Sn , lapplication (i , j ) ((i ),( j )) est une bijection de len-semble des couples dentiers distincts dans lui-mme. Ainsi, pour tout Sn ,

    D(X(1), . . . ,X(n)) = (1)n(n1)/2i = j

    (X(i ) X( j ))

    = (1)n(n1)/2 i = j

    (Xi X j )

    = D(X1, . . . ,Xn ),donc D est symtrique.

    1.6. Appendice : transcendance de e et

    Nous dmontrons dans ce paragraphe la transcendance de e et . Comme les nombres

    e et ne sont pas du ressort de lalgbre mais de lanalyse, il nest pas tonnant que la

    dmonstration mette en jeu des outils analytiques, en loccurrence concentrs dans le

    lemme suivant.

    LEMME 1.6.1. Soit f un polynme coefficients rels ; notons m son degr. Pour tout

    nombre complexe z , lintgrale

    I( f ; z) =1

    0zez(1u) f (zu) du

    vrifie

    I( f ; z) = ezm

    j=0f ( j )(0)

    mj=0

    f ( j )(z).

    De plus, on a la majoration I( f ; z) |z|e|z| supu[0,1]

    f (zu) .Dmonstration. Intgrons par partie dans la dfinition de I( f ; z) . On obtient

    I( f ; z) = [ez(1u) f (zu)]10 +1

    0ez(1u)z f (zu) du

    = f (z)+ez f (0)+ I( f ; z),do le rsultat par rcurrence sur le degr de f . Pour obtenir la majoration de

    I( f ; z) , ilsuffit dintgrer sur [0,1] lingalitzez(1u) f (zu) |z|e|z| sup

    u[0,1]

    f (zu) ,valable pour tout u [0,1] .LEMME 1.6.2. Soit f un polynme coefficients entiers. Pour tout entier n 0 , il existeun polynme fn coefficients entiers tels que f (n) = n! fn .

  • 22 Chapitre 1. Extensions de corps

    Dmonstration. Par linarit, il suffit de dmontrer ce lemme pour f = X m . Dans cecas, f (n) = m(m 1) . . . (m n + 1)X mn . Le polynme fn =

    (mn

    )X mn est coefficients

    entiers et vrifie f (n) = n! fn .

    THORME 1.6.3 (Hermite). e est transcendant.

    Charles Hermite (18221901)

    Dmonstration. Raisonnons par labsurde. Si e

    nest pas transcendant, il existe des entiers a0, . . . , annon tous nuls tels que

    a0 +a1e+ +anen = 0.Quitte diviser cette relation par une puissance de e,

    on peut en outre supposer que a0 = 0.Soit p un nombre premier (fix pour linstant,

    mais nous le ferons tendre vers linfini) et soit

    f (x) = xp1(x 1)p . . . (x n)p . PosonsJp = a0I( f ;0)+a1I( f ;1)+ +anI( f ; n).

    On a donc

    Jp =n

    i=0ai

    np+p1j=0

    f ( j )(i ).

    Cest en particulier un entier.

    Daprs le lemme 1.6.1, il existe un rel c tel queJp cp pour tout p .

    De plus, si i {1, . . . , n} , i est racine de f lordre p , si bien que f ( j )(i )= 0 pour j < p ,tandis que pour j p , cest un multiple de p! , en vertu du lemme 1.6.2. En revanche, i = 0est racine de f dordre p 1. Il en rsulte que f ( j )(0) = 0 pour j < p 1 et est multiplede p! pour j p ; en outre,

    f (p1)(0) = (p 1)!(1)p . . . (n)p = (1)np (p 1)!(n!)p .Ainsi, il existe un entier N tel que

    Jp = (1)np+1a0(p1)!(n!)p +p!N .En particulier, si p > n et ne divise pas a0 (cest l quon utilise que a0 = 0), Jp /(p 1)!est un entier non nul modulo p , donc est non nul, donc est au moins gal 1 en valeur

    absolue. On a ainsiJp (p 1)! .

    Pour de tels nombres premiers, on obtient L lingalit cp (p 1)! , ce qui contredit laformule de Stirling

    p! pp ep2pquand p tend vers linfini.

  • 1.6. Transcendance de e et 23

    Passons maintenant la transcendance de . Si f est un polynme et g : C C unefonction, on notera

    f ()=0g ()

    la somme g (1)+ + g (n) o les j sont les racines de f , rptes autant de fois queleur multiplicit.

    LEMME 1.6.4. Soit f un polynme coefficients entiers et soit c son coefficient domi-

    nant. Alors, pour tout n 0 ,cn

    f ()=0

    n Z.

    Dmonstration. Soit m le degr de f et notons A la matrice compagnon de polynme

    minimal f /c . Les valeurs propres de A sont les racines de f , comptes avec multiplicits,

    donc celles de c A sont les c , o parcourt les racines de f , avec multiplicits. Par suite,

    les valeurs propres de cn An sont les cnn , pour f () = 0. Ainsi, cn f ()=0

    n est la trace

    de cn An . Par hypothse, c A est une matrice coefficients entiers, donc cn An aussi et sa

    trace est un nombre entier. Le lemme est donc dmontr.

    PROPOSITION 1.6.5. Soit f un polynme coefficients entiers tel que f (0) = 0 . Si lasomme

    f ()=0

    e est un nombre entier, elle est gale zro.

    Dmonstration. Soit N = f ()=0

    e et supposons que N soit un entier distinct de 0.

    Notons c le coefficient dominant de f . Soit p un nombre premier, fix temporairement,

    dfinissons g (x) = xp1 f p (x) . Cest un polynme de degr m = p(1+deg f )1. Posonsalors

    Jp =

    f ()=0I(g ;).

    La majoration de lintgrale I dans le lemme 1.6.1 implique quil existe un rel M > 0tel que lon ait Jp Mp

    De plus, toujours daprs le lemme 1.6.1, on a

    Jp = N(

    ng (n)(0)

    )

    n

    ( f ()=0

    g (n)()

    ).

    Si f () = 0, est racine de g lordre p , si bien que g (n)() = 0 pour n < p . Dautrepart, si n p , les deux lemmes prcdents impliquent que gn = g (n)/p! est un polynme coefficients entiers de degr m n et il existe un nombre entier Ap tel que

    cmn

    f ()=0g (n)() = p!Ap .

  • 24 Chapitre 1. Extensions de corps

    Dautre part, g (n)(0) = 0 pour n < p 1, est multiple de p! pour n p maisg (p1)(0) = (p 1)! f (0)p .

    Ainsi, il existe un entier Bp tel quen

    g (n)(0) = (p 1)! f (0)p +p!Bp .

    Finalement,

    Jp = (p 1)! f (0)p N +p!(cpm Ap +NBp )et

    cmp

    (p 1)! Jp = cmpN f (0)p +p(Ap + cmp NBp )

    est un nombre entier. De plus, si le nombre premier p ne divise pas cN f (0) , il nest pas

    multiple de p . Il est en particulier non nul, et par consquent au moins gal 1 en valeur

    absolue ! Cela entrane la minorationJp (p 1)!cpm = (p 1)!c1p deg f .Puisque cN f (0) = 0, tout nombre premier assez grand vrifie cette dernire ingalit.

    Jointe la majoration dmontre plus haut, cela implique

    (p1)!c1p deg f Mp ,ce qui contredit une nouvelle fois la formule de Stirling lorsque p tend vers linfini. La

    proposition est donc dmontre.

    THORME 1.6.6 (Lindemann). est transcendant.

    Dmonstration. Si tait algbrique, i le serait aussi. Soit alors f un polynme irr-

    ductible coefficients entiers tel que f (i) = 0. Notons 1, . . . ,n ses racines. De lqua-tion

    1+ e i = 0,on dduit

    f ()=0(1+ e) = (1+ e1 ) . . . (1+ en ) = 0.

    Dveloppons cette galit. Il vient {0;1}n

    exp(

    j j ) = 0.

    Or, les j j = 0 sont les racines du polynme

    F0 =

    {0;1}n(X

    j j j )

    dont les coefficients sexpriment comme des polynmes symtriques en les j . Daprs le

    thorme sur les fonctions symtriques lmentaires, ce sont donc des polynmes en les

    fonctions symtriques lmentaires des j , donc en les coefficients de f . Ce sont donc

  • Exercices 25

    des nombres rationnels. Il existe par suite un entier N tel que NF0 Z[X ] . Soit q la mul-tiplicit de la racine 0 dans F0 et posons F = NF0/X q . Alors, F est un polynme coeffi-cients entiers et F (0) = 0. De plus, on a

    0 = {0;1}n

    exp(

    j j ) = q +

    F ()=0e.

    Comme 0 est racine de F0 , correspondant au choix j = 0 pour tout j , on a q 1, doune contradiction avec la proposition prcdente.

    Exercices

    Exercice 1.1. a) Soit A un anneau intgre fini. Montrer que A est un corps. Exemples ?

    b) Soit F un anneau intgre et E F un sous-corps de sorte que F soit un E -espace vectoriel dedimension finie. Montrer que F est un corps.

    Exercice 1.2 (Critre de Liouville). a) Soit un nombre algbrique et soit d son degr. Mon-

    trer quil existe un polynme P Z[X ] de degr d tel que P() = 0 et P () = 0.b) laide de a), montrer quil existe un nombre rel c > 0 tel que pour tout couple (p, q) ZN ,

    on a pq cqd .

    c) Montrer que le nombre rel

    =

    n=110n!

    est transcendant (Liouville, 1844). Un nombre rel dont ont peut montrer de cette faon quil est

    transcendant est appel nombre de Liouville. Lensemble des nombres de Liouville est non dnom-

    brable, mais est de mesure nulle dans R . On sait aussi que e et ne sont pas des nombres de

    Liouville.

    Exercice 1.3. Soit C(z) le corps des fractions rationnelles coefficients complexes. Soit unouvert connexe de C et M() le corps des fonctions mromorphes sur . Soit j : C(z) M()lhomomorphisme de corps naturel.

    a) Soit f et g des lments de C(z) tels que f = f g . Montrer que f et g sont constants.b) Soit f C(z) une fraction rationnelle non constante qui na pas de ple dans . Montrer que

    exp( f ) M() nappartient pas C(z) .c) Si f est un lment de C(z) \ C , montrer que exp( f ) est transcendant sur C(z) . (Raison-

    ner par labsurde et, notant N le degr de exp( f ) sur C(z) , driver une relation algbriqueN

    n=0pn (z)exp(n f (z)) = 0. En dduire que exp(N f (z)) C(z) .)

    d) Si f1 , . . ., fn sont des lments non constants de C(z) dont les drives sont deux deux dis-tinctes. Montrer que exp( f1) , . . ., exp( fn ) sont linairement indpendants sur C(z) . (Raisonner par

  • 26 Chapitre 1. Extensions de corps

    rcurrence sur n . Considrer une relation de dpendance linairen

    i=1pi (z)exp( fi (z)) = 0. Si pn = 0,

    la diviser par pn (z) puis driver.)

    Exercice 1.4. a) Soit P = X n +an1X n1+ +a0 un polynme de degr n coefficients com-plexes. Montrer que toute racine z C de P vrifie

    |z| 1+|a0|+ + |an1| .

    b) Soit f : C C une fonction entire, cest--dire une fonction holomorphe dfinie sur tout leplan complexe. Supposons que f soit algbrique sur le corps C(z) des fonctions rationnelles. Mon-

    trer quil existe un entier n 0 et un nombre rel c tel que pour tout z C , on ait f (z) c(1+|z|n).c) (suite) Soit f (z) =

    j=0

    cj zj le dveloppement en srie de f en lorigine. Montrer que la fonc-

    tion g dfinie par g (z) =

    j=0cj+n z j est entire et borne. Dduire du thorme de Liouville sur les

    fonctions entires bornes que f est un polynme.

    Exercice 1.5. Soit P un polynme unitaire de Z[X ] . Si a Q est une racine de P , montrer quea Z .

    Exercice 1.6. a) Soit E F une extension quadratique. Soit x F \ E tel que x2 E et soita E . Si a est un carr dans F , montrer que ou bien a est un carr dans E , ou bien ax2 est uncarr dans E .

    b) Soit p1, . . . , pn des nombres premiers distincts. On considre les deux proprits :

    a n ) le corps Q(

    p1, . . . ,

    pn ) est de degr 2n sur Q ;b n ) un lment x Q est un carr dans Q(p1, . . . ,pn) si et seulement sil existe une partie

    I {1; . . . ; n} telle que x iI

    pi est un carr dans Q .

    Montrer que la conjonction de a n et de b n implique a n+1 , et que la conjonction de a n et bn1entrane b n . En dduire par rcurrence sur n quelles valent pour tout entier n .

    c) Montrer que les racines carres

    2,

    3,

    5,

    7,. . . des nombres premiers sont linairement in-

    dpendantes sur Q .

    Exercice 1.7. Soit p un nombre premier et considrons le polynme P = X n +X +p , o n 2.a) Supposons p = 2. Montrer que toute racine complexe de P vrifie |z| > 1.b) Toujours pour p = 2, montrer que P est irrductible dans Z[X ] .c) Supposons maintenant p = 2. Si n est pair, montrer que P est irrductible dans Z[X ] . Si n est

    impair, montrer que X +1 divise P et que P/(X +1) est irrductible dans Z[X ] .d) Plus gnralement, tout polynme P = an X n+ +a1X+a0 tel que |a0| soit un nombre premier

    strictement suprieur |a1|+ + |an | est irrductible.

  • Exercices 27

    Exercice 1.8. Soit P = X n +an1X n1 + +a0 un polynme unitaire dans Z[X ] tel que a0 = 0et

    |an1| > 1+|an2|+ + |a0| .a) laide du thorme de Rouch en thorie des fonctions dune variable complexe, montrer

    que P a exactement une racine complexe de valeur absolue 1.b) Montrer que P est irrductible dans Z[X ] (thorme de Perron).

    Exercice 1.9 (Contenu dun polynme). Si P est un polynme coefficients entiers, on notect(P) le pgcd de ses coefficients.

    a) Soit P et Q deux polynmes de Z[X ] . Soit p un nombre premier qui divise tous les coefficients

    de PQ , montrer en rduisant modulo p que p divise ct(P) ou ct(Q) .

    b) Montrer que pour tous polynmes P et Q dans Z[X ] , on a ct(PQ) = ct(P)ct(Q) .c) Soit P un polynme unitaire de Z[X ] et soit Q un polynme unitaire dans Q[X ] qui divise P

    dans Q[X ] . Montrer que Q est coefficients entiers et que Q divise P dans Z[X ] .

    Exercice 1.10 (Critre dEisenstein). Soit p un nombre premier et soit A = an X n + + a0 unpolynme coefficients entiers tels que a) p divise a0 , . . ., an1 ; b) p ne divise pas an ; c) p2 nedivise pas a0 . Alors, A est irrductible dans Q[X ] .

    On raisonne par labsurde en supposant que A est rductible dans Q[X ] .

    a) Montrer laide de la question a) de lexercice prcdent quil existe des polynmes nonconstants B et C dans Z[X ] tels que A= BC .

    b) On note B = bd X d + +b0 . En rduisant modulo p , montrer que p divise b0 , . . ., bd1 .c) En dduire que p2 divise a0 , do une contradiction.

    d) Montrer que le polynmeX p 1X 1 = X

    p1 + +1est irrductible dans Q[X ] . (Faire le changement de variables X = Y +1.)

    Exercice 1.11. Montrer que lensemble des nombres complexes constructibles est le plus petit

    sous-corps de C qui soit stable par lopration de racine carre.

    Exercice 1.12. On trouve dans un ouvrage de gomtrie de 1833, Trait du compas (Trait l-mentaire de tous les traits servant aux Arts et Mtiers et la construction des Btiments) de Zacha-

    rie [14], la construction suivante.

    Construire un eptagone rgulier, cest--dire une figure sept cts gaux.

    Dun point quelconque tracez une circonfrence ; tirez le diamtre AB , divisez ce

    diamtre en sept parties gales (voyez la figure 45), aux points 1, 2 , 3 , 4 , 5 , 6 , 7 ; des

    points A et B , pris pour centre, et avec une ouverture de compas gale au diamtre

    AB , tracez des arcs qui se couperont en C ; du point d intersection C , tirez la ligne

    C5, que vous prolongerez jusqu la circonfrence, au point D ; tirez la ligne BD , elle

    sera le ct de leptagone ; portez avec le compas la longueur de la ligne BD sur la

    circonfrence, aux points E , F , G , H , I et vous aurez leptagone demand.

    Faire une figure et dire ce qui ne va pas.

  • 28 Chapitre 1. Extensions de corps

    Exercice 1.13. Soit P le polynme X 4 X 1.a) Montrer quil a exactement deux racines relles. On les notes x1 et x2 . On note x3 et x4 les

    deux racines complexes conjugues.

    b) Montrer que P est irrductible sur Q . (Vous pouvez rduire modulo 2, ou bien observer que Pa exactement une racine de valeur absolue strictement infrieure 1.)

    c) On cherche crire P(X ) = (X 2+aX+b)(X 2+cX+d) , o a , b , c , d sont indtermins. Exprimerb , c et d en fonction de a . En dduire un polynme Q de degr 3 tel que, a tant fix, ce systme

    a une solution si et seulement si Q(a2)= 0.d) Montrer que Q est irrductible sur Q

    e) Montrer que x1 et x2 ne peuvent pas tre tous deux constructibles la rgle et au compas. (Ilrsultera de lexercice 5.4 quaucune des deux ne lest.)

    Exercice 1.14 (Formules de Newton). a) Montrer les formules suivantes, qui relient sommes

    de Newton et fonctions symtriques lmentaires dans Z[X1, . . . ,Xn ] :

    si m n, Nm Nm1S1 + + (1)m1N1Sm1 + (1)m mSm = 0 ;si m > n, Nm Nm1S1 + + (1)n Nmn Sn = 0.

    b) En dduire que tout polynme symtrique de Q[X1, . . . ,Xn ] scrit de manire unique commeun polynme coefficients rationnels en les sommes de Newton N1, . . . ,Nn .

    c) Quen est-il dans un corps de caractristique p > 0 ?

    Exercice 1.15. Soit (G ,+) un groupe ablien fini. On dit quun lment g G est dordre d si dest le plus petit entier 1 tel que dg = 0.

    a) Soit g et h deux lments de G dordres m et n . Si m et n sont premiers entre eux, montrer

    que g +h est dordre mn .b) Plus gnralement, si G possde deux lments dordres m et n , montrer quil existe un l-

    ment de G dordre ppcm(m, n) .

    c) Montrer quil existe un entier d 1 et un lment g G tel que a) g soit dordre d ; b) pourtout h G , dh = 0.

    Exercice 1.16. Soit E un corps et soit G un sous-groupe fini de E . Montrer que G est cyclique.(Considrer un couple (d, g ) comme dans lexercice 1.15 et montrer que G Z/dZ , g tant ungnrateur.)

    Exercice 1.17. Soit j : K E une extension de corps et soit x1, . . . , xn des lments de E . Mon-trer lquivalence des proprits suivantes :

    a) les xi sont algbriques sur K ;

    b) K [x1, . . . , xn ] est de dimension finie sur K ;

    c) K [x1, . . . , xn ] est un corps ;

    d) K (x1, . . . , xn ) est de dimension finie sur K .

    Limplication (c) (d) ncessite le thorme des zros de Hilbert (thorme 6.8.1).

  • Exercices 29

    Exercice 1.18. On appelle degr, poids et degr partiel dun monme X i11 . . . Xinn les expressions

    i1+ +in , i1+2i2+ +nin et max(i1, . . . , in ) . Le degr, le poids et le degr partiel dun polynme P ,nots respectivement deg(P) , w(P) et (P) , sont par dfinition le maximum des degrs, poids et

    degrs partiels de ses monmes non nuls.

    a) Calculer le degr, le poids et le degr partiel des polynmes symtriques lmentaires S1, . . . ,Sn .

    b) Soit P Z[X1, . . . ,Xn ] un polynme symtrique. Daprs le thorme 1.5.3, il existe un uniquepolynme Q Z[Y1, . . . ,Yn ] tel que P = Q(S1, . . . ,Sn) . En revenant la preuve par rcurrence duthorme 1.5.3, dmontrer que deg(P) = w(Q) et (P) = deg(Q) .