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1 MINISTERE DE L’EQUIPEMENT, DES TRANSPORTS, DU LOGEMENT, DU TOURISME ET DE LA MER PROGRAMME INTERMINISTÉRIEL D’HISTOIRE ET D’ÉVALUATION DES VILLES NOUVELLES FRANCAISES Expériences professionnelles et effets de génération en villes nouvelles (1965-2002) Rapport final Viviane Claude et Jean-Charles Fredenucci IUL – Lyon II et LATTS – ENPC / EZUS – Lyon I - Lumiris Mai 2004

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MINISTERE DE L’EQUIPEMENT, DES TRANSPORTS, DU LOGEMENT, DU TOURISME ET DE LA MER

PROGRAMME INTERMINISTÉRIEL D’HISTOIRE ET

D’ÉVALUATION DES VILLES NOUVELLES FRANCAISES

Expériences professionnelles et effets de génération en villes nouvelles (1965-2002)

Rapport final

Viviane Claude et Jean-Charles Fredenucci

IUL – Lyon II et LATTS – ENPC /

EZUS – Lyon I - Lumiris

Mai 2004

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« Pour bien labourer, il faut accrocher sa charrue à une étoile » Citation attribuée à Bernard Hirsch, Directeur général de la MEAVN puis de l’EPAVNCP (1965-

1975) par J.E. Roullier– in Oublier Cergy… L’invention d’une ville, Presses de l’École nationale des Ponts et Chaussées, 1990, (réédité en 2000) p.7

« On regardait, les étoiles avec des jumelles » Jean-Luc Nguyen, Directeur général de l’EPAVNCP (1994-1999). Entretien du 27.01.2004

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INTRODUCTION Les questions de la recherche Le thème général de la recherche dont les résultats sont ici présentés porte sur la constitution et l’actualisation de l’expérience professionnelle en urbanisme et plus largement en aménagement. Elle s’intéresse au cas singulier des villes nouvelles françaises dont la création est rendue officielle en 1965 et qui, pour certaines d’entre elles, ont encore aujourd’hui un statut administratif particulier. Deux espaces professionnels nous intéressent, celui des parcours des praticiens ayant exercé en villes nouvelles (d’où viennent- ils ? où vont- ils ?) et celui des conditions concrètes dans lesquelles ils travaillent dans les Missions d’études et d’aménagement (MEA) devenues des Établissements publics d’aménagement (EPA) de ces villes1. Il ne s’agit pas d’un exercice de sociographie exhaustive. À partir de la constitution d’une base de données, du repérage de parcours professionnels dans cette base, à travers des entretiens avec des professionnels, à travers aussi ce que recèlent les archives des EPA, l’étude a été conçue comme une contribution à l’histoire des pratiques de l’aménagement de ces quarante dernières années. La construction des villes nouvelles constitue un pan significatif, même s’il est limité, de cette histoire, et l’expérience professionnelle n’est qu’une entrée parmi d’autres (on aurait pu s’intéresser à d’autres objets, à l’évolution des doctrines ou des conceptions urbanistiques par exemple ou à la comparaison avec d’autres organismes d’études ou d’aménagement). L’expérience professionnelle sera regardée dans ses formes et ses transformations. Elle sera entendue comme pouvant être individuelle autant que collective, comprise comme accumulation/sélection (phénomène longitudinal) et comme interaction entre des agents (production du travail collectif avec la question : qu’est ce qui est "produit" dans cette configuration et par telle ou telle configuration?2). Au croisement de trajectoires et de configurations, on cherche ainsi à identifier ce que le travail en villes nouvelles recèle de proprement décisif pour ceux qui y ont été actifs, ceci sur une période de quarante années. Notre hypothèse de départ s’inspire d’un fait qui semble bien établi : les villes nouvelles ont constitué une “ expérience ”, au sens large d’une innovation singulière ayant permis de faire évoluer des manières de faire, des concepts, des outils (juridiques, administratifs, financiers, urbanistiques, etc.), des dispositifs institutionnels en matière d’urbanisme et d’aménagement en France3. Notre étude sur l’expérience professionnelle ré-interroge de manière indirecte

1 La bibliographie sur les villes nouvelles est considérable. On en veut pour preuve la recension publiée par la revue Urbanisme, « Villes nouvelles en France, 1968-1998 », supplément du n°301, juillet-août 1998. Dans le cadre du PHEVN, C. Bruant (dir.), Architectures et formes urbaines en villes nouvelles : enquête bibliographique sur les sources écrites, LADRHAUS, École d'architecture de Versailles, juin 2003, (Ministère de la Culture, DAPA-BRA, Ministère de l'Équipement, PHEVN) 2 Nous reprenons ici Norbert Elias pour qui les configurations sont des“ figures globales et toujours changeantes que forment des personnes dès lors que leurs actes sont interdépendants ”, in Qu’est ce que la sociologie ?, La Tour d’Aigues, Editions de l’Aube, 1991, (1970), 154-161. 3 Voir en particulier vingt-cinq ans de villes nouvelles en France, GIE villes nouvelles, MELTM – DAEI, Économica, 1989

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cette affirmation selon laquelle il y aurait eu à l’occasion de la réalisation des villes nouvelles des changements durables tant au plan des pratiques que des instruments de l’aménagement. La question est donc la suivante : dans quelle mesure, les villes nouvelles auraient-elles constitué des « laboratoires » de l’urbanisme ? Disons d’emblée que nous cherchons à déceler des pratiques plutôt que des personnalités qui ont dominé la scène des villes nouvelles. S’il y eut parmi ces figures des hommes d’exception, des « locomotives » qui ont su tirer dans l’action des équipes de professionnels et quelle que soit l’admiration qu’on a pu leur porter (à Bernard Hirsch, Serge Goldberg, Michel Colot, etc.), leur “ tempérament ” ou leur “ personnalité ” ne peuvent pas tout expliquer. Ces notions ne sont d’ailleurs pas aisément manipulables par le chercheur. Au mieux peut-on y déceler des catégories utilisées par les contemporains ou leurs représentations au sein de l’administration dite de « mission ». Ces catégories sont en cohérence avec le grand récit de la « mission » qui privilégie les “ personnalités charismatiques ”, capables de conduire des “ opérations commando ”. Probablement ont-ils été nombreux ces “ hommes d’envergure exceptionnelle ” ayant une vision, le goût du commandement voire le goût du risque 4. Nos entretiens avec les professionnels des villes nouvelles en portent témoignage. L’équation personnelle ne saurait cependant être retenue que comme explication ultime de “ l’expérience ” des villes nouvelles. Les politiques les plus fins ne s’y trompent pas, même s’ils semblent parler d’abord pour eux-mêmes, comme le nouveau ministre de l’Équipement, Edgar Pisani, en 1966 : « Il y a des moments, déclare-t- il alors devant la presse professionnelle, où les choses sont telles que l’occasion peut être saisie par un homme et qu’à partir de cette occasion il peut déclencher le mouvement. Mais il n’est que l’instrument d’un moment dont il a su profiter. »5 Reste que le passage en ville nouvelle a constitué pour nombre de praticiens que nous avons rencontrés, lo rs de nos entretiens, un événement biographique dont le sens n’appartient qu’à eux seuls (et en dépit de toutes les rationalisations a posteriori). Nous nous intéresserons à la qualité de cet évènement, à son ampleur et à ses conséquences sur l’activité professionnelle dans le domaine de l’aménagement. Bien des éléments de nature socio-politique (un contexte, des structures, des décisions, etc.) se sont combinés pour que se forme le mythe de la ville nouvelle comme « laboratoire ». En premier lieu le fait qu’en ce début de Vème République, la politique volontariste d’aménagement du territoire et d’aménagement de la Région parisienne a mis d’emblée les MEA et EPA en marge de l’administration traditionnelle. Plusieurs conditions ont permis à cette politique volontariste concernant les villes nouvelles d’être défendue et conduite dans la durée. Deux d’entre elles sont décisives et ressortent du contexte des années 60 et 70 : la « honte de l’absence d’urbanisme » (formule du Premier ministre Michel Debré6) et le renouvellement de la doctrine que cette « honte » a provoqué d’une part, l’indépendance des structures qui ont été chargées de réaliser les villes nouvelles d’autre part. Ces conditions doivent être rappelées dans cette introduction car elles donnent le contexte dans lequel les praticiens évoluent. Elles vont organiser leurs représentations et leurs pratiques de travail. 4 À cet égard, les acteurs ayant directement œuvré à la construction des villes nouvelles ont des souvenirs précieux : L’aménagement de la région parisienne (1961-1969). Le témoignage de Paul Delouvrier accompagné par un entretien avec Michel Debré, Paris, Presses de l’École nationale des Ponts et chaussées, 2003 (témoignage de 1984). B. Hirsch, Oublier Cergy… L’invention d’une ville nouvelle. Cergy-Pontoise. 1965-1975, Paris, Presses de l’École nationale des Ponts et chaussées, 2000 (2ème édition) 5 E. Pisani, « Les problèmes posés au ministère de l’Équipement », Le Moniteur des travaux publics et du bâtiment, 26.03.1966, p34 6 L’aménagement de la région parisienne… op. cit. Entretien avec Michel Debré, p207

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1 / Il faut en premier lieu prendre la mesure de l’idéologie- pour reprendre un terme dont l’usage s’est raréfié - urbaine et urbanistique des années fastes du début de la Vème République. Dans les années 60, l’aménagement – que l’on appellera aussi le nouvel urbanisme - se construit sur de nouveaux fondements et va trouver dans les villes nouvelles un espace de débats, de pratiques et d’expérimentations. Puis, en une quinzaine d'années, ces forces initiales s’épuisent, par l’effet combiné des débuts de la crise économique, des élections municipales de 1977 et des conséquences de la mutation qui est amorcée, dès avant 1981, dans les relations entre les services de l’État et les collectivités locales, entre les EPA et les élus locaux. Mais, dans le même temps, les villes nouvelles sont devenues des choses concrètes et continuent à se construire. En début de période, entre 1965 et 1969-70, comme on le verra, les agents des villes nouvelles semblent quelque peu démunis malgré le foisonnement des idées. Ils ont toutes les raisons de l’être, puisqu’ils ne sont pas préparés à la tâche qui leur est assignée et qui est inédite. Il y a tout lieu de penser que les professionnels mettent alors en œuvre des conceptions anciennes. S’ils formulent des idées originales, c’est sans pouvoir toujours en faire immédiatement la matière de leurs projets. Ces décalages obligent à être attentif à ce autour de quoi s’articule concrètement le travail – ce que nous chercherons à identifier dans la suite de cette étude - et pas seulement à ce que l’on retient aujourd’hui des idéologies dominantes des années 60. Ces idéologies faisaient de la ville une abstraction, en évacuant l’histoire, les spécificités des cultures locales tout comme les acteurs sociaux7. Selon les recherches des années 70 qui ont fait de la critique de cette idéologie leur objet, la conception des villes nouvelles s'est nourrie de cette réification de la ville et d'une approche qui a permis aux architectes (rêvant de la ville comme œuvre), aux économistes et planificateurs (fascinés par les projections et les modèles) et aux géographes (qui découvrent la pensée systémique) de parler le même langage8. La réification de la ville, le recours à l’utopie, la distance à l’égard des pratiques et des lieux existants, la sous-estimation du fait politique auraient signé, selon ces travaux, une alliance assez large qui apparaît autour des villes nouvelles entre hauts fonctionnaires, ingénieurs, architectes et certains milieux universitaires. Si tel n’est pas notre objet d’analyse, il faut rappeler quelques résultats de ces recherches qui nous aident à marquer la distance qui nous sépare du début des villes nouvelles. Pour les villes nouvelles de la Région parisienne et, dans une certaine mesure sur les Rives de l’Étang-de-Berre, cette réification se manifeste autour de deux thèmes : celui du désastre de la banlieue et celui de la création possible d’un nouveau mode de vie. Les archives des EPA sont traversées par de tels discours et, entre le milieu des années 60 et le milieu des années 70, les représentations ne se modifient que lentement. Par exemple sur la réalité du paysage urbain du jeune département de l’Essonne, qui rassemble le pavillonnaire de l’entre-deux-guerres et les grands ensembles des années soixante, la “ banlieue ” ou la “ nébuleuse urbaine ” sont utilisées en 1967 comme des figures repoussoirs, qui appartiennent à une rhétorique

7 Voir la référence aux travaux du philosophe et sociologue Henri Lefebvre tout au long des années 1965 à 1985-90. 8 C’est notamment la thèse de J.M. Boyer, La programmation urbaine et architecturale. L’expérience des villes nouvelles, thèse de 3ème cycle, École des hautes études en sciences sociales, 1983, 92-117.

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urbanistique bien connue9. “ Dans ce secteur géographique, déclare le directeur de la Mission d'Évry en 1967, le mouvement d’urbanisation s’opère à un rythme particulièrement rapide. En effet aux lotissements pavillonnaires des années 1920-30 a succédé, surtout depuis une dizaine d’années, une vague de construction de “ grands ensembles ” qui a gagné Viry-Chatillon, Ris-Orangis, Sainte-Geneviève-des-Bois, Saint-Michel-sur-Orge, Corbeil et qui atteint maintenant Grigny. […] Dans ce morne paysage de banlieue lointaine qui s’est étendue de façon considérable ces dernières années, les habitants des “ cités dortoirs ” ressentent d’autant plus vivement le sous-équipement quasi généralisé que la référence au “ centre ”, Paris, est pour le plus grand nombre une illusion parfois irritante plutôt qu’une réalité ” 10. Cette vision pessimiste de la banlieue et plus généralement de la ville contemporaine est dans les années 60 largement partagée. Paul Delouvrier et ses collaborateurs font constamment allusion au désolant spectacle de la banlieue 11. Dans la décennie suivante, la même déploration sert encore à justifier l’importance de la tâche d’aménagement. Ainsi en 1975, André Darmagnac, en charge de la programmation à l’EPEVRY, écrit : “ Il s’agit du mode de vie et d’occupation de l’espace issu de l’industrialisation et du développement de l’automobile […] Ce modèle qui uniformise tout. […] Il faut ressembler à “ Monsieur express ”. […] On n’est plus des citoyens d’une cité, mais membre de la société internationale de consommation, […] des usagers revendicatifs et passifs. […] La nébuleuse urbaine est un milieu répulsif, qu’on fuit dès qu’on en a le temps, si on en a les moyens. Elle est répulsive par son manque de chaleur humaine et par son paysage désolé, qui reflète bien la société qui l’a engendrée. Le cadre de vie quotidien exprime avant tout, en effet, l’individualisme, l’atomisation des composantes de la société, la spécialisation et la ségrégation des catégories sociales et des fonctions urbaines. […] Aucune collectivité sociale palpable ne fédère et ne structure la vie des habitants qui s’y trouvent. […] Les habitants (sont) privés de contact avec la “ vraie nature ” 12. En région parisienne, les villes nouvelles sont annoncées dans le PADOG et, à ce titre, constituent ce que ce plan désigne par « pôles restructurateurs ». De 1965 à 1967-68, les premiers travaux des ateliers d’urbanisme des Missions portent sur l’élaboration de “ schéma directeur de structures, définissant le programme et le parti d’aménagement et d’organisation de l’espace ” et ayant vocation à “ organise(r) les urbanisations nouvelles et à restructure(r) l’agglomération existante ” 13. Dans ce cadre, le directeur général de la Mission d’Evry fixe en 1967 l’ambition du projet : “ C’est dans ce contexte que le projet de “ VILLE NOUVELLE ” prend toute sa signification : par la création progressive d’une armature urbaine cohérente le projet tend à substituer le concept de “ ville ” à celui de “ banlieue ” : par le développement d’un CENTRE, lieu d’échange privilégié doté d’un puissant appareil de commerces et de services et d’une gamme diversifiée d’équipements administratifs scolaires,

9 De 1962 à 1968, le nouveau département avait absorbé plus de 46% du solde migratoire de l’ensemble de la région parisienne. J.-P. Laverrière, Et vinrent les bâtisseurs. Histoire de l’EPEVRY, 1991, non publié (AD91-1523W/1543) 10 André Lalande, Lettre du directeur de la MEAVN d’Evry à Monsieur le Directeur de l’aménagement foncier et de l’urbanisme, à l’attention de Mr Ribat, comme suite à la lettre du 3 octobre 1967, note sur la VN d’Evry, destinée au numéro spécial consacré à l’urbanisme dans Équipement, logements, transports, (AD91-1523W/281). 11 L’aménagement de la région parisienne… op. cit. p70-71 12 André Darmagnac, Objectifs de mode de vie et directives d’aménagement (pourquoi et construire une ville nouvelle) –Direction d’étude pour Evry III, document de travail, EPEVRY, Juillet 1975, p.1-7 (AD91-1523W/2223). 13 Exposé de M. Lalande en 1968 (AD91-1523W/286).

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universitaires, culturels et de loisirs. Par le développement des emplois […]. Par la mise en place d’un ensemble complémentaire de base de loisirs de plein air et de sports. Par la création d’infrastructures routières et de transports en commun ” 14. Et huit ans plus tard, la ville nouvelle est encore, à l’EPEVRY, “ le dépassement du mythe du pavillon de lotissement ”. Elle doit venir satisfaire le désir “ d’isolement et d’intimité ” tout en offrant des “ conditions de vie urbaine autrement plus chaleureuse et enrichissante que les banlieues actuelles ”. Ainsi“ le dépassement du mythe du pavillon de lotissement […] rendrait un grand service à l’urbanisme (et) serait peut-être un remède au développement cancéreux des nébuleuses urbaines, puisqu’il prouverait que les gens ont compris les dangers de l’isolement déconnecté de toute structure sociale palpable ”15. Ce discours contre la banlieue puis la ville dortoir et mono-fonctionnelle faute de centralité et d’équipements est ancien et général. On le retrouve sur les Rives de l’Étang-de-Berre où la croissance urbaine est en 1969 ramenée à une « simple extension » sans la constitution de « pôles urbains solides […] au rayonnement propre »16. Après les évènements de 68, les représentations sont remodelées pour donner une dimension politique à ce que doit être « la » ville. Elle apparaît alors comme le lieu d’une conscientisation politique de l’habitant, le foyer d’un “ nouveau citadin ”. Elle se doit d’être une alternative au “ modèle bourgeois ” de la ville (en satisfaisant cependant le désir de promotion sociale) et au syndrome de l’isolement cathodique de la banlieue de la “ France de Guy Lux ”17. “ C’est sans doute le sens profond du choix qu’a fait la France pour une politique de villes nouvelles, de ville au sens citadin du terme, qui soient des foyers de vie citadine, d’échange et de rencontre, de rapprochement entre pouvoirs et citoyens. On veut “ penser la cité ” de telle sorte que les “ décideurs en soient les citoyens ” dit M. Granet, secrétaire d’Etat à la formation professionnelle, dans son récent livre “ Changer la ville ” ”18. Et plus loin : “ Si ces conditions sont remplies (dé-massification des rapports sociaux, articulation vie de quartier - vie urbaine appuyée d’abord sur le centre, déségrégation sociale et des âges, déségrégation des fonctions urbaines par abandon du zoning, place pour les exclus, place pour le corps), la Ville Nouvelle devrait pouvoir devenir un foyer d’un nouveau mode de vie proprement urbain, au sens de citadin. Si elles ne le sont pas, il ne s’agira que d’urbanisations peu différentes des autres parties de la nébuleuse urbaine, qui ne mériteront pas le nom de ville ”19. Ces visions d’une autre ville et d’une autre vie s’accompagnent d’un renouvellement des approches de l’urbanisme. La naissance des villes nouvelles se place, en effet, pour ce qui est de la doctrine, de l’organisation et des pratiques professionnelles, sous le signe d’un changement de fond. Le corps des Ponts et Chaussées fait tout pour prendre le leadership de l’aménagement urbain et devient le porteur de cette nouvelle approche 20. La rhétorique que développent ces ingénieurs et les modalités concrètes de leur action vise à rompre avec le

14 André Lalande, Lettre du directeur de la MEAVN d’Evry à Monsieur le Directeur de l’aménagement foncier et de l’urbanisme, à l’attention de Mr Ribat, comme suite à la lettre du 3 octobre 1967, note sur la VN d’Evry, destinée au numéro spécial consacré à l’urbanisme dans Équipement, logements, transports (AD91-1523W/281). 15 André Darmagnac, op.cit. p.29. 16 OREAM, Perspectives d’aménagement de l’aire métropolitaine marseillaise (livre blanc), janvier 1969, p.125 17 André Darmagnac, op.cit., p.14. 18 idem, p.17. 19 idem, p.22. 20 J.-C. Thoenig, L’ère des technocrates. Le cas des Ponts et chaussées, Paris, Ed. d’Organisation, 1973

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passé et à imposer l’aménagement comme l’actualisation nécessaire de ce que l’on avait appelé jusque- là l’urbanisme. De cette époque du milieu des années 1960 date une césure qui n’est encore que partiellement explorée21. Une frontière subtile traverse en effet – qui se prolonge jusqu’à aujourd’hui - le milieu des professionnels entre ceux qui pratiquent l’urbanisme – qui sont supposés être architectes - et ceux qui pratiquent l’aménagement (ce que nous appellerons de temps à autre le nouvel urbanisme), qui ont à ce titre d'autres qualifications et d'autres fonctions. Ce renouvellement a pris racine dans les années d'après guerre au sein des bureaux d'études, du Commissariat général au Plan, à la SCIC et à la SCET. Il s'est nourri des nouvelles expériences de l’ingénieur, devenu maître des techniques de la recherche opérationnelle et, en même temps, des expériences de l’administrateur qui sait manier les outils tant financiers, administratifs que politiques et découvre le management. Dans ce renouvellement, il y a combinaison entre :

• un souci pour la stratégie (en termes d’organisation et de méthode) qui est sans précédent ;

• par suite une prise compte plus fine du facteur temps (des plans financiers, des délais et planning, des comptes à rebours) ;

• et une priorité nouvelle donnée au “ contenu ” (la programmation) par rapport au “ contenant ” (les formes urbaines)22.

On peut parler de renouveau doctrinal, même si l’exégèse en est lacunaire et que les manifestations pratiques en sont dispersées. Il participe de la configuration de l’expérience dans la mesure où est ainsi relancée la croyance dans l’urbanisme et son action. Les pratiques anciennes doivent composer avec ces nouvelles orientations et manifestent, comme on le verra, une certaine inertie. Ce qu’il faut finalement retenir de ce contexte idéologique c’est que les professionnels de la génération pionnière dans les villes nouvelles pensent leurs pratiques en rupture par rapport à celles des agents des grands ensembles (soit la génération précédente), même s'ils n'ont pas au plan pratique tous les moyens de cette rupture et des alternatives à mettre en œuvre. La sortie des grands ensembles est aussi supposée pouvoir régler l’éternel conflit entre ingénieurs et architectes23. Cette représentation est solidement installée puisque, a posteriori, en 1995, au bilan des villes nouvelles, le grand ensemble sert encore de repoussoir : “ A côté des grands ensembles dont l’isolement du système urbain, la situation “ hors marché ” et l’incapacité à

21 Opposition qui recouvre celle que décline P. Merlin, « L’enseignement de l’aménagement et de l’urbanisme », Géographie, Économie, Sociétés, vol. I, n°2, 1999, 367-379 22 Pour un bilan voir par exemple les travaux de la Commission ‘urbanisme’ de l’Association générale des hygiénistes et techniciens municipaux synthétisés dans, F. Parfait, La planification urbaine, alibi ou espoir, Paris, Eyrolles, 1973 (et les articles du même ingénieur dans la revue Urbanisme , n°38, 1954 ; n°41-42, 1955 ; n°65, 1959). Dans les années 60 l’Association des ingénieurs des Ponts et chaussées et, par la suite, l’Association des ingénieurs des villes de France créent leur groupe de travail urbanisme. Au Commissariat général au Plan, un autre ingénieur des Ponts, André Laure diffuse lui aussi les principes de cette nouvelle pratique de l’aménagement. 23 Le poids des logiques professionnelles et institutionnelles dans l’habitat et le cadre de vie, Confluences, juin 1980, p27 (Étude réalisée pour le compte du Secrétariat général du Groupe central des villes nouvelles, le Service technique de l’urbanisme, la Direction de la Construction et la Mission interministérielle pour la qualité des constructions publiques).

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s’auto-régénérer expliquent une partie des problèmes qu’ils connaissent, les villes nouvelles offrent un net contraste ”24. Dans les trois ou quatre années qui précèdent l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République, ce terrain idéologique et doctrinal se présente différemment. Dans la haute fonction publique, on ne parle que de “ décentralisation ”, sans que personne ne prenne la mesure exacte du changement – et même du bouleversement – qui se manifestera de façon évidente dans les années ultérieures. Certains responsables comptent déjà sur “ l’éveil des élus ” pour assurer le succès des villes nouvelles25. De manière plus générale dans les années 1978-80, le point de vue sur l’urbanisme et/ou l’aménagement s’est déplacé : on admet que les villes ne sont plus “ à faire ”, qu’elles “ se font ” de toute façon26. C’est là un des signes de la real-politik urbaine, c’est-à-dire du fléchissement des politiques volontaristes et l’amorce d’approches donnant davantage d’importance au jeu de la négociation politique, du compromis professionnel et au fonctionnement du marché. C’est aussi l’annonce d’une ère dite d’“ ingénierie sociale et politique ”, c'est-à-dire de la coordination de techniques managériales, dont les corps de l’État vont se saisir et se faire les dispensateurs, tout en préparant leur des-investissement de la fonction publique 27. 2 / La seconde dimension de cette politique volontariste d'aménagement (à toutes les échelles) tient dans la revendication constante d’une situation d’extra-territorialité pour les villes nouvelles. Le parti pris de l’autonomie est un parti institutionnel autant que politique. Dans les années 1966-69, le choix de la forme à donner à l’organe chargé de l’aménagement des villes nouvelles n'est pas encore arrêté. Les termes du débat viennent de la double question : au-delà des missions d’études et d’aménagement que faut- il mettre en place, une société d’économie mixte ou un établissement public ? Un syndicat communautaire ou un ensemble urbain ? Les choix se font finalement pour répondre d'abord à un optimum d’efficacité technique et ensuite au principe de la légitimité politique. Ce débat dont se saisissent les directeurs généraux des Missions 28 est en fait de nature politique et s'inscrit, faut- il le rappeler, dans le contexte de la guerre froide où le PCF et ses bastions font peur. Dès lors, on tend progressivement vers la formule de « l’extra-territorialité » 29. Ce débat pose l’alternative d’un organisme administratif et politique chargé seul de l’aménagement de la ville nouvelle jusqu’à sa majorité (seuil fixé à 150 000 habitants) ou d’un organisme politique composé d’élus susceptibles de devenir “ à bref délai les “ têtes 24 Roland Peylet, Rapport du groupe de travail sur la situation et les perspectives des EPA, MELT, le 9 février 1995, p.18. En ce qui concerne le continuum discuté entre grands ensembles et villes nouvelles, voir A.Fourcaut et L. Vadelorge (sous la dir.), Des grands ensembles aux villes nouvelles, journée d’études du 11 juin 2003, Centre Malher, Université Paris I, Programme interministériel d’histoire et d’évaluation des villes nouvelles (actes à paraître) 25 Le poids des logiques professionnelles, op. cit. p 26 26 Ibid. p16. Précisons que, dans ce contexte, “ le poids des logiques professionnelles ” est un empêchement à “ faire ”. 27 Ibid. p17. Et “ l’aménagement, c’est fini ” (p12). 28 Par exemple M. Lalande à propos de “ l’ensemble urbain ” ; “ organisme (“ politique ” barré) administratif “ éventuellement ensemble urbain ”) chargé de la réalisation de la VN ” (A.Lalande) Note du 7 mars 1968 de M. Lalande à M. Astier concernant le périmètre de la VN (AD91- 1523W/282). 29 J.E. Roullier, « Conclusion », L’expérience française des villes nouvelles, Journée d’étude du 19 avril 1969, Paris, Fondation Nationale des Sciences Politiques, A. Colin, 1970, p212

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politiques ” des établissements d’aménagement ”, selon Paul Delouvrier30. Dans ce dernier cas, “ l’ensemble urbain ” est placé en concurrence avec la solution du “ syndicat communautaire ”, dans le cadre du “ projet de réforme communale ”. La question qui fait enjeu est celle du périmètre et donc du territoire, car le périmètre “ englobe l’ensemble des terrains à aménager et susceptibles de constituer, dans une forme à préciser, une commune nouvelle ” 31. L’autonomie institutionnelle est tout entière dans le choix de la formule de l’EPA. Elle va se manifester malgré les connivences palpables et continues entre EPA et services de l’État. Ainsi à la fin des années 70, le contrôle du Conseil d’administration de l’EPA d’Évry apparaît formel aux yeux de l’auteur d’un rapport de l’inspection des Finances. Selon cette source, le “ manque d’exactitude et de sincérité ” des états financiers présentés aux membres du Conseil rend toute lisibilité des comptes impossible32. Mieux : la représentation de l’État au sein du Conseil perd de son sens puisqu'il y a “ unité de vue ” entre les représentants des différents ministères et le directeur de l’EPA33. En revanche, vis-à-vis des élus, l'autonomie est un fait. Encore en 1995, un rapport commandé par le Secrétariat général du Groupe central des villes nouvelles (SGGCVN) reconnaît l’ importance des “ pouvoirs propres ” des EPA qui expliquerait “ le sentiment des élus (majoritaires au CA) que les leurs se trouvent réduits ”34. L’autonomie, vis-à-vis de l’Etat et surtout vis-à-vis des collectivités locales, est donc dès l’origine au principe des villes nouvelles et justifie le choix de la formule de l’EPA par rapport à celle de la Société d’économie mixte (SEM). Le directeur général de la SCET, François Parfait, n’a pourtant pas peu fait pour proposer l'intervention des SEM. Il les présente comme des opérateurs efficaces (au nom de leurs savoir-faire) et légitimes (au nom de leur lien avec les élus) des villes nouvelles35. A posteriori, et au vu des résultats obtenus, le succès des villes nouvelles est mis sur le compte de ce choix en faveur des EPA. Une SEM n’est en effet qu’un “ maître d’ouvrage délégué ”, qui laisse un large pouvoir aux élus comme en témoignent notamment “ les pouvoirs prépondérants du président ”; Parce qu'elle est “ toujours au service d’un maître d’ouvrage ”, une SEM a une “ capacité d’action ” réduite, ce qui ne permet pas la constitution et “ l’existence d’un véritable pilote ” en raison notamment de “ la responsabilité personnelle du président et du directeur ”36. En revanche, avec le choix de l’EPA, la “ mise en œ uvre du principe d’autonomie ” a permis que s'affirme une maîtrise d’ouvrage structurée et forte37. De fait, une des caractéristiques retenues pour justifier a posteriori le choix de la formule des EPA par rapport aux SEM tient aux résultats obtenus et au caractère “ exemplaire” des opérations réalisées. L’exemplarité se caractérise par l'ampleur des activités d'études et la volonté d’innovation prospective. Dans cette perspective, les EPA ont réuni “ l’essentiel de la 30 Réunion le 20.10.68 de la Commission mixte des villes nouvelles, District de la Région parisienne (AD91- 1523W 787). 31 Ibid. 32 Note de MM. Patrick Werner et Nicolas Formery, sur l’organisation et la gestion financière des EPA des VN, octobre 1980, p.29 (AD91-1522W/2092). 33 Ibid. 34 Roland Peylet, Rapport du groupe de travail sur la situation et les perspectives des EPA, MELT, le 9 février 1995, p.27 35 Courrier de la SCET du 1er avril 1968 au directeur de la mission d’aménagement de Trappes S. Goldberg, AD 95, 1424W/235W1a ; V. Claude, "De "l'ensemble" à la ville nouvelle. Les flottements des années soixante", intervention à la journée d'études organisée par A. Fourcaut et L. Vadelorge, op. cit. 36 Roland Peylet, Rapport du groupe de travail sur la situation et les perspectives des EPA, MELT, le 9 février 1995, p. 7 et 27 37 Ibid p.27

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matière grise dans le domaine de l’aménagement urbain ”38. En 1985, dans un rapport de l’inspection générale de l’Equipement au ministre concernant le « suivi de la décentralisation en matière d’urbanisme dans le département des Bouches-du-Rhône sur la décentralisation », cette fonction d'études et ces capacités de réflexion permettent de distinguer « 64 agents de (l’EPAREB) parmi lesquels des urbanistes de talent »39. Cette matière grise n'a pas été toujours complètement employée et les EPA n'ont toujours pu résister à l'empire de la SCET. Sur les Rives de l’Étang-de-Berre, les coups partis ont été légion, au cœur même du périmètre d’intérêt national, comme en témoignent les opérations de la Société d’équipement des Bouches-du-Rhône, aménageur de la ZAC des Pins de Vitrolles créée en 1967. Le fait est que l’EPAREB, constitué tardivement il est vrai - le 3 mars 1973 -, a beau revendiquer sa spécificité par rapport aux autres opérateurs de l’aménagement local, les SEM de la SCET et les OPAC en arguant de la qualité de ses réalisations et de sa « philosophie de l’aménagement »40, le contexte plus général et son incapacité à en jouer nuisent à sa défense. Avec l’arrêt brutal du développement de la Zone industrialo-portuaire (ZIP) de Fos, il y a remise en cause de ce pourquoi l’EPA a été créé, « l’accompagnement du pari industriel »41. D'où la tentative de redéfinir, courant 76, les bases de sa légitimité, ses possibilités stratégiques puis la « restructuration » de l'organisme42. Si l’EPAREB est « soumis au système de financement de tout aménageur, il a été créé pour de plus vastes ambitions que celle d’un aménagement résidentiel ponctuel »43. En 1976, il « travaille « en amont » et en « aval » de(s) simples aménagements résidentiels»44. À ces ambitions urbanistiques plus vastes correspond, à ce moment-là, la réalisation d’ouvrages non directement indispensables au simple « fonctionnement » des quartiers résidentiels et dont le financement doit être dégagé : « Qu’il s’agisse de paysagement des voiries primaires, d’aménagements de parcs urbains, ou simplement des espaces extérieurs résidentiels », c’est un financement pour un « supplément d’âme ville nouvelle »45. Le souci qualitatif s’applique aussi à l’existant. L’EPA assume en effet un héritage urbanistique et se propose de « terminer les réalisations engagées, au sens de leur degré de finition qualitative même si l’EPAREB n’est en pas l’aménageur. Il en va du bien être « minimum » des habitants et de la crédibilité de l’EPA dans son premier rôle de « société d’équipement ». Les actions proposées (traitement paysager, signalétique, etc.) « sont plus susceptibles d’être immédiatement dispendieuses que « rentables » mais indispensables à l’affirmation de la spécificité et la « responsabilité » de l’EPAREB »46. Se démarquant du réseau de la SCET, et malgré une

38 C.Bersani et J.E. Roullier, Note à l’attention de Monsieur le Ministre, Ministère de l’équipement, le 18 septembre 1995, in R. Peylet, Rapport du groupe de travail sur la situation et les perspectives des EPA p.3 39 M. Cumin, ingénieur général des Ponts et chaussées et M. Bosc, ingénieur en chef des Ponts et chaussées, membres de la mission spécialisée d’inspection générale « Urbanisme », Rapport au Ministre de l’urbanisme, du logement et des transports concernant le suivi de la décentralisation en matière d’urbanisme dans le département des Bouches-du-Rhône, 5mars 1985, p.20 40 EPAREB, Pré-maquette, Bilans et propositions, non daté, vraisemblablement 1976 (Archives EPAREB), p.41 41 EPAREB, L’aménagement de l’Ouest de l’Etang de Berre, Bilan-propositions , rapport intermédiaire, 1976, p.3 42 Roger Damiani, Note à l’attention de Monsieur Jean Sriber, directeur du cabinet de Monsieur le Ministre de l’Equipement concernant l’évolution et le rôle de la MIAFEB, 2 avril 1976 (archives de la DDE des Bouches-du-Rhône) 43 EPAREB, L’aménagement de l’Ouest de l’Etang de Berre, Bilan-propositions , rapport intermédiaire, 1976, p.34 44 EPAREB, Pré-maquette, Bilans et propositions, non daté, vraisemblablement 1976 (Archives EPAREB), p.41 45 EPAREB, L’aménagement de l’Ouest de l’Etang de Berre, Bilan-propositions, rapport intermédiaire, 1976, p.34 46 Ibid. p.40

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conjoncture difficile au milieu des années 1970, l'EPA affiche donc une éthique de la responsabilité. Dire qu'il y a un mythe des villes nouvelles comme « laboratoires » ne signifie pas, à nos yeux, qu’il y ait eu illusion. Ce qui importe est de savoir si, au-delà de ces productions urbaines en villes nouvelles, l’invention et l’innovation ne furent pas en même temps ailleurs au rendez-vous au cours des années 1964-72, autrement dit si d’autres “ laboratoires ” n’ont pas été tout aussi productifs (OREAM, CETE, agences d’urbanisme, GEP, etc.), ceci en raison de l’amorce de politiques urbaines nouvelles et de moyens sans précédents (financiers, institutionnels notamment) réunis pour les mettre en œuvre. Si le témoignage des professionnels vient nous aider à replacer l’expérience des villes nouvelles françaises dans un contexte plus large de forte créativité institutionnelle, juridique et urbanistique et de larges débats politiques et sociaux, il ne suffira pas à évaluer correctement la part de cette expérience par rapport à celles qui sont nées en d’autres lieux et autour d'autres pratiques. Les lieux et les moments de l’expérience Tout ne fait pas expérience. Notre hypothèse c'est qu'il y a dans les villes nouvelles des moments, des objets ou des thèmes, des configurations (relations liées à l'organisation, les générations, la hiérarchie, les compétences, les objectifs du travail…) privilégiés pour la constitution d'expériences. Par ailleurs toute activité professionnelle n'est pas une expérience. Celle-ci suppose des processus sociaux et cognitifs de formation et de transformation, avec des acquisitions de savoir- faire, de compétences, des déplacements de motivations ou de centres d’intérêt. On prêtera une importance particulière à l’expérience comme une épreuve de changement vécu, que la mémoire a conservée et que le récit peut transmettre. D’où l’exercice de comparaison demandé à nos interlocuteurs entre l’avant et l’après ville nouvelle. Dans cette étude, nous cherchons à identifier les moments d’expérience collective et à en reconstituer les conditions de formation. La première étape a porté sur les sources écrites et les données quantitatives. Le deuxième temps de la recherche s'est intéressé à ce qui est dit de l'expérience comme acquis mobilisé dans des activités ultérieures donnant lieu à des re-formulations dans un contexte nouveau. La question de la trace de l’expérience en ville nouvelle et de son actualisation, aujourd’hui, dans l’activité professionnelle d’anciens cadres passe alors davantage par des entretiens47. D’un commun accord avec le commanditaire, nous avons porté une attention particulière sur les archives de trois villes nouvelles, Cergy-Pontoise, Evry et les Rives de l’Étang-de-Berre. Les traces de cette expérience s’y présentent sous des formes fort variables. Et les contextes

47 Nous nous sommes limités au personnel d’encadrement, en faisant l'hypothèse que pour les agents non-cadres des EPA, une histoire plus générale de la fonction publique devait être engagée. Cette histoire qui s'intéresserait davantage au "petit personnel" devrait prendre en compte l'histoire du travail, des techniques et des bureaucraties. Les changements y ont été très importants, ont fait disparaître certains métiers et ont touché le personnel cadre (avec par exemple l'introduction de l'informatique, la bureautique, les systèmes d'information géographique, etc.)

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socio-politiques locaux que nous ne pourrons évoquer que de manière allusive y sont pour beaucoup dans cette formation de l’expérience48. De même que la notion de "laboratoire", le concept d’expérience appelle des éclaircissements. Si la notion renvoie à l’idée d’épreuve, de transformation et d’acquisition, elle demande aussi une analyse historique critique. Notons que les deux catégories - laboratoire et expérience - sont utilisées par les contemporains. Par exemple, au cours des années 70 et 80, il est question des “ politiques d’essaimage ” du personnel des EPA comme si les expériences acquises pouvaient se formaliser et se diffuser par simple déplacement des personnes dans d'autres organismes. Autre exemple significatif concernant l’EPEVRY : au début des années 80, la direction manifeste le souci de développer non seulement ce qui est dans sa mission, les activités de maîtrise d’ouvrage déléguée pour le compte des communes de l’agglomération d’Evry, mais aussi à l' échelle internationale de « conseiller la maîtrise d’ouvrage publique pour les grands projets de développement urbain » (via les organismes comme la Banque mondiale)49. L'expérience n'est pas tant là dans les parcours individuels que dans l'organisation d'une diffusion des savoir- faire formalisés et maîtrisés en villes nouvelles. Une question récurrente préside à la création en 1984-85 du GIE ‘Villes nouvelles’, comme à la naissance en 2000 du Programme interministériel d’histoire et d’évaluation des villes nouvelles : « Qu’est ce qui va se passer lorsqu’on va arrêter les villes nouvelles ? Ce savoir-faire que l’on développe depuis quinze, vingt ans, comment le réutiliser intelligemment ? Comment ne pas gaspiller l’investissement que l’Etat, la puissance publique a fait? »50. La notion de génération mérite aussi attention. De manière très générale, pour la société française de ce dernier tiers du XXème siècle, l’âge de 30 ans est considéré par les sociologues comme une “ plaque sensible ”. À cet âge, un adulte ne jouit pas d’un “ statut officiel bien défini, ni ne fait l’objet d’un contrôle social particulier ” et il est “ en marge des grosses ébullitions qui ont récemment affecté les âges extrêmes ”51. Cependant entre deux dates, 1968 et 1998, le contexte a profondément changé. Comme on aura l'occasion de le voir, les modifications concernent les contextes politiques, sociaux et économiques : arriver en ville nouvelle à 30 ans en 1970, c’est arriver sur le marché du travail dans une période de plein emploi et bénéficier d’un pouvoir d’achat qui va augmenter vite et fortement. C’est aussi avoir eu 20 ans au moment la guerre d’Algérie. En revanche avoir trente ans dans les années 90, c’est avoir grandi dans la paix et dans une société complètement urbanisée, salariée et tertiaire. Concrètement, les relations de l’école à l’emploi ne sauraient être comparées, ceci pour au moins deux raisons 52 :

• le rallongement du temps des études et l’élévation du niveau de diplômes et • le bouleversement des conditions d’entrée dans la vie active (chômage structurel,

emplois précaires, multiplication des “ stages ”, voire “ allongement de la jeunesse ”). La différence entre deux générations paraît assez tranchée : “ Les trentenaires de 1968 avaient connu une jeunesse difficile – guerres, pénurie de l’après-guerre - et une scolarité courte et peu onéreuse. Les trentenaires de 1998, élevés dans la paix et l’abondance, possèdent un

48 Nous ne pouvons que renvoyer à d'autres travaux du Programme, tant ceux qui portent sur telle ou telle ville nouvelle que ceux qui ont trait aux évolutions institutionnelles (les formes de l'intercommunalité par exemple) 49 Comité d’entreprise de l’EPEVRY du 18.12.1982 (AD 91 1522W/8) 50 Entretien avec C. Guary 51 C. Baudelot et R. Establet, Avoir 30 ans en 1968 et en 1998, Paris, Seuil, 2000, p15. 52 A.-M. Sohn, Age tendre et tête de bois. Histoire des jeunes des années 60, Paris, Hachette, Littératures, 2001 ; J.-F. Sirinelli, Les baby-boomers. Une génération, 1945-1969 , Paris, Fayard, 2003.

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niveau scolaire sans précédent ”53. Ils auraient alors moins d'opportunités professionnelles et davantage d'inquiétudes. Nos entretiens devaient par conséquent s’attacher particulièrement à ce moment d’entrée en ville nouvelle et aux jeunes entrants du moment (années 60, 70, 80 ou 90), le parcours qu’ils ont suivi jusque- là (diplômes), avec les vraies et les “ fausses ” expériences professionnelles – “ fausses ” du fait de la situation du marché du travail qui rend ces premières expériences plus ou moins “ formatrices ” - et les écarts que, de ce point de vue, ils ont pu percevoir avec des entrants plus âgés comme avec des entrants plus jeunes. Nous devions aussi vérifier auprès d’eux ce qui a pu définir leur “ génération ”, en identifiant les événements historiques majeurs qui ont pu, à leurs yeux, la constituer et qui participent de leur expérience54. Pour cerner les moments de l’expérience qui se cristallise sur une ville nouvelle, on a reconstitué des configurations. Celles-ci incluent non seulement des positions – dans un organigramme par exemple - mais aussi l’intellect et toute la personne (que révèlent par exemple les métiers de base), les actions et relations réciproques quelle que soit la nature de ces relations (alliances, coalitions, conflits, etc.). Elles incluent notamment les cas particuliers dont nous aurons à discuter, de l’organisation et de la division du travail. Quatre ou cinq moments - 1967-68, 1969-1970, 1976-77, 1982-83 et 1991-1992, paraissaient offrir des contextes évidents de changements pour ces configurations professionnelles. Encore fallait- il, pour pouvoir les reconstituer, retrouver les organigrammes mais aussi les modalités effectives d'organisation et de division du travail (la "vie" des organigrammes) et les processus concrets de production urbaine (qui, avec quoi, comment se monte telle ou telle opération ?). Faute de temps, nous avons dû réduire notre ambition, conformément à l’hypothèse des lieux et moments de l’expérience, en procédant à des “ coupes ” dans l’évolution des personnels des trois villes nouvelles, en 1970, 1976-1977, 1982-1983 et 1991-1992. Il ne faut pas prendre cette division au sens strict, car l’exploration des archives ne donne pas toujours les fruits escomptés. Il s’est plutôt agi de faire des « sondages » à ces moments charnières. Le choix de “ coupes ” s’est effectué à partir de différents indices : • La création des EPA • Les changements des directeurs généraux des EPA, • La connaissance que nous avions par ailleurs concernant les transformations de

l’organisation interne (traces dans les archives écrites), • Les évènements extérieurs susceptibles d’influer sur le fonctionnement des organismes

(Mai 1968, entrée dans la “ crise ” après 1973, élections municipales de 1977, lois de décentralisation de 1982-83, dégradation de la situation économique, etc…). On pouvait penser que ces changements ont eu des conséquences sur les objets de travail, les conditions et les attentes des personnels des villes nouvelles. Ces évènements ont eu des effets sur les formes du travail et dans des délais (sur le coup ou plus tard) qui restent à identifier EPA par EPA.

• Les grandes phases d’entrées et de sorties permettant d’individualiser les moments de renouvellement du personnel d’encadrement et l’évolution de la politique de recrutement de la direction générale55.

53 C. Baudelot et R. Establet, op. cit., 30-31 54 K. Mannheim, Le problème des générations, Paris, Nathan, 1990 55 Voir dans le volume d’annexes les tableaux synthétisant les entrées et sorties du personnel cadre des trois villes nouvelles (Tableaux 1.1.1, 2.1.1. et 3.1.1.)

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Ce choix découle aussi des contraintes pratiques dans le traitement de ces informations : • Des “ coupes ” communes peuvent permettre d’effectuer des mises en parallèle entre les

villes nouvelles (à une année près dans le cas des combinaisons de type 76-77 ou 82-83), • Des “ coupes ” assez espacées assurent une "couverture" à peu près homogène sur

l’ensemble de la période 1965-2001. Quelques faits ont permis d'organiser une première chronologie commune aux trois villes nouvelles56 : 1967-68 • Cergy (1968) ; grèves du personnel et mise en place de nouvelles instances au sein de la

mission • Évry (1968) : premiers départs (au nombre de 2) 1969-1970 : Pour l’ensemble des trois villes nouvelles étudiées : • création des EPA d’Evry et de Cergy • création de la MAEB et décision gouvernementale d'implantation du complexe

sidérurgique de Fos • mise en place d’organigrammes • projet de règlement du personnel (1969) • départ de certains agents des Missions qui refusent l’intégration dans les EPA (notamment

des architectes) 1976-77 • à Cergy (1975): nomination d’un nouveau Directeur général, • à Cergy (1976); reprise du recrutement (11 entrants en 1976 et 9 entrants en 1977) après

de grandes années de départs en 1973 (16) et 1975 (9) • à Evry (1976) ; recrutement constant de quatre cadres par an de 1975 à 1978 • sur les Rives de l’Étang-de-Berre (1977) ; les départs de cadres sont pour la première fois

supérieurs aux entrées, vaste vague de départs amorcée en 1976 qui donne lieu entre 1978 et 1979, à 23 licenciements économiques.

1982-83 • Évry (1980) et Cergy (1981) : nomination de nouveaux Directeurs généraux • à Cergy (1982) ; reprise du recrutement (10 en 1981, 15 en 1982, 8 en 1983) après

tarissement de 1978 et forte année de départ en 1983 (8) • à Evry (1981) ; reprise du recrutement (4 en 1980 et 7 en 1981) après deux années de

départs (5 en 1979 et 4 en 1980) et réorganisation des services (1981-82) • sur les Rives de l’Étang-de-Berre (1983); nouvel organigramme ; entre 1982 et 1983 12

nouveaux agents cadres dont 6 promotions internes d’agents de maîtrise. 1992

56 Chronologie qui pourrait être enrichie grâce à d'autres études du Programme, par exemple M. Rautenberg et J.-S. Bordreuil, (sous la dir.), L'apport des villes nouvelles à la compréhension de la notion d'espace public, rapport intermédiaire, CLERSE-IFRESI, Lille, décembre 2003. Pour le contexte, voir en fin de volume le tableau concernant la "créativité institutionnelle et législative" des années 1960-85.

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• à Cergy (1990) et Evry (1991) : nomination de nouveaux Directeurs généraux • à Cergy (1990) ; fin de la dernière grande phase de recrutement (18 en 1990, 12 en 1991 et

11 en 1992) après les gros contingents de départs (20 départs en 1987 et 45 en 1989) • à Evry (1992) ; dernière année de recrutement (5) et fin d’une longue période de départs

(15 en 1987, 11 en 1989 et 1991 et 13 en 1992) • sur les Rives de l’Étang-de-Berre (1990) : relance du recrutement et de la promotion

interne (total de 15 entre 1990 et 1992) et formalisation, suite au projet d’entreprise de novembre de 1989 élaboré par le bureau d’études CAP SESA REGIONS, d’un plan stratégique pour les années 1991-199557.

On a porté une attention particulière à ces premiers noyaux et à la période initiale que nous qualifierons de militante. Elle semble plus propice à la constitution d’expérience du fait des conditions : • d’homogénéité des tranches d’âges (homogénéité relative mais plus importante que par la

suite) • de concentration des recrutements, • d’éventuels “ collectifs ” de travail (ou de divisions) durables ayant des effets structurants

sur l’activité, • du contexte d’expansion rapide des missions avant la phase de stabilisation

institutionnelle (EPA) et des premières réalisations sur le terrain, • du contexte historique général (de croissance économique et de développement urbain), • et de la situation des Missions où "tout" est encore à faire. Sur ces cinq moments d’expérience identifiés, trois sont plus particulièrement explorés dans ce rapport et concernent les trois villes nouvelles :1969-70, 1982-83 et 1990-1992. Les informations pour reconstituer des parcours : une base de données, des archives, des entretiens ° Une base de données58 Les informations dont nous disposons sur ces professionnels permettent de connaître avec précision leur identité et d’esquisser leur parcours. D’emblée, il nous faut préciser la nature de ce que nous appelons “informations”, présenter les sources exploitables et les sources effectivement exploitées et qui ont été réunies dans ce que nous avons désigné par “ base de données ”. Le travail sur les archives des villes nouvelles a permis quant à lui d’engager l’exploration de ce que nous avons appelé le “ travail concret ”, c’est-à-dire ce qui fait le cadre de l'expérience et qui a nourri nos entretiens. Nous avons en effet repéré des dispositifs qui dans ces trois villes nouvelles se présentent comme des “ indices d’expériences ” qui ont ensuite été testés auprès de nos interlocuteurs. Certains sont spécifiques à telle ou telle ville. D’autres sont communs aux villes nouvelles et peut être à l’urbanisme des années 60-70. 57 EPAREB, Plan stratégique 1991-1995, document interne élaboré sur la base des données au 31.12.90, non daté (archives privées de M. Lucien Gallas) 58 Les résultats d’une première exploitation sont réunis dans le volume annexe. Elle nous a surtout servi à identifier des parcours pour mener nos entretiens (cf. infra) et à repérer quelques particularités d’une ville nouvelle à l’autre. Ne représentant que trois EPA, cette exploitation ne pouvait être que partielle (cf. infra). On a fait de temps à autre référence à des données précises dans le corps de ce texte.

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Pour les trois villes nouvelles de Cergy, d'Evry et de l’Étang de Berre, les sources ayant permis l’élaboration de la base de données ont pour partie des origines différentes (en raison du statut distinct des EPAVN d’Ile de France et de l’EPAREB) mais aussi un fond commun : Pour l’EPEVRY et l’EPAVNCP : • Concernant strictement la période EPA, les dossiers des agents cadres ou promus cadres

au cours de leur exercice au sein des deux EP : 1. les archives du personnel de l’EPAVNCP (mises à disposition par Mme Christiane Gelin,

directrice du personnel de l’EP en 2001) 2. les archives départementales de l’Essonne 1522W 1 à 43, 73 à 84 (avec l’accord de la

Direction des Archives de France) • concernant la période MEAVN, les dossiers des agents administratifs et techniques, cadres

ou promus cadres au cours de leur exercice dans les Missions d’aménagement d’Évry et de Cergy-Pontoise : les archives du personnel de l’AFTRP (mises à disposition par M. Giacopelli, employé de la direction du personnel de l’agence)

Pour l’EPAREB : • concernant la période EPA et MEAVN (MAEB), les dossiers des agents cadres ou promus

cadres au cours de leur exercice : les archives du personnel de l’EPAREB mises à disposition par le directeur de la mission de liquidation de l’EPAREB.

Nous avons par ailleurs tiré parti des “ livres des entrées et sorties ” quand ils existent, comme à Cergy et sur les Rives de l’Étang-de-Berre. Ils fournissent, comme leur nom l'indique, les mouvements des personnels. Pour les trois villes nouvelles, des éléments d’informations complémentaires ont été recueillis dans la première édition de l’Annuaire des villes nouvelles (1995) mais aussi dans les réponses à la campagne de consultation des agents des EPAVN effectuée par l’AFVN entre 2000 et 2002, en vue de l’élaboration de la nouvelle édition 2003 de l’Annuaire des Villes nouvelles et de notre base présentée comme « la base de données des acteurs des Villes nouvelles » 59 . Notre base de données est donc un "construit" qu'il faut utiliser avec beaucoup de précautions. On verra plus loin un exemple de pièges qu'elle recèle. Elle est notamment incomplète pour ce qui concerne deux groupes. • Pour le personnel « études » des Missions des villes nouvelles de la Région parisienne, les

dossiers du personnel rattaché à l’IAURP, déposés aux archives régionales d’Ile-de-France, n'ont pu être consultés suite au refus de l’organisme versant (IAURIF60).

59 La consultation du personnel cadre des EPAVN (SGGCVN compris) a concerné 917 personnes à qui a été envoyé un questionnaire de 12 pages composé de deux feuillets distincts ; l’un destiné à l’élaboration de l’annuaire et l’autre « facultatif » affecté à la constitution de la base de données des professionnels. Sur les 917 envois, on compte 20 retours à l’envoyeur. Sur ces 897 envois effectifs, 321 retours ont été enregistrés (dont un refus de répondre). Soit un taux général de réponses de 36% avec des différences fortes suivant les VN (38% pour l’EPAREB sur un total de 47 envois, 39% pour l’EPEVRY sur un total de 110 envois et 55% sur un total de 95 envois pour l’EPAVNCP). Voir à la fin du volume des annexes, les rubriques du questionnaire réalisé pour cet Annuaire des villes nouvelles. Les acteurs d’hier et d’aujourd’hui, Lieusaint, AFVN, 2ème édition, 2003. 60 On doit regretter que l’accès aux archives de l’IAURP nous ait été interdit. La période des Missions en région parisienne (1965-69) reste donc à explorer.

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• Les personnels détachés au sein de la mission ou de l’EPA qui sont issus d’autres organismes aménageurs (comme l’architecte Pierre Schimidlin, détaché de l’EPA de la Défense au sein de l’EPACP dans la deuxième moitié des années 70) ou les personnels ayant un statut libéral travaillant à temps plein ou partiel pour l’EPA, ou encore les personnels "tas de cailloux" (embauches sur CDD par des bureaux d'études, financés par des contrats passés par les EPA, dans des moments où les organismes ne peuvent recruter).

Au final, la synthèse opérée à partir de ces sources donne pour chaque individu les caractéristiques suivantes : • le nom, (mais la règle de l’anonymat le fera disparaître de nos résultats) • le genre, • les date et lieu de naissance, • la formation initiale et la formation continue, • le type, la date et le lieu du service national • le métier à l’entrée en ville nouvelle, • les activités antérieures à cette entrée, • la date d’entrée et de sortie de la ville nouvelle, • les fonctions et le statut en ville nouvelle, • les activités ultérieures • les décorations et distinctions honorifiques • la participation à des conflits armés (deuxième guerre mondiale et guerres coloniales) Concernant les agents ayant bien voulu répondre à la consultation en vue de l’élaboration de la nouvelle édition de l’Annuaire des villes nouvelles, il faut ajouter à ces douze critères d'identification, des informations concernant : • la participation à un ou des mouvements d’éducation pour la jeunesse (scouts de France,

éclaireurs de France, Jeunesse étudiante chrétienne, etc.), • les voyages effectués au cours de la carrière à titre professionnel ou privé, • la participation à un ou des mouvements associatifs, • l’exercice de responsabilités politiques, • les expériences d’enseignement, • les principales publications, • le parcours résidentiel au cours de la carrière, • le statut professionnel en ville nouvelle. Précisons que la base de données ainsi constituée concerne uniquement le personnel cadre des Missions et des EPA. Ont donc été pris en considération les agents intégrés au niveau III et au-delà ou promus au cours de leur exercice en Ville nouvelle à ce niveau III et ayant été en activité pendant au moins une année. Les Missions et EPA, en tant qu’administration de mission au même titre que les OREAM par exemple 61, ont pour caractéristique au moment de leur création d’être constitués majoritairement de cadres. Le taux d'encadrement y est donc relativement élevé mais avec des différences d'un cas à l'autre. Pour l’année 1972, ce taux 61 La création des Organisations d’études d’aménagement des aires métropolitaines (OREAM) a été décidée lors de la délibération du Comité interministériel d’aménagement du territoire (CIAT) du 24 février1966 et leur fonctionnement fait l’objet d’une lettre circulaire des Finances du 18 mai 66. Voir Direction de l’aménagement foncier et de l’urbanisme (DAFU), Études d’urbanisme , Paris, La Documentation française, juin 1975

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s'élève (directeur compris) à 62% à Saint-Quentin, 54,5% au Vaudreuil, 53% à Evry, 51% à L'Isle d'Abeau, 46% à Cergy, mais à seulement 36% à Lille Est62. Les résultats d’une exploitation générale voire banale de la base de données sont fournis dans le volume annexe. Cette exploitation appellerait de plus amples commentaires. Nous nous en abstiendrons ici et pour divers motifs. D’abord il y a la difficulté qu’il y a à tirer des enseignements de trois EPAVN seulement. Nous avons dû ensuite nous incliner devant des chiffres si réduits que le commentaire général en est impossible63. Rappelons que cette base de données visait à objectiver un tant soit peu à la fois les conditions dans lesquelles les agents des villes nouvelles ont travaillé et parfois travaillent encore, et par ailleurs à objectiver nos choix concernant les profils des agents qui paraissaient répondre directement à notre questionnement sur l’expérience professionnelle. Cela signifiait, pour nous, de retenir des facteurs tels que : l’âge d’entrée, la date d’entrée en ville nouvelle, la durée d’activité au sein de l’EPA, le profil d’origine, la rareté ou l’excès de profils semblables au moment de l’embauche, la fonction exercée en ville nouvelle, le domaine ou le secteur d’activité choisis à la sortie, etc. Quelques résultats très généraux de cette base donnent à voir :

- l’impossibilité qu’il y a à envisager les villes nouvelles comme relevant d’une même histoire ; les décalages entre EPA sont nombreux et de nature trop diverse pour que l’idée d’une histoire identique pour tous les EPA puisse être ici défendue ; nous aurons à y revenir ;

- l’histoire de l’EPAREB appelle une remarque encore plus précise, dans la mesure où elle touche à ce qui fait la singularité de la temporalité et les particularités de la structure politico-administrative tout comme du marché local de l’emploi des métiers de l’urbanisme pour ces villes nouvelles de province qui sont, géographiquement au moins, à distance du giron de l’État central ; cette différence entre Région parisienne et province a déjà pour partie été illustrée64 (peut être faut- il étendre ce point de vue aux autres villes nouvelles de province) ;

- l’hypothèse concernant la périodisation envisagée au début du travail de recherche a été pour l’essentiel étayée et avec elle le retournement de tendance qui se dessine en 1983-85 en matière d’entrées et de sorties des agents des EPA ; ce retournement a son pendant cinq ou huit ans plus tard lorsque est annoncée la probable fermeture des EPA (une décision qui néanmoins demande parfois quinze ans pour devenir une réalité)

- la féminisation progressive du personnel (qui s’étend notamment à partir des non-cadres vers les cadres, en particulier par la voie de la promotion interne) et le vieillissement « sur place » de ce même personnel ; ce résultat devrait probablement être interprété à la lumière de l’évolution générale de l’emploi des années 1970 à aujourd’hui.

62 J. Werquin, Les problèmes de personnel dans les établissements publics d’aménagement des villes nouvelles, SGGCVN-Ministère de l’aménagement du territoire, de l’équipement, du logement et du tourisme , 20 juin 1973- chap. 1.2. tableau n°1 « Effectifs et âges moyens par indices en 1973 » (archives de l’EPASQY). Malheureusement ce rapport ne fournit pas d'informations sur l'Étang de Berre qui en 1972 n'est pas encore un EPA. 63 C’est ainsi que, pour ce qui concerne les parcours à la sortie des villes nouvelles, on s’est davantage appuyé sur des témoignages significatifs que sur les résultats objectifs mais très dispersés de l’exploitation de la base de données (cf. infra en conclusion) 64 Quelle appropriation des villes nouvelles par les acteurs locaux ? Actes de la Journée d’étude du 26 septembre 2002 à Lyon, CERTU, Cahiers n°5, 2003

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De façon plus circonstanciée, les résultats de l’exploitation de cette base sont livrés au fur et à mesure de l’avancement de ce rapport, en particulier lorsqu’il s’agit de mieux faire comprendre les conditions de travail des agents et les choix qui se sont imposés quant à nos entretiens. ° Des archives Nous avons eu recours à plusieurs types d’archives écrites : • archives nationales de Fontainebleau en ce qui concerne les archives du SGGCVN • archives départementales de l’Essonne pour ce qui concerne les archives de l’EPEVRY • archives départementales du Val d’Oise pour ce qui concerne les archives de

l’EPAVNCP ; le dépôt de ces archives était en cours lors de notre enquête, ce qui a conduit concernant Cergy-Pontoise à une double démarche : tirer parti des sources encore vivantes au sein de l’EPA (archives du personnel de l’EPAVNCP cf. supra) et explorer les archives déjà déposées (en fonction des intitulés des bordereaux provenant tout à la fois de la Direction générale, du Secrétariat général, du Service opérationnel, de la Direction du développement urbain)

• archives de la direction du personnel de l’EPAVNCP pour ce qui est des dossiers du personnel des agents cadres de cet EPA (archives encore à l'EPA au moment de notre enquête)

• archives de l’EPAREB (cf. infra) • archives de la mission de liquidation de l’EPAREB pour ce qui concerne les dossiers du

personnel des agents cadres de la MAEB et de l’EPAREB • archives de l’AFTRP pour ce qui concerne les dossiers du personnel des agent s techniques

et administratifs des missions d’études et d’aménagement d’Evry et de Cergy-Pontoise • archives privées d’agents cadres des trois EPAVN (notamment M. Lucien Gallas

Directeur général de l’EPAREB de 1978-1994) ou du premier Secrétaire général du GCVN, M. Jean-Eudes Roullier.

• archives de la DDE 13 en ce qui concerne un dossier intitulé « enquêtes sur les personnels de l’ex-MIDAM/MIAFEB » récupéré dans les locaux des archives dans la pile des documents à détruire.

Précisons tout d’abord, la relative pauvreté des archives des EPAVN qui nous intéressent directement, au regard de la masse de documents conservés notamment dans les archives départementales de l’Essonne (2423 cartons) et du Val d’Oise (plusieurs milliers de cartons en cours de versement). Ensuite à la différence des jeunes départements de l’Ile-de-France, les archives départementales des Bouches-du-Rhône n’ont pas le même souci de conservation de documents contemporains. Pour pallier l’indigence des archives de l’EPAREB (521 cartons) notamment en matière de personnel et d’organisation, nous avons dû constituer nos propres archives écrites en recueillant, au cours du mois de juillet 2002, des documents de l’EPA destinés à être jetés suite au transfert aux archives départementales des Bouches-du-Rhône. Ces écrits précieux sur lesquels nous nous sommes appuyés pour rédiger ce rapport et qui apparaissant dans les pages suivantes sous la mention « archives de l’EPAREB » vont prochainement être versés aux archives départementales des Bouches-du-Rhône.

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Dans la masse des documents consultés, les dossiers du personnel et les surprises qu’ils peuvent parfois réserver (correspondance, rapports, etc.) ont constitué une des sources les plus riches pour l’élaboration de ce rapport. ° Des entretiens Le choix des personnes avec lesquelles un entretien a été réalisé découle d’une série de considérations, conduisant à des arbitrages et parfois à des renoncements. Leur nombre avait été fixé au départ, de même que les trois villes nouvelles où l’expérience professionnelle (constitution et transformation de cette expérience) pouvait présenter un intérêt pour la recherche (trente entretiens à Cergy, Évry, Étang-de-Berre). Au cours du travail, ces positions, prises avant même de l’engager, se sont avéré n’avoir pas beaucoup de sens. Aux inévitables effets de redondances s’ajoutent des découvertes faites tout au long de l’investigation. Bien que l’intuition ait joué un rôle non négligeable, ces choix d’entretiens ont été effectués de manière raisonnée. On a en effet toujours gardé à l’esprit le cadre de références que donnent à la fois la base de données et les archives écrites des trois EPA. En procédant à ces choix, nous ne visions pas la représentativité des professionnels rencontrés (qui elle-même pose question : représentatifs de quoi ont- ils été ou sont-ils aujourd’hui?). L’objectif est bien d’exploiter les souvenirs du « métier » en villes nouvelles pour éclairer les transformations dans les pratiques de l’aménagement depuis quatre décennies. Finalement ces choix découlent des considérations suivantes. 1/ L’exploitation de la base de données a permis une pré-sélection des professionnels pour lesquels un entretien pouvait s’avérer fructueux. Le temps qu’il a fallu pour constituer cette base a obligé d’abord à la traiter de manière « manuelle » par la lecture intensive des fiches biographiques. Après coup, on a procédé à des vérifications plus systématiques en croisant des critères qui ont en commun de contribuer à la construction de l’expérience professionnelle dans les champs de l’aménagement. L’expérience est saisie au travers de ce qui relève de l’épreuve, de l’acquisition et de la transformation (dans le travail en ville nouvelle et dans le parcours amont ou aval) et les éléments contextuels qui peuvent y contribuer (période riche en évènements, tranches d’âges de l’agent). Six critères ont été retenus : • Le passage en mission ou EPA de ville nouvelle à un moment qui peut s’avérer « riche

d’expériences », • Avoir trente ans ou moins à l’entrée en ville nouvelle (la notion d’expérience reste liée à

un certain "jeunisme" que l'on retrouve dans la revendication de rupture et d’innovation) 65, • Changement de fonctions au cours du passage en ville nouvelle, • Nature du parcours antérieur qui peut surprendre ou éclairer les fonctions en ville

nouvelle, • Nature du parcours aval dans les champs de l’aménagement, • Rareté de certains profils (femme, double formation…) ou profils supposés être

« recherchés » (nouveaux métiers de l’urbanisme opérationnel) 65 Les trentenaires constituent le gros des contingents des recrues des trois villes nouvelles étudiées au cours des années soixante et soixante et dix, et dans une moindre mesure, de manière plus irrégulière au cours des années quatre-vingt et quatre-vingt dix (voir en annexes les tableaux déjà cités des entrées et des sorties des personnels cadres)

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Ce souci général a été de faire varier les cas de figures que ce soit sur la période et la durée d’activités en villes nouvelles, les formations initiales ou les parcours amont et aval. Notons que ces critères qui faisaient office d’hypothèses ne sont pas sans conséquence sur l’échantillon constitué par rapport à l’ensemble des agents ayant travaillé en villes nouvelles. Puisque nous ne cherchions pas la représentativité, nous avons rencontré relativement peu de fonctionnaires (administrateurs sortis de l’ENA, ingénieurs IPC ou ITPE) qui font un passage rapide dans les EPA et assez peu d’architectes66. 2/ Deuxième moyen pour procéder à ces choix : l’exploitation des archives écrites des trois EPA (Cergy, Evry, Etang de Berre). Cette exploitation a invité à rencontrer tel ou tel agent pour la position qu’il a tenue au sein de l’organisme, les fonctions remplies (et les changements éventuels de fonctions), son action, les difficultés apparentes dans son activité, les transformations dont il a pu être le témoin (dans l’organisme ou dans son environnement). Par ailleurs, le croisement des informations tirées des archives avec les données de la base a permis de poser des hypothèses, par exemple sur le lien « mécanique » ou non entre l’activité en ville nouvelle et l’activité ultérieure. 3/ Une troisième ressource : les archives orales collectées et conservées par l’Écomusée de Saint-Quentin-en-Yvelines. Cette campagne d’entretiens concernant les acteurs de cette ville nouvelle, a été réalisée au cours du printemps et de l’été 2002 par Jean-Charles Fredenucci grâce à la même base de données que notre recherche. L’existence de ces entretiens a permis d’éviter un certain nombre de doubles emplois. Il faut souligner que le guide d’entretien n’est pas tout à fait identique, le récit de la trajectoire professionnelle n’étant, pour notre recherche, que l’un des moyens de faire apparaître ce qui a fait le travail et l’expérience en ville nouvelle67. 4/ De manière générale, les acteurs de « second rang » ont été privilégiés. Il s’agit de professionnels qui n’ayant pas déjà été invités à retracer leurs parcours et à faire part de leurs expériences, ne sont pas tentés par un discours plus ou moins pré-établi qui demande pour être déconstruit de plus longs entretiens. Rares ont été les refus ou les réticences de la part des personnes sollicitées.

66 Voir dans le volume d'annexes, la part prise par les fonctionnaires et les architectes. 67 Pour les entretiens, le guide suivant a été adopté : - Pouvez-vous nous raconter votre parcours professionnel du lycée à aujourd’hui ? - Retour sur l’entrée en ville nouvelle Dans quelles circonstances avez-vous intégré un établissement public (ou une mission) de ville nouvelle ?… - Retour sur le travail en ville nouvelle Quelles étaient vos activités ? Pouvez-vous décrire le plus complètement possible votre travail (au début, au cours et vers la fin de votre présence en ville nouvelle) ? … - Retour sur la ville nouvelle comme expérience À quel bilan personnel êtes-vous arrivé concernant cette période de votre vie professionnelle ? Les réussites, vous les mettez sur le compte de quoi ? Les échecs éventuels… ? En quoi votre parcours antérieur à cette période vous a-t-il aidé en ville nouvelle ? Votre parcours ultérieur garde-t-il trace de ce que vous y avez appris (réussi ou raté) ? …Qu’est ce qui vous a le plus surpris ? Gêné ? Déçu ? Fait plaisir ? … - Conclusion Votre parcours professionnel vous semble-t-il singulier par rapport à ceux qui ont suivi la même formation que vous à …(selon le cas : université, École des beaux-Arts, École des Ponts, École de la France d’Outre -Mer, ENA…)…Quelle importance a cette période en ville nouvelle dans votre parcours, par rapport à ce que vous avez fait avant ? Après ?…

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5/ Enfin quelques entretiens ont été effectués avec des personnes qui ont été dans une position d’observateur et d’analyste des situations de travail en ville nouvelle, que ce soit des interlocuteurs de l’EPA ou des agents ayant une mission particulière au sein de l’organisme. On a fait le choix de faire figurer des extraits de ces entretiens dans le corps du rapport en fonction des thèmes que la recherche archivistique a pu dégager. Ces trajectoires sont donc « exploitées » en fonction de notre questionnement, au détriment de l’approche biographique. Rappelons que notre propos n’était pas de multiplier des récits de vie mais d’identifier dans ces récits des formes, moments et lieux d’expérience professionnelle dans le domaine de l’aménagement. Les faits relatés par les acteurs doivent être abordés avec circonspection. L’entretien, en effet, lorsqu’il porte sur le déroulement d’un historique ne peut être envisagé que comme un matériau permettant de formuler des hypothèses sur des faits dont la véracité est à rechercher dans les archives écrites lorsqu’elle existe. Nous envisageons le recours à l’entretien pour l’historien dans un aller-retour entre sources orales et archives écrites. Aussi certaines informations issues d’interviews citées dans notre rapport, lorsqu’elles n’ont pas trouvé de confirmation écrite faute de temps ou d’existence d’archives, doivent être envisagées comme des hypothèses de travail68. Il en va autrement pour ce qui est de l’« expérience » où l’entretien révèle tout son intérêt. Intérêt redoublé lorsqu'il est possible de s'appuyer sur des documents d’archives parfois produits par l’agent lui-même, comme cela a été possible dans certains cas. L’acteur sort alors du récit biographique et de ses illusions éventuelles pour revenir sur des moments précis faisant parfois « événement » et dont il garde une mémoire vive. La connaissance préalable par le chercheur du contexte et de la configuration dans laquelle se trouve l’agent donne un premier support. Les documents d’archives écrites servent d’appui au travail de remémoration de la situation passée et permettent d’accéder à un effet de réel prenant la forme de « flash-back ». Enfin un autre type d’information fait exception aux réserves pesant sur les archives orales : l’évaluation a posteriori par l’agent des différences, des changements de pratiques entre deux périodes identifiées comme distinctes qui sont pour ce qui nous occupe l’avant et l’après ville nouvelle. L’entretien permet de qualifier, de dire le faire à partir de la différence de situations. Tous les entretiens réalisés n’ont pas été retenus pour ce rapport69. On a principalement tiré parti des interviews de (par ordre alphabétique) : Jean-Paul Alduy (EPASQY, 1988-93) ; Bertrand Avril (Mission SQY, 1969-72 ; EPAMS, 1985-1987) ; EPA-Senart, 1985-87) ; Marcel Bajard (EPACP, 1969-78) ; Dominique Becker (MAEB-EPAREB, 1970-77) ; Maurice Bloch (Mission puis EPASQY, 1968-91) ; Yves Boucly (SGGCVN, 1973-76 ; EPALE, 1980-83 ; EPEVRY, 1987-90) ; Elio-Cohen Boulakia (EPEVRY, 1967-91) ; Michel Clementi (EPASQY, 1981-91) ; Michel Colot (EPALE-EPEVRY-GIEVilles nouvelles, 1973-90) ; Gérard Cousson (EPASQY, 1975-82 ; SGGCVN, 1982-85) ; Roger Damiani (MAEB-MIAFEB-MIDAM, 1968-76) ; Jean-Yves Debost (EPALE, 1975-80 ; EPASQY 1982-84 ; SGGCVN 1984-88 ; EPASQY 1988-2002) ; Bruno Depresle (EPEVRY, 1992-95) ; Jean-Claude Douvry (Mission puis EPA Basse Seine -

68 Rappelons la controverse agitant les historiens à l’occasion de la journée d’études de l’Atelier I du PHEVN du 15 décembre 2004 autour de la « véracité » des sources orales. 69 Un autre parti en sera tiré dans la thèse en cours de Jean-Charles Fredenucci, « Le temps du commencement. Contribution à une socio-histoire des pratiques de l’aménagement dans la France des années soixante et soixante et dix »

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EPACP, 1971-81) ; Yves Draussin (EPASQY, 1974-1989) ; Michel Ecochard (MAEB 1970-73; MIAFEB-MIDAM ; 1973-1979, EPAREB 1980-1996), Alain Fourest (EPAREB, 1971-74) ; Yvette François (EPASQY, 1967-2003) ; Michel Gaillard (EPACP, 1972-87 ; EPAMarne, 1992-2000) ; Lucien Gallas (EPAREB, 1979-94) ; Franck Gaston (MAEB, MIAFEB, EPAREB 1970-1979) ; Serge Goldberg (IAURP-EPASQY, 1964-80) ; Claude Guary (EPAREB-SGGCVN, 1975-1988) ; Jean Guillaume (EPASQY, 1971-86) ; Stéphane Lecornu (EPEVRY, 1975-1988) ; Claude Lecorps (Mission SQY, 1968-72) ; Jean Le Guillou (EPASQY, 1970-1986) : Pascal Lelarge (EPASQY-EPA Mantois, 1994-2000) ; Jean-Jacques Liard (EPASQY ; 1988-1991), Pierre Linden (EPASQY, 1971-83) ; Jean-Paul Loevenbruck (EPACP, 1973-81) ; Mireille Lucas (EPASQY, 1974-2002) ; Jean-Michel Malerba (EPASQY, 1996-2002) ; André Mathieu (EPACP, 1965-70 ; MAEB-EPREB, 1970-1979) ; Jean-Claude Menighetti (EPACP, 1970-79) ; Jean-Luc Nguyen (EPACP,1994-1999) ; Jean-Michel Nicolaïdis (EPASQY, 1972-81) ; Gérard Plaisant (MAEB, MIAFEB, EPAREB, 1971-86) ; Marie Redor (EPASQY, 1973-77) ; Denis Roger-Machart (EPASQY, 1970-83) ; André Sallez (IAURP–Mission Basse Seine 1966-69) ; Daniel Simon (EPASQY, 1974-89) ; Marie-Odile Terrenoire (EPASQY, 1972-76) ; Pascal Thiout (EPASQY, 1991-2002) ; Robert Varret (EPAREB, 1972-77) ; Jean-Renaud Vidal (EPAREB, 1971-1979) Enfin on a pu tirer profit d'une dizaine d'entretiens réalisés par Nadia Arab (doctorante au LATTS) dans les divers services et auprès des interlocuteurs extérieurs de l'EPA de Cergy. Ces entretiens effectués dans le cadre d'une étude pour le compte du Club des maîtres d'ouvrages d'opérations complexes remontent à 1996, alors que l'EPA était encore en pleine activité70. Compte tenu du caractère fortement personnalisé de ces expériences et de ces entretiens, la règle de l’anonymat a souvent paru dérisoire et, sauf exception en principe non décelable, n’a pas été respectée. Il en est de même pour les archives écrites. Que celles et ceux qui ne retrouveraient pas leur pensée dans cette transcription- interprétation en soient ici excusés. Insistons sur le fait que, de manière très générale, les contradictions entre sources orales et sources écrites sont fréquentes et banales, que la subjectivité ne peut être réduite71. Bien plus, pour mettre en évidence le vécu de l’expérience, nous avons cherché à la solliciter. Quand de telles contradictions sont apparues et n’ont pu être réduites, nous avons essayé de faire parler les deux voix, écrite et orale.

70 A. Bourdin et N. Arab-Rochette, Organisation et fonctions du métier d'aménageur, rapport pour le Club des maîtres d'ouvrage d'opérations complexes, 1997. 71 Sur les questions que posent la constitution et l’analyse des sources orales, D. Voldman (sous la dir.), « La bouche de la vérité ? La recherche historique et les sources orales », Les cahiers de l’Institut d’Histoire du Temps Présent, n°21, novembre 1992. Ainsi que les séminaires organisés depuis 2001 à l’Institut français d’architecture.

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CHAPITRE I - EVOLUTION GENERALE DES ORGANISATIONS. DES MISSIONS AUX EPA (DE 1965 À LA FIN DES ANNÉES 1990) Les Établissements publics chargés de l’aménagement des villes nouvelles (EPA) ont été créés entre 1969 (décret du 11 avril pour Lille-Est) et 1973 (décret du 15 octobre pour Melun-Senart). Les Missions d’études et d’aménagement (MEA) qui ont précédé ces Établissements, ont été quant à elles constituées entre juillet 1966 (Evry et Cergy72) et juin 1969 (Étang de Berre)73. Dès le départ, les conditions générales d’organisation du travail sont très différentes d’une Mission à l’autre. En 1969, les témoignages des directeurs dont les parcours et les expériences diffèrent assez largement sont éloquents : la situation initiale varie complètement d’une Mission à l’autre, alors que les premières équipes réunissent les mêmes types de compétences (architecte-urbaniste, ingénieur, administrateur). Les différences viennent à la fois de la manière de concevoir et d’organiser le travail et des particularités du contexte géographique et politique local74. On relève en effet plusieurs conceptions de l’organisation, conceptions que les premiers directeurs des Missions ont mises concrètement en oeuvre. Ce sont des façons diverses de comprendre ce que l’on appelle une “ administration de mission ”. Et elles marquent durablement le travail dans les Missions puis dans les EPA. Jusqu’à la fin des années 1970, Evry est dirigé par un inspecteur de la Construction, fort de l’expérience d’un cabinet ministériel et de la direction d’une Société d’économie mixte. Il en va tout autrement à Cergy-Pontoise, qui en 1966 fait figure de terre de mission pour le nouveau ministère de l’Équipement et ses ingénieurs. Bernard Hirsch vient de l’arrondissement territorial des Ponts et chaussées de Pontoise. Sur les Rives de l’Étang-de-Berre, ce sont les méthodes de la « coopération » ou de l’« assistance technique » développées dès 1956 par le Ministère de la France d’Outre-mer puis de la Coopération qui sont appliquées par le premier chef de la MAEB, Jacques Girardet (1968-1972)75. Ancien administrateur en chef de la France d’Outre-mer, il a été successivement directeur de la Mission d’aménagement régional de la Guinée (MARG) puis, comme cadre permanent de l’OCDE, directeur du Projet Sardaigne et enfin à partir de 1965, responsable de la commercialisation et du développement économique de la Mission interministérielle pour l'aménagement touristique du littoral du Languedoc-Roussillon. À partir de 1972, le corps des Ponts et chaussées reprend la direction de la ville nouvelle avec deux ingénieurs des Ponts et chaussées successifs, tout deux « routiers », venant pour le premier de la Direction des Travaux publics de Madagascar et pour le second de l’Organisme technique de mise en valeur des richesses du sous-sol saharien. Du seul fait du profil et du passé professionnels des premiers directeurs, les villes nouvelles ne peuvent relever d’une même histoire. Comme plusieurs travaux ont déjà pu le constater, de

72 On parlera de Cergy à la place de Pontoise-Cergy, dénomination employée au début de la Mission et Cergy-Pontoise utilisée après la création de l’Etablissement Public. 73 P. Merlin, L’aménagement de la Région parisienne et les villes nouvelles, Paris, La Documentation française, 1982, p126 74 Pour un premier bilan, L’expérience française des villes nouvelles, Journée d’étude sur les villes nouvelles du 19 avril 1969 à la Fondation nationale des sciences politiques, Paris, A. Colin, 1970 75 Sur les pratiques de l’assistance technique du Ministère de la France d’Outre Mer, nous renvoyons à l’article de Jean-Charles Fredenucci, « L’entregent colonial des ingénieurs des Ponts et Chaussées dans l’urbanisme des années 1950-1970 », in Vingtième Siècle, Revue d’histoire, 79, juillet-septembre 2003, p.79-91

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grandes différences séparent les Missions au plan des compétences, de l’organisation du travail et des idées76. Ces différences sont notables tant dans les origines et que dans les évolutions des EPA. Avec la création en 1970 du Groupe central des villes nouvelles, son cadre technique et financier77, avec aussi les effets de la crise économique (perçue par certains professionnels dès le mois de décembre 1973), les élections municipales de 1977 et l’arrivée de nouveaux directeurs à la tête des EPA, les pratiques sont–elles devenues plus uniformes ? Dans une seconde période, au cours des années 1980, avec l’affaiblissement de l’État et la vague libérale, la nécessité d’une “ commercialisation ” accélérée des villes nouvelles oblige les EPA à se réorganiser. Ce tournant est- il identique pour les différent s établissements ? Autrement dit, si le choix des premiers directeurs semble décisif et distingue les Missions les unes des autres, les différences initiales s’estompent-elles avec le temps ? Cette partie présente à grands traits les formes initiales d’organisation et les modifications qu’elles ont subies. Elle s’appuie sur une analyse des archives de trois Missions et EPA (Evry, Cergy et les Rives de l’Étang-de-Berre) sans que l’on se soit interdit des références à d’autres cas et à des diagnostics plus généraux (rapports des Finances, rapports pour le SGGCVN, etc.). L’objectif est de montrer sur quelles questions et sous quels effets les Missions et EPA ont pu configurer des expériences professionnelles différentes et dans quelles circonstances ils donnent au contraire à voir un “ milieu ” sinon homogène, du moins lié à une expérience semblable de l’aménagement. À cette exploration des organisations échappent des changements plus subtils que les entretiens avec des professionnels ont laissé deviner. Mais seules des monographies, établissement par établissement, pourraient restituer ces changements et le vécu qu’en ont eu les acteurs. I - 1. Fragilité des débuts : les problèmes d’organisation. Dans le cadre de la déconcentration des services de l’Etat amorcée par le Ministère de l’Equipement en 1966, les villes nouvelles sont présentées comme “ un des endroits où apparaissent le mieux les problèmes posés par l’adaptation de l’administration à ses tâches nouvelles ”78. À ce titre, elles appartiennent à ce que les contemporains désignent par “ administrations de mission ” pour les opposer aux “ administrations de gestion ” et souligner l’originalité de leur organisation et de leurs méthodes de travail79. Les stagiaires de l’ENA qui passent deux à trois mois dans les EPA sont des observateurs d’autant plus fins du fonctionnement de ces structures que les comparaisons avec une administration classique sont nettes et que le domaine de l’urbanisme et l’aménagement est pour eux à découvrir. À leurs yeux en 1971, les EPA sont conformes à l’idée que l’on se fait d’une administration de mission, capable de conduire des « actions d’innovation et de création » pour une « urbanisation concertée et rationnelle ». Dans de tels organismes,

76 Par exemple J.M. Boyer, La programmation urbaine… op. cit 77 Un discours de la méthode est progressivement élaboré par le Groupe interministériel des villes nouvelles (le Groupe central des villes nouvelles est créé en 1970) et par la Direction de l’aménagement foncier et de l’urbanisme (DAFU avec le Bureau des villes nouvelles constitué en 1967). 78 Gérard de Senneville, Discours d’accueil des stagiaires de l’ENA, SGGCVN, juin 1970, Archives nationales (AN), CAC 910585/9. 79 J.-E. Roullier, Note à l’attention des messieurs les directeurs des EPA et des Missions d’études et d’aménagement des villes nouvelles, 19 octobre 1971, A.N. CAC 910585/9

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«‘ l’exigence de pluridisciplinarité et de travail en commun s’impose à tous et modifie les relations de travail et de hiérarchie »80. Le souci de méthode y est aussi très présent. Un bureau de la méthode, attaché directement au chef de la Mission de la ville nouvelle de Trappes apparaît de manière furtive dans un organigramme de 196981. Il en est de même à Cergy où une note sur “ l’organisation de la mission ” prévoit en 1969 une cellule “ Organisation-méthodes ”, attachée elle aussi au directeur, mais qui ne semble pas avoir eu d’existence effective 82. L’impératif de méthode est alors diffus dans l’administration en général et dans les milieux de l’urbanisme et de l’aménagement en particulier. C’est le cas dans des organismes créés par le jeune ministère de l’Équipement, comme le Service Technique Central d’Aménagement et d’Urbanisme (STCAU, créé en 1966 et disparu peu après les évènements de mai 1968)83. Au-delà de tels affichages, « tout est à faire » dans les villes nouvelles au cours de la deuxième moitié des années 6084. Les temps sont encore incertains, du fait notamment des attaques lancées contre l’idée et la manière de conduire la politique des villes nouvelles (des critiques feutrées de E. Pisani aux charges féroces de A. Chalendon85). Chacun dans les Missions perçoit par ailleurs que cette politique est un « défi » ou un « pari »86 que les divers moyens nécessaires à la conception comme à la construction de ces villes sont encore à penser et à réunir. Les difficultés sont d’ordre pratique et d’ordre intellectuel. Le travail souffre d’abord de conditions matérielles précaires (locaux provisoires, difficultés d’accès aux lieux de travail). Dans sa thèse, J.-M. Boyer a ensuite fort utilement souligné les difficultés conceptuelles auxquelles sont confrontées les premières équipes des Missions d’études87. Leurs questions sont épineuses : Comment transformer des projets régionaux en projets urbains ? Comment traduire en termes d’aménagement des « pôles de croissance » ou des « centres urbains régionaux » tels qu’ils sont envisagés dans les schémas d’armature urbaine ou schémas directeurs?88 Les références sont limitées au monde anglo-saxon ou à ce que l’on croit en savoir. Sur les centres urbains, les ressources documentaires sont faibles ou d’origine administrative ; les études sont « quantitatives et redondantes », affirme J.-M. Boyer. Autrement dit, l’outillage conceptuel, culturel et méthodologique reste à constituer. D’un autre côté, les organes susceptibles de mener à bien ces tâches sont en germe. Les équipes sont constituées quatre à cinq ans avant la création officielle des EPA ; ce sont quatre ou cinq ans de débat sur les institutions, d’“ évènements ” qui provoquent nombre de

80 Rapport de D. Hangard, stage d’octobre à décembre 1971. Plusieurs rapports de stage sont réunis dans AD 95, 1072W/288W3C. 81 Organigramme de la mission d’études et d’aménagement de la ville nouvelle de Trappes, 1969 (archives de l’EPASQY) 82 Note du 8 avril 1969, AD 95, 1315W/67W71 83 D. Moucias, « Organisation et méthodes », in J.-M. Auby et alii, Traité de science administrative, Paris -La Haye, Mouton, 1966, 531-584 ; Claude V., Les fonctions “études” et l’administration de l’urbanisme : fonction centrale contre fonction diffuse (1954-1969), École d’Architecture de Strasbourg, ENSAIS, (pour le compte du Plan Construction et Architecture et de la Direction de la Recherche et des Affaires Scientifiques et Techniques), Paris, MELT, juin 1994. 84 Sur ce point, le témoignage de Bernard Hirsch est particulièrement éclairant. 85 Discours de E. Pisani présentant le projet de budget 1967 du ministère de l'Équipement à l'Assemblée nationale, Le Moniteur des travaux publics et du bâtiment, 12.11.1966, 24-27. Et les témoignages de P. Delouvrier, B. Hirsch, etc. 86 Entretien avec D. Becker en particulier. 87 J.M. Boyer, La programmation urbaine…op.cit p19-43 88 À partir du succès rencontré par les recherches de François Perroux, F. Perroux, « Note sur la théorie des pôles de croissance », Économie appliquée , n°1-2, 1955, 307-320

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perturbations et de remises en cause dans les organisations, les relations hiérarchiques, les conditions de travail. Le milieu de l’aménagement – c’est-à-dire l’ensemble du personnel d’études, de conception et de mise en œuvre opérationnelle comprenant les agents ayant une formation universitaire de type sciences humaines et sociales, les architectes, tout comme les géomètres, ingénieurs, administrateurs et financiers -, a été, en villes nouvelles comme ailleurs, particulièrement agité en mai 6889. Au cours des cinq premières années, l’environnement qui était tout d’abord favorable à la création de villes nouvelles (grâce à l’appui du chef du gouvernement Michel Debré) devient plus hostile, surtout après 1968. On le devine dans les décisions prises au plus haut niveau, suite aux confrontations et désaccords entre ministres sur la “ force contraignante ” du Schéma directeur de la Région parisienne, désaccords qui sont arbitrés par Matignon en 1969. On le devine aussi dans l’affaiblissement de la légitimité de l’administration par rapport au Parlement. En 1969, un haut fonctionnaire des Finances pose crûment la question : “ Est-il opportun vis-à -vis des élus des agglomérations existantes de mettre en évidence les crédits affectés aux villes nouvelles, que personne en dehors de l’administration, n’estime devoir défendre ?”90. On le perçoit enfin sur le terrain local, chez les élus et les agriculteurs directement concernés (longues manifestations à Cergy, lenteur de l’administration pour décider des indemnisations) comme dans les relations tendues des Missions avec les Préfectures et avec les jeunes DDE, avides de travaux neufs et d’honoraires91. Ces difficultés minent le travail. Ainsi Bernard Hirsch, directeur de la Mission de Cergy souligne, dans une note d’octobre 1968 soit deux ans après le début des études, que l’officialisation des Missions n’est pas encore assurée : “ Sans vouloir insister sur les problèmes posés par la construction de la ville nouvelle de Pontoise-Cergy, il convient de rappeler sans commentaires les principales actions à mener, la première étant la reconnaissance officielle de la ville nouvelle ”92. Au printemps 69, ce même directeur est tenté de démissionner. Au début du processus de réalisation des villes nouvelles, le projet est donc, comme dans tout projet, entouré de multiples et nombreuses incertitudes. Elles concernent autant les moyens matériels et intellectuels à mobiliser pour faire ces villes que le cadre institutionnel et fonctionnel. Sur les Rives de l’Étang-de-Berre, la situation est particulièrement complexe. D’abord la constitution effective des Syndicats communautaires d’agglomération (SCA), préalable à la création de l’Etablissement public s’est fait attendre. En mai 1972, la ville de Fos et le Conseil Général refusent d’y prendre part. On assiste alors à la « décomposition de la MAEB »93. Parallèlement, des opérateurs privés multiplient sur les franges du périmètre d’intérêt national des opérations immobilières avec l’accord de la Préfecture de Région, pressée de régler la question de la pénurie de logements. « Le personnel (de la Mission) mal dirigé, sans moyen et surtout sans objectif, ressentait de plus en plus cette situation inconfortable. Il perdait de l’intérêt pour un travail dont il mesurait toute l’inefficacité. En contact avec les problèmes locaux, il ressentait profondément tous les risques inhérents à la fermeté gouvernementale. […] Une bonne partie du personnel se mit en grève réclamant un statut et une résolution rapide des problèmes en cause »94. Devant cette situation, un accord est trouvé entre le

89 Pour Cergy, AD 95, 1461W/294W6D. De façon plus générale pour le milieu des aménageurs, J. Verdes-Leroux, Les ‘candidats aménageurs’ dans une organisation en quête de finalité : le Service technique central d’aménagement et d’urbanisme , Paris, Copédith, 1972. 90 Procès-verbal de la réunion tenue à Matignon le 13.10.1969, AD 95, 1461W/294W8D 91 Dossier “ crise ”, 1969-71, AD 95, 1461W/294W8D 92 L’expérience française des villes nouvelles, op. cit. p39. 93 C. Fischler et B. Paillard, Tendance et contre tendance en Milieu urbain. Le cas du complexe industrialo-portuaire de Fos-sur-mer, T II, Fondation Royaumont, Groupe de diagnostic Sociologique, EHESS/CNRS - DGRST, décembre 1977, p.82 94 idem, p.83

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gouvernement et les élus locaux aboutissant à la création d’un SCA ne regroupant que trois communes : Fos, Istres et Miramas mais rendant possible la mise en place de l’EPAREB, le 6 mars 1973. Celui-ci intervient sur un périmètre non plus composé de sept communes comme il était prévu à l’origine mais seulement de quatre. Le territoire est éclaté entre deux secteurs géographiques distant d’une trentaine de kilomètres : le secteur Ouest pour Istres, Fos et Miramas et le secteur Est pour Vitrolles. La création de la Mission interministérielle pour l’aménagement de la Région Fos-Etang de Berre (MIAFEB), le 28 mars 1973, doit suppléer aux carences venues de cet état de choses et prendre en charge les autres communes concernées par l’impact du projet industrialo-portuaire95. Elle découle aussi des ambitions de certains services de l’Etat comme la puissante DDE des Bouches-du-Rhône et la Mission Régionale engagées, avec la MAEB, depuis la fin des années soixante dans une « lutte intra-administrative » ayant pour enjeu, la domination d’un territoire et la conservation des prérogatives en matière d’élaboration de documents de planification96. Avec ce conflit, le personnel de la MAEB longtemps frustré de tout passage à l’action opérationnelle, se trouve réduit à un rôle de conseil, selon Michel Ecochard ; il aurait perdu pour longtemps sa crédibilité vis-à-vis de l’extérieur et notamment vis-à-vis des élus97. La difficile genèse de l’EPA a pour autre conséquence, l’entrée en force des débats et questions politiques au sein du personnel. Or ce phénomène distingue la situation des Rives de l’Étang-de-Berre des villes nouvelles de la Région parisienne. En effet plus que les atermoiements de l’administration centrale, c’est la forte politisation d’un territoire local tendu entre les mairies communistes de l’ouest, les villes de la « majorité » à l’est et le puissant parti socialiste via le Conseil Général et le maire de Marseille qui s’invite au sein de la mission. En 1973, un des cadres de la MAEB divulgue dans la presse régionale des informations confidentielles sur les opérations d’urbanisations prévues. La même année un groupe d’agents de la MAEB informe le chef de cabinet du Maire de Marseille des tractations politiques en cours entre les services de l’Etat et les collectivités locales des rives de l’étang de Berre98. Cette implication politique du personnel, gagnée aux contacts des élus, est telle qu’au moment de la création de l’EPAREB et de la MIAFEB, le personnel de la MAEB se distribue entre ces deux organismes en fonction de l’étiquette politique des Directeurs généraux respectifs et de celle des communes avec lesquelles ces organismes vont travailler. Ces péripéties et la structuration du champ politique local qu’elles révèlent - et réveillent – ne se retrouvent pas en région parisienne. Elles prennent des formes encore différentes dans les autres villes nouvelles. I – 1.1. Les recrutements : origines et difficultés. Des réinsertions anticipées Au cours de la période 1965-1972, les Missions puis les Établissements publics recrutent beaucoup. Constituer une première « équipe » et la diriger – l’animer, la faire vivre, la

95 « La MIAFEB est chargée, sur le territoire de 33 communes de l’Ouest du département, de deux missions principales : 1/ Programmation sous l’égide du Préfet de Région de toutes les actions interministérielles à mener dans cette zone et suivi des actions entreprises ; 2/ Production sous l’égide du directeur départemental de l’équipement des études d’aménagement et d’urbanisme (SDAU et POS) concernant cette zone. Autrement dit la MIAFEB, mission interministérielle auprès du Préfet de région, prête son concours à la DDE et remplit le rôle du groupe d’études et de programmation traditionnel sur 33 communes de l’Ouest du département », in DDE des Bouches du Rhône, Note sur la MIAFEB, Marseille le 2 mars 1976 (archives DDE 13) 96 A. Fourest, Fos, reflet de la civilisation en crise, ronéoté 1973, 166 p. (cité par B. Paillard et C. Fischler, op.cit., p.56-57) 97 Entretien avec J. Ecochard 98 Entretien avec A. Fourest

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« manager « - est une tâche à plusieurs égards délicate pour les responsables des Missions. Ils soupçonnent que les choix seront lourds de conséquences. « Il y a un pari quand on recrute… sur les hommes, sur les compétences, le caractère, la capacité de travail en équipe, la capacité de dialogue. Mais c’était une bonne école… Il y avait des tempéraments mais aussi des convictions qui étaient parfois politiques. Il a fallu maîtriser un peu tout ça pour que chacun reste un petit peu à sa place dans le dispositif d’ensemble », se rappelle Dominique Becker (33 ans en 1970)99. Pour les personnes recrutées, il en est de même : nombre d’entre elles pressentent qu’ils vont devoir tout apprendre et, si ce n’est pas le cas, ils découvrent vite qu’ils doivent faire leur preuve. De ce point de vue, intégrer avec souvent beaucoup d’enthousiasme, une équipe en voie de constitution dans les années 65-70, n’est guère comparable avec l’expérience de celui, ou celle, qui prend ses fonctions dans les années 80 ou 90 et qui peut avoir l’impression de rentrer dans un « cocon »100. Dans les Missions, le processus « d’acculturation » et « d’appropriation collective du projet » demandera du temps et rencontrera parfois des difficultés, par exemple à la MAEB101. Qui plus est, le contexte de la fin des années 60 et du début des années 70 favorise les discussions tous azimuts, parfois des amitiés durables. De cette époque, la mémoire est souvent heureuse, car c’était aussi « la bande de copains qui travaillaient ensemble… qui apprenaient à travailler ensemble »102. Les origines Qu’est ce qui réunit ces hommes (et quelques femmes) qui se trouvent engagés dans les Missions ? Les premiers recrutements passent par des voies très diverses : petites annonces dans les revues professionnelles (pour des profils rares de sociologues ou de paysagistes que l’on suppose plus difficiles à repérer pour les responsables), candidatures spontanées pour ceux qui sont quelque peu informés des projets, relais amicaux et/ou familiaux, réseaux professionnels. Sur ce versant professionnel, les entretiens ont fait apparaître d’un côté des filières (de formation ou d’activité professionnelle), de l’autre ce que l’on appellerait plutôt des affinités qui dépassent les qualifications ou compétences professionnelles : • Une filière américaine qui se constitue autour de jeunes diplômés partis Outre-atlantique

se former au « planning » ou à l’économie spatiale. Ils découvrent des « méthodes » et font l’apprentissage de « pratiques concrètes sur le terrain »103. « C’est là -bas où on apprend vraiment », nous dit l’un de ces anciens étudiants parti à l’Université de Pennsylvanie, après un passage décevant à l’Institut d’urbanisme de l’Université de Paris104.

• Une filière plus classique qui passe par les établissements de formation (ENPC, ESSEC, École des Beaux-Arts, ENSAIStrasbourg) ; on peut relever que l’origine d’une candidature dans les Missions n’est jamais l’université et les rares institutions dispensant des cours en urbanisme (IUUP, ASTG) sont très rarement citées.

• Une filière à caractère plus professionnel qui passe par le milieu qui gravite autour de l’IAURP et par les études qui en sortent, car le SDAU de la Région Parisienne est disponible en librairie et a suscité quelques candidatures.

99 Entretien avec D. Becker 100 Entretiens avec P. Clementi et P.Lelarge 101 Entretien avec D. Becker 102 Entretien avec G. Plaisant 103 Entretien avec S. Goldberg 104 Entretien avec J.-P. Loevenbruck. Sur les formations en urbanisme, voir en fin de volume, les tableaux regroupant les données chiffrées pour les trois villes nouvelles et sur toute la période.

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• Dans un second temps, au début des années 70, le réseau des villes nouvelles lui-même (Bureau des villes nouvelles de la DAFU, SGGCVN) jouera ce rôle de source de recrutement en permettant par exemple de compléter l’équipe de la MAEB et de l’EPAREB.

Au-delà de cette géographie qui fournit les divers chemins empruntés par les candidats pour intégrer les Missions, le recrutement passe aussi par des points communs : pour les hommes de 30 ans (puisque les femmes sont très rares), l’expérience de l’Algérie avant et après l’indépendance ou de la coopération en Afrique n’est pas rare dans les années 60. La part du personnel cadre ayant effectué un passage Outre-Mer au sein de l’administration coloniale ou dans le cadre de la coopération technique, notamment comme volontaire du service national (VSN) représente au cours des années soixante et soixante et dix, 22% à l’EPEVRY, 24% à l’EPAREB, et 30% à l’EPAVNCP105. Le détour Outre-mer pèse fortement sur la sélection des hommes à la Mission de Trappes, mais aussi à Cergy où ce type d’expérience est recherché. Les chefs des Missions cherchent à tirer parti du fait que ces hommes « savent se débrouiller avec rien », « gérer la précarité », « prendre des responsabilités » qui vont au-delà de ce qu’ils sont censés savoir faire106. Leur activité en brousse est d’ailleurs évoquée comme une période de formation intense dont ils ne mesurent l’importance qu’après coup 107. Autre caractéristique qui traverse bien des propos et qui explique les motivations : ces candidats ont eu « envie de faire », de « créer », d’être « dans l’action », d’être « là où il se passe quelque chose », de « faire des études qui servent » et pas seulement du « papier », ou encore de pouvoir « maîtriser la totalité du processus de production » d’une ville. Les plus universitaires d’entre eux – certains sont engagés dans des thèses, mais ne se sentent pas l’âme suffisamment universitaire -, veulent « être en prise avec la réalité ». De leur côté, les candidats qui sont fonctionnaires répugnent à l’idée de se retrouver dans des bureaux et de subir les lourdeurs administratives tandis que les architectes et les géomètres sont, soit trop jeunes ou trop peu fortunés pour monter leur propre agence, soit hostiles au statut de la profession libérale. Au moins pour les architectes, cette hostilité n’est pas générale, le secteur public et le salariat étant généralement regardés par la profession avec quelque mépris 108. Pour ce qui est des expériences antérieures, on distingue deux groupes avec entre les deux une série de situations intermédiaires. D’un côté ceux qui ignorent tout de l’urbanisme et de l’aménagement. De l’autre ceux qui en ont déjà une connaissance parfois une première pratique. Dans le premier groupe, les personnes disent avoir eu « tout à apprendre » dans les Missions et les EPA, même si elles ont d’autres expériences qui vont leur être utiles : certains connaissent le monde agricole et ses « préoccupations » et sauront plus tard mener « d’âpres négociations » dans les acquisitions foncières, d’autres apprennent les aspects pratiques de leur formation initiale sur des chantiers ou dans des bureaux d’études techniques, dans des agences d’architecture où sont intégrés des ingénieurs, d’autres encore ont acquis quelques compétences dans la recherche, l’enseignement supérieur ou l’animation socioculturelle prenant goût au travail d’études, à la « pédagogie » voire à la « concertation ». Quelques-uns

105 Base de données des parcours professionnels des agents cadres des MEAVN et EPAVN. 106 Entretien avec M. Colot, M. Bloch, R. Varret. 107 Entretiens avec M. Bloch et G. Plaisant en particulier. Pour l’expérience de la brousse chez les administrateurs et ingénieurs d’Outre-mer, voir J.-C. Fredenucci, art.cit. 108 Entretien avec A. Mathieu. Sur l’habitus professionnel des architectes, on peut rappeler une étude réalisée au début des années 1970, B. Lamy et M.Robirosa, Evolution de la profession d’architecte, Paris, CSU, 1976.

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signalent que leurs engagements politiques ou associatifs ont marqué leur adolescence ou entrée dans la vie professionne lle. L’apprentissage passe par une phase d’observation. C’est à l’EPASQY que Gérard Cousson (formation d’économiste « économètre », 27 ans en 1975) découvre l’aménagement : « Au début j’apprends mon métier d’aménageur, comment on réfléchit, d’où viennent les sous, les flux financiers, comment on convainc…». À l’EPALE, Jean-Yves Debost (formation d’économiste « littéraire », 31 ans en 1975) prend un poste de chargé d’études sans savoir ce qui l’attend : « la mise en œ uvre d’un projet avec des objectifs et des moyens », « la dimension opérationnelle », « le travail avec des architectes et des ingénieurs », « l’équipe pluridisciplinaire ». À côté de ceux qui disent ne « rien y connaître », le groupe des praticiens avertis est composé de personnes ayant eu des activités dans l’administration du jeune ministère de l’Equipement, en bureau d’études, en agence d’urbanisme, à l’Atelier parisien d’urbanisme (APUR) ou dans des SEM du réseau de la SCET. Peu nombreux sont les anciens étudiants – ou simples auditeurs - de l’Institut d’urbanisme de Paris qui attire surtout des architectes et tout aussi rares les anciens élèves de l’Atelier et séminaire Tony Garnier, Atelier qui pourtant « fait découvrir le travail pluridisciplinaire, ce qui en 1967-68, n’était pas courant »109. Par ailleurs, si dans la région parisienne, « les recrutés venaient rarement des sociétés d’aménagement, comme le groupe de la SCET »110, on en compte quelques-uns à Evry (8%) et à Cergy (4%)111. Sur les Rives de l’Étang-de-Berre, la situation est différente. Le chef de mission ne bénéficie pas d’une pépinière du type de l’IAURP qui essaime alors jusqu’à Rouen (à la Mission Basse-Seine). Fort de son expérience à la Mission interministérielle pour l'aménagement touristique du littoral du Languedoc-Roussillon, notamment dans « la coordination de l'action des SEM en matière de commercialisation de terrains »112, J. Girardet recrute une part de son personnel dans les réseaux de la SCET. Dès lors sur l’ensemble de la décennie soixante et dix, 14% des agents cadres de l’organisme viennent de ce réseau113. Ce faisant, ceux qui ont déjà certaines qualifications sont tout comme les néophytes en apprentissage. Certains procèdent d’ailleurs par imitation. À la Mission Basse Seine, Alain Sallez (formation d’économiste, 30 ans en arrivant à la Mission) nouveau responsable des études générales reproduit ce qu’il a vu à l’IAURP : « Je m’étais mis dans la peau de Serge Goldberg », dit- il aujourd’hui114. Les difficultés de recrutement Les organismes rencontrent de “ très sérieuses difficultés ” d’abord à trouver les personnes qualifiées nécessaires, et ensuite à les conserver, le personnel n’étant pas aussi « stable » qu’on a pu le croire115. Ainsi note-t-on un turn-over important à la MEAVN d’Evry : sur 64 agents (toute catégories confondues) ayant travaillé à la mission au cours de la période 1965-

109 Entretien avec M. Redor 110 Entretien avec P. Linden 111 Base de données des parcours professionnels des agents cadres des MEAVN et EPAVN. 112 Dossier du personnel de Jacques Girardet (archives du personnel de la MEAVN de Marne la Vallée- Archives de l’AFTRP) 113 Base de données des parcours professionnels des agents cadres des MEAVN et EPAVN 114 Entretien avec A. Sallez. S. Goldberg est responsable des études à l’IAURP de 1960 à 1968 115 Rapport d’activité de la mission d’Évry pour l’année 1968 AD 95 1086W/60W86C. La stabilité du personnel est qualifiée de « remarquable » par J.M. Boyer, La programmation … op.cit. p105

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1970, on compte 17 départs (38%), qui concernent d’ailleurs exclusivement le personnel détaché de l’IAURP. De manière générale, les compétences sont difficiles à attirer. Les Missions manquent constamment par exemple de dessinateurs. À Cergy comme à Evry, les directeurs généraux s’alarment aussi du défaut de rédacteurs et font appel aux retraités de l’armée. Certains postes sont donc difficiles à pourvoir. Si “ les candidatures se manifestent plutôt pour les emplois de cadres ”, le recrutement du personnel d’exécution se fait par voie d’annonces ou d’offres d’emploi116. Le rapport de Jean Werquin fait état de la difficulté à trouver des ingénieurs des Travaux publics de l'État, des conducteurs de travaux et des économistes. Il n’en est pas de même pour les architectes dont “ les candidatures sont nombreuses ”. Toujours selon J. Werquin, les villes nouvelles de la Région parisienne rencontrent moins de difficultés car elles bénéficient d’un bassin d’emploi plus large à la différence des Rives de l’Etang-de-Berre ou du Vaudreuil. Pourtant, même en région parisienne, les problèmes de recrutement sont épineux. Les Directeurs généraux les expliquent par les mauvais moyens de communication avec la capitale ou par la réticence de certains candidats à venir vivre au milieu des champs ou des chantiers. Les difficultés de recrutement touchent donc dans cette période initiale tous les métiers, exception faite des architectes. D’autres questions restent longtemps non résolues (règlement du personnel, mobilité, promotion). L’hétérogénéité du personnel (origines et statuts) ne facilite pas les choses. En ce qui concerne la mobilité du personnel, elle est souhaitée en 1974 tant par les directeurs des EPA, que par les représentants du personnel qui désirent la voir s’étendre au plus grand nombre d’organismes. Depuis avril 1969, on attend à Cergy la rédaction définitive du règlement des personnels qui prévoit la possibilité de passer d’un établissement public à l’autre et qui est alors annoncée comme “ probable ”. La mobilité est en outre un enjeu interne, une promesse d’ascension professionnelle, l’ouverture de nouveaux postes devant être aux yeux du personnel l’occasion de “ promotion sociale interne ”117. Elle l’est encore à Évry au début des années 80118. J. Werquin traite, en 1974, la question du devenir des agents – ou de la fin des établissements - en préconisant la mobilité119. Selon lui, celle-ci devrait être favorisée du fait “ du statut entre organismes similaires ” et grâce “ au maintien des avantages acquis en ancienneté et en rémunération ”. La mobilité n’est pas seulement une solution pour l’avenir professionnel individuel. C’est aussi un gage de renouvellement pour les organismes, un moyen de faire avancer les pratiques et les idées. C’est notamment vrai pour les architectes-urbanistes qui sont supposés perdre leur capacité créative avec l'âge et la sédentarisation120. Par ailleurs, il est important de “ prévoir la période encore lointaine où certains EPA auront réalisé l’essentiel de leur programme ”. En 1974, la fermeture de l’EPA de Lille est déjà envisagée et fixée pour 1984.

116 A l’aune de son expérience ultérieure en collectivité locale, Michel Gaillard note la difficulté au sein de l’EPAVNCP au cours des années soixante et dix à motiver un personnel d’exécution et de maîtrise peu valorisé dans des organismes composés en majorité de cadres. Entretien avec M. Gaillard. 117 Assemblées générales du personnel, période 1968-1974 AD 95, 1086W/60W86D 118 Comité d’entreprise de l’EPEVRY du 16.12.1982, AD 91, 1522W/34 119 J. Werquin , op.cit., p.p. 31-32 120 Ibid.

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Des réinsertions anticipées La question du devenir du personnel est constamment posée au sein des EPA. Dès leur arrivée à la Mission de Trappes, les agents sont prévenus par le Directeur que la Mission puis l’EPA n’auront qu’un temps121. Si cette question de la précarité agite les syndicats, elle devient cruciale au début des années 80. À Evry, suite à la loi du 13 juillet 1983, la question est posée en termes concrets. Dans l’accord d’entreprise du 4 juillet 1984122, la fermeture de l’Établissement est prévue aux environs de 1990 et, dans le plan social, il est question de la mise en œuvre d’une “ politique d’essaimage ” du personnel. Cette formule, utilisée dans les années 60 par l’Association des Ingénieurs des Ponts et des Mines, désignait la mise à disposition des ingénieurs dans les organismes internationaux123. En reprenant ce terme, le directeur général de l’EPEVRY invite le personnel à reconquérir le paysage professionnel de l’aménagement. Cette politique comporte trois volets : la possibilité de mise en disponibilité de 6 mois pour exercer une activité professionnelle de manière expérimentale, la formation permanente et une réforme des niveaux d’indemnités. Cette politique d’essaimage n’a guère produit les effets escomptés, si on en croit le rapport de Roland Peylet en 1995, où il est encore question d’activer la mobilité pour le personnel, notamment d’un EPA à l’autre124. L’indépendance des EPA les uns par rapport aux autres est patente tant en ce qui concerne les styles de direction, les idées débattues, les organisations mises en place qu’en ce qui concerne le mode de recrutement et la gestion des personnels. En 1968-70, les discussions qui se tiennent autour des statuts des établissements et du règlement des personnels ne laissaient pas prévoir des fonctionnements aussi distincts. Cet état de choses a rendu la mobilité du personnel entre EPA impossible. I – 1.2. Un chantier incessant : les organigrammes Cergy : « L’impossible organigramme » ° Une administration de “ mission ” telle que prônée par E. Pisani…. En juin 1968, la “ philosophie opérationnelle ” sur les structures distingue à la MAE de Cergy le provisoire et le moyen terme 125. Cette philosophie qui est manifestement imprégnée des premières leçons de management et du "modèle de l’état-major" très en vogue au sein du ministère de l’Équipement, a pour auteur soit le Directeur général qui a été directement visé par les “ critiques de l’organisation de la mission ”, soit le responsable du “ service opérationnel ” qui est, comme le précédent, ingénieur des Ponts et chaussées. L’auteur 121 Entretien avec G. Cousson. 122 Dossier du personnel de H.M., AD 91, 1522W/8 123 PCM - Groupe d’études générales, Modifications éventuelles à apporter à notre organisation générale, Paris 24 mai 1956 (CAC 9930150/29) 124 R. Peylet, Rapport du groupe de travail sur la situation et les perspectives des établissements publics d'aménagement, ministère de l'équipement, 9 février 1995, p22 125 Le Bilan des travaux de l’Assemblée générale de la Mission du 20 mai au 5 juin 1968 a fait l’objet d’un document en date du 7.06.1968 qui fait la synthèse des thèmes abordés durant cette période. Ce bilan annonce dans son point 3 le thème de la “ critique de l’organisation passée de la mission ”, sans qu’il y ait d’autres développements. Peut être le bilan ne fut-il pas établi, peut être ce chapitre fut-il mis à l’écart dans la source que nous avons pu consulter qui constitue une part des archives personnelles du directeur général versées aux archives départementales, AD 95, 1072W-288W6B. Le directeur général a laissé dans ces archives des “ brouillons ” d’organigramme, dessinés peut être lors de ces assemblées générales. Ils sont très similaires à ce que l’on trouve dans la note suivante. La formule « philosophie opérationnelle » est utilisée dans ce bilan.

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expose à cette date à la fois les incertitudes du moment – les débuts de la ville nouvelle et les “ évènements ” de mai – en même temps qu’il envisage une stratégie d’action126. Selon ce responsable, le travail de la Mission consiste à “ effectuer des études opérationnelles, c’est-à -dire susceptibles d’être mises en œ uvre et d’aider à cette réalisation ”. Deux aspects sont alors à prendre en compte : l’élaboration des études et la commercialisation de la ville nouvelle. Dans le premier cas, cela touche : “ la planification et l’ordonnancement, l’urbanisme, les infrastructures et les transports, la programmation, les études juridiques et financières, les études de mise en forme ”. Quant à la commercialisation, elle consiste dans “ la recherche des emplois (administration, industrie, les bureaux, les artisans), la recherche de promoteurs (logements, bureaux, commerces, loisirs) et la recherche des habitants ”. Pour mener à bien ces tâches, la structure interne de la mission doit reposer sur “ des principes d’organisation ” qui sont : • “ nécessité d’une structure interne claire et simple, • adaptation de la structure aux tâches à accomplir et aux interlocuteurs probables, • nécessité de réunions de coordination (par créations de divers comités) et de rapports de

contrôle : car la structure étant simple, certaines liaisons manquent et donc l’information ne peut s’échanger qu’au cours de réunions,

• décider entre structure fonctionnelle et structure territoriale, • un responsable unique par affaire : unité d’interlocuteur, • principe de hiérarchie : c’est-à -dire pas de court-circuitage, • connaissance globale et responsable de l’ensemble de la VN pour chaque individu ”. Mais “ considérant le caractère difficile et incertain de l’entreprise (cf. situation politique) ”, les concepts habituels d’organisation ne peuvent être appliqués tels quels, il faut les “ adapter à la situation ”. Dès lors il est proposé de procéder en deux temps, “ de créer une structure provisoire dans un premier temps (durant 1 ou 2 ans, alors que le schéma directeur sera révisé et que des décisions enfin effectives seront prises) avant d’établir une structure à la taille d’une ville nouvelle de 400 000 habitants ”. Les deux structures sont présentées ainsi : ““ SSttrruuccttuurree pprroovv iissooiirree La situation politique actuelle, l’inexpérience de la plupart des membres de la mission, le plan de charge effectif des membres de la mission, mettent en évidence la nécessité et l’intérêt de concentrer l’effort sur un objet limité et qui a déjà démarré (situation donc irréversible, cf. acquisitions foncières) : le quartier de la Préfecture. On est conduit à préconiser une structure territoriale dont une cellule est hypertrophiée127 :

126 Note du responsable du service opérationnel en date du 17.6.68 AD 95, 1382W/174W40B. Nous reproduisons dans ces détails cette note car, outre son intérêt intrinsèque, la formalisation faite par l'auteur peut servir de "référence" pour l'analyse d'autres cas de figure (les mots soulignés le sont dans la note). Les schémas reprennent ceux de la note. 127 Le sens des abréviations est (en principe) le suivant : D. : Direction ; Q. de P. : quartier de la Préfecture ; B.L. Base de loisirs ; Z.I. : Zone industrielle. Les pourcentages correspondent probablement à la répartition des effectifs

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(administration, finance, foncier, juridique, études générales, planific.)

70% 10% 10% 5% SSttrruuccttuurree àà mmooyyeenn tteerrmmee On suppose maintenant que la ville nouvelle dans son ensemble peut être lancée avec des chances égales dans toutes ses parties. Une structure fonctionnelle paraît alors la meilleure solution. Ceci pour deux raisons principales : • il convient que la planification et la “commercialisation” de sections comme les emplois,

les commerces, les logements se fassent de façon cohérente et continue sur l’ensemble de la ville : il faut donc un responsable unique par fonction ;

• chaque chef de fonction a une vue globale de la ville et se sent responsable de son

ensemble. Il n’y a donc pas abandon de certains secteurs au profit d’autres (cette responsabilité fonctionnelle ne saurait être doublée par une responsabilité territoriale qui divise l’autorité et donc l’unité de vue et surtout l’efficacité) ”

politique d’ensemble

planification générale Emplois Logements Commerce Infra Architectes Transports Composition urbaine Circulation Engineering Construction

D.

Z.I. Éragny

État-major

Q. de P.

B. L.

D.

Départements opérationnels

État major

Adm. contrôle de l’État et avancement des projets Finance, juridique, études générales Equipements

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Cette “ philosophie opérationnelle ” - la transformation d’une organisation territoriale en une organisation fonctionnelle - semble avoir pris cette forme dans les grandes lignes. Si en 1968-69, l’organisation de la mission repose sur la division du territoire128, deux changements ont lieu après 1970 (création de l’EPA) stabilisant durablement l’organigramme : d’abord l’intégration de l’organisation territoriale dans une organisation fonctionnelle, ensuite un accroissement progressif de la part du personnel en charge des questions administratives, juridiques et financières. ° … mais qui reste informelle ou implicite, Si l’on en croit les stagiaires de l’ENA qui passent quelques semaines à l’EPA dans les années 70, Cergy est un “ modèle ” d’administration de mission. Le sens de ce type d’administration tient selon l’un d’eux à ce qu’elle a “ pour première fonction de penser ”129. Comparant cette expérience avec leur premier stage en Préfecture, ils ont souvent quelque mal à comprendre le fonctionnement de l’EPA. En même temps qu’ils découvrent, souvent avec enthousiasme, la pluridisciplinarité, le travail en commun et de nouvelles relations de travail et de hiérarchie, ils découvrent aussi, comme l’un d’entre eux en 1972, qu’il “ n’existe, intentionnellement, aucun organigramme officiel ”130. Dès lors, le nouveau venu a une “ curieuse impression de flou et d’imprécision ”. Et le contraste avec l’administration préfectorale quant aux liaisons hiérarchiques et à la circulation de l’information apparaît immédiatement. Le schéma du même stagiaire témoigne de cette découverte de la complexité organisationnelle : PRÉFECTURE ÉTABLISSEMENT PUBLIC Secrétaire général x Directeur général x Directeurs x x Chef de service x x Chefs de bureau x x Chef de bureau x x Agent x x Agent x x “ Dans le premier cas, lit-on en commentaire, les structures sont cloisonnées et aucune relation horizontale n’existe. Dans le second cas, il n’y a pas en principe de cloison, mais du fait de la multitude des liaisons, il peut y avoir des oublis et en définitive il n’existe aucune certitude que des liaisons verticales s’établissent effectivement. La cause du mal pourrait bien être le manque d’esprit administratif dont l’instauration, si elle était possible, est très redoutée à l’intérieur de l’établissement ”131. Même si ce manque d’esprit administratif a aussi ses avantages, ce stagiaire pronostique que cet état de choses va changer avec la croissance des effectifs et le développement des tâches de gestion. Selon lui, ces tendances conduiront à “ éliminer une grande partie des relations informelles et l’esprit d’équipe qui

128 Voir les comités de coordination (ou équipe de direction) depuis le 25.03.1968 AD 95, 1382W/174W40 et les assemblées générales du personnel depuis le 7.10.1968 ibid. 1086W/60W86D 129 Rapport de A. Deniel sur le stage effectué d’octobre à décembre 1972, p6. AD 95, 1072W/288W3C. 130 Ibid.p1 131 Ibid. p2.

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règne actuellement, à mieux définir les tâches de chacun. Cette évolution est vivement ressentie par le personnel pour qui le développement des tâches de gestion signifie l’instauration de la routine ”. D’autres expriment davantage de scepticisme : “ Un observateur sans information préalable suffisante pourrait avoir le sentiment de se trouver en face d’une entreprise ayant en elle-même sa finalité propre ”132. Cette impossibilité d’une organisation stable et formalisée étonne longtemps les regards administratifs extérieurs. En 1981, il est encore question de “ l’impossible organigramme ” : “ On est jamais parvenu à l’EPA à dresser un organigramme clair et précis, tant les recoupements sont fréquents et tant la construction est hétéroclite avec des structures tantôt verticales, tantôt horizontales, tantôt géographiques, une hiérarchie très floue, des services réduits à leur plus simple expression (deux ou trois personnes) alors que d’autres sont très nombreux. Cela ne fait nullement obstacle à l’efficacité du travail, mais au début cela déconcerte l’observateur. On finit cependant par en comprendre la raison. Depuis l’origine en effet, l’EPA a connu une évolution très marquée de ses activités ; à mesure que ses tâches croissaient en étendue et en complexité, ou que leur nature changeait, l’entreprise créait de nouveaux services et de nouveaux postes, modifiait les anciens, sans jamais opérer de réforme d’ensemble. D’où l’impression de bric-à -brac. Mais tout le monde s’y retrouve très bien, dans la mesure où le personnel, étant souvent en fonction depuis plusieurs années, a assisté et participé à cette évolution ”133. Ce « bric-à-brac » est couramment constaté dans les Missions et les EPA. Il faut attendre la fin des années 70 et surtout le début des années 80 pour voir des changements s’opérer, avec un objectif affiché de rentabilité, alignant les organigrammes sur un modèle assez semblable. Ces changements ne sont pas toujours effectués contre les vœux du personnel. En 1984, sur les Rives de l’Étang-de-Berre, la réorganisation de l’EPAREB doit venir répondre à « ceux qui souhaitent une définition plus précise de leurs responsabilités », notamment au sein du service études et programmation134. Évry : un déficit organisationnel ° Un fonctionnement de type “ cabinet ministériel ”… Selon le souvenir des agents ayant travaillé à Evry, la Mission est dès l’origine conforme à ce qui se passe dans les cabinets ministériels. C’est un mode de fonctionnement qu’a bien connu le directeur général de cette MEA, ancien conseiller technique au cabinet d’un Ministre de la Construction (Maziol) puis d’un Secrétaire d’État au Logement (Nungesser), en même temps qu’il assurait la direction de la Société d’économie mixte d’Etat Massy-Antony : “ La méthode de commandement était plus proche de celle d’un cabinet que de celle d’une entreprise. Il n’y avait pas de comité de direction. Notre directeur convoquait dans son bureau les collaborateurs de son choix, en fonction du sujet qu’il voulait traiter. Il savait nous mettre en compétition voire en opposition. Il était chaleureux et bon diplomate, donc on s’en accommodait ”135.

132 Rapport de A. Collot d’octobre 1973, ibid. 133 Rapport de stage de B. Ve rlon, janvier-février 1981 ibid. 134 L’organisation générale de l’EPA, 09.01.1984 (archives de l’EPAREB) 135 M.Mottez, Carnets de campagne Evry 1965-2007, Paris, L'Harmattan, 2003, p.28.

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Certes la mission d’Evry comme toutes les MEA n’est pas une administration “ classique ”. Mais elle se distingue aussi de la version mise en place à la MEA de Cergy-Pontoise. Cette différence découle peut-être du contexte local ou des directives du SDAU sur ces secteurs. Elle tient surtout aux profils et expériences des deux directeurs généraux et de leurs adjoints respectifs. À Evry, on a affaire en effet à deux inspecteurs généraux de la Construction et à la culture qui s’est développée dans cette administration depuis la Reconstruction. Elle est percevable dans le soutien appuyé et continu apporté aux architectes au sein de l’EPA, ce dont témoigne M. Mottez : “ Il respectait les urbanistes et les architectes. Il en avait rencontré, tout au long de sa carrière, un certain nombre pour lesquels il avait une grande estime. Probablement de tous les directeurs de villes nouvelles, il était le seul qui arrivait avec un a priori favorable par rapport à l’équipe d’architectes et d’urbanistes qu’il devait prendre en main ”136. D’autres agents soulignent sa « grande sensibilité à la vie urbaine »137. Cette culture de la Construction se perçoit dans les capacités d’écoute et l’art de la négociation avec les élus. Le Directeur général est vu par ses collaborateurs comme un “ radical-socialiste d’esprit”138. Dominée par les architectes et urbanistes en chef, cette administration de la Construction a été habituée aux rapports avec les élus locaux par le biais des SEM, pour répondre aux besoins massifs de logements, de la même façon qu’elle a dû apprendre auparavant à traiter la douloureuse question des dommages de guerre. Cette culture de l’échange avec les politiques a installé des rapports particulièrement étroits entre la MAE puis l’EPEVRY et les élus locaux. En témoigne le soin particulier que le Directeur général André Lalande apporte très tôt (en 1966) à la création du Syndicat intercommunal d’études et d’aménagement de la région d’Evry (SIARE) regroupant les quatre communes centrales ; Bondoufle, Ris-Orangis, Evry et Courcouronnes. Ce syndicat est présidé par M. Boscher qui donnera son nom à la loi sur la création des agglomérations nouvelles (1970). En 1968 devant l’assemblée des maires de la future ville nouvelle, le directeur de la MEA d’Evry présente l’organisation de la Mission. Les trois secteurs qu’il distingue sont ceux que l’on retrouve dans les autres Missions. Ce sont : • “ un atelier d’urbanisme composé d’une dizaine d’architectes urbanistes, de deux

géographes, d’un sociologue et de dessinateurs, • une division technique dont la mission essentielle est de préparer les avant-projets

techniques en liaison étroite avec les urbanistes et, bien entendu, avec la DDE, les services régionaux et nationaux,

• une division administrative composée de fonctionnaires en détachement en général du MELT et qui a pour but de poursuivre les opérations foncières en liaison avec l’AFTRP et de prévoir les cahiers des charges et les différents documents administratifs nécessaires à une opération de cette nature ”139.

136 J.-P. Laverrière, Et vinrent les bâtisseurs. Histoire de l’EPEVRY, 1991, non publié (AD91-1523W/1543). 137 Témoignage de André Darmagnac in A. Korganow, P. Mehan et C. Orillard, L’équipement socio-culturel en ville nouvelle. Les déclinaisons de la formule innovante de l’intégration, Paris, Ecole d’architecture de Paris -Malaquais, Laboratoire ACS, rapport intermédiaire, février 2004 (pour le Programme interministériel d’histoire et d’évaluation des villes nouvelles) 138 J.-P. Laverrière, Et vinrent les bâtisseurs. Histoire de l’EPEVRY, 1991, non publié (AD91-1523W/1543). 139 A. Lalande, séance du 24.06.1968 devant les maires (AD91-1523W/1543).

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Au-delà de son apparence assez simple, cette organisation va dans la pratique quotidienne subir certaines turbulences. Le fonctionnement général de l’EPA en sera affecté tout au long des années 70. °… présentant des carences durables En 1975 l’organisation de l’EPEVRY a peu évolué malgré la charge croissante de travail et l’augmentation du personnel. L’organisme fonctionne mal, au point qu’une enquête interne est menée et que sont mises à plat les « conditions de travail » dans les différents services140. Est principalement en cause le système mis en place par son directeur : un atelier d’urbanisme jeune et puissant, une administration générale traditionnelle et lourde, fonctionnant à l’image de l’ancienne SEM de Massy-Antony, une pratique de la décision centralisée, obscure et parfois désuète. Rappelons qu’au cours des années soixante et soixante et dix la part des agents issus du Ministère de la Construction représente 7% des cadres identifiés à Evry, contre 2% à Cergy et 3% sur les Rives de l’Etang de Berre141. Ils occupent plus spécialement des postes appelant une compétence juridique et réglementaire (« gestion foncière et réglementaire », « mise au points des règlements d’urbanisme », « gestions des plans », « contrôle des permis de construire, etc.) ou administrative (administration générale et financière, rapports avec les élus). À Evry, comme l’atteste le “ chrono ” des courriers, le Directeur répond lui-même aux demandes d’entrepreneurs mais aussi de professions libérales ou de simples commerçants qui souhaitent s’installer dans la ville nouvelle. De même, son adjoint, R. Baÿ traite directement avec les opérateurs immobiliers. Le Directeur et son adjoint apparaissent plus âgés et plus posés que le reste du personnel. Ils donnent de la ville nouvelle une image moins innovante que celle que l’on pourrait attendre. R. Baÿ dit “ Tonton ” pour les gens de l’EPEVRY … « était le voisin de quartier d’André Lalande avec lequel il formait une sorte de couple qui se voyait très souvent. […] Baÿ était son gardien, la personne qui passait son temps à lui éviter les bourdes qu’il pourrait faire. Chaque fois que nous avancions une idée, il lui disait : “ Cela ne va pas coller. Tu ne te rends pas compte … ”. Baÿ était donc son collaborateur direct qui le cadrait et qui lui évitait de se faire emmener trop loin en suivant son instinct naturel qui le portait à croire en ce que lui disaient la jeunesse, la fougue et la pression que Delouvrier nous insufflait… […] Il était donc en éternel conflit avec nous par rapport au combat que nous menions pour un renouvellement de l’urbanisme. Ainsi pour Evry I, … le jugement de ce concours a été, pour lui un chemin de croix et un calvaire épouvantable, car il sentait bien que ce projet était contre nature[…]. Comme autre partenaire de son dispositif, André Lalande a choisi Roger Delmotte, un fonctionnaire de base qu’il avait connu dans le nord et dont il appréciait la capacité de travail et le dynamisme : il lui confie les services financiers. Delmotte a monté son service d’une manière très administrative en choisissant des personnels très différents de nous et qui, donc, ne se sont guère sentis concernés par l’aventure ” 142.

140 Nous avons interrogé E.C. Boulakia, sur les raisons de cette campagne d’enquêtes sur l’organisation et les conditions de travail. Qui en était l’initiateur ? Dans quel contexte ? Pour quelles raisons ? Il n’en garde aucun souvenir. C’est une illustration des limites et parfois des vides de la mémoire orale. 141 Base de données des parcours professionnels des agents cadres des MEAVN et EPAVN 142 Selon M. Mottez in J.-P. Laverrière, Et vinrent les bâtisseurs. Histoire de l’EPEVRY, 1991, non publié (AD91-1523W/1543).

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En 1970, une lettre d’un architecte de l’atelier comme les notes adressées au Directeur par l’agent comptable en 1974 et signalent les défauts constants de l’organisation de la mission puis de l’établissement public. Le critique porte sur : • “ un cloisonnement entre les divers services avec des conséquences sur l’efficacité du

travail, • une absence d’un organisateur des études avec pour seule mission de planifier les études,

faire respecter les échéanciers et options afin d’éviter l’improvisation et le coup par coup, • une méthode de travail et d’approche des problèmes qui a vite trouvé sa limite devant la

complexité des problèmes pour laquelle elle n’était pas préparée ”143. En 1980, l’arrivée d’un ingénieur des Ponts et chaussées donnera lieu à une réorganisation générale de l’EPEVRY sans doute inédite dans l’histoire de l’établissement, après plusieurs années de dysfonctionnements et dont il restera des séquelles. En 1984, on relève encore « un fonctionnement administratif […] particulièrement déficient, où les circuits et les liaisons entre services n’ont jamais été organisés ”144. Ce type de difficultés se retrouve dans d’autres Missions et EPA. En 1970, suite à la demande d’une jeune diplômée de sciences politiques s’apprêtant à la rentrée 71, à être intégrée à la MAEB et souhaitant connaître « les tâches qui (lui) seraient réservées », le secrétaire général lui répond qu’« étant donné le caractère peu structuré de la Mission il est très difficile de (lui) fixer dès à présent un programme précis »145. Au milieu des années 70, Jean Werquin relève que “ les personnels des EPA réclament des organigrammes ” et qu’ils veulent connaître “ la définition précise des tâches de chaque poste ”. Il souligne en fait une caractéristique des Missions et des EPA, soit “ l’inadéquation chronique entre la qualification jugée à la fois trop précise et inexacte, les statuts du personnel et les tâches effectives des agents”146. De manière générale, administration de mission oblige, les organisations et les personnels ont eu du mal à se stabiliser. I – 2. Les années 70 : expansion et crise La décennie 70 est marquée par des évolutions qui paraissent contradictoires. D’un côté les prolongements de mai 68 et ses libertés se font sentir un certain temps. Il semble par exemple que la Mission de Cergy ait été fortement ébranlée par les débats de mai et que l’organisation du travail en ait été durablement modifiée. Ensuite les premiers effets sensibles de la crise économique sont perçus dès décembre 73. En 1968 il est question à Cergy de tout faire “ pour rendre la ville nouvelle irréversible dans les mois à venir ”, mais la crise économique de 73-74 installe un doute sur cette irréversibilité147. C’est vrai à Cergy qui vend des charges foncières au même prix que La Défense ; c’est vrai aussi autour de l’Étang de Berre où Fos connaît un coup d’arrêt immédiat148. Mais ces changements – voire ces ruptures – ne sont pas perçus de la même façon. De nos entretiens, il ressort que selon les profils professionnels, les positions dans les EPA et les sensibilités, cette crise n’a été ni datée ni vécue de manière

143 Lettre de M.L. du 7.06.1970, AD 91, 1522W/15 144 Note de J.M. du 28.08.1984, AD 91, 1522W/11 145 Lettre du 8 juillet 1970 de M. F. Gaston à Mlle J. Schroeder (archives du personnel de l’EPAREB) 146 J. Werquin, op.cit., p.25 147 Assemblée générale du personnel, 7.10.1968, AD 95 1086W/60W86D 148 Entretien avec J. –P. Loevenbruck pour Cergy et R. Varret pour l’Étang-de-Berre

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identique et les analyses en sont très diverses. De ce point de vue, la date de 1973 n’est pas aussi pertinente qu’on pourrait le croire dans la périodisation des pratiques des professionnels. La chronologie “ locale ” a des effets prégnants sur la vie quotidienne. Les agents y sont immédiatement sensibles. Dans cette chronologie, on trouve des évènements comme la création officielle des EPA, l'arrivée des autoroutes et du téléphone (en 1969 à Cergy), le début des premiers gros chantiers (en 1970 à Cergy), la mise en service des premières lignes de transports en commun, les grands concours (Evry, Cergy), l’arrêt brutal du projet d’aérotrain vers Cergy (1974) ou l’extinction du deuxième haut- fourneau de l’usine Solmer à Fos (1976). Il y a aussi de façon très générale, aussi bien en Ile de France que dans le Midi, les élections municipales de 1977. Dans les mémoires, ces élections marquent le début de la prise en main des villes nouvelles par les élus locaux. Les licenciements collectifs à l’EPAREB entre 1978 et 1979, l’annonce de la fermeture des EPA du Vaudreuil et de Lille-Est donnent lieu au début des années quatre-vingt à une série d’appels à la grève lancée par l’intersyndicale CGT-CFDT des EPAVN 149. Dans le même temps, cette décennie 70 est celle où tous les EPA sont entrés dans une phase dite opérationnelle. Il s’agit de construire et donc pour les organismes de se constituer en aménageurs et en maîtres d’ouvrage. C’est à ce moment-là, lorsque les Missions ne sont plus des Missions mais des Établissements publics, que les preuves doivent être données des vertus opérationnelles de l’administration de mission. I. – 2.1. La perception du retournement des années 70 En décembre 1973, pour le Directeur général de Cergy, il faut “ rester optimiste malgré les signes défavorables du moment ”150. L’Établissement doit “ continuer d’acquérir et d’aménager des terrains et être prêt à l’expansion et non à la récession ”. Dans un premier temps, la direction générale de l’EPAREB fait la même analyse de la situation. Puis on observe une série d’inflexions dans la perception du contexte. Jean-Claude Droin, Directeur général de l’EPAREB annonce en décembre 1973, lors de la discussion sur l’adoption du budget de 1975 au Conseil d’administration, « une augmentation des effectifs de plus de 20 unités ». Il pense alors « que les effectifs ainsi portés à 93 correspondent à la « vitesse de croisière » de l’EPAREB » et « envisage en 1976 l’ouverture de 5 ou 6 postes pour arriver au plafond des besoins » de l’EPA151. Un an plus tard, l’optimisme est encore de mise pour le Directeur général qui conclut que « sauf catastrophe économique, les chiffres des comptes d’aménagement sont fiables. En recettes, les négociations sont suffisamment avancées dans tous les secteurs pour que les chances de succès soient possibles à 90% »152. En 1975, il affirme dans le préambule à la présentation des prévisions pour 1976 qu’« il est apparu impensable, compte tenu de la masse des investissements déjà engagés et des nombreux atouts de la région que le développement industriel s’arrête brutalement ». En 1976, les mille logements encore vacants du fait de

149 Note de l’intersyndicale CGT-CFDT EPAREB, « EPAREB les licenciements continuent », mai 1979, Lettre du 31.01.1983 au DG de la section CFDT de l’EPAREB en vue d’un appel à la grève en solidarité avec le personnel de l’EPALE à la suite de l’appel de l’intersyndicale CGT/CFDT des EPAVN (archives de l’EPAREB) 150 Comité de coordination du 17.12.1973 AD 95, 1086W/60W86C 151 CA du 18.12.1973 de l’EPAREB (archives de l’EPAREB) 152 CA du 18.12.1974 de l’EPAREB (archives de l’EPAREB)

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l’arrêt de la deuxième tranche de l’usine SOLMER n’inquiètent toujours pas la direction générale : « M. Droin se montre assez optimiste à ce sujet. Si la reprise économique générale se confirme, les logements vacants constitueront une sorte de « parc de transit » ». Plus loin il estime que « le creux de la vague (est) passé en ce qui concerne les industries primaires installées sur la zone industrialo-portuaire de Fos (avec) la remise en marche du second haut-fourneau de l’usine SOLMER (qui) reste prévue pour le mois de septembre […] et un redémarrage (à l’Est) dans le secteur de la chimie»153. Il est vrai que les interventions du directeur général de l’EPA aux séances du CA visent à rassurer les élus des collectivités locales et territoriales tout comme les financeurs des différent s ministères. Un document de 1976 produit par l’EPAREB, cette fois « à usage interne »154, ne désespère pas de l’opération de Fos dont le développement est dans l’immédiat –VIIème Plan – seulement « ralentie, […] (mais dont) le caractère du processus […] sera très probablement cyclique »155. Cette nouvelle période est perçue comme la « pause » qui suit « la première phase de croissance », une « pause qui aurait probablement eu lieu quand même ». Il convient dès lors « de ne pas exagérer le pessimisme, autant que l’optimisme … dans la période précédente ». En fait « la crise ne fait qu’accentuer le caractère de « digestion » de la période actuelle ». Pour l’EPAREB, « le pari à prendre est de faire de cette période, une période de consolidation et de préparation des structures d’accueil pour faire face à la deuxième vague de développement de Fos dans des meilleures conditions que la première »156. Si les effets d’entraînement économique tels qu’ils sont quantifiés dans le Schéma directeur d’aménagement de Marseille de 1969 sont revus à la baisse, l’heure reste à l’attente d’une inflexion de la conjoncture. À son arrivée en 1979, le nouveau Directeur de l’EPAREB Lucien Gallas est surpris de la croyance encore forte chez les élus au « séisme de Fos »157. Dans les trois EPA étudiés, le changement de conjoncture ne s’est concrètement traduit que vers la fin des années 70. Il y a d’abord, recours « systématique à du personnel non budgété (intérimaire, vacataire, CDD) », ensuite arrêt du recrutement en 1977, et enfin amorce à l’EPAREB, la même année, d’une vague de départs158. Ces derniers sont dans un premier temps, volontaires puis, un an plus tard, prennent la forme d’un licenciement collectif pour motif économique de 23 agents159. En 1977, à Cergy, un licenciement pour cause économique touche un agent commercial. « Devant l’impossibilité d’atteindre les objectifs fixés (par le VIIème Plan) en matière de bureaux […] et dans une telle conjoncture, il apparaît que les perspectives qui avaient conduit au recrutement de M. (assistant d’études à la division emplois-logements chargé de la commercialisation des bureaux) n’existent plus »160. Le basculement du rapport entre entrées et sorties du personnel s’opère ainsi pour les trois EPA en 1978. Dans nos entretiens, la peur du chômage apparaît à partir de cette période. Le turn-over antérieur se trouve ainsi limité. On entre dans une période de repli et de fonctionnement en « vase clos » pour le personnel des EPA161.

153 CA du 30.06.1976 de l’EPAREB (archives de l’EPAREB) 154 EPAREB, L’aménagement de l’Ouest de l’Etang de Berre, Bilan-propositions, rapport intermédiaire, 1976, p.1 155 idem, p.5 156 idem, p.45 157 Entretien avec L. Gallas 158 Assemblée générale du comité d’établissement de l’EPEVRY du 24.11. 1981 (AD91-1523W/1788) 159 Livre des entrées et des sorties du personnel de l’EPAREB 160 Note de M. Bré concernant le licenciement pour cause économique de M., non daté, probablement 1977 (archives du personnel de l’EPAVNCP) 161 Note du 15.01.1976 d’E.C. Boulakia sur la synthèse des réflexions sur les “ conditions de travail ”, confidentiel (AD91-1523/787).

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Sur le moment, les contemporains ne sont pas pessimistes. Mais les visions du monde se déplacent. En 1975, au moment du lancement du projet d’Evry III, le programmateur de l’EPEVRY évoque de manière optimiste une “ période confuse de transition […] (où) toutes les possibilités doivent rester ouvertes, car on ne sait pas quelle tendance l’emportera ”162. Les “ difficultés du système économique ” sont perçues comme un des éléments supplémentaires du “ travail de sape interne effectué par la contestation […] face au modèle bourgeois ”163. Il y voit la possibilité d’un nouveau scénario pour l’urbanisme : “ Les problèmes de la construction et de l’urbanisme n’y seront plus dominés par le quantitatif, dans un contexte de crise du logement, de reconstruction, de recherche de la spécialisation et de l’industrialisation, de développement économique et démographique rapide, d’exode rural, comme ce fut le cas pour la première génération (de l’après-guerre). Le qualitatif devrait y prendre la première place, dans un contexte de stagnation économique, de chute de la natalité, d’intérêt pour l’agrément du cadre de vie et d’intolérance progressive à l’égard des conditions de vie et de travail épuisantes, desséchantes et froides, de défense de l’environnement et des milieux naturels ”164. Il semble en être différemment deux années plus tard. En 1976, “ la crise est ressentie ” par l’Atelier au moment de la construction de la Troisième pyramide d’Evry. Celle-ci ne correspond plus au schéma de départ du fait de la crise immobilière165. Les perspectives sont aussi peu réjouissantes pour le service Promotion-Emplois chargé de la commercialisation de terrains à des industriels 166. En 1979, un rapport d’enquête de l’Inspection des Finances dresse un tableau sombre de la situation de l’EPEVRY et du développement de la ville nouvelle : “ Au cours des trois dernières années, la vision que l’établissement avait de son avenir a été complètement bouleversée. La non-réalisation des prévisions à court terme a conduit à revoir en baisse les objectifs physiques tandis que la perspective d’un retour à l’équilibre pour 1988 a été définitivement abandonnée, l’activité devant désormais se poursuivre bien au-delà de cette date ”167. Ensuite, même dans la région Ile-de-France, tous les professionnels découvrent « l’intrusion » du politique. Avec le changement de majorité municipale à Evry et à Courcouronnes en 1977, porté par des associations locales s’affirme, deux à trois ans plus tard, une nouvelle volonté politique au sein de l’ÉPEVRY. L’Établissement voit alors son pouvoir se réduire et se politiser. Un nouveau Directeur général, ayant longtemps appartenu au PSU, est nommé. Il travaille notamment avec les associations locales avant d’être évincé au moment du changement de majorité aux élections législatives de 1986. Ce fut une nomination éminemment « politique » car le départ de M. Colot donnera lieu, si l’on en croit certains témoins, à “ une chasse aux sorcières après les élections ”168. Dès 1976, à Cergy, les premières expériences des architectes urbanistes sont « mises en cause » dans la nouvelle Charte du Syndicat communautaire. Celui-ci cherche à limiter le pouvoir de l’EPA et ouvrir des espaces de « négociation ». « La conséquence (de cet acte politique) fut la remise à zéro

162 A. Darmagnac, Objectifs de mode de vie et directives d’aménagement (pourquoi et construire une ville nouvelle) –Direction d’étude pour Evry III, document de travail, EPEVRY, Juillet 1975, p.20 (AD91-1523W/2223). 163 idem, p.23. 164 idem. 165 J.-P. Laverrière, Et vinrent les bâtisseurs. Histoire de l’EPEVRY, 1991, non publié (AD91-1523W/1543). 166 Ibid. 167 F.Jaclot, inspecteur des finances, rapport d’enquête sur l’EPEVRY (instruments de prévision et de contrôle), juin 1979, p.7 ( AD91-1523W/598). 168 J.-P. Laverrière, Et vinrent les bâtisseurs. Histoire de l’EPEVRY, 1991, non publié (AD91-1523W/1543).

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de toutes les études générales en cours. »169 Au remodelage du champ politique vont s’ajouter les conséquences de la réforme du logement (loi de 1977), notamment la « fragilisation » des populations accueillies dans le parc social des villes nouvelles170. 1.2.2 . L’EPAREB : le renversement de perspective La crise pétrolière est donc perçue diversement et affecte de plusieurs manières des EPA et leur territoire. Après 1976-77, c’est autour de l’Étang de Berre que les effets de rupture sont les plus importants et les plus manifestes. À cette date, on entreprend de « dresser un bilan critique de six ans d’aménagement à l’Ouest de l’étang de Berre pour dégager les lignes directrices de la poursuite de cette action »171. Le projet industriel qui constituait « la toile de fond »172 de l’action de la MAEB puis de l’EPAREB marque « une pause ». Les « effets d’activation économique » de Fos ont conduit « à une très forte individualisation de la zone Fos-Etang de Berre comme une région industrielle, aux activités peu diversifiées et au niveau de service bas »173. L’engagement de la deuxième tranche de l’usine Solmer est reporté de 1976 à 1979. Ce différé est considéré comme l’occasion « de sortir l’EPAREB de la sujétion que représentait l’urgence quantitative découlant des besoins à satisfaire»174. Jusque- là, l’action de l’EPA se traduisait par une entreprise périlleuse de « conciliation (ou réconciliation) de l’impératif industriel » avec « l’impératif résidentiel »175, où les « contraintes imposées par la distorsion entre l’aménagement industriel, propre à la zone industrialo-portuaire et l’aménagement résidentiel (urbain et régional), […] (donnaient lieu) parfois à la conduite hâtive de certaines opérations »176. La possibilité est offerte pour l’EPA de « passer d’une attitude d’accompagnement (du pétrole, de l’acier et pas d’idées) à une attitude beaucoup plus volontariste »177, par un repositionnement géographique mais aussi idéologique. Reprenant le discours des travaux de l’OREAM sur la « symbiose nécessaire» entre l’Est et l’Ouest de l’étang de Berre178, l’organisme appelle en 1976 à une « approche globale, réaliste et « désenclavée » de ce problème d’aménagement »179 visant « l’intégration de la ville nouvelle de Fos dans l’aire métropolitaine marseillaise »180. L’avenir n’est plus à l’Ouest et dans les 20 000 hectares de la deuxième et de la troisième tranche de la zone industrialo-portuaire mais à l’Est dans l’expansion de l’agglomération Marseillaise vers les rives de l’étang de Berre. Dès lors, « il appartient aux aménageurs (comme l’EPAREB) de […]

169 Ce fait est relaté dans M. Gaillard, Les conditions d’exercice de la maîtrise d’œuvre urbaine à Cergy Pontoise, EPA Cergy-Pontoise, janvier 1986, p29-37 170 Témoignages convergents provenant de divers entretiens en particulier de J.-C. Douvry, M. Gaillard et M. Lucas. 171 EPAREB, L’aménagement de l’Ouest de l’Etang de Berre, Bilan-propositions, rapport intermédiaire, 1976, p.2 172 idem, p.5 173 idem. 174 EPAREB, Pré-maquette, Bilans et propositions, non daté, vraisemblablement 1976 (Archives EPAREB), p.31 175 idem, p.3 176 idem p.1 177 idem, p.42 178 OREAM, Perspectives d’aménagement de l’aire métropolitaine marseillaise (livre blanc), janvier 1969, p.123 179 idem, p.51 180 EPAREB, Pré-maquette, Bilans et propositions, non daté, vraisemblablement 1976 (Archives EPAREB), p.9

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faciliter et accélérer les processus autrement très longs »181. L’organisation du développement de « l’aire métropolitaine marseillaise » telle qu’elle est définie dans les documents de préparation du VIème Plan « autour de deux pôles - l’agglomération marseillaise et la ZIP de Fos- et qui rendait nécessaire l’urbanisation des Rives de l’étang de Berre » n’est plus d’actualité182. En 1976, « le développement de Fos-Étang de Berre ne viendra pas par miracle de la ZIP et ne se produira pas sans un sérieux effort de la part de l’ensemble de l’aire métropolitaine marseillaise à la rencontre de Fos »183. La fonction d’aménagement du territoire de l’EPA ne se définit plus par rapport à un projet industriel qu’il doit accompagner mais par rapport aux grandes villes de l’Est : Marseille et plus tard Aix-en-Provence. Le Directeur général de l’EPAREB lors d’une séance du Conseil d’administration de l’EPA la même année, répond aux inquiétudes du maire d’Istres sur le « déséquilibre entre les zones Est et Ouest », et reconnaît que « la Zone Est est plus demandée ». Selon lui, « la priorité de fait dont a bénéficié le secteur, (vient du) développement par zones concentriques successives autour de Marseille ». Les communes comme Istres sont orphelines de la ZIP de Fos et présentées comme participant d’une « troisième couronne » marseillaise184. Concernant ce retournement vers l’Est, rappelons que le 14 février 1977, le préfet des Bouches-du-Rhône décide de regrouper la MIAFEB et le Groupe d’études et de programmation de la DDE dans une Mission interministérielle d’aménagement (MIDAM) « intégrée organiquement à la DDE » et intervenant désormais sur l’ensemble du département185. Son directeur, Roger Damiani, soulignait un an plus tôt dans une note sur l’évolution et le rôle de la MIAFEB : « la nécessité de renforcer les structures d’études à l’Est du département » en pensant au SDAU d’Aix186. Ce déplacement vers l’Est se double d’une réduction des crédits du ministère de l’Equipement affectés aux études. Cette baisse est amorcée dès 1973 pour la MIAFEB qui voit ses moyens financiers fondre de 40% entre 1973 et 1976187. En fait, le phénomène est général entre 1975 et 1978, comme a pu l’observer le futur Directeur général de l’EPAREB, Lucien Gallas qui est alors à la tête de l’agence d’urbanisme de Marseille188. Une note en 1976 de la DDE évoque la réintégration de la MIAFEB au sein de la DDE avec l’argument suivant : « Les charges de la MIAFEB vont décroissantes sur le secteur Ouest […] où les missions d’études qu’elle assure paraissent maintenant quelque peu ésotériques »189. Renoncer à l’ouest, c’est renoncer au quantitatif, à ces « chiffres aux grandeurs irréalistes du SDAMM » de 1969190. Le point de vue est assez proche de celui de Darmagnac au même moment à Evry : les actions qualitatives doivent prendre acte des nouvelles populations concernées. À l’EPAREB, la « rurbanisation » » est présentée comme « un phénomène structurel avec lequel il faut compter, qui correspond à la fin de la « crise du logement » et aux nouvelles exigences en matière d’appropriation de l’espace du logement et dont les

181 idem, p.5 182 VIe Plan, Programme finalisé des VN, sous-programme de la région PACA, décembre 1971 (archives EPAREB) 183 EPAREB, L’aménagement de l’Ouest de l’Etang de Berre, Bilan-propositions, rapport intermédiaire, 1976, p.17 184 CA du 30.06.1976 de l’EPAREB 185 La MIDAM à la demande du préfet disparaît effectivement en 1984 par intégration aux services de la DDE. 186 Roger Damiani, Note à l’attention de Monsieur Jean Sriber, directeur du cabinet de Monsieur le Ministre de l’Equipement, 2 avril 1976 (archives de l’EPAREB) 187 Réflexion sur les organismes d’études et d’aménagement des Bouches -du-Rhône, 16.1.1976, (archives DDE 13) 188 Entretien avec L. Gallas 189 DDE des Bouches du Rhône, Note sur la MIAFEB, Marseille, le 2 mars 1976 (archives DDE 13) 190 EPAREB, L’aménagement de l’Ouest de l’Etang de Berre, Bilan-propositions , rapport intermédiaire, 1976, p.5

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conséquences urbaines peuvent être tempérées »191. Il s’agit à présent « de tenir compte des désirs qualitatifs des demandeurs », en matière de logements192, en « développant (notamment) des programmes de logements individuels », de promouvoir la « réhabilitation du patrimoine ancien », d’améliorer aussi « la connaissance du marché du logement », ou, en matière d’équipements, de donner la priorité de la « gestion » sur « l’investissement ». Ces nouvelles orientations «impliquent de nouvelles relations, une mentalité nouvelle présidant aux contacts entre le SCA et l’EPAREB »193. La conclusion du bilan appelle donc à une « mutation qui transformerait l’EPA de l’état d’« aménageur bétonneur » à celui d’« aménageur gestionnaire »194, gagnant la confiance des collectivités encore sous le choc de la violence de ce qui fait figure d’« opération coloniale » inaboutie 195. Moins constructeurs et davantage gestionnaires, les EPA entrent ainsi dans une nouvelle ère de leur histoire. I. – 2. 3. Des effectifs fluctuants qui sont source d'instabilité En début de période, on a constaté pour tous les organismes un turn over du personnel important. À Cergy-Pontoise, les effets sont d'ordre quantitatif (de 1968 à 1971, 1/3 du personnel est plus ou moins "en partance", de 1969 à 1970 on compte 23 arrivées mais 15 départs) et qualitatif, du fait du départ des premiers "piliers" de la mission, ayant des tâches de conception, d’assistance technique ou d’interface entre plusieurs “ cellules ”. Si les arrivées apportent des perturbations, les départs mettent en péril la mémoire du travail parfois son organisation. Ainsi les liens entre cellules – qu'elles soient territoriales ou fonctionnelles – sont-ils souvent à recomposer. Ces transformations mettent en relief des positions singulières, comme celle d’un assistant d’études en 1969, qui est à la fois dans la cellule économie pour travailler sur le commerce et dans le service opérationnel sur le quartier de la Préfecture à Cergy-Pontoise. Pour la fin de l’année 70, on dispose concernant Cergy, de la répartition des personnels selon les catégories (de I à IV) les âges et les origines196. L’EPA compte alors 52 personnes, dont 14 femmes relevant des catégories les plus basses, I et II. L’âge moyen du personnel est de 35 ans. Les quatre personnes détachées sont classées en IIIème et IVème catégories, tandis que les 25 personnes ayant un contrat IAURP et les 14 personnes relevant de l’AFTRP se répartissent de la Ière à la IVème catégories. En cette fin 70, tous les postes relevant de ces deux organismes ne sont pas pourvus : en octobre 1968, la mission avait 46 postes relevant des deux organismes AFTRP et IAURP dont “ 35 occupés ou en instance de l’être ” et allait en obtenir 54 pour la fin 1969197. Catégories Nombre de

personnes Dont Femmes

Age moyen

IAURP AFTRP Détachement

Autres (extérie.)

191 Ibid. p.30 192 EPAREB, Pré-maquette, Bilans et propositions, non daté, vraisemblablement 1976 (Archives EPAREB), p.25 193 Idem, p.45 194 Idem p.41 195 Ibid.p.8 196 Tableau d’avancement au 1.01.1971, AD 95 1315W/67W71 (le Directeur général ne figure pas dans ce tableau, ce qui fait une personne détachée de plus) 197 Assemblée générale du personnel, 7.10.1968, AD 95, 1086W/60W86D

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IV 2ème niveau IV 1er niv. III 2ème niv. III 1er niv. II 2ème niv. II 1er niv. I 2ème niv. I 1er niv.

1 10 6 11 7 9 5 2

2 2 6 3 1

(41 ans) 38 37 37 31 33 25 31

5 4 7 4 4 1

4 2 2 3 2 1

1 1 1

3 1 2 2 1

On note quelques décalages temporels prévisibles entre la politique de recrutement et la situation économique générale. Si l’on s’en tient au tableau des entrées et des sorties de l’EPEVRY198, c’est en 1973 que l’on atteint à la fois un pic en matière de recrutement avec 16 nouveaux agents et une première année de relatifs grands départs (6) aussitôt équilibré en 1974 (6 entrées). Mais les effets de la crise ne sont pas immédiatement perceptibles dans la deuxième moitié des années 70. Les effectifs croissent de 8 nouveaux cadres de 1974 à 1978, départs compris (soit un accroissement de 20,5% par rapport à l’effectif total des cadres de l’année 1973). Le rapport de Jean Werquin sur le personnel des villes nouvelles a été effectué pour le SGGCVN à partir d’une large consultation des agents et des directeurs généraux des missions et EP et suite aux demandes réitérées des EPA de pouvoir augmenter leurs effectifs. L'auteur du rapport note en 1974 : “ Les EPAVN n’ont pas atteint leurs effectifs “ de croisière ”199. Même pour ceux qui les ont atteints, le nombre annuel de mouvements – entrées et départs –reste important. Il en résulte que les EP recrutent de manière fréquente”. Il justifie d’autre part le turn-over du personnel, au “ nom du dynamisme et de l’esprit créateur […]. Sauf dans certaines fonctions de gestion, ils (les agents des villes nouvelles) ne sont pas destinés à “ faire carrière ” ” 200. Pour expliquer le nombre qui demeure élevé de départs, le même auteur invoque le fait que les agents arrivent trop vite au sommet de l’échelle indiciaire. Selon des agents interrogés, ce fait constitue effectivement un des motifs de départs dans la première moitié des années quatre-vingt201. Dès 1971, la part des personnels relevant de l’AFTRP s’accroît. Dans les budgets de fonctionnement des EPA en Région parisienne, l’augmentation des dépenses de l’AFTRP provient de “ l’accroissement du personnel à compétence administrative, technique et financière nécessaire pour faire face aux tâches résultant du caractère de plus en plus opérationnel des missions et de leurs relations accrues avec les collectivités locales, maîtres d’ouvrage et avec les constructeurs (entrée en vigueur de la loi Boscher) ”202. En 1973, à la suite de l’intervention du ministère des Finances auprès du ministère de l’Équipement (23 mars 1973), les EPA recherchent activement des compétences administratives et financières et comptent sur la mobilité pour les obtenir et pouvoir mettre en place “ la politique financière d’ensemble pour les villes nouvelles ”203. Le développement de cette part du personnel des

198 Cf. Volume d’annexes 199 Cette formule désigne, semble-t-il, l’effectif budgétaire autorisé. Il est par exemple de 100 à Cergy en 1972. 200 Jean Werquin, op.cit., p.3 201 Entretiens avec J.-P. Loevenbruck, C. Guary,etc. 202 Note du 14 février 1972 du préfet de la Région parisienne (Doublet) à la DAFU (MEL) concernant les budgets des villes nouvelles AD 91 1522W/1 203 Lettre du 23 mars 1973 du ministère des Finances, Lettre du président du GCVN du 13 avril 1973, ibid.

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EPA vient donc à la fois de l'entrée dans la mise en oeuvre effective des projets, du contrôle plus serré de l’action et de la recherche d’une harmonisation entre villes nouvelles. I. – 2.4. Quelques autres indices de la crise de “ croissance ” des EPA Entre 1965 et 69-70, l’incertitude qui plane sur le devenir des missions et la lenteur des décisions quant au statut des personnels204 provoquent quelques spéculations chez les nouvelles recrues (en termes d’horizon de carrières, de revendications des corps). Cette instabilité est percevable notamment chez les architectes qui multiplient les requêtes ou les plaintes et qui manifestent ainsi leurs besoins de reconnaissance. Les archives les concernant sont plus riches que pour d'autres agents du personnel, ce qui donne peut-être une image déformée de leur place effective dans les missions et les EPA, et peut être plus largement dans l’histoire de l’urbanisme au cours de cette deuxième moitié du XXème siècle. Les tensions internes aux missions devenues établissements publics peuvent pour partie être mises sur le compte du contexte d’ébullition de cette période et sur celui de ces incertitudes. En Région parisienne, un autre facteur joue : les écarts de statuts et de rémunérations entre les agents IAURP et AFTRP. De là les grèves qui émaillent le début des années 70205. Ainsi au cours de l'automne 1970, 21 personnes sont en grève sur un total de 46 personnes à Cergy – le personnel comprend 9 stagiaires et 4 personnes de la direction - : le conflit porte alors sur le problème des contrats à durée déterminée, la “ politique d’embauche et de licenciement ”, la “ formation et l’information" ou sur le fait que "les réunions le jeudi à 18h sont anormales". Les grèves d'octobre 1971, et surtout de juin 1973, sont lancées par solidarité avec le personnel de l’EPA de Melun-Senart où la “ direction a joué sur la différence de statut IAURP et AFTRP… ”206. Cette différence de statuts au sein du personnel a des effets sur l’organisation et les pratiques professionnelles. Ces tensions sont aussi le produit des fluctuations et de la croissance des effectifs tout comme le produit des problèmes d'organisation qui ne facilitent pas le travail quotidien. En 1972, le directeur du service développement économique de l’EPEVRY évoque dans une note destinée au Directeur général concernant le recrutement d’un nouvel agent les “ difficultés objectives de l’entreprise face à la crise de croissance (non encore surmontée) qui est depuis 2 ans le fait de l’EPEVRY ” 207 Dans son rapport sur le personnel, Jean Werquin est inquiet de l’avancement trop rapide des professionnels des villes nouvelles. Il propose de réformer le système en vigueur de manière restrictive afin d’éviter le départ des professionnels arrivés trop vite au sommet de l’échelle. “ La principale difficulté, et de très loin, réside dans les salaires (moins par le niveau que par la crainte d’un plafonnement très rapide, eu égard au rythme de l’avancement et à la jeunesse moyenne des agents) et les perspectives de carrière.[…]. Le rapport propose de définir des “ filières professionnelles ” par nature de fonctions, et des niveaux dont le franchissement serait assorti de conditions strictes, chaque niveau étant doté d’un indice plancher et d’un

204 La question du statut du personnel n’est pas réglée lorsque s’installe le premier Conseil d'administration à Cergy, le 23 octobre 1969, Comité de coordination du 15.4.1969 AD 95, 1086W/60W86C 205 Comité de coordination du 19.11.1970 AD 95, 1382W/174W40 206 Comité de coordination du 25.10.1971 et assemblée générale du personnel du 15.06.1973, AD 95, 1086W60W86C 207 Note du 8.02.1972 de C.B. AD 91, 1522W/37

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indice plafond. Le salaire brut serait exclusif de toutes primes à taux fixe, les avancements seraient discrétionnaires et leur rythme actuel ralenti. En compensation, une prime automatique d’ancienneté majorerait périodiquement le salaire, au moins dans les filières où on attacherait du prix à l’expérience et à l’ancienneté”. La proposition de J. Werquin enregistre les changements qui ont affecté la vision du travail en ville nouvelle et le travail lui-même. L’expérience professionnelle est reconnue, une prime d’ancienneté est instaurée, au moment où les EPA entrent dans une phase active de construction opérationnelle. On peut noter que la direction de l’EPEVRY recrute au début des années 80 des agents plus âgés, forts d’une longue expérience dans leur spécialité (pour la conception des espaces publics par exemple). Ce changement souhaité en 1974 est un indice de l'entrée des villes nouvelles dans une nouvelle période de leur histoire. En 1970, Gérard Planchenault, architecte-urbaniste d’Evry souhaitant rejoindre la MAEB, se voit contraint de différer son départ d’une année du fait de l’entrée du jeune EPA en phase opérationnelle. Il s’étonne dans un courrier au directeur de la MAEB du changement d’attitude du Directeur général André Lalande qui manifestait jusqu’ici « son désir de voir l’équipe se renouveler périodiquement »208. Après la phase d’études et de choix de conceptions urbanistiques où la mobilité du personnel et le flou organisationnel étaient censés stimuler les équipes, vient la phase de mise en œuvre qui appelle une organisation de production et une stabilisation des dispositifs. Ce sont les gages de l’efficacité. Cet état de crise de croissance qui persiste jusqu’en 1978 à Evry se manifeste dans le plan de charge des agents et la politique de recrutement des établissements. Plusieurs facteurs ont joué dans le travail quotidien et la constitution des expériences : diversité d’origines des membres du personnel, distinction formelle entre des âges et des corps de métiers ayant des incidences sur les salaires, incertitude de l'avenir et des statuts, taux élevé d'arrivées et de départs, sans parler du contexte politique et économique ou des conditions matérielles difficiles au début (locaux provisoires, difficultés de communication, etc.) En ce sens, les EPA ont été des laboratoires sociaux. I.- 2.5 La crise d’Evry : un révélateur des conditions de travail La consultation de l’ensemble des services sur les conditions de travail des agents de l’EPEVRY se déroule entre 1975 et 1976. Si elle révèle l’ampleur de la crise dans cet EPA et sa principale cause, le recrutement massif de personnel après 1974 qui conduit au doublement des effectifs, elle donne en même temps à voir les formes concrètes dans lesquelles les agents travaillent et la difficulté qu’il y a, au-delà du cas de cet EPA à trouver les relais entre des fonctions, notamment entre les activités d’études et les activités de production de la ville. C’est peut-être le lot des administrations de mission. À l’EPEVRY, le cloisonnement des services, la rétention d’information, le défaut de stratégie et plus largement d’organisation et de méthode sont tour à tour dénoncés dans les comptes-rendus et notes issus des différentes directions. Les difficultés viennent d’un déficit organisationnel ancien et dont témoigne, en 1975, la tardive “ ébauche d’(un) organigramme ”209. Face à la croissance des effectifs, “ la solution trouvée pour structurer le

208 Lettre du 22.02.1970 de G. Planchenault à J. Girardet. (archives du personnel de l’EPAREB) 209 Note de synthèse sur les conditions de travail du service financier et foncier du 05 et 12.12.1975, p.3 (AD91-1523W/787).

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nouvel ensemble passait par l’affirmation d’une hiérarchie, qui jusqu’alors, avait été masquée par un réel travail de groupe. […] Aucune étude n’a été faite pour structurer l’EP. Une hiérarchie a été plaquée sur l’ancien système beaucoup plus libre, et personne n’a voulu vraiment l’assumer : les nouveaux chefs de service, pas plus que l’équipe qu’ils sont censés diriger”210. La centralisation du pouvoir au sein de la direction générale et une pratique obscure de la décision freinent l’esprit d’initiative des services : “ Il n’existe pas de délégation, donc pas de vraie responsable : de ce point de vue, le cas du courrier est très révélateur. Tout est vu par la direction générale puis passe par le chef de service. Entre la date d’arrivée à l’EP et le moment où les lettres arrivent chez les personnes qui suivent une affaire, il se passe parfois des délais surprenants. Dans certains cas même, le courrier n’arrive jamais. De plus, même lorsqu’une personne assume le suivi d’un dossier ce n’est pas elle qui reçoit les informations concernant son travail, mais son chef de service qui, parfois, par faute de temps, ne retransmet pas les éléments. […] Toute décision importante doit passer par la direction générale, mais il est parfois impossible d’obtenir à temps l’entrevue d’une minute ou la décision dont l’urgence s’impose, bloquant ainsi tout travail. D’autre part, il est parfois difficile de connaître les motifs qui ont fait préférer telle solution ou ont amené un refus ”211. Le service technique s’inquiète quant à lui du cheminement de la décision “ lourde, inopérante et parcellisante ”, engendrant “ une limitation assez précise des responsabilités de chacun” et une “ déqualification dans le travail ”212. On découvre ainsi que, contre toute attente, l’EPA souffre des maux attachés aux administrations classiques, tels que le “ phénomène bureaucratique ” les a repérés. C’est-à-dire : • des services isolés: une organisation verticale et l’absence de “ structure de concertation

horizontale ” entraînent un cloisonnement entre les services, “ chacun conserv(ant) jalousement les parcelles de savoir qu’il détient ”. Le service foncier et financier se plaint en 1975 de “ l’absence de concertation et d’information dans l’étude d’un projet et le montage des opérations par l’Atelier et le service technique ”213. Au sein d’un même service, comme le service “ promotion-emplois ”, ce phénomène d’autonomisation se produit entre les différentes cellules entraînant des comportements de mauvais gré entre la cellule commerciale “ promotion ” vis-à-vis de la cellule “ emplois ”214. Une note de 1976 d’E.C. Boulakia dénonce “ l’absence de communication inter-services ”. Le problème de l’information “ demeure le scandale et le problème numéro 1 de la maison ”. Il fait la “ proposition de réunions de chefs de services qui ne seraient pas un long monologue du Directeur général entrecoupé des réponses apportées à ses questions. Ces réunions seraient des “ CARREFOURS ” destinés à :1/l’information inter-services par des communications brèves sur les aspects dominants des problèmes et des difficultés du “ mois ” pour chacun des services, 2/la confrontation des objectifs et des réalités ”215 ;

• une absence de traitement rationnel de l’information qui n’est pas propre à cette structure : Michel Mottez, chef de l’Atelier se plaint en 1976 de l’absence de “ fonds de plan à jour ”

210 Ibid p.1-3. 211 Ibid. p3. 212 Note du groupe “ ingénieurs et assimilés ” sur les conditions de travail, 12.02.1976, p.1-2 (AD91-1523W/787). 213 Note de synthèse sur les conditions de travail du service financier et foncier du 05 et 12.12.1975 (AD91-1523W/787). 214 Note du 15.01.1976 d’E.C. Boulakia sur la synthèse des réflexions sur les “ conditions de travail ”, confidentiel (AD91-1523/787). 215 Ibid.

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au sein du service technique contraignant les dessinateurs de l’Atelier à passer “ trois-quarts de leur temps à glaner les renseignements ”216 ;

• une perte de contrôle du fait de l’absence de pilotage et de vision stratégique : “ Il n’est pas possible, actuellement, de tenir un planning de travail, qui permette à la fois une meilleure réflexion globale, une coordination de divers éléments complémentaires ; en bref, il n’est pas possible de maîtriser son propre travail ”217. Les agents du même atelier se plaignent en 1975 de l’absence de pilotage sous la forme d’un planning imposé donnant lieu à une “ succession de tâches décousues qui empêchent certains agents de prendre la moindre initiative ”218.

Cette crise qui a deux causes principales (défaut de management et croissance des effectifs) a lieu à un moment important pour l’établissement (lancement du concours d’Evry I). En dépit de cette activité de production urbaine, l’esprit de mission semble s’être essoufflé. C’est que confie E.C. Boulakia en 1976219 : “ J’avoue, à ma honte, avoir un peu découvert à cette occasion qu’une majorité de membres du service Promotion-Emplois partageait ma lassitude, mon désespoir (sinon mon angoisse) face à la situation ”. Il constate concernant la cellule promotion un “ retard dans la mise en pratique de l’idée de commandos commerciaux ” chargés de relancer le dynamisme du service. Il souhaite retrouver l’esprit initial de la mission et propose des réunions mensuelles de chefs de services : “ A l’issue de ces réunions (qui devraient pouvoir durer trois heures), chaque chef de service pourra “ réinjecter ” les informations, associer le personnel aux préoccupations, “ dynamiser ” ses collaborateurs par le “ sentiment d’appartenance ” à un destin commun : celui de l’aventure passionnante de la VILLE NOUVELLE, au-delà de son bout de tuyau, de son bout d’espace vert, de ses “ contacts ” si souvent infructueux ! Plus que jamais, la maison a besoin d’échapper à la routine, à l’encrassement, à la morosité. Je voudrais tellement que ce soit POSSIBLE ”. Le même bilan est dressé d’une “ organisation hiérarchique et peu communicante”, par un représentant du Comité d’entreprise, lors de la présentation d’un projet de réorganisation et de “ décloisonnement ” de l’EPEVRY, dix ans plus tard, 220. Une des lignes directrices de l’action d’Yves Boucly, troisième Directeur général, est, à son arrivée en 1987, “ l’ouverture ” : “ L’EPEVRY m’est apparu comme une collectivité, ou plutôt une collection d’individualités, trop repliée sur elle-même, autosuffisante, peu perméable aux influences extérieures ou aux apports nouveaux »221

216 M.Mottez, Observations concernant les conditions de travail de l’atelier ayant rapport avec le service technique, 20.01.1976 (AD91-1523W/787). 217 Note de synthèse sur les conditions de travail du service financier et foncier du 05 et 12.12.1975, p.6 (AD91-1523W/787). 218 Synthèse des réponses des agents de l’atelier au questionnaire “ organisation du travail ”, décembre 1975 (AD91-1523W/787). 219 Note du 15.01.1976 d’E.C. Boulakia sur la synthèse des réflexions sur les “ conditions de travail ”, confidentiel (AD91-1523/787) 220 Perperot dans le compte rendu de la réunion du comité d’entreprise du 27 juin 1986, (AD91-1523W/1795). 221 Entretien avec Yves Boucly in J.-P. Laverrière, Et vinrent les bâtisseurs. Histoire de l’EPEVRY, 1991, non publié (AD91-1523W/1543).

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I.- 2.6 La réorganisation « économique » de l’EPAREB L’EPAREB se transforme selon d’autres modalités et d’autres rythmes que les EPAVN de la région parisienne. Passé plus tardivement à la phase opérationnelle, l’EPA se réorganise en revanche plus tôt. Et les transformations de 1979 sont réactualisées en 1982 et 1984, avant celles que connaît Evry par exemple, notamment en matière de développement des études. Par rapport aux expériences organisationnelles d’Evry ou de Cergy-Pontoise, l’EPAREB est aussi original. L’organisation y est à la fois géographique et fonctionnelle. Cela tient à des motifs d’ordre économique (pénurie de personnel) et politique (revendications des collectivités locales en matière d’urbanisme) mais cela tient aussi aux cultures professionnelles présentes. En 1979, Lucien Gallas, ingénieur des Ponts et Chaussées prend la direction de l’EPA après deux années noires et 23 licenciements économiques. L’organisme a perdu près du tiers de ses effectifs et avec eux ses principaux cadres. En moins d’un an, de nouveaux schémas généraux urbains sont élaborés pour chaque secteur notamment pour Vitrolles où « la ville partait dans tous les sens »222. Chaque schéma se présente comme un « plan physico-financier mais sans la dimension chiffrée des opérations ». Il donne lieu à une délibération municipale et une convention pluri-annuelle lui est jointe223. Par ailleurs, une nouvelle organisation est mise en place pour répondre à la pénurie de personnel : le directeur est dans l’impossibilité d’embaucher en raison de la situation financière de l’EPA224. Le choix d’une structure territoriale, justifiée en 1970 par l’étendue du périmètre de la MAEB et la division politique entre les communes entre l’Ouest et l’Est, est remis à l’ordre du jour. Dans une note manuscrite de 1979, le Directeur présente les raisons qui ont présidé à l’élaboration d’une « structure mixte » à la fois « fonctionnelle pour la conception, la commercialisation, les finances et la comptabilité et le foncier » et « territoriale pour la réalisation », et « plus ou moins croisée » entre concepteurs et réalisateurs. Cette structure prend la forme d’une matrice à double entrée225. Équipes géographiques Services fonctionnels

Secteur de Miramas Secteur de Fos Secteur d’Istres Secteur de Vitrolles

Comité de direction (DG, conseiller technique et CO)

Coordination des CO*

Coordination des CO

Coordination des CO

Coordination des CO

Service des études et de la programmation

Équipes pluridisciplinaires

Équipes pluridisciplinaires

Équipes pluridisciplinaires

Équipes pluridisciplinaires

Service financier et foncier

CO/assistance financière

CO/assistance financière

CO/assistance financière

CO/assistance financière

Service commercial CO/CA** CO/CA CO/CA CO/CA * CO : chargé d’opérations ** CA : chargé d’affaires

222 Entretien avec L. Gallas 223 Ibid. 224 Ibid. 225 Objectifs et fonctionnement 1979, in annexes II (réunion du 07.11.1983), organigramme au 1er mars 1984. (archives de l’EPAREB)

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Le premier objectif est de « travailler au plus près des collectivités locales ». Les chargés d’opérations (CO) ont pour fonction de « « personnaliser » et renforcer la notion d’unité d’aménagement. […] Les CO sont déchargés de la fonction « étude » pour être disponibles en temps réel »226. Outre l’établissement et le contrôle des bilans des différentes unités d’aménagement sur un même périmètre, la coordination de l’intervention de tous les autres intervenants de l’EP (chargés d’études, architectes-urbanistes, paysagistes, du service études et programmation, chargé d’affaires du service commercial, etc.) et des bureaux d’études privés en charge notamment des études de VRD, il assure la relation avec les services techniques des villes227. Désormais « les communes ont un interlocuteur qui est toujours le même »228. À toutes les étapes du processus, l’EPA gagne ainsi en « lisibilité » vis-à-vis de l’extérieur, lisibilité qui faisait défaut en 1979 : « Ce que j’ai entendu dire c’est qu’à l’EPAREB, on sait jamais trop qui est responsable de quoi »229. Le rôle de référent joué par les chargés d’opérations répond par ailleurs à la montée des revendications des collectivités locales quant à leurs prérogatives en matière d’urbanisme : « Les collectivités poussaient à la roue pour les lois de décentralisation »230. Le chargé d’opérations vient ainsi incarner pour les élus et les agents des services municipaux la fonction d’aménageur. Le deuxième objectif fixé par le Directeur est d’« assurer l’achèvement des opérations de l’EP » par un « développement de la politique de qualité ». Cela passe par la présence des chargés d’opérations sur certains projets, le « suivi de la réalisation par l’ « urbaniste » », le « renforcement du contrôle de gestion »231. Enfin le troisième objectif est de « préparer le renouvellement des missions », notamment à travers « l’assistance aux collectivités locales » permettant de « relancer la fonction études ». Restructurée en 1979, cette fonction se retrouve au sein d’un « service études et programmation » entre « les études d’urbanisme et de planification, la programmation physique des équipements, les dossiers création/ réalisation, les études sectorielles et l’assistance aux collectivités locales »232. Cinq ans plus tard, l’organigramme est réactualisé pour que, « à travers les structures fonctionnelles », puissent «se développer des réflexions à caractère stratégique dans un système de référence élargi »233. Mais à cette époque, les attentes en matière de diversification des actions de l’EPA restent relatives. Elles portent essentiellement sur le recyclage du personnel, dans des interventions hors du périmètre de la ville nouvelle. Cet élargissement géographique est censé permettre à l’EPA de survivre sans rien sacrifier de sa mission initiale. « Les ouvertures vers l’exportation et l’assistance aux petites communes de la région PACA ainsi que certaines interventions extérieures ponctuelles, constituent un encouragement à poursuivre. Mais il est aujourd’hui bien établi que c’est l’action d’aménagement et d’équipement sur le périmètre de l’EPAREB et les communes les plus proches qui est seule susceptible d’assurer l’équilibre financier de l’EP, objectif vital à rappeler »234. Car un autre élément a présidé à cette réorganisation, qui ne figure pas dans la note manuscrite du Directeur : la situation financière difficile dans laquelle se trouve l’EPA à la fin des années soixante et dix. La réduction des grands services fonctionnels répond à un souci

226 Note manuscrite du 14.05.1979 de Lucien Gallas sur l’organigramme de l’EPAREB (archives de l’EPAREB) 227 Entretien avec L. Gallas 228 Note manuscrite du 14.05.1979 de Lucien Gallas sur l’organigramme de l’EPAREB (archives de l’EPAREB) 229 Entretien avec L. Gallas 230 Ibid. 231 Note manuscrite du 14.05.1979 de Lucien Gallas sur l’organigramme de l’EPAREB (archives de l’EPAREB) 232 Objectifs et fonctionnement 1979, in annexes II (réunion du 07.11.1983), organigramme au 1er mars 1984. (archives de l’EPAREB) 233 Organisation de l’établissement, 21.03.1984 (archives de l’EPAREB) 234 Ibid.

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économique, et la question est posée au sein de l’administration centrale de les maintenir ou non235. Le service technique qui est vu comme un « luxe » que ne pourrait plus se permettre l’EPA est dissout et l’on fait appel à des bureaux d’études privés pour les études techniques de VRD et de détails. Le recours à la sous-traitance pour la préparation des marchés de travaux puis la maîtrise d’œuvre apparaît à long terme comme plus économique, car il permet « d’adapter les moyens au rythme » dans une conjoncture qui reste difficile236. Le directeur des services techniques est remplacé par un conseiller technique qui est présenté comme un « super-chargé d’opérations »237 ayant « rang de chef de service »238, à la fois assistant le Directeur général dans le pilotage des chargés d’opérations et interlocuteur technique des différents chefs des services fonctionnels. De même, faute de responsable disponible, le service financier et le service foncier sont réunis. Le service urbanisme et architecture qui était jusque- là dirigé par un architecte fusionne avec le service des équipements. Le nouvel ensemble devient le service des études et de la programmation à la tête duquel est placé un géographe, ancien programmateur de l’EPA. Si la réduction du poids des services fonctionnels répond au souci d’économie budgétaire, un dernier élément contribue à privilégier une organisation territoriale : la découverte des vertus structurantes du plan financier239. L’éclatement des responsabilités entre un grand nombre de services fonctionnels avait jusque- là rendu difficile son actualisation régulière. Or la création d’une nouvelle fonction de chargé d’opérations par unité d’aménagement va permettre de faciliter la gestion des bilans financiers en affectant un unique responsable à chaque unité urbaine (comprenant un ensemble d’unités d’aménagement)240. Dans la conception de cette organisation, Lucien Gallas s’appuie sur son expérience passée de directeur de l’agence d’urbanisme de Marseille (AGAM) : « Quand je suis arrivé, je me suis dit : « Il faut que je resserre l’équipe ». J’ai plus beaucoup de gens susceptibles d’assurer une véritable responsabilité des services. […] Par ailleurs on n’avait pas assez de représentants des différentes disciplines (paysagistes, ingénieurs, économistes, architectes-urbanistes) pour constituer autant d’équipes complètes sur chaque entité géographique. Alors je me suis appuyé sur l’expérience que j’avais de la direction de l’agence d’urbanisme de Marseille où j’avais été amené à gérer des relations entre les études amont, qui étaient faites par l’agence d’urbanisme, et la réalisation qui était faite par la société d’économie mixte de Marseille ou d’autres aménageurs sur les autres communes de l’agglomération de l’agence. Et c’est comme ça que j’ai été amené à imaginer un service étude et programmation […] J’ai introduit un concept qui était tout à fait classique dans les sociétés d’aménagement qui était celui de chargé d’opérations. […] On n’avait pas les moyens de la mettre en place (une direction technique) et en même temps la fonction de CO était conçue pour assumer assez complètement ce qui aurait pu apporter une direction technique. Ils étaient assez polyvalents et appelés à le devenir »241. Mais l’organisation mise en place va au-delà de l’expérience de Lucien Gallas à l’AGAM et aboutit à quelque chose de nouveau. Définie comme une « structure matricielle », elle évite « les entités complètement fermées » et offre une plus grande adaptabilité à la conjoncture242, les agents des différents services fonctionnels circulant d’un secteur géographique à un autre. 235 Entretien avec L.Gallas 236 Ibid. 237 Ibid 238 Organisation de l’établissement, 21.03.1984 (archives de l’EPAREB) 239 Sur les plans financiers, voir infra III.3. 240 Entretien avec L. Gallas 241 Ibid. 242 Ibid

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Par ailleurs à la différence des SEM intervenant sur Marseille de manière relativement indépendante de l’AGAM, les chargés d’opération de l’EPA sont placés sous le contrôle direct du Directeur général, via un comité de direction mensuel. La mise en place d’une telle organisation a été soutenue par le personnel qui refusait de voir s’appliquer sur les rives de l’étang de Berre les logiques de corps, telles qu’elles sont à l’oeuvre dans bien des grands services fonctionnels des EPA, comme le Service technique ou opérationnel ou l’Atelier d’urbanisme. C’est probablement la raison pour laquelle l’architecte André Mathieu qui dirige le service urbanisme et architecture et qui vient de la Mission de Cergy n’a pas réussi à imposer son autorité. On retrouve un phénomène similaire à Saint-Quentin-en-Yvelines au même moment, à la fin des années soixante et dix. De même, l’expérience de l’Atelier d’urbanisme d’Evry est présentée comme un contre-modèle qu’il faut éviter243. Dans l’organisation de l’EPAREB, l’échelle du périmètre et l’existence d’antennes locales dans les différents secteurs géographiques encouragent les agents à se passer des services fonctionnels. On retrouve un semblable souci de dépasser les stratégies de corps dans la valorisation de la fonction de chargé d’opérations qui doit permettre pour Lucien Gallas de « sortir d’une certaine confusion entre la formation d’ « ingénieur » et celle de réalisateur de l’aménagement »244. Dans les faits, au début la plupart des chargés d’opérations ont des formations d’ingénieurs. Il faudra attendre la réorganisation de la fin des années quatre-vingt pour voir des architectes assurer de telles fonctions opérationnelles. Il reste que le personnel dans cette nouvelle configuration a gagné en mobilité interne, a vu ses tâches se diversifier et a pu prendre davantage de responsabilités245. C’est ce qu’évoque Gérard Plaisant alors conseiller technique de l’EPA : « En fait ça fonctionnait bien sous la forme « objectifs-autonomie » avec un contrôle qui était le contrôle de la commercialisation, de l’avancement des opérations. On était très libre »246. Ainsi, à la fin des années soixante et dix, au moment où les conditions sont particulièrement difficiles, l’EPAREB peut, grâce à cette nouvelle organisation, s’ouvrir sur l’extérieur en se rapprochant des collectivités locales et renouveler à la fois les compétences du personnel, ses rapports au territoire et ses modes de division du travail. I - 3. Les nouvelles organisations des années 80 pour affronter l’ouverture sur l’extérieur Les questions que l’on se pose au début de la décennie 1980 tournent autour de trois thèmes. Au ministère de l’Équipement et au Secrétariat général du Groupe central des villes nouvelles on s’interroge sur les « effets négatifs des logiques professionnelles », les logiques de corps, de carrière, les logiques sectorielles, les normes qui pèsent sur les processus de décision et de projet247. Cette inquiétude porte sur « le bon exercice de la maîtrise d’ouvrage », la loi sur la maîtrise d’ouvrage publique – ou loi MOP – qui sera votée en 1985. Elle enregistre aussi, sans pouvoir encore en mesurer tous les effets, les changements dans les pratiques que commence à provoquer la décentralisation. Cette inquiétude est à associer à ce qui se prépare en même temps du côté des logiques des grands corps de l’État et des déplacements professionnels que ces logiques provoquent. D’un côté : « L’aménagement, c’est fini pour les ingénieurs des Ponts et chaussées » entend-t-on en 1979-80. De l’autre, en tout premier lieu pour les

243 Entretien C. Guary et M. Lucas 244 Note manuscrite du 14.05.1979 de Lucien Gallas sur l’organigramme de l’EPAREB (archives de l’EPAREB) 245 Entretien avec L. Gallas 246 Entretien avec G. Plaisant 247 Le poids des logiques professionnelles… op.cit.

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ingénieurs des Travaux publics de l’État, les relations avec les interlocuteurs locaux sont supposées devoir changer. Ainsi « la qualité des relations avec le milieu environnant, spécialement les collectivités locales et les milieux économiques » devient le premier critère d’évaluation de ces ingénieurs en 1981248. Le contexte politique et économique joue dans plusieurs sens pour les professionnels des villes nouvelles. La situation d’austérité en matière de recrutement de personnel se prolonge avec un recours plus large aux agents temporaires ou à des contrats à durée déterminée (CDD)249. En 1985, une lettre du Ministre de l’Équipement aux Directeurs généraux des EPAVN rappelle « que sauf cas tout à fait exceptionnel, les effectifs de votre établissement ne doivent plus augmenter, même si les créations de postes se révèlent indispensables pour renforcer un service. En outre, le départ d’un agent ne doit pas entraîner automatiquement son remplacement »250. Ensuite l’intrusion de la démocratie locale et ses nouvelles exigences se font plus largement sentir. Cette emprise du politique devient une réalité tangible et non plus du ressenti. Une note de 1982 du Directeur de l’EPAREB sur l’évolution du contexte depuis trois ans décrit la situation à travers une formule introductive lapidaire : « Le fond du tableau = la DECENTRALISATION et la diminution du poids de l’Etat »251. Les collectivités locales se dotent de compétences professionnelles qui concurrencent celles des villes nouvelles, ce qu’observent, non sans inquiétude parfois, les professionnels des EPA. Si dans la décennie précédente, les services techniques des communes étaient décrits comme sous-développés, - « quand on débarquait dans une municipalité, c’était le Tiers-monde », se rappelle un programmateur252 -, au cours des années quatre-vingt, les professionnels des EPAVN prennent conscience que de nouveaux espaces professionnels ont émergé du côté des collectivités locales253. Certains d’entre eux tentent d’ailleurs d’y trouver une place, ceci non sans mal car ils découvrent avec étonnement que les villes nouvelles ont perdu leur aura et que leur offre de services ne séduit pas254. En fait la décentralisation et le contexte économique conjuguent leurs effets pour relancer la réflexion sur l’aménagement et les pratiques qui en relèvent. En 1981 naît à l’initiative des urbanistes de Cergy le projet de l’Association ‘Architecture, Urbanisme, Service Public’ censée réunir l’ensemble des professionnels de la « maîtrise d’œuvre urbaine ». La taille des opérations de construction est plus réduite et oblige à inventer une autre façon de travailler : « La conjoncture nous sert », se rappelle Michel Gaillard255. En même temps, les conséquences sociales des politiques concernant les prêts en accession à la propriété inquiètent les professionnels, aussi bien à Cergy qu’à Saint-Quentin-en-Yvelines. Pour beaucoup d’entre eux, les années 1983-85 marquent la fin de la « grande époque » et la nécessité de travailler ailleurs ou tout autrement.

248 Note du 17. 07.1981 du ministre de l’équipement aux Directeurs généraux des EPAVN concernant le concours professionnel de 1982 pour l’accession au grade d’Ingénieur des Ponts et Chaussées (archives EPAREB) 249 Lettre du personnel de l’EPIDA à Monsieur le Ministre de l’environnement et du cadre de vie, 13.09.1979 (archives EPAREB) 250 Lettre du Ministre de l’Equipement aux DG des EPAVN concernant le recrutement par voie interne dans les EPAVN, 19.09.1985 (archives EPAREB) 251 Evolution 79/82 in annexes II, organigramme au 1er mars 1984 (archives EPAREB) 252 Entretien avec J.-C. Menighetti 253 Entretien avec M. Gaillard 254 Entretiens avec M. Gaillard et J. Guillaume 255 Entretien avec M. Gaillard.

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I – 3.1. Le vieillissement relatif des structures et les projets de relance En 1985, selon le rapport du ministère des Finances, l’EPEVRY connaît un “ vieillissement de la structure ” du fait d’une “ insuffisante politique de renouvellement ” auquel s’ajoute un nombre important de promotions internes ayant eu lieu entre 1979 et 1985256. Par la suite, le phénomène de vieillissement s’accentue. En 1995, l’ancienneté médiane des cadres sur l’ensemble des EPAVN est en moyenne de 21 ans sur les trois villes nouvelles étudiées avec des différences notables (16 ans à l’EPAREB, 24 ans à Cergy-Pontoise et 25 ans à l’EPEVRY)257. Néanmoins ce phénomène est à nuancer : il est à la fois relatif et fortement inscrit dans la structure. À Cergy en 1981, vu de l’extérieur, le personnel des EPA reste jeune comparé avec l’administration traditionnelle. Si on en croit un rapport d’une stagiaire de l’ENA : « La majorité de ce personnel vient du secteur privé et est engagé sous contrat à durée déterminée. Pour la plupart, la durée de séjour dans l’entreprise est déjà longue ; plusieurs même sont là depuis l’origine et beaucoup comptent y rester jusqu’à la dissolution. Ce qui fait que l’âge moyen du personnel a augmenté en même temps que vieillissait l’entreprise. Mais aujourd’hui encore, l’EPA est très jeune : la moyenne d’âge est à 38 ans, le directeur général a une quarantaine d’années, plusieurs postes de responsabilités sont occupés par des personnes de 30-35 ans »258. Cette jeunesse relative ne signifie pas pour autant mélange des statuts. Dans son rapport, la même stagiaire souligne : « Le premier fait qui m’a frappée est le fossé qui sépare cadres et non-cadres. Malgré l’ambiance chaleureuse et décontractée, la distance existe… ». Signe qu’il convient de se garder de ne s’en tenir qu’à la moyenne d’âge d’une structure et s’intéresser aussi au rapport âge/statut et aux relations entre les agents, relations qui, à Cergy, ont manifestement vieilli. La baisse des effectifs à la fin des années soixante et dix à l’EPAREB et dans les années 1985-90 à Evry et Cergy contribuent à ce vieillissement. Ce qui fait dire à Gérard Plaisant que sur les rives de l’étang de Berre du fait de l’absence de « roulement » : « Après 1982-83 […] c’est un peu la stagnation parce que c’est toujours les mêmes.[…] On vieillissait sur place »259. Les restrictions du Ministère de l’Équipement pèsent sur le recrutement de nouveaux agents tout au long des années quatre-vingt. Il est pour partie compensé au cours de ces deux dernières décennies par un mouvement de promotions internes d’agents d’exécution et de maîtrise, venus en particulier des services administratifs et techniques, qui accèdent au statut de cadre. Ce mouvement n’est pas de petite ampleur. Il concerne 21% du total du personnel cadre pour l’ensemble de la période à l’EPAREB et respectivement 15% et 16% à Cergy et Evry260. Tableau de l’évolution de l’ancienneté des agents cadres des trois EPAVN Source : base de données des agents cadres des MEAVN et EPAVN

256 M. Severino, inspecteur des finances, rapport d’enquête sur l’EPEVRY, Ministère de l’économie et des finances et du budget, août 1985, p.3 (AD91, 1523 W / 598) 257 Base de données des agents cadres des MEAVN et EPAVN 258 Rapport de stage de B. Verlon, janvier-février 1981, p15, AD95, 1072W/288W3C 259 Entretien avec G. Plaisant 260 Base de données des agents cadres des MEAVN et EPAVN

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Moyenne

d’âges médiane des agents cadres identifiés en 1985

Ancien-neté médiane des agents cadres en 1985

Total des agents cadres identifiés en 1985

Moyenne d’âges médiane des agents cadres identifiés en 1995

Ancien-neté médiane des agents cadres en 1995

Total des agents cadres identifiés en 1995

Evry 43 ans 18 années

73 48 ans 25 années

31

Cergy-Pontoise 41 ans 19,5 années

44 48 ans 24 années

35

Rives de l’étang de Berre

39,5 ans 21 années

42 46 ans 16 années

25

I.3.2. À Evry ° Une organisation qui demeure verticale Le rapport d’enquê te du Ministère des finances de 1985 constate une organisation “ extrêmement verticale […] marquée par la lourdeur des services administratifs […] (et) qui concentre excessivement les conflits sur le Directeur général” 261. L’organigramme distingue :

• Le secrétariat général, • Deux services commerciaux (Logements et Activités), • Les services opérationnels groupant Atelier d’urbanisme et Service technique.

De multiples problèmes surgissent entre des services “ organisés suivant des logiques souvent conflictuelles ”. Ils sont réglés par le directeur qui se trouve “ seul à pouvoir assumer la synthèse même pour les détails ” 262. L’organe mis en place pour construire la ville nouvelle d’Évry se trouve ainsi confronté à des difficultés identiques de direction, d’organisation et de concentration des pouvoirs qu’aux premières années de son existence. Or la moitié des agents cadres de l’EPEVRY identifiés en 1985, soit 39 sur un total de 73, est là depuis au moins 18 ans, ayant vécu ces deux décennies tumultueuses263. Ainsi se confirment à la fois l’importance des effets de structure, la pérennité des configurations de travail et la singularité, de ce point de vue, de la situation de l’EPEVRY. ° Le projet de réorganisation

261 M. Severino, inspecteur des finances, rapport d’enquête sur l’EPEVRY, Ministère de l’économie et des finances et du budget, août 1985, p.4 (AD 91, 1523 W / 598). 262 Ibid. 263 Base de données des agents cadres des MEAVN et EPAVN

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En 1986, le directeur général envisage le changement de situation à l’horizon 1990 : “ Il s’agira alors, dit- il, de traiter une opération régionale de développement concerté d’une agglomération étendue après avoir achevé une opération d’Etat de création volontariste d’une ville centre ”264. Cette perspective appelle une “ transformation de l’entreprise par le redéploiement des moyens et la redéfinition des postes de travail ”. Est alors discutée au sein de la structure, au long de l’année 1986, une nouvelle organisation qui est envisagée pour le 1er janvier 1987. Mais les élections législatives la même année entraînent le départ du directeur, Michel Colot, et le nouvel organigramme ne sera qu’en partie appliqué 265. L’argumentaire de cette réforme – qui précède la « modernisation des services publics » prônée par Michel Rocard, futur Premier ministre, dont M. Colot est proche - tient en trois points : une nouvelle situation (ou « mission ») provoque une nouvelle philosophie qui elle-même entraîne une nouvelle organisation. D’abord il s’agit de “ passer d’une situation de monopole à une économie de marché ”. Par suite la “ nouvelle mission […] nous oblige à répondre à la demande et non plus imposer notre projet ”266. L’objectif est de “ mettre (l’EP) en situation de répondre plus directement aux demandes qui seront exprimées de manière ponctuelle et sélective par les différentes collectivités intéressées au développement de l’agglomération d’Evry, alors que jusqu’à présent nous avions à répondre à une demande globale de l’Etat ”267. Il y aurait là à assumer un choc quasi culturel : “ Il convient dès aujourd’hui d’intégrer les perspectives de ce changement (radical de la situation de la ville nouvelle vers 1990) : nouveau statut de l’entreprise, disparition de la situation de monopole d’aménageur, remise en cause des privilèges accordés par l’Etat (suppression des subventions d’équilibre, suppression des emprunts privilégiés et de la prise en charge des annuités d’emprunt, arrêt des acquisitions foncières sur fonds d’Etat, suppression des clauses de non-agréments pour l’implantation des entreprises, suppression du remboursement du versement transports, …), disparition du lobby Villes nouvelles ” 268. En résumé, il s’agit de passer de “ tâches d’équipement ” à des “ tâches de développement de l’agglomération de la ville nouvelle ”269. Il en ressort un changement de philosophie dans l’organisation :

• Proposition est faite d’“ instaurer un système par produit et (d’)abandonner un système de production devenu archaïque ”270. La “ recherche des marchés ” devient l’une des “ deux actions importantes ” de l’Établissement 271.

• “ Le management des hommes ” devient après “la recherche des marchés ” la seconde

priorité272.

264 Note du directeur général de l’EPAVN d’Evry à MM. Cussac, Joucdar, Lamarche, Muzeau, Raymond, Mission de réflexion sur la création d’un centre de compétence pour le développement urbain, 12.09.1986, p.2 (AD91-1523W/911) 265 Compte rendu de la réunion du comité d’entreprise du 27.06.1986 “ en vue de préciser la mise en place de la réorganisation générale proposée par la Direction Générale ” (AD91 1523W/1795). 266 Ibid.. 267 Note du directeur général de l’EPAVN d’Evry à MM. Cussac, Joucdar, Lamarche, Muzeau, Raymond, Mission de réflexion sur la création d’un centre de compétence pour le développement urbain, 12.09.1986, p.3 (AD91-1523W/911) 268 Ibid.. 269 Compte rendu de la réunion du comité d’entreprise du 27.06.1986 (AD91 1523W/1795). 270 Assemblée générale du comité d’établissement de l’EPEVRY du 26.10.1986 (AD91-1523W/1788) 271 Ibid.

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• Cette organisation dont on a vu qu’elle était “ hiérarchique et peu communiquante”,

“ verticale et séquentielle ” (“ 4 divisions U (Urbanisme)-T (Technique)-AE (activités-emplois)-L (Logement) ”) doit devenir une “ organisation horizontale intégrée par centres de compétences afin de répondre à de nouveaux besoins”, ceci sur le modèle de l’entreprise privée: “ L’objectif est de construire des centres de compétence (autonomes) comme des mini-entreprises (aux budgets propres) appartenant à une même holding”273. “Actuellement, l’EPEVRY forme une équipe trop vaste. L’aménagement est fait au niveau de l’équipe dans sa globalité. Il nous faut nous décloisonner et créer des équipes pluridisciplinaires capables de performances urbanistiques à leur niveau, sans qu’il soit nécessaire de faire appel à l’ensemble de l’entreprise ”274. On passerait d’“ une structure par fonctions à une structure par divisions centrée sur les marchés et sur des périmètres géographiques spécifiques et distincts ”275.

Cette nouvelle philosophie doit conduire à des transformations concrètes. Elle prend plusieurs formes.

• “ Deux nouvelles instances de management ”sont mises en place 276 : d’une part un directoire regroupant autour de la Direction quatre secrétaires généraux (à l’aménagement, au développement économique, à l’équipement, à l’administration générale), en charge de la “ planification ” (“ stratégie de production ”) et de l’“ exploration de nouveaux marchés ”277 et d’autre part un comité de direction constitué du directoire et des responsables de divisions et de services.

• Trois nouvelles divisions sont créées qui conservent des attributions thématiques et

géographiques : “ habitat urbain ” (développement des quartiers urbains dans l’agglomération), “ centralité et services ” (développement des services centraux de l’agglomération), “ développement économique ” (accueil des entreprises et expansion des entreprises existantes dans l’agglomération) 278. Ces trois types de “ compétences en matière d’aménagement urbain” 279 sont présentés comme fournisseurs de “ produits ” susceptibles de rencontrer une demande auprès des commanditaires de l’agglomération d’Evry. Le principe de l’autonomie financière de ces centres de compétences est aussi posé : “ Le budget de l’EPEVRY sera décomposé en quatre budgets et attribué aux services généraux et aux centres de compétences qui, à terme, devront avoir les moyens de les gérer ”. Le service des marchés dépendant précédemment du Service technique est rattaché au service financier280. Le

272 Compte rendu de la réunion du comité d’entreprise du 27.06.1986 “ en vue de préciser la mise en place de la réorganisation générale proposée par la Direction Générale ” (AD91 1523W/1795). 273 Ibid. 274 Ibid. 275 P. Constantin (CEGOS), proposition d’une étude diagnostic de l’EPEVRY, mai 1987 (AD91 1523W/91). 276 Note sur l’organisation de la cellule rattachée au directeur technique, 21.09.1987 (AD91-1523/1788) 277 Compte rendu de la réunion du comité d’entreprise de l’EPEVRY du 26.10.1986 (AD91-1523W/1788). 278 Décision n°166/86 de l’EPEVRY (AD91-1523/1788) 279 Note du DG de l’EPEVRY à M. Cussac, Joucdar, Lamarci, Muzeau et Raymond concernant la mission de réflexion sur la création d’un centre de compétence pour le développement de l’Habitat urbain, 12.09.1986, p.3 (AD91, 1523W/91). 280 Décision n°166/86 de l’EPEVRY (AD91, 1523/1788)

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directeur du Service technique reste membre du directoire responsable du bureau des marchés281.

• Une place sans précédent est faite aux “ commerciaux ”. Ils incarnent la nouvelle

vocation de l’organisme : o son écoute du marché (“ Ils sont en situation d’intermédiaires entre les

concepteurs et les acheteurs ”), o son ouverture sur l’extérieur (“ Ils assurent notre contact avec l’extérieur”) o son entrée dans la concurrence avec une figure de professionnel,

généraliste et polyvalente (nouvelle forme de la “ pluridisciplinarité ”) ayant “ une vision globale de (sa) mission ” .

Selon le directeur général, la “ prépondérance des “ commerciaux ” nous est imposée par notre nouvelle mission qui nous oblige à répondre à une demande et non plus à imposer notre projet ”282. D’où la priorité donnée au service commercial dans la nouvelle organisation : “ Globalement et physiquement, on s’appuie sur les moyens commerciaux de l’Etablissement pour créer les centres de compétences. […] La coordination de ces équipes reposera sur un agent capable d’en être l’animateur et qui saura être un communicateur et un médiateur, animé d’un esprit de polyvalence et faisant preuve de vitalité. […] Les agents des services U (urbanisme) et T (technique) […] pourront élargir leurs compétences au sein d’une équipe pluridisciplinaire. En globalisant ainsi leur fonction, ils deviendront des aménageurs et pourront être les acteurs de notre mission, alors que ceux qui préféreront approfondir leur technicité ne pourront en être que les auxiliaires ” . Dans cette perspective, la pluridisciplinarité envisagée prend un nouveau sens en s’appuyant sur la polyvalence des agents : “ La pluridisciplinarité des équipes […] permettra à chacun d’être polyvalent dans son travail ”.

• Cette nouvelle organisation signe la fin du “ service technique ”, de “ l’atelier

d’urbanisme ” et de l’équipe Maîtrise d’Ouvrage Déléguée (MOD pour les équipements de superstructures) du fait d’une activité orientée sur “ la maintenance et la gestion du patrimoine plus que vers la construction ”283. Dans les faits, le directeur du service technique en tant que membre du directoire garde la tutelle de la cellule MOD des constructions et des superstructures284.

Notons qu’en 1987, le département « activités » de l’EPEVRY constitue avec la direction générale, un des services où le personnel cadre est le plus jeune et le plus récent, avec une moyenne d’âge de 35 ans contre des services fonctionnels classiques au personnel vieillissant (43 ans pour l’Atelier d’urbanisme et 45 ans pour les services techniques) et plus ancien285.

281 Projet d’ajustement de la réorganisation de l’établissement public, direction générale, 09.07.1987 (AD91-1523/1788) 282 Compte rendu de la réunion du comité d’entreprise du 27 juin 1986, p.2 (AD91-1523W/1795). 283 Ibid.. 284 Note sur l’organisation de la cellule rattachée au directeur technique, 21.09.1987 (AD91-1523/1788) 285 Liste du personnel de l’EPEVRY en 1984, AD91, 1523W/911

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Tableau de l’ancienneté du personnel cadre de l’EPEVRY par services en 1984 Source : Récapitulation au 1er janvier 1987 (AD91 1523W/911) Effectif

total Personnel cadre

Moyenne d’âges du personnel cadre

Date moyenne de recrutement du personnel cadre

Direction générale 21 7 33 ans 24 ans (hors DG)

1982

Agence comptable 5 4 41ans 1981

Administration générale et personnel

9 1 56 ans 1970

Service administratif et financier

8 4 39 ans 1975

Département juridique 4 3 43 ans 1977

Département logement 6 5 41 ans 1972

Département activités 8 6 35 ans 1977

Direction technique 31 24 43 ans 1974

Atelier d’urbanisme 26 20 45 ans 1972

Total EPEVRY 118 74 42 ans Cette réorganisation devait permettre de redonner de la vitalité à un organisme en fin de vie, d’anticiper la fermeture prévue pour 1990 et de préfigurer sa reconversion en Société d’économie mixte. Mais le projet de transformation de l’EPEVRY n’aboutira pas faute d’engagement de l’Etat. Il n’en est pas moins révélateur d’un moment de réflexion sur l’ajustement optimal d’un EPA à son contexte politique et économique. L’alternative entre structure territoriale et structure fonctionnelle ou le choix de les combiner ne sont plus du tout d’actualité. Avec cette organisation par compétences, l’EPA devient une société de services conçue pour s’adapter à une variété de demandes. Ce nouveau discours qui emprunte au langage et aux pratiques de l’entreprise privée pour asseoir un nouveau “ management ” est très répandu dans les années 80. S’il reprend la vieille rhétorique militaire de la stratégie, c’est sous une forme remaniée (une direction générale ayant une vision d’ensemble et jouant en équipe le rôle de pilote) et dans un esprit où la gestion du personnel passe par des “ plans de formation ” ou l’évaluation des “ besoins en formation liés au nouveau style de management que les uns et les autres auront à acquérir dans cette nouvelle façon d’intervenir pour l’entreprise ”286. Ce nouvel esprit de la « mission » est patent à Saint-Quentin ou Jean-Paul Alduy donne un nouveau souffle à l’EPA. Il est tout aussi sensible à Cergy-Pontoise. S’il est percevable plus tôt à l’EPAREB, c’est dans une version où l’organisme doit constamment s’ajuster au territoire.

286 Note du DG de l’EPEVRY à M. Cussac, Joucdar, Lamarci, Muzeau et Raymond concernant la mission de réflexion sur la création d’un centre de compétence pour le développement de l’Habitat urbain, 12 septembre 1986, p.5 (AD91 1523W/91).

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I.3.3. À Cergy En 1984, la “ réorganisation interne ” de l’EPA de Cergy est engagée sur le terrain de l’efficacité et des « préoccupations commerciales ». Il s’ensuit un remaniement apparemment léger de l’organigramme287. Deux services sont concernés par cette redistribution des tâches : le Service opérationnel et la Division emplois- logements. Ce sont deux services “ historiques ”, figurant déjà dans l’organigramme de la Mission en 1967-68. Les transformations envisagées sont justifiées par la “ conjoncture ” et par l’application du principe de “ l’intégration des fonctions ”. Selon le Directeur général, ce principe a pour premier avantage d’introduire “ une excellente discipline de gestion interne ”, en obligeant chaque service à gérer au mieux toutes les étapes par lesquelles passent les activités de l’EPA, c’est-à-dire “ la conception, la production et la vente ”. Il s’agit alors de trouver le “ meilleur point d’équilibre entre tous les aspects des affaires traitées (aspects techniques, financiers et commerciaux) ”. Ce principe permet par ailleurs “ d’aligner vis-à -vis des partenaires extérieurs (de l’EPA) un interlocuteur unique et plénipotentiaire, ce qui est toujours très apprécié ”. Concrètement, les changements se présentent de la manière suivante :

• Le Service opérationnel prend en charge la promotion commerciale des logements. Cette nouvelle responsabilité a la “ vertu pédagogique ” de faire “ passer les préoccupations commerciales dans un service jusqu’ici exclusivement tourné vers la production ”. Il est donc entendu que le directeur technique devra, à l’avenir, “ autant se préoccuper de “ gestion ” et de “ vente ” que de technique d’aménagement ”. Ce service sera par la suite dénommé Direction du développement urbain (DDU).

• De son côté, la Division emplois- logements devra se consacrer entièrement au

développement économique et donc aux zones d’activités. Dégagée de tout ce qui concerne les relations avec les promoteurs de logements, mais aussi des activités commerciales du centre de la ville nouvelle (laissées à la Direction du développement urbain et au Service administratif et financier) elle sera rebaptisée Direction du développement économique (DDE). Cependant ce nouveau service gardera une autorité fonctionnelle et “ non hiérarchique ” sur les équipes de quartier, en charge dans la direction précédente de la réalisation des quartiers.

Cette réorganisation est symptomatique de l’orientation commerciale donnée aux EPA au cours de ces années 80. Elle prépare une autre transformation qui voit la création en 1992-93, d’une troisième direction opérationnelle (à côté de la DDU et de la DDE) : la Direction des équipements publics. Au milieu des années 80, on est dans une étape particulière de la construction des villes nouvelles. D’un côté on s’achemine vers la fermeture des EPA et bien des agents la pressentent. Il s’agit d’accélérer la vente des charges foncières et de préparer la remise des équipements au Syndicat d’agglomération nouvelle. Les représentations du monde finissant des villes nouvelles sont inscrites dans les bilans des EPA. On évoque alors leur « productivité », c’est-à-dire l’évolution du ratio entre le chiffre d’affaires des établissements et le nombre moyen

287 Courrier du directeur général du 18.07.1984, AD 95, 1072W-288W3E

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d’agents qui y travaillent. À Cergy, ce ratio tend à diminuer sous l’effet de l’évolution des deux facteurs, à la fois le départ progressif des agents (en 1986 ils sont 103, en 1987, 91 et en 1988, ils ne sont plus que 87) et surtout l’augmentation du chiffre d’affaires (1986 : 2209MF, 1987 : 2855MF, 1988 : 3240MF)288. D’un autre côté, on est dans une conjoncture économique perçue comme peu favorable. À Cergy, le raisonnement général qui s’impose est celui de « l’intégration des fonctions » dans des « filières de production » de la ville. Au milieu des années 80, celles-ci sont au nombre de deux, l’habitat d’un côté, les activités économiques de l’autre. La division fonctionnelle de l’espace, supposée être plus économe, s’impose ainsi au cœur même de l’EPA à un des moments les plus forts de la vague néo- libérale et dégage les secteurs “ nobles ” (les activités économiques) de ce qui n’est que l’accompagnement “ social ” ou “ urbain ”, c’est-à-dire l’habitat (celui-ci étant de plus en plus « social »). Ces déplacements dans l’organisation des compétences ont constitué pour les personnes concernées – les plus anciennes dans les EPA - comme pour les organismes des expériences sinon de reconversion du moins de déplacement des objectifs. Cela est aussi apparu aux yeux des professionnels comme la dernière étape avant la fermeture des établissements. I.3.4. À l’EPAREB : un projet d’entreprise et un plan stratégique Confronté en 1988 à une prévisible diminution des opérations d’ici à 1993 sur le périmètre de la ville nouvelle et au retrait croissant de l’Etat, l’EPAREB prépare sa reconversion avec un nouveau projet d’entreprise (en 1989) qui est formalisé deux ans plus tard et devient un « plan stratégique»289. Plus qu’une véritable relance de l’activité de l’EPA comme aménageur qui a déjà su sortir de son périmètre initial et diversifier ses prestations, la réorganisation est présentée a posteriori par le Directeur général comme ayant été l’occasion de « remobiliser le personnel », d’offrir à chacun la possibilité d’acquérir, par la promotion de la « polyvalence », un véritable métier et de faciliter ainsi la future réinsertion des agents après la fermeture de l’EPA290. Comme à Evry, le Directeur propose de « revoir la logique ville nouvelle, qui est une logique où on a un périmètre, on fait un certain nombre de choses dessus et on disparaît ». La démarché engagée en 1988 cherche à compléter cette « logique », à l’articuler à une autre logique, celle du compte d’exploitation291. Au Plan financier se substitue comme instrument de pilotage un « plan stratégique à cinq ans», qui fixe « à l’horizon 1995 les objectifs à atteindre aussi bien en matière de développement que d’activités de production »292. L’objectif de « production » est l’objectif fondamental de ce plan car « les moyens (de l’EPAREB en 1991) ne peuvent être maintenus au-delà de 1995 que si les activités nouvelles peuvent être développées sur de nouveaux territoires et viennent progressivement prendre le relais à partir de 1993 »293.

288 Questionnaire relatif à l’EPA de Cergy, du 16.03.1989, (par d’origine, peut être le Groupe central des villes nouvelles) AD 95, 1424W/235W2d 289 EPAREB, Plan stratégique 1991-1995, document interne élaboré sur la base des données au 31.12.90 (archives privées de Lucien Gallas) 290 Entretien avec L. Gallas 291 EPAREB, Plan stratégique 1991-1995, document interne élaboré sur la base des données au 31.12.90, p.3 (archives privées de Lucien Gallas) 292 Ibid. 293 Ibid.

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En 1979 la réorganisation avait réduit le poids des services fonctionnels au profit d’une division territoriale pour faciliter la gestion à la fois financière (des unités urbaines), économique (pénurie de personnel) et politique (rapports avec les communes). Moins de dix ans plus tard, le nouvel organigramme proposé par le bureau d’études CAP SESA REGIONS privilégie une organisation par « domaines de gestion », qui met en évidence « les activités fortement liées entre elles, pour des raisons pratiques ou pour des nécessités de cohérence »294. Une distinction est ainsi faite entre trois secteurs :

- « L’OPERATEUR, qui est représentatif de l’autonomie financière de l’EPIC […]. Ce secteur se décompose en trois domaines de gestion :

o la prospection o la gestion financière o la gestion du développement

- LA GESTION DE PROJET, qui rassemble les moyens de conception et de réalisation des aménagements et des équipements qu’il s’agisse ou non de compte propre de l’EPA.

- L’INFRASTRUCTURE ADMINISTRATIVE ET FINANCIERE, qui regroupe les moyens de gestion communs de l’entreprise et assure le fonctionnement administratif »295.

À partir de là, l’organigramme se structure autour de quatre « directions » qui correspondent aux domaines de gestion spécifiques :

1. La direction de projet 2. La direction de l’investissement (prospection) 3. La direction financière 4. La direction du développement

et un service administratif et logistique qui regroupe les moyens généraux. Une des caractéristiques de cette distinction en domaines de gestion est de donner une plus grande autonomie et de larges responsabilités aux agents. Les responsables dits « managers » des quatre directions obtiennent ainsi des « délégations » qu’ils reçoivent du Directeur. Leur fonction est notamment « d’adapter l’organisation opérationnelle aux besoins des projets »296. Et « leurs relations directes avec le DG s’expriment en termes d’objectifs, de résultats et d’évaluation »297. La réorganisation opérée en 1989 répond comme en 1979 à la pénurie de personnel, c’est-à-dire à la question : comment « avec un nombre de personnes limité on assure un très grand nombre de fonctions ? »298. Elle se traduit pour les agents par un mouvement de promotion interne et de changement de métiers, qui permet de résoudre le problème de « l’existence des personnels bloqués » dans leur carrière au sein des EPAVN299. Une autre raison de cette organisation est « la possibilité d’ouvrir plus vite des perspectives d’évolution de carrières plus diversifiées, et d’aller plus vite vers une plus grande polyvalence »300. Ainsi certains architectes, qui jusque- là travaillaient au service études et 294 EPAREB, Projet d’entreprise, organisation des services, novembre 1989, p.2 295 Ibid. 296 Ibid. p.9 297 Ibid.p 6 298 Entretien avec L.Gallas 299 Compte-rendu de la réunion SGGCVN/Intersyndicale CGT -CFDT des EPAVN du 19.10.90 (archives EPAREB) 300 Ibid. p.6

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programmation et qui ne faisaient qu’assister les chargés d’opérations, deviennent chefs de projet. Ils reçoivent à ce titre une « subdélégation pour l’ensemble de (leurs) activités »301. Héritiers des chargés d’opérations, les chefs de projets ont sous leur responsabilité des équipes chargées de réaliser « l’ensemble des prestations du processus de production »302 (étude et programmation, commercialisation, gestion de marché, suivi technique, foncier, etc.). Le souci de la formation du personnel est présent, par ailleurs, dans les prérogatives de la direction du développement dont les fonctions en matière de « gestion des compétences » incluent « l’évaluation des besoins, la recherche et la programmation de la formation » et la « gestion du savoir-faire »303. Ce souci fait écho aux inquiétudes de l’inter-syndicale CGT-CFDT des EPAVN concernant un personnel « formé sur le tas » et à l’absence de correspondance entre « les fonctions assumées et le niveau de formation initiale », décalage qui appelle des formes de « réajustement »304. Mais c’est dans la circulation des agents que réside l’intérêt de la nouvelle structure comme le rappelle le Directeur général adjoint à l’occasion de la réorganisation de 1995 : « Dans l’organisation précédente, une certaine polyvalence était obtenue dans le sens où des personnes étaient à la fois dans la direction du développement et à la gestion de projet. Cela semble important à garder. Je proposerais qu’il y ait, hors le noyau dur de chaque boîte, des personnes, qui en fonction de la nature de la tâche, puissent circuler entre les boîtes »305. L’organisation variera peu jusqu’en 1996. Lorsque Henri Chabert prend la direction de l’EPAREB en 1995 et pour une année, il jugera la « fonction commerciale et marketing trop dispersée (entre la direction investissement et la direction développement) et donc insuffisamment percutante ». Cette fonction prendra dès lors de l’ampleur, ce qui donnera lieu à un nouvel organigramme assez classique, avec :

- une direction (Directeur général, Directeur général adjoint, Direction foncière) - et quatre pôles :

o « études et prospective » o « production / aménagement » (ce qui était anciennement la direction des

projets) o « administratif » (incluant les marchés) o « commercial »306.

I.3.5. La création du GIE ‘Villes nouvelles de France’ Pour les hommes des EPAVN, de nouveaux espaces d’action ont paru s’ouvrir dans les années 80, avec la création en 1983 de la Mission de préfiguration pour l’Exposition universelle à Paris de 1989, celle de l’EPA de la Villette ou celle du Secrétariat aux Grands Travaux. Certains ont envisagé de poursuivre ainsi leur carrière. Mais le contexte s’assombrit dans la deuxième moitié de la décennie. La mission de préfiguration est rapidement abandonnée. Les crédits destinés aux villes nouvelles s’amenuisent et le GCVN voit son 301 Ibid.p.11 302 Ibid. 303 Ibid., p.14 304 Compte-rendu de la réunion SGGCVN/Intersyndicale CGT -CFDT des EPAVN du 19.10.90 (archives EPAREB) 305 Note du 12.09.1995 de Jean Ecochard à H. Chabert et D. Orsolini, questions et idées sur l’organisation de l’EP (archives de l’EPAREB) 306 Note du 08.09.1995 d’Henri Chabert concernant l’organisation de l’EP (archives de l’EPAREB)

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personnel se réduire à des fonctions de gestion administrative, à des tâches traditionnelles de programmation financière (ou à des reconversions plus ou moins difficiles après le retour dans le droit commun des villes nouvelles du Vaudreuil et de Lille-Est)307. Sont ainsi menacées de disparaître des capacités d’innovation méthodologique en matière d’études urbaines, d’analyses financières et de techniques opérationnelles qui étaient considérées comme particulièrement performantes dans la décennie précédente. Pour Claude Guary, chargé de mission « urbanisme, équipements et architecture » en 1983 au GCVN : « C’était une période où on rêvait moins. On gérait plus »308. Au sein de l’INTA (Association internationale des villes nouvelles), le débat sur la forme temporaire ou non des organismes d’aménagement des villes nouvelles oppose dans les années 1983-1985 les Anglo-saxons et les Français, au moment où le gouvernement Thatcher décide la fermeture des organismes Outre-Manche. Cet état de choses pèse sur les esprits et les choix, malgré les espoirs suscités dans le milieu professionnel des villes nouvelles par le soutien du candidat aux élections présidentielles, Michel Rocard309. Avec la perspective de la fermeture inéluctable des EPAVN, se dessine alors plus nettement la nécessité de « préparer l’essaimage de manière opérationnelle»310. Il s’agit aussi, pour les plus militants de la cause ville nouvelle, de sortir d’une culture défensive et isolationniste entretenue par le statut d’extraterritorialité des EPA et de plus en plus entamée par la pression des SCA devenus SAN. Initiée de manière isolée dans de nombreuses villes nouvelles, comme à l’EPAREB ou à l’EPEVRY, l’ouverture vers l’extérieur devient systématique en 1985 avec la création à l’initiative du GCVN, du Groupement d’intérêt économique (GIE) ‘Villes nouvelles’, bureau d’études public qui associe différents EPA (ceux des villes nouvelles mais aussi celui des Halles et celui de l’EPAD par exemple). Suite aux oppositions de divers organismes comme les SEM, les bureaux d’études de la Caisse des Dépôts et Consignations ou l’AFTRP, qui dénoncent une concurrence déloyale, le GIE s’associe avec d’autres intervenants comme le Bureau central d’équipement d’Outre-mer (BCEOM), la SCET internationale ou l’IAURP et s’engage dans des interventions à l’échelle internationale. Il est d’abord présidé par Michel Colot, Directeur de l’EPEVRY. Selon ses promoteurs, le GIE ‘Villes nouvelles’ ne répond pas à une nécessité économique mais à une fonction sociale de formation du personnel. Son premier directeur Claude Guary avait effectué à l’EPAREB des missions d’assistance aux collectivités locales hors du périmètre de la ville nouvelle. Il rappelle sa mission au GIE : « Faire sortir les gens »311. Cela n’a pas été sans mal. Les difficultés qu’il a rencontrées signalent l’ambiguïté des expériences professionnelles constituées en villes nouvelles. Les EPA sont certes des lieux d’innovation, d’expérimentations, de mises à l’épreuve dans la production urbaine mais ce sont aussi des organismes où, avec le temps, la routine s’est installée : « Pour des urbanistes aménageurs, les villes nouvelles c’était un endroit merveilleux. Les mecs étaient mieux payés que dans le public. […] Il faut que j’aille les chercher. Au début ce que je fais, je me constitue un réseau de correspondants avec les plus dynamiques, les plus motivés, des volontaires. […] Les volontaires, vous les retrouvez à des postes importants. […] Il y a ceux qui ont réagi et qui sont allés à l’extérieur. […] J’ai bien fait sortir 40 ou 50 personnes sur des missions plus ou moins longues de 15 jours à 3 ans ».. La tâche est apparue à C. Guary comme « énormément difficile ». Preuve que l’ouverture des

307 Entretien avec C. Guary 308 Ibid. 309 Ibid. 310 Ibid. 311 Entretien avec C. Guary

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EPAVN sur l’extérieur n’a pas trouvé une institution pour la porter et que bien des expériences n’ont eu aucune répercussion sur le milieu professionnel de l’aménagement. I.4. Le « sentiment d’insécurité » des années 90 312 Au milieu des années 1990, le personnel des EPA se sent menacé. Dans son rapport de 1995 sur la situation des EPAVN, R. Peylet s’inquiète des effets qu’ont pu produire sur le moral de ce personnel les critiques portant sur les pratiques de l’Etat aménageur et l’administration de l’Équipement. “ En permanence, flotte un sentiment d’insécurité […] . L’Etat aménageur mérite une meilleure image de marque. Mais existe-t-il toujours ? Pour de nombreux observateurs, il a perdu de vue sa légitimité ” 313. Le personnel souffre d’un “ sentiment d’insécurité ” mais aussi d’un “ sentiment d’isolement ”314 vis-à-vis de l’administration déconcentrée du Ministère de l’Equipement. Les fonctionnaires des DDE “ reprochent (aux EPA) une attitude ambiguë faite à la fois d’un souhait d’autonomie au demeurant légitime et d’un besoin de soutien permanent ”315. Concernant le domaine du logement, les EPA mèneraient une “ politique du logement indépendante de celle conduite dans le département où elles sont situées ”316, ce qui confirme la distance qu’il y a alors entre les EPA et les services de l’État. Le sentiment d’abandon est accentué par l’absence “ des avantages que peut procurer le réseau du Ministère de l’Équipement, qu’il s’agisse de recrutement, de mobilité, de formation, d’expertise, de recherche ”. Alors que Michel Cantal-Dupart cherche aussi du côté de l’État un nouveau souffle pour l’aménagement urbain, R. Peylet appelle, dans la conclusion de son rapport, à une restauration du volontarisme de l’administration centrale317. Il remet au goût du jour la vieille rhétorique militaire de l’administration de mission : “ Il est capital de retrouver une organisation qui permette à l’Etat d’agir avec efficacité et cohérence dans les opérations où il s’engage comme ce fut autrefois le cas lors du lancement des villes nouvelles ”318. Et plus loin : “ A lui de se mettre, à leurs côtés (les villes nouvelles), en ordre de bataille pour affronter (les défis) ”319. Dans le contexte de la première moitié des années 90, les difficultés sont nombreuses. Du fait de :

• La crise immobilière (de nombreuses SEM sont menacées et fragilisées) entraînant de nouveaux besoins d’emprunts ;

• Des hésitations des collectivités locales inquiètes ou en difficulté ;

312 Roland Peylet, Rapport du groupe de travail sur la situation et les perspectives des EPA, MELT, le 9 février 1995, p.15 313 Ibid. 314 Ibid. p17 315 Ibid. p16 316 Ibid. 317 M. Cantal-Dupart, Les hommes dans la ville. L’état de l’urbanisme en France et des professions concernées, Paris, MELT, 1992, 2 tomes (rapport pour le compte du Ministre de l’équipemennt, du logement et des transports) 318 Roland Peylet, Rapport du groupe de travail sur la situation et les perspectives des EPA, MELT, le 9 février 1995, p.28 319 Ibid. p.30

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• De la montée du contentieux (problème de la sécurité juridique qui est lourde de conséquences pour les EPA avec des retards dans les programmes, des hésitations chez les investisseurs, des versements d’indemnités)320 ;

• Une difficulté d’adaptation récurrente des EPA face à de nouveaux besoins de gestion sociale et urbaine, difficulté perçue au milieu des années 70 comme dix ans plus tard à Évry et que des témoins soulignent à Saint-Quentin au milieu des années 90321 ;

• La nécessité concrète de se préparer à la fermeture effective des EPA. Les années quatre-vingt dix sont aussi des années d’attentes et de faux espoirs. En 1990, l’idée est lancée que les villes nouvelles pourraient repartir pour constituer et préserver des réserves foncières. Les préfets sont ainsi encouragés à soutenir la création de SIEP (Syndicats intercommunaux d’études et de programmation) et à proposer une politique de contractualisation avec une « mise à disposition des EPA des villes nouvelles »322. En 1991, le Livre Blanc de la région Ile-de-France appelle à un « plan d’urgence » en cette matière pour la région323. Dans les faits, le personnel des EPA voit son avenir devenir de plus en plus flou. Cela a pour effet de « créer de l’incertitude (et) de faire partir les meilleurs agents », se rappelle Jean-Luc Nguyen qui travaille alors à Cergy324. I.4.1. À Cergy : une refonte générale L’organigramme de 1992 montre les transformations opérées depuis le milieu des années 1970. Les changements ont eu lieu alors que le nombre total de personnes travaillant à l’EPA n’a pas bougé : elles sont 101 en 1975 comme en 1992. Mais à cette dernière date, seulement un tiers d’entre elles y travaillent depuis plus de 17 ans. Outre le fait que l’on ne parle plus de “ Division ” ou de “ Service ” mais de “ Direction ”, on distingue325 :

320 Ibid. p7 321 Synthèse des réponses des agents de l’atelier au questionnaire “ organisation du travail ”, décembre 1975 (AD91, 1523W/787) ; Note du DG de l’EPEVRY à M. Cussac, Joucdar, Lamarci, Muzeau et Raymond concernant la mission de réflexion sur la création d’un centre de compétence pour le développement de l’Habitat urbain, 12 septembre 1986, p.4 (AD91, 1523W/91). Pour Saint-Quentin voir infra l’analyse de P. Lelarge (III.4) 322 Lettre du 20 juillet 1990 du Premier Ministre au préfet de région pour la relance des villes nouvelles (archives EPAREB) 323 Cité par Anne Marie Idrac in, Cergy-Pontoise Managers, 1991 324 Entretien avec J.-L. Nguyen 325 Comparaison entre deux organigrammes : Organigramme à la date du 1.03.1975, Directeur général Bernard Hirsch, AD 95, 1461W/294W6F, et Organigramme de l’EPA de la ville nouvelle de Cergy Pontoise, novembre 1992, Directrice générale Anne-Marie Idrac, AD 95, 1072W/288W3D. Le directeur général suivant Bouchard créera une nouvelle direction (Direction des équipements publics) à partir des compétences réunies dans la Direction du développement urbain.

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Les divers services en 1992

Nombre d’agents

Nombre d’agents de l’EPA présents en 1975

Agents ayant les mêmes fonctions en 1975 et 1992

Directeur général adjoint

14 5 3-4 (dont le chef de service, anciennement directeur du Service administratif et financier)

Secrétariat général 15 4 3-4 Agence comptable 5 0 Direction des études générales

14 4 2 (dont le chef de service)

Direction du développement urbain

30 10 9

Direction du développement économique

10 3 2

Direction de l’Information foncière et urbaine

11 3 2-3

Ce nouvel organigramme fait apparaître :

• Renforcement des fonctions de la direction générale. Le Service administratif et financier a été largement pris en main par le nouveau directeur général adjoint qui a pris auprès du directeur général un rôle “ politique ” actif en matière financière, foncière, d’implantation des établissements commerciaux et d’opération de lotissements. De lui dépend un service financier, un bureau des acquisitions foncières, une “ mission ” pour les implantations commerciales, une équipe chargée du contentieux et des assurances et une autre de la promotion des lotissements. Le Service administratif et financier de 1975 était apparemment plus étoffé puisque l’on y comptait 29 personnes. Cette décroissance quantitative s’explique par l’autonomie acquise des activités liées à l’information foncière urbaine et par le déplacement au secrétariat général du bureau du personnel ainsi que du bureau du matériel et du service intérieur. Le Secrétariat général qui comptait neuf personnes en 1975 a donc été quelque peu élargi. Cette fonction de Directeur général adjoint a été tenue par un ingénieur des Ponts et Chaussées, nommé en 1971 alors qu’il était responsable du Service opérationnel (un ingénieur des Eaux et forêts connaît la même promotion à Saint-Quentin).

• Innovation avec la création d’une nouvelle direction à caractère technique. Il s’agit à

la fois de l’élargissement d’une fonction et de son autonomisation. En effet, les questions foncières étaient traitées par l’ancien Bureau topométrique et foncier, qui dans l’organigramme de 1975 dépendait du Service administratif et financier et deux personnes de l’ancien bureau se sont retrouvées dans la nouvelle direction. Cette nouvelle direction qui compte 11 personnes a des missions étendues qui tiennent à la mise en place et à la gestion des données urbaines et du système d’information géographique.

• Première place donnée au développement urbain. L’ancien Service opérationnel

devenu Direction du développement urbain est encore le service le plus important en

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nombre d’agents (ils étaient 37 dans le Service opérationnel de 1975). Ce qui était organisé en “ cellules ” identifiées par secteur géographique en 1975 devient “ équipes de quartiers ” dix-sept ans plus tard. Mais le principe est identique : faire travailler ensemble sur un quartier donné un architecte, un ingénieur et un assistant technique (dessinateur ou agent de travaux). Surtout trois des quatre “ équipes de quartier ” comptent six agents présents dès 1975 et qui ont pour la moitié d’entre eux bénéficié d’une promotion.

• Deux dimensions relativement stables : le développement économique et les études

générales. Entre 1975 et 1992, les directions qui coiffent ces domaines ont vu leur effectif croître légèrement (de 7 à 10 personnes pour la première, de 12 à 14 pour la seconde). Mais les frontières de compétences ont été modifiées depuis la réorganisation de 1984 (disparition des questions liées au logement mettant la Direction du développement économique sur la seule fonction d’accueil des entreprises industrielles et de services). Dans les deux cas, on peut noter l’importance des promotions internes (anciens dessinateurs devenus chargés d’études, assistant d’études devenu directeur commercial, hôtesse d’accueil ayant pris des responsabilités administratives)

• L’agence comptable, une fonction toujours autonome. C’est la seule fonction qui est

restée totalement imperméable aux mouvements internes de l’EPA et en même temps c’est la seule qui se soit complètement renouvelée.

L’évolution des titres et fonctions précises est en fait très difficile à apprécier. En 1975, les titres sont mentionnés. On sait par exemple que l’EPA compte au moins 9 ingénieurs et 6 architectes. En 1992, si on s’en tient aux mentions de l’organigramme, il y aurait 5 ingénieurs et 3 architectes. Cette “ dé-technicisation ” n’est pas impossible. Mais c’est peut-être une autre conception du rôle donné à l’organigramme et à sa visibilité qui peut expliquer cette différence. Autrement dit, on ne sait plus ce que cache une fonction en termes de qualification et les titres importent moins que le domaine de responsabilité et la position hiérarchique. L’organigramme de 1992 ne fait pas apparaître certains changements introduits par Anne-Marie Idrac, Directrice générale entre 1990 et 1994. Anne Delaunne explique ainsi l’originalité de la fonction de chef de projet qu’elle a tenu un moment 326 : « Anne-Marie Idrac avait instauré un système de gestion de chef de projet. Elle voulait que là où il y a un projet, il y ait un individu. Aujourd’hui (en 1996) on est revenu en arrière par rapport à ce schéma-là. Les chefs de projets c’étaient des gens qui étaient transversaux. Moi j’étais sur l’université, ça allait aussi bien de la planification, la programmation très en amont, jusqu’à vérifier en aval avec ceux qui sont à la DEP (Direction des équipements publics) aujourd’hui et qui s’occupent de conduire les mandats pour les collectivités et pour l’université. Donc pour construire l’université, d’un bout à l’autre de la chaîne j’étais responsable. C’est moi qui devait faire communiquer l’information, regarder si ces gens-là travaillaient bien ensemble, s’il n’y avait pas de problèmes, et c’était ce qu’elle (A.-M. Idrac) appelait les chefs de projets. Aujourd’hui on est revenu en arrière, il n’y a plus de gens très transversaux, c’est plutôt une organisation hiérarchique avec le responsable d’un secteur. C’est-à -dire qu’aujourd’hui l’université est beaucoup plus gérée par des gens qui constituent l’équipe de quartier». Cette fonction de chef de projet a été conçue comme une mission sur un projet identifié (en l’occurrence tout ce qui concerne l’université).

326 Entretien avec A. Delaunne (par N. Arab en 1996)

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En ce milieu des années 90, l’EPA n’est pas sans mémoire, malgré la vague de licenciements de 1990, qui fut un « coup dur pour la grande famille »327. En 1992, quatre personnes qui travaillent à l’EPA ont connu la MEA de Pontoise-Cergy : deux directeurs (directeur général adjoint et directeur des études générales), un agent du service des travaux, qui fit une partie de sa carrière comme projeteur au service des études générales, et une femme agent administratif à la Direction du développement économique (ayant commencé sa carrière comme hôtesse d’accueil). Mais si on ajoute ceux qui ont connu les débuts de l’EPA :

• un chargé de mission sur le contentieux (ancien inspecteur foncier) • un chargé d’études (ancien dessinateur du service opérationnel) • un architecte-urbaniste d’une équipe de quartier (ancien du service opérationnel) • la personne chargée des relations publiques • un agent du service des travaux (ancien chef de bureau du service opérationnel) • une secrétaire,

une dizaine de personnes ont, à des titres très divers, une connaissance approfondie de l’organisme, de ses réseaux et de ses réalisations. Ils ont vu la ville nouvelle se construire dans les champs et l’EPA se transformer. Cette mémoire a cependant un statut ambigu. D’un côté, au nom du renouvellement du personnel, les promotions internes et l’expérience ne sont pas toujours valorisées. « Aujourd’hui, déclare l’adjoint au directeur du développement urbain328, lorsque les gens se présentent, ils déclinent toujours leur école, X ponts, ESSEC, HEC. En plaisantant je dis que moi j’ai fait HET, les Hautes Etudes du Terrain, parce que c’est ça, c’est l’expérience. J’ai touché à toute la panoplie de l’équipement et à l’EPA j’ai fait trois postes différents et je connais tous les gens de la maison ». D’un autre côté, certains nouveaux venus sont étonnés de voir des agents relativement peu qualifiés avoir de lourdes responsabilités ou notent que d’autres sont installés dans la routine. À propos de la mémoire de la construction de la ville nouvelle de Cergy, notons qu’au cours des années quatre-vingt, si on exclut le personnel technique et les agents de bureaux ce sont les architectes qui constituent, chez les cadres, le groupe majoritaire des anciens détenant a priori cette mémoire et c’est sur eux que l’on compte. Sur les Rives de l’Étang-de-Berre en 1985, on dénombre 6 architectes et 1 paysagiste travaillant sur ce territoire depuis plus de 19 ans sur 11 agents identifiés (en dehors du personnel technique et des agents de bureau). À Cergy, la même année, les architectes et paysagistes présents depuis plus de 21 ans sont au nombre de 6 sur un total de 15 agents identifiés. À Evry le rapport est de 9 architectes et 1 paysagiste sur un total de 22 agents (toujours hors personnel technique et agents de bureau). Ainsi, quand, en 1979, le nouveau Directeur général de l’EPAREB cherche à s’attacher un adjoint ayant une mémoire de la ville nouvelle, il s’adresse à un architecte-urbaniste, Jean Ecochard, qui connaît depuis longtemps le territoire. Lucien Gallas justifie ce choix par la situation d’amnésie dans laquelle se trouve alors l’EPA, après la départ du tiers de son effectif, départ qui concerne surtout des cadres supérieurs ; « Il va me servir parce qu’il connaît bien le périmètre. Il a l’historique que je n’ai pas »329. Intervenant sur le secteur depuis 1966 au sein de l’OREAM de Marseille puis à la MAEB, à la MIAFEB et à la MIDAM, Jean Ecochard a, selon Lucien Gallas, « une vision de l’aménagement du territoire,( et) une vision cohérente sur l’aire métropolitaine »330. 327 Entretien avec A. Delaunne (par N. Arab en 1996) 328 Entretien avec M. Cosqueric (par N. Arab en 1996) 329 Entretien avec L.Gallas. 330 Ibid.

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I.4.2. L’horizon d’un urbanisme d’études et de conseil Au fur et à mesure de l’avancement dans la construction des villes nouvelles, les activités des agents des EPA se sont remodelées. Dans son rapport de 1995, Roland Peylet observe le déclin des « études générales […] au profit de l’opérationnel » (exception faite de Marne- la-Vallée et de Cergy-Pontoise qui ont encore un “ nombre appréciable d’architectes-urbanistes) ”331. Ce qui vaut à nombre d’architectes des services d’urbanisme de “ se consacrer de plus en plus à l’opérationnel ”. En même temps, les études changent de contenu. Suivant la politique de diversification des activités des EPAVN et l’éventualité de leur transformation en agences d’agglomération, les “ études générales ” ont été relancées à la fin des années 80, notamment à Evry et Cergy sous une forme nouvelle, relativement autonome par rapport aux fonctions directement opérationnelles. Il s’agit d’une fonction de conseil et d’orientation, d’une assistance à la maîtrise d’ouvrage ou de tâches d’observation, - comme cela devient le cas fréquent dans les Agences d’urbanisme -, ou encore d’un accompagnement à la conception de projet. Roland Peylet affiche une ambition “ prospective ”, c’est-à-dire une “ capacité d’adaptation à un marché en pleine évolution ”, et propose de “ reconstituer une capacité d’études et de prévision ” tant dans les EPA qu’au niveau central (projet de transformer le SGGCVN)332. En matière d’études, les EPA semblent avoir développé une expertise qui leur est propre, fondée sur leurs territoires et leurs acquis. C’est un versant de l’expérience professionnelle que de trouver sous le même terme - le travail d’études - mais à trente ans d’écart, des finalités, des pratiques et des méthodes très différentes. Dans le cas de l’EPEVRY, dès 1971 et jusqu’à la fin des années 80, l’observation des changements du territoire urbain est un souci constant. En 1971, on relève la proposition d’un “ observatoire économique ”, dont l’objet serait de “ suivre l’évolution démographique et économique au niveau de chacune des quatorze communes et autant que possible au niveau de chaque opération de logement (+ de 500) et de chaque entreprise […] (afin de) faciliter l’équilibre habitat/travail et l’ajustement des types de logements aux besoins ”333. En 1978, apparaît effectivement dans l’organigramme le projet d’un observatoire économique. Celui-ci est rattaché au service « Emplois » et a pour objet l’exploration et l’orientation (programmation) des activités opérationnelles : “ 1/Il recueille et analyse toutes les données concernant l’évolution de la ville nouvelle (logements, populations nouvelles, emplois, fréquentation des équipements, nécessité de connaître toutes les statistiques disponibles, de disposer des sources statistiques départementales, régionales et nationales). 2/ Il participe à la programmation qualitative des logements, des équipements et des activités ”334. En 1982 est créé un observatoire de l’environnement qui est quant à lui rattaché directement à la Direction générale 335. Puis cinq ans plus tard, en 1987 est mise en place une mission d’études de documentation et d’observation pour la région d’Evry (OMERE) qui reprend et développe les attributions de l’observatoire de l’environnement. Sa fonction se situe en amont, puisqu’il s’agit d’observer l’évolution économique et sociale de l’agglomération nouvelle (avec la mise 331 Roland Peylet, Rapport du groupe de travail sur la situation et les perspectives des EPA, MELT, le 9 février 1995 332 Ibid. p7 333 Notes du 06.07.1971 d’Yves Damoiseau à Monsieur Lalande concernant les expériences pilotes en matière d’informations sur le logement, menées à Saint-Quentin-en-Yvelines, Cergy et Rennes. Propositions pour la ville nouvelle d’Evry et projet d’observatoire économique (AD91-1523W/787). 334 Note du 31.01.1978 sur le service emplois (AD91-1523W/787). 335 Décision n° 27-82 du 01. 04.19 82, création d’un observatoire de l’environnement (AD91-1523W/787).

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en place d’indicateurs). Il vient alimenter les “ réflexions qui pourront aider ceux qui les auront commandées (Etat, communes, département, région)”, afin de “ maîtriser leurs propres développements et assurer les harmonies souhaitables ”. Il est précisé qu’il n’appartient pas à OMERE de procéder à des études ayant un caractère opérationnel336. Le chef de la cellule OMERE est par ailleurs le chef de l’Atelier d’urbanisme. Au-delà de ces activités d’observation qui prennent de plus en plus d’ampleur, les fonctions d’études n’ont pas tout à fait la même histoire d’un EPA à l’autre. À Cergy, la direction des études générales a développé des savoir- faire autour des directives d’aménagement et de la maîtrise d’œuvre urbaine depuis le début des années 70. Les « Ateliers d’été de Cergy » créés en 1981-82 sont une des manifestations de ces savoir- faire accumulés par les architectes-urbanistes et de leur souci de réflexivité autour du contrôle du « projet ». Au début des années 90, la Direction des études générales et par suite Bertrand Warnier sont en charge non seulement de ces Ateliers, mais aussi de l’association « Axe majeur », du GIE Exportation, etc337. Alors que les villes nouvelles sont devenues des villes « ordinaires », elles restent donc pour les architectes un objet de débat et un lieu d’expérimentation. Les études ont plus que jamais une fonction critique et les prestataires extérieurs sont précisément invités à tenir ce rôle : « L’EPA a toujours payé des gens pour être critiqué » explique Michel Jaouen qui après avoir travaillé à Cergy a repris une activité libérale 338. C’est aussi sur les interlocuteurs extérieurs, leur expérience, leur « matière grise » que compte le Directeur des études générales de Cergy pour à la fois faire passer des idées au sein de l’EPA et former les urbanistes les plus jeunes339. On pourrait alors s’attendre à voir les EPA devenir des agences d’urbanisme. Ce serait oublier que les EPA sont vus au milieu des années 90 comme des « structures fortes capables de porter des projets, alors que dans les agences on voit partir les études aux placards, parce que derrière il n’y a pas l’outil qui permet de transformer les intentions en réalisations »340.

336 Note d’orientation pour la mise en place d’OMERE, 29.09.1987 (AD91-1523W/787). 337 Organigramme de l’EPA de la ville nouvelle de Cergy-Pontoise, novembre 1992, AD 95, 288W3D 338 Entretien avec M. Jaouen (par N. Arab en 1996) 339 Entretien avec B. Warnier (par N. Arab en 1996) 340 Entretien avec A. Delaunne (par N. Arab en 1996)

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CHAPITRE II – UNE ADMINISTRATION DE MISSION LESTÉE PAR LES CULTURES PROFESSIONNELLES Les Missions sont fréquemment présentées comme des organismes relativement légers et évolutifs, qui auraient été capables à ce titre de s’adapter aux circonstances, de faire preuve d’efficacité et par ricochet de renouveler les méthodes et métiers de l’urbanisme. Cette représentation qui vaut aussi pour les premiers temps des EPA a le défaut d’être lisse et statique, de faire croire que ces structures ont été stables et douées de raison, que les compétences réunies avaient à composer en fonction d’une seule et heureuse direction. Dans les faits, on constate deux phénomènes. D’abord, comme le chapitre précédent l’a mis en évidence, le sens de la “ mission ” et son organisation changent au fur et à mesure de l’avancement de la construction de la ville nouvelle. C’est l’écart entre les fonctions d’étude et les fonctions opérationnelles qui se creuse, la place des fonctions d’administration et de “ commercialisation ” qui s’étend. La Mission puis l’EPA se déforme ainsi sous l’effet d’une répartition des tâches qui se renouvelle en permanence, ce qui n’est pas sans conséquence sur le travail de chacun comme sur le travail collectif. Et chacune de ces fonctions est elle-même en transformation continue et appelle des redéfinitions quant à ses objets et ses finalités (l’étude, la construction, la vente, la remise d’ouvrage). Ensuite la Mission devenue l’EPA est doublement tiraillée. Elle l’est d’une part entre des cultures professionnelles préexistantes et qui sont parfois en conflit, en particulier des cultures qui font “ corps ” comme chez les architectes ou les ingénieurs qui ont par ailleurs des pratiques de travail et des conceptions de l’organisation assez différentes. Elle l’est aussi en raison de nouvelles formes de savoirs et de savoir- faire qui non seulement ne peuvent pas faire référence à des métiers constitués de très longue date mais qui sont qui plus est pour certains en train de s’inventer, là, en villes nouvelles. Ainsi l’urbanisme donne-t- il lieu dans ces « laboratoires » à la fois :

• à des collaborations sans précédent entre savoirs et savoir- faire, collaborations dont les formes sont plus ou moins volatiles et qui peuvent faire émerger des compétences nouvelles ;

• et en même temps à des effets de différenciation, du fait à la fois des générations et des métiers en présence, car on a d'un côté les anciens, de l'autre les nouveaux, d’un côté des métiers bien identifiés et de l’autre des métiers pour lesquels les mots font souvent défaut ou pour lesquels il y a des luttes de désignations. La question se pose avec une acuité particulière pour ceux que l’on appelle les “ aménageurs ” et dont on ne sait pas bien s’ils ont un métier particulier ou s’ils contribuent à une fonction singulière341.

Cette seconde partie plus thématique que chronologique est consacrée aux métiers, aux collaborations que les Missions et EPA ont imposées aux agents qui y travaillaient et aux limites que de telles collaborations ont rencontrées. Davantage que dans le chapitre précédent, nous aurons ici recours aux entretiens.

341 Autour de la différence entre urbanisme et aménagement, P. Merlin, « L’enseignement de l’aménagement et de l’urbanisme », Géographie, Économie, Sociétés, vol. I, n°2, 1999, 367-379

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Le travail en commun peut prendre des formes fort différentes, selon les modalités d’organisation mais aussi selon l’étape du processus de réalisation des villes nouvelles, c’est-à-dire selon que l’on est dans la phase de conception, dans la construction ou si l’on se trouve dans au moment où la fermeture des EPA est plus ou moins imminente. En première approche, ce travail supposé être commun, ou à la rencontre de plusieurs métie rs, est dominé par les architectes-urbanistes vis-à-vis desquels s’organisent les jeux de proximité et souvent de distance de la part des autres membres des Missions et EPA. En réalité, cette domination est très relative. Elle dépend du contexte, tout à la fois du lieu et du moment. II.1. Formes et déformations de la “ pluridisciplinarité ” La mémoire des professionnels rencontrés est marquée par le « bonheur » du travail en équipe. Lui est toujours associé le terme de pluridisciplinarité (ou multi-, ou inter-) qui est un thème récurrent de l’urbanisme depuis au moins la seconde guerre mondiale 342. Les villes nouvelles en proposent une version particulière et évolutive du fait de leur nature d’administration de mission, où coexistent et se croisent diverses compétences et deux genres d’activités : l’urbanisme d’études et l’urbanisme opérationnel. Plusieurs conceptions et pratiques de la pluridisciplinarité se succèdent. II.1.1. La pluridisciplinarité dans l’urbanisme d’études La pluridisciplinarité est un terme magique. Invoquée de manière incantatoire par les professionnels, elle prend souvent la forme d’un récit enchanté d’une réconciliation autour de l’urbanisme. Le plaisir de travailler en équipe est largement partagé et perçu comme d’autant plus précieux que, sortis des villes nouvelles, les professionnels peuvent se retrouver à devoir travailler seuls. Au-delà des réseaux que ce travail a pu tisser, « les villes nouvelles, cela forme à la pluridisciplinarité », reconnaît aujourd’hui l’ingénieur-urbaniste Gérard Plaisant343. Un ingénieur des Ponts et chaussées quant à lui souligne que, après avoir appris dans un service des Ponts et chaussées à commander des subalternes et à négocier avec des élus, puis après être passé quelques années à la Mission Basse-Seine, il était devenu pour lui « banal de travailler avec des gens qui ne sont pas ingénieurs »344. Un autre ingénieur compare sa façon de travailler en SEM (« c’est pas un travail collectif c’est un travail qu’on paye ») et ce qu’il pratique ensuite en EPA (« c’est plus satisfaisant d’avoir des collègues que des sous-traitants »)345. On découvre au fil des entretiens et des archives, des pratiques et des conditions très différentes de ce travail en équipe. De ce point de vue, la phase des études en Missions se distingue de la phase suivante où les organismes sont mobilisés pour faire sortir de terre des infrastructures, des logements, des équipements, des espaces verts. Dans les années 1965-70, l’urbanisme d’études se développe dans « l’atelier ». Il n’est pas nécessairement pluridisciplinaire. Constitué d’architectes et directement piloté par le directeur général, l’atelier de la Mission de Trappes vit un peu à part (même dans sa localisation

342 Nous nous permettons de renvoyer à l’ouvrage, V. Claude, La ville travaillée. Les métiers de l’urbanisme au XXème siècle (à paraître) 343 Entretien avec G. Plaisant. 344 Entretien avec J.-C. Douvry 345 Entretien avec R. Varret

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spatiale) et recourt aux autres services de manière ponctuelle. En revanche, à la Mission de l’Étang de Berre, dans le souvenir de D. Becker, ingénieur des Ponts et chaussées, les échanges internes sont intenses et le temps passé dans les discussions lui paraît a posteriori énorme : « C’est vrai qu’il fallait que l’on se forge une vision des choses. Et c’est quand même pas facile. Et puis il y a des conflits de personnes. Les architectes qui travaillent ensemble, c’est extrêmement difficile. Parce que chacun s’approprie sa vision de la ville. Faire échanger deux architectes sur un sujet de ville, c’est quelque chose d’épouvantable. […] L’économiste, il a une approche beaucoup plus rationnelle. C’est quelqu’un avec qui on peut discuter plus facilement. Ce qui est difficile, c’est quand le passionnel l’emporte sur le rationnel. Et quand vous touchez au fondement même d’un métier qui est chargé de concevoir quelque chose. Et ce que l’on conçoit, c’est son projet à soi sur lequel on veut mettre son nom. Donc c’est très difficile. […] Le sociologue n’intervenait pas trop dans le débat interne. Le rôle du sociologue, il était plutôt d’approcher le problème de la population. Ces villes sont faites pour être habitées. Comment on intègre dans la démarche, les problèmes de population ?[…] Les sociologues ne faisaient pas de la sociologie universitaire. C’était des gens qui avaient une approche beaucoup plus pragmatique sur les problèmes des équipements, sur les problèmes de vie collective, sur la vie des associations, à la limite presque la communication. »346. Par rapport à ce qui est promu dans les années 60, dans les services d’études, que ce soit au sein du STCAU en 1967-69, dans les Groupes d’études et de programmation (GEP) des DDE ou dans les agences d’agglomération, la notion de pluridisciplinarité a pris dans les Missions et EPA des villes nouvelles un sens singulier347. Les études ont en effet dans ce cas un but précis : proposer une image, ensuite mettre en place un processus, puis faire en sorte que fonctionne un système de production de la ville. Il s'agit pour les Missions de fixer des objectifs d'aménagement qui puissent trouver les moyens correspondants, de manière à ce que, concrètement, la ville se matérialise sans que l’on s’attache à des scénarios ou à des « horizons » trop lointains. La pluridisciplinarité des études est alors tirée par l’objectif de construire et les EPA sont organisés de telle sorte que les compétences opérationnelles sont à proximité des hommes d’études pour vérifier – ou s’assurer - qu’une idée peut devenir une réalité techniquement et économiquement viable, la question de sa recevabilité politique et sociale restant dans les premières années largement ouverte. Arrivé en 1969 à l’agence d’urbanisme de Marseille (AGAM), Lucien Gallas organise les études à partir de l’expérience qu’il a eue au STCAU, où il s’agissait de « travailler sur les grandes méthodes ». Il précise : « Moi-même j’étais ingénieur et j’ai essayé de la faire un peu oublier et de jouer un rôle de pilote et de synthèse ». Appliquant l’analyse de système aux démarches de l’aménagement348, il cherche au sein de l’agence à « articuler les points de vue des sciences humaines et ceux des gens chargés d’imaginer comment pourraient se développer progressivement des infrastructures de transport »349. Mais en même temps, comme on l’a vu, la nouvelle organisation qu’il conçoit pour l’EPAREB doit beaucoup à son expérience du couple formé par l’AGAM et la SEM locale.

346 Entretien avec D. Becker. 347 Sur les fonctions études et le STCAU, V. Claude, Les fonctions “études” et l’administration de l’urbanisme : fonction centrale contre fonction diffuse (1954-1969), École d’Architecture de Strasbourg, ENSAIS, (pour le compte du Plan Construction et Architecture et de la Direction de la Recherche et des Affaires Scientifiques et Techniques), Paris, MELT, juin 1994. 348 J. Brian Mac Laughlin, Planification urbaine et régionale, Paris, Dunod, 1972 349 Entretien avec L. Gallas

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Ailleurs, comme à l’agence de Grenoble, Mireille Lucas voit des démographes, des sociologues, des urbanistes, des spécialistes des transports travailler ensemble. Mais, après pas loin de trente années passées à l'EPASQY, elle mesure la différence : « C’était au niveau des réflexions que c’était pluridisciplinaire… c’est plutôt le travail d’observatoire, d’études et de préconisations… ça n'allait pas jusqu’à l’opérationnel ». Dans un EPAVN, il en est autrement : « C’est une pluridisciplinarité de réalisation. […] Un EPAVN c’est pas fait pour faire des études, c’est fait pour que sur le terrain se traduise un projet de ville, un projet urbain. Tout est tendu vers ça»350. Des études sont aussi réalisées plus en amont de cette finalité constructive. C’est le cas pour la commune de Miramas sur les Rives de l’Étang-de-Berre au cours des années quatre-vingt. Ces études semblent alors ponctuelles, très ciblées et s’apparentent davantage au diagnostic social dans une relation empathique avec le terrain : « Miramas qui était une ville un peu sinistrée avant que l’EPA existe, avait eu une programmation de logements monstrueuse en quantité par rapport à ce que pouvaient être les véritables besoins. Donc on s’est penché sur cette ville en regardant les gens présents dans les opérations qui avaient plus ou moins avorté, en cherchant comment recoller les morceaux, comment redémarrer des démarches nouvelles mais sans brutaliser la ville. C’était une démarche très proche du terrain. […] Il y avait des gens, comme Anne-Marie Henriot, qui ont des profils très sciences humaines qui sont très importants dans la manière d’approcher les opérations notamment sur un espace en difficulté comme Miramas. […] Je ne sais pas si elle se serait trouvée mieux (dans une agence d’urbanisme). Elle était très en quête de terrain, très proche du terrain »351. De telles postures vont bien au-delà du travail d’études – entendu comme un travail en chambre - mais apparaissent largement en deçà de toute visée opérationnelle. Selon le responsable de l’EPAREB dans les années 80, la pratique de la pluridisciplinarité est à ce moment- là fortement territorialisée, à la différence de ce qui se fait à l’agence d’urbanisme de Marseille. Conjuguant les affinités de différents professionnels, cette pratique prend un nouveau sens lorsqu’un autre objectif s’impose, celui de construire. C’est vrai à l’EPAREB comme ailleurs. II. 1.2. La pluridisciplinarité comme outil de production La représentation des interdépendances est une autre façon de parler de la pluridisciplinarité. « Ils avaient tous besoin de nous » est une phrase que l’on a entendue, aussi bien de la part des agents du service foncier, du service financier ou de la programmation. Cela se traduit par une certitude : chacun sait qu’il est indispensable et en même temps que, sans les autres, il n’y arrivera pas. Un ancien directeur général définit ainsi l’équipe : « Des gens individuellement incompétents, mais qui globalement apportent des réponses »352. Cette représentation organique s'accompagne d’une proximité continue et d'échanges incessants entre les membres du personnel. Certains agents doivent au quotidien informer, s’informer, recue illir un avis auprès de leurs collègues, leurs rappeler leurs propres contraintes (le temps, le budget, les possibilités et impossibilités techniques, les demandes et engagements vis-à-vis de l’extérieur). À cet égard, les personnes chargées de la communication, de la commercialisation ou du contrôle de gestion ont la vision la plus globale mais aussi la plus

350 Ibid. 351 Ibid. 352 Entretien avec P. Linden

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superficielle de ces interdépendances. De la contrainte, les agents placés dans les fonctions les plus techniques (au sens de l’ingénieur) en ont à l’inverse une représentation plus sectorielle et plus prégnante. Au plus près du terrain, cette interdépendance prend un caractère opérationnel. À Cergy-Pontoise, la réalisation du centre et du quartier de la Préfecture fait l'objet en 1969 d'une réflexion approfondie : cette réalisation est vue comme une opération névralgique et susceptible à la fois de préfigurer le centre de la ville nouvelle et d’inaugurer une manière de fabriquer celle-ci. Cette réflexion met en relief la complexité des interdépendances qu'il faut concevoir353. Dans l’explication qu’en donne le chef du Service opérationnel, Pierre Richard, cette complexité vient de la nécessité qu'il y a de distinguer et de relier à la fois des temps, des tâches, des échelles. Son discours de la méthode s’articule autour de quatre opérations : • Distinguer la part des études (avant et en interne à la Mision-EPA) et celle de la

réalisation (après l'apparition du maître d'ouvrage externe) et en même temps les articuler.

• Distinguer les échelles : si le quartier est considéré comme un projet d’ensemble, il est aussi composé de "projets élémentaires" (ou "opérations") ce qui oblige à distinguer des "secteurs" au sein du quartier tout en pensant leurs relations.

• Distinguer des niveaux de responsabilités : • chaque projet est "géographiquement identifiable" et placé sous la

responsabilité d'un architecte ("car chaque projet se traduit in fine par une esquisse architecturale") ;

• en même temps, chaque projet a son substratum qui déborde de ses limites (VRD, foncier, dimensions financière et administrative) et qui demande la participation d'autres compétences avec un responsable fonctionnel.

Chaque maître d'ouvrage a donc deux interlocuteurs au sein de l'EPA (responsabilité architecturale et responsabilité fonctionnelle) et ces deux interlocuteurs doivent organiser cette relation.

• Agréger les projets élémentaires autour de problèmes types qui sont pris en charge par des coordinateurs internes à l'organisme.

Cette réflexion dessine des interdépendances fonctionnelles multiples et fines. En plus de l'éventail des compétences techniques, elle distribue trois rôles autour des projets : responsable, participant, coordinateur. Comme on le verra plus loin, dans le témoignage de Michel Gaillard, le coordinateur acquiert progressivement une vision générale et intégrée des différentes échelles, des différentes étapes et des différentes compétences d’une opération, cette vision restant pourtant limitée à cette opération. À Cergy, le Service opérationnel de la Mission se compose de “ cellules ”. En 1968-69, sur le modèle du quartier de la Préfecture, on en retrouve le principe pour le quartier d’Éragny. Deux ou trois compétences différentes composent une “ cellule ”. Il en est de même pour la base de loisirs et la zone industrielle. En 1975, dans les cellules du même Service opérationnel de l’EPA (dénommées “ Centre ville nouvelle ”, “ Logements quartier préfecture ”, “ Éragny ”) on trouve un architecte, un ingénieur et un dessinateur, plus souvent un architecte accompagné d’un ou deux dessinateurs. En 1992, cette façon de faire s’est clarifiée et stabilisée. Le Service opérationnel rebaptisé Direction du développement urbain est, à cette date, composé de quatre “ équipes de quartier ”. Chacune d’entre elles est censée assurer les

353 Note du 19.03.1969 de P. Richard AD 95, 1315W/67W71

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fonctions suivantes : “ Conception des quartiers, urbanisme opérationnel, aménagement des espaces publics, architecture, directives d’opérations. Assistance aux constructeurs pour la mise au point des opérations ”. 354 L’équipe de quartier intervient : • “ pour les travaux dont l’établissement public assure la maîtrise d’ouvrage, depuis les

premières études de conception jusqu’au dossier d’appel d’offres, • pour les réalisations qui font l’objet d’une maîtrise d’ouvrage extérieure depuis les

premières études et la remise des directives d’aménagement jusqu’au permis de construire ”.

Selon les énoncés de l’organigramme, chaque équipe se compose 355: • d’un “ ingénieur plus spécialement chargé des projets d’infrastructures, du bilan des

ZAC, de la gestion technique des opérations ”, • d’un “ urbaniste plus spécialement chargé de la conception des quartiers (urbanisme,

aménagement des espaces publics) et du suivi de projets sur les plans de l’urbanisme, de l’architecture, de l’environnement ”,

• d’un “ assistant technique ” qui suit les études, réalise les documents écrits et graphiques et seconde l’ingénieur et l’urbaniste,

• et d’un “ dessinateur ” qui procède à l’exécution de l’ensemble des documents graphiques.

Quatre secteurs sont à ce moment- là identifiés : Cergy-Préfecture, l’Hautil, la Rive gauche de l’Oise et l’ensemble alors en chantier, composé des quartiers de Courdimanche, Cergy Saint-Christophe et Cergy- le-Haut. Il est alors entendu que ces “ secteurs d’intervention sont susceptibles d’évoluer en fonction des nouveaux quartiers à urbaniser ”. Les agents travaillant dans ces équipes ont pour plus de la moitié d’entre eux plus de vingt ans d’ancienneté dans l’EPA et notamment dans le même service opérationnel (ancêtre de la Direction du développement urbain). Leur activité s’appuie sur une bonne connaissance de la construction de la ville nouvelle et sur une expérience du travail en commun. Le passage à la phase opérationnelle et à sa logique de production rend par conséquent l’interdépendance particulièrement impérative. En témoigne Michel Gaillard, architecte à Cergy, qui donne à voir comment les choses se passent concrètement356 : « Mon travail consiste à faire des directives d’urbanisme des opérations, suivre leur réalisation, accueillir les habitants. J’affine le programme et je définis le type de maîtrise d’ouvrage qu’il faut chercher. Je découpe le secteur entre HLM locatifs, HLM en accession à la propriété, activités. Il faut déterminer la position du marché, des commerces, de l’école, du LCR. Il faut organiser leur cohabitation, déterminer les espaces de stationnement, figer le périmètre des terrains à céder et les desservir en réseaux. Les directives d’aménagement précisent ces

354 Organigramme à la date du 1.03.1975, Directeur général Bernard Hirsch, AD 95 1461W-294W6F ; organigramme de l’EPA de la ville nouvelle de Cergy-Pontoise, novembre 1992, Directrice générale Anne-Marie Idrac, AD 95 1072W-288W3D 355 En 1996, les équipes « généralement constituées d’un architecte-urbaniste, d’un ingénieur d’études pour les réseaux en particulier et en général un projeteur et à l’époque un dessinateur. Maintenant c’est l’informatique qui fait tout ça, on n’a plus besoin de dessinateur... Donc une équipe par quartier qui est à l’origine un peu de tout ce qui se passe, ce sont eux qui donnent les directives pour les opérations qui doivent être réalisées sur leur territoire ». Entretien avec M. Cosqueric (réalisé par N.Arab en 1996) 356 Entretien avec M. Gaillard

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frictions (…). Je trace les plans, les dessins d’atmosphères recherchées, je gère mon quartier sur maquette. Claude Lancelle (directeur du service opérationnel) coordonne l’activité des différents spécialistes impliqués : foncier, contrats de vente, réseaux, programmation, chantier. Lancelle veille à ce que Fauchey (ingénieur infrastructure) fasse son boulot (les prestations BET), à ce que moi je fasse le mien, à ce que les types achètent les terrains (« Est ce qu’on les a ? Est ce qu’on peut les vendre ? »)… Odile Jourdan, sociologue assure le lien entre les logements à construire et les entreprises : « L’année prochaine, disait-elle, on va recevoir telle entreprise. Le chantier démarre à telle époque. Il faut 350 logements machins, 150 logements trucs ». Lancelle cherche les promoteurs. En haute conjoncture, c’est nous qui désignons les architectes. En basse conjoncture : « Vous pouvez choisir, Messieurs ». C’est ça le boulot en EPA, tout doit se coordonner en même temps : logements, commerces, équipements, transports ». L’architecte dès lors qu’il est coordinateur est pris dans ce système de production au point d’être parfois considéré comme un « ingénieur des travaux »357. Il acquiert une conscience aigue de ses responsabilités et de celles de l’organisme. Car non seulement il assure « la qualité de l’espace public, les ramifications privées, les liens fonctionnels, plastiques, architecturaux, paysagers qui doivent se tisser entre tous les éléments des programmes individualisés »358. Il est aussi conscient que le système de production urbaine crée des solidarités fonctionnelles : « La compétence que les autres devaient me reconnaître, c’était celle-là. Je devais mettre sur le terrain, dans l’espace, ce que les autres spécialistes me donnaient. Chaque spécialiste était un moyen de mieux travailler. Je savais que les tubes que faisaient Fauchey, c’étaient nous, l’EPA qui les payons, c’était dans l’équation de nos salaires, de la vie de la boutique. Quand Fauchey me demandait de raccourcir ou de mettre tel tuyau à tel endroit, pour améliorer son bilan, c’était important. C’était un problème que je prenais en compte, (même si) je pouvais faire valoir d’autres arguments ». Cette mise en commun des contraintes est un fait que d’autres, dans de tout autres fonctions, ont aussi perçu. Au service financier de l’EPASQY Gérard Cousson (économiste, 27 ans à son entrée à l’EPA) se souvient que la circulation des fiches navettes qui donnaient des coûts d’objectifs des ouvrages a permis que « le service travaux s’acculture à la question financière… qu’il intègre la contrainte »359. Cette interdépendance est perçue comme d’autant plus forte que s'impose la logique des périmètres d’études et d’intervention, comme à l’EPAREB où les services techniques sont faibles pour ne pas dire absents. Dans cet EPA, au début des années 1980, les services étant organisés par secteurs géographiques, l’interdisciplinarité se définit comme un ensemble d’interactions multiples et permanentes, une discipline commune sur un territoire qui est au centre du projet. Gérard Plaisant y travaillait en petite équipe avec « une architecte (Nicole Chalain), un paysagiste (Georges Demouchy), un ingénieur (GP), une sociologue (Anne-Marie Henriot). Ça c’était formidable comme organisation. C’était très moderne et ça a produit vraiment… D’abord la qualité des relations des gens, tout le monde avait vraiment cet objectif. Et l’on se jugeait par rapport à ce que l’on produisait. C’était très riche et j’étais avec des gens d’une énorme qualité. Là on s’est vraiment fait plaisir »360. Les situations de travail sont ici vécues comme quasi fusionnelles.

357 Entretien avec R. Hornberg (réalisé par N. Arab en 1996) 358 Ibid. 359 Entretien avec G. Cousson 360 Entretien avec G. Plaisant

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II.1.3. La pluridisciplinarité comme outil de management Jusqu’au milieu des années 80, au sein de l’EPEVRY, la pluridisciplinarité se pratique essentiellement dans des “ groupes de travail ”. Ces derniers réunissent des professionnels de formation et de services différents et doivent compenser les défauts d’une organisation décrite comme trop verticale. On retrouve le même phénomène au sein de l’EPASQY comme le confirme la campagne d’entretiens effectués auprès de son personnel d’encadrement. À la question : “ Comment se traduisait dans le travail concret le souci de la pluridisciplinarité au sein de l’Établissement public ? ”, les professionnels de Saint-Quentin répondent en évoquant la constitution de “ groupes de travail interdisciplinaires ”. À Evry, le groupe de travail pluridisciplinaire équivaut en réalité à un groupe de travail inter-services. En 1978, dans le cadre des travaux de la commission “ conditions de travail ”, on espère par ce moyen assurer des liaisons organiques et une coordination entre les services qui fait alors cruellement défaut. Sont alors proposées à la fois la “ constitution de groupes de travail sur un thème donné (la programmation) constitués d’un membre de chaque service concerné - ce groupe n’ayant aucune responsabilité particulière si ce n’est de coordonner l’action des différents intervenants, les chefs de service restant responsables, chacun dans son domaine, et sans aucune préséance de service ” - et la mise en place de “ réunions systématiques entre des services ou des parties de service dans des domaines où une réflexion élargie est souhaitable (participation du service promotion lors des réunions de l’atelier sur tel ou tel secteur opérationnel par exemple) ”361. Ces groupes ont eu plus ou moins de succès. Ainsi au cours des années 1980, à Evry : “ Certains (de ces groupes) ont bien fonctionné (logement des jeunes, câble, St Michel). D’autres comme le groupe projet “ Centre ” dont j’ai proposé plusieurs fois la création, n’ont jamais pu être opérationnels ”362. En 1985, un rapport d’enquête de l’inspection des Finances sur l'EPEVRY, soulignant le caractère cloisonné de son organisation, propose que cette “ organisation verticale ”, source de blocages et de conflits, soit remplacée par une organisation horizontale, “ pluridisciplinaire par zone géographique […] regroupant commerciaux, urbanistes, techniciens ”. Cette formule aurait le mérite de permettre la constitution par secteurs d’équipes de professionnels “ responsables de leurs décisions communes (et ainsi) jugés et sanctionnés dans la procédure de contrôle de gestion ”, mais aussi capables comme “ intermédiaires, de filtrer les conflits ”363. Si la diversité disciplinaire existe dans les EPA du simple fait de la variété des origines et des profils professionnels des agents, elle a été utilisée à Évry d’abord comme un outil d’aménagement, ensuite comme un outil de régulation et de management. Les groupes de travail qu'ils soient thématiques ou géographiques ont pour but de sortir les services de leur isolement et d’éviter la confrontation entre logiques différentes. Le projet d’organisation de la division “ Habitat ” dans la nouvelle formule prévue à l’EPEVRY pour 1987 propose effectivement un “ système croisé permettant des regroupements sous deux aspects :

361 Compte-rendu de la réunion du 23.12.77 entre MM Lalande et les chefs de service et la commission « conditions de travail » (AD91 1523W/787) 362 Compte-rendu de Colot de la réunion du comité d’entreprise du 27. 06. 1986 “ en vue de préciser la mise en place de la réorganisation générale proposée par la Direction Générale ”, p.2 (AD91 1523W/1795). 363 M. Severino, inspecteur des finances, rapport d’enquête sur l’EPEVRY, Ministère de l’économie et des finances et du budget, août 1985, p.4 (AD91, 1523 W / 598).

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• verticalement pour rassembler les compétences dans deux unités (marketing développement commercialisation d’une part, étude et production de l’espace urbain de l’autre)

• horizontalement pour rassembler les professionnels dans une équipe de travail ayant pour objectif la réalisation d’un secteur ou d’un îlot ”364.

Au fil du temps, ce que l’on appelle pluridisciplinarité est dans ce cas devenu un moyen d’activer un organigramme qui sommeille ou qui risque la sclérose. Cette utilisation du groupe de travail est assez habituelle même dans les établissements qui n'ont pas rencontré les difficultés et la crise de l'EPEVRY. À Saint-Quentin-en-Yvelines, par exemple, Jean-Paul Alduy réintroduit à son arrivée la formule du groupe de travail pour "relancer" l'EPA365. II.1.4. La pluridisciplinarité comme polyvalence Avec les réorganisations des EPA, comme celle de l'EPEVRY en 1987 ou celle de l’EPAREB en 1989, une nouvelle acception de la pluridisciplinarité se diffuse. Elle prend la figure de l’“ aménageur ” et celui-ci devient un métier qui n’est plus seulement celui de l’ingénieur. La pluridisciplinarité est alors envisagée au niveau non plus du groupe mais individuellement comme “ une polyvalence des agents ” 366. Sont définis comme “ aménageurs ”, les agents qui auront pu “ globalis(er) leur fonction ”. Ils “ pourront être les acteurs de notre mission, alors que ce qui préféreront approfondir leur technicité ne pourront en être que les auxiliaires ” 367. L’aménageur est ainsi censé être capable d'intégrer toutes les échelles, finalités et contraintes. C’est un professionnel polyvalent (pluridisciplinaire) qui a une vision d’ensemble et une maîtrise complète de la situation ; il a quelque chose à dire sur tout. Selon le directeur général de l’EPEVRY, “ pour remplir leur mission d’aménageur, les centres de compétence devront assurer des fonctions diverses : urbanisme, technique, commercial, financier, publicité,… ”. Selon ce point de vue, la figure la plus achevée de l’aménageur, c’est celle du chargé de la commercialisation, situé au plus près de la demande. Les “ commerciaux ” sont ces nouveaux “ généralistes ayant une vue globale de leur mission ”. Issus en priorité des services L (Logement) et AE (Activités-Emplois), ils sont destinés à occuper des postes de direction (“ coordinateur ”) des centres de compétences dans la nouvelle organisation. Avec cette nouvelle modalité managériale, les contours d’une autre culture professionnelle se dessinent. À la différence de l’urbanisme d’études qui juxtapose ou fait discuter entre eux divers spécialistes, à la différence de l’urbanisme opérationnel où le travail de production de la ville passe par l'équipe de projet et une activité qui garde un caractère collectif, l’aménageur est devenu dans cette dernière étape un généraliste, hybride, pouvant déployer ses capacités de créativité, d’analyse et de synthèse, à l'image des ingénieurs de l’Équipement, notamment les ingénieurs des Travaux publics de l’État que l’on qualifie volontiers de techniciens polyvalents. Cette tendance s'accompagne, chez les agents qui ont le plus d'ancienneté, d'une représentation nostalgique de la pluridisciplinarité d'hier. Ils observent

364 Centre de compétence “ habitat urbain ”, non daté (sans doute 1986), p.8 (AD91-1523W/911) 365 Entretien avec M. Lucas. 366 Propos de Muzeau, Compte rendu de la réunion du comité d’entreprise du 27 juin 1986 “ en vue de préciser la mise en place de la réorganisation générale proposée par la Direction Générale ”, p.3 (AD91 1523W/1795). 367 Propos de Colot, ibid.

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comme à Cergy au milieu des années 90 que l'EPA n'est plus une "équipe" mais une "juxtaposition de métiers"368. II.2. Spéculations entre administrateurs, ingénieurs et architectes Si les métiers font différence, les statuts renforcent les écarts. Le clivage qui apparaît au sein des Missions de la Région parisienne touche au statut entre les personnels administratif et technique détachés de l’AFTRP d’une part et les “ ateliers décentralisés ” de l’IAURP de l’autre. C’est en 1966 dans une réunion du groupe de travail interministériel des villes nouvelles de la Région parisienne, que le chef de la MEAVN d’Evry, A. Lalande distingue deux profils369 : - “ l’équipe d’urbanistes (qu’il faut renforcer) au moyen de contrats d’études avec IAURP

et - l’équipe ‘d’aménageurs’ (qui est à créer et) qui pourrait être prise en charge par l’Agence

foncière ”. Dans cette première approche des années 1965-70, les architectes-urbanistes paraissent devoir rester cantonnés dans des rôles d’hommes d’études, tandis que ce que l’on nomme “ opérationnel ” pourrait être une activité réservée aux “ aménageurs ”. Ces dernières figures sont encore incarnées par des ingénieurs (leur employeur est l’AFTRP) mais restent dans ces années 60 mal identifiées et largement à inventer. Reste que les services opérationnels des EPA vont être dirigés à Cergy comme à Évry par des ingénieurs, et dans un premier temps par des ingénieurs des Ponts et chaussées, capables de réunir compétences techniques, compétences administratives et compétences financières. En 1974, dans son rapport sur le personnel des EPA, Jean Werquin fait mention de ce clivage entre les deux statuts à propos des niveaux de rémunération et des conditions d’avancement plus favorables pour les agents techniques et administratifs de l’AFTRP 370. Cette différence concernant les organismes de rattachement s’est traduite dans les Missions et les EPA, par la séparation entre service opérationnel et atelier d’urbanisme. Cette distinction entre architectes-urbanistes et ingénieurs-aménageurs s’appuie sur les qualités supposées des uns et des autres, la créativité pour les premiers, la capacité de mise en œuvre pour les seconds. Selon J. Werquin, les uns et les autres se côtoieraient peu, puisqu'ils interviennent dans des temps différents, d’abord celui de la conception pour les architectes-urbanistes ensuite celui des opérations pour les ingénieurs supposés être les nouveaux « aménageurs ». Mais dans les faits, cette division du travail ne fut pas aussi nette, comme on vient de le voir ; la constitution d’équipe par projet ou par territoire comme le développement des activités opérationnelles ont créé des interdépendances, les architectes travaillant alors hors de l’atelier. C’est donc à partir de représentations stéréotypées des métiers et de leur dualité, que J. Werquin propose pour assurer une gestion optimale du personnel le double découpage suivant :

368 Entretiens réalisés par N. Arab en 1996. 369 Groupe de travail interministériel des villes nouvelles de la Région parisienne du 28.6.1966 AN CAC 910585/2 370 Jean Werquin, op. cit., p.19

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- “ En Région parisienne, les directeurs généraux pensent que les agents, soit d’exécution, soit d’ordre administratif, peuvent fort bien travailler sur place jusqu’à leur retraite, mais que ce serait avec les fonctions de conception, que la mobilité est au contraire souhaitée. Le cas particulier des architectes et des urbanistes est souvent évoqué. Plusieurs directeurs estiment qu’il leur faut des architectes jeunes et dynamiques, dont le trait essentiel soit la créativité. Mais celle-ci s’émousse, et rares sont les postes où un architecte en chef (sic) peut continuer sur place, en prenant la direction d’une équipe plus jeune. Aussi cherche-t-on à valoriser, en les mettant en contact avec les conditions courantes de la profession (concurrence et responsabilités) sans les priver de l’appui par lequel l’EPAVN compense leur relative inexpérience, et leur confère son image de marque. Les formules varient selon les établissements, mais tous les directeurs s’accordent à déclarer qu’un architecte devenant routinier perdrait une grande partie de sa valeur, et nuirait à la réputation de l’EPA ”371. L’auteur propose d'embaucher les architectes-urbanistes sur des contrats à temps partiel, suivant l’exemple de la ville nouvelle, dite alors de la vallée de la Marne.

- En même temps ajoute l’auteur : « Toutes les fonctions ne gagnent pas à changer trop

fréquemment de titulaire ; l’expérience vaut mieux que la créativité quand il faut étudier une affaire ou gérer des ressources ”. Plus loin, concernant la proposition d’introduire une prime d’ancienneté, l’auteur ajoute : “ On peut aussi décider de n’attribuer de primes d’ancienneté qu’à l’intérieur de certaines “ filières ”, celles où il est normal et même souhaitable que les agents fassent carrière”.

Les conséquences pratiques sont tirées des qualités prêtées a priori aux uns et aux autres. Elles concernent le fonctionnement de la structure, l’age optimal lors de l’embauche, les statuts, les formes de gratification. Autrement dit, ce rapport esquisse pour les années 70, les grandes lignes d’un « management » raisonné des ressources humaines dans les EPA. II.2.1 L’évolution de la part prise par les architectes-urbanistes : signe des mutations Dès le moment où se sont constituées les Missions, les architectes prennent la première place et le modèle de la profession libérale, la référence à l’agence d’architecture, hantent les ateliers tant dans les Missions que dans les EPA372. C’est de ce côté, de l’architecture et de la maîtrise d’œuvre, que l’inventivité est censée se loger. Bien des organismes font appel à des professionnels réputés, quitte à limiter le rôle des architectes en interne et à courir le risque de fronde de la part des plus jeunes et des plus ambitieux d’entre eux. Pour les architectes travaillant dans les Missions et les EPA, la maîtrise d’œuvre reste extrêmement attractive. En 1968, lors des assemblées générales des salariés qui jalonnent le mois de mai, les architectes de la Mission de Cergy souhaitent que "la possibilité de construire" leur soit offerte, "sous réserve de la bonne marche du service"373. En 1970, à Evry à l’occasion du passage de la Mission au statut d’EPA, une note adressée par chacun des architectes-urbanistes, chargés d’études, au directeur général annonce le “ projet de création par les membres de l’atelier d’urbanisme d’Evry d’une société professionnelle ayant vocation

371 Ibid. 372 Sur la culture professionnelle des architectes en villes nouvelles telle qu’elle perçue à la fin des années 1970, J.-C. Boyer, La programmation… op. cit 68-90 373 Bilan des travaux du 20.05 au 6.06.1968, AD 95 1072W/288W6B

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à construire ”374. Ce souhait de passer à la maîtrise d’œuvre tout en participant à la conception de la ville nouvelle rencontre les réticences de la part du directeur général de l’EPEVRY, comme le rappelle une note de Jean-Eudes Roullier concernant l’Atelier d’urbanisme d’Evry : « Ils (les architectes) auraient sans doute, souhaité y être intégrés (à l’EPA), mais ils ont conscience que ce n’est pas désiré par M. Lalande, et que d’ailleurs ce serait peut-être pour eux une fausse solution, qui n’aurait de valeur que provisoire »375. On cherche alors à s’inspirer de l’organisation mise en place à la Mission interministérielle du Languedoc-Roussillon où il y a d’un côté une agence d’architecture et d’urbanisme et de l’autre un organisme aménageur : « Un de leurs souhaits aurait été de devenir peu à peu l’agence d’urbanisme de la « ville nouvelle » au sens large (quatorze communes) »376. Ce désir de construire devient réalité à Cergy où plusieurs architectes travaillent dès 1969 à la fois pour l’EPA et pour des maîtres d’ouvrage dont certains sont privés. Le Directeur général justifie cet état de choses et même l’encourage, en affirmant que les orientations d’aménagement de la Mission seront d’autant mieux respectées que le maître d’œuvre a pris part à leur définition377. Toujours à Cergy, les conflits autour du choix du maître d’œuvre pour le projet d’extension de la Mission (un praticien de la structure ou un prestataire extérieur) comme l’opposition des architectes de la même Mission aux intentions du directeur de faire appel aux services d’un “ architecte conseil ” – ce qui est alors le cas à Evry378 et à Saint-Quentin - montrent que certains architectes-urbanistes accordent une grande importance au fait qu’ils sont d’abord architectes et que leur vocation est de bâtir. Ils ne ratent pas une occasion de le rappeler. L’architecte André Mathieu qui est à Cergy à la fin des années soixante, se souvient de sa « croyance dans l’architecture publique » et de l’espoir vite déçu, chez un certain nombre d’architectes à leur entrée à la ville nouvelle, de « pouvoir monter un atelier public d’architecture »379. À son arrivée à l’EPAREB dans la décennie suivante, il devient directeur de l’urbanisme et de l’architecture du secteur Est, a alors quelque mal à se faire reconnaître comme tel et obtient du Directeur général la possibilité d’exercer comme architecte libéral dans le Vaucluse380. Pour ce qui est de la place prise par l’Atelier d’urbanisme dans la vie de l’organisme, Evry constitue un cas d’école : le responsable de l’atelier se préserve à la fois des concurrents extérieurs (architectes) et des rivaux à l’intérieur (ingénieurs). L’expérience et la culture du Directeur général, très lié au milieu des architectes, donnent souvent l’avantage au chef de l’Atelier, par exemple dans son conflit avec le directeur du service technique qui est ingénieur des Ponts et chaussées. Au milieu des années 70, l’enjeu de ce conflit tourne autour du contrôle de l’urbanisme : “ Mr X, ingénieur des Ponts, devait prendre progressivement du poids. Ce qu’il a fait. Mais à un moment donné, il y a eu une sorte de conflit entre l’atelier d’urbanisme que je dirigeais et le service technique qui avait pris la maîtrise des communes. À l’époque, je n’avais pas pris en compte cette situation, alors que je continuais à me battre sur les idées. Mr X a déclaré qu’il voulait tout diriger, l’urbanisme comme les services

374 Courrier du 15.10.1970, AD 91, 1522/23 375 Note de Jean-Eudes Roullier, Atelier d’urbanisme d’Evry. Entretien du 31 janvier 1970 avec MM. Mottez, Desebraux ( ?) et Thomas, le 2 février 1970, p.1 (archives personnelles de Jean-Eudes Roullier) 376 idem, p.2. En ce qui concerne la Mission Languedoc-Roussillon, A. Lyonnet et L .-A. Ménard, Recherches sur l’administration de mission dans la vie locale, Paris, PUF, 1969 377 Courrier du 10.9.1969 au directeur de l’IAURP sur le choix du concepteur du centre commercial de Cergy AD 95, 1382W/174W40B 378 C’est l’occasion d’une véritable compétition entre confrères M. Mottez, Carnets de Campagne… op. cit. 51-58 379 Entretien avec A. Mathieu 380 idem

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techniques. André Lalande lui a répondu qu’il devait s’arranger avec moi. Je l’ai envoyé promener. Lalande ne l’a pas aidé et je suis resté le “ champion ” de l’urbanisme. Il ne lui restait plus qu’à partir ”381. L’influence de l’Atelier s’étend plus loin, jusqu’aux affaires commerciales, à la faveur d’une vacance de responsabilité dans ce domaine : “ Cet Atelier, avec Baÿ vieillissant, (DGA, responsable de la commercialisation des terrains destinés à accueillir du logement) a pris de plus en plus de poids dans les tractations commerciales avec les promoteurs ”. Par la suite, au début des années 80, le Directeur général de l’EPEVRY relève à plusieurs reprises, la place exorbitante qu’occupe l’Atelier au sein de l’organisme. “ Les architectes mettaient leur veto quand ils pensaient qu’on voulait abîmer “ leur ” territoire ”, déclare M. Colot a posteriori. Ce fut en particulier le cas autour du projet d’implantation d’entreprises (Helwett Packard, groupe Accor)382. Si le Directeur général affiche la volonté de réduire les pouvoirs de l’Atelier, son principal responsable arrivera néanmoins à être nommé en 1984 secrétaire général à l’aménagement et sera placé à ce titre auprès de la direction générale. Il aura alors pour mission “ de coordonner les actions de l’Etablissement public, notamment de l’Atelier d’urbanisme et du Service technique ”383. II.2.2. Caractéristiques d’une culture professionnelle apparemment dominante ° Le recours à des architectes d’agences Les Missions puis les EPA ont souvent eu recours à la collaboration d’architectes libéraux pour mener à bien les études urbaines. La MEAVN de Lille-Est a ainsi fait appel à une agence d’architectes avec qui elle a passé une convention pour la définition des grandes orientations. Dans le cas de l’EPASQY ou de l’EPAREB, ces architectes – que l’on appelle architectes-urbanistes - s’installent sur place dans les locaux de l’Etablissement afin d’épauler l’atelier d’urbanisme. À Cergy, des architectes-urbanistes britanniques sont sollicités en 1967 et 1968 et font de longs séjours au sein de la Mission. D’autres formules ont été utilisées. Ainsi la Mission interministérielle d’aménagement du Languedoc-Roussillon fonctionne avec une agence en charge des études d’urbanisme (pour le plan régional et les plans locaux) regroupant huit architectes, agence créée pour l’occasion, et liée à la Mission par une convention générale et différents contrats passés au fur et à mesure des besoins (décret du 18 juin 1963)384. Quel sens donner à cette pratique qui est habituelle dans l’administration de gestion comme au MRU dans les années 50? Pourquoi au sein d’une administration de mission avoir recours aux agences privées? Il est un fait qu’au début du processus de production des villes nouvelles, comme nous l’avons vu, « tout est à faire ». Dès lors la moindre petite compétence est précieuse. Il y a par conséquent plusieurs motifs à ce recours systématique à des architectes libéraux :

381 Entretien avec M. Mottez in J.-P. Laverrière, Et vinrent les bâtisseurs. Histoire de l’EPEVRY, 1991, non publié (AD91-1523W/1543). M. Mottez, Carnets de campagne, op. cit. p28, 50 382 Entretien avec M. Colot in J.-P. Laverrière, Et vinrent les bâtisseurs. Histoire de l’EPEVRY, 1991, non publié (AD91-1523W/1543). 383 Assemblée générale du comité d’établissement de l’EPEVRY pour l’année 1984 (AD91-1523W/1788). 384 A. Lyonnet et L .-A. Ménard, Recherches sur l’administration de mission dans la vie locale, op.cit

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- Concernant Lille-Est ou l’EPASQY, le recours à des personnalités extérieures pourrait

être une manière de contrôler l’atelier d’urbanisme, de faire contrepoids aux pouvoirs des architectes-urbanistes de l’établissement public, de créer en même temps les conditions d’une plus grande émulation.

- Il y a en outre le souci de s’attacher des architectes ayant des expériences dans des domaines spécialisés (les villes nouvelles anglaises, l’étude de grands projets à l’étranger) comme à Cergy ou Saint-Quentin.

- Faire appel à un “ architecte de renom ” comme Lamache à Evry devenu architecte-conseil de l’EPA, peut être aussi le moyen de non seulement compenser l’inexpérience d’une équipe de jeunes architectes mais aussi de parer à de possibles critiques (on peut craindre les foudres du Conseil de l’Ordre des architectes ou les obstacles internes à l’établissement). En fin de période, les concepteurs extérieurs jouent encore ce rôle de garants, si l’on en croit M. Jaouen architecte-urbaniste ayant travaillé à Cergy avant d’en devenir un prestataire : « L’EPA a des urbanistes, mais il connaît ses limites et se dit que ce serait bien d’avoir des apports extérieurs, qui soient différents… Un bon maître d’ouvrage doit faire et faire-faire des études pour être sûr de sa ligne, pour alimenter sa réflexion »385.

Au sein des EPA, les architectes défendent leur capacité de création et savent la mettre en scène au moment des “ charrettes ” ou dans l’usage très libre qu’ils font de l’écrit, à la différence des diplômés de l’université qui « savent rédiger »386. S’ils sont surtout absorbés par les activités d’études dites “ générales ”, qui les font passer pour les intellectuels des villes nouvelles, les architectes se présentent comme les garants de la qualité et de la continuité du projet général sur la ville nouvelle. Dans les activités opérationnelles, ils sont amenés à travailler au plus près des réalisations comme à Cergy ou sur les Rives de l’Étang-de-Berre. Là aussi ils se disent garants de la qualité et de la continuité entre les intentions et les réalisations. ° Faiblesse de la rationalisation et de la planification du travail de l’Atelier: En 1975, à l’occasion de l’enquête sur “ l’organisation du travail ” menée auprès des agents de l’Atelier de l’EPEVRY, les critiques portent sur l’absence de planning des activités, sur la faiblesse des directives et de la communication interne : “ 1/Les directives s’accumulent avec des ordres de priorité changeants et contradictoires, sans jamais faire référence à un planning atelier... 2/ La formulation des directives par le chef de service (apparaît) sous la forme de notes peu lisibles, incomplètes (et) tardives ”387. Les architectes sont aussi rétifs à une division trop stricte du trava il où sont en cause la gestion du temps, le calcul financier et la qualité des études. Sur le caractère trop formel de cette division du travail et les risques qu’elle comporte, le chef de l’Atelier d’Evry est très clair : “ La responsabilité des études pour l’atelier et la responsabilité des travaux pour le technique est un principe clair, et dans 385 Entretien avec M. Jaouen (réalisé par N. Arab en 1996). En interne B. Warnier tient des propos identiques. 386 Synthèse des réponses des agents de l’atelier au questionnaire “ organisation du travail ”, décembre 1975 (AD91, 1523W/787) ; “ Tout est toujours plus qu’urgent, bien qu’on donne toujours des minutes “ torchonnées ” et bourrées de fautes d’orthographe ” (une secrétaire d’architecte, 1976) Lettre de J. Ecorce, secrétaire d’architecte à M.Mottez, 1976 (AD91, 1523W/787). En 1996, Anne Delaunne en poste à Cergy souligne qu’elle fut la première non-architecte à la Direction des études générales et qu’elle « savait écrire », (entretien réalisé par N. Arab) 387 Synthèse des réponses… Ibid.

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l’ensemble cela ne fonctionne pas trop mal. Toutefois un comportement trop rigide consiste à rendre l’ingénieur responsable des délais et du budget et l’architecte responsable de la qualité ; les deux sont liés ”388. Les propositions en vue de l’amélioration de l’organisation et du fonctionnement de l’Atelier portent sur les relations avec le Service technique et visent à “ associer plus les architectes à l’élaboration des dossiers de marchés (surtout pour les espaces publics) ”389. Pour le directeur du Service technique, l’Atelier d’urbanisme doit rester limité à “ un service “ architecture ” ”, c’est-à-dire n’ayant aucune prise sur les questions financières et les plannings qui forment les nouvelles dimensions de l’aménagement et dont il dit être spécialiste. Le directeur du Service technique revendique alors son rôle de patron de l’urbanisme. On a vu que dans cette confrontation, à Évry à ce moment- là, il n’aura pas gain de cause. ° L’espace public : le dernier carré de maîtrise d’œuvre pour les architectes et l’entrée en scène des paysagistes Au cours des années 80, dans un contexte où les réalisations de Marne- la-Vallée en matière d’espace public sont jugées comme les plus innovantes, les architectes-urbanistes des villes nouvelles se découvrent une nouvelle vocation. À Evry, leurs activités vont se resserrer sur la conception et plus largement sur la maîtrise d’œuvre des espaces publics. À l’EPAREB, au milieu des années 1980, le domaine des espaces publics qui est dans la compétence du service des études et de la programmation, est le seul où la maîtrise d'oeuvre est « exceptionnellement » tolérée390. En 1986, dans le cadre de la réorganisation de l’EPEVRY, Luc Thomas, architecte–urbaniste, responsable de l’Atelier d’urbanisme, constatant l’éclatement de l’Atelier entre les trois nouveaux “ centres de compétences ”, demande la création d’“ une cellule relativement autonome regroupant des compétences qui existent chez T (service technique) et U (atelier d’urbanisme) ” concernant les espaces publics. Naît ainsi “ une cellule espace public ” qui devrait prendre en charge outre la Maîtrise d’ouvrage déléguée, la maîtrise d’œuvre. Il s’agit de “ re-responsabiliser = confier à cette équipe la responsabilité de la conception et des coûts. Ce qui veut dire retourner à la planche, faire des détails, des métrés, préparer les marchés, etc… (ce que font les paysagistes quotidiennement), suivre les travaux ce que les adjoints techniques et les types de la Maîtrise d’ouvrage déléguée savent faire ”391. Les paysagistes prennent leur part dans la conception et la réalisation des espaces publics, notamment à partir des années 80. Ils contribuent à concilier, non sans difficultés parfois, les attentes des architectes et les impératifs des ingénieurs. À Evry, un projet d’organisation du centre de compétence “ habitat ” de 1986 intègre dans son unité “ habitat urbain étude et production de l’espace urbain ” un « architecte paysagiste ». S’il “ participe à la conception spatiale des sites urbains ”, il est plus spécifiquement “ responsable de la conception des

388 Michel Mottez, Observations concernant les conditions de travail de l’atelier ayant rapport avec le service technique, 20.01.1976 (AD91, 1523/787) 389 Conclusions de la réunion restreinte de l’atelier du 28.11.1975, sur les réponses au questionnaire “ organisation du travail ”, 09.02.1976 (AD91, 1523/787). 390 Organisation de l’Établissement, le 21.03.1984 (archives EPAREB) 391 Note de Luc Thomas pour Charles Raymond, 2.10.86 (AD91 1523W/911).

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espaces urbains ”392. Dans ce centre de compétence “ habitat urbain ”, les architectes interviennent en phase pré-opérationnelle (avec la réalisation du dossier de faisabilité), mais sous le contrôle des chargés d’affaires, c’est-à-dire des « commerciaux »393. En fait, les paysagistes ont tenu une place très variable selon les EPA, en fonction des rapports de force internes entre métiers. Arrivés après que ces rapports se soient cristallisés dans des organigrammes, ils ont été associés soit aux architectes, soit aux ingénieurs, passant parfois des uns aux autres comme à l’EPAMarne 394. II. 2.3. Le service technique et les ingénieurs Comme on l’a perçu, les relations entre le service technique et l’atelier d’urbanisme sont souvent délicates. Cela tient pour partie aux cultures professionnelles et aux représentations réciproques que celles-ci véhiculent. Cela tient aussi à la façon dont se sont organisés les services. À Cergy, au début des années 80, un observateur extérieur note que l’une des conséquences de l’absence d’organigramme formalisé est de provoquer des « conflits d’attributions entre services ». Ces conflits creusent la distance entre ingénieurs et architectes : « Tout l’EPA suit au jour le jour les péripéties de cette petite guerre (entre architectes et ingénieurs) arbitrée par les chefs de service et le directeur général »395. En 1995, le directeur des études se souvient des relations difficiles entre urbanistes et ingénieurs routiers dans les années 1970 : « La cellule « infrastructures » de l’EPA était une forteresse défendue par un MOINE MILITAIRE... Celui-ci avait eu, d’une part la REVELATION (en dehors de ce que je pense point de salut), d’autre part la FORCE (l’oreille et la confiance de B.H., et une très grande gueule). […] Les urbanistes n’avaient de contact qu’avec le CHEF et la plupart du temps avec le SUPERCHEF (B.H.) pour arbitrages. Cela faisait de temps à autre une bonne ambiance »396. À Evry, les ingénieurs regrettent dans ces mêmes années 1970, que “ la participation aux études de l’atelier d’architecture (sic) (soit) insuffisante et formelle ». En fait, ce regret se mêle à leur désir d’intervenir davantage : « Les problèmes techniques et financiers ne sont pas abordés suffisamment tôt ”397. À leurs yeux, leur intervention au sein des Missions doit aller au-delà des questions de circulation ou d’infrastructure et englober les questions d’organisation. De ce point de vue, les compétences des ingénieurs sont probablement mieux utilisées à Cergy qu’à Evry. Néanmoins, la recherche d’accord se fait toujours dans un cadre imposé autant par les organigrammes que par les professions constituées (par les corps, ordres, écoles…). Les Missions comme les EPA ont attiré nombre d’ingénieurs. Qu’ils soient fonctionnaires ou non, ils sont séduits par la perspective de « gros chantiers » de bâtiment et surtout de travaux publics. « Gros chantiers », cela veut dire pour eux : gros budgets, complexité des ouvrages,

392 Centre de compétence “ habitat urbain ”, non daté (sans doute 1986), p.13 (AD91-1523W/911) 393 Ibid. 394 « Les architectes ne sont plus intégrés à la Direction de l’urbanisme et de la planification (composée majoritairement d’architectes) mais sont rattachés à la Direction des infrastructures », in « Les architectes au sein de l’EPA de Marne-la-Vallée », Compte-rendu de la réunion du 14.09.1994 à l’EPAMarne, DH/PO, MELT 21.09.1994 (archives J.-E. Roullier). Plus généralement Eleb-Harlé N. et S. Barles (sous la dir.), Hydrologie et composition urbaine en ville nouvelle, note d’avancement de la recherche, Paris, Ecole d’architecture Paris -Belleville/Institut français d’urbanisme, Université Paris VIII, IPRAUS, novembre 2003 (recherche pour le Programme interministériel d’histoire et d’évaluation des villes nouvelles) 395 Rapport de stage de B.Verlon, 1981, p 15-16, AD95, 1072W/288W3C 396 Note de Bertrand Warnier à François Bertault, 18.11.1995 (AD91- archives du personnel de l’EPAVNCP) 397 Note du groupe “ ingénieurs et assimilés ” sur les conditions de travail, 12.02.1976, p.6 (AD91-1523W/787).

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défi des contraintes (prouesses techniques, pression des délais, limites financières). Les ingénieurs en poste dans les DDE y trouvent un semblable intérêt, puisqu’à Cergy comme à Evry, les études d’infrastructures sont effectuées “ en étroite liaison avec la Direction de l’Equipement ”398. Ce qui ne veut pas dire que, des EPA aux DDE, les relations soient toujours tranquilles. Mais les contextes sont variables. Au cours des années 1965-75, au lendemain de la réforme administrative et la création de nouveaux départements, les organismes des villes nouvelles de la Région parisienne interviennent dans un paysage administratif en plein renouvellement. Ils dialoguent avec des directions départementales jeunes pour qui, comme pour les Missions, tout est à faire. Il en va différemment en Province où les DDE participent d’un territoire local avec ses inerties et ses dynamiques propres - même si ces DDE sont elles-mêmes en chantier car la fusion entre les deux ministères est récente et parfois difficile -. Les DDE se sont souvent senties agressées par des organismes perçus comme concurrents, car susceptibles de capter des commandes, et travaillant sur des périmètres d’intérêt national échappant à leurs prérogatives. Ce fut particulièrement vrai sur les Rives de l’Étang-de-Berre. Ce qui attire les ingénieurs, c’est aussi la possibilité de « réfléchir à des processus de production », comme Gérard Plaisant à l’EPAREB au début des années 1970. Cet appétit traverse les trois décennies de notre histoire. En 1994, Jean-Luc Nguyen, jeune ingénieur des Ponts et chaussées arrive à Cergy. Il a 33 ans et pour lui « faire de l’urbanisme » opérationnel, c’est la possibilité de « faire des choses plus complexes » que ce qu’il vient de connaître pendant trois ans en DDE. Il a alors une forte « attente de connaissances » et une grande curiosité : « Comment on fabrique une ville ? Comment on fait ? Il faut (certes) mettre les voiries, les réseaux, etc. C’était une vision d’ingénieur. Mais l’urbanisme, c’est plus que ça ».399 Dans la période initiale, c’est aussi pour les jeunes ingénieurs l’occasion d’innover. En arrivant dans les organismes, ils ne savent pas trop ce que signifie « aménager » ; ils soupçonnent qu’il s’agit d’une manière plus étendue et plus globale de réaliser des infrastructures et faire œuvre d’ingénieur. Les débuts des Missions leur laissent entrevoir la possibilité d’inventer et de déployer des capacités de création : par exemple sur le aérotrain, un projet qu’on attend aussi bien à l’EPA de Cergy qu’à la Mission de l’Etang de Berre et qui en fait rêver plus d’un. D’autres réalisations appellent de la part des ingénieurs de l’invention, par exemple les bassins de rétention des eaux pluviales à Lille-Est, à Vitrolles et dans les villes nouvelles de la Région parisienne, où ingénieurs et paysagistes ont été amenés à composer ensemble autour de multiples contraintes400. Les services techniques dans lesquels les ingénieurs sont les plus présents ont pour tâche la mise en œuvre concrète des villes nouvelles. Ce qui leur donne un pouvoir considérable et les place au front des EPA. Ils font valoir une série de contraintes techniques contre lesquelles les autres agents des EPA ont souvent du mal à argumenter : la qualité urbaine, la demande sociale pèsent peu face aux lois physiques, aux difficultés pratiques, aux exigences de délais et aux limites financières. Mais cette situation apparemment avantageuse ne les dégage pas de la nécessité de devoir rendre compte dans le détail de leurs activités.

398 Les principales étapes des études d’aménagement sur Evry (vers la réalisation), non daté (probablement 1968) (AD91-1523W/2223). 399 Entretien avec J.-L. Nguyen 400 Entretien avec G. Plaisant. Voir aussi la recherche conduite par N. Eleb-Harlé et S. Barles, op.cit.

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Les services techniques se plaignent des tracas bureaucratiques. Le système comptable de l’engagement offre une grande autonomie aux différents services de l’EPEVRY et notamment au service technique auquel est rattaché par ailleurs le service des marchés jusqu’en 1987 (élaboration des dossiers de marchés et gestion des contrats d’études d’exécution). En 1976, le chef du service technique de l’EPEVRY s’inquiète des innovations mises en place à la suite du plan financier introduit un an plus tôt401. Il “ refuse la procédure du formulaire (d’engagement) selon laquelle un pilote ne peut engager la moindre dépense sans y avoir été autorisé par le retour du formulaire ad hoc ”. Le nouveau formulaire d’engagement ne serait pas “ dans son principe adapté aux problèmes de l’EPEVRY ” et serait “ contraire à l’affirmation de la responsabilité du pilote ”402. L’obligation d’une autorisation pour engager une dépense limite la responsabilité de l’ingénieur dans la conduite de l’exécution des travaux. La procédure d’engagement en permettant de “ revenir sur une décision (qui perd) son caractère définitif ” et en multipliant “ les intervenants dont la responsabilité est mal définie et se chevauche ”, devient pour les agents du service technique une source de “ traumatisme psychologique qui se traduit par le découragement, le mensonge, les querelles entre services,…. ”403. C’est pourquoi les ingénieurs du service technique proposent de donner “ un caractère uniquement d’information comptable à l’engagement. […] La signature de contrats et marchés ne doit avoir qu’un caractère formel et non pas être considérée comme un niveau de décision ”404. “ L’existence de formulaires d’engagement est certainement indispensable pour une tenue précise de la comptabilité, mais elle ne devrait à mon avis avoir aucun rôle dans l’autorisation d’engagement des travaux ”405. L’ingénieur souhaite redevenir “ responsable de l’application des décisions précises ”406. Réduit à un “ rôle d’enregistrement ”, le service financier s’inquiète quant à lui de l’absence de rigueur dans la rédaction des engagements de dépense par les différents services, notamment le service technique, et du recours abusif aux engagements sur facture407. Les enquêtes successives de l’inspection des finances sur l’EPEVRY critiquent les procédures d’engagement pratiquées par les différents services parce qu’elles rendent difficile voire impossible le contrôle budgétaire. On relève constamment le manque de “ suivi assez fin des engagements ”408, même si en 1985, la mise en place d’une “ nouvelle organisation comptable des engagements ” permet “ de simplifier le circuit de signature ”409. Il n’y a pas que le suivi financier qui vienne contraindre les ingénieurs dans les services techniques. Il y a aussi la conjoncture. Dans l’évolution des objectifs des Missions et des EPA, les activités des ingénieurs sont passées d’abord par des études de schémas de structures, notamment de transport, puis par les fonctions plus opérationnelles de production urbaine. Dans la dernière période, lorsque la commercialisation des villes nouvelles devient la

401 Sur le plan financier, cf. infra III.3 402 Note du 27.02.1976, de Ph. Rousselle à A.Lalande (AD91-1523W/787). 403 Note du groupe “ ingénieurs et assimilés ” sur les conditions de travail, 12.02.1976, p.3 (AD91-1523W/787). 404 Ibid. 405 Note du 27.02.1976, de Ph. Rousselle à A.Lalande (AD91-1523W/787). 406 Note du groupe “ ingénieurs et assimilés ” sur les conditions de travail, 12.02.1976, p.3 (AD91-1523W/787). 407 Note de synthèse sur les conditions de travail du service financier et foncier du 05 et 12.12.1975 (AD91-1523W/787). 408 F.Jaclot, inspecteur des finances, rapport d’enquête sur l’EPEVRY (instruments de prévision et de contrôle), juin 1979, p.15 ( AD91-1523W/598) 409 Est mis en place “ un système d’engagements provisionnels sur six mois établi à partir du budget ”. Chaque “ service dispose en effet de la liberté d’engager les dépenses dans le montant de 500 000 F sur sa ligne budgétaire ”. M. Severino, inspecteur des finances, rapport d’enquête sur l’EPEVRY, Minis tère de l’économie et des finances et du budget, août 1985, p.8 (AD91, 1523 W / 598)

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priorité, leurs compétences sont alignées sur cette priorité. Certains quittent les EPA, et vont jusqu’à faire le « saut dans le privé ». Dans le projet d’organisation du centre de compétence “ habitat ” de l’EPEVRY en 1986, l’ingénieur intervient à plusieurs titres dans la réalisation d’une opération. Deux rôles lui sont confiés en particulier : « (Un) rôle fonctionnel : - De conception urbaine, - De suivi physico-financier des réalisations et du planning de quartier - Et de préparation de la remise des ouvrages » et « (Un) rôle opérationnel : - Il est responsable de la conception technique des VRD et encadre BET extérieurs, - Il élabore la partie technique des cahiers des charges, - Il est responsable de la remise des terrains aux promoteurs, - Il assure la coordination et la police des chantiers - Il vérifie la conformité des réalisations vis-à -vis du cahier des charges »410 L’ingénieur est ici plus spécifiquement attaché aux tâches techniques traditionnelles qui font son métier, l’organisation de la phase opérationnelle (suivi de chantier, VRD, relations avec les BET) mais aussi les questions qui touchent de plus près la commercialisation (suivi physico-financier des réalisations, planning de quartier) et qui sont devenues essentielles au cours des années 80. L’objectif de commercialisation commande alors toute la chaîne de production urbaine, toutes les fonctions et tous les métiers. En 1999, dans le recueil des curriculum vitae du personnel réalisé à Evry dans le cadre de la fermeture de l’EPA411, le descriptif des tâches des ingénieurs ne varie pas fondamentalement par rapport à ce qui est énoncé en 1986, sinon qu’il paraît encore plus étendu : « Études et travaux (ZAC), établissement et gestion de budgets, application du code des marchés, relations avec les partenaires (architectes, concessionnaires, entreprises, bureaux d’études, promoteurs, élus), élaboration du bilan de ZAC, suivi financier et suivi des travaux ». Il en va de même en 2001 sur les Rives de l’Étang-de-Berre où un bilan de compétences est établi dans le cadre du plan social, bilan qui concerne 24 agents encore en activité412. Si la direction des équipes de chefs de projets est laissée aux architectes, l’ingénieur s’avère compétent pour presque tout le reste. Les EPA sont en effet pour l’ingénieur des révélateurs de la grande diversité des métiers qu’il peut exercer. Cette diversité s’accentue avec le temps. Dans le bilan de 2001 de l’EPAREB, l’ingénieur définit sa compétence en termes de « maîtrise » technique et financière comme de « maîtrise » des procédures administratives. Il peut rappeler ses « capacités de compréhension et d’analyse en urbanisme opérationnel et en architecture (comme sa) maîtrise des techniques en ingénierie urbaine», en matière de « direction de projets ». Son apport spécifique est d’ordre opérationnel et surtout organisationnel (« montage financier, dossiers de subvention, organisation de concours de maîtrise d’œ uvre et des appels d’offres »). Il maîtrise alors non seulement les domaines traditionnels de la maîtrise d’œuvre (« direction et suivi des études et

410 Centre de compétence “ habitat urbain ”, non daté (sans doute 1986), p.13 (AD91-1523W/911) 411 Comité d’entreprise de l’EPEVRY, recueil des curriculum Vitae du personnel, septembre 1999 (archives AFTRP) 412 EPAREB, Notre patrimoine de compétences, octobre 2001 (archives EPAREB)

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exécution des travaux, coordination des intervenants extérieurs, gestion administrative des marchés, réalisation des opérations de réception, parfait achèvement, dommages d’ouvrage») et mais aussi ceux, plus nouveaux, de la gestion (« maîtrise des coûts-bilans prévisionnels, des prévisions budgétaires des opérations d’aménagement, gestion financière de projets, ordonnancement et pilotage »)413. Sous la houlette des ingénieurs, qui ne sont plus seulement de simples maîtres d’œuvre, plusieurs techniques se composent autour d’une activité complète de gestion de projet. II. 3. Sur les rapports de forces internes La crise de croissance comme les impératifs commerciaux des EPA pèsent sur les orientations données à l’aménagement et sur la conception que, dans les cas étudiés, on a de la ville à venir. Ces facteurs pèsent en outre sur les positions relatives des membres des Missions les uns par rapport aux autres. En fait, malgré la prégnance (pour partie réelle et pour partie fantasmée) des architectes, le poids des professions constituées s’est trouvé constamment relativisé. Là encore lieux et moments ont modelé des expériences II.3.1. Sur les difficultés à se dégager de l’architecture Au printemps 1968, Michael Welbank, expert de l’agence britannique chargée d’évaluer la conception de la programmation de la Préfecture à Cergy critique violemment une approche trop architecturale 414. Il note d’abord la distance entre deux tendances : le schéma de septembre 1967 et celui de juin 1968 : “ Ce qui me trouble un peu c’est le désir apparent à l’intérieur de la mission de choisir et de décider qu’un projet est le meilleur que l’autre en termes d’architecture… Ceci ne me semble pas être une réelle approche d’urbaniste qui devrait plutôt s’efforcer de sélectionner un projet qui répond le mieux possible à tous les impératifs ”. Ce “ trouble ” et cette critique d’un manque de flexibilité vont plus loin, lorsque l’expert britannique sous-entend que les techniciens de la Mission manquent de culture urbaine et urbanistique. Dans une ville, dit- il “ il doit y avoir par endroits des franges un peu sordides où des services ou activités très importantes mais payant de très faibles loyers peuvent s’implanter. Où peuvent aller les bouquinistes, le naturaliste, le magasin de papillons, le studio du professeur de musique, le magasin philanthropique, la personne qui fait des cuillères en bois, le dessinateur de lettres, le marchand de pommes et de caramels, le réparateur de trombones, la clinique alcoolique, la librairie pornographique, le marchand de haschich. C’est tout ça qui fait qu’une ville est une ville au moins autant que cette maudite architecture ” Le directeur général est lui-même da ns le doute lorsqu’il constate fin 68 l’évolution des idées sur le projet du centre, confirmant ainsi les tensions entre les cultures professionnelles dans le travail de conception du quartier de la Préfecture. Ces tensions tiennent autant à des cultures urbaines (« qu'est ce qu'une bonne ville »? s’interroge l’expert britannique) ou à des

413 Ibid. 414 Courrier du 15.07.1968 de l’agence Shankland, Cox and associates (planners and architects, Liverpool, 12 Rumford place) après la visite du 9 juillet précédent AD 95, 1382W/174W40

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représentations professionnelles différentes (qu'est ce qu'un travail bien fait?) qu'à des savoir-faire (comment maîtriser un processus d'urbanisation et un dispositif de projet?)415. Le Directeur général rend compte de ces tensions :“ Le parti d’aménagement de la ville nouvelle a évolué au fur et à mesure que les études se sont précisées. Peu à peu la conception même de la ville s’est trouvée modifiée au point que je ne reconnais plus les idées d’origine auxquelles je reste cependant fondamentalement attaché. Partant de la constatation que la ville nouvelle de Pontoise-Cergy s’implanterait dans une région peu peuplée où les communications sont mauvaises, le niveau de vie bas et la “ demande ” faible, nous avons considéré que le quartier de la Préfecture, et en particulier son centre, était une plate-forme de lancement destinée à donner une image modeste mais complète d’une ville et à créer un centre d’attraction régionale. Cela impliquait un parti simple, peu coûteux aussi bien pour l’aménageur que pour les investisseurs publics et privés, un programme réduit et des délais de remplissage très courts ”. Pour le commerce, une grande surface commerciale avec un parking était prévue. Pour l’enseignement supérieur (IUT), on retrouve les idées initiales. Mais “ dans d’autres domaines, au contraire, on constate un “ dérapage ” des conceptions initiales : le programme s’est accru, le parti d’aménagement est devenu plus complexe et plus imbriqué, les parkings se sont superposés ”. Par suite, les dépenses seront plus élevées, les délais plus longs et “ l’amélioration de standing du centre ne permet plus de recevoir n’importe quel “ client ” . Un tri devra s’effectuer en fonction de la qualité des investissements à réaliser ”. De fait, “ les notions de ville sans chantier s’estompent devant le désir de réaliser un centre de qualité". Dans cette analyse, on voit poindre le risque de concurrence avec le centre principal, voire l'impossibilité de voir créer celui-ci :“ L’évolution du centre commercial est à cet égard caractéristique : il devient peu à peu l’équipement commercial majeur de l’ensemble de la ville nouvelle… On risque d’arriver à une solution boiteuse avec un centre commercial d’une puissance telle que sa réalisation sera lente et difficile et que son attraction créera des courants de trafic en contradiction avec le schéma de structures, tout en étant insuffisant pour répondre à la totalité des besoins de la ville nouvelle ”… “ Parallèlement, certains aspects qui me paraissent essentiels sont relégués au 2ème ou 3ème plan : les éléments qui se trouvent au niveau de l’œ il, l’animation de la place de la Préfecture, les animaux ". Le Directeur général constate que son autorité sur le pilotage des études a ainsi été mise en cause : “ Cela dit, on peut se demander comment je puis me trouver en opposition avec une telle évolution alors que je suis responsable des études et que je bénéficie vis-à -vis des autorités supérieures d’une liberté sans équivalent. En fait, si on analyse les mécanismes suivant lesquels se prennent les décisions, on s’aperçoit que la marge de manœ uvre du responsable est étroite. Je suis convaincu, autant mais pas plus que chacun, que mes conceptions sont bonnes ”. Mais il y a une “ opinion contraire unanime ” et “ l’évolution s’est faite d’ailleurs d’une façon très progressive ”. Les différents intervenants sur le quartier de la Préfecture – architectes, ingénieurs, économistes – ont “ eu tendance à chercher une perfection et une puissance chaque jour plus grandes ”. Après les visites de P. Delouvrier en juillet et J. Millier en novembre, le Directeur s’incline : “ Il est probable que je suis dans l’erreur, mais je ne peux me défendre d’une certaine inquiétude ”. Cette inquiétude explique qu’en mars 1969 le même directeur général annonce en assemblée générale qu’il “ n’exclut pas des solutions moins ambitieuses ” pour le quartier de la

415 Note “ confidentielle ” du 2.12.1968, AD 95, 1382W/174W40 intitulée “ note sur les études urbaines ” (mots soulignés dans le texte)

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Préfecture416. Mais ce ne sera finalement pas le cas. Dans d’autres Missions (Evry , Saint-Quentin), cette autorité sur le pilotage des études n’a pas été revendiquée par les directeurs ou n’a pas été contestée. C’est un point important dans les conditions initiales du travail au sein des Missions, et un facteur supplémentaire de différenciation. II.3.2. La délicate gestion des arbitrages En fait, les configurations professionnelles ne peuvent se résumer à un face à face entre ingénieurs et architectes. Dans les villes nouvelles – du moins dans les cas étudiés et surtout pendant la période des Missions – c’est le trinôme formé de l’architecte (éventuellement urbaniste), de l’ingénieur (éventuellement des Ponts et chaussées) et de l’administrateur (éventuellement secrétaire général ou chef du service administratif et financier) qui s’impose. Le directeur général s’appuie sur ce trio fonctionnel. Il en organise les relations et l’équilibre en faisant jouer ses titres, ses expériences antérieures, ses inclinations en faveur des uns ou des autres. Ce trinôme est donc assez instable. Les stagiaires de l’ENA sont particulièrement attentifs aux rapports de force internes. En 1972, l’absence d’organigramme à Cergy donne au secrétariat général un rôle de « coordination de services entre lesquels l’information circule mal ». Plus précisément, « la tâche des administrateurs est délicate au sein d’une équipe pluridisciplinaire où ingénieurs et architectes ne sont pas toujours en mesure d’apprécier les impératifs politiques, administratifs et financiers. L’égalité des charges et des contraintes n’est pas respectée dès lors que l’administrateur intervient en fin de chaîne pour opérer les rectifications nécessaires. Or les tâches qu’il accomplit, si elles ne sont pas exaltantes n’en sont pas moins indispensables. L’Établissement public, plate-forme administrative s’insérant dans d’autres structures administratives, a besoin d’un personnel spécialisé dans ce domaine. Le personnel actuel dynamique et dévoué se ressent assez vite d’une formation antérieure parfois inadéquate ». Un nouveau type d’administrateur apparaît ayant « une compétence moins spécialisée, animateur d’équipe » et qui pourrait devenir « plus responsable, moins protégé que par le statut actuel mais en contrepartie mieux rémunéré ». En fait, ce sont plutôt les directeurs généraux qui sont sollicités pour animer les équipes et régler tensions. Dans le cas d’Evry, les conflits entre architectes et non architectes s’expriment avec vigueur sur le terrain des positions dans la hiérarchie et des émoluments des agents les uns par rapport aux autres, qui sont les principales lignes de défense des intérêts et des valeurs professionnelles. En 1976, le chef de l’atelier d’urbanisme s’adresse au directeur général de l’EPA dans une défense et illustration du métier. Le courrier qui vient en appui d'une demande d’avancement rappelle ce que le haut fonctionnaire doit à l’architecte417 :“ Vous allez devoir prochainement arrêter le tableau d’avancement. Mon dernier avancement date de 1971. […] Ma qualification est “ chef de service ” […] c’est-à -dire que je suis suivant les textes “ responsable de l’exécution d’un ensemble de tâches administratives, techniques et financières ”. C’est donc un rôle d’exécutant. […] Si l’on se réfère aux grandes opérations

416 Assemblée générale du 13.03.1969, AD 95, 1086W/60W86D 417 Courrier du 7.11.1976, AD 91, 1522W/34. Cette demande d’avancement dénonce en fait l’écart de salaire avec le directeur du service technique, ingénieur des Ponts et Chaussées alors plus jeune. Elle aboutira six ans plus tard et cet avancement exceptionnel sera justifié par “ la longévité ” du demandeur à ce poste de chef d’atelier “ analogue à celui des architectes ou d’urbanistes en chef des grandes opérations d’urbanisme ”.

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d’urbanisme antérieures aux villes nouvelles, celles-ci sont perçues au travers d’une part de l’administrateur ou l’organisme qui en a assuré la maîtrise d’ouvrage et d’autre part l’architecte qui en a assuré la conception. L’on retrouve ainsi Racine et Balladur pour la Grande Motte, Sourel vous est associé à Massy et il en est de même pour Sarcelles, le Mirail ou Royan. Chaque administrateur parle avec émotion de l’architecte avec lequel il a partagé joies et difficultés. Le même se retrouve à l’étranger aussi bien au Brésil qu’en Pologne. Mais en France qui conçoit les villes nouvelles ? Qui propose à l’administrateur ou à l’élu ? La discrétion qui règne sur les VN tient-elle au fait que leur conception est sans intérêt, qu’elles ne sont que le résultat d’un réseau routier et de directives ministérielles ? Si Evry a atteint sa renommée actuelle, elle le doit pour partie à sa conception originale et ambitieuse que vous avez acceptée, que vous avez concrétisée mais que vous reconnaissez être celle de l’atelier d’urbanisme dont vous parlez comme il y a quinze ans vous deviez parler de mon respectable confrère Sourel…. L’atelier d’urbanisme n’est pas un simple outil de gestion mais un outil de création avec son éthique… Si les options proposées par l’atelier venaient à être rejetées, il est fort probable que je chercherais à me retirer et que je serais suivi par une bonne partie de l’équipe. Mais dans la mesure où nos propositions sont acceptées, je souhaiterais répondre à la confiance qui nous est faite… C’est donc en tant que responsable de l’équipe de conception de la ville nouvelle que je prétends à une promotion, à celle d’urbaniste en chef, s’il faut créer un titre, avec tout ce que cela sous-tend comme risques et responsabilités… Par ailleurs je suis convaincu qu’il est de l’intérêt même des villes nouvelles d’affirmer cet acte de conception… Ma demande dépasse à mon sens un simple problème de promotion d’un agent d’un EPA ”. C’est donc bien le trio Directeur général/architecte/ingénieur qui prévaut à Evry comme sur les Rives de l’Étang-de-Berre. Le premier est censé réguler les relations entre les deux autres. En 1972, à la veille du passage de la MAEB au statut d’établissement, le directeur des infrastructures rappelle au Directeur général, l’existence d’une « disproportion importante entre les différents salaires des urbanistes et des techniciens, qui s’explique d’autant plus mal que leurs responsabilités sont équivalentes » 418. Là encore, c’est au directeur que l’on fait appel pour régler ce qui est perçu comme une injustice. Cette situation découle de la nécessité dans les EPA de réunir et de coordonner des compétences qui n’ont pas l’habitude de travailler de si près ensemble, la division du travail ayant été jusque- là la façon la plus commode de produire de la ville (les grands ensembles notamment). Elle vient aussi des origines des directeurs généraux, des réseaux qu’ils ont été capables d’activer pour constituer leur équipe, des affinités qui en découlent. La configuration initiale installe un style de relations que les départs et arrivées ne transforment que lentement. Si la carrière des ingénieurs des Ponts est construite sur la mobilité, celle des architectes-urbanistes, responsables des études, est marquée par un ancrage plus durable au sein des EPA. En revanche celle des architectes-urbanistes plus jeunes et moins expérimentés est conforme au souhait exprimé au départ des villes nouvelles d’avoir au leur sein des “ créatifs ”, davantage mobiles. Cette différence (par corps de métiers et par génération) ne vaut pas pour d’autres activités en particulier celles qui émergent dans les années 70. C’est le cas des paysagistes et programmateurs qui tiennent des places très différentes au sein des EPA. À Cergy, ces derniers ne sont pas clairement identifiés. À Evry, ils dépendent longtemps de l’Atelier d’urbanisme. Dans les années 80, les programmateurs tiennent un rôle stratégique auprès du directeur général à Saint-Quentin-en-Yvelines tout comme à l’EPAREB419. Dans ce

418 Lettre du 10.09.1972 de M. Truc, directeur des infrastructures au directeur général de la MAEB (archives du personnel de l’EPAREB) 419 Voir infra III.2

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dernier cas, c’est un programmateur qui est nommé en 1979 à la tête du service études et programmation, service qui prend alors le dessus sur la direction de l’urbanisme et de l’architecture420. La présence des architectes, leur influence, l’écoute particulière dont ils semblent souvent bénéficier sont à mettre en relation avec le lancement de grandes opérations phares qui partout viennent marquer les débuts des villes nouvelles (car ces opérations doivent concrètement et symboliquement venir les fonder). Ces opérations suscitent de multiples débats dans le milieu des spécialistes de l’aménagement urbain, comme en témoigne la presse professionnelle. C’est le cas du quartier de la Préfecture à Cergy, de l’Agora à Evry ou du quartier du centre à Saint-Quentin-en-Yvelines au début des années 80. Ces concours conçus et organisés par les architectes des EPA sont aussi des actes de communication qui participent à la promotion des villes nouvelles. Les architectes occupent dès lors le devant de la scène et sont perçus comme des experts421. Parmi les autres clivages qui traversent les EPA, la division originelle entre AFTRP et IAURP en matière de personnel reste une particularité des villes nouvelles de la Région parisienne. Or ces deux organismes dont relèvent les personnels, présentent de grandes différences. Le premier ne fonctionne pas sur un mode pluridisciplinaire et le second a vocation à développer des études pluridisciplinaires en amont de l’urbanisme opérationnel. Ces différences ont un impact sur les EPA qui est difficile à apprécier. Quand bien même les agents des villes nouvelles auraient été “ formés ” dans ces organismes (ce qui n'est pas toujours le cas et statut ne signifie pas automatiquement culture de l’organisation), les nouvelles méthodes de l’aménagement ont été davantage déterminées par les positions dans lesquelles les agents ont été effectivement placés, par la force de leur appartenance aux cultures professionnelles existantes, par la durée de leur exercice dans les EPA davantage que par la vocation et le fonctionnement des deux organismes. C’est en termes de statut et d’émolument que ces derniers ont pu nourrir des différences entre les agents, celles-ci ne venant qu’aiguiser les conflits interprofessionnels latents. Les EPA des villes nouvelles de province sont restés, au moins dans un premier temps (en particulier pour le Vaudreuil), davantage marqués par le fonctionnement pluridisciplinaire des OREAM qui les ont précédés (exception faite de Lille-Est). Cette différence dans le point d'origine des configurations professionnelles (l'existence ou non d'un organisme antérieur qui aurait servi de référence ou de matrice aux rapports de travail et aux équilibres internes) a conditionné les pratiques ultérieures dans les Missions et les EPA, donnant aussi leurs particularités aux configurations initiales. Celles-ci se sont ensuite transformées au gré des directeurs, des organigrammes, de la conjoncture, de certaines personnalités. Parfois les équipes elles-mêmes, leur logique de projet ou leur résistance aux réorganisations ont fait évoluer les configurations. Ainsi à l’EPAREB, la direction générale avait pour projet en 1978 de créer une direction de l’urbanisme et de placer à sa tête un architecte en chef. Puis elle a dû y renoncer au profit d’équipes pluridisciplinaires opérationnelles par secteurs géographiques422. De même, Lucien Gallas nouveau Directeur général, lorsqu’il prend pour adjoint Jean Ecochard, doit réfréner cet architecte pour qu’il ne « bride pas par son autorité et sa personnalité la créativité des architectes de l’EPA » qui sont placés sous l’autorité d’un

420 Entretien avec C. Guary 421 Entretien avec S. Goldberg 422 Entretien avec G. Plaisant

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géographe-programmateur423. Le refus de l’urbaniste en chef et de services fonctionnels puissants est un trait original de l’EPAREB comme le décrit Claude Guary alors directeur du service urbanisme et programmation : « Chaque équipe géographique fait un cahier des charges de ZAC et ce cahier des charges est coordonné dans sa fabrication soit par moi si c’est une ZAC par exemple, soit par lui (Gérard Plaisant) si c’est un ouvrage d’infrastructures. […] L’avantage c’est un système qui donne la priorité quotidienne à l’opérationnel et à la prise de responsabilité par rapport au terrain plutôt que par rapport aux organisations qui seraient susceptibles... C’est la priorité au projet. Moi j’ai défendu ce système-là […] Par ce que sinon les structures- et ça c’est vrai à Evry- il y a des structures qui sont très très fortes et qui finissent par imposer une logique par rapport à d’autres. À Evry, les urbanistes ont imposé des logiques. Mottez a imposé des logiques comme la séparation des circulations entre voitures et piétons. Ce sont des logiques de boutique. À Marne-la-Vallée on a eu aussi des logiques de boutique. Les architectes en tant que gens qui maîtrisent le… Il y avait des corps de spécialistes qui l’emportaient sur d’autres. […] ça cassait la pluridisciplinarité. Ça cassait le projet. Là (à l’EPAREB) on partait du projet. On partait d’une logique de projet. […] ça correspond à une direction plus séparée. D’un côté on a la direction générale avec Ecochard et Lucien Gallas. Moi je suis très très près avec Gérard (conseiller technique), avec le directeur foncier et le directeur financier. […] Le gros des troupes productives elles sont chez moi. […] Il y a un représentant de chacune des directions dans l’équipe de projet. Tout ça est à géométrie variable. Si l’opération est petite il n’y a que deux personnes dans l’équipe. […] Les responsables de ces services fonctionnels, ils doivent être à la fois… ils doivent maintenir une ligne de cohérence sur les équipements intégrés, sur la façon de parler avec les élus, la façon de faire circuler l’information, tout ce qui est fonctionnel, qui relève du contenu un peu général. Ils doivent être présents ici, ici, et ici pour être certain que tel projet se défend bien. […] L’intérêt de cette structure c’est de pouvoir croiser une logique horizontale qui est qualitative ou financière ou politique et des logiques verticales qui sont des logiques de projets »424. On voit une fois de plus que la forte territorialisation des activités à l’EPAREB et la faiblesse de ses services fonctionnels ont créé – au moins dans le souvenir des acteurs - des conditions tout à fait originales de conduite de projet et d’arbitrage entre des prérogatives et des compétences. II.3.3. L’évolution des relations entre services Au final, trois situations se succèdent :

• Dans un premier temps, dans la période des Missions et au début des EPA, les activités d’études dominent et avec elles l’atelier (ou services d’études générales) et le service foncier. Il s’agit de concevoir, notamment les « schémas d’aménagement » ou « schémas de structures » et d’acquérir les terrains nécessaires. C’est la période où les architectes-urbanistes sont les « seigneurs »425, même si, dans certains cas, d’autres types de professionnels ont pu être sollicités. La pluridisciplinarité prend la forme du débat et parfois du rêve pour une autre ville, à un moment où le mot d’ordre, faut- il le rappeler, est : « Changer la ville pour changer la vie ».

423 Entretien avec L. Gallas 424 Entretien avec C. Guary 425 Entretien avec C. Lecorps

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Si « le commencement est la moitié de toute action »426, ce temps initial et le souci d’innovation ont fait des Missions l’objet de fortes attentes de la part des différents professionnels. On le voit dans l’espoir de la constitution d’un atelier public d’architecture à Cergy, d’une agence d’urbanisme à Evry ou plus simplement l’espoir de « pouvoir évoluer » pour une dactylographe de la mission de Trappes427. Présentée comme un espace de formation de nouveaux professionnels et d’élaboration de nouveaux outils, la Mission est un espace fortement investi : des objets comme les schémas de structures ou les directives d’aménagement deviennent les supports de spéculations à partir desquelles s’élaborent des récits sur la ville à venir. Par la suite la Mission qui était jusque- là en apesanteur retombe dans le quotidien. Les outils sont de moins en moins habités et, par exemple à l’EPAREB, « on ne fait plus que du papier »428.

• Dans un second temps, avec la naissance des EPA, il y a obligation de réaliser. Le

service technique (ou opérationnel) prend le dessus. On ne doit pas s’étonner de voir le responsable de tels services devenir adjoint du directeur général. À Saint-Quentin-en-Yvelines, le service est « au front » et « le plus sensible » en 1974429. Les architectes-urbanistes apparaissent moins impliqués, sauf dans le cas où la forme de l’organisation permet d’assurer la continuité entre le Service des études générales et le Service opérationnel, comme à l’EPA de Cergy-Pontoise. Il faut remarquer que dans ce cas précis, les architectes-urbanistes ont une représentation plus large de la production de la ville nouvelle, parfois jusqu’aux destinataires, c’est-à-dire les habitants, comme en témoigne l’expérience de Michel Gaillard.

En 1981, un stagiaire de l’ENA relève les effets de la transformation dans cet EPA de l’importance relative des fonctions : « Le service d’études générales (SEG) était très étoffé dans les premières années d’existence de la ville nouvelle puisque c’est lui qui était chargé d’élaborer les projets d’aménagement ; depuis quelques années il perd peu à peu de sa substance au profit du service opérationnel (SO). Ceux qui ont élaboré le programme d’un quartier continuent à en suivre la réalisation et passent donc, lorsque commencent les travaux, du premier au second service. Dans les années qui viennent, avec la mise en route des premières opérations prévues, le dernier carré du SEG passera au SO et le SEG sera probablement le premier des services à disparaître au sein de l’EPA »430. Ce diagnostic dont on retrouve la trace dans nos entretiens, signale le problème de reconversion auquel ont été confrontés ce service d’études et ses équivalents dans les autres EPA. À Saint-Quentin-en-Yvelines, au milieu des années 80, on observe de la même façon l’affaiblissement du service des études. « Les agents du service technique disaient aux urbanistes ce qu’ils devaient faire », se rappelle un ingénieur qui ajoute qu’à ses yeux « ce n’était pas normal ». Le service d’études s’isole, même si les paysagistes arrivent parfois à renouer des liens entre les architectes urbanistes et les ingénieurs431.

426 Proverbe cité par M. Détienne, Apollon, le couteau à la main, Paris, Gallimard, 1998 427 Entretien avec Y.François 428 entretien avec J.-R. Vidal 429 Entretien avec P. Linden 430 Rapport de stage de B. Verlon, 1981, p11 AD 95, 1072W/288W3C 431 Selon les témoignages de J.Guillaume (architecte) et G. Plais ant (ingénieur)

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À l’EPAREB, ce sont les équipes géographiques qui dans cette deuxième période – légèrement décalée par rapport aux deux autres EPA - détiennent le pouvoir en étant à la fois autonomes (les services techniques sont absents), territorialisées et pluridisciplinaires.

• Enfin dans un troisième temps, comme en font foi les réorganisations de Cergy et

d’Evry, il s’agit de finir de remettre des ouvrages aux SAN et vendre des charges foncières. C’est la culture professionnelle des « chargés d’affaire » ou des spécialistes de la commercialisation qui prend le relais. Les équipes des EPA sont alors tirées par de tout autres objectifs et de nouvelles césures apparaissent. Les agents ayant deux ou trois décennies d’activités en villes nouvelles témoignent de cette évolution générale, des tensions entre les fonctions d’études, les fonctions techniques et les activités de développement : « L’urbaniste c’est le garant de la qualité… et le technique c’est celui qui fiche les choses en l’air parce qu’il a des contraintes… La direction du développement, c’est la direction qui fait renter l’argent et qui défend souvent le point de vue des promoteurs vis-à -vis des urbanistes qui sont trop exigeants sur les contraintes de qualité architecturale, de qualité des matériaux, vis-à -vis des paysagistes qui mettent trop de contraintes au niveau des espaces verts et vis-à -vis de la programmation qui met trop de contraintes au niveau de la structure (socio-démographique) qu’il y a à respecter. (Et) le développement pense que le technique ne va pas assez vite pour mettre à disposition ce que lui a vendu. La tension est (aujourd’hui) à trois »432 L’évolution du poids de ces différentes fonctions les unes par rapport aux autres explique ces basculements successifs.

Les équipes des villes nouvelles ont été tirées, on le voit, par des finalités assez différentes entre la fin des années 60 et le milieu des années 90. Le renouvellement touche les organisations, les relations fonctionnelles et les relations professionnelles. L’analyse que fait aujourd’hui Mireille Lucas se comprend à la lumière de ces changements : « Un EPAVN, c’est un statut complètement schizophrène. C’est un organisme qui a en charge de penser, de concevoir, développer, équilibrer le mieux possible le développement d’une agglomération. C’est la tâche qu’on lui a donnée. Et parallèlement ce sont des EPIC… qui vendent de la charge foncière … ce qui permet à l’EPA de vivre c’est ce qu’on vend. Cela n’a pas forcément à voir avec ce qui faudrait faire pour que l’agglomération ait toutes les caractéristiques d’équilibre nécessaires »433. D’autres agents ont fait une analyse identique au milieu des années 80 et ont quitté les EPA. Pour eux, l’expérience professionnelle en villes nouvelles a abouti à cette épreuve et à cette critique. Mais elle ne s’est pas complètement arrêtée là, puisque les choix ultérieurs ont été motivés par cette épreuve 434.

432 Entretien avec M. Lucas 433 Ibid. 434 Entretien avec M. Gaillard.

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CHAPITRE III – LA MAITRISE RAPPROCHÉE DES CHOSES : LA “ MAÎTRISE D’OUVRAGE ” COMME OCCASION D’UNE EXPÉRIENCE COLLECTIVE Dans la nouvelle définition de l’urbanisme, la structuration de la maîtrise d’ouvrage est probablement l’enjeu central. Cette fonction se constitue et s’étoffe avec le temps : programmation, plan financier, marketing, etc. autant d’activités nouvelles et donc de compétences dont la maîtrise d’ouvrage s’entoure en deux décennies. Un double mouvement se dessine : avec d’un côté la concent ration des fonctions stratégiques autour des directions générales, et de l’autre côté un contrôle plus serré du processus de production urbaine, contrôle de plus en plus orienté sur les attentes des investisseurs et sur celles des Syndicats d’agglomération nouvelle. En 1980, une partie de l’ancien service chargé de la promotion à l’EPEVRY est intégrée à la direction générale pour les missions intéressant l’ensemble de l’Etablissement et devient une fonction désignée comme stratégique 435. Cinq ans plus tard, il en est de même du « marketing » (promotion de l’image de marque, organisation des moyens de prospection, gestion des relations publiques) qui ne peut se situer ailleurs dans la structure qu’au plus près de la direction générale 436. Cette dernière se présente alors et plus que jamais comme le lieu de synthèse et de régulation entre différentes fonctions, entre services, entre cultures professionnelles. Il lui revient de concevoir simultanément la répartition des tâches et leur alignement sur des objectifs de production (des objets physiques), des méthodes, des interlocuteurs. Ces objectifs, ces méthodes et le comportement des interlocuteurs devenant mieux connus, c’est l’ensemble du processus de production qui devient plus lisible et donc mieux appréhendable à la fois pour les agents des EPA et pour leurs interlocuteurs. La maîtrise d’ouvrage peut alors s’envisager comme une fonction à part entière, avec ses métiers, ses dispositifs, ses outils voire ses tours de main. Déjà à l’époque des Missions, l’objectif des directeurs est de s’attacher des compétences et des outils de façon articulée (pour la conception, la programmation, le financement, le suivi des travaux) pour que l’organisation soit au plus près de la ville en train de se construire. Ce souci de maîtrise des processus de production urbaine apparaît sous différentes formes dans le vocabulaire : “ étayage ”, “ durcissement ”, “ organiser ” le travail, “ diriger ” l’aménagement, donner à voir, “ répondre ” aux demandes, “ rendre des comptes ”. Pour assurer cette maîtrise, il faut faire face à divers problèmes : les disjonctions entre les divers métiers en présence, les pressions politiques et administratives comme les contraintes de temps qui pèsent sur la mise en œuvre du projet de ville nouvelle, surtout dans les moments où on attend “ en haut lieu des résultats à court terme ” énonce le directeur général de Cergy en 1968437. À Cergy, on s’inspire en cette matière de l’expérience de l’Etablissement public d’aménagement de La Défense, son organisation interne et ses relations avec l’extérieur 438.

435 Assemblée générale du comité d’établissement de l’EPEVRY pour l’année 1980 (AD91-1523W/1788). 436 M. Severino, inspecteur des finances, rapport d’enquête sur l’EPEVRY, Ministère de l’économie et des finances et du budget, août 1985, p.5 (AD91, 1523 W / 598). 437 Assemblée générale du 17.10.1968 AD 95 1086W/60W86A 438 Compte-rendu d’une visite au. Directeur général adjoint de l’EPAD du 6.02.1968, AD 95, 1450W/277W32D

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Pour rationaliser cette fonction de maîtrise d’ouvrage, certaines Missions font très tôt appel à des bureaux d’études spécialistes de l’organisation, telle que la SCEPROG (filiale de la SCET). Celle-ci mène en 1969-70 pour le compte de la mission de Cergy des études pour améliorer au sein de l’organisme les liaisons entre divisions “ financières ” et divisions “ dépensières ” (prévisions de dépenses, gestion des fonds), ceci à partir des expériences de la SCET. L’année suivante le même bureau est chargé de “ l’analyse de la circulation des informations à l’intérieur du service opérationnel ” de l’établissement. Celui-ci cherche aussi à tirer parti des analyses menées a posteriori par les bureaux d’études comme la SERETES sur la construction des ZUP ou comme le bureau OTEU, concernant “ l’ordonnancement de la conception et de la réalisation des grands ensembles ”439. La création des Etablissements publics a pour effet de stabiliser le fonctionnement des équipes, d’obliger à régler les relations avec les prestataires, les promoteurs, les maîtres d’œuvre, de s’attaquer aux problèmes concrets que pose le fait de passer une commande, d’établir un cahier des charges, de réceptionner un ouvrage, etc. La nomination des contrôleurs d’État conduit à un contrôle interne plus serré. En mars 1971, à Cergy, à la suite de cette nomination, “ tous les marchés d’études doivent être soumis (au contrôleur ) et tous les marchés doivent être accompagnés d’un rapport justificatif ”440. Dès lors toutes les études faites "en dehors de la maison" doivent être motivées. La maîtrise d’ouvrage se construit moins à partir d’une doctrine a priori que pragmatiquement, au cas par cas, dans la définition des rôles et dans la négociation autour de ce que les EPA doivent/peuvent faire et ce qu’ils doivent/peuvent faire- faire. Au moins trois thèmes paraissent pouvoir éclairer ce qui a été en ville nouvelle une expérience professionnelle collective autour d’un dispositif nouveau, la maîtrise d’ouvrage urbaine. Elle vient d’un contexte où une frontière se cherche entre faire et “ faire- faire ” ; elle prend forme dans l’exercice généralisé du pilotage, l’invention d’outils tels que les “ directives d’aménagement ” ou les “ plans financiers ” -. Elle se manifeste aussi à travers des compétences encore rares mais qui vont s'avérer de plus en plus nécessaires pour faire exister ce dispositif, compétences notamment en matière de financement, de programmation ou de gestion du paysage441. Cette expérience professionnelle collective s’est finalement développée du fait des nécessités qu’accompagne la réalisation concrète des choses et du fait de la consolidation des fonctions des EPA. Pour illustrer cette idée d’une expérience collective constituée à partir de problèmes à résoudre et d’ajustements progressifs dans les pratiques, on a pris trois exemples : la programmation, le plan financier, les directives d’aménagement 442. On s’est aussi intéressé au travail de comparaison auquel certains professionnels se sont livrés lors de nos entretiens, pour nous montrer comment ils avaient dû s’adapter à de nouvelles situations de travail. Cet exercice de la comparaison qu’ils nous livrent fait ressortir différentes facettes de la maîtrise

439 Comité de coordination du 3. 08.1970, AD 95, 1086W/60W86B. Les études de la SCEPROG, de la SERETES et de l’OTEU figurent dans les archives du directeur général adjoint, AD 95, 1399W/ 191W12 et 1450W/277W32D 440 Comités de coordination des 19.01.1970, 29.3. et 10.5.1971, 24.9.1973 AD 95, 1086W/60W86B 441 L’insertion des paysagistes au sein des missions a dans certains cas fait problème, comme nous le verrons plus loin. En 1969, le directeur général de Cergy attend une “ meilleure coordination entre paysagistes et architectes ”, Comité de coordination du 28.04.1969 AD 95, 1086W/60W86B 442 De nombreux ouvrages et articles rendent déjà compte des expériences sur ces trois thèmes (provenant en particulier du SGGCVN). Nous nous sommes surtout attachés ici à ce qui fait expérience pour les professionnels rencontrés.

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d’ouvrage en villes nouvelles. C’est aussi une façon de rendre lisible ce qui a constitué à la fois l’expérience des EPA et, bien entendu, la leur. III.1 Entre le faire et le faire -faire La philosophie du faire- faire est prônée en haut lieu depuis (au moins) la création du ministère de l’Équipement. François Bloch-Lainé en voit déjà l’ébauche au début des années 1950 avec la planification économique 443. Se référant explicitement à l’organisation du ministère des Armées, Edgar Pisani a lancé le thème : “ L’État doit faire-faire, plutôt que faire ” et ce qu’il implique pour l’administration, l’adoption du modèle de “ l’état-major ”444. La réorganisation de l’EPEVRY en janvier 1987 reprend d’ailleurs ce modèle de l’état-major en le modernisant, c’est-à-dire en introduisant aussi les principes très en vogue dans les entreprises privées : c’est la formule du “ directoire ” 445. Celui-ci tient un rôle majeur : “ Le directoire devra définir notre stratégie, impulser les grands mouvements, recevoir les commandes locales et garantir notre cohérence. En particulier, il assurera l’arbitrage entre les centres de compétence en cas de conflit et affectera à chaque division les moyens budgétaires nécessaires à l’exécution de leurs missions ”446. Lancée dans les années 60, passée dans les faits deux décennies plus tard, au cours des années quatre vingt dix, sous la forme du « pilotage »447, cette manière de voir n’allait pas de soi. Elle a supposé un apprentissage de la part des pouvoirs publics et des techniciens en général, même au sein des EPA. La philosophie du faire-faire introduit en effet des exigences nouvelles en amont et en aval du processus de production de la ville. D’abord elle installe dans ce processus un amont fait d'études, de définition d’objectifs, de planification de l’action, de stratégies. Le fait de faire-faire plutôt que de faire permet « de s’élever, de voir les choses d’un peu plus haut »448 et d’un peu plus loin. Le travail de l’équipe pluridisciplinaire intégrée est censé produire une « vision globale et à long terme », qui est aussi pour les professionnels interrogés une manière de garantir l’Aménagement du territoire et par suite l’intérêt général449. Cette philosophie implique ensuite des suivis, des évaluations, des contrôles. Cette nouvelle manière de travailler impose d’autres relations entre les intervenants : hommes d’études, concepteurs, maîtres d’œuvre, investisseurs, futurs gestionnaires, en obligeant à définir de manière plus précise les finalités et les moyens et par suite les rapports entre un commanditaire et son prestataire. Finalement cette philosophie rend visible l’étendue des compétences des EPA et leurs limites.

443 F. Bloch-Lainé et J. Bouvier, La France restaurée, 1944-1954, Paris, Fayard, 1986, p206 444 E. Pisani, « Examen du projet de budget du ministère de l’Équipement », Le Moniteur des travaux publics et du bâtiment, 12.11.1966, p25. Plus généralement J.-C. Marquis, Le génie de l’État. Les maîtres d’œuvre de l’État, Ponts et Chaussées, Génie rural, Eaux et forêts, Lille, L’espace juridique, 1988, tome 1, p 138 et suiv. et P. Veltz, Les plans d’occupation des sols. Le droit et les logiques nationales, BETURE, Copedith, 1975, p 13 445 Rappel doit être ici fait du contexte économique des années 1986-87 avec les premières privatisations, l’OPA d’Olivetti sur AGF qui marquent le début de l’évolution du capitalisme français de “ type rhénan ” (relativement fermé) à un capitalisme plus libéral “ anglo-saxon ” (primauté de l’actionnariat). 446 Note du directeur général de EPAVN d’Evry du 12.09.1986, AD91, 1523W/911 447 Note du 19.11.1995 de Jean-Luc Nguyen à Monsieur Le Directeur général (archives du personnel de l’EPAVNCP) 448 Entretien avec P. Thiout 449 Entretien avec J.-J. Liard

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Ce qu’il faut entendre par maîtrise d’ouvrage (et plus particulièrement maîtrise d’ouvrage déléguée pour les équipements) est le produit de tâtonnements. En 1973, à Cergy, les relations entre l’EPA et le Syndicat communautaire d’aménagement ne sont pas stabilisées : qui doit faire quoi ? Chacun cherche ses marques. Le directeur général relève que cet état de choses fait perdre du temps et le regrette450. A posteriori, les professionnels soulignent deux phénomènes qui signalent les apprentissages dans le faire- faire. En passant de la Mission à l’EPA, dit l’un d’eux, « on est passé de l’urbanisme à l’aménagement » et de « on fait » à « on fait-faire », ce qui n’allait pas de soi, car cela supposait de savoir se défaire du faire (ou, encore plus difficile, d’une partie du faire). D’autres, ingénieurs au ministère de l’Équipement dans les années 1980, viennent de DDE où ils étaient en situation de maîtrise d’œuvre, « le nez dans le guidon »451. Dans les EPA, ils découvrent la maîtrise d’ouvrage. Dans ces années postérieures à la décentralisation et notamment pour les fonctionnaires de cette administration, la relation entre les fonctions de maître d’ouvrage et de maître d’œuvre a dû être reconsidérée, dans un cadre de négociation continue avec les élus locaux. III .1.1. Le vieux rêve missionnaire du maître jacques De manière générale, comme le rappelle Jean-Eudes Roullier : “ Les EPA, ils faisaient tout au début ”, jusqu’à l’animation socioculturelle. Dans ces premières années, rappelons-le, « tout est à faire ». Si l’on prend le cas de l’EPEVRY dans sa première période, dominée par les pratiques du ministère de la Construction (A. Lalande durant quinze ans de 1964 à 1979), c’est aussi la philosophie du maître jacques qui prime. C’est ce qu’évoque aussi Bernard Hirsch pour Cergy-Pontoise en 1968 lorsqu’il parle de “ vie ” et d’“ esprit à créer ” : “Les problèmes de vie doivent primer sur les considérations urbanistiques, pour créer cet “ esprit ” de la ville. Pour mieux participer à celui-ci, les membres de la mission d’aménagement habitent tous à proximité. Ils prennent ainsi mieux conscience des inconvénients rencontrés par les habitants et peuvent intervenir pour obtenir certaines améliorations (par exemple, doublement de la cadence des trains, modifications des horaires, etc…) ”452. En même temps, à Cergy, le directeur général rappelle régulièrement à son personnel ce qu’il doit faire, comparé à ce qu’il peut laisser faire. En 1970, il répète que l’Établissement public “ doit rester une organisme aussi léger que possible ce qui signifie que l’effectif total ne croîtra pas beaucoup et que le maximum de travaux doit être confié à l’extérieur. L’établissement ne doit se réserver que ce que d’autres ne peuvent pas faire (études générales, centre urbain, emplois, définition du ‘contenu’ de la ville) ”453. Mais, il faut aussi parer au risque de ne plus paraître que comme un simple organe d’études. En 1973, l’EPA doit ainsi se protéger des intentions du Syndicat Communautaire d’aménagement et ne pas en devenir le “ simple instrument ”454.

450 Note sur Cergy et les relations avec les collectivités locales (réunion de travail chez le Préfet du 19.11.1973) AD 95, 1461W/294W8D 451 Entretiens avec P. Thiout et M. Clementi 452 Réunion le 20.10.68 de la commission mixte des villes nouvelles, District de la Région parisienne (AD91- 1523W/787). 453 Comité de coordination du 16.03.1970, AD 95, 1086W/60W86B 454 Ibid. Comité de coordination du 26.03.1973

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Si les travaux de géomètre ou les études de paysage ont pu être aisément confiés à des prestataires extérieurs, pour d’autres activités le choix n’a pas toujours été aussi aisé à faire. L’argument économique a parfois été mis en avant dans la décision de garder en régie certaines tâches. Ainsi, en 1971, au sein de l’EPEVRY, la “ solution (concernant le projet de création d’un observatoire sur le logement) adoptée à l’EPASQY (contrat avec bureau d’études) est rejetée à cause (notamment) de son coût trop élevé ”. Lui est préférée la création en interne d’un service adéquat455. Autre argument en faveur de la réalisation en régie : la difficulté et le temps passé à réaliser un cahier des charges. En 1976 le directeur du service technique, ingénieur des Ponts et chaussées, manifeste son “ désir que l’EPEVRY réalise lui-même le travail que nous confions habituellement aux BET (élaboration des avant-projets sommaires), car il est souvent plus difficile de faire réaliser un travail que de la réaliser soi-même ”456. À Cergy, « les méthodes et les habitudes de travail (au début des années soixante et dix) consistaient à faire TOUS les avants projets de VOIRIES et (à) ne confier à la DDE que les plans d’exécution. Ce n’est que progressivement, et compte tenu de l’accélération du développement des quartiers qu’il y a eu changement, et aussi une plus grande attention aux objectifs urbanistiques et non seulement circulatoires »457. La situation de l’EPAREB à la fin des années soixante et dix est semblable à celle d’Evry. En 1979, le nouveau Directeur général Lucien Gallas décrit un EPA comme étant noyé dans le « faire », effectuant des tâches qui devraient être assumées par les communes, par exemple des tâches administratives458. Il ne cesse de rappeler la nécessité « économique » de recourir à la sous-traitance en matière d’études techniques de VRD, à l’intention des chargés d’opérations, ou en matière d’études de faisabilité pour le service études et programmation ; « Chaque fois que l’on peut sous-traiter les données de faisabilité, faisons-le »459. Comparant rétrospectivement sa pratique sur les rives de l’Étang-de-Berre entre 1977 à 1982 et son activité dix ans plus tard au sein d’une société d’aménagement privée, Ressources et Valorisations, Claude Guary présente les spécificités de l’EPAREB, comme maître d’ouvrage : « C’est beaucoup plus léger (par rapport à l’EPA). On faisait le même chiffre d’affaires que celui qu’on faisait à Ressources et Valorisations. Il n’y a pas d’agence comptable. Il n’y a pas de service juridique. Tout est sous-traité. On est vraiment des maîtres d’ouvrage. On est des monteurs, des gens de coûts. Mais on est pas dans la gestion longue. A l’EPAREB c’est quelque chose qui va sur la gestion longue. Ils rentrent dans le détail du fonctionnement quotidien, du fonctionnement des collectivités locales. A un moment donné entre 77 et 82, on sait plus vraiment si on est un EPA ou une collectivité. Les collectivités sont nulles à ce moment-là. Donc on fait une bonne partie de leur boulot »460. Au milieu des années 80, cette pratique de la régie est courante, en particulier quand il s’agit de traiter de questions nouvelles ou de réveiller des compétences. C’est le cas à l’EPEVRY pour la conception des espaces publics à travers le projet de cellule “ espace public ” qui apparaît alors comme un outil de management de l’organisation. Cependant dans la période de routinisation du travail et de production urbaine ordinaire, la tendance générale est plutôt à un recours à des prestataires, ce qui est supposé permettre de réduire les coûts, comme sur les

455 Note du 06.07.1971 de Mr Y.Damoiseau à M. A. Lalande, expériences pilotes en matière d’informations sur le logement menées à Saint-Quentin-en-Yvelines, Cergy et Rennes. Propositions pour la ville nouvelle d’Evry (AD91-1523/787). 456 Note du 27.02.1976 de Rousselle à Lalande (AD91-1523/787). 457 Note confidentielle de Bertrand Warnier à François Bertault, 18.11.1995 (AD91- archives du personnel de l’EPAVNCP) 458 Entretien avec L.Gallas 459 L’organisation générale de l’EPA, 09.01.1984 (archives de l’EPAREB) 460 Entretien avec C. Guary

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Rives de l’Étang-de-Berre. La situation semble acquise au cours des années quatre vingt dix comme en atteste une note en 1995 du directeur général adjoint concernant le devenir d’un agent chargé de la mise en œuvre des projets d’infrastructures : «Je pense que l’EPA a plus besoin de personnes capables d’assurer le pilotage que des personnes produisant en régie des projets »461. Cet esprit de « maître jacques » est né dans les Missions et persiste chez les professionnels. L’extraterritorialité des EPAVN crée les conditions d’isolement et d’autonomie qui sont très favorables. Cela s’est traduit à Cergy par une « installation sur place » pratiquement obligée d’une partie du personnel, suivant l’exemple du Directeur général. Il s’agit de « voir » les changements, de « souffrir de la boue et de l’isolement », de « constater au jour le jour les défauts et les corriger sans retard» et de « trouver un interlocuteur sur place pour recevoir leurs doléances et leurs plaintes d’occupants »462. L’attachement du créateur à sa ville, pousse la Mission de Cergy à recruter des cantonniers ou à s’improviser de manière exceptionnelle livreur de chauffages d’appoints, ne pouvant "attendre que le Parlement vote une législation spécifique des villes nouvelles pour régler ces problèmes" 463. En 1975, Bernard Hirsch laisse un « testament » à son successeur qui donne la liste de ces derniers soucis. Ceux-ci vont jusqu’au détail d’une malfaçon d’un collège en cours de construction, comme s’il en était le propriétaire ou l’usager464. Plus généralement, les partants évoquent la difficulté qu’il y a à quitter le « pays de la ville nouvelle »465. III.1.2. Les virages des années 1983-87 : la commercialisation, la remise d’ouvrages, la formulation de la commande À Evry, la réorganisation interne annoncée au début des années 1980, vise à recentrer l’organisme sur sa vocation de maître d’ouvrage. Cela concerne en particulier les activités du Service technique. Lors du comité d’entreprise de l’EPEVRY du 16 décembre 1982, Michel Colot (directeur général) « estime que le Service technique doit se limiter à la maîtrise d’ouvrage. La maîtrise d’œ uvre doit être effectuée par des prestataires extérieurs. Quant aux tâches de gestion des équipements terminés, elles doivent être assurées par les gestionnaires (DDE et SCA) afin que l’établissement public se consacre à ses tâches propres »466. À Cergy, la réorganisation de 1985 suit un autre événement qui transforme les relations entre l’EPA et ses interlocuteurs extérieurs, en premier lieu les investisseurs. Compte tenu de la « conjoncture difficile », l’EPA cherche à accroître le « dynamisme » des promoteurs (à travers des programmes en accession à la propriété) et, pour cela, se dit prêt à reconsidérer les contraintes d’urbanisme 467. Les « difficultés » ou les « nécessités » de la commercialisation

461 Note du 19.11.1995 de Jean-Luc Nguyen à Monsieur le Directeur général (archives du personnel de l’EPAVNCP) 462 Bernard Hirsch, Oublier Cergy… op. cit. p.65 463 Ibid. chapitre XV 464 Entretien avec J.-C. Douvry 465 Entretien avec Y. Draussin 466 Comité d’entreprise du 16.12.1982, AD91, 1522W/34 467 Courrier de F. Bertière du 5.01.1983, reproduit dans M. Gaillard, Les conditions d’exercice de la maîtrise d’œuvre urbaine à Cergy-Pontoise, EPA de la ville de Cergy-Pontoise, janvier 1986. Cette politique avait déjà été promue par le ministre Chalendon en 1969. B. Hirsch annonce alors avoir “ reçu des instructions tendant à laisser aux sociétés privées une plus grande part d’initiatives dans le développement de la ville et dans la création de groupes de pavillons individuels » Comité de coordination du 5.05.1969, AD 95, 1086W/60W86B

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introduisent une souplesse qui est une première étape – perçue comme un tournant par certains professionnels - vers une ouverture plus large vis-à-vis des intérêts privés dans la production urbaine. Elle sera accentuée par la suite par exemple à Marne- la-Vallée lorsque l’EPA devra se soumettre, comme il ne l’avait jamais fait, devant les exigences d’Eurodisney468. Dès la fin des années 80, les EPA arrivent au bout de leur histoire, ceci au moment où le marché impose ses lois avec une vigueur particulière. En poste à Cergy en 1994, Jean-Luc Nguyen note que la « mission de concepteur passe au second plan », derrière la Direction des activités économiques : « L’enjeu est à la commercialisation »469. Pour B. Warnier, il s’agit en 1996 de « ne pas perdre son âme »470. La prise en compte de ce qui fait l’aval de la production de la ville nouvelle n’est pas une découverte des années 80-90. On se préoccupe très tôt des destinataires finaux, les promoteurs, les constructeurs, les collectivités publiques et les habitants, même si pour bien des professionnels, ces derniers restent des figures très abstraites. Mais la conjoncture et la nécessité d’accélérer la vente des charges foncières introduisent un facteur inconnu jusque- là dans les EPA, le facteur de la rentabilité. Cela modifie ce qui est fait et ce qui est dans le faire- faire. Les syndicats communautaires ont eu leurs exigences vis-à-vis des EPA, les invitant à développer l’un des savoir-faire importants de la maîtrise d’ouvrage déléguée : la remise d’ouvrage. C’est ce que raconte Daniel Simon, paysagiste à l’EPASQY : « Dans la remise des accotements de voies et des espaces publics au SCA, j’apprends mon métier de paysagiste, j’apprends à travailler et à rechercher la qualité… ils ont aussi leurs exigences »471. Il travaille de près avec les ingénieurs du service opérationnel et assure lui-même le suivi des contrats de maîtrise d’œuvre passés avec des paysagistes. Dès lors la recherche de qualité suit une longue chaîne d’interdépendances jusqu’au gestionnaire final. Elle oblige la maîtrise d’ouvrage déléguée à porter une attention particulière à ce qu’elle produit et livre. La plus grande intensité des relations avec les SAN est un phénomène que tous les professionnels des EPA observent dans les années 90 et qui pèse lourdement sur leur travail quotidien. À Cergy, Jean-Luc Nguyen est sensible à plusieurs phénomènes conjoints472 : la relation au maître d’ouvrage principal (SAN), les conditions concrètes de cette relation, les effets sur le travail au sein de l’EPA.

- Les exigences du SAN ont des conséquences pratiques au sein de l’EPA : « La manière dont on construit des équipements pour le compte du SAN a changé et ça se traduit parfois par des remises en cause des méthodes de travail au sein de l’EPA. Pour être schématique : si on a uniquement une personne qui représente le maître d’ouvrage qui vous dit : « J’ai besoin de construire telle chose », vous donne une enveloppe puis on construit et en gros du moment que vous ne dépassez pas l’enveloppe et que l’ouvrage lui plaît, il est content. Ca c’était la méthode ville nouvelle dans sa phase de démarrage. Maintenant quand cette personne au lieu d’être seule a une équipe avec elle qui au lieu de vous dire : « Voilà je voudrais tel ouvrage », elle va vous dire : « Voilà nous avons conçu tel programme, voilà l’enveloppe mais cette enveloppe est découpée de telle manière : ça pour l’architecte,

468 Entretien avec M. Gaillard. Cf. infra pour plus de détails « Les effets miroir » 469 Entretien avec J.-L. Nguyen 470 Entretien avec B. Warnier (réalisé par N. Arab en 1996)s 471 Entretien avec D. Simon 472 Entretien avec J.-L. Nguyen (réalisé par N. Arab en 1996)

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ça pour l’entreprise, ça pour la définition » et quand pendant tout le temps de la construction il y a une personne qui vient vous voir une fois par semaine pour vérifier ce qui se passe et qui vous demande des comptes, alors la méthode de travail n’est plus exactement la même ».

- La densité des relations avec le SAN et l’alourdissement des procédures, ont miné ce

qui faisait auparavant la confiance : « La manière dont se construisent les échanges pendant la construction est beaucoup plus importante que dans la première méthode. Des changements sur le plan formel, c’est-à -dire beaucoup plus d’échanges, plus de courriers, il faut beaucoup plus penser à écrire pour vérifier qu’on a bien pensé à demander des choses… Et là où ça devient plus dur c’est que le mandataire est toujours tenu pour responsable indépendamment de tous les allers-retours qu’il y a eus. Donc ça change la manière dont les chargés d’opération travaillent. Parce qu’ils sentent que ça risque de déraper ils demandent au maître d’ouvrage de confirmer dans un délai rapide. Ca formalise beaucoup plus, ça devient parfois dingue, on se fait des courriers parce que globalement de niveau de confiance qui repose sur la parole n’existe plus, ça va jusque là. Il y a des opérations sur lesquelles je demande à mes chargés d’opérations de ne rien faire sans écrire parce qu’on sait que ça se retournera contre nous… Ce sont des risques nouveaux parce qu’un comportement nouveau de la part du SAN, enfin il date en gros de 1989, si je comprends ce qu’on me dit », c’est à dire à partir du moment où le SAN a eu des « services costauds ».

- Ce qui a des conséquences directes sur les compétences au sein de l’EPA : « Dans le

domaine des mandats il faut bien sûr avoir une connaissance technique, mais il y a le code des marchés publics à respecter et la manière de savoir faire respecter des contrats avec le maître d’œ uvre. Cet aspect-là, lorsque ça se passe de manière informelle, c’est sur les chantiers où il faut crier plus ou moins fort pour que les gens se mettent au travail. Lorsque vous êtes en ambiance moins facile, il faut envoyer des lettres recommandées, faire référence à tel article du contrat pour forcer à bosser, pour prévoir les réclamations des entreprises ». Auparavant « en matière de compétences, les gens qui travaillaient sur ces mandats étaient plus des meneurs d’hommes, des gens compétents sur le plan technique du bâtiment et VRD et maintenant dans un contexte plus formalisé on a toujours besoin de cette qualité mais on a surtout besoin de gens costauds en droit et en code des marchés publics. On peut très bien en agitant le spectre du contrat faire travailler les gens. Ce côté d’animer une équipe ça reste important notamment dans les phases terminales du chantier, quand on est en finition, qu’il faut livrer dans trois semaines, là il y a ce rôle d’homme orchestre qui se démène partout et qui appelle le maître d’œ uvre, le plombier, les élus. Mais la plupart du temps c’est quelqu’un qui écoute le maître d’œ uvre, les entreprises et le maître d’ouvrage et qui dit : « Ca ça correspond à mon contrat, ça ça ne correspond pas ». Donc les métiers, ce n’est pas qu’ils ont changé, mais on pouvait se dispenser de ces facettes alors qu’actuellement la partie droit et code des marchés publics devient primordiale dans la mission de mandataire ». Un maître d’ouvrage délégué doit alors savoir ce qu’il en est de législation sur la maîtrise d’ouvrage publique, mais aussi sur la sécurité sur les chantiers, les directives européennes, etc. Et anticiper sur ce qui fait le lot de toutes collectivités publiques : le contentieux. Dans ce contexte, les agents sont obligés d'avoir davantage que par le passé des compétences juridiques.

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Cette pression du résultat et de la conformité se diffuse au sein de l’EPA et par ricochet auprès de ses autres interlocuteurs. Ainsi l’EPA se transforme pour mieux répondre aux attentes du SAN, mais il devient en même temps plus exigeant vis-à-vis de ses prestataires, autre signe de la professionnalisation de la maîtrise d’ouvrage. Toujours à Cergy en 1996, le même responsable des équipements publics exprime clairement ces obligations croisées qui lient le commanditaire et son prestataire473 : « Si je prends une étude de circulation ou d’avant-projet sommaire, donc une étude qui est plutôt une connaissance, une estimation, ce que j’attends c’est d’une part qu’on exprime bien nos besoins pour qu’eux ils comprennent bien, c’est ce que j’attends de mes collaborateurs. Et il faut que ce soit suffisamment clair pour que l’on puisse vérifier que ce qu’on nous remet est conforme à ce que l’on a demandé. Si vous passez une commande floue vous risquez d’être déçu mais dans la mesure où la commande est floue vous ne pouvez rien dire. Donc c’est la première exigence interne. Par rapport au prestataire, c’est qu’il soit fidèle, donc exigence de résultats et accessoirement le respect des délais et des engagements si par exemple il s’était engagé à faire un compte-rendu en milieu d’études ». Le point clef est donc bien d’apprendre à élaborer une commande puis d'en évaluer les résultats. Les nouveaux rapports avec le SAN ont donc eu des effets multiples, notamment dans les habitudes de travail comme en termes de compétences. C'est ce que résume un autre professionnel à Cergy474 : « Avant on décidait du tracé d’une voie, on était chez nous, les terrains nous appartenaient, donc on la faisait et après on la remettait à la collectivité pour gérer. Maintenant ils nous demandent qu’on les prévienne de ce qu’on a l’intention de faire. Et ça, je crois est une évolution importante et qui n’est toujours pas sans difficulté quand on a affaire à du personnel qui a eu l’habitude de l’ancienne formule et qui n’avait de comptes à rendre à personne et qui est toujours là ». III.2. La programmation : une activité, des métiers. La programmation est l’une des activités qui a rencontré dans la période de réalisation des villes nouvelles un très vif intérêt475. Pour au moins deux raisons. D’une part, les EPA se trouvent en charge de la maîtrise d’ouvrage déléguée des équipements et sont donc confrontés au problème de leur définition. Après les nomenclatures de la grille Dupont conçues pour les grands ensembles (en 1958), les années 60 et surtout 70 sont marquées par une floraison d’équipements nouveaux, par diverses expériences concernant leurs usages comme leur architecture – les concours font florès - et par un effort de rationalisation des normes. En cela, les villes nouvelles ont été des terrains d’élection de recherches et d’expérimentations. D’autre part, l’activité de programmation a offert aux sciences humaines une place au sein des équipes des EPA. À la fin des années 60, les pionniers ont des profils très divers : géographe, sociologue, psychologue, économiste, politologue, etc... et ignorent tout de ce que l'on appelle programmation. Au-delà des évolutions que cette activité a connues en trente ans, on est frappé de voir non seulement la diversité des profils et des positions dans l'organisation de 473 Ibid. 474 Entretien avec M. Cosqueric (réalisé par N. Arab en 1996) 475 M. Rivet, La fonction de programmation et le rôle du programmateur. La programmation dans les villes nouvelles, dans une ville moyenne (Saumur) et à Grenoble, SGGCVN, DAFU, mars 1978 ; J.C. Boyer, La programmation…, op.cit. Korganow A., P. Mehan et C. Orillard, L’équipement socio-culturel en ville nouvelle. Les déclinaisons de la formule innovante de l’intégration , Paris, Ecole d’architecture de Paris -Malaquais, Laboratoire ACS, rapport intermédiaire, février 2004 (pour le Programme interministériel d’histoire et d’évaluation des villes nouvelles)

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ceux qui ont été en charge de la programmation mais aussi la diversité des pratiques qu’ils en ont eues. Chaque EPA semble avoir eu en cette matière une expérience singulière. III.2.1. La formule des groupes de travail À Cergy, la programmation est une fonction placée dans les organigrammes dès les années 1968-69, mais sans que l’on sache exactement ce dont il s’agit puisque elle est rapportée à la seule cellule “ logement-emploi ”. À Marne- la-Vallée, Bertrand Ousset crée en 1971 une direction (Direction des équipements et services collectifs) qui est plus proche des ingénieurs que des architectes-urbanistes. Il cherche ainsi à s'assurer que "les intentions sont bien projetées dans les réalisations", la réflexion sur la localisation des équipements n'apparaissant qu'au second plan476. En revanche à Evry, cette fonction est intégrée à l’Atelier d’urbanisme. Dans la phase initiale, la programmation des équipements de la zone centrale de cette ville nouvelle est le fait de “ groupes de travail interministériels ” (en fonction de la nature de l’équipement) qui se réunissent à partir de l’automne 1967 et qui regroupent les instances départementales, régionales et des services centraux des ministères. Ils permettent d’élaborer une programmation précise des équipements et de faciliter l’insertion progressive des programmes dans les enveloppes régionales du Plan. Les groupes suivants ont été constitués :

• groupe “ jeunesse et sports ” • groupe éducation nationale • groupe action sanitaire et sociale • groupe experts commerciaux • groupe culturel et loisirs urbains 477

Ce type d’organisation reprend le fonctionnement mis en place au sein du District de la Région Parisienne par Paul Delouvrier, lui-même inspiré des groupes de travail du CGP. Il s’adapte à la sectorisation des financements des équipements des divers départements ministériels. C’est une approche « normative et contrainte »478 que l’IAURP a synthétisée dans une grille générale largement diffusée dans les EPA et qui permet de « donner des chiffres » aux architectes-urbanistes. Mais à Marne-la-Vallée par exemple, on réfléchit davantage "en amont ", à ce que peut être un "service", une "institution", aux relations avec les communes du territoire, loin donc de cette définition trop étroitement limitée aux données architecturales479. La pratique des groupes de travail telle qu'elle fut développée à Evry n’a pas toujours été abandonnée au profit d’un service ou d’une fonction bien identifiée au sein des organigrammes. Elle marque surtout les années d'apprentissage. Et on la retrouve plus tard, au milieu des années 1980, à l’EPASQY. Elle est alors un outil de management pour la relance de l’EPA et des équipes sur les quartiers. Elle contribue aussi à remettre à l’honneur la pluridisciplinarité. 476 Entretiens de G. Machu et B. Ousset in A.Korganow et alii op. cit 477 MEAVN d’Evry, Compte rendu d’activités 1967- prévisions 1968, 06/12/1967 (AD91-1523W/282). 478 J.C. Boyer, La programmation… op.cit. p195 et suiv. 479 Voir l'entretien de B. Ousset in A.Korganow et alii op. cit

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III.2.2. Le programmateur, « spécialiste du social » En matière de conception des équipements socioculturels, les sciences sociales ont joué un rôle essentiel, apportant tantôt leur critique, tantôt leur soutien aux conceptions des urbanistes. Les programmateurs viennent par exemple à Evry justifier la structuration d’un “ réseau de lieux publics signifiants ”, de “ pôles ” regroupant notamment des équipements socioculturels (CES, COSEC, Maison des Jeunes, Centre social) conçus comme “ des moteurs d’animation […] en certains points carrefours […] du linéaire ”480. À Evry, André Darmagnac, géographe de formation, envisage sa compétence comme complètement mêlée à celle des architectes-urbanistes dans la mesure où il s’agit de “ préparer l’avenir ”481. Pour lui, “ l’urbanisme doit se contenter d’être une provocation assez prudente et sobre aux tendances de mode de vie qui se profilent pour l’avenir. […] (Il) va au-devant des désirs fragiles […] et doit toujours conserver intacte sa faculté de se faire totalement perméable aux tendances qui savent s’imposer ”482. La tâche du spécialiste du social est ambitieuse. Elle doit “ anticip(er) assez largement sur ce qui peut effectivement s’observer aujourd’hui ”483. A. Darmagnac identifie en 1975 dans le désordre comme nouvelles tendances : “ les expériences communautaires ”, “ la nostalgie de la fête ”, “ la renaissance des cultures régionales ”, “ la contestation du modèle bourgeois ”, “ le mythe des forums, des agora, des “ vieux villages à la française ”, “ la recherche de paradis artificiels ”, etc. Le résultat de la convergence de toutes ces tendances serait pour Evry un “ mode de vie qu’on qualifie de “ nouveau citadin ”484. Garant du rôle social de l’urbanisme, le spécialiste du social produit un discours qui légitime l’action de l’architecte-urbaniste mais qui le met aussi en garde : “ Les urbanistes doivent pourtant garder à l’esprit que (leur) autorité n’est fondée que parce qu’elle correspond à des tendances profondes, largement partagées mais qui n’ont pas encore su s’imposer. […] Ils devront se souvenir que l’urbanisme doit servir les besoins de la société, et non l’inverse ”485. Selon d’autres points de vue, la place nouvelle faite aux sciences sociales et notamment au sociologue dans la programmation doit venir résister à l’approche strictement architecturale des opérations d’urbanisme : “ Bernard Hirsch a dit que le caractère d’une ville dépendait moins du problème architectural que de la vie même de la ville nouvelle. Il (Besnard Bernadac) pense également que des architectures différentes ont moins d’influence que la diversité des activités. On commence à se préoccuper davantage du “ contenu ” des villes nouvelles que du “ contenant ”. La composition sociologique des villes est très importante ”486. À Marne- la-Vallée, B. Ousset défend lui aussi une position à la fois pluridisciplinaire et bien amont du travail de l'architecte. La vision de l’apport du représentant des sciences humaines incarné par le programmateur évolue entre les balbutiements de la période initiale et les spécialisations des années quatre-vingt et quatre vingt-dix. Dans la deuxième moitié des années soixante et au début des années

480 A. Darmagnac, Objectifs de modes de vie et directives d’aménagement (pourquoi construire une ville nouvelle), Directions d’étude pour Evry III, document de travail, EPEVRY, juillet 1975, AD91, 1523W/2223, p.29. 481 idem, p.14. 482 idem, p.24. 483 idem, p.17. 484 Idem. A. Darmagnac porte un regard critique sur sa pratique passée (pas assez "pragmatique") in A.Korganow et alii op. cit 485 idem, p.25. 486 Réunion le 20.10.68 de la commission mixte des villes nouvelles, District de la Région parisienne (AD91- 1523W/787).

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soixante-dix, la définition reste large et sa compétence encore peu fondée en termes de méthode. En 1970, le secrétaire général de la MAEB donne sa vision du métier de programmateur dans un courrier adressé à une nouvelle recrue, chargée d’occuper ce type de poste : « Ce que je peux vous dire dès maintenant, c’est que vous aurez très probablement à mettre en place des procédures de ZAC industrielles ou d’habitat public ou privé dans le cadre des projets d’ensemble étudiés par les Urbanistes. Personnellement j’estime que nous avons besoin dans l’équipe programmation de quelqu’un d’imaginatif qui nous permette de donner aux urbanistes les éléments de programmation « qui ne sont pas programmables ». Je m’explique. Dans une ville ou une urbanisation nouvelle, il y a bien évidemment à prévoir l’ensemble des infrastructures « structurantes » et de superstructures dites d’accompagnement ; mais cela ne suffit pas à donner la vie à un Centre Urbain, et il y a mille et une composantes échappant généralement à l’action directe des pouvoirs publics, qui font qu’une ville est agréable à vivre ou non. Dans ce domaine, toutes les formes du « tertiaire » sont essentielles. […] Je souhaiterais que […] vous réfléchissiez sur ce problème et que vous essayez de faire le point de ce que votre expérience et vos voyages ont pu vous faire connaître dans ce sens, de façon à ce que nous puissions imaginer ce que sera d’ici quinze à vingt ans une vie agréable et humaine dans les sites que nous avons la charge d’urbaniser »487. La programmation tient aussi une place très variable dans les organigrammes des EPA. Elle apparaît parfois proche des directeurs généraux, parfois en lien plus ou moins étroit avec l’atelier d’urbanisme ou les études générales. L’introduction de profils professionnels de types « sociologues à coloration administrative » (venant des formations de droit, d’économie, de sciences politiques) ou appliquée ne s’est pas faite sans heurts488. Les résistances seraient venues des architectes-urbanistes ou des directeurs généraux. À Evry, le directeur général propose en 1982 de donner davantage de place aux programmateurs au sein de l’Atelier, place qu'ils semblent avoir petit à petit perdue : “ Pour Michel Colot, les difficultés de ce service (le service urbanisme) sont liées à la spécificité de son travail : mauvaises conditions de travail (urgence permanente, désorganisation) semblent être traditionnellement un mode de travail. Toutefois Michel Colot souhaite que les architectes contrôlent mieux leur imagination et travaillent en meilleure coordination avec les autres services (service technique en particulier). Il souhaite aussi une meilleure collaboration entre les programmateurs de quartier et les architectes (hormis le canal, la collaboration est inexistante ou inefficace) ”489. Dans l'esprit de Michel Colot, cette proposition vise à reconfigurer l’atelier d’urbanisme, peut-être à en reprendre le contrôle, et sans doute à renforcer la capacité de maîtrise d’ouvrage de l'EPA. À l’EPASQY, la programmation a aussi été rapprochée de l’atelier et, dans le même temps, ses finalités ont changé, passant de l’aval à l’amont de la chaîne de production de la ville nouvelle. En 1985, raconte Mireille Lucas (démographe de formation), « on a créé le Groupe de programmation urbaine qui a compté jusqu’à treize personnes. C’était un service important de la maison qui était rattaché à l’urbanisme. Mais c’était un truc particulier dedans, faisant les analyses et faisant les propositions pour l’analyse des quartiers. C’est à dire qu’on n’était plus seulement un outil de statistiques comme c’était au départ (1975-78), ni un outil d’études de besoins (le ‘bureau des études générales des besoins et de l’information statistique’, 1978-85)… La programmation urbaine, c’est en amont de tout (tandis que) les

487 Lettre du 8 juillet 1970 de M. Franck Gaston à Mlle Joelle Schroeder (archives du personnel de l’EPAREB) 488 J.-C. Boyer, La programmation… op.cit. p197 489 Comité d’entreprise du 16.12.1982, AD 91, 1522W/34

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programmateurs d’équipements sont en aval »490. L'approche urbaine de la programmation fait ainsi changer complètement l'objet de celle-ci. C'est sans doute dans l'expérience des EPA qu'émerge la double distinc tion entre programmation architecturale et programmation urbaine d'une part et entre programmation des équipements et programmation de l'aménagement de l'autre. Ces différences sont incorporées dans des pratiques très différentes de la programmation et dans des compétences où la qualification initiale (démographe ou géographe, sociologue, politologue...) semble déterminante. Dans cette évolution qui n’est pas propre à l’EPEVRY ou à l’EPASQY, la programmation est devenue une fonction stratégique qui engage davantage sur la structure démographique de la ville, son organisation sociale, la gestion future des équipements et finalement son devenir. « C’était pas très clair ce que l’on attendait des gens des sciences humaines en général. C’était d’avoir une vision, un travail d’observation, de tableau de bord. Qu’est ce qui se passe ? Comment ça se passe ? Moi ça me satisfait qu’à moitié et j’ai toujours essayé d’agir… pour que ça (la programmation) devienne un des éléments de conception et de réalisation des quartiers. C’est-à -dire que les réflexions que l’on fait soient au service de la réflexion urbaine… À ce niveau là on devient dans l’équipe pluridisciplinaire un élément comme les autres »491 Dès lors l’émergence de la programmation au cœur de la visée opérationnelle des EPA a donné une figure particulière au “ représentant des sciences humaines (ou sociales) ”. Chaque profil - sociologue, géographe, politologue... – en a proposé une version de cette activité de programmation. Le “ spécialiste du social ” a aussi eu plusieurs rôles à jouer. Élément indispensable à la constitution de l’équipe pluridisciplinaire intégrée, il est appelé à être homme (parfois femme) d’études, enquêteur, programmateur fixant normes et ratios, chargé des animations ultérieures des espaces réalisés (sur le développement des usages ou ce que l’on appelle à l’EPASQY la “ mise en vie des quartiers ”492) voire conseiller en stratégie. Ces déplacements dans la nature du travail et la position des agents dans le processus de réalisation ont provoqué le départ de certains d’entre eux, ceux qui ne se sont pas retrouvés dans cette instrumentalisation de leurs qualifications en sciences humaines (cas à l’EPASQY de la sociologue Marie-Odile Terrenoire). D’autres se sont forgé de vrais « outils opérationnels » (c’est le cas de Mireille Lucas) pour pouvoir participer, de plein droit et très en amont des pratiques opérationnelles, aux études d’aménagement et être ainsi au coeur de la réflexion urbaine. III.2.3. L’étude de marché Au cours des années 70, les pratiques de la programmation sont bien distinctes de l’étude du marché. À Evry, la programmation n'entretient aucun lien avec le service commercial ou le service financier, ce que le soulignent d'ailleurs les observateurs extérieurs pour le regretter493. En 1976, une proposition vise à rapprocher les programmateurs de l’Atelier de l’EPEVRY des

490 Entretien avec M. Lucas 491 Ibid. 492 Entretien avec M.-O. Terrenoire. 493 Conclusions de la réunion restreinte de l’atelie r du 28.11.1975 sur les réponses au questionnaire “ organisation du travail ” du 09.0 2.1976 (AD91-1523/787).

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commerciaux du service promotion en “ repren(ant) les réunions promotion-programmation pour faire venir des équipements publics ”494. En 1986, une note du chef de la division logement au directeur général marque un changement dans la conception de la programmation et rappelle la nouvelle ligne de conduite de l'EPA. “ Le problème n’est plus d’imaginer un nouveau cadre de vie. Il est de connaître les besoins des catégories des populations que l’on souhaite accueillir et de leur proposer avec intelligence et imagination le cadre qu’elles recherchent. Il s’agit d’une logique de vente. On n’a pas encore tiré toutes les conséquences de ce changement de point de vue dans notre manière de travailler ; études clientèles-produits sont à développer (COFREMCA), effort de communication soutenu et élargi, qualité de la conception urbaine. Le consommateur final reste notre clientèle directe. Ceci passe de toutes façons en résumé par le fonctionnement du marché ”495. La programmation est entendue “ au sens large ”, c’est-à-dire comme la “ définition des besoins, les pré-montages juridiques et financiers ”496. Selon la formule envisagée en 1986, le responsable du centre de compétence “ habitat urbain ” qui constitue une des trois divisions de l’EPEVRY, présente le processus de conception et de mise en œuvre d’un secteur d’habitations avec quatre types de tâches spécifiques497 :

• Les études marketing (dossier programme et suivi) ; • La faisabilité (études de définition et conception urbaine) ; • Le montage opérationnel des projets (suivi des projets de construction, cohérence

urbaine, coordination interne) ; • L’étude et production de l’espace urbain (conception des espaces publics, coordination

et police de chantiers, préparation des remises au collectivités locales). Suivent des tâches complémentaires :

• tâches d’accompagnement et de suivi ; • tâches liées au passé et à l’avenir (inventaire physico-financier des quartiers achevés

ou en voie d’achèvement). Le centre de compétence “ Habitat ” se compose de deux unités :

• “ marketing-développement-commercialisation ” (avec quatre chargés d’affaires, quatre architectes-urbanistes et quatre assistants d’architecte) ;

• “ étude et production de l’espace urbain ” (avec un ingénieur, un architecte ingénieur, un architecte paysagiste et quatre adjoints techniques).

La programmation relève de la première unité “marketing développement commercialisation ”. Elle correspond à la phase d’élaboration du “ dossier-programme ” relevant des “ études marketing ”. Ces dernières comprennent les “ études de motivations, le suivi et l’analyse des attentes (et) le suivi des marchés ”. Quatre “ chargés d’affaires ” y sont affectés. Leur “ rôle ” est notamment d’animer “ une équipe de quartier pour réaliser le dossier programme (étude marketing) ” et d’effectuer comme “ responsable de produit […] le suivi du montage des programmes ”498. Si les quatre architectes-urbanistes de l’unité 494 Ibid. 495 Note du 28.08.1986 de F.Delouvrier à M. Colot sur la réorganisation (AD91-1523W/911). 496 Ibid.. 497 Centre de compétence “ habitat urbain ”, non daté (sans doute 1986), p.7 (AD91-1523W/911) 498 Centre de compétence “ habitat urbain ”, non daté (sans doute 1986) (AD91-1523W/911)

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participent à l’élaboration du dossier programme, ils interviennent en revanche dans un second temps du travail de programmation comme animateur d’“ équipe de quartier pour réaliser le dossier de faisabilité ”. Mais le projet d’organisation ne dit rien de leur intervention dans l’élaboration du “ programme ” ou dans les “ études de définition ” qui comprennent une dimension commerciale importante. Le “ programme ou études de définition” comprend quant à lui :

• “ produit – cible - prix de sortie - charge foncière - recette ; • site et environnement • équipements et services liés à l’habitat ”499.

Et l’objectif de la démarche d’élaboration du dossier de faisabilité est notamment de pouvoir “ faire des offres foncières claires en vue de la commercialisation des droits à construire ”. De fait, la nouvelle orientation commerciale est diffuse dans l'ensemble des organisations des EPA et elle imprègne la programmation, comme en atteste la part prise en cette matière par les chargés d’affaires. III.2.4. Les résistances Les programmateurs ont parfois eu du mal à s'imposer. Cela a pu tenir au fait qu’il y a malentendu sur ce que l’on attend d’eux : des chiffres a posteriori, des normes, une aide à la maîtrise d’ouvrage architecturale, des études de besoins, des outils de la réflexion prospective... La diversité de leur localisation au sein des organigrammes est un symptôme du flou qui entoure leurs activités. Dans le cas d’Evry, le poids important de l’Atelier d’urbanisme jusqu’à la fin des années 70 explique que “ la programmation des équipements publics soit laissée à l’atelier ”. Reste que “ le problème de la programmation générale (activités, logement ) n’est pas traité de façon satisfaisante actuellement car elle est éclatée entre différentes personnes et insuffisamment coordonnée et que tout un aspect très important de celle-ci (la programmation qualitative) n’est pratiquement pas traité ”500. Dans cet éclatement, le directeur général adjoint garde la charge de la programmation des logements et de la commercialisation des terrains suivant les affectations, fonction qui était déjà la sienne à la SEM de Massy-Antony501. Une note de l’Atelier d’urbanisme de 1976 sur la programmation signale l’isolement des programmeurs au sein de l’EPA et leur absence de liens avec l’extérieur. Ils sont exclus des discussions au profit de l’architecte. Ils sont confrontés à deux types de difficultés “ 1/ difficulté d’information et d’articulation dans les mécanismes de la maison et 2/ difficulté de dégager et de faire appliquer une doctrine, faute de l’avoir ou de pouvoir la faire partager ”502. La note propose tout d’abord la constitution d’un fichier faisant un état des lieux des logements et des équipements dans la ville nouvelle et ensuite l’affichage systématique vis-à-vis de l’extérieur, notamment vis-à-vis du Syndicat Communautaire d’Agglomération, du couple programmeur-architecte tout au long de la procédure. Il est

499 Ibid.p.7 500 Compte rendu de la réunion du 23.12.1977 entre MM Lalande et les chefs de service et la commission “ conditions de travail ” (AD91-1523W/787). 501 Ibid. 502 Note du 09.02.1976, “ programmation ”, atelier d’urbanisme de l’EPEVRY (AD91-1522W/34).

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rappelé à cette occasion que c’est “ à partir de l’approche qualitative que pourra être désigné plus naturellement l’architecte ” en charge du projet. Ultérieurement, la finalité de la programmation s’est conformée à la finalité commerciale des EPA. Cela n’a pas manqué de provoquer l’opposition de ceux qui s’étaient le plus largement engagés dans des démarches réflexives à caractère plus prospectif sur la programmation urbaine : « La programmation urbaine, c’est quelque chose qui ne rapporte rien, non seulement qui ne rapporte rien mais qui à la limite peut perturber le débat avec les promoteurs et les acquéreurs… c’est plus un service dérangeant qu’un service qui facilite la commercialisation »503. Ce domaine de la programmation se présente au milieu des années 1980 – soit au bout de 15 à 20 ans d’expériences multiples - comme un ensemble de métiers, relevant tous de ce que l’on appelle aujourd’hui l’assistance à la maîtrise d’ouvrage mais très différents les uns des autres, quant à leur objet et à leur technique. Les compétences professionnelles de ceux qui en ont eu la tâche ont joué. Par exemple Mireille Lucas a une formation de démographe et elle dit elle-même que cela a profilé sa pratique de la programmation. Au-delà des formations initiales, un autre facteur a joué : il tient à la place et au rôle que les représentants des sciences humaines ont pu s’attribuer - ou ont réussi à obtenir - au sein des EPA. Le destin des expériences menées à Marne–la-Vallée en matière de programmation des équipements en éclaire la fragilité ou les limites, même si elles ont "fait avancer des idées"504. En premier lieu, la direction créée par B. Ousset est reprise après son départ par un ingénieur des Ponts et rebaptisée Direction de la Construction. En second lieu, la reprise par les communes d'équipements gérés par le SAN introduit des obligations nouvelles pour la maîtrise d'ouvrage déléguée. L'EPA s'est retrouvée à travailler avec un maître d'ouvrage replié sur des programmes types et des normes. III.3. Les plans financiers À partir du milieu des années 70, la dimension financière prend une place croissante dans le fonctionnement des EPA. À l’inverse des activités de programmation qui présentent autant de versions différentes que d’EPA, le plan financier est un outil qui a été conçu pour être un cadre commun aux EPA et les règles en ont été établies après des aller-retour entre ces derniers et le SGGCVN (qui en est le véritable lieu d’impulsion et d’élaboration finale)505. La question posée n’est pas seulement celle du contrôle du financement des EPA des villes nouvelles, c’est aussi celle de leur pilotage opérationnel et, en corollaire, celle des arguments politiques nécessaires à la poursuite de la construction. La conception des plans financiers et les discussions qui l’ont entourée devait permettre de comparer les villes nouvelles mais aussi de relier dans le temps et l'espace les quartiers (ou “ opérations ”), les objets réalisés, les modalités d’articulations financières (entre plan et budget)506. C’est une autre illustration des efforts déployés pour rendre le plus lisible possible l’action publique – un outil de communication interne et externe à la sphère des EPA et du SGGCVN -, de façon à être au plus près des processus réels de production urbaine, pour maîtriser ces processus, pour

503 Entretien avec M. Lucas. 504 Entretiens de G. Machu et B. Ousset in A.Korganow et alii op. cit 505 Voir les échanges de courrier sur la question entre le SGGCVN et le directeur de l’EPA de Cergy au cours des années 1973 et 74, AD 95, 1450W/277W32F 506 Courrier du SGGCVN au directeur de la mission du 9.05.1974, AD 95, 1450W/277W32F

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montrer qu’ils sont maîtrisés et finalement s’appuyer sur cette démonstration pour poursuivre le travail engagé. Par suite, la question n’est pas que formelle (établir un “ beau bilan ”). Elle est aussi opérationnelle : avoir une représentation globale et dynamique des situations pour pouvoir décider et justifier l’allocation des ressources. Dans les EPA comme au Secrétariat général du GCVN, les professionnels qui ont eu à développer ce nouvel outil - économistes de formation – et à tirer des moyens pour mener à bien la réalisation des villes nouvelles s’accordent pour dire que l’effort principal a porté sur la méthode. Comment décrire physiquement et financièrement un processus ? Comment recueillir les informations nécessaires à cette description ? Comment sensibiliser les professionnels des EPA les plus indifférents à ces questions financières ? La consultation régulière de tous les services des EPA pour collecter les informations, la conception de « fiches » susceptibles de les synthétiser, les vérifications incessantes, le respect d’une certaine homogénéité entre les différents EPA… autant de tâches et de paramètres qui ont petit à petit défini les plans financiers507. À Evry, l’enjeu du plan financier apparaît en termes de compétences dans un courrier du président du Groupe central des villes nouvelles à la direction du personnel et l’organisation des services (ministère de l’Équipement) en 1973. Il porte sur une demande pressante d’inscription sur la liste des “ emplois classés prioritaires au titre de la mobilité ” d’un poste à l’EPA d’Evry : “ M. Q. (administrateur civil) serait notamment chargé de l’étude et de la mise au point de la politique financière de l’EPAVN. Je rappelle à ce sujet que M. le Ministre de l’Economie et des Finances a souligné à plusieurs reprises et tout récemment encore par lettre du 23 mars 1973 approuvant le montant des subventions de fonctionnement aux EPA, l’importance et l’urgence qu’il attachait à la mise au point d’une politique financière d’ensemble dans les villes nouvelles. Le projet de rapport public de la Cour des comptes insiste également sur ce point. L’EPAVN d’Evry étant placé sous la tutelle du MELT, je vous serais particulièrement obligé, en conséquence de bien vouloir proposer au ministre l’inscription de ce poste sur la liste des emplois classés prioritaires au titre de la mobilité ”508. En 1979, le plan financier doit permettre “ d’apprécier les conséquences financières sur une période de dix années des objectifs physiques que s’assigne l’établissement ”. Il se double d’un “ système de contrôle de gestion à court terme destiné à suivre la réalisation des prévisions et à fournir des éléments permettant de les réviser (trésorerie, bilans, budgets, plan financier) ”509. Il est présenté par le Ministère des Finances comme un “ moyen de maîtriser les charges de fonctionnement et… d’appréhender convenablement les opérations d’aménagement ”510. En 1985, l’intérêt du plan financier serait “ de produire une hypothèse de résultat, global, momentané et final ». C’est en définitive le « seul critère de réussite financière de l’établissement et (un) indicateur essentiel du jugement pour le plan ”511.

507 . De façon générale, P. Blanchard, « Establishing the tools for control : the French solution », in Mahlon Apgar (ed.), New Perspectives on Community Development, Maidenhead, Berkhiva, Mac Graw Hill, 1976, 261-274 508 Courrier du président du GCVN au directeur du personnel du Ministère de l’équipement du 13.04.1973, AD91, 1522W/37 509 F.Jaclot, inspecteur des finances, rapport d’enquête sur l’EPEVRY (instruments de prévision et de contrôle), juin 1979 ( AD91-1523W/598) 510 Note de MM. Patrick Werner et Nicolas Formery, sur l’organisation et la gestion financière des EPA des VN, octobre 1980 (AD91-1522W/2092). 511 M. Severino, inspecteur des finances, rapport d’enquête sur l’EPEVRY, Ministère de l’économie et des finances et du budget, août 1985, p.16 (AD 91, 1523 W / 598)

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Comme pour la programmation ou comme pour les directives d’aménagement, que l’on verra plus loin, les plans financiers font entièrement partie du renouvellement méthodologique qui fait de l’aménagement une discipline dans tous les sens du mot. On attend aussi d’eux qu’ils fondent ou renforcent les compétences de la maîtrise d’ouvrage. Si comme nouvel outil, le plan financier a donc été investi de nombreux espoirs et constitue une des facettes de l’expérience particulière des villes nouvelles, sa réussite n’a été que relative. Dès la fin des années 70, différents rapports de l’inspection des Finances révisent à la baisse les possibilités offertes par cet outil du fait de ses limites propres mais surtout du fait de l’incapacité des services financiers et des agences comptables des EPA à le mettre convenablement en œuvre et à s’assurer la collaboration des divers services. Ainsi en 1980, une enquête de l’inspection des Finances sur l’ensemble des villes nouvelles fait état d’une “ démarche budgétaire […] fallacieuse ”512. C’est dire les obstacles que rencontrent le souci et l’effort de rationalisation de la production urbaine. III. 3.1. L’outil d’une maîtrise d’ouvrage structurée difficile à adapter au fonctionnement des EPA Tous les services des EPA sont touchés par l’introduction du plan financier. Ces services sont ainsi tenus de rendre compte en permanence de leurs activités, de leurs évaluations, de leurs plannings. Le plan suppose en effet un système itératif entre le service financier et les autres services : “ La direction générale, assistée de la direction financière, fixe l’équilibre d’ensemble et supervise celui de chaque unité (d’aménagement) en liaison avec son responsable ; celui ci arbitre de la même manière entre les estimations des services chargés des opérations élémentaires. […] Le suivi des réalisations doit être convenablement déconcentré (le service technique est en effet le mieux à même de maîtriser le cheminement physique et financier de ses opérations, sous le contrôle du responsable d’unité et de la direction financière)”513. La prévision et le suivi des activités appellent “ une active participation des utilisateurs ”. Or cette participation ne se fait pas aisément. La méthode reste en fait sinon étrangère du moins difficile à adapter au fonctionnement des EPA. Une note de synthèse sur les conditions de travail du service financier et foncier de l’EPEVRY s’inquiète en 1975 du peu de fiabilité des bilans établis lors de la présentation des dossiers de ZAC514. La ZAC constitue en effet pour le plan financier, depuis les réflexions développées en 1972 dans la note de M. de Croisset, “ l’unité administrative […] (et) également l’unité économique et comptable de l’aménagement ”515. Or, au début des années quatre-vingt, les révisions périodiques des bilans de zone ne sont pas effectuées dans les

512 “ Dans la mesure où l’équilibre de chaque budget annuel est obtenu par sommation de recettes définitives et de ressources d’emprunts qui seront ultérieurement à rembourser ”. Note de MM. Patrick Werner et Nicolas Formery, sur l’organisation et la gestion financière des EPA des VN, octobre 1980 (AD91-1522W/2092). 513 Note de MM. Patrick Werner et Nicolas Formery, sur l’organisation et la gestion financière des EPA des VN, octobre 1980, p.12 (AD91-1522W/2092). 514 Note de synthèse sur les conditions de travail du service financier et foncier du 05 et 12.12.1975, p.6 (AD91-1523W/787). 515 D’après MM Alain Pilloux et Stéphane Richard, Rapport d’enquête sur la situation comptable, financière et patrimoniale de l’EPA de la ville nouvelle d’Evry, décembre 1990 (AD91-1522W/2092).

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EPAVN516. Dès lors, le contrôle de gestion du “déroulement conforme de la ZAC sur le plan des travaux et des coûts ” se fait sur la base de données erronées517. En 1980, un rapport de l’inspection des Finances signale “ le flottement ”518 des EPAVN dans la mise en œuvre du suivi des unités d’aménagement. “ Il est clair que les EPAVN ne parviennent pas à se soumettre à la stricte discipline de cette démarche : […] les établissements répugnent à établir des bilans d’unités, mêmes approchés, avant de procéder à la programmation et aux études détaillées qui l’accompagnent (c’est la cas d’Evry) ou même avant que les travaux ne soient très avancés (c’est le cas de Lille-Est) ”519. Le système de suivi physico-financier mis en place à Saint-Quentin-en-Yvelines fait seul exception. Les économistes qui y travaillent se retrouvent d’ailleurs très rapidement au sein de l’équipe du Secrétariat général du GCVN pour assurer le suivi financier des EPA et l’adaptation des outils de pilotage. III.3.2. Les résistances des services Pourquoi tant de difficultés à respecter la discipline financière si nécessaire au fonctionnement et à la crédibilité des EPA? La cause est à rechercher dans l’organisation, dans les relations entre services, dans les différences de rythmes de chacun d'entre eux. En 1975, à Evry, le personnel du Service foncier et financier met en cause une “ saisine trop tardive du service (et) une étude des affaires poussée trop loin sans concertation avec (le) service, dans l’ignorance des contraintes foncières, juridiques, administratives et financières, et qui conduit à des reprises, des navettes, pour des mises au point d’autant plus laborieuses que parfois les positions de l’EPEVRY ont été officialisées à l’extérieur. Le service foncier et financier demande à être associé plus tôt au montage des opérations et à être informé des modifications qui y sont apportées »520. Ces agents se sentent placés en bout de course dans les affaires traitées par l’EPA, dans une fonction d'enregistrement contraire à leur mission. Le cas evryen n’est pas isolé au début des années quatre-vingt : “ La fonction financière est généralement atrophiée dans les EPA ”521. Parfois des concurrences entre les services expliquent l’isolement du service financier et de l’agence comptable. À Marne- la-Vallée par exemple, “ le faible poids de la direction financière en face des services opérationnels se traduit par un véritable démantèlement de contrôle de gestion et même de la comptabilité ”522. Le rapport de l’inspection des Finances de 1980 signale l’absence de synchronisation des services et de cohérence dans les instruments de gestion respectifs. “ Les divers instruments de gestion ne sont pas mis à jour régulièrement et ne sont pas calés sur les mêmes dates que la procédure budgétaire ou la programmation. Des écarts sont […]

516 Note de MM. Patrick Werner et Nicolas Formery, sur l’organisation et la gestion financière des EPA des VN, octobre 1980 (AD91-1522W/2092). 517 Note de synthèse sur les conditions de travail du service financier et foncier du 05 et 12.12.1975, p.6 (AD91-1523W/787). 518 Note de MM. Patrick Werner et Nicolas Formery, sur l’organisation et la gestion financière des EPA des VN, octobre 1980, P.11 (AD91-1522W/2092). 519 Ibid p9. 520 Note de synthèse sur les conditions de travail du service financier et foncier du 05 et 12.12.1975, p.1 (AD91-1523W/787). 521 Note de MM. Patrick Werner et Nicolas Formery, sur l’organisation et la gestion financière des EPA des VN, octobre 1980, p.13 (AD91-1522W/2092). 522 Ibid.

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constatés entre les documents internes de gestion et ceux qui sont utilisés pour la programmation et présentés aux collectivités locales. Ceci correspond à une politique délibérée (Marne-la-Vallée) ou à des distorsions entre les concepts utilisés (Lille-Est) ”523. Si les services de programmation ou les services techniques des EPA résistent à la logique financière, on note aussi une ’“ absence de cohérence ” entre agence comptable et service financier. “ L’agence comptable semble être dans une large mesure et pour l’ensemble des établissements visités, exclue des circuits de prévision et de gestion, en dépit de la qualité des informations qu’elle pourrait fournir ”524. Par ailleurs, « l’absence de production par le service financier de document permettant l’analyse des résultats », aboutit à s’appuyer sur le bilan de l’agence comptable qui n’a quant à lui qu’un rôle formel de communication lors de la présentation de l’état des finances au Conseil d’administration525. Un rapport d’enquête de l’inspection des Finances relève en 1985 pour l’EPEVRY les divisions et les différences méthodologiques entre l’agence comptable et le service financier qui rendent les états financiers peu fiables526. Finalement la contrainte que fait peser cet outil très sophistiqué devient à l’usage plus formelle. Son utilité est assez peu du côté du pilotage. III.3.3 Un outil de communication et d’action stratégique Les variations et les imprécisions dans le temps du plan financier ne semblent rien enlever à sa vertu cardinale, la visibilité. C’est en tout premier lieu le cas pour le SGGCVN qui doit être en mesure de fournir des résultats et d’étayer ses arguments en particulier vis-à-vis des ministères (Finances, Équipement). Un plan a une “ valeur d’affichage politique et non de rationalisation des besoins d’emprunt ”527. Cet affichage permet de jouer sur des différences d’appréciation : “ Le rapprochement des plans financiers de 1976, 78 et 85 avec les réalisations montre essentiellement l’optimisme des prévisions physiques de vente ”528. En 1979, un inspecteur des Finances signalait pour Evry : “ En dépenses comme en recettes, les prévisions excèdent systématiquement et parfois très nettement les réalisations ”. Il y aurait ainsi confusion, les “ données (étant) davantage des objectifs que des estimations ». Partant de prévisions de recette à caractère volontariste, l’établissement public s’autorise alors des dépenses. Dans ses conditions, la politique de trésorerie de l’établissement ne peut être qu’une politique à très court terme, voire au jour le jour529. En 1990, un autre rapport de l’inspection des Finances conclut que le plan financier “ se résume à un exercice essentiellement formel dont l’utilité pour la gestion faute d’actualisation est quasiment nulle ”530. Il n’aurait ainsi qu’un rôle politique du fait du caractère “ excessivement optimiste […] du budget d’aménagement (tant en dépenses qu’en recettes)”531.

523 Note de MM. Patrick Werner et Nicolas Formery, sur l’organisation et la gestion financière des EPA des VN, octobre 1980, P.12 (AD91-1522W/2092). 524 Ibid p13. 525 Ibid. p.16. 526 M. Severino, inspecteur des finances, rapport d’enquête sur l’EPEVRY, Ministère de l’économie et des finances et du budget, août 1985, p.8 (AD91, 1523 W / 598) 527 Ibid., p.16 528 Ibid. 529 F.Jaclot, inspecteur des finances, rapport d’enquête sur l’EPEVRY (instruments de prévision et de contrôle), juin 1979, p.22-23 ( AD91-1523W/598) 530 MM Alain Pilloux et Stéphane Richard, rapport d’enquête sur la situation comptable, financiè re et patrimoniale de l’EPA de la ville nouvelle d’Evry, décembre 1990 (AD91-1522W/2092). 531 Ibid.

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Ce faisant le plan financier a pu avoir une fonction active au sein de certains EPA en venant appuyer des réorganisations. Sur les Rives de l’Étang-de-Berre, Lucien Gallas le découvre à son arrivée à l’EPAREB en 1979 et il l'utilise à cette fin. Le nouvel organigramme de l’EPAREB doit répondre aux dysfonctionnements organisationnels nés d’une division entre des services fonctionnels puissants. L. Gallas ne touche pas le Service financier. En revanche le Service études et programmation est remodelé à partir de son expérience de l’AGAM, et il conçoit les fonctions des chargés d’opération à partir de sa connaissance du fonctionnement de la SOMICA (SEM d’aménagement de la ville de Marseille) où le plan physico-financier est alors un document inconnu, car on « ne prend que des opérations individuellement ». La répartition géographique des chargés d’opération qui ont en charge les unités d’aménagement donne une meilleure lisibilité des responsabilités et facilite la tenue du plan financier : « Je me suis aperçu que les unités d’aménagement n’étaient pas vraiment gérées dans leur bilan financier du fait de la répartition en beaucoup de services fonctionnels. On ne savait pas trop qui était responsable de la gestion de ce bilan de manière continue et responsabilisée. Tout cela m’a conduit à penser une réorganisation assez complète de la manière de gérer la maison. […] J’ai constaté que le concept de plan financier pluriannuel était extrêmement intéressant pour le pilotage de la maison. Quand je suis arrivé, il n’avait pas été remis à jour depuis plusieurs années. Et il était resté en conséquence un document de démarrage. C’est-à -dire que les premières opérations y figuraient. Je me suis dit qu’il y avait là un outil qu’il fallait bien mettre en forme de manière à éclairer la préparation des budgets annuels et réciproquement voir comment le budget annuel pouvait s’inscrire et permettre et d’actualiser le plan financier. Il était à sept ou dix ans… On a jamais pu dépasser les sept années mais ça a relativisé la nécessité de bien séparer les différents contributeurs à la préparation et à la réalisation de l’aménagement. Le chargé d’opérations, il était encadré, il savait ce qui était prévu à cinq ou six ans sur les opérations de son périmètre. Il était géographiquement fonctionnel. Dans la préparation des budgets, c’était lui qui était amené (à fournir des données) avec le service commercial. […] Cet instrument me paraissait être le moyen d’être un bon ciment entre les différents intervenants et un bon guide du point de vue du pilotage des opérations »532. Une des qualités du plan financier dont Lucien Gallas veillera à la bonne tenue a donc été, à ses yeux, de pouvoir faire entrer en cohérence territoire, planning et budget mais aussi de « faciliter le management » du personnel et de l’intégrer dans la dimension stratégique de l’aménagement des Rives de l’Étang-de-Berre. III.4. Des directives d’aménagement… au « projet urbain » La mise en place de plans d'aménagement constitués à la fois de documents indicatifs et d'un cahier des charges se généralise dans les villes nouvelles, au cours des années soixante et dix et au début des années quatre vingt, sans que l’on sache, si on s’en tient aux témoignages, les influences réciproques et les éventuelles filiations d'un EPA à l'autre. Ainsi à Saint-Quentin-en-Yvelines, à l’occasion d’une révision du PAZ de la ZAC du centre en 1982, la décision est prise de faire un nouveau PAZ blanc, c’est-à-dire réduit au strict minimum réglementaire (liste des équipements, SHON, etc.). À ce « PAZ vide de tout dessin », limité aux voiries primaires, au canal et à quelques équipements structurants, est adjoint un plan de secteur ou plan directeur se déclinant en différents plans d’urbanisme de détails qui n’ont pas de valeur juridique. Au niveau de chaque quartier est instauré, au cours des années quatre-vingt, un plan

532 Entretien avec L. Gallas.

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de contraintes d’urbanisme donnant aux architectes d’opérations une vision d’ensemble sous la forme d’une fiche signalétique composée d’une légende d’une trentaine de signes. Le plan des contraintes d’urbanisme par quartier, joint au cahier des charges détaillé n’est pas opposable aux tiers. Il constitue cependant la base de la convention de ventes de lots au promoteur et joue ainsi un rôle de garde-fou, le contrôle de la conformité au projet s’effectuant au moment du dépôt du permis de construire533. C’est ce même objectif de souplesse, qui est visé sur les rives de l’étang de Berre avec les « schémas d’intentions », mis au point à la demande du nouveau directeur général en 1979. « On a mis rapidement au point une procédure sur le pilotage d’opération de ZAC. L’urbaniste faisait un schéma d’intention […], c’est-à -dire […] qu’il est révisable en interne. […] Il dessinait les îlots, il positionnait les équipements, de manière schématique, mais de telle sorte que l’on sache où passaient les réseaux primaires et qu’on puisse assurer la cohérence avec ce qui voisinait autour. Ensuite il fallait passer à une phase de commercialisation. Au-delà du PAZ, il y avait un schéma d’intention qui était quelque chose de plus détaillé. Sur tel îlot, on voit des épannelages de telle sorte que ce soit pas plus de deux niveaux, plutôt une structure d’îlots avec des rues,… ça restait un schéma d’intentions. C’est un document interne. En phase opérationnelle, au moment où l’îlot devait être vendu l’urbaniste faisait un cahier des charges dans lequel il allait un peu plus loin avec le paysagiste. […] Voilà les conditions dans lesquelles on est prêt à vendre. Et on mettra ça au point avec votre architecte. Donc il y avait un accompagnement jusqu’à ce que l’acquéreur du terrain produise un plan qui respecte le schéma d’intentions et le cahier des charges. Quand vous faites le schéma d’intention, vous ne savez pas quel sera le découpage opérationnel. Cette procédure a très très bien marché. Elle assurait en somme cette continuité qu’on pouvait retrouver dans les autres EPA du fait d’une gestion internalisée. Là c’était en partie externalisé, mais avec une présence forte du service études et programmation. Et ça c’était intéressant parce que, quelques fois, on s’apercevait que le schéma d’intentions il ne tenait pas la route. Les hypothèses de découpage ne collaient pas avec quelqu’un qui voulait faire une opération plus importante. Ou bien le produit que l’on avait envisagé, il n’y avait pas de promoteur qui était près à le prendre »534. Mais c’est à Cergy-Pontoise, que ce souci de la transmission des objectifs de qualité auprès des promoteurs et des architectes d’opérations se pose le plus tôt et avec le plus d’acuité. En 1969, les premiers îlots qui sont entrés dans la phase opérationnelle ont eu comme maître d’ouvrage la SCIC mais les indications du cahier des charges n’ont pas été respectées. Le Directeur général sentant que « les aspirations qu’il mettait était un peu trahies par son camarade (directeur de la SCIC) avait réagi en disant qu’effectivement il fallait mettre en place un système pour mieux contrôler, s’assurer que nos objectifs sont remplis et que la qualité soit assurée »535. La conception des directives d’aménagement est probablement due aux architectes-urbanistes de Cergy-Pontoise, inspirés qu’ils furent par leurs collègues britanniques. Lors de la conception de la programmation du quartier de la Préfecture, l’expertise britannique de l’agence Shankland, Cox and associates de Liverpool a été, comme on l’a vu, particulièrement sévère536. Cette critique porte sur la confusion entre le travail de l’urbaniste et celui de l’architecte. Elle souligne une carence dans les savoirs, les savoir- faire, la culture des

533 Entretien avec Y. Draussin 534 Entretien avec L. Gallas 535 Entretien avec M. Bajard 536 Courriers du 22.02. au 15.07. 1968, AD 95, 1382W/174W40

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architectes-urbanistes, trop architectes et pas assez urbanistes. La question qui est posée au début des années 70 à Cergy, puis ailleurs, à Saint-Quentin-en-Yvelines par exemple, est celle des conditions de passage d’un champ à l’autre, et d’une échelle à l’autre. Comment aller au-delà des « patates » ?537 Comment représenter des objectifs, indiquer des intentions, formuler des règles quand on choisit de « renoncer au plan de masse »538 ? Sur quelle base négocier avec les promoteurs ? Que faut-il contrôler dans la forme architecturale ? Les conditions de conception de ces directives, la forme concrète qu’elles prennent et les négociations dont elles sont l’occasion semblent à première vue énigmatiques. “ On donne aux promoteurs et architectes un minimum de directives d’aménagement afin qu’ils prennent conscience de l’“ esprit ” de la ville ” , déclare B. Hirsch en 1968539. Le terme vague d’“ esprit ” est fréquemment utilisé pour dire ce à quoi les maîtres d'œuvre et promoteurs sont tenus de se conformer540. Pourtant c’est bien une autre méthode qui est en train de s’inventer autour de 1968-69 : « Renonçant à élaborer des plans-masse, ce qui était la règle à l’époque,… les urbanistes anglais nous ont appris à réduire au minimum les contraintes imposées et à développer les directives d’aménagement qui donnent sous une forme indicative des conseils pour l’établissement du plan-masse par les architectes du promoteur. Ces directives expriment par des croquis et des maquettes qui définissent un esprit général auquel tous les types de logements peuvent d’ailleurs s’adapter. » En juillet 1969, « aucun client n’a été découragé par les directives d’aménagement »541. Cependant, l’année suivante, le directeur général envisage d’être plus exigeant, probablement pour tenir compte des difficultés rencontrées avec la SCIC : “ Le système des directives d’aménagement doit être perfectionné et rendu efficace, d’une part en les étudiant à temps et d’autre part en les rendant plus contraignantes, notamment par des clauses contractuelles de remise de documents, d’approbation de projets, etc. ”542. Marcel Bajard relate les circonstances précises dans lesquelles le principe des directives d’aménagement a vu le jour 543 : « C’est vrai qu’à Cergy, on était clairement du côté de l’aménageur. On avait le rôle d’aménageur et pas de constructeur. On a fait un travail dans cette logique de préparation du travail des constructeurs. […] En France on était dans une situation un peu étrange. D’un côté il y avait le monde de la construction et de l’architecture où il y avait plein de gens, plein de savoir faire. De l’autre côté, on avait le monde des urbanistes mais qui n’étaient absolument pas des concepteurs, qui étaient des towns planners qui manipulaient plutôt des analyses statistiques mais qui n’étaient pas créatifs. Et puis entre les deux, il n’y avait rien. Les urbanistes faisaient des grandes patates sur les plans avec des hachures, donnaient l’affectation des lieux ou les densités dans le meilleur des cas parfois des silhouettes. Et puis entre les deux, il n’y avait rien. En particulier personne ne s’intéressait à l’espace public. L’espace public c’était pas un sujet. C’était le résultat du vide entre les bâtiments ou les routes. Donc on a pris conscience de ça petit à petit. Et puis c’était dans un contexte de l’époque. Il se passait plein de choses en Italie. On allait à Bologne (Cervellati, enseignant, assessore à l’urbanisme, directeur des services techniques). Les gens travaillaient

537 Entretien avec J.Guillaume 538 FNSP, séminaire dirigé par M. JE Roullier, La mise en œuvre de l’innovation dans les villes nouvelles, juin 1972, p.23 (CAC 910585/9) 539 Réunion du 20.10.1968 de la commission mixte des villes nouvelles, District de la Région parisienne (AD91- 1523W/ 787). 540 Note du 31.07.1969 sur les méthodes de travail de la mission d’aménagement de Cergy-Pontoise, AD 95, 1382W/174W40 541 Ibid. p2 et 3 542 Comité de coordination du 16.03.1970, AD 95, 1086W/60W86B 543 Entretien avec M. Bajard

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plus sur la forme de la ville et l’espace public. […] Et on avait une vraie légitimité sur l’espace public, car c’était du domaine de la collectivité et de l’aménageur. Au nom de l’aménagement de l’espace public, on avait des choses à dire. […] C’est là où on a imaginé ces directives d’aménagement pour dire : « On est aussi dans le champ de la conception. Voilà on est du côté de l’aménageur, du maître d’ouvrage, mais on est aussi dans le champ de la conception. Et c’est pas parce qu’on est dans le champ de l’aménageur que l’on doit produire que du réglementaire ». On s’est dit : « On essaie de hiérarchiser ce qu’on a à dire. Les contraintes : il y a une partie des choses qui peuvent faire partie du réglementaire, de l’imposé, les dessins précis. Il y a autre chose qui est la directive d’aménagement dont une partie n’a pas de valeur juridique mais une valeur incitative». On disait : « On va expliquer aux gens, comment on conçoit la ville, comment on veut faire la ville. Et ils vont adhérer et ça va être magnifique parce qu’ils vont travailler dans le même esprit que nous » ». Il y a là la matière d’une expérience qui s’est constituée, affinée et transmise mais qui n’est pas générale aux villes nouvelles. À la même époque, à Evry, le choix est plutôt de faire- faire et de contrôler a posteriori : “ Les contraintes imposées aux promoteurs sont réduites au maximum. Pour le centre commercial mis en appel d’offres, la consultation porte sur le programme, une trame (esquissée après consultation des principales chaînes commerciales et infléchie en fonction de leurs nécessités) et les conditions financières. Pour le Champtier du Coq, la mission a établi un schéma organique qui situe l’opération par rapport au bourg d’Evry et par rapport au futur centre ville. Ce plan d’épannelage a reçu l’adhésion du groupe de promoteurs-conseils auprès de la mission qui s’est déclaré aussitôt candidat constructeur. Ceux-ci établissent à l’heure actuelle les plans masses. Pour Courcouronnes, le processus a été le même et les constructeurs élaborent eux-mêmes leurs plans masse, la mission se bornant à assurer la coordination au plan général : logements, équipements publics, commerces ”544. À Cergy, dès 1972, un stagiaire de l’ENA constate tout le problème que pose l’application des directives d’aménagement : « Les promoteurs qu’ils soient publics ou privés n’acceptent de prendre en considération les prescriptions de l’EPA qu’autant qu’ils le veulent et celui-ci n’a en définitive qu’un seul moyen de pression : le refus de vendre le terrain »545. L’année suivante, un autre stagiaire ayant participé aux réunions autour du projet dit de « la petite cathédrale » (de l’architecte catalan Ricardo Bofill) relate les « discussions serrées qu’il y a eu entre l’architecte, le promoteur et l’EPA, les professionnels de l’établissement cherchant à sauvegarder le projet d’ensemble de la ville nouvelle »546. Les rapports de force sont bien présents avant que la conjoncture ne fasse craindre aux EPA de ne pouvoir vendre leurs charges foncières. Au sein de l’EPA de Cergy, les directives sont censées servir de cadre contractuel à la réalisation en fixant le territoire, le programme, les données techniques d’utilisation du terrain et une pré-formalisation des espaces publics. Elles sont au cœur d’un autre savoir- faire qui prendra dans les villes nouvelles une certaine ampleur : l’organisation des concours (par exemple les concours « immeubles de ville » à Cergy). Pour ceux qui ont conçu les directives, il s’agit pour l’essentiel d’une position à fonder et à tenir vis-à-vis des promoteurs et architectes, une « méthode de travail » qui est devenue performante entre 1976 et 1983547. À cette date, avec la nécessité de relancer la construction et les investissements sur la ville

544 A. Lalande à la séance de travail du 10.09.1969 à la mission d’Evry (AD91-1523W/285). 545 Rapport de stage de 1972, AD 95 1072W/288W3C 546 Rapport de stage 1973 Ibid. 547 Entretien avec M. Gaillard

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nouvelle, d’assurer donc la survie de l’EPA, les directives ont été assouplies pour alléger le cadre des contraintes imposées aux investisseurs. Cette méthode a eu divers prolongements, d’abord un renouvellement doctrinal en matière d’aménagement urbain, ensuite un re-positionnement des architectes-urbanistes au sein des EPA et enfin une ouverture vers l’assistance à la maîtrise d’ouvrage pour les architectes ayant fait leurs preuves dans le domaine de l’urbanisme. Ce que précise Marcel Bajard : « Ce souci de travailler sur cet espace entre l’architecture et l’urbanisme c’est ce qu’on a appelé après la maîtrise d’œ uvre urbaine. C’est un mot qui a été inventé dans une réunion de l’association (AUSP : Association ‘Architecture, Urbanisme, Service Public créée en 1981’). C’est René Tabouret qui a inventé ce mot-là. […] On a inventé ça parce qu’on s’est dit : « C’est une intervention de concepteurs sur l’espace qui n’est pas l’intervention sur les objets architecturaux et qui n’est pas la réflexion urbaine ». […] Bertrand Warnier a été le secrétaire de l’association. À un moment l’association s’est sabordée et est devenue l’association des ateliers d’été de Cergy. […] C’était un petit laboratoire. Le mot projet urbain a été inventé là -dedans. »548 A Saint-Quentin-en-Yvelines, dans ces mêmes années 1973-78, si les expériences de Cergy intéressent, le changement majeur a lieu à la suite du recrutement d’un architecte qui bouleverse la manière de voir et de faire. « Nous, on procédait par patates, avec un COS. Pancho Ayguavives a commencé à dessiner de la ville. On n’était pas d’accord avec sa forme de ville et avec ses échelles. On pouvait en discuter. Il y avait un côté monumentaliste très marqué. Mais n’empêche que c’était une démarche très importante. Et ça, ça a été un grand changement et que Goldberg a fortement demandé après coup. On a été obligé de faire des plans masse….On ne procédait plus à l’époque par des modèles ‘innovation’ qui étaient une des dernières manifestations qui se voulaient architecturales... Les fameux modèles innovation, c’était à la fois un concepteur et une entreprise qui proposaient un produit fini qui se voulait architectural… Là, on partait d’un tout autre esprit. On dessinait la ville avant, et après on remplissait les vides entre immeubles. C’était très différent comme démarche »549 Cette méthode nouvelle qui consiste à s’amarrer à l’espace public pour dessiner la ville et par suite pour l’organiser a donc pris des formes différentes selon les EPA. Elle renvoie d’un côté à la composition urbaine telle que l’École des Beaux-Arts a pu l’enseigner et de l’autre à une résistance qualitative (en termes d’espaces sensibles) aux schémas abstraits d’organisation des territoires. Elle va nourrir une large part des discussions sur le « projet urbain » à partir du début des années 1980. III. – 4. Les années 1980-90 de l’aménagement : les effets miroir de l’expérience Plusieurs entretiens nous ont permis de mettre en regard les pratiques développées dans les EPA des villes nouvelles et celles qui prennent forme en d’autres lieux au milieu des années 1980 et 90. Dans un premier cas, on s’est intéressé au récit de la création de l’EPA du Mantois, né grâce aux compétences réunies à l’EPASQY. Il s’agit en quelque sorte d’une

548 Entretien avec M. Bajard. La maîtrise d'oeuvre urbaine, colloque de l’Association Architecture, urbanisme et service public, Paris, Palais du Luxembourg, 27 janvier 1982 ; C. Bachofen et R. Tabouret, La maîtrise d’œuvre urbaine , Association pour la recherche près l’Institut d’architecture et d’urbanisme de Strasbourg (pour le Secrétariat de la recherche architecturale), avril 1985. 549 Entretien avec J. Guillaume

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évaluation des ressources permettant de traiter un problème urbain relativement étranger au processus de construction d’une ville nouvelle. Ce point de vue rejoint celui d'une jeune urbaniste qui s'interroge sur les problèmes de vieillissement du centre de Cergy et les compétences disponibles au sein de l'EPA. Dans un second cas, l’entretien met en évidence les similitudes et les différences entre le travail en villes nouvelles (à l’EPAREB) et le travail d’une société privée d’aménagement. Dans un troisième cas, on a un parcours professionnel qui, parti d’un EPA, en rejoint un autre en passant par une municipalité. Enfin on a retenu un quatrième cas de figure de passage d’un EPA à des services municipaux. Ces entretiens mettent les personnes interviewées dans une situation d’analyse et de comparaison à la fois des pratiques mais aussi des contextes. Ils donnent ainsi à voir avec luxe de détails leurs expériences du changement550. L’EPA du Mantois est mis en place au milieu des années 1990 avec au départ des compétences réunies au sein de l’EPASQY. À cette époque, celui qui va prendre la direction de l’EPA du Mantois (Pascal Lelarge, ingénieur des Ponts sans expérience en matière d’aménagement, 38 ans 551) voit l’EPASQY – dont il est par ailleurs directeur délégué - comme « une grosse machine qui agrégeait un certain nombre de métiers capables de saisir toutes les dimensions du projet urbain ». Découvrant les villes nouvelles, il observe en « apprenti le fonctionnement de l’équipe » comptant, « à partir de cette culture, proposer un schéma d’intervention renouvelée sur des secteurs en crise urbaine ». Cette culture n’est pas celle d’une agence d’agglomération qui n’a pas de fonctions opérationnelles, ni celle de la Politique de la ville (qui s'attache « aux pieds d’immeuble », aux régies de quartier, etc.) qui présente des limites. L’EPASQY lui semble offrir un « socle » de compétences reconnues d'ailleurs par les élus ; il peut réunir des connaissances sur le secteur, développer une capacité à aborder la situation locale et à aller jusqu’au bout des intentions. Il s’agit par conséquent de tirer le meilleur parti de trente ans d’expériences accumulées autour de la construction d’une ville nouvelle. Cependant, pour traiter d’un territoire urbanisé « existant », il va falloir puiser dans ces compétences de manière sélective : sur la question foncière (« qui est un vrai savoir-faire de ville nouvelle »), sur le cadre juridique de la restructuration du centre commercial du Val-Fourré (« qui appelle des réponses concrètes »), sur la programmation en matière d’habitat (« qui demande un regard critique »), sur les grands équipements. Si tous les services de l’EPASQY se sont trouvés plus ou moins impliqués pour caractériser la situation, clarifier les enjeux et pour concevoir des actions immédiates (en premier lieu sur le foncier). La mission de l'EPA du Mantois répond à un autre « paradigme » que celui qui prévaut dans la production d’une ville nouvelle : « C’était un nouveau métier… difficile à comprendre pour les gens de l’EPASQY. Ils ont eu le sentiment qu’on pompait leur savoir… qu’on faisait un peu de zapping, qu’on faisait notre marché et eux n’avaient pas de visibilité sur le projet d’ensemble. On leur demandait de bosser dans le brouillard… Ils ont eu du mal à travailler dans un système où il n’y a pas d’alpha ni d’oméga où les choses se construisent laborieusement, en tâtonnant ». Ce diagnostic vient de la perception d’un décalage non pas entre des compétences attendues et celles qui sont disponibles mais entre deux processus de production urbaine articulant ces compétences, deux processus liés à des contextes économiques et politiques très différents, presque deux époques. D’un côté, tout est à faire. De l’autre, il faut remédier aux problèmes complexes d’un territoire urbain. C’est par

550 En ce qui concerne la comparaison comme expérience du changement et méthode d’analyse, V. Claude, « Le travail de la différence. Expériences comparatives dans le champ municipal à Strasbourg (1900-1930) », Genèses, n°39, mars 2000, 551 Entretien avec P. Lelarge

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conséquent l’expérience collective (celle de l’équipe dans son ensemble) qui est en cause et non pas les expériences de certaines fonctions opérationnelles, notamment les savoir- faire accumulés dans des services spécialisés et qui « produisent encore leurs effets ». Le nouvel EPA qui est créé est par conséquent assez différent de l’EPASQY. D’abord il travaille avec l’agence d’urbanisme de Mantes « sans l’inféoder » (« de manière dialectique et non pas en captant tout »). Ensuite il recrute des compétences nouvelles, notamment un « chef de projet » avec la justification suivante : « Il n’y a pas de vrai chef de projet à l’EPASQY, car c’est la fameuse équipe pluridisciplinaire qui produit le projet… Le chef de projet varie : urbaniste, commercial, développeur. (À l’EPA du Mantois), la notion de chef de projet sur l’existant n’est pas la même… 50% de la production du projet tient dans l’identification d’un homme, car c’est de la négociation, du jeu d’acteurs, etc. Le projet est plus tributaire de l’extérieur qu’en ville nouvelle ». La différence est ainsi bien marquée entre une logique de conception-réalisation d’un produit dans un système clos et la logique d’interactions multiples et de recherche constante de crédibilité politique d’un système ouvert, notamment vis-à-vis des élus. Car, dans le cas du Mantois comme en d’autres, les intentions et les volontés politiques sont au départ « floues » et s’explorent au fur et à mesure du temps, des circonstances, de la composition des intérêts, de l’émergence d’idées nouvelles. Signe que la vision de l’aménagement a profondément changé en quarante ans. Sur les territoires en crise, comme le montre le cas du Mantois, comme sur tout « existant », il s’agit moins d’aménager et d’équiper que de développer, ce qui suppose un autre « paradigme ». À travers cet exemple de tentative de transfert de compétences, l’expérience des professionnels des villes nouvelles, en tant qu’expérience d'une équipe, peut sembler datée. Jeune urbaniste arrivée à Cergy en 1990, Anne Delaunne découvre l'EPA.Elle est frappée par deux traits de la culture de l'organisme : elle est la première universitaire intégrant la Direction des études (composée uniquement d'architectes) et on apprécie sa capacité à rédiger. Surtout elle s'interroge sur les moyens dont l'EPA dispose pour traiter le problème de la jonction entre le centre de la ville nouvelle et le centre historique de Pontoise, soulignant du même coup l'âge relativement élevé des agents de l'EPA552 : "C'est la première fois que l'EPA réfléchit sur un tissu ancien, c'est un problème de savoir-faire très différent. Ce sont deux choses qui n'ont rien à voir... Quand on construit et conduit des opérations de développement dans les champs et qu'on se trouve à devoir gérer une ZAC multi-sites en centre ancien où il s'agit de tricoter très fin en tenant compte de choses très délicates... je ne dis pas que la même personne n'est pas capable de le faire mais il faut que cette personne évolue, qu'elle acquiert un nouveau savoir-faire". À l'EPASQY, il y aurait eu la même nécessité de faire "évoluer des savoir-faire". Après avoir quitté l’EPAREB en 1986 et avoir passé quelques années au CREPAH, Gérard Plaisant (ingénieur INSA, entré à l’EPAREB à 25 ans) rejoint la société Ressources et valorisation (« une filiale de la CGE créée par des gens des villes nouvelles ») qui fait « à titre privé des opérations d’aménagement urbain ». Il revient ainsi à des activités plus directement opérationnelles : « Au CREPAH, ce qui me manquait, c’est de ne pas être acteur. Je préconisais…mais c’est pas moi qui passait aux actes. Ca ça me manquait (par rapport à l’EPAREB). C’est un retour à l’opérationnel. L’époque Ressources et valorisation, c’était passionnant. » Cette passion a plusieurs sources : il s’agit de construire la structure régionale, de travailler en petite équipe (entre trois et cinq personnes), de sous-traiter des études, de construire un « vrai partenariat » avec les collectivités locales, de travailler « en pleine

552 Entretien A. Delaunne (réalisé par N. Arab en 1996)

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ville », d’être aussi dans la concurrence, autrement dit d’être « dans le marché ». G. Plaisant s’explique ainsi : « L’entreprise était nationale et avait des agences régionales qui étaient complètement autonomes. C’étaient déjà des centres de profits comme on trouve dans les entreprises. C’est-à -dire les objectifs. Combien je coûtais ? Combien il fallait que je rapporte, y compris au siège ? Combien, je disposais d’argent l’année d’après pour développer et réaliser ; la trésorerie ? C’était passionnant. Parce que c’était une équipe réduite au niveau régional. Au maximum, on était 5 avec les vendeurs. Autrement on était 3-4. On faisait beaucoup travailler les commercialisateurs, les vendeurs, les architectes et surtout énormément de partenariat avec les collectivités publiques territoriales. Là on a inventé le vrai partenariat avec les collectivités locales. Et pour nous souvent on se disait : « C’est l’inverse des EPA ». On voulait faire le même travail que les EPA. Mais c’était l’inverse parce qu’au lieu d’être imposé aux collectivités locales et leur apporter une contrepartie financière comme les collectivités locales avaient avec les villes nouvelles, il fallait… On était en concurrence. Il fallait arriver au bout, que l’on était les meilleurs au niveau des idées, que l’on arrive au bout et que le partenariat avec la mairie se passe bien. […] On était en concurrence avec des SEM ou des promoteurs qui disaient : « Vous n’avez pas besoin d’aménageur ». Nous on leur proposait quelque chose de plus fin. A la fois le montage de la ZAC avec les problèmes juridiques que cela peut poser. Parce qu’on était rentré dans une époque où les aspects juridiques étaient devenus très importants en matière d’aménagement. Il y avait pas de juriste à l’EPAREB. Il y avait quelqu’un qui s’occupait du foncier mais pas de juriste. Il y avait pas de procès, pas de recours. […] C’est à partir de 85-90 qu’on commençait à mettre des recours contre des décisions de conseils municipaux. […] On a fait du bon boulot. On l’a fait dans le même esprit (C’est ça qui nous plaisait) que les villes nouvelles. Souvent on travaillait avec des gens qui étaient issus des villes nouvelles. On cherchait quoi. Quand on travaillait, on cherchait le contact. Mais surtout on était dans le marché. […] On a sorti des opérations équilibrées, qui apportaient peu de marges. Les marges d’une société immobilière aujourd’hui sont de 8%. On ne lance pas d’opérations si elle ne rapporte pas en marge plus de 8%. Parce que les 8% d’une part rémunèrent un peu large et d’autre part permettent de pallier aux risques d’une opération où il y a des pépins. Et il y en a. Nous on montait des opérations qui faisaient 1 à 2% de marges au bout de 10 ans. Donc c’est anti-économique. Déjà quand on ne perdait pas d’argent, on était félicité. Parce que l’aménagement perdait énormément d’argent partout. Nous franchement on avait beaucoup progressé sur la clarification des rôles entre la collectivité locale et l’aménageur en opérations urbaines. A la différence de l’EPAREB, nous on rachetait du bâti, des friches, quelques fois du terrain nu mais en pleine ville. Et là fallait vivre avec les gens autour. Et on était complètement dans le marché. Ça c’était la grande différence avec les EPA qui ont produit sur les champs de betteraves. »553 Sur le cas d'une opération du centre ville d’Aubagne, le même G. Plaisant précise les différences de missions, de moyens, de contextes : « C’était un terrain pollué plus une cinquantaine de maisonnettes qui ne pouvaient pas rester telles quelles dans le centre ville d’Aubagne. Donc il y a eu un travail important sur le plan foncier. Donc je négociais moi-même avec les propriétaires le rachat de leurs maisons. Souvent je leur trouvais des solutions. Je lui retrouve une villa quelque part ou in fine quand on n'y est pas arrivé. On utilise l’outil d’expropriation par la ville. Là j’avais l’entière confiance et surtout les finances de notre entreprise. Racheter les terrains à prix forts. La différence c’est une opération hyper-complexe. La friche industrielle à dépolluer, négocier avec le propriétaire. Ça a mis 4 ans pour être dépollué. Obtenir l’accord de l’administration, les associations de défense,

553 Entretien avec G. Plaisant

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l’opposition municipale. C’est de la broderie par rapport à ce qu’on faisait (à l’EPAREB). C’était un travail où j’étais investi complètement. Mais alors tout tout tout passait par moi ; les négociations foncières et puis des négociations avec la ville. Il fallait que l’on s’y retrouve. Il fallait que la ville fasse des infrastructures. Ce qu’elle n’avait pas imaginé avant. Et puis trouver les promoteurs pour construire. Trouver les commerces… […] La chose nouvelle c’est la phase amont et le montage du dossier centre-ville très difficile à monter. En plus il y avait la loi sur l’eau. Il a fallu convaincre les administrations. […] J’ai eu à un moment donné un ingénieur qui est venu m’aider parce que je travaillais sur d’autres opérations. […] Je faisais avec mon équipe de 3-4 personnes le double du CA de l’EPAREB. L’EPAREB c’était devenu une machine où il y avait trop de personnes. […] A Ressources et Valorisations, je gérais tout seul douze ZAC. […] Moi je compare pas. Quand je travaillais à l’EPAREB, le milieu professionnel extérieur n’avait pas la capacité qu’il a aujourd’hui. En clair il n’y avait pas d’organisme comme il y a aujourd’hui. Aujourd’hui, on va faire une opération. On s’adresse à un urbaniste. Il va faire le boulot que l’on faisait à l’EPAREB avec la même culture. A l’époque de l’EPAREB, ici dans la région cela n’existait pas. Ça existait déjà en région parisienne parce qu’il y avait déjà l’AFTRP, les villes nouvelles qui avaient déjà essaimé. Maintenant il faudrait refaire des opérations comme ça. Moi je le dis pour Euromed par exemple. Ils ont tort de faire avec cette structure. On pourrait faire avec 5 fois moins de personnes, avec une équipe très concentrée, très décisionnelle, avec vraiment des experts. Et puis après, tout le milieu professionnel autour, sur lequel on s’appuie. Ça fait venir de nouvelles idées. Là, le problème d’organisation comme à l’EPAREB, c’est qu’au bout d’un certain temps ça devient appauvrissant ». On retiendra de ce témoignage, le thème de la temporalité courte des sociétés d’aménagement comparée à celle plus longue des EPA des villes nouvelles. Ce qui a des conséquences très directes sur le travail et ses perspectives. Michel Gaillard est quant à lui en mesure de comparer deux EPA de villes nouvelles mais à deux époques différentes : les années 1975 à 85 à Cergy et les années 1990 à Marne- la-Vallée. Dans les deux cas, « dans l’idéologie de l’aménageur, c’est pareil. On a un plan général. On a un périmètre d’intervention. On a des agriculteurs. On a des ZAC à faire. C’est le même métier. C’est la même usine de production »554. Mais l’expérience de M. Gaillard concerne deux moments de l’histoire des villes nouvelles. D’abord dans les années 90, la production n’atteint pas le même niveau que par le passé : on construit à ce moment- là deux à trois fois plus de logements à Marne qu’à Cergy. Ensuite les deux EPA ne fonctionnent pas de la même manière. Les contraintes politiques pèsent différemment : à Marne- la-Vallée il y a plusieurs syndicats d’agglomération, l’EPA dispose d’une plus grande « puissance politique » et il est « plus pérenne ». L’organisme est d’ailleurs une « grande maison », « militarisée », fortement hiérarchisée, où il y a des chasses gardées. À l’inverse, M. Gaillard n’a pas connu « une entreprise plus démocratique que Cergy ». Enfin, troisième différence : à Marne, la présence d’Eurodisney s’impose dans l’espace et pèse lourd sur le processus de production de la ville nouvelle. « On faisait des directives d’aménagement, se rappelle M. Gaillard. Mais elles étaient re-digérées et retransformées par Disney. Si nous on avait pas pris le temps de les aboutir, eux ils prenaient le temps de les aboutir. Et ils nous les renvoyaient en nous disant ; « ça c’est mieux »…. On avait fini par faire des directives d’urbanisme qui n’en étaient plus et qui n’étaient que le résultat du consensus obtenu avec Disney, c’est-à -dire, on réduisait nos directives aux seuls éléments d’accord qu’on avait obtenus avec Disney. Ensuite Disney vendait les terrains. Parce que nous on vendait à Disney. Et Disney vendait aux autres. Et c’est Disney qui mettait au point les projets avec les promoteurs. Et quand ils avaient réussi à

554 Entretien avec M. Gaillard

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établir leurs consensus avec les promoteurs, ils venaient nous trouver pour faire admettre le projet » Dans le passage d’une EPA de ville nouvelle aux services municipaux d’une grande ville, Grenoble, Marcel Bajard découvre que ce qu’il a appris à Cergy reste opératoire. C’est devenu sa compétence ordinaire555 : « C’était évident pour moi. C’était évident que si on faisait un règlement on allait faire des petits dessins, des maquettes d’études pour expliquer pourquoi on allait proposer ces articles réglementaires et quel était l’esprit où on voulait arriver ». En même temps, l’expérience de la maîtrise d’œuvre urbaine se prolonge sous une forme à peine modifiée : « On a réussi à monter une opération sur Grenoble où il y avait six ou sept promoteurs. Et on avait demandé que chacun des intervenants, quelle que soit leur date réelle de réalisation, conduise leurs études dans le même temps, en désignant les architectes et que l’ensemble des architectes soient présents autour d’une table. J’ai piloté cette opération avec les huit architectes qui étaient ravis d’être là. Et là on faisait ce travail d’animation. Je redessinais les façades de l’ensemble. On n’a pas pu le faire à Cergy parce que les opérations s’échelonnaient dans le temps. Gaillard avait réussi à le faire sur Puiseux ». Dans ses nouvelles fonctions de fonctionnaire territorial à la mairie de Niort, entre 1986 et 1992, Michel Gaillard est dans une situation semblable à la fois dans la reproduction des modes de fa ire en villes nouvelles et dans la découverte de nouvelles problématiques. C’est ainsi qu’il reconstitue la formule des ateliers de Cergy, bien que ce soit avec des moyens plus modestes. Il arrive à réunir les conditions d’expérimentation et de recherches de nouvelles idées pour nourrir le projet urbain du maire de Niort (les Ateliers niortais d’architecture et d’urbanisme) ; le mode de faire est identique puisqu’il s’agit d’inviter des étudiants des écoles d’architecture à réfléchir sur des sites à projet, à tester des hypothèses de programmation, à alimenter la « boîte à idées ». Mais il doit aussi travailler sur un tissu urbain ancien, constitué de longue date et doit tout apprendre en matière de protection du patrimoine architectural556 : « J’avais un diplôme d’architecte impropre aux yeux des professionnels de l’ajustage avec l’histoire. Je n’avais pas une très grande culture en monument historique. Il vaut mieux dire aucune. Et j’étais allé à Niort pour fouiller ça.… Du point de vue technique, j’ai du acheter des bouquins… Qu’est ce qu’un bâtiment ancien ? Comment on travaille ? Avec qui ? Quels sont les programmes qui peuvent s’adapter à un bâtiment ancien ? Il faut avoir une connaissance profonde des techniques de restauration… Dans l’usage volumétrique, la rentabilité d’occupation, les moyens de réintroduire ou de contourner les normes de sécurité… C’est un métier. Je ne l’avais pas. » Tout aussi fondamentale est, pour lui, la découverte du lien entre le technicien et l’élu local, du face à face avec le pouvoir de décision, de la prise directe avec le politique. C’est là probablement que le changement fait le plus sens et que la rupture avec un EPA résonne durablement 557 : « Le rapport à l’élu à Cergy ou à Marne, c’est un rapport à travers un syndicat d’agglomération. On a un jeu possible entre les différents élus. C’est-à -dire, quand on veut justifier une chose qui a une cohérence, on a plus de facilité à établir une cohérence entre plusieurs élus… On entre dans des phénomènes de (recherche) de consensus… Alors que lorsqu’on est en face d’un élu seul, on est dans le fait du prince. On est dans une position royale... Il est là. Il décide. » Témoignage d’une expérience qui nous rappelle le statut singulier des EPA et la manière dont il rejaillit sur le travail quotidien. Ce faisant, dans le

555 Entretien avec M. Bajard 556 Entretien avec M. Gaillard 557 Entretien avec M. Gaillard

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même temps, c’est-à-dire dans les années 80 et 90, si certains professionnels ont fait l’expérience du « fait du prince », d’autres ont découvert les jeux subtils de l’intercommunalité et de la recherche du « consensus ». D’autres encore, ceux qui avaient le plus de goût pour la chose publique et qui ont pu aller jusqu’à s’engager eux-mêmes pour « faire de la politique », ont du reconnaître « au bout d’un certain temps » que diriger un EPA et être maire d’une ville : « Ce n’est pas pareil »558. Enfin, plus le parcours professionnel est long et plus les occasions et les thèmes de comparaisons se diversifient, donnant à voir ce qui fait le « style » ou la « culture » des EPA des villes nouvelles. Jean-Luc Nguyen décrit les professionnels de l’EPAVNCP dans la deuxième moitié des années quatre vingt dix comme « extrêmement libres » dans leur rapport aux supérieurs hiérarchiques qui contraste avec son expérience en DDE présentée comme « une administration relativement stratifiée »559. Cette même « circulation de l’information », Pascale Thiout l'observe à Saint-Quentin-en-Yvelines560 . Cela fait dire à Jean-Jacques Liard fonctionnaire territorial détaché à l’EPASQY au cours des années quatre vingt qu’il avait la « sensation de participer aux prises de décision (et) aux grands chantiers», à la différence des collectivités où « la décision relève de l’élu »561. Ce souci d’échanges entre les métiers et de participation au processus de décision se formalise dans les équipes pluridisciplinaires et se fait particulièrement sentir chez les concepteurs des EPAVN, notamment des architectes. A Cergy, Jean-Luc Nguyen s’acculture aux pratiques du services des études générales les reproduisant au sein de la société Foncier-Conseil, quelques années plus tard. « Le service de Jaoüen et Warnier fait intervenir un regard extérieur, en injectant des témoins, dérangeants. Cela permettait l’arrivée et la découverte d’autres dimensions que la pure technique de l’aménagement, de l’épannelage ou de la mesure de la SHON. Qu’est ce qu’on veut y mettre ? Est ce qu’on veut y mettre un symbole ? […] Cela peut ressembler à un sujet de littérature pour un technicien. […] On faisait des voyages comme un séminaire à Louvain la Neuve […] On faisait travailler des architectes (libéraux) qui apportaient des esquisses ». Ainsi l’ancien Directeur général de l’EPA de Cergy-Pontoise fait- il sien aujourd’hui à Foncier Conseil ce souci de «prendre de la liberté en amont, se poser beaucoup de questions au démarrage du projet, échanger sur des objectifs en injectant des savoirs faire différents ».

558 Entretien avec J.-P. Alduy 559 Entretien avec J.-L. Nguyen 560 Entretien avec P. Thiout 561 Entretien avec J.- J. Liard

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CONCLUSION Au terme de cette recherche, on en sait un peu plus sur les métiers de l’aménagement, tels qu’ils se présentent dans les quatre décennies qui viennent de s’écouler. Les résultats concernent deux versants. Les activités dans les villes nouvelles nous éclairent d’abord sur les différentes facettes des métiers de base, des compétences initiales, ce que savent et savent faire les architectes, les ingénieurs, les géomètres ou les sociologues, les économistes ou les administrateurs. À propos des géomètres devenus urbanistes entre les deux guerres mondiales, nous avions déjà eu l’occasion de relever cet effet de retour sur une compétence initiale que l’urbanisme provoque et rend visible 562. De nos entretiens, il ressort un phénomène identique. Lorsque, comparant les métiers dans un EPA et dans un bureau d'études, un ingénieur signale : "Professionnellement il a les mêmes compétences (que moi) mais il ne fait pas le même travail", il nous expose bien la différence qu'il y a entre la qualification et l' activité concrète563. Ainsi nos interlocuteurs nous ont- ils dessiné le lieu où ils sont, ils nous ont défini leur métier, présenté ce qui fait leurs compétences et leur légitimité, ont fait le tri entre ce qui est important et ce qui ne l’est pas564. Et ils procèdent au même travail de « révélation » quasi photographique en ce qui concerne les métiers des autres, ceux des professionnels avec qui ils sont censés négocier, coopérer, collaborer. On en sait ensuite un peu plus sur ce que sont et ont été les pratiques professionnelles au sein des EPA des villes nouvelles. Nous avons affaire pour chaque EPA et dans une certaine mesure pour l'ensemble des EPA des villes nouvelles à une culture professionnelle, c'est-à-dire une communauté d'expériences et de pratiques propres à un groupe social et qui se sont incarnées dans des comportements et des conceptions largement partagés par les membres du groupe565. Cette culture présente plusieurs caractéristiques : se nourrir de l'extraterritorialité, nouer des intentions à des réalisations - à la différence des SEM ou des agences d'urbanisme -, développer des savoirs pratiques (qui passent davantage par la transmission orale que par des manuels), agiter des idées (qui ne sont pas toutes concrétisées mais qui ont alimenté une intelligence collective) malgré les tensions entre des métiers différents… Cette culture est propre aux villes nouvelles et ne constitue qu’une facette du champ des pratiques dans l’aménagement au cours de ces dernières décennies. Pour conclure on voudrait compléter les matériaux réunis (comment sort-on des villes nouvelles?), prolonger les réflexions ayant nourri la problématique (sur l’expérience, la génération) et illustrer d'autres aspects de cette culture professionnelle. On souhaiterait enfin pouvoir regarder cette culture à partir d’autres points de vue.

562 V. Claude, « L’urbanisme sans architectes », Actes du colloque au Musée Social “Histoire et actualité des cultures professionnelles de l’urbanisme”, Dossiers Territoires, Techniques et Sociétés, Délégation à la Recherche et à l’Innovation (DRI-MELT), n°11-12, mars 1990, 563 Entretien avec M. Bonin (réalisé par N. Arab en 1996) 564 Le témoignage de Maurice Bloch est à cet égard intéressant. Géomètre à l’EPASQY, il confie à des prestataires extérieurs la partie du métier qu’il qualifie de « travail technique » (les opérations de relevé sur le terrain et les calculs dans les bureaux) et se voit du côté du « non technique », c’est-à-dire dans les négociations foncières 565 C'est une définition inspirée de E.-C. Hughes Men and their Work , Westport Greenwood Press, 1981

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Sortir des villes nouvelles Dans ce que font les agents à leur entrée en ville nouvelle, se joue à l’évidence ce qu’ils sont à ce moment- là dans le contexte de leur arrivée. Une multiplicité de déterminations interviennent au début comme au cours des années passées en villes nouvelles pour expliquer leurs pratiques, sans que l’on puisse privilégier un facteur par rapport à un autre. Il en va de même pour les trajectoires ultérieures, à la sortie de la ville nouvelle, au moment où ces professionnels peuvent faire valoir de nouvelles compétences, au moment où de nouvelles situations de travail s’imposent à eux et qu’ils doivent retrouver une place dans un univers qu’il leur faut explorer. Les parcours antérieurs comme les parcours postérieurs ont été dans cette recherche des indices permettant de rendre visible non pas tant ce que sont ces professionnels que ce qu’ils ont fait collectivement en matière d’aménagement dans les villes nouvelles. Si l’on agrège les données concernant les trois villes nouvelles que nous avons étudiées, les parcours ultérieurs forment une palette assez large et diversifiée de cas de figures. Les principaux domaines investis par les professionnels au cours des trois périodes retenues (1965-80, 1981-90 et 1990-2003) sont au nombre de quatre :

- les activités d’études, - l’urbanisme opérationnel, - le secteur privé, - les collectivités locales.

Tableau des postes immédiatement ultérieurs, occupés à la sortie des trois missions et EPAVN d'Evry, Cergy-Pontoise et des rives de l'étang de Berre par les agents cadres ou promus cadres Source: base de données Services

traditionnels de l’Etat

Organismes aménageurs (Etat, SCET, etc.)

Divers

MELT Autres ministères

Collectivités locales et territoriales

Organismes d’études (Etat, SCET, etc.)

Mission d’études et d’aménagement, EP

BET et SEM

Entrep BTP

Promotion immobilière

Agence d’architecture

Communication

Autres

Retraités

Non identifiés ou décédés

Total identifié

Total

1965-1980

8 1 2 10 6 4 1 1 8 2 7 5 31 55 86 25%

Sous total %

15% 13%

Total % 16% 4% 18% 18% 35% 9%

1981-1989

5 2 4 5 9 6 4 14 5 1 7 19 23 81 104 30%

Sous total %

17% 6% 9%

Total % 9% 5% 6% 19% 38% 23%

1990-2003

9 3 24 8 12 12 0 3 4 1 5 43 32 124 156 45%

Sous total %

3% 4%

Total % 10% 19% 6% 19% 10% 35%

Total général

86 260 346

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On observe que les évolutions dans ces quatre champs font écho aux transformations du contexte socio-économique et à celles des cadres institutionnels de ces trente dernières années. Les parcours professionnels se calent ainsi sur les modifications qu’a subies le marché de l’emploi dans le domaine de l’aménagement.

- D’abord pour les trois villes nouvelles, les organismes d’études qui avaient pu attirer nombre de professionnels en début de période ont été avec le temps de moins en moins investis.

- Sur toute la période étudiée, les organismes aménageurs – en particulier les SEM – ont été fort recherchés (1/5 des sortants en moyenne). Cette propension doit cependant être nuancée, car elle apparaît plus forte à l’EPAREB qu’à Cergy par exemple566. À cet égard, le contexte local a probablement prédéterminé cet intérêt plus soutenu pour les SEM de la part des agents des EPA de province. Il faudrait pouvoir s’en assurer en procédant à la même analyse pour les autres EPA.

- La part prise par le secteur privé est importante surtout dans les années 70 et 80, notamment la promotion immobilière et les entreprises de bâtiment et de travaux publics, mais aussi les bureaux d’études privés où les architectes, ingénieurs et géomètres cherchent à poursuivre ou à finir leur carrière, parfois en « solo », en conformité avec leur habitus professionnel d’hommes d’études, de conseil et de maîtres d’œuvres.

- Les collectivités locales ont commencé à attirer les professionnels dans la dernière période, surtout ceux qui ont travaillé à Cergy, mais beaucoup moins ceux qui étaient à l’EPAREB.

À reprendre les explications que fournissent les personnes interrogées sur les motifs de leur départ, on en relève plusieurs ordres.

- Le blocage dans l’avancement de carrière au sein des EPAVN constitue à la fin des années 70 et au début des années 80, un des motifs de départ, les fonctions de DGA et de DG étant laissé aux grands corps à deux exceptions près (Alain Flambeau à Saint-Quentin-en-Yvelines et Bertrand Avril à Melun-Sénart, tous deux diplômés d’HEC).

- L’ennui ou la peur de l’ennui est une raison parfois avancée. Ainsi Denis Roger-Machart souligne-t-il qu’au bout de treize ans au sein de l’EPASQY, il n’avait « plus rien à apprendre »567.

- Dans un autre ordre d’idées, certains évoquent la crainte de la fin de carrière. Ainsi les plus âgés anticipent-ils sur les risques de départs non voulus. C’est vrai après les licenciements de l’EPAREB à la fin des années 70, après la fermeture de EPALE (Lille-Est) ou après les plans sociaux des années 80 à Evry568. Au-delà de telles craintes, plus les professionnels avancent en âge et plus ils s’interrogent sur leurs chances de trouver un autre emploi, de s'intégrer dans une nouvelle structure ou sur leur capacité à se reconvertir.

- D’autres enfin ont fait une analyse générale de la conjoncture. La baisse de régime de la construction des équipements publics pousse Jean-Claude Menighetti à quitter l’EPAVNCP. Il en est de même pour Michel Gaillard un peu plus tard, au milieu des

566 Pour le détail voir les annexes. 567 Entretien avec D. Roger-Machart 568 Entretien avec J. Guillaume

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années 80, lorsqu’il constate les effets sociaux et urbains des politiques de prêts en accession à la propriété, effets qui à ses yeux supposaient de reconsidérer les objectifs et les moyens des villes nouvelles.

Une autre logique intervient dans ces départs volontaires, celle qui est propre aux fonctionnaires et qui les distingue des contractuels. Pour les fonctionnaires, en effet le « plan de carrière » est un puissant motif de départ. Leur changement de poste suit alors, sauf exception, le rythme des « tableaux d’avancement ». Tableau des postes immédiatement ultérieurs, occupés par les agents cadres fonctionnaires à la sortie des trois missions et EPAVN d'Evry, de Cergy-Pontoise et des rives de l'étang de Berre (hors agent comptable et trésorier principal) Source : base de données 1965-1979 1980-1989 1990-2003 Total Secteur public 10 63% 3 14% 8 44% 21 38% Secteur parapublic 1 6% 4 19% 4 22% 10 18% Secteur privé 3 19% 7 33% 3 17% 13 24% Retraité 2 13% 6 33% 3 17% 12 22% Non identifié et décédé 2 5 5 11 Total identifié 16 29% 21 38% 18 33% 55 Si les missions et EPAVN ont pu attirer les grands corps de fonctionnaires, notamment des ingénieurs des Ponts et Chaussées qui espèrent signer un morceau de ville, ils y restent peu de temps. On observe que le passage par un organisme para-public comme un EPA constitue assez fréquemment un tremplin avant le « saut dans le privé »569. Les EPA sont alors perçus comme l’occasion d’un apprentissage des pratiques financières et managériales de l’entreprise privée. La représentation des EPA comme espaces de transition entre le secteur public et le secteur privé est d’ailleurs courante chez les agents de la fonction publique en général. En 1976, après trois ans d’exercice à la DRE d’Ile-de-France, Roland Jullienne, jeune ITPE voit le SGGCVN et les EPAVN comme une alternative au départ dans le privé570. Pour Jean-Jacques Liard, fonctionnaire territorial détaché à l’EPASQY au cours des années 80, l’Etablissement public a pour principale mission « la vente des charges foncières à des investisseurs privés » et se présente comme « un intermédiaire entre le public et le privé ». Il fera là l’apprentissage de la négociation et de la synthèse. Pour Jean-Luc Nguyen à Cergy-Pontoise, prendre la direction de l’EPA va permettre de passer d’un poste de technicien spécialisé à une fonction de manager généraliste : « L’intérim à la Direction générale a accéléré, cristallisé dans ma tête un certain nombre de choix sur le métier que je voulais exercer. […] Aujourd’hui je n’imagine pas de redevenir spécialiste. Cela (être directeur général) m’a conforté dans l’idée d’être manager […], de coordonner les actions des uns et des autres. […], d’être capitaine d’un bateau »571.

569 Selon la formule de P. Linden dans l’entretien qu’il nous a accordé. 570 Entretien avec R. Jullienne 571 Entretien avec J.-L. Nguyen

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C’est au cours des années 1980 que la part des fonctionnaires des EPAVN qui sont passés dans le privé est la plus importante. Elle représente alors un tiers (33%) des effectifs (exception faite évidemment des agents comptables et des trésoriers principaux du Ministère des Finances). Dans les parcours à la sortie des EPAVN au cours des quinze dernière années, on constate un certain retour sur le secteur public, mais qui n’atteint pas le taux des années 70 (44% de retour dans ce secteur contre 63% vingt ans auparavant). En parallèle, les situations intermédiaires de postes dans des organismes para-publics touchent entre un cinquième et un quart des effectifs au cours des années 1980 et 90, preuve que les situations identiques à celle des EPA des villes nouvelles restent recherchées. À partir de 1980, la majorité des agents fonctionnaires cadres sortant des villes nouvelles échappent donc au secteur public, au sens strict du terme. Dans cette période, l’attirance des fonctionnaires pour le privé est un fait très répandu. Au cours des années 80, 17% des agents cadres – tous statuts confondus - intègrent le secteur de la promotion immobilière. Et quelques-uns entrent dans des entreprises de travaux publics, se transformant, comme J.C. Douvry et selon ses propres mots, en « chef de guerre »572. Au-delà d’une simple capillarité entre para-public et privé, le travail concret en EPA donne lieu à des rapprochements avec des entreprises privées et à une connaissance approfondie de leurs méthodes. Pierre Linden, ingénieur des Eaux et forêts, cherche à comprendre cet autre monde parce qu’il s’interroge : « Comment ces entreprises font-elles pour gagner de l’argent ?». L’acculturation aux pratiques des entreprises privées (entreprises du BTP, promoteurs immobiliers, investisseurs) invite certains, si la conjoncture est jugée favorable, à faire d’un coup le « saut dans le privé » ou à suivre pas à pas le fil continu qui conduit au privé. Roland Jullienne directeur des services techniques de l’EPASQY de 1984 à 2003 décrit ainsi son travail quotidien à l’EPA : « Quand vous négociez avec des gens, si vous ne connaissez pas comment fonctionne leur métier, vous ne pouvez pas négocier. Tous les jours on négocie ici avec des investisseurs-promoteurs ou des entreprises, c’est parce que vous savez comment ça marche de leurs côtés et quelles sont leurs possibilités et les vôtres que vous […] arrive(z) à une bonne négociation ». A Cergy, le travail d’animation de la direction des activités économiques de l’EPA, avec son « réseau des entrepreneurs» et l’organisation régulière des petits déjeuners, permet à Jean-Luc Nguyen de « prendre conscience du rôle des entreprises… (et de les) prendre en compte en tant qu’acteurs ». La liaison entre culture du public et culture du privé est l’une des spécificités des EPA des villes nouvelles, selon Claude Guary. Jean-Jacques Liard passe à l’EPASQY d’un métier d’administrateur à un métier de développeur, du fait de la place croissante que prend la négociation dans son travail quotidien. Ce lien avec le secteur privé appelle de ce point de vue un « travail constant de négociation avec l’extérieur, avec sa hiérarchie ». Et dès que l’on a « fait une structure para-publique, pourquoi ne pas aller plus loin dans le même domaine », en déduit J.-J. Liard 573. De même, Claude Guary présente son activité à l’EPAREB comme une tentative « d’aller vers le privé, de comprendre et d’avoir des pratiques de privé à l’intérieur du public ». Quant à la décision d’aller travailler en collectivités locales, elle appellerait des enquêtes complémentaires permettant de différencier les choix faits dans les années 80 et dans les années ultérieures lorsque se sont multipliées les formes de coopération intercommunale. Dans les années 80, alors que le départ vers ces collectivités touche encore peu de professionnels (5% des sortants), le retour (ou l’accès) au territoire local s’accompagne de la

572 Entretien avec J.-C. Douvry 573 Entretien avec J.-J. Liard

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découverte de nouvelles et fortes contraintes, le face à face avec les politiques comme l’incontournable pouvoir de décision (pour Marcel Bajard, Michel Gaillard, André Mathieu). Dans cette sortie des EPA, l'expérience acquise est diversement mobilisée. On relève trois types de postures. Certains professionnels ne font que « reproduire », d’autres vont « rebondir », voire « apprendre ». Reproduire consiste à valoriser une connaissance acquise en ville nouvelle et à l’élargir. C’est le cas en matière de connaissance du jeu d’acteurs dans l’aménagement. C’est vrai pour Alain Flambeau qui justifie son entrée à la banque Stern par la qualité de son carnet d’adresses constitué à Saint-Quentin. Ou Gérard Plaisant qui, au sein du CREPAH Marseille, propose via les Plans locaux d’habitat de développer la vision des bailleurs sociaux au-delà du domaine du logement pour celui de la ville et de l’aménagement. C’est vrai aussi pour Michel Gaillard qui reprend le dispositif des Ateliers de Cergy et la méthode des directives d’aménagement à Niort, avec les limites que cela comporte. Rebondir consiste à créer, par exemple à saisir une opportunité pour « monter un service ». Que ce soit l’ingénieur Robert Varret au CREPAH Marseille en 1977 ou l’économiste Jean-Paul Loevenbruck qui prend la direction du secteur « villes nouvelles » dans un organisme de promotion en 1980 (Bourdais), ils ne viennent pas « occuper une fonction » mais participer à « un projet nouveau »574. Apprendre vient du souci ou du désir d’élargir la vision. Pour Robert Varret et Gérard Plaisant, tous deux ingénieurs infrastructures à l’EPAREB, les nouveaux centres d’intérêts se révèlent par défaut dans ce qui n’était pas complètement satisfaisant dans leur travail à l’EPA. Leur intégration au sein du CREPAH Marseille, bureau d’études de l’Union des HLM, est présentée comme un passage du « contenant » au « contenu » et comme la découverte du « social »575. Déjà en 1974, Alain Fourest, ancien directeur de la SEM de Lyon et chef du service programmation économique à la MAEB puis à la MIAFEB, a fait ce choix en intégrant d’abord l’agence d’urbanisme de Marseille puis la Commission Dubedout au début des années 80. En 1977, Robert Varret quitte les problèmes de routes et de ponts pour des problèmes de logement : « Je vais m’intéresser aux gens qui y habitent (les quartiers neufs). […] Je me suis dit : « Il faudrait élargir un petit peu ma vision des choses ». J’avais commencé à prendre conscience : on ne s’occupait pas des habitants, des gens qui habitaient. Alors, c’était en 1986, on commençait à parler de la Politique de la ville, les grandes réhabilitations de quartiers ». Pour Gérard Plaisant, la Politique de la ville et son rôle de conseil viennent « contrebalancer (une) formation » ; il reviendra ensuite à des activités plus opérationnelles auprès d’un aménageur privé et en qualité d’acteur576. Le choix de la Politique de la ville n’est pas anodin. Il vient d’un attachement plus ancien à l’idée du rôle social du technicien. Avant l’entrée en ville nouvelle, Robert Varret décide de loger dans les tours HLM des ZUP de Dammarys- les-Lys dont il est par ailleurs l’aménageur. Il reste que, sur l’ensemble des parcours des agents des EPA, le nombre de personnes ayant fait le choix de poursuivre leur carrière dans le sillage de la Politique de la Ville reste très minoritaire.

574 Entretien avec R. Varret 575 Entretien avec G. Plaisant 576 Ibid.

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Retours d’expériences À la lumière des résultats de cette investigation et compte tenu de la part faite à la subjectivité des acteurs (le sens que chacun donne à son histoire et à l’Histoire à travers le récit qu’il en fait), nous pourrions revenir sur les concepts d’« expérience » et de « génération ». Nous devrions aussi réinterroger « l’illusion biographique », chère à Pierre Bourdieu et la croiser avec une position qui la confirme tout en la nuançant : « Les hommes vivent leur histoire à travers l’idée qu’ils s’en font », dit en effet l’historien577 Si le chercheur est en quête de faits avérés, il ne peut faire l’impasse sur les faits perçus par les contemporains, qui sont des évènements opérants sur leurs pratiques quotidiennes – ce qui nous importait particulièrement dans cette recherche -, évènements qu’ils ont vécus et qu’ils rapportent à leur manière. Ce serait là une vaste entreprise dont on ne peut en conclusion qu’illustrer l’importance, à travers de nouveaux et derniers témoignages de ce qui a fait « expérience » et « génération » en villes nouvelles. On accordera, comme dans les pages précédentes, une importance particulière au récit et à l’anecdote. Perçue de manière péjorative par les historiens comme une « histoire en chemise de nuit », parce qu’elle donne des détails anthropologiques et des éléments factuels, l’anecdote n’en est pas moins un matériau précieux, révélateur de l’expérience, entendue comme nous l’annoncions en introduction comme une épreuve, une transformation, une acquisition. ° La force grégaire du « camp retranché » et le souffle du « camp de base » Suite à chacune de ses visites à Cergy, Jean-Claude Douvry, avoue un certain malaise après le constat des modifications opérées sur des espaces aménagés lorsqu’il était à la tête de l’EPA de Cergy (entre 1975 et 1981). Cet attachement affectif à l’objet construit – qui équivaut à celui d’un auteur pour son œuvre –, est révélateur du fonctionnement singulier des EPAVN vis-à-vis du territoire. Chacun peut investir – au sens fort du terme - dans la ville nouvelle, grâce à deux phénomènes dont il a déjà été question : la situation d’extra-territorialité et l’esprit du maître-jacques578. Au cours des années 1990, Jean-Luc Nguyen décrit l’EPA de Cergy comme « un village gaulois », qui adopte une position défensive/agressive vis-à-vis de l’extérieur et notamment des élus. Déjà en 1975 à son arrivée à Cergy, Jean-Claude Douvry s’étonnait de l’absence de tout briefing pour préparer les réunions avec les habitants. À ses yeux, une « doctrine unique » était partagée par le personnel579. Pour son successeur vingt ans plus tard, le travail de l’EPA est une « guerre de tranchées fortement consommatrice d’énergie pour l’Etablissement public »580, puisqu’il faut quantité de réunions pour « convaincre l’élu de la qualité d’un projet ». Or l’attitude générale des élus convoqués pour valider des projets est de « saper » le travail des équipes de l’Etablissement public. Dans ce système, le SAN adopte lui aussi une position défensive/agressive vis-à-vis de l’EPA, faisant fonction de « mauvais objet »581. Vingt ans plus tôt, la logique était la même si l’on en croit Jean-Claude Douvry et son témoignage sur les techniques adoptées pour faire valider un PAZ par les élus du SCA. L’attitude des agents des EPAVN contre des élus auxquels on dénie tout pouvoir, même des années après la décentralisation, est un facteur stimulant et fédérateur pour le personnel qui construit de la sorte son identité. La revendication de la pluridisciplinarité

577 P. Laborie, Les Français des années troubles, Paris, Desclée de Brouwer, 2001 578 Autrement dit : « On est libre et on fait tout » 579 Entretien avec J.-C. Douvry 580 Entretien avec J.-L. Nguyen 581 Entretien avec J.-L. Nguyen

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participe de cette même attitude grégaire du camp retranché ou de la niche. Les équipes pluridisciplinaires n’ont besoin de personne. Sur les trois villes nouvelles étudiées, seul le Directeur général de l’EPAREB, Lucien Gallas, s’inquiète à la fin des années 70 des liens avec les collectivités. Mais c’est aussi dans cet EPA que la doctrine de l’extra-territorialité a été constamment mise en crise. Cet espace à part, situé dans un hors champ politique et administratif, Robert Varret, ingénieur infrastructures sur les rives de l’Étang-de-Berre entre 1972 et 1977, le présente comme un « monde ailleurs »582. Il fait ici référence d’une part, au décalage existant entre l’ampleur du projet et la position des élus des petites communes rurales, d’autre part à l’attitude de défiance du Maire socialiste de Marseille vis-à-vis du « séisme de Fos », et enfin à l’irrédentisme de la DDE qui réussit à obtenir en 1973, via la MIAFEB, des financements spécifiques aux villes nouvelles pour travailler sur l’Ouest du département : « On était dans un monde entre soi. On était ailleurs. […] C’est une connerie, hein ! Avec le recul et l’analyse. Mais comme il y avait une espèce de refus et en même temps…on avait de quoi s’occuper à vingt ans sans se poser la question de çà »583. A Cergy, l’architecte-urbaniste Michel Bajard décrit la décennie soixante et dix en parlant d’une « situation […] irréelle », où les agents de l’EPA se sentaient « un peu décalés par rapport aux vrais problèmes, un peu en dehors du monde»584. Il part en 1979 en raison de cette « irréalité » : « Je pars à cause de la question du foncier. L’EPA est propriétaire de 10 000 hectares. Alors que, lorsqu’on travaille en général sur la ville, sur l’urbanisme ailleurs, la question foncière est prédominante. Et on invente toute une stratégie, une problématique en fonction de cette question là. Là (À Cergy) c’était pas la peine. L’EPA avait une légitimité pour acheter. Mais du coup ça gommait une part de la réalité. […] (Dans le même temps) on dialogue avec les gens des GEP, des agences d’urbanisme. On voit bien comment ils travaillent. On a des collègues dans les structures qui se montent, dans les collectivités. On allait aux colloques des agences d’urbanisme. On voyait quels étaient les soucis des gens qui travaillaient sur la ville. Et là on percevait combien on était loin du monde »585. Le périmètre d’intervention des missions de villes nouvelles puis des EPAVN apparaît, pour reprendre l’expression de Michel Marié concernant l’Algérie du Plan de Constantine, comme un « espace entre parenthèses »586. On pourrait parler du temps en villes nouvelles dans des termes identiques. Jean-Jacques Liard, fonctionnaire territorial, rappelle la perception qu’il avait de l’EPASQY au cours des années quatre vingt, perception où l’espace et le temps se confondent : « Je ressentais les agents des EPA comme supérieurs. […] C’était dans une vision des choses plus globale et plus prospective. Dans une collectivité locale, c’est le principe de l’annualité budgétaire. Quand on est fonctionnaire territorial, toute l’action se situe dans le cadre d’une action annuelle du budget. On fait les prévisions en fonction du budget. On a un champ de vision relativement séquencé dans le temps parce que c’est par annualité et que c’est relativement limité. Alors qu’à l’EPA en termes d’espace, c’est beaucoup plus grand »587. Dans cette configuration de « camp retranché », confronté qu’il était à un univers local au mieux atone, au pire hostile, un des seuls interlocuteurs extérieurs retenu auquel se rattache les Missions et EPA se situe à Paris avec le SGGCVN, « le camp de base »588 qui dénoue les 582 Entretien avec R. Varret 583 Ibid. 584 Entretien avec M. Bajard 585 Ibid. 586 Michel Marié, « Réseaux techniques, territoires et colonisation », Revue du monde musulman et de la Méditerranée, n°73-74, 1996 587 Entretien avec J.-J. Liard 588 Entretien avec J.-E. Roullier

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blocages administratifs et financiers. On l’appelle aussi « la ruche »589, véritable centre nerveux avec ses chargés de missions qui animent et coordonnent les actions innovantes des différents organismes de villes nouvelles: « Il y avait une espèce d’hypertension au groupe central. Ça allait vite. Ça impulsait, ça pensait, ça décidait. […] Ca imaginait. Ça bossait. C’était tonique ! »590. La forte clôture du groupe (« l’entre soi ») et la relative étanchéité de l’espace professionnel vis-à-vis des évènements extérieurs font des EPA des espaces grisés par la faible réceptivité qu’ils ont au territoire. Sur ce point encore, la situation sur les Rives de l’Étang-de-Berre est différente. Le contexte ne cesse de faire irruption, que ce soit avec les conflits politiques locaux entre l'Est et l'Ouest de l’Étang-de-Berre, conflits qui traversent l’organisme, avec l’impossible création de l’EPA entre 1972 et 1973 ou après 1974, avec l’émergence des questions environnementales, cette dernière marquant l’entrée en scène des mouvements régionalistes et du corps des Mines (création en 1972 du Secrétariat permanent pour les problèmes de pollution industrielle de la zone de Fos- l’Etang de Berre, SPPPI). Enfin les deux chocs pétroliers mettent fin aux attentes concernant le projet industriel, la DATAR et le SGGCVN prennent de la distance et le projet de ville nouvelle n’est plus envisagé comme un accompagnement de l’industrialisation. La Mission puis l’EPA est ici rattrapée par le territoire, contrainte de composer avec l’existant. ° L’expérience en ville nouvelle comme évènement biographique Cure de jouvence, lieu de rajeunissement, les Missions et EPA, par leur relation au territoire (« le camp retranché ») et leur rapport au temps (« tout est à faire ») sont empreints d’un certain « jeunisme ». Pour les plus âgés, l’activité professionnelle (en ville nouvelle) est présentée comme une expérience de rajeunissement : « À voir évoluer les choses, on garde sa jeunesse […] l’hyper activité permet de garder son tonus parce qu’on est confronté tous les jours à des faits nouveaux »591. Pour nombre de professionnels interrogés, l’entrée à 20 ou 25 ans en ville nouvelle n’obéit pas à un plan de carrière préétabli, tandis que le moment de la sortie est l’occasion de faire des bilans, des calculs et de formuler des choix réfléchis. Ainsi Gérard Plaisant âgé de 40 ans en 1986 note le moment de l’inflexion : « Là j’ai commencé à être volontaire dans mon parcours professionnel. Avant en quelque sorte, je suis monté dans un train »592. Le temps léger et ouvert des Missions s’est organisé dans la rupture avec le passé et la génération précédente qui appartenait au vieux-monde repoussoir des SEM et de la SCET. Les aînés étaient alors perçus comme des « vaincus » dont l’œuvre appartenaient à une histoire malheureuse (celle des grands ensembles). Les SEM de la « grande et grosse maison SCET »593 sont vues comme « vieilles » du fait de l’âge moyen de son personnel594, comme «figées »595 dans des organisations rigides, comme déjà « installées […] dans une vieille histoire »596. L'image des administration de gestion est encore plus grise. 589 Entretien avec R. Varret 590 Ibid. 591 Entretien avec R. Jullienne 592 Entretien avec G. Plaisant 593 Entretien avec R. Varret 594 Entretien avec M. Redor 595 Entretien avec R. Varret 596 Ibid

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Mais, à suivre nos interlocuteurs, ce temps léger des Missions s’est épaissi puis a fini par peser allant jusqu’à lester les initiatives et paralyser les nouveaux arrivants au cours des années quatre vingt dix. Ainsi en 1988, dans la consultation du personnel de l’EPAREB préalable à la définition du projet d’entreprise, le bureau d’études CAP SESA REGIONS note dans son état des lieux, l’« attachement au passé » comme un des « traits culturels » du personnel597. En 1995, Jean-Luc Nguyen à son arrivée à l’EPA de Cergy décrit un organisme sclérosé où, outre la « routine », « le savoir faire des collaborateurs légitimé par leur passé devient un facteur de pesanteur » ; le «on a déjà fait » est une réplique récurrente du personnel aux propositions de changement du jeune Directeur général adjoint. Le management des équipes prend alors la forme d’une « réactivité forcée » avec des « stimuli extérieurs » imposés par la Direction598. À la même époque, un autre ingénieur des Ponts et chaussées, Pascal Lelarge, à Saint-Quentin-en-Yvelines constate « l’anachronisme » d’un organisme confiné dans son périmètre de compétences et déroulant depuis trois décennies le même projet gaullien: « On faisait de la Ville Nouvelle, une espèce de standard, une espèce de morpho-type quasiment logarithmique. Un petit morceau de quartier, une ville, la ville nouvelle, c’était la même chose. On avait une espèce de corps social idéal, de vision urbaine idéale. […] Il y avait une incompréhension de ce qu’est la société. […] Les gens ont l’illusion que parce qu’il y a des procédures dérogatoires du droit commun pour la programmation de logement, on vivait dans un monde pérenne. La France n’avait pas changé. […] Toutes les énergies étaient concentrées sur le faire et progressivement également étaient noyées par la gestion du microcosme politique local ; faire venir des entreprises, vendre du truc, faire du projet urbain. […] (l‘EPASQY) n’avait pas une vision réactualisée du projet Ville Nouvelle autre que : « Il faut finir et fourguer la charge foncière » (ou) pour simplifier, « Il faut aller jusqu’au bout » »599. La culture ville nouvelle était devenue « brumeuse » et les agents étaient « dans le brouillard ». Dans les relations entre générations se joue donc non seulement l’âge biologique mais aussi le temps passé en villes nouvelles, temps riche en acquis pour les plus anciens, temps complètement ouvert pour les plus jeunes. Ainsi avoir 30 ans en EPAVN en 1970 ou en 1990 ne recouvre pas la même réalité, même si chacun relate qu’à cet âge, et quel que soit le moment de cette entrée, il a surtout « appris à travailler ». Au cours des années quatre vingt-dix, l’apprentissage n’est plus dans l’innovation ou dans le « tout est à faire » mais passe par la qualité du contact avec les anciens ou le recueil de la mémoire collective de la ville nouvelle. Pour Jean-Luc Nguyen, cela passera en 1995 par un voyage à Louvain la Neuve, haut lieu de référence pour l’équipe de Cergy. Pour Bruno Depresle en 1992 à Evry, ce sera la reconstitution d’un atelier d’urbanisme rassemblant les architectes de l’Établissement éclatés entre les différents services. Quant à Pascal Lelarge, âgé de 38 ans en 1996, il vit une véritable expérience de création avec la constitution de l’EPA du Mantois, mais, pour mener à bien sa mission, il doit rester en marge de l’EPASQY. La transmission d’un savoir logé dans le faire est passé par des voies comme le récit (on raconte un évènement) ou l’observation et la reproduction des manières concrètes de faire. Par exemple l’ouverture d’une école faite par un agent de l’EPEVRY au début des années soixante et dix est raconté vingt ans plus tard par le même professionnel à un jeune énarque de

597 CAP SESA REGIONS, pro jet d’entreprise de l’EPAREB, document de travail, mars 1989 (archives privées de Lucien Gallas) 598 Entretien avec J.-L. Nguyen. A l'occasion de l'entretien réalisé par N. Arab (en 1996), le même déclarait : "Les gens n'ont jamais expérimenté un mode de management avec des retours, des échanges. Ils considèrent que pour être impliqué sur un dossier, il faut assister à toutes les réunions. C'est un peu dramatique". 599 Entretien avec P.Lelarge

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l’EPA qui se réapproprie l’esprit du maître-jacques des hommes de la mission600. Autre aspect de ce qui fait le ciment de l’expérience collective : la « culture de la production ». Dans le parcours de Jean-Luc Nguyen, l’EPAVNCP représente cette culture : « On fait », dit- il601. C’est cette même dimension à la fois concrète et indéfinissable que décrit Pascal Lelarge lorsqu’il cherche à convaincre les élus du Mantois de la création d’un nouvel EPA : « Ce qui était intéressant à Saint-Quentin-en-Yvelines pour les élus, c’était qu’il y avait cette combinaison des cultures. Il faut une forte efficacité collective. Ça produisait des choses. C’était opérationnel. Une capacité in fine à décoller des trucs, aller jusqu’au bout des intentions »602. Cette culture de production est nourrie de l’échange, de la libre parole, du « pouvoir d’imagination et de proposition »603 que chacun reconnaît aux missions et EPA de villes nouvelles. Enfin sur un mode plus diffus au sein même des organismes de villes nouvelles, le travail en équipe et le côtoiement quotidien d’autres professionnels ont fait évènement. L'acculturation aux différents métiers de l’urbanisme opérationnel est relevée par tous nos interlocuteurs. Jean-Claude Menighetti au moment de son départ de Cergy en 1979 se souvient : « En quittant l’EPA, je me suis rendu compte que je savais énormément de choses, y compris sur des domaines qui n’étaient pas les miens. Je savais des choses sur le logement, les zones d’activités ». Cet apprentissage s’est effectué avec la lente maîtrise des outils méthodologiques mais aussi « dans la confrontation avec les collègues »604. Jean Le Guillou, géomètre devenu chargé d’affaire à l’EPASQY, évoque au moment de son départ en 1986, « la sensation d’être polyvalent à la sortie, de savoir un peu de tout. A l’EPA, vous faites votre métier. Mais vous côtoyez tous les autres métiers de l’aménagement. Quand vous partez vous avez acquis quelque chose dans chaque métier, pas suffisamment pour pouvoir le faire mais assez pour savoir en parler et l’intégrer dans un projet »605. Ainsi à force de côtoyer d’autres métiers, les professionnels appuient leurs activités sur un socle d’expériences collectives et s’en disent « grandis ». Au regard du renouvellement général que subit l'aménagement dans les années 60, les villes nouvelles offrent en héritage une culture professionnelle orientée surtout sur l’activité opérationnelle (dans la production urbaine, l'organisation du travail, l’échange entre les métiers) dont on ne sait pas bien jusqu'à quel point elle s’est diffusée dans différents cercles au-delà des EPAVN. Que nous en disent les professionnels de cette culture ? Qu’ils ont eux-mêmes et progressivement fait le tri entre ce qui demeure vivant et ce qui est devenu obsolète. Suite aux transformations doctrinales et méthodologiques depuis dix à quinze ans (par exemple dans la mise en œuvre de la loi SRU), ils ont fait la part de ce qui, dans le style « ville nouvelle », envisagé comme une culture de production et d’innovation dans un contexte d’expansion, est encore quelque peu opérant. Comment continuer ? En termes de champ d’investigation

600 Entretien avec B. Depresle 601 Entretien avec J.-L. Nguyen 602 Entretien avec P. Lelarge 603 Entretien avec R. Varret 604 Entretien avec J.-C. Menighetti 605 Entretien avec J. Le Guillou

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Il apparaît nécessaire tout d’abord de prolonger cette enquête par un travail sur les autres EPA des villes nouvelles (tant pour compléter la base de données que pour élargir la palette des modes d’organisation des organismes), sur le SGGCVN (« le camp de base» ou lieu d’élaboration de la doctrine juridique, financière, opérationnelle), le GIE 'Villes nouvelles' qui était censé essaimé les expériences des professionnels. La richesse des témoignages réunis grâce aux soins de l’Ecomusée de Saint-Quentin-en-Yvelines montre par ailleurs l’intérêt qu’il y aurait à conduire des campagnes systématiques d’archives orales pour chaque EPA. Il faudrait ensuite redonner aux Missions et EPA des villes nouvelles leurs contextes locaux et nationaux. Notre enquête en interne donne peu à voir ce qui se passe au même moment sur les territoires concernés (il aurait fallu recourir aux archives municipales et départementales, à l’analyse du champ politique et à celle des enjeux sociaux locaux). Ceci serait particulièrement important pour les EPA des villes nouvelles de province, afin de se départir de l’effet d’extrême singularité du cas des Rives de l’Étang-de-Berre (dès lors que l’on s’intéresse un tant soit peu au « local », n’arrive-t-on pas mécaniquement à du singulier ?). Sur un plan plus général, le contexte est aussi celui des pratiques et des méthodes de l’aménagement, dans les différentes scènes du paysage de ces quarante dernières années. On pourrait ainsi s’interroger sur les différentes déclinaisons professionnelles et organisationnelles du paradigme de l’expansion suivant que l’on est dans les champs des études urbaines (OREAM, agences d’urbanisme, bureaux d’études, collectivités locales et territoriales) ou de l’opérationnel (SEM, OPAC, aménageurs privés), selon aussi les périodes et les conjonctures. Ces autres espaces professionnels ont eu leurs propres innovations, leurs propres cultures, leurs propres héritages. À partir de là un travail sinon comparatif du moins de mise en parallèle permettrait de reconnaître les différentes modalités du renouvellement des pratiques et des méthodes autour de l'aménagement. En termes de méthode de recherche Le recours aux outils offerts par l’ethnologie et la sociologie doit pouvoir dans les travaux ultérieurs nous permettre de cerner plus finement les pratiques de l’aménagement. On pense en particulier à la mise en place de dispositifs expérimentaux lors des entretiens avec les professionnels : l’utilisation, comme support du travail pour la mémoire, par exemple d’archives écrites parfois produites par l’interviewé lui-même, ou au-delà la conduite d’entretiens « in situ » par des visites dans certains quartiers de la ville nouvelle que le professionnel a contribué à concevoir ou à produire606. Par exemple le travail concret des équipes à Cergy ou sur les Rives de l'Étang de Berre, appellerait bien d'autres récits que ceux que nous avons recueillis. De tels dispositifs qui mettent en situation les agents, permettent d’obtenir des effets de réel nécessaires à la visualisation des processus de production urbaine. Certaines interviews nous ont permis, grâce au talent du professionnel narrateur, de « voir » ces processus. L’entretien s’offrait alors comme l’occasion d’une mise en scène du quotidien, l’occasion de projeter le film de l’activité en train de se dérouler, qui plus est parfois l’occasion de bénéficier d’un commentaire a posteriori sur ce film. L’objet concret sert de support et de prétexte à ces récits. Cette méthode permettrait de réintroduire l’objet produit – la ville ou les outils qui l’ont permis - dans une recherche sur les pratiques qui l'ont fait advenir. 606 Notamment M. Grosjean et J.-P. Thibaud (sous la dir.), L’espace urbain en méthodes, Marseille, Editions Parenthèses, 2001

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Chronologie : Les villes nouvelles et la créativité institutionnelle et législative des années 60-85 SOURCES : • P. RENDU, “ CHRONOLOGIES ”, IN AMENAGEMENT DU TERRITOIRE ET

DEVELOPPEMENT REGIONAL, GRENOBLE, IEP (1964-1970) ; • L’EXPERIENCE FRANÇAISE DES VILLES NOUVELLES, JOURNEE D’ETUDES

SUR LES VILLES NOUVELLES DU 19 AVRIL 1969, FONDATION NATIONALE DES SCIENCES POLITIQUES, PARIS, ARMAND COLIN, 1970

• P. BEGHIN, B. MAZIN ET F. PECHON, INSTITUTIONS ET FINANCEMENT DES VILLES NOUVELLES, SECRETARIAT GENERAL DES VILLES NOUVELLES, PARIS, LA DOCUMENTATION FRANÇAISE, 1981

• VINGT CINQ ANS DE VILLES NOUVELLES EN FRANCE, GIE VILLES NOUVELLES, MELTM, PARIS, ECONOMICA, 1989

Dates Institutions liées à

l’aménagement Législation de l’urbanisme

Région parisienne Concernant les Villes nouvelles

(surtout Cergy et Evry)

1958 - Unification de la législa -tion sur l’expropriation (ordon. 23.10). ZUP – Rénovation urbaine – Lotissements - Plan d’urbanisme directeur – Plan d’urbanisme de détail – Espaces boisés (décrets 31.12)

Création de l’EPAD (décret du 9.09)

1959 - Districts urbains (ordonnance 5.01) - CGP : service chargé de la planification urbaine

1960 CIAT auprès du 1er

ministre (décret 19.11)

- IAURP (décret 2.08) - Adoption du PADOG (décret du 6.08)

1961 Règles d’élaboration des PME (circulaire octobre)

- District de la Région de Paris (loi 2.08). - Nomination de P. Delouvrier, délégué général (10.08) - Décrets du 3.11 : fonctionnement du district, attributions du délégué

1962 14.02 : création du FNAFU

- Coefficient d’utilisation du sol, plan sommaire d’urbanisme (décret 13.04) - ZAD (loi du 26.07) Secteurs sauvegardés (loi du 4.08)

- AFTRP (décret 14.04) - Début de la politique foncière en RP (ZAD)

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1963 - DATAR (décret 14.02) création du FIAT - CGP : CNAT (arrêté 14.02) - Soretur (Rouen)

Février : Livre blanc, document de base du futur SDAU

1964 - GCPU (2.06) - PME (note du CGP, novembre)

- Nouveaux départements de la région parisienne (loi 10.07) - Juillet : présentation du SDAU au chef de l’État - Novembre, adoption en conseil interministériel

Septembre : achat de terrains à Pontoise

1965 - Mission d’études pour l’aménagement de la Basse vallée de la Seine (modèle pour les OREAM et missions des VN) - Serh (Le Havre)

- 22.06 : présentation du SDAU (soumis au CA du District et au CCES de la RP. Avis, donné en mars et avril 1966). Y figure l’idée de villes nouvelles. - 23.09 : mise en révision du PADOG.

Juillet : ZAD sur Pontoise

1966 - 5.01 Pisani : ministre de l’Équipement. Fusion des deux ministères, Travaux Publics et Construction. - Groupe Interministériel

foncier (décision du 1er

min. 9.03). - 1ère OREAM à Marseille. - STCAU (note 5.11) - Communautés urbaines (loi 31.12)

Décret 10.08 : Réor-ganisation des services de l’ État en R.P. Le délégué du district est aussi préfet de région.

- 6.01 : P. Delouvrier « Discours des ambassadeurs » - Lettre du Premier

ministre au délégué général du 4.04 sur les Missions d’études et le groupe interministériel pour les VN - Le ministre des Finances inscrit au budget un chapitre « aide aux VN » (ch. 65-01) - Juillet : nomination du directeur de la Mission de Cergy - Septembre : ibid. Evry

1967 - SRE (décret 30.03) - GEP (circulaire intermin. 28.02) - CGP : SRU (décret 30.03)

LOF (loi du 30.12)

1.03 : mission Evry installée sur place

1968 CETE (lettre -circulaire 10.06) : Aix, Rouen, Bordeaux.

Textes d’application de la LOF : TLE, ZAC

- Circulaire du Premier ministre sur les missions des VN (24.04) - 1.06 : mission Pontoise installée sur p lace

1969 Textes d’application de la LOF : taxe de sur-densité, COS, SDAU, ZAC

- Mise en place des EPA de Lille-Est, Evry et Cergy-Pontoise (décrets des 12, 16 et 22.04) - 19.04 : Journée sur l’expérience des VN (FNSP) - juin : création de la MAEB

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1970 - Plan d’aménagement Rural (Décret 8.06). - Textes d’application de la LOF : POS

- Avril : création d’un bureau des VN au Ministère de l’Équipement - CIAT du 26.05 : création auprès du 1er ministre du Groupe central des VN et du Secrétariat du GCVN - Loi Boscher sur les villes nouvelles (10.07) - Obligation pour les EPA d’établir un « plan financier »

1971 Création du Plan Construction et de la Mission de la recherche urbaine

EPA de Lille organise le concours du VAL (métro automatisé (inauguré en 1983)

1972 Décret du 11.08 en CE créant 6 agglomérations nouvelles (et syndicats communautaires d’aména-gement) dont Cergy

1973 21.03 Circulaire relative aux grands ensembles et à la lutte contre la ségrégation

- Décret du 9.03 créant 4 agglomérations nouvelles (et syndicats) dont Evry - Mars : EPAREB et MIAFEB

1974 1975 Loi du 31.12 réforme de la

politique foncière (plafond légal de densité, zone d’intervention foncière)

Ouverture de l’Agora d’Evry

1976 Révision du SDAU

1977 3.03 groupe intermini-stériel Habitat et Vie Sociale

MIAFEB devient MIDAM (au sein de la DDE)

1978 1979 Ouverture du centre

administratif et culturel de Cergy

1980 1981 1982 2.03 Loi relative aux droits

et libertés des communes, départements et régions

1983 7.01 Loi relative à la répartition des compéten-ces entre communes, départements, régions et Etat

- Loi du 13.07 modifiant le statut des agglomérations nouvelles (et la loi Boscher de 1970). Prévoit le retour au droit commun. - Décembre : achèvement officiel de la VN de Lille-Est

1984 La VN du Vaudreuil entre dans le droit commun

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Abréviations AD 91 : Archives départementales de l’Essonne AD 95 : Archives départementales du Val d’Oise AFTRP : Agence foncière et technique de la Région parisienne (1962) AGAM : Agence d’urbanisme de l’agglomération de Marseille AN : Archives nationales CA : Conseil d’administration CCES : Comité consultatif économique et social de la Région parisienne CDC : Caisse des dépôts et des consignations CETE : Centre d’études technique de l’Equipement (1968) CGP : Commissariat général au Plan -puis du Plan de modernisation et d’équipement- (1946) CIAT : Comité interministériel pour l’aménagement du territoire (1960) CNAT : Commission nationale d’aménagement du territoire (au CGP 1963) COS : Coefficient d’occupation du sol (1967) CSU : Centre de Sociologie urbaine DATAR : Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale (1963) EPA : Etablissement public d’aménagement EPACP : EPA de Cergy-Pontoise EPAD : EPA de La Défense (1958) EPAREB : EPA des Rives de l’Etang-de-Berre EPASQY : EPA de Saint-Quentin -en-Yvelines EPAVN : Établissement public d’aménagement de ville nouvelle EPEVRY : EPA d’Évry FIAT : Fonds d’intervention pour l’aménagement du territoire (1963) FNAFU : Fonds national d’aménagement foncier (1962) (Anciennement FNAT, 1950) GCPU : Groupe central de planification urbaine (1964) GCVN : Groupe central des villes nouvelles GEP : Groupe d’études et de programmation (1967) GIE : Groupement d’intérêt économique 'Villes nouvelles de France' (1984) IAURP : Institut d’aménagement et d’urbanisme de la Région parisienne (1960) devenu IAURIF LOF : Loi d’orientation foncière (1967) MAE : Mission d’études et d’aménagement MAEB : Mission d’aménagement de l’étang de Berre MIAFEB : Mission interministérielle d’aménagement de la région Fos-Étang de Berre (1973) MIDAM : Mission interministérielle d’aménagement MRU : Ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme OPAC : Office public d’aménagement et de construction OREAM : Organisation d’études d’aires métropolitaines (1966) PADOG : Plan d’aménagement et d’organisation générale de la Région parisienne (1960-1965) PME : Plan de modernisation et d’équipement (CGP depuis 1964) POS : Plan d’occupation des sols (1967, cf. LOF) SAN : Syndicat d’agglomération nouvelle SCA : Syndicat communautaire d’agglomération SCET : Société centrale d’équipement du territoire SCIC : Société centrale immobilière de la Caisse des dépôts SDAU : Schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme (1967, cf. LOF) SEM : Société d’économie mixte SGGCVN : Secrétariat général du groupe central des villes nouvelles SRE : Service régional de l’Equipement (1967) SRU : Service régional et urbain (1967 au CGP) STCAU : Service technique central d’aménagement et d’urbanisme (1966-69) TLE : Taxe locale d’équipement (1967) ZAC : Zone d'aménagement concerté (1967, cf. LOF) ZAD : Zone d’aménagement différé (1962) ZUP : Zone à urbaniser en priorité (1958)

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Répartition des formations complémentaires par type de professionnels à l’entrée en VN (promotion interne non comprise) Tableau de répartition des professionnels ayant une formation complémentaire en urbanisme-aménagement à l’entrée à l’EPEVRY (promotion interne non comprise) Formation

en urbanisme-aménagement* % pour la période 1965-1978

% pour la période 1965-2003

Architectes (hors paysagistes)

1 4% (/total de 24) 4% (/total de 24)

Paysagistes 1 25% (/total de 4) 25% (/total de 4) Ingénieurs 2 13% (/total de 15) 10% (/total de 21) Administrateurs 2 11% (/total de 19) 7% (/total de 28) Commerciaux 8 62% (8-3/total de 8) 27% (/total de 30) -économistes 1 -géographes** 1 -sociologues -psychologue Total SHS 2 25% (/total de 8) 22% (/total de 9) Techniciens 2 29% (/total de 7) 25% (/total de 8) Géomètres 1 0% (1-1/total de ) 33% (/total de 3) administratifs Divers Total*** 18 16% (14/total de 87) 14% (/total de 131)

* IUUP, STG, Atelier aménagement régional de l’ENPC, 3e année urbanisme de l’ENTPE, etc. **géographe effectuant un DES de géographie urbaine est classé comme ayant une formation en urbanisme -aménagement *** total 19 – 1 (géographe devenant commercial en 81) remarques :

- aucun agent promu cadre n'a suivi une formation complémentaire en urbanisme. - la part des agents cadres ayant reçu une formation complémentaire en urbanisme-aménagement s'élève à 16 % pour la période initiale 1965-1978 (personnel

promus cadres toujours non compris). Soit 14 agents (18-4) / total des 84 agents entrés comme cadres entre 1965-1978. Les 4 agents ayant une formation complémentaire en urbanisme pour la période post-78 (plus exactement 1985-2000) sont : 1 ingénieur, 2 commercial, 1 géomètre.

On peut distinguer donc deux périodes :

- années 65 et 70 : 14 agents soit 15 % ( /total de 93 entrants entre 1965 et 1980) plus précisément 1965-78 - années 80-90 : 4 agents soit 11 % (/ total de 38 entrants en 1981-2002)

Page 156: Expériences professionnelles et effets de génération en ... · déceler des catégories utilisées par les contemporains ou leurs représentations au sein de l’administration

156

Tableau de répartition des professionnels ayant une formation complémentaire à l’entrée à l’EPEVRY (promotion interne non comprise) Formation

complémentaire

en architecture

Formation complémentaire

en SHS

Formation complémentaire administrative et juridique

Formation complémentaire

commerciale

Autres formations complémentaires**

Total formation complémentaires (hors urba-aménagement).

% pour la période

1965-2003

Architectes (hors paysagistes)

1 (ingénieur)

Paysagistes Ingénieurs 1 1 (psychologie) Administrateurs 4 (sociologie), 1

(économie)

Commerciaux 1 (communication) -économistes -géographes*** -sociologues -psychologue Total SHS Techniciens Géomètres administratifs Divers Total 1 6 2 9

% 5 % (/total de 131)

Autres formations complémentaires

- pour la période 1965-78 : total de 9 agents / total de 87 agents entrés comme cadres = 10% soit :

- années 65 et 70 : 8 agents soit 9 % ( /total de 93 entrants entre 1965 et 1980) - années 80-90 : 1 agents soit 3 % (/ total de 38 entrants en 1981-2003)

Page 157: Expériences professionnelles et effets de génération en ... · déceler des catégories utilisées par les contemporains ou leurs représentations au sein de l’administration

157

Tableau de répartition des professionnels à l’entrée à l’EPAVNCP ayant une formation complémentaire en urbanisme -aménagement (promotion interne non comprise)

Formation

en urbanisme-aménagement* % pour la période 1965-1976

% pour la période 1965-2003

Architectes (hors paysagistes)

8 50% (/8-2 total de 12) 42% (/total de 19)

Paysagistes Ingénieurs 4 24% (/total de 19-2 promotion interne) 12% (/total de 32) Administrateurs 2 18% (/total de 11) 14% (/total de 14) Commerciaux -économistes 1 -géographes *** 3 -sociologues 1 -psychologue Total SHS 4 25% (4-3/ total de 4) 40% (/total de 10) Techniciens 2 25% (2/total de 8) 25% (/total de 8 Géomètres 1 0% (1-1/total de 0) 25% administratifs Divers Total 27 33% (27-6 /total de 64) 26% (total de 105)

* IUUP, STG, Atelier aménagement régional de l’ENPC, 3e année urbanisme de l’ENTPE, etc. ** communication, ingénieur ***géographe effectuant un DES de géographie urbaine est classé comme ayant une formation en urbanis me-aménagement remarques : Urbanisme –aménagement

- la part des agents cadres ayant reçu une formation complémentaire en urbanisme-aménagement s'élève à 24% si on inclut le personnel entré comme agents d’exécution ou de maîtrise et promus cadres au cours de leur exercice à l’EP.

- la part des agents cadres ayant reçu une formation complémentaire en urbanisme-aménagement s'élève à 33 % pour la période initiale 1965-1976 (personnel promus cadres toujours non compris). Soit 21 agents (27-6) / total des 64 agents entrés comme cadres entre 1965-1976. Les 6 agents ayant une formation complémentaire en urbanisme pour la période post-76 (plus exactement 1981-2003) sont : 3 SHS, 2 architectes et 1 géomètre.

On peut distinguer donc deux périodes : - années 65 et 70 : 21 agents soit 30% ( /total de 70 entrants entre 1965 et 1980) - années 80-90 : 6 agents soit 17% (/ total de 35 entrants en 1981-2003)

Page 158: Expériences professionnelles et effets de génération en ... · déceler des catégories utilisées par les contemporains ou leurs représentations au sein de l’administration

158

Tableau de répartition des professionnels ayant une formation complémentaire à l’entrée à l’EPAVNCP (promotion interne non comprise) Formation

complémentaire

en architecture

Formation complémentaire

en SHS

Formation complémentaire administrative et juridique

Formation complémentaire

commerciale

Autres formations complémentaires**

Total formation complémentaires (hors urba-aménagement).

% pour la période

1965-2003

Architectes (hors paysagistes)

1 (socio-démog) 2 (ingénieur) 3 16% (/total de 19)

Paysagistes Ingénieurs 2 3 (économie) 3 5 17%

(/total de 32) Administrateurs 2 (sociologie) 2 14%

(/total de 14) Commerciaux -économistes 1 -géographes*** 1 -sociologues 1 -psychologue Total SHS 1 1 1 3 30%

(/total de 10) Techniciens Géomètres administratifs divers Total 4 6 4 1 1 16 15% (total de

105) Autres formations complémentaires

- pour l’ensemble de la période 1965-2003 : total de 16 agents / total de 105 agents entrés comme cadre = 15% - pour la période 1965-76 : total de 9 agents / total de 64 agents entrés comme cadres = 14%

soit :

- années 65 et 70 : 9 agents soit 13% ( /total de 70 entrants entre 1965 et 1980) - années 80-90 : 7 agents soit 20% (/ total de 35 entrants en 1981-2003)

relative homogénéité sur toute la période avec léger plus au cours des décennies 80-90

Page 159: Expériences professionnelles et effets de génération en ... · déceler des catégories utilisées par les contemporains ou leurs représentations au sein de l’administration

159

Tableau de répartition des professionnels à l’entrée à l’EPAREB ayant une formation complémentaire en urbanisme-aménagement (promotion interne non comprise)

Formation

en urbanisme-aménagement* % pour la période 1965-1975

% pour la période 1969-2002

Architectes (hors paysagistes)

5 45% (total de 11) 33% (total de 15)

Paysagistes 1 50% (total de 2) 50% (total de 2) Ingénieurs 5 42% (/total de 12) 28% (/total de 18) Administrateurs 4 33% (/total de 12) 27% (/total de 15) Commerciaux 1 33% (total de 3) 10% (total de 10) -économistes 1 11% (/total de 9) -géographes*** 2 67% (total de 3) -sociologues -psychologue Total SHS 3 43% (total de 7) 20% (total de 15) Techniciens 1 10% (total de 10) Géomètres Administratifs Divers Total 20 36% (/total de 56) 23% (/total de 87)

Remarques :

- la part des agents cadres ayant reçu une formation complémentaire en urbanisme-aménagement s'élève à 18% si on inclut le personnel entré comme agent d’exécution ou de maîtrise et promu cadre au cours de leur exercice à l’EP (1 agent).

On peut distinguer donc deux périodes :

- années 65 et 70 : 15 agents soit 24% ( /total de 63 cadres entrants entre 1969 et 1980) - années 80-90 : 5 agents soit 9% (/ total de 56 cadres entrants entre 1981-2003)

Page 160: Expériences professionnelles et effets de génération en ... · déceler des catégories utilisées par les contemporains ou leurs représentations au sein de l’administration

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Tableau de répartition des professionnels ayant une formation complémentaire à l’entrée à l’EPAREB (promotion interne non comprise)

Formation complémentaire

en architecture

Formation complémentaire

en SHS

Formation complémentaire administrative et juridique

Formation complémentaire

commerciale

Autres formations complémentaires**

Total formation complémentaires (hors urba-aménagement).

% pour la période

1965-2003

Architectes (hors paysagistes)

1 (ingénieur)

Paysagistes Ingénieurs 1 1 (géographe) 11% (/total

de 18) Administrateurs 1 2 (économie)

1 (sociologie) 20% (/total

de 15) Commerciaux 1 (économie) 1 (financier)

1 (théologie) 30% (total de

10) -économistes 1(sociologie) -géographes*** -sociologues -psychologue Total SHS 1 7% (total de

15) Techniciens Géomètres administratifs divers 1 (économie) Total 2 7 3 12 14%

(/total de 87) On peut distinguer donc deux périodes :

- années 65 et 70 : 10 agents soit 16% ( /total de 63 cadres entrants entre 1969 et 1980) plus précisément période 1969-76 - années 80-90 : 2 agents soit 4% (/ total de 56 cadres entrants entre 1981-2003)

Page 161: Expériences professionnelles et effets de génération en ... · déceler des catégories utilisées par les contemporains ou leurs représentations au sein de l’administration

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Éléments bibliographiques (comprenant les références utilisées pour la confection de ce rapport)

Administration et politiques dans l’aménagement des « Trente glorieuses »

- Direction de l’aménagement foncier et de l’urbanisme (DAFU), Études d’urbanisme, Paris, La Documentation française, juin 1975

- Auby J.-M. et alii, Traité de science administrative, Paris-La Haye, Mouton, 1966 - Bloch-Lainé F. et J. Bouvier, La France restaurée, 1944-1954, Paris, Fayard, 1986 - Brian Mac Laughlin J., Planification urbaine et régionale, Paris, Dunod, 1972 - Claude V., Les fonctions “études” et l’administration de l’urbanisme : fonction

centrale contre fonction diffuse (1954-1969), École d’Architecture de Strasbourg, ENSAIS, (pour le compte du Plan Construction et Architecture et de la Direction de la Recherche et des Affaires Scientifiques et Techniques), Paris, MELT, juin 1994.

- Lyonnet A. et L.-A. Ménard, Recherches sur l’administration de mission dans la vie locale, Paris, PUF, 1969

- Marquis J.-C., Le génie de l’État. Les maîtres d’œuvre de l’État, Ponts et Chaussées, Génie rural, Eaux et forêts, Lille, L’espace juridique,1988, 2 tomes.

- Parfait F., La planification urbaine, alibi ou espoir, Paris, Eyrolles, 1973 - Perroux, F. "Note sur la théorie des pôles de croissance", Économie appliquée, n°1-2,

1955, 307-320 - Pisani E., « Les problèmes posés au ministère de l’Équipement », Le Moniteur des

travaux publics et du bâtiment, 26.03.1966 - Pisani E., « Examen du projet de budget du ministère de l’Équipement », Le Moniteur

des travaux publics et du bâtiment, 12.11.1966 - Veltz P., Les plans d’occupation des sols. Le droit et les logiques nationales, Paris,

BETURE, Copedith, 1975 - Thoenig J.-C., L’ère des technocrates. Le cas des Ponts et chaussées, Paris, Ed.

d’Organisation, 1973 Métiers de l’urbanisme et de l’aménagement

- Le poids des logiques professionnelles et institutionnelles dans l’habitat et le cadre de vie, Paris, Confluences, juin 1980 (Étude réalisée pour le compte du Secrétariat général du Groupe central des villes nouvelles, le Service technique de l’urbanisme, la Direction de la Construction et la Mission interministérielle pour la qualité des constructions publiques).

- “Histoire et actualité des cultures professionnelles de l’urbanisme”, Dossiers Territoires, Techniques et Sociétés, Délégation à la Recherche et à l’Innovation (DRI-MELT), n°11-12, mars 1990 (Actes du colloque au Musée Social)

- Bachofen C. et R. Tabouret, La maîtrise d’œuvre urbaine , Association pour la recherche près l’Institut d’architecture et d’urbanisme de Strasbourg (pour le Secrétariat de la recherche architecturale), avril 1985.

Page 162: Expériences professionnelles et effets de génération en ... · déceler des catégories utilisées par les contemporains ou leurs représentations au sein de l’administration

162

- Bourdin A. et N. Arab-Rochette, Organisation et fonctions du métier d'aménageur, rapport pour le Club des maîtres d'ouvrage d'opérations complexes, 1997

- Cantal-Dupart M., Les hommes dans la ville. L’état de l’urbanisme en France et des professions concernées, Paris, MELT, 1992, 2 tomes (rapport pour le compte du Ministre de l’équipement, du logement et des transports)

- Fredenucci J.-C., « L’entregent colonial des ingénieurs des Ponts et Chaussées dans l’urbanisme des années 1950-1970 », in Vingtième Siècle, Revue d’histoire, 79, juillet-septembre 2003, p.79-91

- Lamy B. et M.Robirosa, Evolution de la profession d’architecte, Paris, CSU, 1976. - Marié M., « Réseaux techniques, territoires et colonisation », Revue du Monde

Musulman et de la Méditerranée, n°73-74, 1996 - Merlin P., « L’enseignement de l’aménagement et de l’urbanisme », Géographie,

Économie, Sociétés, vol. I, n°2, 1999, 367-379 - Verdes-Leroux J., Les ‘candidats aménageurs’ dans une organisation en quête de

finalité : le Service technique central d’aménagement et d’urbanisme, Paris, Copédith, 1972.

Pratiques dans les villes nouvelles

- Quelle appropriation des villes nouvelles par les acteurs locaux ? Actes de la Journée d’étude du 26 septembre 2002 à Lyon, CERTU, Cahiers n°5, 2003

- Annuaire des villes nouvelles. Les acteurs d’hier et d’aujourd’hui, Lieusaint, AFVN, 2003 (2ème édition)

- L’expérience française des villes nouvelles, Journée d’étude du 19 avril 1969, Paris, Fondation Nationale des Sciences Politiques, A. Colin, 1970

- « Villes nouvelles en France, 1968-1998 », supplément de Urbanisme, n°301, juillet-août 1998

- Vingt cinq ans de villes nouvelles en France, GIE Villes nouvelles, MELTM – DAEI, Paris, Économica, 1989

- L’aménagement de la région parisienne (1961-1969). Le témoignage de Paul Delouvrier accompagné par un entretien avec Michel Debré, Paris, Presses de l’École nationale des Ponts et chaussées, 2003 (témoignage de 1984).

- P. Beghin, B. Mazin et F. Pechon, Institutions et financement des villes nouvelles, Secrétariat général des villes nouvelles, Paris, la Documentation française, 1981

- Blanchard P., « Establishing the tools for control : the French solution », in Mahlon Apgar (ed.), New Perspectives on Community Development, Maidenhead, Berkhiva, Mac Graw Hill, 1976, 261-274

- Boyer J.-M., La programmation urbaine et architecturale. L’expérience des villes nouvelles, thèse de 3ème cycle, École des hautes études en sciences sociales, 1983

- Bruant C. (sous la dir.), Architectures et formes urbaines en villes nouvelles : enquête bibliographique sur les sources écrites, Versailles, Ecole d’architecture de Versailles, LADRHAUS, juin 2003 (pour le Programme interministériel d’histoire et d’évaluation des villes nouvelles et le Bureau de la recherche architecturale, Ministère de la culture et de la communication)

- Eleb-Harlé N. et S. Barles (sous la dir.), Hydrologie et composition urbaine en ville nouvelle, note d’avancement de la recherche, Paris, Ecole d’architecture Paris-Belleville/Institut français d’urbanisme, Université Paris VIII, IPRAUS, novembre

Page 163: Expériences professionnelles et effets de génération en ... · déceler des catégories utilisées par les contemporains ou leurs représentations au sein de l’administration

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2003 (recherche pour le Programme interministériel d’histoire et d’évaluation des villes nouvelles)

- Fourcaut A. et L. Vadelorge (sous la dir.), Des grands ensembles aux villes nouvelles, journée d’études du 11 juin 2003 Centre Malher, université Paris I, Programme d’histoire et d’évaluation des villes nouvelles (actes à paraître)

- Gaillard M., Les conditions d’exercice de la maîtrise d’œuvre urbaine à Cergy -Pontoise, EPA de la ville de Cergy-Pontoise, janvier 1986.

- Hirsch B., Oublier Cergy… L’invention d’une ville nouvelle. Cergy-Pontoise. 1965-1975, Paris, Presses de l’École nationale des Ponts et chaussées, 2000 (2ème édition)

- Korganow A., P. Mehan et C. Orillard, L’équipement socio-culturel en ville nouvelle. Les déclinaisons de la formule innovante de l’intégration, Paris, Ecole d’architecture de Paris-Malaquais, Laboratoire ACS, rapport intermédiaire, février 2004 (pour le Programme interministériel d’histoire et d’évaluation des villes nouvelles)

- Mottez M., Carnets de campagne Evry 1965-2007, Paris, L'Harmattan, 2003, - Merlin P., L’aménagement de la Région parisienne et les villes nouvelles, Paris, La

Documentation française, 1982 - Peylet R., Rapport du groupe de travail sur la situation et les perspectives des EPA,

MELT, le 9 février 1995 - Rautenberg M. et J.-S. Bordreuil (sous la dir.), L’apport des villes nouvelles à la

compréhension de la notion d’espace public, rapport intermédiaire, Lille, CLERSI/UFRESI (pour le Programme interministériel d’histoire et d’évaluation des villes nouvelles)

- Rivet M., La fonction de programmation et le rôle du programmateur. La programmation dans les villes nouvelles, dans une ville moyenne (Saumur) et à Grenoble, SGGCVN, DAFU, mars 1978 ;

Méthodes - Baudelot C. et R. Establet, Avoir 30 ans en 1968 et en 1998, Paris, Seuil, 2000, - Claude V., « Le travail de la différence. Expériences comparatives dans le champ

municipal à Strasbourg (1900-1930) », Genèses, n°39, mars 2000, - Détienne M., Apollon, le couteau à la main , Paris, Gallimard, 1998 - Elias N., Qu’est ce que la sociologie ?, La Tour d’Aigues, Editions de l’Aube, 1991,

(1970). - Grosjean M. et J.-P. Thibaud (sous la dir.), L’espace urbain en méthodes, Marseille,

Parenthèses, 2001 - Laborie P., Les Français des années troubles, Paris, Desclée de Brouwer, 2001 - Mannheim K., Le problème des générations, Paris, Nathan, 1990 - Sirinelli J.-F., Les baby-boomers. Une génération, 1945-1969, Paris, Fayard, 2003. - Sohn A.-M., Age tendre et tête de bois. Histoire des jeunes des années 60, Paris,

Hachette, Littératures, 2001 - Voldman D. (sous la dir.), « La bouche de la vérité ? La recherche historique et les

sources orales », Les cahiers de l’Institut d’Histoire du Temps Présent, n°21, novembre 1992.

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INTRODUCTION

• Les questions de la recherche 5 • Les lieux et les moments de l’expérience 14 • Les informations pour reconstituer des parcours : une base de données, des

archives, des entretiens 18 I - ÉVOLUTION GÉNÉRALE DES ORGANISATIONS. DES MISSIONS AUX EPA (DE 1965 À LA FIN DES ANNÉES 1990) 27

I – 1. Fragilité des débuts : les problèmes d'organisation : "Tout est à faire" 28

1.1.1. Les recrutements 31 • Les origines 32 • Les difficultés de recrutement 34 • Des réinsertions anticipées 36

1.1.2. Un chantier incessant : les organigrammes 36 • Cergy : "L’impossible organigramme" 36

o Une administration de mission telle que prônée par E. Pisani… 36 o … mais qui reste informelle ou implicite 39

• Evry : un déficit organisationnel 40 o Un fonctionnement de type "cabinet ministériel"… 40 o … présentant des carences durables 42

I – 2. Les années 70 : expansion et crise 43

I. 2.1. La perception du retournement des années 70 44 I. 2.2. L’EPAREB : le renversement de perspective 47 I. 2.3. Des effectifs fluctuants qui sont source d'instabilité 49 I. 2.4. Quelques autres indices de la crise de "croissance" des EPA 51 I .2.5. La crise à Evry : un révélateur des conditions de travail 52 I .2.6. La réorganisation "économique" de l’EPAREB 55

I – 3 Les nouvelles organisations des années 80 pour « affronter l’ouverture sur l’extérieur » 58

I. 3.1. Le vieillissement relatif des structures et les projets de relance 60 I.3.2. À Evry 61 I.3.3. À Cergy 66 I.3.4. À l’EPAREB : un projet d’entreprise et un plan stratégique 67 I.3.5. La création du GIE ‘Villes nouvelles de France’ 69

I – 4. Le « sentiment d’insécurité » des années 90 71

I. 4.1. À Cergy : une refonte générale 72 I. 4.2. L’horizon d’un urbanisme d’études et de conseil 76

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II - UNE ADMINISTRATION DE MISSION LESTEE PAR LES CULTURES PROFESSIONNELLE 79 II - 1. Formes et déformations de la pluridisciplinarité 80

II.1.1. La pluridisciplinarité dans l’urbanisme d’études 80 II.1.2. La pluridisciplinarité comme outil de production 82 II.1.3. La pluridisciplinarité comme outil de management 86 II.1.4. La pluridisciplinarité comme polyvalence 87

II – 2. Spéculations entre administrateurs, ingénieurs et architectes 88

II.2.1. L’évolution de la part prise par les architectes-urbanistes : signe des mutations 89 II.2.2. Caractéristiques d’une culture professionnelle apparemment dominante 91

• Le recours à des architectes d’agences 91 • Faiblesse de la rationalisation et de la planification du travail de l’atelier 92 • L’espace public : le dernier carré de maîtrise d’œuvre des architectes

et l’entrée en scène des paysagistes 93 II. 2.3. Le service technique et les ingénieurs 94

II - 3. Sur les rapports de forces internes 98

II.3.1. Sur les difficultés à se dégager de l’architecture 98 II.3.2. La délicate gestion des arbitrages 100 II.3.3. L’évolution des relations entre services 103

III - LA MAITRISE RAPPROCHEE DES CHOSES : LA “ MAITRISE D’OUVRAGE ” COMME OCCASION D’UNE EXPERIENCE COLLECTIVE 107 III – 1.Entre le faire et le faire-faire 109

III.1.1. Le vieux rêve missionnaire du maître-jacques 110 III.1.2. Le virage des années 1983-87 : la commercialisation, la remise d’ouvrages, la formulation de la commande 112

III – 2. La programmation : une activité, des métiers 115

III.2.1. La formule des groupes de travail 116 III.2.2. Le programmateur, « spécialiste du social » 117 III.2.3. L’étude de marché 119 III.2.4. Les résistances 121

III – 3. Les plans financiers 122

III.3.1. L’outil d’une maîtrise d’ouvrage structurée difficile à adapter au fonctionnement des EPA 124 III.3.2. Les résistances des services 125 III.3.3. Un outil de communication et d’action stratégique 126

III – 4. Des directives d’aménagement au « projet urbain » 127

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III.- 5. Les années 90 de l’aménagement : les effets miroir de l’expérience 131 CONCLUSIONS 139

• Sortir des villes nouvelles 140 • Retours d’expériences 144 • Comment continuer ? 149

Chronologie : Les villes nouvelles et la créativité institutionnelle et législative des années 60-85 151 Abréviations 154 Tableaux de répartition des formations (pour les trois villes nouvelles) 155 Éléments bibliographiques 161 Volume II : Annexes Résultats de l’exploitation par grands thèmes de la base de données (travail effectué par Jean-Charles Fredenucci)

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